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Commission des affaires sociales

Jeudi 21 mars 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 47

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de la CGT-FO, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 774)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Jeudi 21 mars 2013

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission entend M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de la CGT-FO, organisation syndicale non signataire de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 774).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous achevons aujourd’hui les auditions de la Commission sur le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

Outre les ministres et les organisations d’employeurs et de salariés qui ont signé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, il m’a semblé nécessaire que nous entendions également les deux centrales syndicales qui, certes, n’ont pas signé l’accord, mais qui ont participé jusqu’au bout à la négociation interprofessionnelle.

À ce sujet, mon intention initiale était de réaliser une audition commune de la CGT et de FO, à l’image de la séance qui a réuni les trois syndicats signataires. Ce sont des problèmes d’agendas de nos interlocuteurs qui m’ont conduite à retenir le principe de deux auditions séparées. Il ne faut donc y voir aucune volonté de la part de la Commission de mieux traiter les organisations syndicales non signataires.

Nous recevons donc aujourd’hui M. Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de la CGT-FO, qui a représenté son organisation au cours de la négociation.

Monsieur Lardy, vous nous ferez partager votre vision globale de l’accord du 11 janvier, vous nous direz ce que vous pensez de la façon dont il est transposé dans le projet de loi, et vous nous rappellerez les raisons pour lesquelles votre syndicat a décidé de ne pas le signer. À ce titre, vous pourriez nous indiquer les éléments qu’il aurait fallu que l’accord comporte pour que vous le signiez et, à l’inverse, ceux qui auraient dû ne pas y figurer.

M. Stéphane Lardy. Je tiens tout d’abord à excuser M. Jean-Claude Mailly, qui est retenu par une commission exécutive confédérale.

Force ouvrière n’a pas l’habitude de quitter les négociations. Nous pouvons ne pas approuver un texte final, mais nous restons toujours jusqu’à la fin des discussions. FO a d’ailleurs signé la plupart des accords nationaux interprofessionnels de ces dernières années et vient, très récemment, d’annoncer qu’elle signera l’accord sur les régimes de retraite complémentaire.

L’accord du 11 janvier nous paraît très déséquilibré et ne répond pas aux enjeux actuels, notamment ceux liés à l’emploi. C’est une méthode de négociation qui montre ici ses limites. Le document d’orientation contenait trop de sujets, que les partenaires sociaux ne pouvaient traiter sérieusement en trois mois. La réflexion sur certains thèmes mérite d’être approfondie.

La flexibilité – interne comme externe – existe en France depuis trente ans, et ce texte la renforce ; par ailleurs, il répond, sur de nombreux points, au vœu du patronat de voir le droit du licenciement allégé.

FO n’a pas vocation à porter l’intérêt général et nous nous abstiendrons de vous indiquer, mesdames et messieurs les députés, les positions que vous devriez prendre. La Constitution vous confère le droit d’amendement et il n’est pas dans notre intention de vous soumettre une liste des modifications que le projet devrait subir. Je me contenterai donc de soulever les points qui nous apparaissent devoir être éclaircis, ce travail ayant déjà été effectué hier avec M. Jean-Marc Germain, rapporteur du projet de loi.

J’aimerais évoquer les articles principaux et ceux qui suscitent, de notre point de vue, le plus d’interrogations. Le projet de loi n’est pas la transposition exacte de l’accord du 11 janvier et les modifications apportées contribuent à rééquilibrer le texte en faveur des salariés.

Ainsi, l’article 1er généralise la couverture complémentaire « santé », revendication formulée par l’ensemble des organisations syndicales. Or l’accord ne prévoyait pas cette généralisation, puisqu’il se contentait d’organiser une négociation d’entreprise dans le cas d’un défaut d’accord de branche en l’intégrant dans la négociation annuelle obligatoire (NAO). Cependant, celle-ci exige la présence de sections syndicales dans l’entreprise, si bien que la généralisation de la couverture complémentaire « santé » n’aurait pas pu se produire là où les syndicats sont absents. Dans le projet de loi, la généralisation est prévue au 1er janvier 2016 et elle bénéficiera aux salariés non couverts par un accord de branche ou d’entreprise.

L’article 1er traite en outre des clauses de désignation, question qui concerne certains droits fondamentaux des travailleurs. Dans le cas d’une négociation de branche d’un régime de prévoyance ou d’une complémentaire « santé », la clause de désignation permet d’attribuer l’ensemble du marché à un assureur – acteur privé, mutuelle ou institution paritaire. Elle permet de faire de la mutualisation, de la prévention et de l’action sociale. La Cour de justice de l’Union européenne a développé une jurisprudence sur la complémentaire « santé » dans le secteur de la boulangerie artisanale, dans laquelle elle a indiqué que les clauses de désignation portaient à la libre prestation de services une atteinte justifiée par les principes d’égalité de traitement et de solidarité entre les travailleurs. Sous la pression de la Fédération française des sociétés d’assurances, l’accord du 11 janvier avait interdit la clause de désignation. Le projet de loi ouvre la possibilité de prévoir des clauses de désignation, mais il nous semble qu’elles seront conditionnées à des exigences en matière de transparence, d’appel d’offres – non obligatoire en droit privé – et de cahier des charges, qui seront certes déterminées par un décret, mais qui devront être encadrées. Les clauses de désignation sont liées au droit à la négociation collective et à la capacité des organisations syndicales de déterminer les conditions de travail, ce qui renvoie au principe de liberté contractuelle. Nous veillerons donc à ce que le décret respecte le principe constitutionnel du droit à la négociation collective.

L’article 2 prévoit la création d’un compte personnel de formation, qui n’a jamais suscité d’opposition de notre part. Le groupe de travail, mis en place lors de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012, et installé au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), a rendu son rapport sur cette question le 18 mars dernier. Nous ne souhaitions pas que le compte personnel de formation fasse partie de cette négociation nationale interprofessionnelle, car il s’agit d’un sujet compliqué qui nécessite notamment d’étudier les nombreuses expériences étrangères. Le compte n’étant qu’une technique de gestion, la question essentielle a trait aux éléments que l’on y fait entrer. Nous avons été surpris par l’insertion du compte personnel de formation dans l’article L. 6111-1 du code du travail – qui fixe les principes généraux de la formation professionnelle –, comme si la formation tout au long de la vie se réduisait à l’acquisition d’un compte personnel. Pourtant, un plan de formation ou un contrat de professionnalisation participent également de la formation tout au long de la vie. Réduire cette dernière à l’acquisition d’un compte personnel nous semble dangereux. Nous sommes favorables à l’insertion du principe de ce compte dans la loi, mais il convient de ne pas le codifier et de renvoyer sa mise en œuvre à la négociation entre organisations patronales et syndicales, qui, toutes, ont signé un accord en 2009. Le compte personnel entre en collision avec d’autres dispositifs – le droit individuel à la formation (DIF) et le plan de formation – et cette question n’a pas été traitée lors de la négociation. Nous souhaiterions que s’engage à ce sujet une discussion avec l’État et les collectivités territoriales, notamment les régions.

Le flou de la rédaction de cet article incite à la prudence : « chaque personne dispose, indépendamment de son statut, dès son entrée sur le marché du travail, d’un compte personnel de formation, individuel et intégralement transférable en cas de changement ou de perte d’emploi ». La personne devra-t-elle occuper un emploi pour en bénéficier ? Un salarié qui, par exemple, devient dentiste, continuera-t-il de bénéficier du compte, qui ne dépend pas de son statut ? Ce dispositif peut être très intéressant pour les salariés, mais il peut également être dangereux. Certaines expériences étrangères ont montré qu’un défaut de conception dans de tels comptes personnels pouvait renforcer les inégalités de traitement. Il convient donc de ne pas se précipiter, même si, bien sûr, le MEDEF vous invite à agir rapidement pour supprimer la trentaine d’articles du code du travail portant sur le droit individuel à la formation.

L’article 3 traite de la mobilité volontaire sécurisée, qui, en dehors de ce qui concerne les conditions d’ancienneté, ne diffère guère du dispositif du congé sabbatique, que nous souhaitions améliorer. Le projet de loi, transcrivant fidèlement l’accord du 11 janvier sur ce point, dispose que, après deux refus opposés par l’employeur à la demande de mobilité du salarié, l’accès au congé individuel de formation est de droit. Il nous paraît étonnant qu’une action de formation constitue la compensation offerte à un salarié qui a exprimé la volonté, non pas de se former, mais de quitter pour un temps son entreprise afin d’en rejoindre une autre. En outre, l’accès ouvert au salarié se voyant refuser une mobilité concerne-t-il le congé ou la formation ? Le salarié pourrait en effet utiliser un droit au congé sans suivre de formation. Ce dispositif nous semble donc pour le moins curieux.

Par ailleurs, il faut envisager le cas d’un salarié qui prend un congé de mobilité d’un an dans une autre entreprise et y rencontre des difficultés d’adaptation. S’il la quitte au bout de trois mois, que deviendra-t-il pendant les neuf mois restants, alors qu’il ne pourra bénéficier de l’assurance chômage ? Le texte ne permettant pas le retour anticipé dans l’entreprise d’origine, on ne voit pas en quoi il améliore le mécanisme du congé sabbatique.

Le projet de loi dispose que l’exécution du contrat de travail est suspendue pendant que le salarié travaille dans une autre entreprise. Un avenant au contrat de travail régit l’organisation de la période de mobilité. Mais comment pourra-t-il y parvenir, puisque le contrat de travail auquel il est attaché ne s’applique plus ? La rédaction du projet de loi mérite d’être reprise sur ce point.

À nos yeux, l’article 4 n’a pas d’autre objet que de raccourcir les délais de consultation des institutions représentatives du personnel. Il limite, de ce fait, les attributions économiques du comité d’entreprise. Si les délais ne sont pas fixés par la loi, ils pourront l’être par accord dans l’entreprise ou, à défaut, par un décret en Conseil d’État : en tout état de cause, ils ne seront pas inférieurs à quinze jours. Jusqu’à présent, ce délai commençait à la remise des documents par l’employeur. Mais, les élus du personnel ayant dorénavant accès aux documents par le biais d’une base de données, quel événement déclenchera le compte à rebours ? Dans le cadre de leur attribution économique, ce sont parfois des milliers de pages qui sont soumises aux comités d’entreprise. Certains risquent de ne plus être en mesure de remplir leurs missions en quinze jours.

L’article 4 nous pose également problème eu égard à la saisine du juge des référés. Il dispose que les membres élus du comité d’entreprise peuvent saisir le président du tribunal de grande instance. Or le code du travail confère les attributions économiques – dont la saisine du juge des référés fait partie – au comité d’entreprise, personne morale, et non à l’élu, personne physique. Le juge doit statuer dans un délai de huit jours. Imaginons qu’une procédure de consultation de quinze jours ait été lancée, le comité d’entreprise devra former la requête en référé dès le sixième jour pour obtenir sa décision avant la fin de la consultation. Mais sur quel objet le juge statuera-t-il ? Cette situation est porteuse de grandes difficultés et remet en cause l’accès effectif au juge, pourtant consacré comme principe général du droit.

J’ai évoqué la base de données. Elle opère un renversement de la responsabilité en matière d’information des institutions représentatives du personnel. La loi devrait préciser que c’est l’employeur qui procédera à la mise à jour de la base. Un comité d’entreprise pourra saisir le juge des référés pour réclamer les informations qui lui manquent, mais l’entrepreneur sera déresponsabilisé s’il a mal utilisé la base de données en n’y insérant pas l’ensemble des documents dont il disposait. D’ailleurs, la directive européenne 2002/14/CE, qui établit un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs, affirme que les données doivent être transmises par l’employeur.

Le IV de cet article 4 traite des délais de l’expertise. Là encore, fixer les expertises comptables ou techniques par accord ou, à défaut, par décret en Conseil d’État ne nous semble pas heureux. Il n’est pas rare que les expertises comptables s’étalent sur des milliers de pages. Un accord conférant dix jours au comité d’entreprise pour élaborer un avis sur la base de tels documents ne lui permettra pas d’exercer sa responsabilité. Cela ne doit pas nous étonner, car le MEDEF a la volonté d’accélérer les procédures. L’alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946 est ainsi remis en cause, puisqu’il pose le principe du droit à la participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise. Le comité d’entreprise doit donc bénéficier du temps nécessaire pour exercer sa compétence.

Le secrétaire général de Force ouvrière a écrit à M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, au sujet du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il attend toujours une réponse, qui risque de ne parvenir qu’après le vote de la loi. Nous nous sommes étonnés que le projet de loi comporte des dispositions sur ce crédit d’impôt – en matière d’information et de consultation –, alors que ce sujet ne figurait pas dans le document d’orientation. Au titre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, dite « loi Larcher », il aurait fallu que nous soyons sondés sur cette insertion ou, a minima, que le ministre en motive l’urgence.

Le texte remet également en cause le rôle des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Ceux-ci ont à connaître des questions de mutation technologique et de réorganisation, qui donnent lieu à la rédaction de documents pouvant comporter des milliers de pages. Sur des sujets essentiels qui touchent aux conditions de travail des salariés, le raccourcissement des délais, là encore à la demande du patronat, met en danger la procédure de consultation et de contrôle, et empêche le comité de remplir sa mission. Soyez très attentifs sur les délais !

J’évoquerai très rapidement la gouvernance des entreprises, car ce sujet ne nous paraît pas porteur pour changer les rapports de production dans l’entreprise. La protection des membres du conseil d’administration nous semble mieux assurée par le code du travail que par le code du commerce – je sais que M. Jean-Marc Germain doit vérifier ce point – et le projet de loi gagnerait à être précisé sur cette question. Les règles de procédure – délai de convocation et transmission des informations – ne sont pas clairement définies et donneront peut-être lieu à l’élaboration d’un décret.

L’article 6 prétend mettre en place un dispositif de droits rechargeables dans le cadre du régime d’assurance-chômage. En réalité, il ne s’agit que de reconnaître des pratiques mises en œuvre depuis trente ans, et qui se nomment « réadmission » et « reprise de droits ».

L’article 7 pose les bases de la majoration des cotisations sociales des employeurs recourant aux contrats à durée déterminée (CDD) de courte durée. FO et la CGT ont été les premiers syndicats, en 2004, à proposer une surtaxation des contrats courts. Elle nécessitait une habilitation législative qu’offre ce texte. Le législateur, garant de l’intérêt général, confie aux partenaires sociaux le soin de majorer ou de minorer les taux de contribution au regard des politiques de l’emploi. Mais en quoi taxer un CDD d’usage à 0,5 % et ne pas le faire pour un CDD de remplacement ou saisonnier répond-il à un motif d’intérêt général ? FO avait donc proposé de taxer l’ensemble des contrats. La distinction opérée sur les motifs de recours peut porter atteinte aux principes d’égalité de traitement et de liberté d’entreprendre. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Constitution consacrent cette dernière, et le Conseil constitutionnel garantit la liberté pour le chef d’entreprise de choisir ses collaborateurs. À l’occasion de la négociation de l’avenant à la convention d’assurance-chômage, nous soulèverons cette question dans le cadre de l’agrément.

L’article 8 sur le temps partiel pourrait être intéressant s’il prévoyait moins de dérogations. Il fixe certes une durée minimale hebdomadaire de travail de vingt-quatre heures, mais le salarié peut demander à abaisser ce seuil pour faire face à des contraintes personnelles. Certains accords de branche prévoient déjà ce type de mécanisme et on est frappé du nombre de femmes qui, dans certains secteurs, ont des contraintes personnelles les amenant à « accepter » des baisses contractuelles de leur horaire de travail. En outre, le texte prévoit que la dérogation à la durée minimale de vingt-quatre heures puisse s’effectuer par une convention, un accord de branche ou par le regroupement des horaires de travail du salarié sur des journées ou des demi-journées régulières ou complètes. Peut-on prévoir une dérogation à la dérogation ? Dans l’hypothèse où la loi établit la durée minimale à vingt-quatre heures et où un accord de branche la fixe à vingt-deux heures, le contrat de travail peut-il la porter à vingt heures ?

Les compléments d’heures constituent l’une des principales revendications de la Fédération des entreprises de propreté, sachant que la majorité des salariés du secteur du nettoyage sont employés à temps partiel. Si, dans son Livre bleu 2012, cette fédération professionnelle « souhaite que l’accès à plus d’heures de travail pour les salariés à temps partiel soit facilité », elle ne veut pas que cela coûte trop cher aux entreprises. Grâce au dispositif des compléments d’heures, les avenants au contrat augmentant la durée du travail pourront se multiplier, ce qui permettra aux entreprises de ne plus majorer le paiement des heures effectuées au-delà du temps initialement prévu. Autrement dit, à peine envisage-t-on une majoration que l’on met en place l’instrument qui permet de ne pas l’appliquer. Cela ne sera pas sans conséquence sur la rémunération des salariés.

L’article 9, consacré à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, précise que les comités d’entreprise sont informés et consultés « sur le fondement des orientations stratégiques de l’entreprise. » Pourquoi pas, tant qu’on y est, sur les « principes fondamentaux des orientations stratégiques » ? Il serait tout de même plus simple d’en revenir à « la stratégie ». Les négociations ne doivent pas porter sur cette stratégie mais sur ses conséquences sur l’emploi, les rémunérations, les compétences et la formation des salariés.

Selon l’article 10, « l’employeur engage tous les trois ans une négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise dans le cadre de mesures collectives d’organisation sans projet de licenciement ». Dont acte ! Il n’en demeure pas moins que le même article se termine par un alinéa consacré au licenciement des salariés qui refuseraient que leur soit appliqué l’accord issu de la négociation en question.

Par ailleurs, cet accord pose certains problèmes. Il peut d’abord s’appliquer pour une durée indéterminée. Il porte ensuite sur les limites imposées à la mobilité « au-delà de la zone géographique de l’emploi du salarié, elle-même précisée par l’accord ». Or nous estimons qu’il n’appartient pas à la négociation collective de déterminer cette zone. Un tel accord entrerait en contradiction avec les principes relatifs à la conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle, énoncés dans la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), et dans l’article 27 de la Charte sociale européenne. Nous insistons sur le fait qu’il s’agirait d’une remise en cause de la vie privée des salariés et, en conséquence, d’un véritable nid à contentieux. Et la représentation nationale ne peut pas arguer de son incompétence pour laisser cette disposition en l’état, car l’article 34 de la Constitution fait du législateur le garant des droits fondamentaux dont relève le droit à la vie privée ! Il faut enfin évoquer la procédure de licenciement individuel pour motif économique dont le salarié qui refuserait une modification de son contrat pourrait faire l’objet si l’article L. 2242-23 était introduit dans le code du travail. Cette évolution ouvrirait, elle aussi, la voie à de nombreux contentieux car, selon nous, le refus d’une modification du contrat de travail ne peut pas être la cause d’un licenciement économique : pour utiliser cette procédure, l’employeur doit avancer une cause réelle et sérieuse reposant sur un motif économique.

Finalement, alors que les plans de sauvegarde de l’emploi doivent faire l’objet soit d’un accord collectif validé par l’administration, soit d’une décision unilatérale homologuée, l’article 10 prévoit la possibilité de licencier des salariés pour motif économique sans validation ni homologation. On risque de voir un grand nombre d’employeurs utiliser le dispositif de la mobilité interne pour licencier en s’exonérant du contrôle de légalité exercé par l’administration du travail.

L’article 11 pose les bases d’un nouveau régime d’activité partielle sur lequel nous parviendrons assez rapidement à un accord avec nos homologues.

L’article 12 crée une nouvelle catégorie d’accords d’entreprise : les accords de maintien de l’emploi. Vous connaissez l’enthousiasme de notre organisation pour ce type d’accord par lequel nous considérons que le patronat cherche à s’exonérer du plan de sauvegarde de l’emploi. Il reste que la représentation nationale ne peut passer outre la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 qui, dans son article 1er, définit les licenciements collectifs de façon très précise. Le non-respect de ce texte ne serait évidemment pas sans conséquences juridiques.

Une question relative aux délais se pose concernant l’encadrement des procédures de licenciements collectifs dont traite l’article 13. À défaut d’accord collectif majoritaire, la procédure de licenciement collectif devra faire l’objet d’une homologation par l’administration. Le cabinet du ministre du travail veut nous rassurer en rappelant qu’aux vingt et un jours donnés à l’administration pour se prononcer, il faut ajouter le nouveau délai préalable de deux mois, prévu pour la consultation du comité d’entreprise. Toutefois, durant cette première étape, l’administration ne pourra évidemment pas contrôler les éléments dont elle ne disposera pas avant la réunion du comité d’entreprise – comme ceux relatifs aux obligations de l’entreprise en matière de formation, d’adaptation ou de reclassement. Sachant que certains plans sociaux comportent quelques milliers de pages, il me semble irréaliste de ne lui accorder que vingt et un jours pour apprécier un plan unilatéral de licenciement collectif et exercer un contrôle de légalité.

La procédure accélérée de recours devant la justice administrative, créée à l’article 13, nous paraît également trop rapide. On nous fait remarquer que les mêmes délais s’appliquent en matière électorale, mais il nous semble que la situation n’est pas identique.

À l’article 14, relatif à la reprise de site, j’ai déjà signalé au rapporteur un problème rédactionnel. Plutôt que de considérer qu’une entreprise « envisage un projet de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement », il serait préférable d’écrire qu’elle « envisage une fermeture d’établissement ayant pour conséquence un licenciement collectif ».

Nous ne sommes pas favorables à la « barémisation » de l’indemnité forfaitaire versée en cas d’accord consécutif à un litige relatif au licenciement, telle qu’elle est prévue par l’article 16. Cette disposition est susceptible de remettre en cause des principes internationaux, comme celui de réparation adéquate et intégrale du préjudice, résultant de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Elle porte aussi atteinte au principe général selon lequel le salarié ne peut pas concilier en dessous de ses droits, car le barème « fixé par décret en fonction de l’ancienneté » néglige évidemment de nombreuses autres composantes du préjudice éventuel.

L’article 16 réduit par ailleurs de trois à cinq ans le délai de prescription de l’action devant les conseils de prud’hommes en cas de non-paiement de tout ou partie du salaire. Cette disposition scandaleuse retire des droits aux salariés spoliés ; nous demandons en conséquence qu’elle soit supprimée.

À la demande de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), l’article 17 prévoit qu’un délai de un an sera accordé aux entreprises franchissant le seuil de 50 salariés « pour se conformer aux obligations récurrentes d’information et de consultation du comité d’entreprise. » On aura donc élu des représentants du personnel auxquels on demandera expressément de ne rien faire : le ridicule ne tue pas, même s’il fait parfois un peu mal ! En même temps que le patronat prétend adorer le dialogue social et le contrat collectif, il refuse que les représentants du personnel élus au comité d’entreprise exercent leurs attributions – et cela durera au moins neuf mois. Nous demandons la suppression de cette mesure, qui entre en contradiction avec le préambule de la Constitution de 1946, lequel dispose, dans son huitième alinéa, que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Des contrats de travail intermittents peuvent aujourd’hui être signés en cas d’accord de branche ou d’entreprise. L’article 18 met en place un dispositif expérimental afin qu’ils puissent être conclus sans accord collectif préalable dans les entreprises de moins de 50 salariés de certains secteurs d’activités « déterminés par arrêté du ministre chargé du travail » – l’annexe de l’accord du 11 janvier retient les trois secteurs de la formation, du commerce des articles de sport et des équipements de loisirs, et des détaillants de confiserie, chocolaterie, biscuiterie. Il nous semble que le champ ouvert est trop large : plutôt que de considérer l’ensemble d’un secteur, il faudrait préciser les emplois qui sont de nature à faire l’objet de ces contrats parce qu’ils comportent des périodes travaillées et d’autres qui ne le sont pas. Dans une chocolaterie industrielle, il faut faire la différence entre les activités de production qui sont par nature intermittentes – que l’on pense aux commandes de Noël ou de Pâques –, et les fonctions administratives ou commerciales de l’entreprise qui s’exercent en continu. Désigner un secteur tout entier créerait de telles différences entre des travailleurs exerçant le même métier selon l’entreprise qui les emploie qu’il serait porté atteinte au principe jurisprudentiel d’égalité de traitement entre les salariés.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Sur quels critères les trois secteurs que vous venez d’évoquer ont-ils été choisis ? Pourquoi, par exemple, l’industrie du jouet ne bénéficie-t-elle pas de ce dispositif expérimental ? L’activité saisonnière liée aux fêtes de Noël n’est pas limitée à la production de chocolat !

Sur le même sujet, l’article 18 prévoit, comme seule formalité pour signer ces contrats de travail intermittents, la consultation des délégués du personnel. Que se passera-t-il pour les commerces vendant des articles de sport, qui sont nombreux à compter moins de 10 salariés ?

L’accord du 11 janvier vise à sécuriser l’emploi, et à rassurer les employeurs qui auraient pu être dissuadés d’embaucher en raison des rigidités de la législation du travail. À vous entendre, aucun de ces deux objectifs n’est atteint. On peut toutefois se demander si l’employeur n’est pas plus « sécurisé » que l’employé.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Monsieur Lardy, nous avons déjà eu de nombreux échanges – hier encore, en présence du secrétaire général de votre organisation syndicale.

Contrairement à certains syndicats, FO considère que le législateur conserve son droit d’amendement. Nous partageons en conséquence une conception de la démocratie sociale qui ne place pas l’accord au-dessus de la loi. Un dialogue constructif doit s’instaurer, et la négociation doit précéder et inspirer la loi sans s’y substituer : tel est l’état d’esprit du projet de loi constitutionnelle relatif à la démocratie sociale qui vient d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

Vous avez souligné à juste titre les progrès accomplis depuis la conclusion de l’accord du 11 janvier. La couverture complémentaire « santé » de tous les salariés est assurée par le projet de loi, alors que les négociations sur le sujet n’avaient pas abouti. Par ailleurs, le projet précise les conditions d’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi par l’administration en cas de licenciement économique collectif. Ce contrôle n’est pas anodin : il concerne des éléments aussi essentiels que les obligations de l’entreprise en termes de reclassement interne proportionnées aux moyens du groupe, ou les efforts accomplis dans le passé en matière de formation des salariés afin de les adapter aux conditions économiques. À l’article 16, une nouvelle dérogation au délai de prescription prévu par l’accord est introduite en cas d’action concernant des dommages corporels ou des faits de harcèlement moral.

Depuis des années, les rapports sur la formation professionnelle se multiplient et concluent à sa nécessaire évolution. Pourtant, alors que rien n’a bougé, vous incitez encore le législateur à ne pas se précipiter. Il nous semble qu’il est temps d’agir. Nous ne voudrions pas que de nouvelles négociations renvoient le problème aux calendes grecques. Quelles sont vos propositions en la matière ? Vous avez souhaité que l’on ne touche pas au droit individuel à la formation (DIF), mais cet excellent outil n’a pas vraiment été utilisé. Dans le cadre du futur compte personnel de formation, le salarié devra-t-il être libre de suivre la formation de son choix ou faudra-t-il lui proposer des formations spécifiques selon leur pertinence par rapport à l’économie, à moins qu’une sélection ne soit opérée par l’entreprise ou Pôle emploi ? Qui est le plus à même de prendre en charge le conseil en évolution professionnel des salariés et des chômeurs ?

Contrairement à FO, nous considérons que la nouvelle procédure de licenciement économique, élément fondateur du projet de loi, est contraignante, et qu’elle rend le licenciement plus difficile au profit de solutions de redéploiement interne comme le chômage partiel ou la signature d’un accord de maintien de l’emploi – qui constitue à mon sens une forme de chômage partiel négocié. Certains estiment que le contrôle de la réalité du motif économique, opéré par l’administration, doit être renforcé afin d’empêcher des licenciements ; d’autres considèrent que l’administration n’a pas la capacité de l’exercer correctement et que, dans ces conditions, une validation administrative constitue surtout une entrave à l’action éventuelle du juge. Qu’en pensez-vous ?

M. Gérard Cherpion. Force ouvrière a toujours su accorder au dialogue social et à la démocratie politique la place qui leur revenait. Les positions des uns ou des autres ne sont pas toujours aussi claires.

Selon vous, le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi n’est pas conforme à l’accord du 11 janvier que vous qualifiez de « déséquilibré ». Il semble toutefois que, sur un certain nombre de points, le projet de loi vous convient – je pense aux dispositions relatives à la généralisation de la couverture complémentaire « santé ».

Des droits nouveaux sont accordés aux salariés. Même si les droits rechargeables existent depuis trente ans, le projet de loi les rendra effectifs. Le compte personnel de formation, unanimement souhaité depuis longtemps, accompagnera les salariés durant leur parcours professionnel, en particulier ceux qui sont le moins qualifiés. Le DIF en constitue la première pierre, mais il faut aller plus loin – en particulier avec la future loi de décentralisation.

Monsieur Lardy, je vous remercie d’avoir souligné l’importance de la « loi Larcher » modernisant le dialogue social, qui s’applique pour la quatorzième fois.

Selon l’article 15 de l’accord du 11 janvier, le refus par un salarié d’une modification de son contrat à des fins de mobilité interne ouvre la voie à un licenciement pour motif personnel, alors que l’article 10 du projet de loi permet un licenciement économique que vous avez critiqué. Sur ce point, souhaitez-vous en conséquence en revenir à la version de l’accord ?

M. Gérard Sebaoun. Je vous remercie, monsieur Lardy, d’avoir procédé à une explication très fine de tous les articles du texte. Je retiens que l’article 1er, qui représente une avancée pour les salariés, laisse pendant le problème des retraités, des chômeurs ou des jeunes, qui ne bénéficient pas nécessairement d’une complémentaire « santé ».

D’autre part, si vous êtes favorable à ce que le texte mentionne l’existence d’une clause de désignation, je note votre réserve à l’idée qu’il oblige les entreprises à procéder à des appels d’offres. Je considère cependant que, au nom la transparence, cette précision est indispensable.

Pour ce qui est de l’article 4, je vois mal comment vous auriez pu être saisi du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, inscrit dans la loi de finances rectificative votée à la fin de 2012, alors que la négociation dans laquelle vous étiez engagé a pris fin le 11 janvier 2013.

Vous vous êtes interrogé sur le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de coordination, dont le rôle est d’effectuer une expertise globale. Il réunira un membre de chaque comité de base et, à titre de personnes qualifiées – comme le médecin du travail ou l’inspecteur du travail –, des personnes dépendant du lieu où se tient cette instance. Cela peut paraître surprenant, puisqu’une personne qui travaille au siège social d’une entreprise multisites ne dispose pas toujours de tous les éléments concernant chaque site touché par la réorganisation.

Enfin, les mesures collectives d’organisation devront se faire, selon l’accord du 11 janvier, « sans réduction d’effectif » et, selon le projet de loi, « sans projet de licenciement ». Les deux rédactions ne sont pas synonymes. Pourquoi ne pas revenir à la première ?

M. Christophe Cavard. À mon tour, monsieur Lardy, je vous remercie d’avoir été très complet, ce qui nous permet de revenir sur le détail du texte.

Force ouvrière n’a pas signé l’accord du 11 janvier, mais n’avez-vous pas le sentiment que, conformément à son objectif, le projet de loi améliorera le dialogue social et donnera plus de pouvoir aux forces syndicales ?

Dans un contexte marqué par la fragilité économique des entreprises, et la difficulté pour les salariés de conserver le même métier pendant toute leur carrière, comment faut-il accompagner les reconversions et les transformations ? Faut-il insister sur la formation continue tout au long de la vie salariale ou offrir aux salariés – même si ce n’est pas sans risque – la possibilité de faire des expériences dans d’autres entreprises ?

Nous sommes prêts à amender le texte. Le débat a commencé pendant les auditions, et certains collègues nous ont reproché de vouloir trop le modifier. Pensez-vous qu’il faille aller dans ce sens ou qu’il vaudrait mieux complètement renégocier l’accord ?

Concrètement, quelles limites faut-il imposer au maintien dans l’emploi ? Chez Renault, les syndicats ont bien été obligés de prendre en compte certaines réalités de l’entreprise. Le texte prévoit que, lorsque la situation met aux prises employeurs et salariés, il faut encadrer leur face-à-face. N’est-ce pas une façon de préserver l’emploi, ou du moins de limiter l’hémorragie ?

Je ne reviens pas sur les avancées du texte, que vous avez reconnues. En revanche, je vous ai trouvé très dur en ce qui concerne les droits rechargeables. Certes, l’idée figure déjà dans la législation, mais, compte tenu des délais, certains chômeurs peuvent perdre des droits non consommés, acquis lors de la première période de chômage. En pratique, c’est donc un progrès – ou bien jugez-vous qu’il s’agit d’une fausse avancée sociale ?

Notre groupe n’a cessé de dire qu’il fallait conditionner le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Même si une représentante de la CGPME nous a assuré hier que l’employeur n’avait pas de compte à rendre, je trouve normal qu’une entreprise justifie l’utilisation de l’argent qu’elle a reçu. Quelle est votre position sur ce point ?

Quelles qu’aient pu être les réticences de votre syndicat à cet égard, le fait que les accords de branche ne s’appliqueront que s’ils sont signés par des syndicats majoritaires ne représente-t-il pas un garde-fou ?

Enfin, selon vous, est-ce une avancée que d’accorder plus de poids à l’administration du travail ?

M. le secrétaire confédéral de la CGT-FO. Monsieur Cherpion, sur la question des droits rechargeables, notre organisation est la seule à avoir formulé une proposition écrite et chiffrée. Relisez l’accord : la mesure, qui concerne essentiellement les contrats courts, coûte potentiellement 700 millions d’euros. Or elle ne doit pas creuser le déficit de l’assurance chômage, qui atteindra 19 milliards d’euros à la fin de 2013. En outre, les négociations devront commencer en septembre, puisque la convention prend fin le 31 décembre 2013. Il serait plus sage de réfléchir au moyen de mieux prendre en compte des droits rechargeables qui existent actuellement sous le nom de réadmission ou de reprise de droits.

Pour l’année, le reliquat des droits non utilisés se monte à 6 milliards d’euros. Si l’on veut équilibrer le régime de l’assurance chômage, il n’y a que deux solutions : augmenter les recettes, un point de cotisation représentant 5 milliards d’euros, ou diminuer les dépenses. La seule manière de financer le dispositif sera de taper sur les demandeurs d’emploi les moins pauvres. Voilà pourquoi nous disons que le texte ne crée en fait qu’un droit virtuel.

Je rejoins l’avis du rapporteur sur le compte de formation. Tous les cinq ans, nous entendons les mêmes doléances sur l’inefficacité de notre système de formation. Mais quel est l’objectif essentiel ? Est-ce d’avoir des chômeurs bien formés ? La problématique de l’emploi doit être prioritaire. Relisez l’accord : le compte personnel de formation n’apporte rien de plus que le DIF, puisqu’il suppose l’accord de l’employeur et ouvre droit à cent vingt heures de formation au prorata du taux d’activité. Autant dire que le texte n’introduit aucune amélioration.

Le législateur peut parfaitement nous donner six mois pour renégocier, en associant les pouvoirs publics et les régions à la concertation. Nous ne sommes pas pressés. Mais laisser le dispositif tel quel, c’est aller à la catastrophe. Nous l’avons perçu lors des débats au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie et pendant la négociation. Substituer au droit individuel de formation le compte personnel de formation, c’est seulement varier la technique de gestion et la terminologie. « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, disait Jaurès, ils changent les mots. »

Pour nous, l’essentiel est de définir le public visé, sachant que, dans un premier temps, il vaut mieux, par prudence, ne pas prévoir un droit universel. Ciblons par exemple les jeunes ou les non-diplômés. De plus, puisqu’il s’agit de faciliter la transition professionnelle, le droit devra être activé prioritairement à la sortie de l’emploi, forcée ou voulue.

Il faut aussi savoir comment et grâce à quel financement il s’exercera. Qui paiera : les pouvoirs publics, l’employeur ou le salarié lui-même ? Il est paradoxal que l’accord du 11 janvier mentionne un « compte personnel de formation », alors que le salarié ne peut exercer aucun choix. Il faut établir une frontière étanche entre le compte personnel et les dispositifs du plan de formation, que l’on a tendance à confondre. Nous sommes prêts à négocier, dans le calendrier que fixera le législateur.

Sur le contrat de travail intermittent, la négociation a été folklorique. Le dernier jour de la concertation, j’ai fait remarquer à la CGPME que nous attendions depuis trois mois l’annexe détaillant les secteurs. Elle nous a fourni une liste où figuraient les auto-écoles – qui en ont disparu ensuite par magie –, ainsi que les organismes de formation, à l’exception des organismes de formation en langue. Pourquoi ? Parce que, dans ceux-ci, un accord de branche entre les organisations syndicales et patronales a mis en place le contrat de travail intermittent. Faute d’avoir pu l’imposer partout, le patronat s’est engouffré dans cette brèche.

Monsieur Cavard, s’il ne constitue pas un accord historique, je conviens que le texte a le mérite de poser la question fondamentale du rapport entre le collectif et l’individuel. En France, le droit du travail protège paradoxalement le contrat individuel tout en faisant la promotion du contrat collectif. Reste que les droits individuels ne sont pas réductibles à celui-ci. Les accords compétitivité-emploi cherchent à faire le bonheur des salariés malgré eux, ce qui n’est pas possible.

Notre organisation ne s’est jamais montrée défavorable à ces accords. J’en ai signé il y a quinze ans. Je n’avais pas le choix, puisque je travaillais dans l’industrie alimentaire pendant la crise de la vache folle. Mais il faut dire la vérité aux salariés. Ces accords, qui visent à sauver des emplois, n’y parviennent pas toujours, et ce n’est pas en réduisant les salaires qu’on favorise l’emploi. À ce jeu, on gagne au mieux deux ou trois mois. C’est ce qui s’est passé chez Renault ou à Sevelnord. Pour avancer, il faut deux jambes : on doit non seulement réorganiser le temps de travail – ce qui est très dur quand on doit faire les quatre-huit – mais aussi procéder à des investissements industriels, comme cela s’est passé tant chez Renault, avec la relocalisation d’activités automobiles, qu’à Sevelnord, avec l’entrée d’un véhicule électrique, ou à Osram, avec la fabrication des ampoules à basse tension. C’est la seule condition du succès.

Il est arrivé que certaines entreprises prennent nos délégués pour des « zozos ». Heureusement, ils savent lire un compte de résultats et un compte de bilan. En outre, ils connaissent la situation économique de l’entreprise. La fédération ou l’union départementale les aident à examiner l’accord en se demandant s’il est intéressant pour les salariés. Le plus souvent, ce n’est pas leur intérêt qui est pris en compte. Rappelez-vous ce que disait l’ancienne majorité en mai, alors que la négociation avait commencé depuis deux mois. Pour Xavier Bertrand, ministre du travail, la seule entreprise qui comptait en France était Poclain Hydraulics, parce que, 10 % des salariés ayant refusé de signer un accord réduisant le temps de travail et les salaires, il avait fallu prévoir un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). L’Union des industries et métiers de la métallurgie ne veut plus qu’on recoure à un tel plan lorsque des salariés refusent de signer les accords, mais il y a un moment où il faut préserver les droits individuels qui, je le répète, ne sont pas réductibles au contrat collectif.

La question de l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi en cas de licenciement économique collectif mérite d’être posée. Nous considérons, comme nous l’avions proposé lors des négociations, que c’est à l’administration qu’incombe le contrôle, qui ne doit pas se cantonner aux mesures du plan et au délai des procédures. Pourtant, si un juge judiciaire n’est jamais tenu à une décision administrative, ne nous leurrons pas : quand l’administration homologue un plan social signé par des représentants majoritaires, cette décision pèse forcément sur le contentieux judiciaire.

À mon sens, l’accord manque sa cible. Il n’envisage que la situation des grandes entreprises. Or, en 2011, on a compté 952 plans de sauvegarde de l’emploi. En outre, les licenciements économiques représentent moins de 3 % des entrées à Pôle emploi. Je regrette que le débat que nous devions avoir sur les contrats courts ait été biaisé. Le principe d’une homologation par l’administration est intéressant, à condition que celle-ci ait les moyens de faire son travail, mais, après la révision générale des politiques publiques et maintenant la modernisation de l’action publique, je doute que ce soit encore le cas. Vous le constatez dans vos circonscriptions : de plus en plus de gens s’interrogent sur la capacité de l’administration à effectuer un contrôle de qualité.

En ce qui concerne les clauses de désignation, monsieur Sebaoun, nous craignons que, si l’on ferme la porte, certains n’entrent par la fenêtre. Au cours de la négociation, les fédérations patronales, qui ne voulaient plus de ces clauses, même sur les régimes de prévoyance, se sont livrées à un intense lobbying. À les entendre, il fallait tout remettre à plat, au nom de la transparence, mais celle-ci ne doit pas être confondue avec la pratique de l’appel d’offres, qui doit être réservée aux marchés publics. Pour avoir négocié certains accords de prévoyance, je sais qu’ils ne sont pas exempts de transparence, puisqu’on établit un cahier des charges, qu’on l’envoie aux opérateurs, qu’on les auditionne et qu’on choisit le meilleur d’entre eux. Le risque, avec l’accord du 11 janvier, est que l’unique critère retenu soit le prix, ce qui est grave, car certains opérateurs ont une telle surface financière qu’ils pourront se permettre de faire du dumping. C’est pourquoi nous devrons être très vigilants, et distinguer nettement la notion de transparence du principe de l’appel d’offres.

M. Cavard m’a demandé si la négociation avait permis de renforcer le dialogue social. Sur la forme, je conviens qu’elle est préférable à l’oukase, même si, après nous avoir laissé jusqu’à la fin mars pour négocier, on nous a dit qu’il vaudrait mieux finir en décembre, ce qui interdisait de traiter à fond les sujets complexes. Sur le fond, la législation actuelle prévoit qu’un accord d’entreprise ou d’établissement n’est valable que signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles. L’accord à 50 %, que réclame le projet de loi, sera beaucoup plus difficile à obtenir. On devine ce que deviendra le dialogue social dans ces conditions. Au reste, pourquoi l’obligation de signer un accord collectif améliorerait-elle le contenu des plans sociaux ? Aujourd’hui, même si elle n’est pas formalisée par un accord collectif, la négociation existe déjà, puisque le projet présenté en début de consultation n’est jamais celui qui sera transmis à l’administration. Dès lors, qu’apporte l’accord collectif ? La seule avancée envisageable serait que l’on puisse repenser les délais.

Nul besoin de rappeler les difficultés rencontrées par nos délégués lors de la négociation de l’accord Renault. Si les accords compétitivité-emploi évitent une baisse de la rémunération, ils ne permettent pas de renouveler l’emploi. En somme, ils ne sont qu’un chantage à l’emploi. Comment résister quand on n’a le choix qu’entre une baisse de salaire de 20 % et un licenciement ?

Sur les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, je ne suis pas en mesure de répondre.

Pour conclure, je rappelle notre position. Sur le plan macroéconomique, on ne peut pas réduire la problématique de l’emploi à la question sociale. Or, au cours de la négociation, nous avons eu l’impression qu’il fallait à tout prix signer un accord, parce qu’on ne trouvait plus de solution macroéconomique. L’accord du 11 janvier qui prétend chercher « un nouveau modèle économique et social » mentionne la compétitivité avant la préservation de l’emploi, ce qui est révélateur. On connaît la rengaine de la philosophie patronale : « C’est en licenciant plus facilement qu’on embauchera plus facilement. » Mais, en Grèce, où l’on a libéralisé le marché du travail, 50 % des jeunes sont au chômage. C’est aussi le cas en Espagne. L’accord pose donc un problème de fond.

Enfin, je vous invite à regarder les chiffres de la Chancellerie. Le nombre d’actions devant les prud’hommes diminue depuis quinze ans. Seuls 3 % ou 4 % des plans de sauvegarde de l’emploi – infiniment moins nombreux que les ruptures du contrat de travail – arrivent devant la justice. Le plus grand nombre d’entrées à Pôle emploi – 130 000 par mois – sont constituées par des fins de CDD. Le patronat considère le droit du travail comme un frein. S’il cherche à déjudiciariser, c’est pour éviter que le juge – qui, après tout, est quasiment un fonctionnaire – ne se prononce sur la cause économique. Dans l’entreprise, le patronat se sent chez lui. C’est tout juste s’il admet la présence des syndicats, à la seule fin d’imposer des accords de mobilité forcée et des plans sociaux. Pour le dialogue social, en revanche, il entend s’affranchir des seuils. C’est parce que nous ne partageons pas cette philosophie que nous avons refusé de signer l’accord.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Lardy, je vous remercie de ces réponses si précises, et je félicite le rapporteur pour l’excellent travail qu’il a effectué en amont.

La séance est levée à onze heures trente-cinq.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 21 mars 2013 à 9 heures 30

Présents. - M. Gérard Bapt, M. Christophe Cavard, M. Gérard Cherpion, M. Jean-Marc Germain, M. Jean-Patrick Gille, M. Jérôme Guedj, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Gilles Lurton, M. Christian Paul, M. Gérard Sebaoun

Excusés. - Mme Monique Iborra, M. Jean-Louis Roumegas, M. Christophe Sirugue, M. Olivier Véran