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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Lundi 1er juillet 2013

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 84

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, et de Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (n° 1120) (M. Olivier Dussopt, rapporteur) et examen du projet de loi

La séance est ouverte à 17 heures 10.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, et de Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (n° 1120) (M. Olivier Dussopt, rapporteur), puis à l’examen du projet de loi.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cette réunion est donc consacrée à l’examen du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, que le Sénat a fini d’examiner le 6 juin et qui sera discuté par notre Assemblée en séance publique le 16 juillet.

M. Olivier Dussopt en est le rapporteur ; saisies pour avis, les commissions des Affaires culturelles, des Affaires économiques, des Finances et du Développement durable ont désigné pour rapporter devant elles, respectivement, M. Stéphane Travert, M. Yves Blein – qui sera suppléé par Mme Frédérique Massat –, Mme Christine Pires Beaune et M. Florent Boudié.

M. le président de la commission des Finances ne me fera connaître que ce soir les amendements auxquels il aura opposé l’article 40 de la Constitution. Nous avons enregistré près de 700 amendements, je ne peux donc que vous inviter à faire preuve de concision dans la discussion générale. Nous devrons en effet en avoir terminé avec l’examen de ce texte mercredi, en fin de matinée, puisque nous serons mobilisés ensuite, à partir de 16 heures, par la discussion en séance publique du projet de loi relatif à l’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

Je souhaite la bienvenue à Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, ainsi qu’à Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Je suis heureuse de vous présenter avec Anne-Marie Escoffier le premier des trois projets de loi qui constituent la réforme de l’action publique territoriale et de la décentralisation : le présent projet de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles sera en effet complété par un projet de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires, puis par un projet de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale.

J’aurai l’occasion de revenir en séance publique sur la philosophie générale de cet ensemble et je me bornerai pour l’heure à rappeler succinctement les principales dispositions de ce premier texte.

Pour l’élaborer, nous nous sommes fondés sur une déclaration du président de la République faite lors des États généraux de la démocratie territoriale qui se sont tenus au Sénat avant de s’achever le 5 octobre 2012 à la Sorbonne : c’est ainsi que le projet rétablit la clause générale de compétence des départements et des régions, comme le demandaient les associations d’élus et le Sénat. Nous avons toutefois veillé à éviter tout risque de doublons dans les politiques publiques – deux collectivités proposant des services publics non pas complémentaires mais concurrents – et cherché à rendre l’action des collectivités locales plus lisible pour nos concitoyens. J’espère que nous pourrons, dans cet esprit, mettre un terme aux financements croisés dans le cas où les collectivités territoriales ne s’entendraient pas sur la gouvernance des compétences transférées, en particulier de celles qui ont trait au développement économique. C’est en tout cas à cette fin que nous avons souhaité préciser la notion de chef de file, laissée en l’état depuis qu’elle a été introduite dans la Constitution, en 2003.

Plusieurs parlementaires nous ont demandé pourquoi nous n’avons pas ouvert aux régions de France volontaires la possibilité d’expérimenter des transferts de compétences. La réponse se trouve dans la Constitution : en cas d’échec de cette expérimentation, la compétence concernée doit être retirée à la collectivité qui en a fait l’essai ; en cas de succès, elle doit être étendue à toutes les collectivités de même niveau. Après avoir rencontré le Conseil constitutionnel, nous avons préféré à cette procédure trop contraignante celle des délégations de compétence.

Nous avons donc institué une conférence territoriale de l’action publique, héritière de la conférence régionale des exécutifs. Elle sera composée, dans chaque région, des présidents de l’exécutif régional, des exécutifs départementaux, des communautés d’agglomération et des communautés de communes et chargée d’élaborer un « pacte de gouvernance territoriale » dont la dénomination, assez compliquée, n’a pas eu l’heur de plaire aux sénateurs mais qui vise précisément à déterminer qui fera quoi.

Le projet dote d’autre part les métropoles d’un statut afin de renforcer leur compétence en matière de développement économique, d’innovation et de création de services aux particuliers et aux entreprises. Il leur confère aussi une compétence nouvelle, sur la transition énergétique. Le président de la République a en effet souhaité que cette compétence, dont relèvent aussi bien l’isolation des logements privés que l’organisation des transports, s’exerce au plus près des citoyens. J’ajoute que le dernier texte qui sera examiné l’étendra aux autres intercommunalités.

La discussion que nous avons eue au Sénat s’est inscrite, au fond, dans la lignée des propositions du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Édouard Balladur. La métropolisation avait alors fait l’objet d’un bel accord, le fait urbain ayant été reconnu comme majeur et non plus envisagé sous l’angle de la concurrence entre villes et monde rural. Je sais que le seuil de population que nous avons retenu pour la définition de ces métropoles dites de droit commun sera âprement discuté, mais j’espère que nous parviendrons à trouver un accord aussi satisfaisant que possible sur le sujet.

Nous avons également reçu mission de créer une aire urbaine Aix-Marseille-Provence, qui a suscité bien des passions. Avec le Premier ministre et Anne-Marie Escoffier, nous avons pris cette décision après avoir constaté sur place combien cette grande aire urbaine dotée de nombreux atouts souffre de ses problèmes de transport et de logement ainsi que d’un manque de coordination en matière de développement économique. Nous avons pris le parti de faire rayonner cette métropole sur l’ensemble du sud de l’Europe et du bassin méditerranéen. J’étais d’ailleurs hier à Alger et j’ai pu mesurer tout ce que les autorités algéroises et algériennes attendaient de cette porte d’entrée vers la France et vers l’Europe.

Les médias ayant largement commenté les dispositions se rapportant à la métropole lyonnaise, je me bornerai à rappeler que sa création nous permettra d’expérimenter la constitution d’un lien fort entre une grande aire urbaine et un département – de 450 000 habitants ; on oublie trop souvent qu’il subsistera –, les élus lyonnais étant à la fois des élus de la métropole et du conseil général.

Après des débats compliqués au Sénat qui se sont conclus par le rejet de cette partie du texte, j’ai indiqué au président Urvoas que le Gouvernement souhaitait réécrire – à la marge ou substantiellement – les dispositions consacrées à la Métropole de Paris : le résultat de ce travail vous sera communiqué mercredi matin. Cependant, le projet Grand Paris Express, pour s’en tenir à lui, est maintenant sorti de l’ornière financière ; il ne pourra faire l’économie d’une organisation ad hoc à ses côtés en particulier afin de gérer au mieux les dossiers du logement et de l’habitat.

J’y insiste : la conférence territoriale de l’action publique constituera un élément fort de la modernisation de notre action publique au niveau régional. À travers ce dispositif, le Gouvernement reconnaît la diversité des régions de France. Nous n’avons plus généralement aucun intérêt à imposer à nos collectivités territoriales les mêmes transferts et les mêmes modes de fonctionnement et la perspective que nous traçons vise à passer, à cet égard, d’une société d’ordre à une société du contrat. Un document devra en effet être discuté et signé entre régions, départements, agglomérations et communautés de communes. Les uns et les autres ont des appréciations différentes, parfois enthousiastes, parfois réservées, sur le fait qu’ils pourront demander en exclusivité des délégations de compétences de l’État, mais nous croyons pour notre part qu’il y a là une avancée notable et nous faisons confiance aux élus pour réussir cette société du contrat ouvrant droit à des cofinancements publics. Faute de contrat de ce type, il conviendra évidemment d’éviter les cofinancements aboutissant à des doublons.

Enfin, les sénateurs s’étant inquiétés de la mise en place de plans locaux d’urbanisme intercommunaux, je précise que la question sera traitée dans le projet de loi, soutenu par Mme la ministre Cécile Duflot, visant à réformer les règles d’urbanisme.

M. Olivier Dussopt, rapporteur. À Paris, le 5 octobre dernier, devant les États généraux de la démocratie territoriale, le président de la République a tracé les perspectives d’une « nouvelle étape de la décentralisation qui sera également une réforme de l’État car, a-t-il ajouté, les deux mouvements vont de pair. » C’est donc sur le fondement de ce discours, comme vous l’avez rappelé, mais aussi en se référant à un autre prononcé quelques mois plus tôt que le Gouvernement a préparé les trois textes qui, ensemble, constitueront la réforme de l’action publique et de la décentralisation. C’est aussi en conformité avec les priorités alors fixées que sera rétablie la clause de compétence générale et que nous mènerons à bien le chantier de la modernisation de l’action publique et la refonte de sa gouvernance. En effet, si le projet qui nous occupe aujourd’hui a parfois été un peu rapidement réduit à la seule création des métropoles – qui en constitue certes la majeure partie –, il importe de rappeler le premier des deux termes de son intitulé : ce texte vise avant tout à la modernisation de l’action publique au service des territoires.

Plus de trente ans après le lancement d’un processus de décentralisation par le gouvernement de Pierre Mauroy, les collectivités territoriales remplissent des missions de proximité mais servent aussi le développement avec une incontestable efficacité. Cependant, compte tenu de la complexité des nouvelles problématiques et des nouvelles attentes de nos concitoyens, nous ne pouvons nous satisfaire d’un éparpillement des initiatives locales. La théorie des blocs de compétences étanches qui pourraient être exercées par chaque collectivité a vécu et il était nécessaire de préciser les conditions dans lesquelles les interventions des unes et des autres peuvent se compléter pour gagner en efficacité. Le défi que nous avions à relever consiste donc à fédérer les initiatives locales, souvent lancées dans les mêmes directions en faisant fi d’une organisation administrative stratifiée. Le projet vise par conséquent à permettre une action concertée de nos collectivités sous le contrôle de chefs de file.

Il ouvre surtout à ces collectivités un espace de liberté et de discussion grâce aux conférences territoriales de l’action publique au sein desquelles elles pourront, en confiance et dans un esprit de responsabilité, décider ensemble de la façon de s’organiser et de coordonner leurs interventions.

Reconnaissant le fait métropolitain, le texte propose des statuts qui correspondent aux besoins de cette nouvelle urbanité tout en prenant acte de ce que les niveaux d’intégration, les habitudes de travail en commun et les solidarités territoriales ne sont pas équivalents dans toutes les métropoles, ce qui justifie d’ailleurs que le projet propose pour les trois plus importantes d’entre elles une organisation spécifique.

Il permet aux autres intercommunalités de renforcer leur intégration et de s’organiser pour agir de façon plus efficace, notamment en matière de transports individuels et collectifs.

Enfin, il étend aux intercommunalités les possibilités de se fédérer dans le cadre d’un projet de territoire pour mener des actions communes.

Cependant, l’examen du texte au Sénat a révélé que la complexité de certains des dispositifs proposés par le Gouvernement suscitait interrogations et inquiétudes. Je me réjouis que Mmes les ministres aient déjà manifesté leur esprit d’ouverture en acceptant que, sur de nombreux points, la version initiale du projet soit remise sur le métier en collaboration avec les deux assemblées. Lors de nos débats en commission puis en séance publique, nous devrons pour notre part être animés d’un souci de concertation, en prenant en compte au mieux les avis formulés par les représentants de l’ensemble des territoires, mais aussi d’un souci de pédagogie. Et, afin de commencer dès ce soir ce travail de pédagogie, je vous remercie, mesdames les ministres, de bien vouloir nous éclairer sur quelques points.

Tout en souscrivant au principe d’une organisation de l’action commune par des chefs de file, le Sénat a globalement rejeté le pacte de gouvernance territoriale. J’ai pour ma part travaillé à un autre dispositif que j’espère plus simple, et qui me paraît de nature à concilier concertation et respect de la libre administration des collectivités territoriales. Êtes-vous prêtes à accepter ce dispositif alternatif ?

En supprimant une grande partie des dispositions prévoyant une meilleure organisation et intégration de l’action territoriale en Île-de-France, le Sénat n’a fait que mettre en évidence l’absence de consensus sur la forme que devait revêtir cette intégration. J’ai moi-même invité à s’exprimer les représentants de tous les élus concernés en soulignant la responsabilité historique que nous portions tous ensemble : celle de faire émerger le Grand Paris. Je sais que vous non plus n’avez pas ménagé vos efforts pour entendre les nouvelles propositions des uns et des autres. Une voie semble-t-il majoritaire, préconisée par plusieurs dizaines de parlementaires, paraît s’ouvrir autour de l’idée d’une intégration renforcée. Le Gouvernement peut-il proposer un nouveau schéma pour engager une dynamique de travail en commun en Île-de-France ?

S’il existe un relatif consensus en faveur de l’institution des métropoles, le nombre et le seuil démographique retenus ainsi que les compétences qu’elles pourraient se voir déléguer de la part des départements ont fait naître beaucoup d’interrogations à la suite des modifications apportées par le Sénat. Je souhaite que nous puissions y répondre.

D’autre part, le Sénat a souhaité favoriser la mise en réseau des établissements publics de coopération intercommunale : pour les intercommunalités urbaines, en facilitant la création de pôles métropolitains et, pour les autres, en créant des « pôles ruraux d’aménagement et de coopération ». Le Gouvernement est-il favorable à un renforcement de cette fédération des initiatives territoriales sur ce dernier modèle, que nos collègues de la commission du Développement durable ont souhaité considérablement amender pour lui donner plus de corps ?

La Haute assemblée a aussi enrichi le texte en prévoyant de renforcer les compétences locales en matière de mobilité mais aussi de réglementation du stationnement. En particulier, il a répondu à une revendication ancienne des élus locaux visant à remplacer la pénalisation du stationnement impayé par un régime administratif d’occupation du domaine public. L’analyse de ce dispositif, éclairée par les auditions auxquelles j’ai procédé, a montré que s’il répondait à une vraie demande, la sanction administrative qu’il instituait nécessitait l’organisation du contentieux qui en résulterait de manière à garantir les droits de la défense. En outre, ses conséquences financières semblent loin d’être neutres pour l’État comme pour les collectivités concernées. Le Gouvernement a-t-il l’intention d’améliorer cette disposition pour la rendre vraiment applicable, et pouvons-nous, en nous appuyant sur les propositions de la commission des Finances, continuer à travailler pendant la navette parlementaire en vue de la perfectionner ?

M. Florent Boudié, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Notre commission a, comme on l’a dit, souhaité approfondir la notion de « pôle rural d’aménagement et de coopération » introduite par le Sénat et il nous a semblé de bonne politique de fédérer les compétences des intercommunalités au sein de pôles que nous avons appelés « de développement et d’équilibre territorial ». En effet, s’il nous a paru très justifié de consacrer les fonctions métropolitaines, nous avons jugé qu’un rééquilibrage du texte s’imposait, en l’occurrence à travers un titre III prenant spécifiquement en compte les villes moyennes, les bourgs-centres et les territoires ruraux et périurbains. Quelle appréciation portez-vous sur cette initiative ?

Mme Nathalie Appéré. Si ce projet, appelé à être le premier volet d’un triptyque, ne comporte aucun de ces transferts de compétences de l’État qui définissent traditionnellement la décentralisation, il est en revanche porteur d’une véritable modernisation de l’action publique, d’une réelle ambition pour les territoires et, de ce fait, d’un véritable élan décentralisateur.

Il porte également la marque d’une confiance réaffirmée dans les élus locaux, dans l’intelligence des territoires et dans la capacité de ces derniers à s’organiser par la voie de contrats. Plutôt que de conforter une vision uniforme de la réalité territoriale, il consacre le principe de spécificité – l’unité de la République n’est pas l’uniformité ! – et il renforce de manière notable la coopération entre collectivités, gage d’efficacité.

Il nous appartient de conforter les grandes orientations de ce texte – et le groupe SRC s’y emploiera pleinement – tout en écoutant les remarques souvent légitimes formulées par nos collègues sénateurs en première lecture.

En ce qui concerne le titre Ier, nous serons attentifs aux réponses que vous apporterez à M. le rapporteur sur la clarification de la composition et du rôle des conférences territoriales de l’action publique, mais aussi sur le rétablissement, sous la forme de conventions, de procédures contractuelles et, enfin, sur les dispositions, y compris sous forme de sanctions, qui pourraient être adoptées pour inciter chacun à jouer le jeu du partenariat local. Ce principe de responsabilité constitue sans doute le corollaire utile de la clause de compétence générale rétablie par le projet de loi, conformément à la volonté du président de la République.

La place faite au dialogue et aux partenariats dans le cadre de la région doit être complétée par une place équivalente donnée au dialogue entre l’État et les collectivités, qui participent pleinement à la mise en œuvre des priorités nationales. Seriez-vous favorables à la réintroduction du Haut conseil des territoires (HCT) dans ce premier volet législatif ? L’institution d’un tel cadre de discussion entre les pouvoirs publics locaux et nationaux nous paraît d’autant plus urgente que nous allons adopter des dispositions, par ailleurs salutaires, pour interdire le cumul d’un mandat parlementaire et d’une fonction exécutive locale.

Le titre II et l’affirmation des métropoles témoignent de la reconnaissance du fait urbain et de son rôle déterminant, certes en matière de développement et de création de richesses, mais aussi de cohésion sociale. N’en déplaise à certains commentateurs, les métropoles ne constituent aucunement une couche supplémentaire ajoutée au millefeuille territorial. En revanche, elles permettront aux territoires déjà organisés de le faire mieux encore sans pour autant se désolidariser des schémas régionaux, complémentaires et nécessaires à un aménagement équilibré du territoire. N’en doutons pas : les métropoles de Paris, Lyon, Marseille sont des fleurons nationaux à dimension européenne qui sortiront renforcés de l’adoption de ce texte.

La formation de la métropole de Lyon a d’ailleurs largement précédé la volonté du législateur et constitue en ce sens un modèle et une anticipation. Tout en tenant compte d’une histoire institutionnelle et de réalités spatiales différentes, pouvez-vous confirmer votre volonté de porter une ambition semblable pour Paris, le projet répondant déjà à la question pour ce qui est de Marseille ?

Si nous comprenons la nécessité de limiter le nombre de métropoles de droit commun pour ne pas galvauder leurs spécificités, seriez-vous disposées à ne pas faire de la démographie le seul critère commandant leur création ? Nous pensons qu’une communauté d’agglomération comme celle de Montpellier, chef-lieu de la région Languedoc-Roussillon, devrait figurer parmi ces métropoles bien qu’elle n’atteigne pas le seuil de population fixé à l’article 31. D’autres communautés urbaines, très intégrées, qui exercent depuis longtemps des fonctions métropolitaines – je pense par exemple à Brest Métropole Océane – ne pourraient-elle également accéder à ce statut, à leur demande et moyennant peut-être l’organisation d’un système de majorité qualifiée en leur sein ? Nous serons en effet tous d’accord pour admettre que la recherche du territoire pertinent peut ne pas avoir de fin, que figer les choses n’a pas de sens et que, de toute évidence, la situation ne sera jamais comparable d’une collectivité à l’autre. Dès lors, pourquoi ne pas prendre en compte des critères qualitatifs, comme nous y invite d’ailleurs l’étude d’impact ?

L’enjeu démocratique est également important. La récente loi sur les modes de scrutin et sur l’élection au suffrage universel direct par voie de fléchage des délégués communautaires ne constitue sans doute qu’une première étape, qui nous paraît d’ailleurs relativement insuffisante s’agissant des métropoles. Le Gouvernement est-il disposé à présenter des dispositions – qui nécessiteraient sans doute un texte spécifique – permettant d’élire une partie des conseillers métropolitains au suffrage universel direct, dans le cadre d’une circonscription unique, étant entendu qu’il faudrait alors préciser le mode de répartition entre ceux-ci et les délégués des communes ?

Enfin, la ruralité n’est pas absente de ce texte grâce aux dispositions relatives aux pôles ruraux d’aménagement et de coopération introduites par les sénateurs. L’amendement proposé par M. Boudié vise à substituer à ces pôles des « pôles de développement et d’équilibre des territoires ». Ce dispositif, que nous soutenons, aurait le mérite de mettre un terme à l’opposition stérile entre les villes et la campagne pour, au contraire, favoriser et organiser dans ce cas également les coopérations.

M. Marc Dolez. Le Gouvernement ayant décidé de diviser en trois textes le projet d’acte III de la décentralisation, on aurait pu s’attendre à ce qu’il commence par les fondations, c’est-à-dire par la commune, pour définir une nouvelle articulation des différentes structures locales. Or, avec l’affirmation des métropoles, vous avez décidé de commencer « par le haut ». Je crains que cette méthode ne soit révélatrice de votre philosophie.

Vous avez fait référence aux États généraux organisés par le Sénat l’année dernière. Or je crois qu’il existe un décalage important entre ce que beaucoup d’élus et leurs associations ont alors souhaité et le texte que vous présentez aujourd’hui. Nombre d’élus, fort critiques à l’égard de la réforme de 2010, ont en effet réaffirmé le rôle primordial de la commune et la nécessité d’un équilibre entre les différents territoires. Nous aurions quant à nous préféré aborder cette nouvelle étape de la décentralisation en toute clarté, ce qui aurait impliqué l’abrogation préalable de cette réforme du dernier quinquennat.

N’est-il pas à craindre que la création des métropoles, monstres technocratiques venant fragiliser les départements et recueillant de surcroît l’essentiel des compétences communales ainsi que certaines des compétences de l’État, ne provoque un chamboulement de nos institutions tel qu’il en naîtra une France à plusieurs vitesses ?

L’État, évoqué seulement à travers les compétences qu’il peut transférer, est le grand absent du projet de loi. Cette nouvelle étape de la décentralisation n’impose-t-elle pas au contraire de réaffirmer son rôle de garant de l’égalité de traitement, pour les territoires comme pour les citoyens ?

Les enjeux institutionnels ne sont pas séparables des enjeux financiers. Quid, de ce point de vue, de la révision du système des dotations, annoncée par le Gouvernement ?

Enfin, en ce qui concerne le Grand Paris, le syndicat mixte d’études Paris Métropole, où siègent les représentants de 200 communes de la région parisienne, a formulé quatorze propositions tendant à créer une coopérative métropolitaine. Puis-je vous suggérer de vous en inspirer, puisque vous nous présenterez une nouvelle copie sur le sujet mercredi matin ?

M. Hervé Gaymard. Avec tout le respect que nous vous devons, madame la ministre, nous sommes partagés entre la compassion, la déception et l’étonnement.

La compassion : il y a en effet bien du mérite à tenter de nous convaincre de la cohérence d’un tel magma législatif, et plus encore après l’étrillage qu’il a subi au Sénat.

La déception : nous avions cru de bonne foi aux promesses du candidat puis du président François Hollande annonçant un acte III de la décentralisation après les lois prétendument scélérates adoptées par la droite. Nous ne pouvons donc manquer d’être déçus par ce texte qui n’ouvre aucune perspective et ne clarifie en rien les compétences. Il y aurait beaucoup à faire, pourtant, pour améliorer la répartition des responsabilités entre départements et régions en matière d’éducation, de formation et d’emploi, ou pour organiser de façon cohérente ce qui relève du développement économique et ce qui relève de l’équipement numérique. Au lieu de quoi le texte propose un échenillage des compétences facultatives évoquant un inventaire à la Prévert. On se gargarise du rétablissement de la clause de compétence générale, comme si elle était gravée dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen alors que, nous le savons tous, la réalité est bien plus prosaïque.

J’en viens à ce qui nous étonne. L’actuelle majorité, qui s’était opposée à la loi de 2010 s’agissant du modèle métropolitain, le promeut aujourd’hui : qu’est-ce qui explique ce revirement ?

Le Sénat ayant rejeté les dispositions relatives au Grand Paris, le Gouvernement en a annoncé de nouvelles pour mercredi matin, ce qui risque de créer un « conflit d’intérêts » avec le président de la Commission, qui ne souhaite pas prolonger les débats au-delà de cette matinée. Comment, en effet, pourrions-nous décider d’un sujet de cette importance dans un laps de temps aussi court ?

Le système imaginé pour le Grand Lyon – lequel absorbera le conseil général ou, à tout le moins, ne le laissera plus subsister que sous une forme résiduelle – n’a fait l’objet d’aucun débat démocratique. Il a été décidé en catimini entre le président de la communauté urbaine et celui du conseil général du Rhône, sans consultation des exécutifs locaux, du président du conseil régional, M. Jean-Jack Queyranne, et encore moins des populations. En Alsace, la création d’une nouvelle collectivité – qui, en fusionnant deux conseils généraux avec le conseil régional, aurait pour le coup constitué un « choc de simplification » – avait pourtant été soumise à référendum. Vérité sur les bords du Rhin, erreur sur les rives du Rhône ? Quoi qu’il en soit, le référendum doit être proposé à tous ou à personne. Notre rôle de législateur est d’harmoniser les conditions d’exercice de la démocratie locale.

Enfin, si nous ne sommes pas fermés par principe à toute réforme territoriale, celle qui nous est soumise ne s’accompagne d’aucune étude d’impact budgétaire. Quelles seront, en cette matière, les incidences des projets métropolitains de Paris, Lyon et Marseille ? Dans la partie consacrée à la « modernisation de l’action publique territoriale », où sont évoquées les compétences des régions – dont il sera également question dans un autre texte : n’aurait-il pas été plus cohérent de les traiter toutes dans ce dernier ? –, nous ne disposons pas davantage d’éléments financiers sur les effets de la répartition des compétences facultatives.

Nous serons donc à la fois vigilants et force de proposition sur ce texte, car nous craignons qu’il ne soit une belle occasion manquée.

Mme la ministre. Le projet de loi qui vous est soumis a été réécrit par le Sénat, même si le texte initial tenait déjà compte de certaines propositions, en particulier sur les chefs de file et sur la clarification des compétences. À cet égard, monsieur le rapporteur, la conférence territoriale de l’action publique est un élément essentiel car l’expérience montre que la dévolution des compétences doit impérativement être adaptée aux besoins de chaque région. Cette conférence permettra de clarifier la répartition des rôles, par exemple en matière de développement économique, à travers un accord durable qui peut au demeurant être assorti d’une clause de revoyure. Tous les citoyens, à commencer par les entrepreneurs, sauront ainsi à quel interlocuteur s’adresser en fonction de leurs préoccupations. Il s’agit, à défaut d’un guichet unique qui relève de l’utopie, d’une porte d’entrée unique, à charge pour la région d’affirmer, par exemple, sa compétence exclusive pour les aides directes et de déléguer celle qui a trait à l’immobilier d’entreprise via un contrat passé avec une collectivité.

Avant sa réécriture au Sénat, monsieur Dolez, le projet de loi prévoyait que l’État participait à la conférence territoriale de l’action publique et ce, pour deux raisons. La première est qu’il est le garant de l’unité de l’action publique et que sa responsabilité, in fine, est toujours engagée si une compétence n’est pas exercée ou mal exercée ; la seconde est qu’ayant délégué une compétence à la demande d’une collectivité, en général d’une région, il peut être amené à préciser le périmètre ou les conditions de cette délégation. Le Gouvernement espère donc que, sur ce point, l’Assemblée nationale rétablira le texte initial.

Sur les pôles ruraux, l’amendement du Sénat traduit un souci de parallélisme avec les pôles métropolitains qui s’était fait jour en commission. Le Gouvernement approuve avec enthousiasme la substitution de tels pôles aux pays et aux structures similaires où sont débattues les priorités, par exemple en matière de contrats de plan ou de projet ; il lui semble en revanche difficile de donner à terme à ces pôles le statut d’EPCI ou de collectivités territoriales : Mme Escoffier et moi souhaiterions plutôt qu’ils reposent sur un principe de libre association. Si les intercommunalités d’un pays ou d’un pôle estiment utile de mutualiser des services, il sera toujours possible d’envisager la création d’un EPCI unique sur le territoire concerné. En tout état de cause, ces pôles de développement et d’équilibre territorial nous semblent être un outil de cohésion important, surtout dans un contexte de rareté des deniers publics et ce, même s’il peut être utile de tolérer dans leur constitution une certaine discontinuité territoriale, comme pour les pôles métropolitains.

Quant au Grand Paris, le chemin était semé d’embûches. M. Gaymard a fort bien exposé la position du groupe UMP mais, si le Gouvernement a pris le temps d’écouter les uns et les autres – y compris, monsieur Dolez, le syndicat Paris Métropole présidé par Philippe Laurent –, la définition du bon outil, en particulier pour Paris et la petite couronne, fait encore l’objet de débats transpartisans. Nous aurons à trouver la meilleure solution d’ici au 15 juillet, date du débat en séance : le Premier ministre, avant d’arbitrer, est bien entendu soucieux de tenir compte de certains arguments de qualité formulés ce matin par des élus franciliens, y compris de l’opposition. Je comprends votre désarroi, monsieur Gaymard, sans toutefois le partager ; au demeurant, le Gouvernement n’en est pas le seul responsable.

La clarification que vous appelez de vos vœux, madame Appéré, sera assurée par la conférence territoriale, où siégeront des représentants de la région, des départements et des agglomérations ; reste à trouver une juste représentation des communautés de communes rurales, point que le Gouvernement proposera de régler par décret – il reviendra bien entendu à votre assemblée d’en décider.

Il existe aujourd’hui plus de quarante schémas, auxquels viendront s’ajouter les contrats que nous proposons, ce dont les sénateurs se sont à juste raison émus. Le Gouvernement soutiendra donc toute mesure de simplification en ce domaine. On peut imaginer que subsistent des schémas différenciés, par exemple pour l’énergie, mais si nous parvenions à terme à nous en tenir à un schéma de cohérence territoriale (SCoT) et à un plan local d’urbanisme (PLU), ce serait déjà un gros gain de temps pour les élus et un gage d’efficacité accrue pour nos collectivités.

Le Gouvernement ne verrait bien entendu que des avantages à ce que l’Assemblée insère dans ce texte la disposition instituant le Haut conseil des territoires, comme l’avait suggéré votre collègue Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France (AMF).

Vous avez raison, madame Appéré, en ce qui concerne le critère démographique. Le texte du Gouvernement n’organise nullement une métropolisation qui s’inscrive dans la stratégie de Lisbonne : ces métropoles doivent être des têtes de réseau, ayant certainement des droits, mais aussi et surtout des responsabilités dans la mesure où les fonctions qu’elles assument sont essentielles à la vie de beaucoup de régions. Si la démographie n’est donc pas le seul critère recevable, il a le mérite de la simplicité et permet d’éviter une métropolisation quelque peu anarchique, certaines missions, y compris de l’État, pouvant être exercées en l’absence de vraies métropoles. C’est pourquoi le Gouvernement a retenu ce critère qui figurait dans les rapports rédigés par Pierre Veltz et par Laurent Davezies pour la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR). Cela étant, je rappelle aussi que, comme l’ont souligné plusieurs études universitaires, les Français, attachés au nom de leur ville, n’aiment guère le terme générique de « métropole ». Il ne s’agit donc pour nous, avant tout, que de reconnaître le fait urbain.

Quant à la réforme des modes de scrutin, elle ne constitue en effet qu’une première étape, mais je n’ai pas de mandat pour aller au-delà, même si la question ne peut manquer de se poser pour les intercommunalités habilitées à lever l’impôt pour 80 % des compétences qu’elles exercent. Cette situation fait problème aux yeux de l’AMF, car l’intercommunalité devient alors une collectivité de plein exercice ; mais ce statut, me semble-t-il, lui est déjà acquis à travers l’introduction du fléchage au sein d’une élection au suffrage universel.

Ce que j’ai dit au sujet de la stratégie de Lisbonne, monsieur Dolez, doit également être de nature à vous rassurer.

Lors des États généraux de la démocratie territoriale, les élus ont exprimé le désir qu’on leur fasse confiance, ce qui est précisément le principe de la contractualisation. Reste que la clause de compétence générale, dont 85 % d’entre eux demandaient le rétablissement, vaut consolidation du rôle des communes – au grand dam de certains.

Vous avez parlé, monsieur Dolez, d’un chamboulement à caractère technocratique ; mais je n’ai jamais assimilé les fonctionnaires français à des technocrates : porteurs des valeurs républicaines, ils rendent à la collectivité un service à la demande des élus. C’est plutôt dans l’éloignement de ces derniers par rapport à leur territoire que pourrait résider le danger.

Le projet de loi ne prévoit que très peu de transferts de compétences de l’État mais, si le Parlement l’accepte, celui-ci pourra en déléguer aux collectivités qui en éprouvent le besoin, étant entendu qu’il pourra toujours revenir sur ces délégations qui n’ont pas vocation à être généralisées. En ce sens, on pourrait davantage parler d’un filet de sécurité pour l’État que d’une avancée intrépide !

Quant aux quatorze propositions du syndicat Paris Métropole, elles n’ont pas eu l’heur de convaincre les sénateurs, ni de gauche, ni – encore moins – de l’UMP, monsieur Dolez. Je suppose donc qu’elles ne permettront pas davantage de trancher le débat à l’Assemblée.

Je vous remercie de votre compassion, monsieur Gaymard, mais je n’ai aucun embarras à soutenir ce texte.

Je vous mets au défi de dresser l’inventaire des compétences nécessaires pour assurer le développement économique. En revanche, il est sans doute nécessaire de clarifier la répartition des responsabilités s’agissant des stratégies de filières, des pôles de compétitivité et d’excellence, du choix des zones d’activité ou encore du soutien apporté à telle ou telle innovation technologique, afin de permettre aux entrepreneurs de trouver les bons interlocuteurs, notamment pour obtenir des aides directes. Le cofinancement passera par une contractualisation entre la région, chef de file, et les autres intervenants ; il faut engager les collectivités territoriales à la mutualisation. Bien que l’on me dise parfois le contraire, je suis convaincue que les élus comprendront les bénéfices de cette clarification dès lors qu’elle leur sera expliquée.

Vous avez rappelé, à juste titre, que la loi du 16 décembre 2010 avait déjà défini les métropoles. Comme vous, nous reconnaissons le fait urbain : il faut d’ailleurs se féliciter de cette continuité républicaine que nous assumons totalement. Mais la confiance faisait défaut aux métropoles telles que définies en 2010 et très peu ont été créées, essentiellement à cause de l’obligation qui leur était faite d’exercer des compétences auparavant dévolues à la région et au département. La tension qui en résultait entre les parties était telle qu’en dehors de celle de Nice, dont il faut saluer la réalisation puisqu’elle inclut jusqu’aux stations de sport d’hiver voisines, nulle part on ne s’est accordé pour déterminer qui s’occuperait des transports scolaires, de la voirie, de la promotion à l’étranger, du développement économique territorial…, tous éléments qui figuraient dans le texte et qui, à notre sens, ont freiné l’application de la loi. Ce que nous proposons sera plus simple à mettre en œuvre. Nul doute néanmoins que dans quelques endroits, subsisteront des débats complexes entre régions et métropoles – il faudra les assumer.

Pour le reste, la loi dispose qu’un référendum doit être organisé préalablement à toute éventuelle fusion entre des départements et une région. En Alsace, nous n’avons donc fait qu’appliquer la loi : il n’y a là aucun paradoxe.

Vous n’êtes pas « sympa », si je puis m’exprimer ainsi, avec le président du conseil général du Rhône, Michel Mercier, car il a organisé un débat au sein de son assemblée départementale, y compris sur le périmètre de la métropole.

M. Hervé Gaymard. Après l’annonce de sa création !

Mme la ministre. Enfin, des études d’impact ont bien été menées. Peut-être les jugez-vous de mauvaise qualité, mais on ne peut pas dire qu’il n’y en a pas eu. J’ai notamment eu l’occasion d’en présenter une au Sénat sur les aspects financiers de la constitution d’Aix-Marseille-Provence.

M. Hervé Gaymard. Il n’y a pas eu d’études pour la métropole lyonnaise.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation. J’ai relevé deux inquiétudes principales dans les questions des orateurs. La première porte sur la dépénalisation des amendes de stationnement. Le Gouvernement s’en est remis à la sagesse du Sénat sur le sujet. Il est prêt à accompagner le mouvement, tout en étant attentif aux aspects juridiques et financiers de la question. Nous sommes notamment en train de voir comment une sanction administrative pourrait se substituer à la sanction pénale, ce qui devrait être le cas si les communes fixaient elles-mêmes le montant des amendes. Nous avons demandé une étude dont nous attendons les résultats. Elle nourrira le débat et devrait permettre de trouver une solution adéquate.

Votre deuxième inquiétude porte sur les conséquences financières qu’emportera ce projet de loi. Les études d’impact ont été réalisées fin 2012-début 2013, à un moment où nous ne pouvions encore mesurer l’ampleur de nos difficultés budgétaires. Le président de la République avait pris l’engagement qu’une solution serait trouvée pour combler l’écart entre les dépenses réelles supportées par les départements à raison des trois allocations individuelles de solidarité dont ils ont la charge et les compensations qui leur sont versées par l’État à ce titre. Le 28 janvier dernier, le Premier ministre a réuni l’ensemble des présidents de conseils généraux pour évoquer le sujet. Le président de la République s’était notamment engagé à ce que tous les départements puissent bénéficier d’une dotation suffisante et stable. C’est sur cette base que des travaux ont été conduits sous l’égide de la Cour des comptes. Celle-ci s’apprête à remettre ses conclusions, qui seront intégrées dans un pacte dit de confiance et de responsabilité. Ce pacte a été présenté le 12 mars dernier, lors d’une réunion à laquelle assistait l’ensemble des parties.

Le Premier ministre s’est engagé à ce que six points soient examinés dans le cadre de ce pacte, en particulier l’effort que devront consentir les collectivités territoriales sur les exercices 2014 et 2015, à hauteur de 1,5 milliard d’euros chacune de ces deux années. Il est également prévu d’y retravailler sur les conditions de la péréquation, verticale et horizontale – soit entre les différents niveaux de collectivités et au sein de chaque niveau. Le Comité des finances locales, après une dizaine de réunions avec ceux des élus qui ont pu participer à ses travaux, a remis le 25 juin des propositions maintenant soumises au Premier ministre, qui arrêtera le 16 juillet, avec l’ensemble des élus locaux, les termes du pacte. Confiance et responsabilité : ces deux mots prennent tout leur sens au moment où nous devons nous atteler à l’élaboration du budget, lequel tiendra bien entendu compte des conséquences de la présente loi à compter de son entrée en vigueur.

Le chiffrage du coût financier pour la métropole Aix-Marseille-Provence a été effectué dans l’étude d’impact : il se monterait à 36 millions d’euros environ. Pour les métropoles de droit commun, il reste à établir. Tout devra être revu en détail dans le cadre du pacte de confiance et de responsabilité, mais il était question de 34 millions d’euros.

Le cas de Lyon est spécifique. Le coût de la transformation en métropole de la communauté urbaine de Lyon, qui touchait déjà en tant que telle une dotation d’intercommunalité, pourrait être nul.

Mme Marietta Karamanli. Mesdames les ministres, vous avez eu l’occasion de dire au Sénat le rôle essentiel qu’étaient appelées à jouer les métropoles en matière de développement. Parmi les équipements métropolitains profitant à tous, vous avez cité les gares TGV, les centres hospitaliers universitaires (CHU), les établissements d’enseignement supérieur…

En matière d’enseignement supérieur et de recherche, la région est la collectivité la mieux à même de garantir un certain équilibre entre les villes universitaires. Tel qu’adopté par le Sénat, le projet de loi réaffirme ce rôle essentiel. Pouvez-vous confirmer que, dans l’hypothèse d’un transfert de compétences des régions vers les métropoles, le rôle des premières en matière d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, notamment pour la programmation et pour le maintien des grands équilibres sur l’ensemble de leur territoire, sera respecté ?

De même, devant l’extension des compétences des métropoles, les départements craignent d’être une variable d’ajustement. Pouvez-vous les rassurer ?

Enfin, les territoires les plus dynamiques sont réputés avoir la capacité de répondre eux-mêmes à leurs besoins. Est-ce eux qui financeront le développement et les services des territoires ne faisant pas partie de la métropole ? Existe-t-il des études récentes retraçant les flux économiques et financiers entre territoires et métropoles ?

M. Alain Chrétien. Mesdames les ministres, pourriez-vous nous rappeler vos attributions respectives, de façon que nous adressions bien chacune de nos questions à la ministre compétente ?

Après avoir pris connaissance des trois projets de loi de décentralisation, car le premier de ces textes ne saurait se suffire à lui seul, nous pensons que le Gouvernement a une vision brouillonne de l’acte III de la décentralisation. On trouve en effet dans ces trois textes des redondances, mais aussi des contradictions. Nous doutons donc de la cohérence de vos propositions.

Comment éviter que le « chef de filât » que vous souhaitez institutionnaliser ne se transforme en tutelle ? Vous dites souhaiter que des négociations s’engagent, mais le plus puissant ne risque-t-il pas de l’emporter sur le plus faible ? Comment l’éviter ? Au surplus, tout sera-t-il vraiment négocié au grand jour ? L’État sera le garant, avez-vous dit, mais ces négociations auront lieu entre collectivités. Qui arbitrera et sur quelle base seront tranchés les désaccords entre les différents niveaux de collectivités ?

Pourquoi créer un droit spécial pour deux métropoles seulement – ou trois si les dispositions concernant Paris sont réintroduites ? Pourquoi avoir exclu Lille par exemple, métropole qui, en raison de son poids démographique et sa situation frontalière, aurait pu prétendre elle aussi bénéficier de ces dispositions ? Nous sommes des plus réticents à institutionnaliser ainsi un droit spécial. Pourquoi n’avoir pas seulement proposé des dispositions spécifiques en fin de loi, afin d’adapter, à la marge, les statuts particuliers des trois agglomérations concernées ?

Enfin, pourquoi ne pas relancer les pays ? La majorité précédente avait certes en son temps freiné leur essor, mais quelle est la valeur ajoutée de la nouvelle entité que vous créez ? Ce n’est tout de même pas le nouveau nom qu’elle porte ! Ne risque-t-elle pas d’accroître encore la confusion chez nos élus locaux, qui ont déjà du mal à assimiler toutes les réformes qu’on leur fait avaler, entre fusions, transferts de compétences, généralisation des SCoT... Je ne parle même pas des binômes proposés pour l’élection des futurs conseillers départementaux qui ajoutent encore au désordre territorial à attendre de l’adoption de vos trois projets de loi.

M. Patrick Mennucci. Je souhaite rendre un hommage appuyé à la ministre, Mme Lebranchu, pour sa détermination courageuse à aider notre territoire à sortir de la situation dans laquelle il se trouve. La tâche a été difficile mais les travaux du Sénat ont été très positifs.

J’aurais personnellement aimé que le projet de loi aille plus loin, pour ce qui concerne notamment le conseil général des Bouches-du-Rhône sur le territoire de la métropole. Monsieur Gaymard, on peut s’interroger sur le rôle de MM. Collomb et Mercier à Lyon, mais sachez que nous sommes plusieurs à Marseille qui aurions bien aimé avoir un Gérard Collomb et un Michel Mercier ! En effet, ce qui a été fait à Lyon est d’une parfaite logique.

De l’article 30 du présent projet de loi, on peut discuter plusieurs points de détail. Vaut-il mieux parler d’Aix-Marseille ou de Marseille-Aix ? Faut-il rétablir au 1er janvier 2015 la date d’entrée en vigueur de ces dispositions, que le Sénat a reportée au 1er janvier 2016 ? Nous nous sommes beaucoup interrogés aussi sur les futurs conseils de territoire, dont j’avoue que je n’étais pas un farouche partisan. Mais après avoir pris connaissance des débats au Sénat et m’être longuement entretenu avec le préfet délégué M. Théry, je conviens qu’ils sont indispensables au bon fonctionnement de la métropole et qu’ils permettront de gérer la proximité, à l’instar des mairies d’arrondissement ou des mairies de secteur auxquelles les Marseillais sont très attachés. On peut également espérer que ces structures deviennent plus démocratiques : j’ai déposé, avec ma collègue Nathalie Appéré, un amendement visant à ce qu’une partie au moins des conseillers métropolitains soit élue au suffrage direct en 2020.

Un amendement a été adopté au Sénat, limitant les transferts financiers de l’État vers la métropole. Ma question essentielle porte sur ce point : comment justifier la création de la métropole d’Aix-Marseille-Provence par la situation économique dramatique de notre territoire où n’existe aucun réseau décent de transports en commun, ni à l’intérieur de la ville de Marseille ni pour relier les bassins d’emploi entre eux, si dans le même temps on limite les transferts de l’État ? Que compte faire le Gouvernement ? Si cette question n’était pas réglée, on risquerait de donner raison à ceux qui pensent que l’article 30 n’introduit qu’un simple changement organisationnel et non un changement économique, appuyé sur une réelle volonté de développement.

M. Carlos Da Silva. À mon tour de saluer, madame la ministre, la méthode qui a été la vôtre depuis le début, avec l’aide de notre rapporteur. Vous avez pris le contre-pied de ce que nous avions connu jusqu’ici : vous avez écouté les élus dans toute leur diversité, quels que soient leur sensibilité et leur territoire d’élection. Je salue également votre pragmatisme : vous êtes capable à la fois de reconnaître par exemple le travail réalisé à Lyon par le maire de la ville et par le président du conseil général du Rhône, et là où cela est nécessaire comme à Aix-Marseille, de faire jouer davantage l’autorité de l’État.

Élu de l’Essonne, je souhaiterais bien sûr connaître vos préférences pour l’Île-de-France. Dès que nous avons compris que le Sénat allait supprimer les articles concernant la métropole francilienne, nous avons, avec mon collègue Alexis Bachelay et des sénateurs qui partageaient nos objectifs, commencé à réfléchir à la meilleure organisation souhaitable pour cette région. Par nos amendements, nous n’entendons pas imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, surtout pas au Gouvernement, mais celui-ci pourra s’en inspirer pour proposer les dispositions que nous attendons.

Il nous paraît tout d’abord essentiel de veiller aux grands équilibres, de façon à réduire la fracture territoriale. Il faut que les élus du cœur de métropole, de sa première périphérie et de ses territoires ruraux plus éloignés puissent s’engager ensemble au service du développement de l’ensemble de la région. Ce qui nous a paru le plus opportun à cette fin est que ce cœur de métropole soit le plus intégré possible. Il pourrait exercer plusieurs compétences, notamment celles exercées aujourd’hui par les EPCI en petite couronne, du moins par ceux qui sont dotés de réelles compétences et qui disposent d’un budget d’investissement. Nous sommes convaincus que cela n’est possible qu’à condition que le reste de l’Île-de-France – je ne parle pas de seconde couronne, expression qui donne l’impression d’une relégation –, autrement dit que les départements de l’Essonne, de la Seine-et-Marne, des Yvelines et du Val-d’Oise, puissent eux-mêmes s’organiser autour de communautés d’agglomération plus fortes qu’elles ne le sont aujourd’hui, même si la carte intercommunale y est achevée.

Pour que la métropole francilienne soit attractive dans son ensemble, il faut donc à la fois que le cœur de métropole puisse s’organiser et que sa périphérie puisse peser dans la discussion. De ce point de vue, nous nous réjouissions du seuil initialement fixé. Nous avons déposé des amendements visant à le rétablir. Nous nous réjouissons également, bien entendu, de l’amendement adopté par le Sénat tendant à abaisser le seuil de constitution d’une communauté urbaine. Là où existent des pôles d’attraction et des communautés d’agglomération déjà fortement intégrées, il faut les accompagner.

Cet équilibre ne sera possible que si, d’une part, la région Île-de-France est confortée dans son rôle de collectivité chargée de définir une vision stratégique et si, d’autre part, l’indispensable péréquation financière est assurée. Le projet de loi initial comportait un article en ce sens. On peut aller encore beaucoup plus loin en première couronne et dans le reste de l’Île-de-France !

Je vous demande donc, madame la ministre, ce que vous pensez de nos amendements à ce sujet et quel sort vous leur réserverez.

M. Jean-Luc Laurent. Membre de la commission des Affaires économiques, je remercie la commission des Lois de m’accueillir pour l’examen de ce texte important pour l’avenir des métropoles. Il en va aussi du rôle que nous souhaitons pour l’État dans la période à venir et de la nature même de l’acte III de la décentralisation.

Mesdames les ministres, je m’inquiète tout d’abord d’une possible décentralisation « à la carte ». Comment articuler la préoccupation d’égalité des territoires avec la création des métropoles ? Ce que j’ai compris de votre propos introductif, madame Lebranchu, est que l’État pourrait déléguer certaines compétences aux métropoles et qu’il pourrait bel et bien y avoir cette décentralisation « à la carte » que je redoute, au motif de tenir compte des réalités territoriales.

Je m’interroge de même sur des métropoles qui se constitueraient « à la carte » par détricotage des compétences d’autres collectivités territoriales – régions et départements. Je pense bien entendu à Lyon mais aussi à la conception qui pourrait prévaloir pour le Grand Paris et sur laquelle, dans des amendements que nous avons déposés avec Marie-Françoise Bechtel et Christian Hutin, nous demandons que l’on revienne. En effet, comment nos concitoyens pourraient-ils comprendre, en le découvrant à l’occasion d’un déménagement dans une autre région, que les compétences d’une collectivité territoriale donnée varient d’un endroit à l’autre du territoire ? C’est une question de démocratie.

Le détricotage qui s’annonce n’ira pas sans une remise en cause du département, institution qui, comme les communes, date de la Révolution française et à laquelle le Mouvement républicain et citoyen, que je préside, est donc très attaché. Le département est une collectivité à la fois de proximité et de péréquation, qui exerce notamment la compétence, essentielle, de solidarité. Des métropoles chargées de l’aménagement du territoire, du développement économique, de l’emploi, du logement, etc. ne pourraient pas exercer celle-ci de la même façon.

Enfin, participant depuis plus de douze ans à la réflexion sur les voies d’une meilleure coopération entre communes d’Île-de-France et, notamment aux travaux de la conférence métropolitaine lancée à l’initiative du maire de Paris, puis à ceux de Paris Métropole afin de construire un avenir commun et d’en finir avec l’égoïsme territorial, avec l’isolement de Paris et avec la relégation des villes de banlieue, je ne puis partager la conception selon laquelle il faudrait aborder l’avenir en regardant dans le rétroviseur. C’est la négation de ce qu’a fait Paris Métropole durant les dernières années. L’avenir ne s’écrit pas avec le sénateur Philippe Dallier !

À ce propos, monsieur le président, la décision que le Gouvernement nous communiquera mercredi permettra-t-elle de rouvrir le délai de dépôt d’amendements ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La réponse à cette dernière question est : non.

Mme Colette Capdevielle. La France est une merveilleuse mosaïque de territoires. L’unité n’est pas l’uniformité, avez-vous affirmé, madame la ministre, devant le Sénat, et vous aviez raison.

Évoquer les particularismes locaux provoque, à l’Assemblée nationale et ailleurs, tantôt quelque curiosité, tantôt de l’indifférence, parfois du mépris. Nous avons pourtant en France la passion des territoires et faisons en cela figure d’exception auprès de nos voisins européens. 36 700 communes, 101 départements, 27 régions, 2 600 établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, 4 000 cantons et 370 pays : voilà le paysage français. Malgré cette surabondance et cette diversité de formes d’organisation territoriale, une certaine défiance n’a jamais cessé de se manifester depuis la Révolution française : la revendication territoriale serait porteuse de division de la nation et il y aurait contradiction entre la passion de l’égalité et le sentiment d’appartenance territoriale. Or rien n’est plus inexact.

Pour la première fois de notre histoire, le président de la République a créé un ministère de l’Égalité des territoires mêlant ces deux notions qui ont historiquement été opposées. L’égalité des territoires possède des fondements juridiques anciens mais, sans remonter plus loin, l’actuelle Constitution consacre trois formes d’égalité – entre les citoyens, entre les hommes et les femmes et entre les collectivités territoriales. C’est là le fruit de la révision introduite par la loi constitutionnelle du 29 octobre 2002 : l’alinéa 5 de l’article 72-2 de la Constitution nous assigne désormais l’ambition de « favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ».

Ce principe d’égalité se justifie par le souci de préserver une application uniforme des droits fondamentaux sur l’ensemble du territoire national. Il est intéressant de remarquer, comme le fait d’ailleurs un très récent rapport d’information du Sénat, qu’il ne constitue ni un commandement d’uniformité, ni un obstacle à l’adaptation des statuts aux spécificités locales. Selon la formule employée par le Conseil constitutionnel, ce principe « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et dans l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Cette ambition apparaît également fondée politiquement, reliée qu’elle est à la tradition d’aménagement du territoire à la française d’après-guerre.

La France a certes besoin de locomotives, mais il faut aussi, dans le même temps, mettre tous les territoires en capacité de production, d’accueil et d’ouverture sur le monde. Dans son magnifique ouvrage, Mona Ozouf opposait deux conceptions de l’identité nationale : celle, traditionnelle, d’une France unitaire et celle qui reconnaît les différences, valorise la diversité et promeut l’enrichissement par le métissage des cultures.

Élue d’un territoire – le Pays basque – qui est pionnier pour la valorisation de ses spécificités et qui demande à être reconnu et à exercer des compétences dans un cadre strictement républicain, je considère qu’en notre qualité de représentants de la nation, nous avons le devoir, à l’occasion de ce projet de loi, d’interroger la relation entre l’universel et le particulier et de comprendre pourquoi la France se montre toujours aussi réservée à l’égard des particularités. Demandons-nous pourquoi nous avons tant de difficultés à poser un véritable acte de décentralisation. Ma question est donc la suivante : jusqu’où pouvons-nous aller dans cette reconnaissance des particularités ?

M. Patrick Ollier. Madame la ministre, j’avais fondé beaucoup d’espoirs sur votre projet de loi, mais ce qui ressort des débats du Sénat n’est guère satisfaisant.

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un texte de décentralisation, mais plutôt de complexification. Il y manque en effet une clarification des compétences et vous y ajoutez la clause de compétence générale aux deux échelons où elle avait été supprimée, ce qui crée de la confusion. On peut certes comprendre les notions de contrat et de chef de file, mais ce dernier exercera, qu’on le veuille ou non, une tutelle officieuse sur les autres collectivités.

Vous n’avez pas non plus renoué, comme on aurait pu l’espérer, avec l’aménagement du territoire, ni rétabli, en revenant sur ce qui s’est malheureusement fait sous notre responsabilité, la vision dans le temps qui permet l’évaluation indispensable à cet aménagement du territoire. Je suis également très déçu de ne pas voir dans ce texte une vision de l’espace permettant de définir une hiérarchie et des lignes directrices pour l’aménagement du territoire.

Ayant moi-même beaucoup travaillé dans le cadre de Paris Métropole, projet auquel participaient plus de 250 communes de toutes couleurs politiques, j’apprends aujourd’hui par des articles de presse qu’on veut regrouper 124 communes. C’est là un effroyable coup de Jarnac porté au travail que nous avons mené avec beaucoup de conscience. De fait, même si je ne souscris pas à tous les résultats de cette démarche, je tiens à souligner que nous nous sommes efforcés de travailler ensemble et que j’ai moi-même fait abstraction de mon appartenance à l’UMP pour ne prendre en compte que l’intérêt général. S’ils ne justifient pas autant d’amendements, les quatorze points que nous vous avons présentés correspondent au moins à quatorze lignes d’action auxquelles nous étions attachés. J’avais cru comprendre que vous y étiez plutôt favorable après la suppression par le Sénat des dispositions concernant Paris et je m’étonne que vous ayez brusquement changé d’avis au lendemain d’une réunion qui a eu lieu voici une quinzaine de jours. Des personnes ici présentes et qui n’ont jamais fait l’effort de venir travailler à Paris Métropole publient aujourd’hui un article expliquant ce qu’il faut faire contre nous. À quelque parti que nous appartenions, nous ressentons cela comme une agression et comme une mise en cause du travail que nous avons réalisé depuis trois ans.

La commune est pour nous la base de toute organisation du territoire de la région parisienne. Nous pensons également qu’il faut préserver le département, pour les raisons qu’a exposées M. Laurent, et la fusion de Paris et des trois départements de la petite couronne dans une même entité ne nous convient pas.

Quant aux transferts de compétences, nous en avons imaginé dans le cadre de la coopérative de villes que nous envisagions. Laissez-nous au moins le soin de les décider ensemble, au lieu de nous les imposer !

Pour respecter la volonté de ces plus de 200 élus, il conviendrait de prévoir une préfiguration et de mettre progressivement en place ce nouvel échelon, avec l’accord de tous.

M. Sylvain Berrios. Merci, monsieur le président, de m’accueillir au sein de votre Commission.

Madame la ministre, alors que nous ouvrons un débat très important pour l’Île-de-France, le Gouvernement a décidé de ne soumettre que mercredi matin son texte à la commission des Lois, ce qui ne nous laissera que quelques minutes pour l’étudier. Ce procédé ne relève guère de la méthode de concertation permanente dont se réclame le Gouvernement.

Comme vient de le souligner M. Ollier, on ne peut à la fois invoquer la confiance et empêcher les différents intervenants de décider eux-mêmes de leur destin en rappelant que l’État saura manier le bâton si les collectivités ne vont pas dans le sens souhaité. Il conviendrait de rappeler aux parlementaires comment l’État entend mener les débats au sein de la conférence territoriale de l’action publique.

Comment considérer, enfin, qu’il puisse y avoir simplification en l’absence d’une étude d’impact sur les dispositions prévues, qui tendent notamment à créer un échelon supplémentaire de collectivités alors que le système actuel est déjà peu lisible pour nos concitoyens ? Il faut au contraire réaffirmer les identités de chacune des collectivités territoriales, puis voir comment les articuler entre elles. Votre texte, madame la ministre, ne me semble donc pas vraiment cohérent.

M. Patrick Devedjian. Ce débat est surréaliste. Tout d’abord, comme l’a rappelé M. Gaymard, il n’a été précédé d’aucune concertation alors que, pour l’acte II de la décentralisation, le Gouvernement avait organisé les assises des libertés locales qui ont duré plusieurs mois sur tout le territoire, y compris dans les départements d’outre-mer, ce qui nous a certainement évité bon nombre des ennuis que vous rencontrez aujourd’hui.

En deuxième lieu, ce projet n’a donné lieu à aucune étude d’impact, non seulement en matière budgétaire, mais également en matière constitutionnelle, alors précisément qu’il soulève de nombreux problèmes à cet égard.

En troisième lieu, un seul amendement a été déposé à ce jour par le Gouvernement sur ce texte et vous nous avez annoncé, madame la ministre, que nous serions saisis des autres amendements mercredi matin, ce qui ne nous laissera guère le temps d’y réfléchir. Il est quelque peu léger de traiter ainsi l’Assemblée nationale.

Au demeurant, nous devinons déjà quelles dispositions vous nous soumettrez, car vous n’avez pas répondu à la question de savoir si vous seriez favorable à un amendement visant à constituer la métropole par la fusion de Paris – département et commune – et des trois départements de la petite couronne. Si un tel projet devait se réaliser, il serait amusant que le maire de Paris, qui a refusé en 2004 la fusion du département et de la commune de Paris, considérant que cet acte – qui n’avait pourtant rien de révolutionnaire – serait une agression, soit favorable aujourd’hui à la suppression de quatre départements, dont le sien.

En réalité, ce texte n’est pas une loi de décentralisation, comme vous l’avez d’ailleurs reconnu vous-même et comme l’exprime de manière très significative son changement de titre. De votre propre aveu, les transferts de l’État sont très peu nombreux : il ne s’agit pas ici de décentralisation, mais de délégation. Or une délégation peut être reprise –je le sais d’autant mieux que mon département s’est vu reprendre la délégation de l’aide à la pierre dont il bénéficiait précédemment.

Quant à la conférence territoriale de l’action publique, vous vous arrangez pour que l’État la domine.

D’autre part, vous avez déclaré tout à l’heure qu’il n’y avait qu’une seule action publique – comme si les collectivités territoriales ne pouvaient pas avoir, dans le champ de leurs compétences, des politiques différentes de celle du Gouvernement. Singulière décentralisation !

Il s’agit en réalité de retirer aux communes certaines compétences essentielles, ce qui revient pour elles à une recentralisation au profit des régions ou d’une instance encore informelle. Elles y perdront notamment la compétence urbanistique que leur avait donnée la gauche et qui a eu un effet exceptionnel. La notion de PLU intercommunal, évoquée tout à l’heure, amène à s’interroger sur la réalité de la décentralisation et de la libre administration des communes garantie par la Constitution.

Enfin, ce texte est examiné dans un climat d’improvisation absolue. En votant, voilà quelques semaines, le nouveau scrutin départemental, saviez-vous que vous vous apprêteriez à supprimer trois ou quatre départements quelques semaines plus tard ? Si c’était le cas, la loi que nous avons votée aurait sans doute été différente.

Nous avons le sentiment que la gauche sait qu’elle va perdre les élections municipales à Paris et tente de se rattraper en organisant une métropole sur mesure !

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je précise qu’il y a plus d’un amendement du Gouvernement : seule une liasse de 180 amendements vous a été distribuée pour l’instant, sur les 700 qui seront examinés.

M. Alexis Bachelay. Nous voulons assumer dans la région capitale le fait métropolitain. La fusion des départements ne figure pas dans les amendements, et encore moins dans le texte du Gouvernement : peut-être nos collègues de l’opposition ont-ils un train ou un métro automatique de retard.

Il importe de mettre au cœur de notre démarche la coproduction de propositions, peu important de quels parlementaires elles émanent, mais il est de la responsabilité de l’Assemblée nationale de faire la loi – alors que, je le rappelle, Paris Métropole est une assemblée d’élus locaux. Du reste, certains des participants à Paris Métropole souscrivent à nos propositions – comme Jean-Yves Le Bouillonnec, artisan inlassable du Grand Paris, qui a signé avec une quarantaine d’autres parlementaires, des présidents de conseils généraux, des élus régionaux et Mme Anne Hidalgo le texte que nous versons au débat comme une contribution ouverte à tous ceux qui pourraient partager notre vision de l’avenir de la métropole, notamment aux écologistes et aux radicaux.

Madame la ministre, nous vous savons gré d’avoir su réunir les conditions d’une telle coproduction. Nous ne doutons pas que vous saurez vous saisir de ces propositions, quelle qu’en soit l’origine, pour en faire une solide synthèse et pour doter enfin la capitale de la France de la métropole dont elle a besoin pour relever les défis à venir.

M. Dominique Tian. Soixante-dix pour cent des Marseillais sont favorables à la création d’une métropole Aix-Marseille – ou Marseille-Aix. C’est là un fait politique. Les Marseillais et les habitants d’Aix ou d’Aubagne qui se rendent à Marseille et sont bloqués chaque jour dans les embouteillages faute d’infrastructures – soit environ 100 000 personnes – ne peuvent du reste qu’être favorables à cette initiative. Il est absurde, par exemple, que la ville d’Aubagne construise un tramway qui ne sera pas relié à celui de Marseille.

Le sénateur-maire de Marseille, M. Jean-Claude Gaudin, a beaucoup travaillé sur ce projet et a influencé le débat auquel il a donné lieu au Sénat. Pour les élus marseillais de toutes les tendances, le texte issu de la Haute assemblée est d’une grande qualité et il nous convient.

La création des conseils de territoire devrait rassurer les communes voisines, cependant que la nouvelle composition du conseil de métropole assure aux Marseillais d’être représentés à proportion de leur nombre.

Une inquiétude demeure quant à l’avenir du bataillon des marins-pompiers de Marseille, unité d’élite malheureusement très mal soutenue financièrement par le conseil général des Bouches-du-Rhône et souffrant d’un vide juridique qui n’a pas encore pu être comblé. Cette unité, qui dépend de l’armée et à laquelle les Marseillais sont très attachés, doit rester sous la responsabilité du maire de Marseille, sachant par ailleurs qu’il existe un service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Le Gouvernement a-t-il progressé dans la réflexion qu’il nous a dit mener sur ce sujet ?

À titre personnel, je regrette qu’on n’ait pas envisagé la suppression du conseil général des Bouches-du-Rhône, proposition qui aurait peut-être reçu un écho favorable du Gouvernement et que je formulerai du reste dans un amendement.

Enfin, pourquoi cette métropole porterait-elle le nom d’« Aix-Marseille », plutôt que celui de « Marseille-Aix », bien plus adapté ? Je proposerai là encore des amendements dans cet esprit.

M. Alain Tourret. Madame la ministre, j’admire votre ténacité digne de Pénélope !

Au seul intitulé de ce « projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles », on comprend qu’il s’agit d’une réforme, et non pas d’une révolution. Vous serez jugée sur la clarification, sur la simplification, sur les transferts de compétences, sur la possibilité donnée aux collectivités territoriales de se rassembler et, finalement, sur l’efficacité de l’action publique au profit du citoyen.

Élu d’une circonscription qui ne compte que trois communes de plus de 3 000 habitants, et à ce titre « député des gros bourgs », je crains la fracture territoriale. La création des métropoles appuiera en effet par le droit un état de fait et je suis inquiet à l’idée que l’argent public, qui n’est pas inépuisable, puisse aller vers ces métropoles, à plus forte raison si elles sont nombreuses. Je vous renvoie à ce propos au document intitulé L’Accès aux soins : en finir avec la fracture territoriale, publié par l’Institut Montaigne. Aujourd’hui même, à midi, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) de ma région a fait savoir que la maternité de Vire était définitivement fermée. L’élu du bocage que je suis témoigne que les petits bourgs sont très inquiets et comptent sur l’État protecteur.

Faute d’assurer une protection de l’État par le biais des services publics, nous ferons le lit du Front national, qui atteint désormais un score électoral de 45 % dans les communes rurales de ma région, alors que ce score n’est que de 8 % dans les grandes communes. Cette évolution s’explique par le sentiment d’abandon total que ressentent les habitants de ces communes.

Il est donc regrettable que la première loi sur les collectivités soit consacrée à l’affirmation des métropoles plutôt qu’au rôle des régions, qui sont protectrices des territoires, et à l’affirmation de l’État. Il nous faut une loi forte, innovant en faveur des régions, en sorte que, dans vingt ans, la loi Lebranchu ait marqué autant notre pays que la loi Defferre.

M. Serge Grouard. Madame la ministre, bien que ne m’exprimant pas au nom de l’Association des maires des grandes villes de France, je me dois d’indiquer que ma position est partagée par nombre de ces derniers. En effet, vos propositions relatives aux métropoles ne font pas consensus.

Pourquoi avoir fixé le seuil requis pour bénéficier de ce statut à 400 000 habitants, ce qui revient à exclure la plupart de nos grandes villes et à créer un « désert métropolitain » dans le centre de la France ? Pour moi, qui suis maire d’une ville de plus de 100 000 habitants incluse dans une aire urbaine en rassemblant 650 000, ce chiffre n’a aucun sens ! À quel titre Angers, Tours, Orléans, Dijon, Clermont-Ferrand, Poitiers ou Limoges n’auraient-elles pas le droit d’être reconnues métropoles ?

Dans la réalité, certaines villes, quelle que soit leur population, relèvent d’une même catégorie car elles partagent les mêmes contraintes et les mêmes objectifs : elles ont des charges de centralité, possèdent de grands équipements à vocation régionale, sont le siège d’une université et éventuellement chef-lieu de région ; autant de critères non pas quantitatifs, mais qualitatifs. En les retenant, on permettrait aux villes qui le souhaitent de bénéficier du statut – intéressant – de métropole, sans pour autant porter préjudice aux autres. Tel est le sens des amendements que je déposerai.

M. Philippe Cochet. Après Hervé Gaymard, Patrick Devedjian et même Alain Tourret – dont le cri du cœur doit être entendu –, je voudrais à mon tour soulever quelques points.

Tout d’abord, on voit bien que la critique des « pôles métropolitains » n’est qu’un prétexte pour repousser le texte présenté par la majorité précédente. Lorsqu’on mesure l’incidence qu’il peut avoir sur l’aménagement du territoire, en particulier sur l’organisation des transports, on constate pourtant combien le système proposé était aberrant.

S’agissant des métropoles, si on se dirige vers cette solution, il faut tout dire et aller jusqu’au bout.

La question de fond est celle-ci : les communes ont-elles encore un avenir ? Une première étape est annoncée pour 2014, une deuxième pour 2020 ; si, à terme, il faut les supprimer, ayez le courage de le dire et de l’assumer – même si votre majorité se montre réticente !

Ce qui importe, c’est de savoir si votre dispositif coûtera moins cher et sera plus efficace. Or nous ne disposons d’aucune étude d’impact financier crédible. Je participe à la commission de rapprochement entre le conseil général du Rhône et le Grand Lyon : à chaque réunion, je vois les visages des deux initiateurs du projet se décomposer… car la seule solution, c’est d’augmenter les impôts ! Est-ce vraiment ce que vous voulez ? Si tel est le cas, assumez-le – et chaque parlementaire qui votera ce texte devra en faire autant devant ses électeurs.

On prétend que le rapprochement entre le conseil général du Rhône et le Grand Lyon s’effectue dans la joie et la bonne humeur, mais c’est faux : c’est en réalité le fait de deux personnalités qui cherchent à assurer leur avenir personnel. Pour légiférer dans la durée, il convient d’avoir une véritable vision politique et de demander, à un moment ou à un autre, l’avis des habitants. N’ayez pas peur du peuple !

M. Paul Molac. Comme nous attendions un projet de loi de décentralisation et de régionalisation, nous sommes un peu surpris par celui-ci – mais nous espérons que le deuxième étage de la fusée arrivera bientôt.

La métropole nous semble ajouter une couche supplémentaire au millefeuille territorial, et j’abonderai dans le sens de mon collègue Tourret : l’existence d’un échelon métropolitain cumulant les pouvoirs de la commune, de l’EPCI, du département et de la région, et disposant d’une population et d’un budget conséquents, pourrait nuire à l’aménagement du territoire. Nous serons par conséquent attentifs à ce que les métropoles n’accaparent pas les pouvoirs de la région.

Nous présenterons en outre – mais ce n’est pas une surprise ! – des amendements en faveur d’un plus large recours au suffrage universel.

Le texte comporte néanmoins des avancées, en particulier sur la clarification et sur la délégation des compétences, et il ouvre des perspectives intéressantes en matière de fusion des collectivités. Nous saurons donc nous montrer constructifs.

M. Étienne Blanc. Ce projet de loi s’arrête aux frontières de notre territoire : ce n’est qu’à l’article 31 qu’est prévue pour une métropole située aux confins du territoire français la possibilité de conclure des accords avec le pays voisin. En revanche, à aucun moment, le cas des métropoles étrangères ayant une influence sur le territoire français n’est évoqué – je pense particulièrement au territoire genevois. Quelles possibilités de coopération pourraient être offertes dans ce cas de figure ?

M. François-Michel Lambert. Député des Bouches-du-Rhône, je suis plutôt favorable au projet de métropole Aix-Marseille-Provence – quoique je ne sois pas marseillais et un peu isolé en la matière sur mon territoire ! Je suis favorable mais exigeant en particulier pour ce qui est des équilibres ; or l’équilibre démocratique ne me semble pas satisfaisant, notamment en raison de l’absence de recours au suffrage universel direct. Ainsi, les 109 maires qui se disent opposés à la future métropole auront leur place dans la future gouvernance. Il y aura inévitablement des oppositions violentes dans les premiers temps ; la presse en fera ses choux gras et le projet métropolitain ne pourra pas progresser ! C’est pourquoi je présenterai un amendement visant à ce que les grandes lignes de ce dernier soient définies à l’issue d’un débat public.

Enfin, contrairement à mon collègue Tian, j’estime qu’il y en a beaucoup trop, dans ce projet, sur Marseille ! Fixer par la loi le siège d’une collectivité serait un déni de démocratie – et probablement une mesure inconstitutionnelle. Laissons la future gouvernance libre de choisir son siège !

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Madame la ministre, je vous invite à répondre en priorité aux collègues restés pour vous écouter.

Mme la ministre. Madame Karamanli, j’entends vos craintes sur les ajustements à opérer pour assurer un développement territorial équilibré. Dans notre esprit, le statut de métropole correspond, non pas à l’octroi d’avantages supplémentaires, mais à l’institutionnalisation d’une organisation territoriale dotée de certaines responsabilités. C’est pourquoi j’ai souligné la différence existant entre les métropoles définies dans le cadre de la stratégie de Lisbonne et celles que nous souhaitons créer, qui sont des têtes de réseau devant assurer un certain nombre de services – comme la possibilité de faire des études supérieures. Cette notion de responsabilité nous paraît essentielle.

Monsieur Chrétien, un seul ministère est chargé de ce texte, Mme Escoffier étant ministre déléguée. Et s’il y a trois projets de loi, c’est à la demande des sénateurs, qui ont estimé qu’il serait impossible d’examiner l’ensemble en trois semaines. Quand au caractère « brouillon » de nos propositions, je vous laisse la responsabilité de ce jugement de valeur.

Il ne pourra pas y avoir de tutelle administrative pour la bonne raison que ce serait contraire à la Constitution. Je ne comprends pas vos insinuations : nous faisons confiance à nos élus pour mettre en œuvre leurs nouvelles compétences en toute clarté. Pourquoi auraient-ils recours à des tractations souterraines ?

Nous avons créé un régime spécial pour Paris, Lyon et Marseille en raison de l’existence même d’un régime législatif particulier du fait de la loi « PLM ».

M. Alain Chrétien. Mais pourquoi avoir exclu Lille ?

Mme la ministre. Parce que Lille n’était pas incluse dans ce texte fondateur et qu’il avait été convenu que nous reprendrions le cadre législatif existant ; en outre, Lille aura le statut de « métropole européenne », ce qui devrait suffire.

Pourquoi relancer les pays ? Ceux qui souhaitent continuer à fonctionner le peuvent. En revanche, les sénateurs unanimes ont voulu que, là où il n’y en avait pas, soient créées des structures de développement et de négociation avec l’État, afin que l’ensemble du territoire puisse être couvert par des pôles de développement territorial. Nous avons trouvé cette proposition intéressante – d’autant plus que certains députés avaient déjà évoqué cette hypothèse lors des débats de 2010.

Monsieur Mennucci, merci pour votre hommage, mais quand on croit à quelque chose, nul besoin de courage pour aller jusqu’au bout !

Sur l’article 30, la difficulté fut d’inventer les conseils de territoire, qui n’existaient pas en droit. Ce que nous ne voulions pas, c’était juxtaposer les communes, les intercommunalités et les regroupements d’intercommunalités ; nous souhaitions mettre la commune au cœur du dispositif. On peut certes nous reprocher d’avoir « sanctifié » la commune, mais nous pensions qu’il était important que chaque maire soit représenté au niveau de la métropole et que celle-ci dispose de groupes d’élus travaillant à une mise en œuvre de proximité ; le conseil de territoire s’est révélé être un bon échelon, qui ne lève pas l’impôt et agit par délégation de l’EPCI. Il s’agit d’une première en droit français qui évite, comme vous le souhaitiez, de rajouter une couche au millefeuille administratif. Quant à savoir s’il vaut mieux parler d’Aix-Marseille-Provence ou de Marseille-Aix-Provence, je vous en laisse juge !

Vous avez raison : la question financière est primordiale. C’est pourquoi le Gouvernement s’engage, si le texte de loi est voté, à mettre en place dès la première année un système dérogatoire, car cela est indispensable à la constitution de la métropole ; Mme Escoffier défendra un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi de finances.

Votre analyse, monsieur Da Silva, est fort intéressante. Vous avez raison d’être attentif à la troisième couronne. Si un document tel que celui que vous nous proposez avait été remis à Paris Métropole, on n’aurait peut-être pas connu la même instabilité. Il faut en effet privilégier une meilleure intégration de la zone dense, mais à condition de veiller à l’équilibre avec la troisième couronne, afin de limiter la pression foncière. Je suppose que des amendements seront déposés à cette fin.

Nous avions effectivement fixé un seuil, mais en précisant que le débat était ouvert – le Premier ministre a été très clair sur ce point.

Quant à la région, il est évident qu’elle a un rôle stratégique – et l’Île-de-France plus qu’aucune autre. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir.

Monsieur Laurent, je trouve gênante l’accumulation de tant de critiques. Je le maintiens : dans notre République, l’action publique est une, du maire jusqu’au président de la République. Nous nous efforçons, depuis la loi Defferre, de l’organiser en sorte qu’elle soit la plus efficace possible, y compris en confiant à des échelons inférieurs l’exercice de certaines compétences. Nul besoin de s’inquiéter pour la République !

Il est vrai qu’il convient de veiller aux grands équilibres territoriaux et que nous avons besoin de visibilité. Mais je pense que les enjeux ne sont pas de même nature en Île-de-France et en Aquitaine et qu’il peut y avoir, à partir d’une même conception de l’action publique, des accords différents d’une région à l’autre sans que cela mette en danger l’égalité républicaine. L’État reviendra d’ailleurs autour de la table à l’occasion des conférences territoriales de l’action publique : c’est lui qui est le garant de l’accès au droit.

De même, il n’y aura pas de remise en cause des départements. Bien au contraire, ceux-ci se verront reconnaître un rôle essentiel dans le prochain texte sur le développement des solidarités territoriales – notion qui n’existait pas dans notre droit. Nous proposerons qu’ils soient reconnus comme le lieu de l’égalité territoriale, avec un schéma départemental des services publics dans lequel l’État devra être impliqué. Depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de l’administration territoriale de l’État (RéATE), nous rencontrons en effet des difficultés pour assurer la présence de l’État dans les territoires ; nous devons la réaffirmer, car l’analyse d’Alain Tourret sur le développement du Front national vaut pour beaucoup de communes rurales. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

S’agissant de Paris Métropole, je ne vois pas ce qui vous fait dire que nous regardons dans le rétroviseur – quoique je croie à l’importance de l’étude de l’histoire pour avancer.

Madame Capdevielle, il n’y aura pas de collectivité territoriale spécifique pour le Pays basque, car nous nous exposerions à des demandes reconventionnelles. En revanche, si une aire géographique de ce type se saisissait de l’occasion offerte par les pôles de développement territorial ou les pôles métropolitains pour s’organiser, ce serait une bonne nouvelle.

Notre choix des seuils s’appuie sur le travail de très grande qualité réalisé par la DATAR. Les sénateurs ont proposé que les seuils pour les communautés urbaines soient différents  ; vous avez cité, monsieur Grouard, l’exemple de villes qui pourraient créer un pôle métropolitain, mais il n’est pas possible d’étendre le statut de métropole à toutes les villes de plus de 100 000 habitants.

Monsieur Berrios, je vous rappelle que les articles du projet de loi portant sur l’achèvement de la carte intercommunale et sur le Grand Paris, qui avaient pourtant tenu compte de l’ensemble des propositions de Paris Métropole, ont été rejetés par le Sénat – notamment par le groupe UMP – et que deux propositions de loi concurrentes ont été déposées : une de M. Dallier visant à supprimer les quatre départements de Paris et de la petite couronne au profit d’un département unique, l’autre de M. Karoutchi visant à ce que la région Île-de-France soit le territoire métropolitain. Il n’a jamais été question que nous supprimions les départements : la proposition de loi de M. Dallier n’engage en rien le Gouvernement ! Nos propositions ont été élaborées après plus de cinq mois de débats, et les difficultés ne sont pas pires qu’en 2010.

Votre préoccupation relative aux marins-pompiers a déjà été prise en compte, monsieur Tian. Je renouvelle l’engagement pris par le Gouvernement, notamment devant M. Mennucci : une conférence des financeurs sera organisée sur ce point avant le vote du projet de loi de finances pour 2014, si possible avant son examen en deuxième lecture. En outre, je n’ai nullement l’intention de modifier les compétences des collectivités en la matière, ni les intitulés.

Vous estimez, monsieur Grouard, que le texte ne va pas assez loin pour les agglomérations de 100 000 à 400 000 habitants. Je vous invite à relire la loi de 2010, que nous avions d’ailleurs critiquée ensemble. Il convient de fixer un seuil : nous devrons nous pencher sur certains cas, mais il n’est pas souhaitable que toutes les agglomérations de plus de 100 000 habitants deviennent des métropoles. Nous avons apporté une réponse à vos préoccupations en confiant de nouvelles compétences aux communautés urbaines, qui auront un rôle important à jouer.

Que voulez-vous dire, monsieur Cochet, lorsque vous parlez de suppression des communes ? Nous avons au contraire fait le choix de conserver les 36 000 communes de France, ce qui suscite d’ailleurs des critiques. En outre, aucun projet ne leur avait jusqu’ici ménagé une telle place. Dans la mesure où, dans toute configuration, nous limitons le nombre d’échelons à deux, les communes et les EPCI, nous avons tenu à ce que chacune soit représentée au sein de l’EPCI correspondant. Enfin, je ne crois pas à la création d’un échelon supplémentaire où les communes disparaîtraient effectivement au sein d’un tel ensemble.

M. Philippe Cochet. Vous créez pourtant, avec la métropole, une nouvelle collectivité territoriale.

Mme la ministre. C’est une forme d’intercommunalité. Il se trouve que la communauté urbaine dont vous êtes membre de l’organe délibérant a demandé à exercer les compétences du département. Cependant, nous aurons bien, d’une part, un EPCI et, d’autre part, un conseil général. Cela pose d’ailleurs quelques problèmes : il conviendra de bien distinguer les conseillers généraux et les conseillers métropolitains. Des amendements ont été déposés en ce sens. D’autre part, à ce stade, aucun document ne montre que la création des métropoles conduira à une augmentation des impôts.

M. Philippe Cochet. Est-ce un engagement que vous prenez ?

Mme la ministre. Je n’ai pas d’engagement à prendre à la place des élus. Si un maire décide d’augmenter les impôts dans sa commune, il en prendra seul la responsabilité et en rendra compte à ses électeurs. Selon moi, la création des métropoles ne conduira pas à une augmentation des impôts et pourra même contribuer à les faire baisser.

Vous avez réaffirmé, monsieur Molac, votre fort attachement au rôle des régions. La création des métropoles ne le remettra pas en cause, je n’ai pas d’inquiétude à cet égard. Dans certaines régions, il n’y aura d’ailleurs pas de métropoles. Mais toutes ont un rôle déterminant à jouer en qualité de chef de file. C’est pourquoi nous prévoyons d’instituer, dans chacune, une conférence territoriale de l’action publique et avons tenu à ce que celle-ci soit mentionnée dès l’article 1er. Notre volonté est très claire sur ce point ; nous en avons discuté avec plusieurs groupes politiques.

S’agissant de l’action extérieure des collectivités territoriales, Monsieur Blanc, le texte comporte désormais un article 9 bis relatif au groupement eurorégional de coopération, issu d’un amendement de M. Delebarre. Cela étant, vous avez raison : la coopération transfrontalière a été envisagée uniquement du point de vue des métropoles françaises, et non de celui des agglomérations étrangères. Nous allons examiner votre amendement et voir de quelle manière nous pouvons progresser sur ce point.

Vous demandez, monsieur Lambert, comme tous les membres du groupe écologiste, que les conseillers métropolitains soient élus au suffrage universel direct. Au point où nous en sommes arrivés dans la coopération intercommunale, nous ne pourrons pas faire l’économie de ce débat. Cependant, qui dit élection au suffrage universel direct, dit collectivité territoriale de plein exercice. Dans le passé, j’avais proposé que les conseillers communautaires soient, pour une partie, désignés par les communes et, pour une autre, élus au suffrage universel direct. Il convient de mener un débat transpartisan sur ce point. À ce stade, je n’ai pas encore trouvé de réponse satisfaisante à la question légitime que vous posez.

M. Dominique Tian. Qu’en est-il du siège de la métropole d’Aix-Marseille-Provence ?

Mme la ministre. Nous avons réalisé un travail très difficile pour permettre la création de la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Il serait dommage que la localisation de son siège ou son nom posent problème.

M. Patrick Mennucci. Pensez-vous obtenir un vote conforme sur les dispositions relatives à la métropole d’Aix-Marseille-Provence ?

Mme la ministre. Je l’espère.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie pour vos réponses, madame la ministre.

La séance est levée à 19 heures 50.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Erwann Binet, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Carlos Da Silva, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Olivier Dussopt, Mme Marietta Karamanli, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, M. Patrick Mennucci, M. Paul Molac, Mme Elisabeth Pochon, M. Pascal Popelin, M. Bernard Roman, M. Alain Tourret, M. Jean-Jacques Urvoas, Mme Marie-Jo Zimmermann

Excusés. - M. Marcel Bonnot, M. Sergio Coronado, M. Matthias Fekl, M. Édouard Fritch, M. Daniel Gibbes, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Alexis Bachelay, M. Sylvain Berrios, M. Étienne Blanc, M. Florent Boudié, M. Christophe Caresche, M. Alain Chrétien, M. Philippe Cochet, M. Hervé Gaymard, M. Serge Grouard, M. François-Michel Lambert, M. Jean-Luc Laurent, M. Serge Letchimy, Mme Frédérique Massat, M. Patrick Ollier, Mme Christine Pires Beaune, M. Dominique Tian