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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 28 novembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 45

Présidence de M. Gilles Carrez, Président

– Examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012 (n° 403) (M. Christian Eckert, rapporteur général)

– Présences en réunion

La Commission procède à l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012 (n° 403) (M. Christian Eckert, rapporteur général).

M. le président Gilles Carrez. Sur ce collectif budgétaire de fin d’année, le Gouvernement a déposé, après l’article 24, deux amendements : l’un vise à instituer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), l’autre introduit la réforme des taux de TVA sur laquelle repose une partie du financement de ce crédit d’impôt.

La semaine dernière, pressentant l’arrivée de ces dispositions importantes, j’avais suggéré au Gouvernement de procéder par lettre rectificative, comme cela s’est pratiqué déjà pour d’autres projets de loi de finances rectificative. L’utilisation de cette procédure, qui n’est pas obligatoire, implique de saisir pour avis le Conseil d’État, oblige à réaliser une étude d’impact et donne lieu à un nouveau passage en conseil des ministres. Invoquant l’urgence, le Gouvernement m’a fait savoir qu’il préférait procéder par voie d’amendements. J’ai alors demandé que notre Commission puisse examiner ceux-ci avant la discussion en séance publique. Le Gouvernement a accepté.

Il viendra donc au début de notre séance de cet après-midi nous exposer ces deux amendements, puis, conformément à l’article 117-1 de notre Règlement, se retirera afin que nous les examinions, ainsi que d’éventuels sous-amendements.

En conséquence, si nous en arrivons au cours de la présente séance aux amendements portant articles additionnels après l’article 24, la discussion de ces deux amendements sera réservée.

M. Christian Eckert, rapporteur général. …étant entendu que nous lèverons cette séance vers 11 heures, pour permettre aux commissaires socialistes de participer à la réunion hebdomadaire de leur groupe.

La Commission en vient à l’examen des articles.

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE PREMIER

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

RESSOURCES AFFECTÉES

Dispositions relatives aux collectivités territoriales

Article premier : Compensation des transferts de compétences aux départements et aux régions par attribution d’une part du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE)

La Commission adopte l’article sans modification.

Article 2 : Compensation à la collectivité de Mayotte des charges résultant de la mise en place du revenu de solidarité active (RSA)

La Commission adopte l’article sans modification.

Article 3 : Régularisation des montants dus au titre des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP)

La Commission adopte l’article sans modification.

TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES À L’ÉQUILIBRE DES RESSOURCES ET DES CHARGES

Article 4 : Équilibre général du budget, trésorerie et plafond d’autorisation des emplois

M. Charles de Courson. Aux termes de l’amendement déposé par le Gouvernement après l’article 24, il semble que les entreprises pourront faire figurer dans leur bilan au 31 décembre 2013 la créance représentative du crédit d’impôt. Cette mesure aurait donc un impact sur le budget de 2013…

M. le rapporteur général. Je rappelle que nous examinons ce matin l’article d’équilibre pour 2012 ! Cela étant, le CICE n’aura pas d’impact sur le budget de 2013. Comme le Gouvernement nous l’expliquera cet après-midi, les entreprises concernées auront la possibilité de se faire préfinancer ce crédit d’impôt en souscrivant un emprunt de trésorerie, soit auprès des banques avec caution d’OSÉO, soit directement auprès de ce dernier organisme, pour un montant déterminé à l’aide d’un simulateur de calcul qui sera mis à leur disposition.

Dès lors que l’assiette du crédit d’impôt est constituée par une partie des salaires versés en 2013, le montant exact de ce crédit ne pourra pas être connu avant la fin de 2013 et, comme tout impôt, sera imputé sur les comptes de l’entreprise pour 2013. Il n’y aura donc pas de conséquences pour 2012, ni pour 2013 s’agissant du budget de l’État.

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Elle adopte ensuite la première partie du projet de loi de finances rectificative pour 2012 sans modification.

SECONDE PARTIE

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

TITRE PREMIER

AUTORISATIONS BUDGÉTAIRES POUR 2012 – CRÉDITS DES MISSIONS

Article 5 : Budget général : ouvertures et annulations de crédits

La Commission adopte l’article 5 sans modification.

Article 6 : Comptes spéciaux : ouvertures de crédits

La Commission adopte l’article 6 sans modification.

TITRE II

DISPOSITIONS PERMANENTES

I.– MESURES FISCALES NON RATTACHÉES

Article 7 : Renforcement de la lutte contre les fraudes patrimoniales les plus graves

La Commission est saisie de l’amendement CF 52 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. Dans le droit en vigueur, il est possible de taxer d'office les flux de revenus à destination ou en provenance de l'étranger sur des comptes non déclarés dès que l'administration en a connaissance, sans qu'elle soit tenue d'engager une procédure de contrôle contradictoire. Cet amendement vise à maintenir cette possibilité de taxation d'office, même lorsque l'administration aura eu connaissance de ces flux de revenus non déclarés en exerçant le nouveau droit de communication auprès des banques que lui ouvre le présent article.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CF 51 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. L’un des objets de l’article 7 est de durcir la « règle du double » qui permet au fisc de demander des justifications à un contribuable dès lors que ses revenus constatés représentent au moins le double de ses revenus déclarés : il dispose que l’administration fiscale pourra intervenir dès lors que la différence atteindra 200 000 euros. L’amendement tend à ramener ce montant à 150 000 euros. Cette disposition, certes plus sévère, reste néanmoins raisonnable.

M. Charles de Courson. La règle dite du double restant en vigueur, est-il bien justifié de conserver ce deuxième seuil, qu’il soit fixé à 200 000 ou 150 000 euros ? Ne vaudrait-il pas mieux se contenter d’un seuil unique, ramené par exemple à une fois et demie le revenu déclaré ?

M. le rapporteur général. Nous n’avons pas voulu toucher à cette règle du double, qui est conforme à une jurisprudence constante du Conseil d’État et qui a l’avantage de s’appliquer lorsque le revenu déclaré est inférieur au seuil fixé en valeur absolue. Ainsi, pour un revenu déclaré de 100 000 euros, elle continuera à s’appliquer à partir de 100 000 euros d’avoirs non déclarés.

M. le président Gilles Carrez. Le « ou » de l’article est alternatif, et non cumulatif.

M. Olivier Carré. Il est amusant de constater que l’exposé sommaire de l’amendement se réfère encore à un montant en francs.

M. le rapporteur général. Il est déjà difficile de discuter les amendements : épargnons-nous un débat sur les exposés sommaires.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CF 50 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. L’amendement tend à harmoniser à dix ans tous les délais de reprise en cas de non-déclaration de comptes à l’étranger.

M. le président Gilles Carrez. Je crois me souvenir que c’est à l’initiative de Mme Valérie Pécresse alors qu’elle était ministre du Budget que le délai de reprise à l’impôt sur le revenu a été porté à dix ans dans le cas de ces opérations suspectes. Il me semble aussi que nous nous étions alors demandés s’il ne fallait pas adopter le même délai pour l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et les droits d’enregistrement. Il y aurait donc continuité dans la lutte contre la fraude.

Mme Valérie Pécresse. Vous avez bonne mémoire ! Mais M. le rapporteur général assume-t-il cette continuité ?

M. Charles de Courson. Tous les délais seront-ils désormais harmonisés en cas de non-déclaration ?

M. le rapporteur général. Oui. Tous les délais de reprise seront harmonisés à dix ans, pour tous les impôts en cas de comptes à l’étranger non déclarés.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 7 ainsi modifié.

Après l’article 7

La Commission est saisie de l’amendement CF 45 du rapporteur général, portant article additionnel après l’article 7.

M. le rapporteur général. Les éventuels litiges portant sur l’estimation d’un bien entrant dans le calcul de l’ISF ou soumis à droits d’enregistrement sont traités par une commission départementale de conciliation. Aujourd'hui, aucune commission n'est territorialement compétente pour les biens situés à l'étranger. Il est proposé que cette compétence soit attribuée à la commission de Paris, ce qui permettra un contrôle effectif des déclarations tout en garantissant aux contribuables concernés le bénéfice d’une procédure de conciliation.

M. Charles de Courson. Ces commissions de conciliation fonctionnent-elles bien ?

M. le rapporteur général. Je l’ignore. Je vous propose de poser la question aux services concernés.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CF 47 du rapporteur général, portant article additionnel après l’article 7.

M. le rapporteur général. Dans le même souci d’harmonisation qu’avec l’amendement adopté à l’article 7, cet amendement tend à porter pour tous les impôts de trois ans à dix ans le délai de reprise en cas de fraude révélée devant les tribunaux.

M. Charles de Courson. Il est fréquent que les faits de fraude fiscale révélés dans le cadre d’un contentieux ne soient pas transmis au fisc ou qu’ils ne le soient qu’après qu’ils ont été prescrits. Vous êtes-vous rapproché de la commission des Lois ou du ministère de la Justice pour régler ce problème ?

M. le rapporteur général. C’est précisément pour tenir compte de ces problèmes de transmission qu’il est proposé d’allonger les délais.

M. Charles de Courson. Ne faudrait-il pas compléter l’amendement en faisant obligation aux juges de transmettre ces faits ?

M. le rapporteur général. Cette obligation existe, même s’il peut arriver qu’elle ne soit pas respectée.

La Commission adopte l’amendement.

Article 8 : Adaptation des procédures de lutte contre les fraudes les plus graves

La Commission examine l’amendement CF 42 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. Le Gouvernement propose que l’amende encourue par les contribuables ayant fait l’objet d’une procédure de flagrance fiscale au titre d’activités illicites soit majorée si leurs revenus, estimés par l’administration fiscale dans le cadre de cette procédure, sont supérieurs aux seuils de la quatrième et de la cinquième tranche de barème. Logiquement, la création d’une nouvelle tranche du barème dans le projet de loi de finances pour 2013 devrait conduire à celle d’une nouvelle tranche d’amende.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 8 ainsi modifié.

Après l’article 8

La Commission est saisie de l’amendement CF 21 du président Gilles Carrez, portant article additionnel après l’article 8.

M. le président Gilles Carrez. Les contentieux fiscaux donnent lieu à deux procédures : l’une administrative, destinée à apprécier s’il y a eu fraude, et l’autre pénale. Lorsque les conclusions de la juridiction administrative et de la juridiction judiciaire diffèrent, le Tribunal des conflits est saisi. Or cette saisine n’a pas toujours lieu et il se produit des situations absurdes, comme celle d’un contribuable qui vient d’être condamné par la chambre criminelle de la Cour de cassation à deux ans d’emprisonnement ferme pour fraude fiscale, alors que le juge administratif avait décidé qu’il n’y avait pas eu de fraude fiscale.

L’amendement tend à ce que les sanctions pénales ne soient pas applicables lorsque le juge administratif a établi par une décision définitive que l’impôt n’est pas dû. Il s’agit là du respect des droits élémentaires des citoyens.

M. le rapporteur général. Je ne suis pas favorable à votre amendement. Une intention frauduleuse peut être établie en droit pénal, alors que des questions de procédure peuvent amener le juge administratif à décharger le contribuable de certaines impositions. Les procédures pénale et fiscale ont des objets distincts : la première doit statuer sur la responsabilité pénale du contribuable, tandis que la seconde doit permettre de statuer sur le montant de la dette fiscale. Les plaintes tendant à l’application des sanctions pénales en matière d’impôts directs, de TVA, de droits d’enregistrement, de taxe sur la publicité et de droit de timbre sont déposées par l’administration sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales.

M. Charles de Courson. Notre président pose un vrai problème, mais je ne suis pas sûr que la solution qu’il propose soit adaptée. Le cas qu’il évoque est certes choquant mais comment se fait-il que le Tribunal des conflits n’ait pas été saisi ?

M. le président Gilles Carrez. Il semble que, dans certains cas, ce soit impossible.

M. Charles de Courson. Ce tribunal ayant pour mission de trancher en cas de différence d’interprétation entre les deux ordres de juridiction, il faudrait plutôt un amendement visant à lever les obstacles à sa saisine.

M. le rapporteur général. Ce tribunal est saisi sur les conflits de compétence, et donc sur des questions de procédure. Les cas individuels de décisions divergentes entre ordres judiciaires ne lui sont pas soumis.

M. Olivier Carré. Il est parfaitement justifié de durcir les dispositifs de lutte contre la fraude, mais il nous faut veiller aussi à préserver les droits fondamentaux des contribuables.

M. le président Gilles Carrez. Depuis plusieurs années, d’un commun accord, nous durcissons la lutte contre la fraude fiscale. Mais des cas comme celui que j’évoquais risquent de saper la confiance des contribuables envers l’État. Comment, en effet, expliquer à nos concitoyens que l’on peut être condamné à une peine de prison alors que l’on n’a pas fraudé le fisc, puisque la juridiction administrative en a définitivement jugé ainsi ? Ayons le courage de le reconnaître : les textes législatifs ne sont pas toujours clairs et l’interprétation qu’en livrent les textes réglementaires donne à réfléchir. Mon rapport d’information annuel en tant que Rapporteur général sur l’application de la loi fiscale l’a montré au cours des dernières années : nombreux sont les textes d’application non publiés ou manifestement contraires à l’intention du législateur.

Mme Sandrine Mazetier. Votre majorité n’a pas eu les mêmes scrupules à inverser l’ordre d’intervention du juge judiciaire et du juge administratif dans le contentieux des étrangers, ce qui a permis de prononcer de nombreuses mesures d’éloignement du territoire sans que le juge des libertés et de la détention ait pu statuer sur la légalité de la privation de liberté. C’était même l’objectif quasi explicite de la réforme.

M. le président Gilles Carrez. On ne justifie pas une injustice par une autre, voyons !

Mme Sandrine Mazetier. Ensuite, je suis surprise que l’on envisage de remettre en cause l’indépendance des deux ordres de juridiction et d’instaurer une prééminence du juge administratif sur le juge judiciaire, et ce par un simple amendement en commission des finances, fût-il déposé par son président.

Je m’étonne enfin que l’on puisse condamner quelqu’un qui n’a rien fait à une peine privative de liberté. Le juge qui a prononcé la peine ne s’est sans doute pas totalement désintéressé de ce que cette personne avait pu faire en matière fiscale.

M. le président Gilles Carrez. Il ne s’y connaissait peut-être pas en fiscalité !

M. Henri Emmanuelli. Depuis plusieurs années, loin de régresser, la fraude fiscale est en forte hausse. Son montant dépasse peut-être même aujourd’hui celui des déficits budgétaires courants que nous avons pu connaître. Les cabinets d’avocats spécialisés en optimisation fiscale se sont développés au niveau national et international. Face à eux, l’administration est de moins en moins bien armée. Olivier Carré a laissé entendre que nous persécuterions le contribuable. Ce n’est pas vrai. N’oublions pas que la fraude fiscale est un délit pénal dans bien d’autres pays ; voyez la législation et les méthodes américaines en la matière. Je ne voterai donc pas cet amendement.

M. Patrick Ollier. Je suis tout à fait d’accord avec M. Emmanuelli pour combattre la fraude fiscale, mais il s’agit ici de dénouer une situation qui confine à l’absurde. Il n’est pas question d’établir la priorité d’un ordre de juridiction sur un autre, mais de faire en sorte que la fraude soit réellement constatée avant qu’une condamnation puisse être prononcée. Cet amendement de bon sens, qui n’a rien de politique, devrait donc être adopté.

M. Henri Emmanuelli. Le cas cité est rarissime !

M. Patrick Ollier. Raison de plus pour voter un amendement qui ne produira peut-être ses effets qu’une fois par an.

M. Éric Woerth. Cet amendement est en effet marqué au coin du bon sens. Au cours des cinq dernières années, nous avons tous pris des mesures visant à lutter plus efficacement contre la fraude fiscale et sociale, dotant l’administration fiscale de pouvoirs et d’outils nouveaux pour faire face aux infractions nationales et internationales. Pourtant, nos concitoyens ont le sentiment que nous ne faisons rien contre la fraude fiscale. Ce problème nous concerne tous, quelle que soit notre appartenance politique. Nous devons montrer que, conformément aux principes de l’État de droit, l’administration dispose des moyens juridiques, financiers et humains d’agir. Or la condamnation au pénal d’un contribuable de bonne foi qui n’est, selon la justice administrative, redevable d’aucun impôt nourrit une incompréhension qui nuit à la lutte contre la véritable fraude.

M. Dominique Lefebvre. Le groupe SRC ne votera pas l’amendement, pour au moins deux raisons. Premièrement, une telle disposition ne doit pas paraître priver la lutte contre la fraude fiscale de l’une de ses armes. Deuxièmement, sans connaître en détail le partage des compétences entre les juges administratif et judiciaire en matière de contentieux fiscal, sans rien savoir du cas d’espèce, j’observe que c’est la chambre criminelle de la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire, qui s’est prononcée ici. Quoi qu’il en soit, si l’on doit toucher à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, ce ne saurait être sur un coin de table en commission des finances. Mieux vaudrait, monsieur le président, retirer votre amendement afin d’approfondir ces questions en lien avec la commission des Lois.

M. Christophe Caresche. Sans me prononcer quant au fond, je m’interroge sur la qualité juridique de l’amendement. Comment pourrait-on ne pas appliquer des sanctions qui ont été décidées par une juridiction judiciaire ? En outre, ne risque-t-on pas de remettre en question l’indépendance du juge ?

Mme Arlette Grosskost. Le juge dit le droit, même s’il dispose d’une marge d’interprétation. Nous sommes le législateur, et non une chambre d’enregistrement de la jurisprudence. Ce n’est pas à nous d’interpréter les dires du magistrat.

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Caresche.

M. Charles de Courson. À mon sens, nous ne pouvons pas voter l’amendement en l’état. En effet, il est privé d’effet dans tous les cas où le juge pénal se prononce avant la décision définitive du juge administratif, car l’on ne peut pas revenir sur une décision de justice. Le véritable problème, comme l’indique d’ailleurs l’exposé des motifs, est le champ de compétence du Tribunal des conflits. C’est en étendant ce champ que l’on trouvera une issue à ce type d’affaire, dans le respect de l’indépendance de la magistrature.

M. le président Gilles Carrez. Je suis sensible aux arguments de MM. Lefebvre et de Courson. Les relations complexes entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif sont en effet à l’arrière-plan de cet amendement. Cela étant, le problème reste entier.

M. Henri Emmanuelli. La Cour de cassation s’est prononcée !

M. le président Gilles Carrez. Oui, mais après que le juge administratif a rendu sa décision définitive.

Je suis disposé à retirer mon amendement pour le redéposer au titre de l’article 88, afin de connaître la position du Gouvernement à ce sujet et ses éventuelles propositions. Mais la médiatisation de ce cas pourrait discréditer notre lutte contre la fraude fiscale aux yeux de nos concitoyens.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CF 23 de M. Éric Woerth.

M. Éric Woerth. Aux termes de cet amendement, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport sur l’exil fiscal qui sera joint au projet de loi de finances chaque année. Sur ce sujet qui nous intéresse tous depuis longtemps, on lit tout et n’importe quoi et les chiffres les plus divers circulent. Le Gouvernement peut seul nous éclairer, malgré la difficulté de l’exercice.

M. le président Gilles Carrez. Je suis cosignataire de cet amendement. La question suscite des rumeurs incessantes, de plus en plus folles, dans la presse et dans différents milieux, dont celui des notaires et des avocats fiscalistes. Au nom de l’intérêt général, il faut y mettre fin en clarifiant la situation. J’ai donc envoyé au ministre un questionnaire qui s’appuie notamment sur le suivi des déclarations d’ISF et surtout, de celles des plus-values latentes au titre de l’exit tax que nous avons instaurée en 2011. Le quitus fiscal ayant été supprimé il y a plusieurs années, nous devons nous doter d’un appareil statistique. Voilà pourquoi je suis également favorable à un rapport.

M. le rapporteur général. Je vous félicite, monsieur le président, d’avoir écrit au ministre pour lui demander des informations – j’aurais pu en faire autant compte tenu des pouvoirs des rapporteurs généraux des commissions des Finances – et j’espère que vous nous communiquerez ses réponses.

M. le président Gilles Carrez. Bien sûr !

M. le rapporteur général. Quant aux rumeurs, certains de ceux qui les alimentent ne seraient-ils pas parmi nous ?

En somme, monsieur le président, vous demandez un « jaune » supplémentaire alors que la LOLF vous fournit déjà en tant que président de la Commission les moyens d’obtenir les informations que vous demandez. Vous précisez en outre vouloir disposer d’« éléments d’appréciation de l’attractivité fiscale de la France ». Mais notre rôle est de faire les lois qui déterminent notre fiscalité, laissant chacun libre d’apprécier ensuite, en ses grade et qualité, l’attractivité fiscale de notre pays.

Avis défavorable.

M. Pascal Terrasse. Nous voulons tous la même chose : la vérité sur les exilés fiscaux – sans oublier ceux qui rejoignent notre territoire national pour des raisons fiscales, par exemple depuis Jersey à la suite des dispositions prises par différents États, comme me le disait tout récemment le directeur de l’autorité financière de l’île. Éric Woerth a raison de vouloir la vérité sur l’exil fiscal et notre président d’interroger le Gouvernement à ce sujet, mais, comme l’a dit le rapporteur général, ce n’est pas en ajoutant un article au projet de loi de finances rectificative qu’ils parviendront à leurs fins. Lorsqu’il aura obtenu tous les renseignements nécessaires, notre président devrait plutôt organiser un débat annuel sur le sujet au sein de notre Commission ; ce serait préférable à un amendement « bavard », si vous me permettez l’expression.

M. le président Gilles Carrez. Monsieur Terrasse, je vous signale que le rapport demandé porte non seulement sur les départs, mais également sur les retours.

Il ne faudrait pas donner l’impression que le Gouvernement, voire la majorité, ne voit pas où est le problème, car sur ce sujet qui intéresse beaucoup tous nos concitoyens, le déni serait la pire attitude à adopter. En s’efforçant d’y voir clair, notre Commission est tout à fait dans son rôle. Voilà pourquoi j’ai envoyé le questionnaire sous mon autorité de président, comptant bien proposer à la Commission de poursuivre ce travail. Voilà également pourquoi nous demandons au Gouvernement un rapport annuel.

M. Jean-François Lamour. Je suis tout à fait d’accord avec le président. En évoquant le déficit d’informations sur les entrées et les départs de contribuables ainsi que l’existence de rumeurs, le rapporteur général et M. Terrasse reconnaissent du reste implicitement l’utilité d’un tel rapport. C’est en obtenant chaque année du Gouvernement des chiffres dont nous pourrons débattre que nous établirons la vérité. La demande est d’autant plus équilibrée qu’elle s’étend à ceux qui, en venant sur notre territoire, en confirment l’attractivité fiscale. En outre, repris chaque année, l’exercice permettra de dégager une tendance.

M. Éric Woerth. La position du rapporteur général est un peu surprenante. Sur ce sujet sans cesse débattu, il s’agit de clarifier la situation, non d’obtenir un énième « jaune ». Du reste, lorsque vous étiez dans l’opposition, vous ne manquiez pas de demander des rapports, que la majorité acceptait quasi systématiquement. Pourquoi, en effet, ne pas chercher à travailler dans de meilleures conditions ? Pourquoi ne pas tordre le cou aux rumeurs ? Mais pour y parvenir, il nous faut des données. À chacun d’en tirer ensuite les conséquences politiques qu’il voudra ! La fiscalité, l’attractivité fiscale du territoire, le patriotisme fiscal, enjeux essentiels pour l’avenir qui sont débattus publiquement, doivent l’être à la lumière d’éléments fournis par le Gouvernement, dont la teneur et le mode de calcul soient indiscutables. Il ne suffit pas que le président de la commission des Finances demande ponctuellement tel ou tel document ; les données devraient être sur la place publique.

M. Charles de Courson. Je suis favorable à cet amendement. Il nous a fallu plusieurs mois, voire plusieurs années pour obtenir, à propos de l’ISF du moins, une estimation du nombre de départs et de retours. Reste le problème de ceux qui sont partis pour ne pas être assujettis à cet impôt.

M. le président Gilles Carrez. L’exit tax permet d’en savoir plus.

M. Charles de Courson. Si nos collègues sont indisposés par le dernier membre de phrase – « avoir des éléments d’appréciation de l’attractivité fiscale de la France » –, je propose de le supprimer par un sous-amendement.

Lorsque l’on nous demande combien de Français sont partis pour échapper à l’ISF, nous ne sommes pas en mesure de répondre. Et combien reviennent ? Les chiffres qui nous ont été fournis font état d’environ 800 départs et de 300 à 400 retours, mais quelles en sont les causes ? Nous avons besoin de ces données.

M. le président Gilles Carrez. L’ISF fait l’objet d’une déclaration annuelle. Aujourd’hui, nous ne connaissons pas encore les mouvements correspondant à l’année 2010, alors qu’il serait normal de disposer aujourd’hui, fin novembre 2012, des données pour 2011. Je suis donc favorable au sous-amendement de M. de Courson.

Soyons raisonnables : pourquoi pas un « jaune » sur les départs et retours pour raisons fiscales ? Notre majorité avait bien accepté en son temps un « jaune » sur la lutte contre le changement climatique !

M. le rapporteur général. Je suis défavorable à votre amendement, monsieur le président, même sous-amendé par M. de Courson. Savez-vous, mes chers collègues, qu’il existe depuis 2009 un « jaune » sur la fraude fiscale ? Qui en a fait état au cours des derniers débats ? Personne ! Depuis que je siège ici, je n’en ai jamais entendu parler. Faut-il vraiment en demander un de plus ? Vous faites valoir que celui qui existe n’est pas exploitable. Ce qui implique le cas échéant que l’on demande un nouveau rapport, puis un rapport considéré comme exploitable, puis des modifications, etc.

Le Gouvernement vous a récemment fourni les données précises relatives aux niches fiscales que vous lui aviez demandées.

M. le président Gilles Carrez. Ce qui vous a aidé, monsieur le rapporteur général, à soumettre les SOFICA au plafond !

M. le rapporteur général. Je ne vous reproche pas d’avoir formulé cette demande, monsieur le président. Je vous ai d’ailleurs remercié d’avoir adressé au Gouvernement un questionnaire sur l’exil fiscal – pour ne pas dire la fraude. Simplement, vous pouvez avoir tous les chiffres que vous souhaitez, même s’il peut être nécessaire de s’y reprendre à deux fois, ce qui n’a rien de nouveau. Continuons ainsi. Pourquoi un rapport de plus ?

M. Éric Woerth. Monsieur le rapporteur général, vous n’êtes pas comptable du surcroît de travail que notre amendement va demander au Gouvernement : vous êtes le Parlement, non le porte-parole du Gouvernement en son sein ! Il est bien naturel que la commission des Finances puisse obtenir des données, qu’il nous appartient d’exploiter ensuite ou non. Sur un sujet aussi important, l’on ne peut se contenter de dire qu’un rapport de plus ne servira à rien – à moins d’avoir intérêt à faire obstacle à la transparence, ce qui serait très regrettable.

M. Alain Fauré. Monsieur le président, je regrette que votre amendement ait été présenté à la presse comme un carton rouge adressé au Gouvernement. Si vous n’en aviez pas fait état à l’extérieur de cette manière provocatrice, nous aurions pu envisager de le voter.

La Commission rejette l’amendement.

Article 9 : Lutte contre la fraude TVA sur la vente de véhicules d’occasion

La Commission adopte l’article 9 sans modification.

Après l’article 9

La Commission est saisie de l’amendement CF 37 de M. Marc Le Fur, portant article additionnel après l’article 9.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il s’agit d’harmoniser les taux de TVA applicables à un produit que nombre de nos concitoyens jugent de première nécessité : le café, le « petit café ». Alors que 14 millions de boissons chaudes sont préparées et consommées chaque jour, il y a lieu de s’étonner de la disparité entre le taux de 5,5 % applicable à l’achat du café ou de la poudre à café et la taxation à 7 % du café préparé dans un estaminet.

M. le rapporteur général. Je suis évidemment défavorable à cet amendement, dont l’exposé sommaire est édifiant.

L’un des amendements du Gouvernement que nous examinerons cet après-midi porte sur la modification des taux de TVA et engage quelque six milliards d’euros. Nous devrons le sous-amender, notamment pour tenir compte du fait qu’une part de la TVA est affectée aux recettes de la sécurité sociale, des effets de la mesure sur les collectivités territoriales, et pour moduler les taux sur certains produits ou services. Or je doute qu’il soit possible de le faire avant l’examen du texte en séance publique, prévu lundi. Puisque les modifications des taux de TVA ne s’appliqueront qu’à compter du 1er janvier 2014, nous pourrons attendre un prochain collectif et, au plus tard, le projet de loi de finances initiale pour 2014 pour en reparler s’agissant du café, du logement social, de la restauration, de l’assainissement, des transports publics, etc. Je ne souhaite pas que nous légiférions en quelques jours sur ces importantes questions qui appellent une analyse précise et chiffrée. Nous sommes assez souvent contraints de travailler en très peu de temps sur des sujets majeurs pour nous abstenir de le faire lorsque cela est possible.

M. le président Gilles Carrez. Je soutiens pleinement cette position. J’étais rapporteur général lorsque la TVA sur certains produits a été portée de 5,5 à 7 %, dans le cadre du collectif budgétaire de décembre 2011, et je peux témoigner de l’extrême complexité des problèmes de coordination avec la loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que d’harmonisation de la fiscalité sur un même type de produits. Nous devrons y travailler au cours de l’année 2013, par exemple, en effet, à l’occasion d’un prochain collectif.

Mme Karine Berger. Je partage l’analyse du rapporteur général : il est impossible dans le délai proposé à la commission des Finances et à l’Assemblée nationale d’entrer dans le détail des mesures – pourtant de portée considérable – inscrites dans ce collectif.

Toutefois, dans certains secteurs touchés par la hausse de TVA envisagée, l’horizon temporel des contrats conclus par les entreprises peut être éloigné. C’est le cas, en particulier, des décisions de construction de logements sociaux, qui doivent intégrer les prévisions de rentabilité à long terme.

Le raisonnement du rapporteur général et du président vaut pour la très grande majorité des secteurs. Il faudra néanmoins tenir compte, dès 2013, des mises en chantier déjà décidées, qui connaissent d’ailleurs des difficultés.

M. le président Gilles Carrez. C’est ce que rappelait très justement notre collègue Jean-Louis Dumont lors de l’examen du collectif de décembre 2011.

M. le rapporteur général. S’agissant des mises en chantier déjà décidées, le Gouvernement a prévu des mesures transitoires, qui répondent à la préoccupation légitime de Mme Berger.

M. Dominique Lefebvre. Nous devons rejeter cet amendement pour les raisons indiquées par le rapporteur général. Le Gouvernement engage une réforme en profondeur de la TVA. En fixant les trois taux à 5 %, 10 % et 20 %, il simplifie et modernise son architecture. Les mesures ponctuelles telles que celle prévue par cet amendement – sur le cas typique d’un produit qui n’est pas taxé de la même manière selon qu’il est acheté en magasin ou consommé dans d’autres conditions – n’iraient pas dans le sens de la cohérence.

En outre, la hausse de la TVA vise à financer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Compte tenu de la situation des finances publiques, nous ne pouvons et ne pourrons réformer la TVA qu’à rendement constant. Après l’adoption des amendements du Gouvernement, nous prendrons le temps nécessaire pour procéder à des réajustements entre les différents taux de TVA en respectant cette condition.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’entends bien l’argumentation du rapporteur général. Je me propose de faire de l’amendement CF 37 un sous-amendement à l’amendement correspondant du Gouvernement après l’article 24.

M. le président Gilles Carrez. Il devrait en effet être possible de le présenter sous cette forme.

L’amendement CF 37 est retiré.

Article 10 : Marquage obligatoire et traçabilité des produits du tabac. Consolidation du dispositif des « coups d’achat » sur internet

La Commission adopte l’article 10 sans modification.

Article 11 : Présentation obligatoire de la comptabilité sous forme dématérialisée dans le cadre d’une vérification de comptabilité

La Commission est saisie de l’amendement CF 49 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. L’article 11 vise à obliger les entreprises qui tiennent leur comptabilité au moyen d’un système informatisé à présenter leurs comptes sous forme dématérialisée dans le cadre d’un contrôle fiscal. Il prévoit, en cas de défaut de présentation selon ces modalités, une amende, qui peut être modulée.

Or on voit mal selon quels critères l’administration fiscale pourrait apprécier la gravité d’un défaut de présentation. De deux choses l’une : soit l’entreprise présente ses comptes, soit elle ne le fait pas. Je propose donc de supprimer la possibilité de moduler l’amende. Cela ne va pas à l’encontre – nous nous en sommes assurés – du principe de proportionnalité des peines.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 11 ainsi modifié.

Article 12 : Modification des modalités d’imposition à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux de la cession à titre onéreux d’usufruit temporaire

La Commission examine l’amendement CF 14 de M. Philippe Vigier.

M. Charles de Courson. L’article 12 vise à remettre en cause le régime des cessions d’usufruit temporaire à titre onéreux, qui a pu être utilisé à des fins d’optimisation fiscale.

Nous sommes favorables à la suppression de la cession d’usufruit par un chef d’entreprise à une société qu’il a créée à cet effet, le bien immobilier étant loué à la société opérationnelle ou à un tiers. Cette pratique s’apparente en effet à une cession à soi-même pour échapper à l’impôt.

Toutefois, à un moment où il est question d’alléger les charges des entreprises pour renforcer leur compétitivité, il ne faudrait pas supprimer un dispositif sain qui répond à leurs intérêts, au motif que quelques montages de cette nature existent. Une cession d’usufruit sur un bien détenu depuis plus de trente ans sans plus-value demeure une hypothèse d’école.

L’amendement CF 14 permettrait de ne pas soumettre au même traitement les cessions d’usufruit temporaire justifiées et celles qui relèvent de l’optimisation fiscale.

M. le rapporteur général. Avis défavorable.

L’article 12 ne vise pas seulement à lutter contre les abus, mais il instaure également une nouvelle règle d’assiette pour le calcul de l’impôt sur le revenu.

Les cessions d’usufruit temporaire bénéficient d’un avantage fiscal excessif à nos yeux : le dispositif permet au cédant de percevoir un capital immédiatement disponible tout en réduisant le montant de son impôt sur le revenu et de son impôt de solidarité sur la fortune. Dans un souci de rééquilibrage, il nous paraît juste de soumettre le produit des cessions au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cela ne remettra d’ailleurs pas en cause l’intérêt de ces opérations : leur régime fiscal demeurera favorable, même s’il le sera moins qu’auparavant.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine à l’amendement CF 24 de M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. L’intention du Gouvernement est bonne et nous partageons son objectif de lutte contre la fraude. Cependant, le dispositif qu’il propose à cette fin n’est pas équilibré. Les conséquences pour les contribuables ont été mal analysées et risquent de se révéler excessives. Je propose, avec cet amendement, une réponse mieux adaptée.

M. le président Gilles Carrez. Comme l’a indiqué le rapporteur général, il s’agit moins avec cet article d’un dispositif de lutte contre la fraude que d’un changement – radical – de règle fiscale. J’appelle l’attention des membres de la Commission sur ses conséquences – majeures – pour certaines entreprises. Il convient de l’examiner de manière approfondie. Je souhaite éviter une situation analogue à celle que nous avons connue, lors de l’examen de l’article 6 du projet de loi de finances pour 2013, sur le régime fiscal des plus-values de cession de valeurs mobilières.

M. le rapporteur général. Sont visées, non pas les entreprises, mais les particuliers. Le régime fiscal actuel, très favorable, permet aux contribuables de réaliser d’importantes économies d’impôt à travers certains montages. M. Mariton n’a pas vraiment présenté d’argument pour défendre son amendement.

M. Olivier Carré. Premièrement, certains dispositifs constituent la contrepartie d’une fiscalité déjà lourde dans son ensemble – sans parler des mesures récentes. M. Carrez l’a souvent souligné par le passé.

Deuxièmement, le régime fiscal des cessions d’usufruit temporaire est utilisé en matière de logement social…

M. le rapporteur général. Il est aussi utilisé pour échapper à l’impôt de solidarité sur la fortune.

M. Olivier Carré. Ce n’est pas une raison pour cesser de réaliser des logements sociaux dans ces conditions, même s’il n’y en a actuellement que quelques milliers.

M. le président Gilles Carrez. Nous parlons de 6 000 logements sociaux en démembrement de propriété.

M. le rapporteur général. Le dispositif n’est pas remis en question pour les logements sociaux. L’usufruit locatif social n’est pas dans le champ d’application de l’article.

M. Olivier Carré. La remarque de Mme Berger était tout à fait juste. Les mesures fiscales affectent le rendement net – par nature déjà faible en raison de la modicité des loyers – des projets d’investissement en matière de logement social. Le dispositif actuel a sa raison d’être : il permet d’orienter l’épargne vers ces projets. Si vous souhaitez le supprimer, il faut le dire clairement. Cela déstabilisera une partie – certes modeste – du secteur de la construction de logements sociaux, que nous souhaitons pourtant tous favoriser.

M. Hervé Mariton. Pour être général, mon propos n’en était pas moins exact : sous couvert de lutte contre la fraude et les abus, le Gouvernement modifie en réalité les modalités de calcul de l’impôt, alors même qu’il se prévalait de ne pas avoir introduit de mesures fiscales nouvelles dans ce collectif. Le dispositif actuel a sa raison d’être, il n’est pas injuste en tant que tel. Vous allez supprimer, sans aucun accompagnement, des mécanismes qui ont leur utilité. En outre, c’est une mesure destinée à rapporter de l’argent au budget de l’État.

M. le président Gilles Carrez. Le sujet est important. Nous ne contestons pas la nécessité de limiter ce type de montage, mais cette mesure beaucoup trop générale va les interdire.

M. le rapporteur général. Nous ne les interdisons pas !

M. le président Gilles Carrez. En outre, cette mesure représente un alourdissement important de la fiscalité, alors même que le ministre, lorsqu’il nous a présenté ce collectif, nous avait indiqué qu’il ne comportait aucune augmentation d’impôt nouvelle. C’est même la première phrase qu’il avait prononcée.

M. le rapporteur général. Tout d’abord, l’article 12 concerne non pas les donations – dont on sait pourtant l’usage qui peut en être fait pour échapper à l’impôt de solidarité sur la fortune –, mais uniquement les cessions.

De plus, le logement social n’est pas touché, dans la mesure, je le répète, où la nouvelle règle ne concerne pas les investissements initiaux dans la construction.

Enfin, les mesures de lutte contre les abus ont en effet vocation à rapporter de l’argent au budget de l’État ou de lui en faire moins perdre. Nous en convenons volontiers. Le Gouvernement a d’ailleurs prévu un milliard d’euros de recettes fiscales nettes supplémentaires en 2013 au titre de la lutte contre la fraude.

M. Hervé Mariton. Nous proposons non pas de supprimer la mesure, mais de mieux la cibler. Nous ne nions ni l’existence d’abus, ni la nécessité de légiférer. Nous proposons de recentrer le dispositif sur un abus de droit identifiable qu’il convient d’empêcher : le cas où le contribuable cède l’usufruit de son bien immobilier à une société qu’il contrôle. Si la mesure est profitable au budget de l’État, tant mieux. Mais nous ne voulons pas aller au-delà de la lutte contre l’abus de droit, qui demeure sanctionnable en tant que tel.

M. Charles de Courson. Quel est le rendement de cette mesure ? En a-t-on mesuré l’impact économique ?

M. le rapporteur général. J’ai interrogé le Gouvernement sur le premier point, mais n’ai pas obtenu de réponse : par nature, les pratiques abusives ou frauduleuses ne sont généralement pas quantifiables. Les recettes supplémentaires au titre de la lutte contre la fraude ont été évaluées à un milliard d’euros – chiffre que j’estime, à titre personnel, peut-être ambitieux. L’ensemble des mesures de ce collectif y contribueront, mais je ne suis pas en mesure de vous dire dans quelle proportion respective.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 12 sans modification.

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 28 novembre 2012 à 9 h 30

Présents. – M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. François Baroin, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Jérôme Chartier, M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, Mme Carole Delga, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Alain Fauré, M. Olivier Faure, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean-Marc Germain, M. Claude Goasguen, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Lassalle, M. Jean Launay, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton, Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, Mme Valérie Pecresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, M. Thomas Thévenoud, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Excusés. – M. Dominique Baert, M. Gaby Charroux, M. Jean-Louis Dumont, M. Jean-Claude Fruteau, Mme Annick Girardin, M. Patrick Lebreton, Mme Monique Rabin, M. Thierry Robert, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistaient également à la réunion. - M. Jean-Patrick Gille, M. Jérôme Guedj, M. Michel Pajon

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