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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 19 décembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 19

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire (n° 333) (Mme Sandrine Doucet, rapporteure) 2

– Amendement examiné par la commission

– Information relative à la Commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 19 décembre 2012

La séance est ouverte à neuf heures trente.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation examine, sur le rapport de Mme Sandrine Doucet, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire (n° 333).

M. le président Patrick Bloche. Après avoir auditionné hier Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire. La proposition de loi sera examinée en séance publique le mercredi 16 janvier 2013.

Mme Sandrine Doucet, rapporteure. En proposant de supprimer le dispositif de suspension des allocations familiales et d’abroger le contrat de responsabilité parentale (CRP) en cas d’absentéisme scolaire, le texte adopté en première lecture par le Sénat s’inscrit dans le droit fil d’un choix effectué en 2004 par la précédente majorité. En effet, la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance avait déjà supprimé une sanction administrative du même type. La décision avait été prise sur la base d’une recommandation du délégué interministériel à la famille Luc Machard, qui avait jugé la sanction imparfaite et injuste, puisqu’elle pénalisait les familles de manière inégalitaire, au détriment des plus démunies.

L’examen de la présente proposition de loi s’inscrit dans un calendrier, puisque, dans quelques semaines, nous examinerons un grand texte sur la refondation de l’école, qui proposera des outils aux équipes éducatives et pédagogiques pour prévenir deux maux de notre système éducatif souvent corrélés : l’absentéisme et le décrochage scolaire. Dans ce contexte, maintenir à tout prix la « loi Ciotti », stigmatisante et inefficace, n’aurait aucun sens.

Actuellement, la suspension des allocations familiales ne peut intervenir qu’une fois constatée, au cours de deux mois différents dans une même année scolaire, l’absence d’un élève au moins quatre demi-journées dans le mois sans motif légitime ni excuse valable. La sanction n’intervient qu’en dernier recours, à l’issue d’un processus qui permet à la famille de faire connaître ses observations.

Ce dispositif, socialement orienté, est très peu opérationnel. Le 16 octobre 2003, M. Christian Jacob, alors ministre délégué à la famille, l’avait déjà signalé au Sénat : « Le droit en vigueur se caractérise par un dispositif administratif de suspension des prestations familiales, dont l’application s’est révélée à la fois inefficace et inéquitable ». Ne sont pas concernées les familles avec un seul enfant ou qui n’ont plus qu’un enfant à charge, lesquelles ne perçoivent pas d’allocations familiales. Ne le sont guère plus les familles aisées, pour lesquelles les prestations familiales ne représentent qu’une ressource minime. Autant dire que la « loi Ciotti » cible les familles les plus nombreuses et les plus pauvres.

C’est pourquoi, en juin 2010, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, présidé par M. Étienne Pinte, s’y est opposé. Par la suite, le 5 novembre 2010, le conseil d’administration de la Caisse nationale d’allocations familiales a émis sur le projet de décret d’application de la loi un avis défavorable, exprimé notamment par les représentants de l’Union nationale des associations familiales (UNAF).

La ministre a pointé hier soir l’inefficacité du dispositif, que confirment les chiffres du rapport. En 2010-2011, la suspension des allocations a incité l’élève à retourner à l’école dans 78 cas sur 171 et, en 2011-2012, dans 142 cas sur 649. Autrement dit, l’an dernier, le taux d’échec de la sanction est de 70 %. En outre, au plan national, le taux d’absentéisme a progressé entre 2009-2010 et 2010-2011, année de la mise en œuvre de la « loi Ciotti ».

Celle-ci était d’emblée vouée à l’échec, car elle n’explique l’absentéisme que par une défaillance de l’autorité parentale alors que ce phénomène résulte de causes multiples. La première est l’ennui ou la souffrance d’élèves qui ne disposent pas des bases nécessaires pour maîtriser les matières générales et à qui l’on fait comprendre, au collège comme au lycée, qu’ils n’ont pas leur place dans les bonnes filières. Les autres causes sont l’orientation, la violence et le harcèlement – qui, selon M. Éric Debarbieux, que nous avons auditionné il y a quelques semaines, expliquent le comportement de 20 à 25 % des élèves absentéistes – et l’environnement social et familial. Sur ces facteurs, la loi du 28 septembre 2010 n’a qu’une faible prise.

De plus, son application se heurte à des difficultés pratiques. Le dispositif n’est pas adapté aux lycées professionnels, où le taux d’absentéisme a atteint 14,8 % en 2010-2011, contre 2,6 % dans les collèges et 6,9 % dans les lycées généraux. Dans un lycée professionnel sur dix, il a dépassé 40 % en janvier 2011. Selon les témoignages recueillis par la Mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance, il faudrait, pour appliquer les textes à la lettre, que les proviseurs ou leurs équipes signalent parfois aux autorités académiques l’absence de la quasi-totalité des élèves, ce qui est matériellement impossible.

La proposition de loi prévoit également de supprimer le CRP, créé par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances. La loi du 28 septembre 2010 avait modifié le dispositif qui encadre le contrat en supprimant la possibilité pour les présidents de conseils généraux de demander la suspension des allocations en cas d’absentéisme scolaire. La loi « Ciotti » a rendu le CRP caduc en privant les conseils généraux de toute initiative réelle en matière d’absentéisme.

Selon le ministère des affaires sociales, seuls 38 CRP ont été signés entre 2006 et 2010, 194 en 2010 et 174 en 2011, mais l’écrasante majorité – 184 en 2010 et 165 en 2011 – l’ont été dans les Alpes-Maritimes. D’où vient ce particularisme local ? En novembre 2011, la Mission permanente d’évaluation de la politique de prévention de la délinquance, qui a examiné la situation dans ce département, a mis en avant – page 39 de son rapport – « la difficulté d’évaluer l’impact réel » des CRP, puisqu’il n’a pas été possible de formuler la moindre appréciation positive ou négative sur un grand nombre d’entre eux.

La proposition de loi, qui supprime deux dispositifs, préserve à juste titre la procédure d’avertissement et de rappel à la loi des parents d’élèves absentéistes. Le directeur administratif des services de l’éducation nationale, saisi par le chef d’établissement qui aura constaté l’absentéisme d’un élève, pourra toujours adresser un avertissement aux parents après les avoir mis en mesure de présenter leurs observations. La proposition de loi laisse également intactes les dispositions du code pénal sanctionnant les manquements à l’obligation scolaire.

En revanche, elle prévoit une nouvelle procédure d’accompagnement des parents, centrée sur l’établissement et contractualisée. Celle-ci permettra de guider les personnes responsables de l’élève, avec l’aide des membres concernés de la communauté éducative, vers le dispositif de soutien le plus approprié et de désigner un personnel d’éducation référent pour suivre les mesures mises en œuvre.

Je vous invite à adopter sans modification la proposition de loi, afin de tourner le plus rapidement possible la page des réponses univoques apportées par la « loi Ciotti » aux questions complexes que pose l’absentéisme scolaire.

M. Stéphane Travert. Le groupe SRC, qui considère l’école comme le ferment de la République, le lieu d’apprentissage du vivre-ensemble et le fondement du pacte républicain, soutient la proposition de loi.

La « loi Ciotti » ne s’attaque pas aux causes profondes de l’absentéisme, point de départ du décrochage scolaire, qui entraîne les difficultés d’insertion dans la société et le monde du travail. Poursuivant une logique sécuritaire, l’ancien gouvernement a proposé un dispositif inefficace. Celui-ci intervient trop tard, en proposant une sanction inadaptée, qui n’établit aucune distinction entre les différentes causes d’absentéisme. Ce dispositif est appliqué de manière hétérogène sur l’ensemble du territoire, ce qui n’est pas équitable, et l’amalgame qu’il propose entre absentéisme et délinquance ne débouche sur aucune solution.

L’absentéisme étant un problème tant scolaire que social, on ne peut le traiter qu’en restaurant le dialogue et la coresponsabilité des parents et des enseignants, grâce à des actions ciblées. Pour y parvenir, il faut concentrer des moyens sur l’éducation prioritaire, mettre l’accent sur l’école primaire en renforçant les apprentissages et le travail en petit groupe afin de déceler les difficultés des enfants et les décrochages précoces. Il faut surtout substituer des aides aux sanctions. Les premières doivent intervenir rapidement et les avertissements doivent être envoyés dès le premier signalement, afin d’enclencher les dispositifs d’alerte. Tous les acteurs seront ainsi mobilisés au plus tôt pour apporter leur soutien aux parents. Quant aux sanctions, elles doivent être justes.

Pour assurer l’égalité entre les enfants, le système scolaire doit combler certains déficits, en proposant plus de soutien dans les lycées professionnels et les quartiers populaires. La réussite du plus grand nombre s’obtient non par la sanction mais par le dialogue, la formation des maîtres et les réseaux d’aide, qui permettent de lutter contre l’absentéisme et de porter haut le projet personnel de chaque élève. La proposition de loi sénatoriale fait confiance à l’école, aux élèves et aux partenaires éducatifs, en évitant de stigmatiser des familles fragilisées.

L’école est le creuset de la République. Pour que chaque élève, quelle que soit son origine sociale, soit aidé et pris en charge dès les premières difficultés, le dialogue et l’écoute sont plus que jamais nécessaires. Le pacte républicain et l’école du respect sont fondés non sur un système répressif mais sur la volonté de former des citoyens. Telle est l’ambition que nous portons pour un système éducatif puissant, garant de l’égalité des chances.

Mme Virginie Duby-Muller. Faut-il rappeler les chiffres du ministère ? En 2011-2012, la « loi Ciotti » a conduit à près de 80 000 signalements, à 60 000 avertissements, à 22 000 seconds signalements, à 1 400 demandes de suspensions des allocations familiales, à 619 suspensions effectives et à 142 rétablissements des allocations. En somme, 79 858 jeunes sur 80 000 ont retrouvé le chemin de l’école. Peut-on mieux prouver la pertinence du dispositif ? L’audition de la ministre déléguée chargée de la réussite éducative ne nous ayant pas convaincus, j’ai demandé, par une question écrite à son ministre de tutelle, la publication immédiate du rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) sur l’efficacité de la « loi Ciotti ».

Celle-ci prévoit qu’on informe les parents, auxquels on présente, lors de l’inscription de leur enfant, le projet d’école et le règlement intérieur, afin que l’établissement noue avec eux une relation de confiance. Autant dire que l’amendement déposé sur la proposition de loi est satisfait.

L’absentéisme scolaire demande une prise en charge rapide et de proximité. Ce n’est pas en multipliant les acteurs ou les rapports écrits qu’on aidera les familles, qui sont déjà orientées vers les systèmes intérieurs ou extérieurs au système éducatif à même de les aider.

La majorité actuelle détricote les lois votées par la précédente. Elle s’attaque à des symboles, au lieu de mener, comme elle l’avait annoncé, des réformes d’envergure dans un esprit de concertation. Nous n’acceptons pas qu’elle abroge – pour des raisons purement idéologiques – la loi de 2010, qui visait simplement à responsabiliser les parents.

Mme Barbara Pompili. L’absentéisme, qui débute dès l’école primaire et s’amplifie avec l’âge, est souvent lié au décrochage scolaire. À l’heure où le chômage renforce la compétition entre les candidats et où la course aux diplômes reste de mise, il compromet l’entrée dans le monde du travail, voire l’insertion dans la société. Il est donc logique que la majorité souhaite le combattre.

La première étape est d’abroger une disposition qui aggrave le phénomène au lieu de le combattre. En sanctionnant la famille des jeunes en difficulté, la « loi Ciotti » pénalise les plus fragiles. Au lieu de s’attaquer aux difficultés d’apprentissage – redoublement, orientation non choisie, évaluation par la notation qui décourage les élèves en difficulté – ou aux problèmes sociaux et familiaux à l’origine du problème – chômage, rupture, violence, conflit –, elle accroît la précarité des familles en difficulté. L’ancienne majorité a fait de la lutte contre l’absentéisme un instrument de prévention de la délinquance, au lieu de l’inscrire dans une politique éducative. Je me réjouis qu’on nous propose d’abroger une loi qui s’est avérée inefficace et socialement injuste.

Reste à mettre en place une politique éducative et sociale pour lutter contre l’absentéisme et l’échec scolaire. La refondation de l’école doit être ambitieuse. S’il faut d’abord revoir les rythmes scolaires, il faut aussi repenser notre système d’évaluation et de notation, qui prône la compétition, et faire de l’élève un acteur de l’orientation. La pédagogie doit remettre l’enfant au cœur des préoccupations. L’école doit s’ouvrir sur l’extérieur, en multipliant les liens avec les acteurs associatifs locaux, les artistes, les collectivités et les parents. Ces derniers ne seront plus des observateurs extérieurs. La lutte contre l’absentéisme et l’échec scolaire passe par leur implication. Nous demandons d’ailleurs la création d’un statut de parents délégués.

Nous soutenons l’abrogation de la « loi Ciotti », ainsi que la nouvelle approche du gouvernement, globale et ambitieuse, qui doit favoriser l’accompagnement personnalisé des élèves en difficulté. Chacun doit trouver sa place à l’école, qui ne doit plus être un lieu d’exclusion.

Mme Annie Genevard. Contrairement à ce qui vient d’être dit, la « loi Ciotti » vise non à supprimer les allocations familiales mais à les suspendre pour responsabiliser les parents. Pour appuyer leur démonstration, la majorité cite une évaluation partisane. Il est vrai que les collectivités n’ont pas toujours joué le jeu : celles qui pointent l’inefficacité du dispositif ont largement contribué à sa non-application.

Nos collègues veulent impliquer davantage la communauté éducative, mais la collégialité nuira au traitement d’un problème complexe. La « loi Ciotti » prévoit la communication d’informations aux maires, interlocuteurs de premier niveau pour les questions éducatives. Quant aux chefs d’établissement, ils sont associés aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, où l’on pose la question de l’absentéisme, qui peut être une première manifestation de décrochage scolaire et social. Je regrette que la future loi exclue les maires, c’est-à-dire des élus, au profit des services des communes et les prive d’informations indispensables pour connaître la situation des établissements situés sur leur territoire. Envisage-t-on d’associer les maires, les communes et les conseillers généraux au traitement de l’absentéisme scolaire ?

M. Thierry Braillard. Je fais miens les propos de M. Stéphane Travert sur l’école de la République, qui est un des plus sûrs vecteurs de mobilité sociale. Tel est un des principaux enjeux de la loi d’orientation et de programmation que nous discuterons ultérieurement. La « loi Ciotti » s’intègre à un dispositif répressif qui traite l’écolier absent comme un délinquant. En outre, elle est discriminatoire : toutes les familles ne peuvent être sanctionnées de la même façon puisque celles qui n’ont qu’un seul enfant ne perçoivent pas d’allocations familiales. Parce que notre conception de la politique ne consiste pas à rendre les pauvres encore plus pauvres, nous souhaitons l’abrogation de cette mauvaise loi.

Mme Marie-George Buffet. Je félicite Mme Sandrine Doucet pour son rapport précis et convaincant. La « loi Ciotti », qui, fidèle à la politique menée ces dernières années, stigmatise les familles, est inefficace. L’absentéisme, dont les causes sont multiples – les unes tiennent au système scolaire, d’autres à la situation des familles –, appelle des réponses éducatives et sociales.

La réussite pour tous passe par la refondation de l’école. Il faut accueillir les enfants dès deux ans, revisiter les programmes de la maternelle, revoir et retarder l’orientation, donner une meilleure visibilité aux filières professionnelles, principalement touchées par l’absentéisme, et renforcer dans les établissements la présence des personnels adultes qualifiés, comme les infirmières ou les psychologues.

Par ailleurs, il faut améliorer la situation des familles et leur permettre un dialogue permanent avec l’équipe éducative. Quand on stigmatise les parents, je pense à ces femmes que le SAMU social place dans des hôtels de la région parisienne, et qui empruntent chaque jour les transports en commun pour emmener leurs enfants à l’école de leur ville d’origine parce qu’elles tiennent absolument à les scolariser. Leurs enfants méritent l’école de la réussite.

Tournons la page de la « loi Ciotti » pour refonder l’école sur de meilleures bases.

M. Michel Ménard. Mme Sandrine Doucet a parfaitement montré l’inefficacité de la « loi Ciotti », qui, loin de lutter contre l’absentéisme, éloigne de l’école des familles déjà méfiantes envers l’institution scolaire.

Notre but n’est pas de détricoter la législation existante, mais d’accompagner davantage les parents et d’aider les élèves en échec scolaire par le tutorat et la mise en place d’une cellule de veille éducative pluridisciplinaire. La proposition de loi n’est que le premier pas d’une amélioration globale du système éducatif.

Mme Julia Sommaruga. Je soutiens la suppression de la « loi Ciotti », à la fois injuste, puisqu’elle précarise les familles les plus fragiles, et contre-productive, puisqu’elle braque les parents dont elle sape l’autorité. En outre, elle ne peut être appliquée sans une dénonciation, ce qui pose un problème éthique.

Hier, lors de son audition, Mme la ministre a proposé des pistes concrètes pour lutter contre l’absentéisme et le décrochage scolaire, comme celle qui consiste à travailler autour de la parentalité, particulièrement dans les quartiers populaires. D’autres réponses éducatives consistent à favoriser le dialogue, l’écoute, le respect et l’anticipation des difficultés. Cette manière de s’attaquer aux racines du problème correspond parfaitement à l’esprit de la refondation de l’école conduite par le gouvernement.

M. Patrick Hetzel. Pour pouvoir légiférer sur un sujet, il faut d’abord évaluer les dispositifs existants. Le Parlement ne s’honorerait pas en abrogeant sans aucune étude d’impact un texte voté il y a à peine deux ans.

L’absentéisme, signe avant-coureur du décrochage scolaire, mérite mieux que cette proposition de loi élaborée de manière précipitée, sous une injonction politique démagogique et déconnectée du terrain, dont l’adoption ne rendra service ni aux familles ni aux enfants.

M. William Dumas. Il est temps d’améliorer notre système scolaire auquel le précédent gouvernement a porté quelques mauvais coups. La « loi Ciotti » n’était pas faite pour lutter contre l’absentéisme.

Quand des parents souffrent du comportement de leurs enfants, ce n’est pas en les sanctionnant qu’on règle leur problème. Seuls le dialogue et l’écoute sont efficaces : il faut épauler les familles au lieu de les stigmatiser. En tant que maire, je rencontre beaucoup de femmes qui élèvent seules leurs enfants : la loi actuelle les expose à une double peine, à laquelle il faut absolument mettre fin.

Mme Dominique Nachury. Quand on propose d’abroger une loi, il faut aussi annoncer des mesures positives. Quelles solutions concrètes la majorité envisage-t-elle pour l’éducation nationale et quelles politiques sociales entend-elle mener ?

Il est essentiel que les familles prennent conscience de ce qu’est l’absentéisme. Il faut en outre assurer une coordination entre les différents intervenants.

Enfin, quel est le lien entre le texte proposé et le dispositif de mise sous tutelle des prestations familiales ?

Mme Sophie Dessus. Plutôt que de développer des arguments, je vais vous raconter une fable. À l’approche de Noël, un peu d’irrationalité ne nuit pas. Il fut un temps où les commissions départementales relatives au RSA traitaient au cas par cas bien des problèmes de société, parfois liés à l’absentéisme scolaire. Un jour, la commission, que je présidais, a invité une mère à expliquer les causes des absences répétées de son fils. L’ayant entendue, nous l’avons menacée de lui supprimer les allocations familiales. Ce n’était pas brillant. Pourtant, en ces temps lointains, où la « loi Ciotti » n’était pas encore imaginée, j’étais déjà au parti socialiste. Mea culpa !

Le châtiment fut immédiat. La mère, qui faisait partie des gens du voyage, a planté son regard noir dans le mien et m’a maudite jusqu’à la septième génération. Si je n’ai pas encore observé les effets de cette imprécation – je n’en suis qu’à la seconde génération –, je me suis tout de même promis que je ne recommencerais pas !

M. Claude Sturni. Quand nos collègues socialistes répètent qu’il faut rapidement tourner la page et abroger un texte d’emblée voué à l’échec, ils ne se soucient ni des faits ni des chiffres. À quoi leur servirait une évaluation ? Leur seul but est de remettre en cause un texte qu’ils avaient combattu !

Ce n’est pas ainsi que j’imagine le travail parlementaire. À mon sens, nous devons disposer d’éléments objectifs, même si nous divergeons sur leur interprétation.

À quoi rime cette précipitation, puisque nous devons examiner dans quelques semaines un grand texte sur la refondation de l’école ?

M. Pascal Deguilhem. Que nos collègues de droite se rassurent : nous ne détricotons pas grand-chose, car ils n’étaient pas très nombreux à soutenir ce texte, lorsqu’il est passé en force, parce que l’ambiance était alors au tout-répressif ! Des réticences s’étaient élevées parmi eux à l’égard d’un dispositif inégalitaire.

On nous reproche l’absence d’étude d’impact, mais pourquoi les législateurs n’abrogeraient-ils pas un texte qui heurte leurs idéaux et leur volonté de lutter contre les inégalités ? C’est tout à leur honneur ! Dans notre système éducatif, la sanction n’existe que pour résoudre un problème. Si la suppression des allocations ne réduit pas l’absentéisme, à quoi bon s’obstiner et réclamer des chiffres ? Le ministre proposera prochainement des outils efficaces pour limiter les inégalités.

M. Guénhaël Huet. Contrairement à M. Pascal Deguilhem, je ne réduis pas le débat à une opposition entre la droite et la gauche. L’absentéisme est un fléau face auquel les parents ont démissionné. La « loi Ciotti », qui ne réglait pas tout – quel texte est parfait ? –, visait au moins à les remettre face à leurs responsabilités. L’abroger pour des raisons idéologiques ou démagogiques, avant même qu’elle ait été évaluée, ne va pas dans le bon sens.

M. Yves Durand. La droite n’a que les mots de précipitation et de responsabilité à la bouche. Mais c’est dans la précipitation qu’elle avait voté la « loi Ciotti », au lendemain d’élections où le Front national avait pris des voix à l’UMP. Ce texte visait non à régler le problème de l’absentéisme scolaire, mais à mordre sur l’électorat de l’extrême droite.

Pour ce qui est de la responsabilité, je citerai un exemple. Je connais dans ma commune une femme qui élève seule un gamin de quatorze ou quinze ans. Elle se lève à cinq heures du matin et part de chez elle avant qu’il se lève. S’il ne va pas à l’école, la pénalisera-t-on financièrement, alors qu’elle ne touche même pas le SMIC ? Comme responsabilisation, on fait mieux !

M. François de Mazières. La « loi Ciotti » a une valeur symbolique. Quand des parents n’assument plus leurs responsabilités, est-il normal qu’ils continuent à bénéficier des avantages financiers accordés par la société ? Nous pourrions tous citer certains cas ; Mme Sophie Dessus l’a fait tout à l’heure.

Vous voulez supprimer ce texte pour des raisons idéologiques à l’heure où la société peine à maintenir une certaine exigence en matière de formation. Mieux vaudrait attendre son bilan avant de le supprimer. Je rappelle qu’aux termes de la loi, le retrait des allocations n’est ni automatique ni immédiat ; il intervient à la fin d’un long processus et ne se produit pas quand les parents rencontrent de grandes difficultés matérielles. La ministre a parlé hier de 600 retraits : c’est dire que la réalité ne correspond pas à la caricature que vous présentez.

Mme Martine Martinel. Depuis le début de la législature, certains voudraient faire du terme idéologie un gros mot, alors qu’il s’agit d’un mot noble, qu’il n’y a pas lieu de bannir de nos discussions.

Par ailleurs, je trouve indécent de mettre en balance l’argent et la responsabilité. Les allocations familiales ne servent pas à rétribuer les parents qui mettent leurs enfants à l’école. La responsabilisation des parents, avant tout morale, excède la question financière. D’ailleurs, les familles dont les enfants décrochent ne sont pas toutes pauvres. Autant de clichés dont nous devons nous débarrasser. Enfin, n’oublions pas la précipitation avec laquelle M. Éric Ciotti avait élaboré son texte ni les hésitations qu’il avait suscitées dans son propre camp, qui jugeait cette loi brutale et peu sensée.

M. Michel Pouzol. Monsieur de Mazières, les politiques publiques de soutien aux familles ne sont pas des « avantages financiers accordés par la société ». Tenir de tels propos ici, à l’Assemblée nationale, est scandaleux.

Il était certes commode de stigmatiser les parents, de chercher des coupables plutôt que de trouver des solutions, ainsi que l’ancienne majorité en avait l’habitude. En réalité, l’absentéisme scolaire a des sources multiples. Le mode de vie des familles en est une : avec le travail du dimanche ou les horaires décalés, les parents sont moins présents auprès des enfants. Et pourtant, cette situation ne produit pas systématiquement l’absentéisme scolaire. Pourquoi ? Tout simplement parce que la structure de notre école, l’accueil et l’orientation qu’elle offre aux enfants sont aussi en cause. Plutôt que d’y réfléchir, on a supprimé des postes d’enseignants et d’accompagnants dans les écoles et les collèges, ce qui ne favorise pas la lutte contre l’absentéisme ! Vous avez cherché des coupables, vous ne les avez pas trouvés : il est de notre devoir de supprimer une loi inefficace, inutile et injuste.

M. Vincent Feltesse. Sur ce sujet complexe, l’échec est national et collectif. Il est lié à la massification, même si la dégradation de l’éducation en France s’est encore accélérée au cours des dernières années. La « loi Ciotti » – adoptée, rappelons-le, dans des conditions bien particulières – atteste toutefois de la différence d’approche qui sépare la droite et la gauche. Nous ne sommes pas laxistes. Ces difficultés, nombre d’entre nous y ont été confrontés comme maires. Mais ce n’est ni en stigmatisant les parents ni en cherchant des boucs émissaires que l’on parviendra à les résoudre.

Alors que, des années durant, la droite nous a fait le coup de la fraude aux prestations sociales, la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté a montré la semaine dernière que des centaines de milliers de Français n’ont pas accès aux droits sociaux car ils ne sont pas assez informés ! Nous ne sommes pas naïfs, nous sommes réalistes. Le texte idéologique, c’était le vôtre. Nous, nous revenons au bon sens !

M. Ary Chalus. Lorsque j’entends dire que les parents n’assument pas leurs responsabilités, je me sens concerné. Ces enfants, ce sont aussi les nôtres. Nous avons démissionné, nous n’avons pas fait ce qu’il fallait pour que les familles continuent de se montrer responsables. Ce n’est pas par la sanction que l’on résoudra ce problème, mais en intéressant, en motivant, en encourageant, en accompagnant les familles. Ainsi, à la suite des états généraux de la jeunesse que j’ai organisés en 2009 dans ma commune et au cours desquels nous avons auditionné plus de mille jeunes, la délinquance a nettement diminué : il n’y a pas eu un seul crime de sang en trois ans. Ces mêmes jeunes accomplissent aujourd’hui un travail essentiel au sein des établissements scolaires.

N’oublions pas non plus le rôle des personnels communaux chargé de l’entretien et de l’animation dans les écoles. Dans de nombreux établissements, ils ne sont pas formés pour accompagner les enfants, ce qui peut nourrir l’absentéisme de ces derniers.

M. Patrick Hetzel.  La majorité récuse le terme d’« idéologie » au profit de celui d’« idéaux », ainsi que l’a dit M. Pascal Deguilhem. Mais qu’est-ce qu’un système idéologique sinon un système de valeurs ? Or, de toute évidence, nous nous opposons sur les valeurs. Tout en vous défendant d’être caricaturaux, vous caricaturez notre position. En réalité, comme l’a dit M. François de Mazières, dans le dispositif « Ciotti », la suppression des allocations ne devait intervenir qu’en dernier lieu, après l’échec des tentatives du principal de collège pour contacter les familles. Selon les informations dont nous disposons, elle n’est pas mise en œuvre dans les situations sociales extrêmes auxquelles vous faites référence, mais essentiellement lorsque les parents ne viennent pas rencontrer les équipes pédagogiques et le principal.

J’en appelle à nos responsabilités à tous : ne s’agit-il pas d’un problème de fond ? Je suis prêt à parier que le bilan du texte que vous proposez ne sera pas meilleur.

Il est un point au moins sur lequel j’approuve le rapport de Mme Sandrine Doucet : la situation est extrêmement complexe. Pour cette raison, la caricature, dans quelque sens qu’elle aille, ne rend pas service à nos concitoyens.

M. Yves Durand. Vous oubliez, monsieur Hetzel, que la suspension – voire la suppression – des allocations familiales pour manquement à l’obligation scolaire a existé avant la loi Ciotti. Ce qui prouve que cette loi poursuivait un tout autre but que la lutte contre l’absentéisme scolaire.

Mme la rapporteure. Est-il pertinent de supprimer la « loi Ciotti » ? Pour 80 000 élèves signalés comme absentéistes l’année dernière, la suspension effective des allocations familiales a concerné 142 jeunes, soit un rapport d’environ 0,78 % ! Cela en dit long sur les limites du système et montre que ce sont les autres moyens employés, fondés sur le dialogue entre les familles et l’institution scolaire dès le signalement, qui ont été efficaces.

Rappelons que le gouvernement Raffarin avait déjà dressé ce bilan à la suite du rapport Machard, publié en 2003. Quant au cas particulier des Alpes-Maritimes, je vous laisse le soin de l’étudier de plus près.

Par ailleurs, le règlement intérieur a toujours été présenté aux parents. Issu non de la loi, mais des décrets d’application et des circulaires, il est voté par les conseils d’administration des établissements scolaires. Il est aussi présenté aux élèves.

Dans le cadre de la politique que nous proposons, l’élève, interface entre l’école et la famille, est en effet le principal intéressé. Tel sera le sens de la loi sur la refondation de l’école. Voilà qui répond en partie à votre interrogation sur ce qui remplacera la « loi Ciotti ». À ce sujet, je vous renvoie également aux recommandations de la concertation sur la refondation de l’école pour lutter contre le décrochage : relever de 16 à 18 ans l’âge en deçà duquel aucun jeune ne doit être laissé sans solution ; garantir un droit d’accès à la qualification et un « droit au retour » effectif à ceux qui ont interrompu leurs études ; instituer un service public régional de l’orientation afin de mettre en réseau les différents dispositifs existants.

Enfin, nous souhaitons un contrat associant, autour de l’élève, sa famille et tous les partenaires éducatifs, et nous projetons d’instituer à l’école un enseignant référent qui servirait de tuteur à l’élève et ne serait pas nécessairement le professeur principal : la loi sur la refondation de l’école inclura des dispositions relatives au tutorat dans les établissements.

Je vous rappelle que les maires continueront de recevoir une information étendue sur le suivi de l’obligation scolaire, notamment à partir des données personnelles qui peuvent leur être communiquées par les organismes chargés du versement des prestations familiales. Vous pleurez sur le manque d’information des communes alors que vous n’avez pas hésité à supprimer les moyens d’action dévolus aux présidents de conseils généraux!

En ce qui concerne la mise sous tutelle des allocations familiales, elle est toujours prévue par le code civil. Le lien sera assuré par les autorités de l’éducation nationale – autour de laquelle nous recentrons le dispositif.

La suppression des allocations familiales est sans effet sur la responsabilisation des parents. Le rapport Machard le disait dès 2003. En revanche, comme leur nom l’indique, les allocations familiales, versées à partir du deuxième enfant, ne sont pas destinées aux parents mais à la famille : en les supprimant, c’est, au final, une fratrie que l’on punit. Je rappelle enfin que chaque fois que des mesures ont sanctionné les familles en touchant à leurs allocations familiales, les collectivités et les organismes ont renâclé soit à transmettre l’information, soit à appliquer la loi.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique.

Article unique Abrogation des dispositifs de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire et du contrat de responsabilité parentale

La Commission est saisie de l’amendement 1 AC de M. Thierry Braillard.

M. Thierry Braillard. Il s’agit d’une subtilité dont l’efficacité législative n’a pas besoin. Je retire donc mon amendement.

L’amendement est retiré.

M. le président Patrick Bloche. Votre acte héroïque, mon cher collègue, ouvre la voie à un vote conforme de la proposition de loi le 16 janvier prochain.

Mme Claudine Schmid. Pourquoi donc retirer cet excellent amendement qui associait les familles au dispositif ?

M. Thierry Braillard. Je l’ai dit : par souci d’efficacité législative.

M. Patrick Hetzel. C’est regrettable, car nous nous réjouissions de discuter de cet amendement. On imagine la frustration de ses auteurs !

M. Michel Ménard. L’éducation est si importante pour vous que vous faites passer l’espoir de bloquer cette loi avant l’intérêt général !

La Commission adopte l’article unique sans modification, la proposition de loi étant ainsi adoptée sans modification.

La séance est levée à onze heures.

——fpfp——

Amendement examinÉ par la Commission

Amendement n° 1 AC présenté par MM. Thierry Braillard et Olivier Falorni

Article unique

Compléter l’alinéa 5 par la phrase suivante :

« Il en rend compte à la fois aux membres concernés de la communauté éducative et à la famille de l’enfant par un rapport écrit tous les quinze jours. »

Information relative à la Commission

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation a désigné Mme Virginie Duby-Muller et Mme Sylvie Tolmont pour participer aux travaux du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur la mobilité sociale des jeunes.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 19 décembre 2012 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Luc Belot, M. Patrick Bloche, Mme Brigitte Bourguignon, M. Malek Boutih, M. Thierry Braillard, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, Mme Isabelle Bruneau, Mme Marie-George Buffet, M. Ary Chalus, Mme Valérie Corre, M. Yves Daniel, M. Bernard Debré, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dessus, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne-Lise Dufour-Tonini, Mme Françoise Dumas, M. William Dumas, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Vincent Feltesse, Mme Michèle Fournier-Armand, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, M. Guénhaël Huet, M. Christian Kert, M. Pierre Léautey, M. Dominique Le Mèner, M. Jean-Pierre Le Roch, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Franck Riester, M. Paul Salen, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert, M. Jean Jacques Vlody

Excusés. – M. Benoist Apparu, Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, M. Hervé Féron, Mme Sonia Lagarde, Mme Colette Langlade, M. Frédéric Reiss, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles, Mme Michèle Tabarot