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Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 9 octobre 2013

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Gilles Carrez, Président.

–  Examen de la première partie du projet de loi de finances pour 2014 (n° 1395) (M. Christian Eckert, rapporteur général) 

–  Présences en réunion

La Commission examine, sur le rapport de M. Christian Eckert, rapporteur général, les articles de la première partie du projet de loi de finances pour 2014 (n° 1395).

M. le président Gilles Carrez. Nous commençons ce matin l’examen des 44 articles de la première partie du projet de loi de finances – PLF – pour 2014. Je rappelle que la discussion générale sur ce texte a eu lieu le 25 septembre, en présence des ministres.

Nous avons à examiner 461 amendements ; en effet, sur les 528 qui ont été déposés sur ce texte, j’en ai jugé 76 irrecevables, dont 51 uniquement du fait qu’ils relevaient, non de cette première partie du projet de loi de finances, mais de la seconde. Le taux de « véritable » irrecevabilité – au regard de l’article 40 de la Constitution – est donc très faible, 4,7 %, ce qui montre que les commissaires aux finances prennent, comme de juste, cette contrainte en considération dès la rédaction de leurs amendements.

En tout état de cause, j’ai pris soin d’appliquer, en la matière, la jurisprudence habituelle.

Je note que neuf amendements ont été écartés pour des raisons organiques : ils relevaient du projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS. C’est un nouveau signe de l’imbrication étroite, en tout cas en matière de recettes, entre les comptes sociaux et le budget de l’État. Les « tuyauteries » étant de plus en plus complexes, il serait sans doute souhaitable d’harmoniser la discussion sur le volet recettes du PLF et du PLFSS.

M. Christian Eckert, rapporteur général. Je souhaite, en préambule, remercier les services de l’Assemblée, dont il convient de souligner le dévouement, la disponibilité et le professionnalisme.

M. le président Gilles Carrez. Je m’associe à ces remerciements.

M. le rapporteur général. Avant que nous en venions à l’examen des articles, je souhaite faire un bref propos introductif.

Tout d’abord, je veux souligner une nouveauté : c’est la première fois qu’un projet de loi de finances commence par un article liminaire présentant la prévision de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour l’année à venir.

Ensuite, certains membres de la commission des Finances, dont son président, ayant organisé, dans cette même salle, une réunion afin de faire valoir que des choix différents étaient possibles en matière budgétaire, je souhaite leur répondre en me fondant sur les mêmes documents et, chemin faisant, apporter certaines précisions.

Nos collègues croient relever une dérive par rapport à la trajectoire de redressement de nos comptes publics. Mais, contrairement à ce qu’ils prétendent, loin d’augmenter par rapport aux prévisions de la loi de programmation des finances publiques, le taux des prélèvements obligatoires baisse de 0,2 point. En outre, s’agissant des déficits, structurel ou nominal, il n’y a pas explosion mais bien réduction continue. Alors qu’en 2011 tous deux dépassaient 5 points de PIB, le déficit structurel sera de 2,6 points en 2013 et nous entendons le ramener à 1,7 point en 2014 – soit une division par deux en trois ans. Quant au déficit nominal, contrairement à ce qui est souvent affirmé, il diminue également, même si c’est à un rythme moins rapide en raison de la conjoncture.

Vous l’avez vous-même rappelé, monsieur le président, cette diminution des déficits n’a pas empêché le Gouvernement de prendre vingt mesures au bénéfice des populations les plus fragiles. On peut citer la revalorisation de l’allocation de rentrée scolaire ; la création de 55 000 bourses annuelles pour les étudiants et d’un nouvel échelon de bourse ; les contrats aidés et les contrats de génération ; le relèvement du SMIC ; la revalorisation des rémunérations des agents de catégorie C et la création d’un nouvel échelon – destinées à compenser, au profit des fonctionnaires les plus fragiles, le gel du point d’indice appliqué depuis quatre ans – ; la création de 4 500 places d’accueil en hébergement d’urgence ; celle de 275 000 solutions d’accueil pour la petite enfance…

Pour autant, et contrairement à ce que certains prétendent, on ne peut pas parler d’une explosion des dépenses publiques. Si l’on trace la courbe de leur évolution annuelle depuis 2002, on s’aperçoit que la trajectoire est descendante, y compris en 2013 et 2014.

Quant aux dépenses du périmètre normé, non seulement elles n’explosent pas, mais elles baisseront pour la première fois, en valeur, en 2013 et en 2014.

De même, les concours de l’État aux collectivités locales baisseront de 1,5 milliard d’euros, une politique que nous assumons.

Vous avez évoqué, monsieur le président, les 12 à 13 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires qui pèseront sur les ménages à la suite de certaines décisions prises l’année dernière par le Gouvernement – comme l’augmentation de la TVA. Admettons ce chiffre, bien qu’il résulte d’une agrégation discutable de données très différentes.

L’opposition suggère par ailleurs plusieurs mesures destinées à réaliser 5 milliards d’économies supplémentaires dès 2014. Certaines, qui concernent la masse salariale de l’État – gel des pensions civiles et militaires, allongement des échelons de la fonction publique d’État, non-remplacement de 15 000 départs en retraite chaque année, maintien d’un jour de carence, etc. –, doivent permettre d’économiser 2 milliards d’euros au détriment de fonctionnaires dont le point d’indice, je le répète, est gelé depuis quatre ans.

De même, vous souhaitez diminuer de 930 millions d’euros supplémentaires les concours de l’État aux collectivités locales, alors que certains jugent déjà trop élevée la réduction de 1,5 milliard proposée dans le projet de loi de finances. C’est votre choix.

Vous voulez également économiser 1,5 milliard en revoyant le périmètre des dépenses d’intervention, qu’il s’agisse de l’aide médicale de l’État, de la prime pour l’emploi, du RSA activité – une intention surprenante s’agissant d’un dispositif que vous avez vous-mêmes créé – ou de la définition de critères nationaux pour l’attribution des prestations aux personnes handicapées.

Enfin, vous appelez à une réforme de ce que vous appelez les « zones d’ombre » de l’intervention publique, en renonçant, notamment, au financement direct des associations par l’État.

Ces 5 milliards d’euros d’économies sur les dépenses devraient permettre, selon vous, de réduire d’autant le montant des recettes. J’en conclus donc que vous ne remettez pas en cause la trajectoire de réduction des déficits publics que nous proposons, alors même que vous appelez dans le même temps à une accélération de cette réduction.

Je relève en outre que vos propositions se traduiraient par la suppression d’aides en faveur des familles modestes, des jeunes et des plus vulnérables, au bénéfice des grandes entreprises et des familles aisées.

Enfin, puisque vous évaluez à 13 milliards d’euros le montant des impôts supplémentaires en 2014, et dans la mesure où vous ne proposez des économies qu’à hauteur de 5 milliards d’euros, cela signifie que vous accepteriez une augmentation des impôts de l’ordre de 8 milliards d’euros, alors même que votre document s’intitulait : « Un budget 2014 sans hausses d’impôts, c’est possible ! »

Je terminerai en rappelant que le projet de loi de finances dont nous allons débattre vise à concilier les quatre objectifs du Gouvernement et de sa majorité : réduire les déficits de façon à diminuer, à terme, l’endettement pour conserver notre souveraineté – et en ce domaine, nos collègues de l’opposition ne proposent pas de faire mieux, ni plus vite – ; préserver notre modèle social et épargner le plus possible les plus fragiles – vous avez vous-même, monsieur le président, cité les vingt mesures prises en ce sens – ; soutenir l’investissement productif et assurer la transition énergétique – c’est notamment l’objet du nouveau programme d’investissements d’avenir, doté de 12 milliards d’euros – ; retrouver la croissance et briser le déclin de notre industrie.

Puisque vous avez pris la peine de proposer, dans cette même salle, un « contre-budget », il me semblait nécessaire de permettre au rapporteur général d’exposer son point de vue sur ces propositions.

M. le président Gilles Carrez. Cette introduction était en effet très utile. La majorité et l’opposition ont tout intérêt à débattre de façon constructive sur les marges de manœuvre que laisse, pour les finances publiques, la contrainte d’un retour progressif à l’équilibre.

Si nous avons proposé un effort modéré – 5 milliards – de baisse d’impôts, portant à la fois sur les ménages et les entreprises, c’est pour mettre l’accent sur la réduction des dépenses publiques. Faute d’avoir examiné un projet de loi de finances rectificative au cours de l’année, nous n’avons pas, en effet, pris suffisamment conscience de la dégradation des recettes par rapport aux prévisions. Or ce phénomène très inquiétant va rapidement limiter les possibilités d’augmenter la pression fiscale. Je suis donc convaincu que nous serons condamnés, dans les prochaines années, à agir sur les dépenses.

L’essentiel des propositions que nous avons faites et dont nous nous sommes efforcés de chiffrer les effets provient de rapports publiés au cours des dernières années par la Cour des comptes. Celle-ci insiste en effet depuis longtemps sur la nécessité absolue de maîtriser le niveau de dépenses publiques qui atteint, en 2013, un record de 57,1 points de PIB. Il était donc nécessaire d’engager ce débat.

M. Hervé Mariton. Je prends acte que le rapporteur général ne conteste pas l’ampleur des augmentations d’impôts, que nous avons évaluée à 12 ou 13 milliards d’euros. Mais j’appelle son attention sur le solde général du budget de l’État : selon les documents fournis par le Gouvernement, le déficit passera de 62,3 milliards en loi de finances initiale pour 2013 à 82,2 milliards en 2014 – 70,2 milliards si on exclut les investissements d’avenir. Je n’appelle pas cela une réduction du déficit ! Nous assistons donc bien simultanément à une augmentation des impôts et à une dégradation du solde budgétaire de l’État.

Quant au débat sur la trajectoire, nous l’aurons dès l’examen des premiers amendements.

M. Dominique Lefebvre. La mise au point du rapporteur général était nécessaire, même s’il n’est pas opportun d’anticiper trop sur un débat que nous aurons forcément en séance publique.

L’acte budgétaire, monsieur le président, est un acte politique. Dans ce projet, le Gouvernement, qui sera soutenu par sa majorité, se donne un cap : la croissance de l’emploi, la compétitivité de l’économie française, le soutien au pouvoir d’achat. Je n’ai pas vu un tel cap dans le contre-budget qu’a présenté le groupe UMP – de façon malencontreuse dans cette même salle, qui devrait être réservée aux travaux collégiaux de la Commission. Il se résumait à un simple exercice comptable.

La loi de finances n’est justement pas qu’un exercice comptable : c’est un acte fort, porteur de choix politiques, et qui doit mettre en cohérence les politiques économique, budgétaire et sociale.

M. Nicolas Sansu. Un thème est resté absent dans les deux présentations, celle que le président a faite au nom de l’opposition et celle que le rapporteur général a effectuée en réponse : celui des exonérations fiscales et sociales, qui ne cessent d’augmenter. Ce budget est marqué par une confusion entre compétitivité et coût du travail, confusion dont les effets sur les finances publiques sont extrêmement importants. Ni M. Eckert, ni M. Carrez n’ont ainsi évoqué les 20 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE.

Dans ces conditions, le Gouvernement ne se donne pas d’autre choix que de diminuer certaines dépenses publiques parmi les plus utiles – comme les concours aux collectivités territoriales. Nous devons donc avoir un débat de fond sur les moyens de faire repartir notre industrie et notre économie sans forcément recourir aux exonérations fiscales et sociales.

La Commission en vient à l’examen des articles de la première partie du projet de loi de finances.

Article liminaire : Prévision de solde structurel et solde effectif de l’ensemble des administrations publiques de l’année 2014, de l’exécution 2012 et de la prévision d’exécution 2013

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques I-CF 49 de M. Hervé Mariton et I-CF 126 de Mme Marie-Christine Dalloz, ainsi que l’amendement I-CF 367 de M. Charles de Courson.

M. Hervé Mariton. L’article liminaire, dont la nouveauté a été soulignée par le rapporteur général, est insincère, ce qui, compte tenu de l’importance que vous accordez aux notions de solde conjoncturel et de solde structurel, est particulièrement grave.

Au regard des analyses du Haut conseil des finances publiques, on observe dans le projet de loi une surévaluation des effets conjoncturels, d’autant plus commode qu’elle vous permet de sous-estimer la gravité de la situation structurelle et l’ampleur des efforts à réaliser.

Tout cela est en contradiction avec votre discours général sur l’évolution de la conjoncture. L’amélioration n’est certes pas contestable, mais elle reste modeste et résulte davantage du climat international que d’efforts structurels, que de toute façon vous ne réalisez pas.

Notre amendement propose des hypothèses plus vraisemblables. S’agissant du solde conjoncturel, la prévision d’exécution en 2013 serait ainsi ramenée à – 1,4 point de PIB à
– 1,2 point, et la prévision pour 2014 de – 1,8 point à – 1 point, tenant ainsi compte de l’amélioration de la conjoncture. Quant au solde structurel, il serait dégradé d’autant.

Il vous est indispensable de masquer l’aggravation du déficit structurel pour mieux sous-estimer les efforts qu’il faudra consentir plus tard. Le pire est pourtant à venir, car vous avez une trajectoire à tenir. La probable modification de la loi de programmation des finances publiques ne suffira pas : vous êtes incapables de tenir les engagements pris auprès de nos partenaires européens.

M. le président Gilles Carrez. Le solde structurel est très important, mais le solde nominal l’est encore plus, car c’est lui qui détermine le niveau de notre endettement, et donc aussi nos conditions d’emprunt.

M. le rapporteur général. Avis défavorable. La loi de programmation des finances publiques adoptée l’an dernier prévoit que, pendant la durée de son application, le calcul du solde structurel est effectué à partir des hypothèses qu’elle retient. Le Gouvernement ne peut donc pas les modifier, même si la façon d’évaluer la croissance potentielle fait l’objet d’un débat récurrent.

De même, monsieur le président, le rapport entre solde structurel et solde nominal est un sujet complexe.

Mme Karine Berger. C’est la première fois que la commission des Finances aura à voter sur une prévision de solde structurel. L’examen de ce projet de loi de finances est donc l’occasion de basculer dans une nouvelle logique et de proposer une vision systématique et structurelle du financement de nos administrations publiques.

Nous allons donc enfin pouvoir discuter du niveau de croissance potentielle de notre pays. Or il ressort de votre amendement, monsieur Mariton, que vous évaluez cette croissance à moins de 1 % l’année prochaine.

Pourtant, lors de la précédente législature, vous n’avez jamais modifié l’hypothèse de croissance potentielle de la France – laquelle, en cinq ans, n’a jamais été inférieure à 1,5 %. Je voudrais donc bien comprendre quel événement peut justifier son effondrement, et comment cette croissance potentielle aurait pu passer, en seulement un an, de 1,5 % à 0,9 ou 0,8 %. Vous n’y croyez pas vous-même !

Le calcul que vous effectuez est de nature purement comptable. Et, pour le coup, c’est le résultat auquel vous parvenez en termes d’évolution du solde structurel qui est totalement insincère, puisqu’il repose sur une hypothèse fausse de croissance potentielle.

Je vous l’accorde, monsieur le président : il ne faut jamais perdre de vue le niveau du déficit nominal. Mais il est temps de s’intéresser sérieusement au déficit conjoncturel et au déficit structurel. La croissance potentielle est un vrai sujet, sur lequel il faut éviter de dire tout ce qui nous passe par la tête.

M. le président Gilles Carrez. Mme Berger a raison sur un point : c’est la première fois que nous sommes amenés à délibérer sur la notion de solde structurel.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, le débat est sérieux. L’écart entre solde effectif et solde structurel se creuse de manière inquiétante : passé de 0,9 point en 2012 à 1,5 point en 2013, il atteindrait 1,9 point en 2014 aux termes de cet article liminaire ! Comment l’expliquer ?

D’après l’exposé des motifs de l’article, les hypothèses de croissance potentielle retenues sont de 1,3 % en 2012, 1,4 % en 2013 et 1,5 % en 2014. Or, dans la loi de programmation, le Gouvernement se fondait sur une hypothèse de 2 à 2,5 % dès 2014. Voyez où l’on en est ! Précisons que la Commission européenne estime la croissance potentielle française à 1,1 % environ en 2014.

Quant au fond, la notion même de solde structurel a-t-elle encore un sens aujourd’hui, en situation de crise ? Le vrai problème n’est pas la croissance potentielle du pays, mais sa compétitivité : sans celle-ci, les capacités de production ne valent rien car elles ne peuvent pas être mobilisées.

Par provocation, et pour inciter à la réflexion, notre amendement tend donc à inscrire dans l’article liminaire que la différence entre le solde structurel et le solde effectif ne résulte que des mesures exceptionnelles, lesquelles se monteront à 0,1 point l’an prochain. Dès lors, pour un solde structurel évalué à – 3,5 points, on arrive à un solde effectif de – 3,6 points. Je vous rappelle qu’il était prévu l’année dernière d’atteindre fin 2013 un solde effectif de
– 3,7 points. Il nous faut donc revoir la notion de solde structurel, qui ne me paraît plus avoir grand sens.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je suis entièrement d’accord avec MM. Mariton et de Courson.

Votre approche du déficit structurel témoigne de l’incohérence de la majorité. Comment accepter votre loi de programmation des finances publiques, qui nous engage fermement vis-à-vis de nos partenaires européens, et admettre la dérive manifeste que comporte ce projet de loi de finances pour 2014 ? Vous tentez de masquer cette incohérence par l’article liminaire qui pose les grands principes du déficit structurel. Il serait plus raisonnable de reconnaître la progression des dépenses entre 2012 et 2013, puis dans les prévisions pour 2014. Dans le budget d’une entreprise, on ne distingue pas le conjoncturel du structurel ! Nous sommes en déficit ; il serait bon de revenir à des principes lisibles.

M. le rapporteur général. Les principes qui régissent la rédaction de cet article liminaire ont été posés par la loi organique, votée à une très large majorité. Aux spécialistes, aux économistes de débattre de la croissance potentielle, de son sens et de ses différentes modalités de calcul, qui, sans faire passer le résultat du simple au double, peuvent entraîner, sur plusieurs années, une variation significative de l’écart entre le nominal et le structurel.

Le seul point sur lequel je rejoins paradoxalement Hervé Mariton est le suivant : il faudra en effet une nouvelle loi de programmation des finances publiques.

M. le président Gilles Carrez. Elle est d’ailleurs annoncée par le Gouvernement dans le rapport accompagnant le projet de loi de finances.

M. Hervé Mariton. Le rapporteur général n’a pas contesté notre analyse quant au fond, mais s’est contenté d’indiquer que le tableau correspondait aux hypothèses de la loi de programmation. Je prends acte de cette lucidité, que notre collègue Karine Berger est loin de partager. Que nous débattions par ailleurs de la croissance potentielle ne serait pas méprisable. Chiche ! Simplement, vos hypothèses de croissance potentielle et de déficit conjoncturel ne sont pas justifiées ici, comme l’a souligné le Haut conseil des finances publiques. Cela nous alerte, car la résorption du déficit structurel constitue une contrainte, à la fois interne et communautaire, à laquelle nous n’échapperons pas.

M. le rapporteur général. Ce que vous dites est faux : relisez donc l’avis du Haut conseil des finances publiques !

La Commission rejette les amendements identiques I-CF 49 et I-CF 126.

Puis elle rejette l’amendement I-CF 367.

Elle adopte ensuite l’article liminaire sans modification.

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE IER

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

I.– IMPÔTS ET RESSOURCES AUTORISÉS

A.– Autorisation de perception des impôts et produits

Article premier : Autorisation de percevoir les impôts existants

La Commission adopte l’article premier sans modification à l’unanimité.

B.– Mesures fiscales

Article 2 : Indexation du barème de l’impôt sur le revenu de l’année 2014 et revalorisation exceptionnelle de la décote

La Commission examine l’amendement I-CF 103 de M. Nicolas Sansu.

M. Nicolas Sansu. Je présenterai également nos amendements I-CF 104 et I-CF 105.

Nous, députés du Front de gauche, voulons un impôt beaucoup plus progressif, de manière à réduire les impôts indirects, en particulier la TVA qui a été augmentée pour financer le CICE – nous y reviendrons en séance publique.

L’amendement I-CF 103 tend à revenir sur le gel du barème de l’impôt sur le revenu qui s’est appliqué en 2011 et 2012, tout en abaissant le seuil de la tranche d’imposition à 45 % et en créant une nouvelle tranche à 50 % telle qu’il en existe dans de grandes démocraties voisines.

L’amendement I-CF 104 est un amendement de repli puisqu’il ne revient que sur le gel intervenu l’an dernier.

L’amendement I-CF 105 a quant à lui un caractère refondateur puisqu’il tend à instaurer un barème à neuf tranches tel que notre pays en a déjà connu. Il assure ainsi une architecture fiscale beaucoup plus progressive. Nous prenons le parti de défendre le pouvoir d’achat des plus modestes, ce qui serait de bon augure car, si je ne sais trop ce que valent le solde structurel ou le solde conjoncturel, il est certain que le solde électoral est en train de se dégrader pour la majorité !

M. le rapporteur général. L’absence d’indexation du barème l’an passé a été compensée, pour les contribuables les plus modestes, par une revalorisation de 9 % de la décote. L’article 2 procède à une nouvelle revalorisation de 5,8 % – soit 5 points de plus que l’inflation communément prévue – qui bénéficiera aux contribuables imposés jusqu’à 1 018 euros, ce qui correspond à 18 800 euros de revenu pour un célibataire et à 40 000 euros pour un couple avec deux enfants. Quant aux tranches les plus élevées, elles ont fait l’an dernier l’objet d’une vaste réforme incluant la création d’une tranche à 45 % et la « barémisation » des revenus du capital.

Je suis donc défavorable à une nouvelle modification du barème, dont la structure actuelle assure une progressivité de l’impôt suffisante. Vous voudriez que celle-ci soit plus marquée, mais ce niveau est celui que nous souhaitons retenir dans la présente loi de finances.

La Commission rejette successivement les amendements I-CF 103, I-CF 104 et I-CF 105.

Elle examine ensuite l’amendement I-CF 371 de M. Charles de Courson.

M. Philippe Vigier. Nous proposons ici de créer une tranche d’imposition supplémentaire à 50 % pour la fraction des revenus supérieure à 250 000 euros par part de quotient familial, et de supprimer en contrepartie la contribution exceptionnelle de 3 % ou 4 % sur les hauts revenus instaurée par la loi de finances pour 2012. Attachés à la progressivité de l’impôt, qui veut que ceux qui ont la chance d’avoir plus de ressources contribuent aussi davantage, nous ménageons toutefois une progression assez limitée par rapport à ce qui a été fait l’année dernière.

M. le rapporteur général. Avis défavorable.

La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus – instaurée, rappelons-le, par la précédente majorité en loi de finances initiale pour 2012, pèse sur le revenu fiscal de référence et s’applique à la plupart des ressources perçues par un foyer fiscal au cours d’une année, dont les revenus professionnels et les revenus et produits tirés du capital. La création d’une tranche supplémentaire que vous proposez serait loin de compenser sa suppression, dont le coût serait de 630 millions d’euros.

Grâce à une base d’imposition bien adaptée, la contribution exceptionnelle assure une progressivité qui nous paraît nécessaire et suffisante.

M. le président Gilles Carrez. Comme le rapporteur général l’a relevé en juillet dernier dans son rapport d’application de la loi fiscale, la contribution exceptionnelle a en effet rapporté 630 millions d’euros en 2012. C’est considérable. C’est d’ailleurs vous-même, monsieur de Courson, qui aviez proposé le taux de 4 % pour la fraction des revenus supérieure à 500 000 euros.

M. Charles de Courson. Notre amendement vise surtout à clarifier le barème en y intégrant les prélèvements exceptionnels que nous ne cessons de créer, pour l’impôt sur le revenu comme pour l’impôt sur les sociétés, et que nous avons trop tendance à pérenniser.

M. le président Gilles Carrez. Il est vrai que la contribution exceptionnelle est moins justifiée depuis que l’on a « barémisé » les revenus du patrimoine. Elle avait en effet l’avantage de s’appuyer sur le revenu fiscal de référence, éléments patrimoniaux compris, à l’époque où la barémisation ne concernait que les revenus du travail. Sans doute faudra-t-il donc réfléchir à une simplification.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques I-CF 54 de M. Hervé Mariton et I-CF 140 de Mme Marie-Christine Dalloz.

M. Hervé Mariton. Chaque fois que nous défendons la politique familiale, la majorité et le Gouvernement prétendent que nous défendons les familles aisées. C’est faux. En voici une nouvelle preuve : l’amendement I-CF 54 vise à défendre les familles modestes. L’augmentation de la décote permet d’éviter à des familles modestes d’entrer dans l’impôt sur le revenu ; on peut recevoir cette proposition, mais le fonctionnement même de la décote avantage les célibataires par rapport aux couples, et les célibataires comme les couples sans enfant par rapport aux ménages avec enfants. En d’autres termes, la décote n’est ni conjugalisée, ni familialisée. À niveau de vie comparable, un célibataire sera ainsi favorisé par sa majoration alors qu’un couple ou une famille n’en bénéficiera pas. Il y a là une injustice. Certes, nous aurions pu la relever plus tôt, mais il n’est pas interdit de s’améliorer !

Notre amendement devrait faire l’objet d’un large assentiment puisqu’il tend à conformer aux principes de conjugalisation et de familialisation, qui régissent notre système fiscal, le lissage de l’entrée dans l’impôt sur le revenu permis par la décote. La familialisation que nous proposons ne suffit pas, mais c’est une première étape.

M. le président Gilles Carrez. Le problème, que l’on peut négliger lorsque la décote est peu élevée, se pose d’autant plus qu’elle augmente.

Mme Marie-Christine Dalloz. La décote s’applique à l’impôt dû, une fois calculées les déductions qui résultent du nombre de parts. Elle ne prend donc pas en considération la composition du ménage. C’est tout le problème. Les bénéficiaires de la décote ne sont pas des familles aisées et il serait bon de tenir compte du nombre d’enfants qui les composent. C’est ce que permet l’augmentation proposée de 50 euros par enfant à charge, qui familialise la décote.

M. le rapporteur général. Mme Dalloz vient en réalité d’argumenter contre l’amendement. En effet, la familialisation ou la conjugalisation de l’impôt réside dans son mode de calcul. On peut les juger insuffisantes ou excessives ; nous en assumons en tout cas le principe, que personne ne songe à remettre en cause. La décote sert à lisser l’entrée dans le paiement de l’impôt, des mesures d’aménagement rendant cette entrée plus progressive.

De plus, alors que vous nous enjoignez de faire œuvre de simplification, vous proposez de rendre encore plus complexe le dispositif de décote déjà difficile à comprendre par Mme Michu – pour laquelle j’ai beaucoup de respect et dont je rappelle qu’il s’agit d’un personnage de Balzac !

Avis défavorable.

M. Jean-François Lamour. Mme Michu ne demande pas d’explications, monsieur le rapporteur général, elle ne demande qu’à payer l’impôt juste, c’est-à-dire celui qui tient compte de la composition de la famille, dont la décote fait abstraction. Peu lui importe la manière dont l’impôt est calculé par vous, par nous, par le ministère du budget ou par celui des finances ! Que le calcul soit plus ou moins complexe, de toute façon personne n’y comprend rien. Un peu plus de complexité pour un peu plus de justesse et de justice : voilà ce que nous vous proposons.

M. Hervé Mariton. Ce qui importe en effet à Mme Michu, ce n’est pas la simplicité, c’est de payer moins d’impôts. D’autre part, le système de la décote crée aujourd’hui un biais incontestable puisque, contrairement au principe de conjugalisation, il ne permet pas d’assurer l’équité, à revenu équivalent, entre un couple marié et deux personnes qui, vivant en couple, ne procèdent pas à une déclaration commune. C’est injuste. Comme l’a dit le président, plus la décote augmente, plus vous restreignez par le bas l’effet du quotient familial, non contents de l’écrêter.

M. Charles de Courson. L’amendement Mariton m’a d’abord séduit, mais je pense maintenant que notre collègue se trompe quant au fond. En effet, deux personnes vivant en couple qui, n’étant ni mariées ni pacsées, déposent deux déclarations séparées, ont le même revenu et, ayant deux enfants, en prennent chacun un sur leur déclaration, bénéficieront deux fois de la décote ; mais si, mariées ou pacsées, elles déposaient une déclaration commune, elles paieraient moins d’impôts grâce à la conjugalisation et à la familialisation du barème. C’est une double familialisation que propose en réalité notre collègue Mariton ! Je me permets de le dire, moi qui suis un vieux célibataire et qui ai toujours défendu la famille – il est vrai qu’il n’y a plus que les célibataires pour le faire !

M. le président Gilles Carrez. Il faudrait étudier le cas d’un couple ni marié ni pacsé, sans enfant et bénéficiant des mêmes revenus.

M. Hervé Mariton. Je retiens de ce débat que la majorité est défavorable aux couples modestes.

M. le président Gilles Carrez. Sans enfant !

M. Hervé Mariton. L’enfant peut venir !

La Commission rejette les amendements identiques I-CF 54 et I-CF 140.

Elle examine ensuite l’amendement I-CF 199 de Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Afin de soutenir le pouvoir d’achat des plus modestes, ce que nous souhaitons tous faire, cet amendement tend à revaloriser la décote de 7 % au lieu des 5,8 % proposés par le Gouvernement. Cela permettrait de mieux lisser l’entrée dans l’impôt sur le revenu des ménages aux revenus modestes. On dénombre en effet 840 000 contribuables de plus en 2013, alors que la décote a été revalorisée de 9 % dans le PLF pour 2013. Est-on sûr que le dégel et la décote actuelle suffisent à stabiliser le nombre de foyers imposables ?

M. le rapporteur général. L’année dernière, la décote a été revalorisée de 9 % pour tenir compte de l’effet de décisions souvent antérieures mais que nous n’avons pas remises en cause, disons-le clairement. Cette année, elle est revalorisée de 5 points de plus que l’inflation. Tout le monde s’accorde à dire que le déficit budgétaire ne se résorbe pas assez vite ; notre trajectoire nous permet de revaloriser la décote de 5,8 %, mais pas de 7 %. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement I-CF 479 de M. Dominique Lefebvre.

M. Dominique Lefebvre. Nous proposons de revaloriser de 4 %, bien au-delà de l’inflation, le revenu fiscal de référence utilisé pour l’application de nombreux régimes d’exonération de taxe d’habitation, de contribution pour l’audiovisuel public ou de prélèvements sociaux. Il convient en effet de revenir sur les conséquences des décisions prises par la précédente majorité, notamment le gel du barème, de la décote et du revenu fiscal de référence qui a fait entrer nombre de ménages dans l’impôt sur le revenu – effet partiellement atténué par la décote – et surtout dans l’imposition locale.

L’effet budgétaire de la mesure, d’environ 450 millions d’euros à terme, sera moindre en 2014 car les mécanismes d’exonération ou de taux réduit de CSG et de CRDS ne joueront qu’à partir de 2015, mais le dispositif n’en apporte pas moins 450 millions d’euros de pouvoir d’achat aux foyers qui se situent à la limite entre les 50 % de ménages les plus modestes, non imposés, et ceux qui commencent à payer l’impôt.

Cette mesure s’inscrit dans un dispositif global, constitué de quatre amendements déposés par l’ensemble des commissaires socialistes ; deux autres visent à favoriser de même le pouvoir d’achat : ils tendent l’un à supprimer l’article 4, l’autre à soumettre au taux réduit de TVA les travaux de rénovation énergétique. Et nous ne nous y contentons pas de gages formels !

M. le rapporteur général. Pour être parfaitement compris, cet amendement exige de la pédagogie. Depuis longtemps, beaucoup de nos concitoyens pensent qu’être non imposable – ce qui n’est d’ailleurs pas exactement équivalent à ne pas payer d’impôt sur le revenu – ouvre ipso facto droit à des exonérations ou des allégements de la redevance audiovisuelle, de la taxe foncière ou de la taxe d’habitation, ou bien encore à l’application d’un taux réduit de CSG, comme c’est le cas pour les retraités. Il y a deux ou trois ans, des administrés sont ainsi venus me voir en mairie pour s’étonner de devoir soudain s’acquitter de la redevance audiovisuelle, bien que non imposables. C’est tout simplement que leur revenu fiscal de référence, calculé par l’administration fiscale, dépassait le plafond au-dessus duquel il n’y a plus exonération. Il s’agit donc de bien faire comprendre que c’est le niveau de ce revenu fiscal de référence, et non le fait de ne pas payer d’impôt sur le revenu, qui donne, ou non, accès à la douzaine de dispositifs concernés.

Cet amendement, dont je suis cosignataire, vise à relever significativement le seuil du revenu fiscal de référence de façon à éviter à certains contribuables la double peine qui consisterait à devoir s’acquitter nouvellement de l’impôt sur le revenu mais aussi d’avoir à supporter des charges nouvelles dont ils étaient auparavant exonérés ou dégrevés.

D’après les nombreuses simulations qui ont été réalisées sur ce sujet, complexe puisqu’interférant avec la fiscalité locale, cet amendement produirait une économie d’impôt globale d’environ 450 millions d’euros pour l’ensemble de nos concitoyens, ce tous impôts confondus et éventuellement à cheval sur plusieurs exercices budgétaires. Quatre cent cinquante millions d’euros de pouvoir d’achat ainsi restitués, ce n’est pas rien !

L’an passé, le relèvement du plafond du revenu fiscal de référence, auquel nous avions également procédé par voie d’amendement, était passé relativement inaperçu. Cette année, nous le revalorisons de 4 %, ce qui devrait permettre de traiter les situations les plus difficiles, sur lesquelles on a légitimement appelé notre attention.

M. le président Gilles Carrez. Malheureusement, dans les statistiques dont nous disposons, la rubrique « foyers non imposables » regroupe les foyers effectivement non imposables mais aussi les foyers qui ne paient pas d’impôt sur le revenu. Avant que les niches fiscales n’aient été plafonnées, il pouvait arriver qu’un foyer dont le revenu s’élevait pourtant à plusieurs centaines de milliers d’euros, voie son impôt annulé en totalité par le seul jeu des niches. La plus grande prudence s’impose donc dans le maniement des chiffres.

M. Hervé Mariton. La majorité est conduite à présenter cet amendement pour réparer le mal que constitue l’alourdissement de l’imposition qu’elle a décidé.

Que le revenu fiscal de référence détermine ainsi l’accès à divers dispositifs sociaux et fiscaux crée de fait une trappe à pauvreté. Il est sans doute justifié, lorsque l’imposition s’alourdit, d’en relever le plafond afin de limiter les effets induits collatéralement, mais il conviendrait que la limitation de ces effets soit graduelle, de façon à ne pas enfermer certains foyers dans cette trappe à pauvreté.

M. Henri Emmanuelli. C’est votre majorité, lorsqu’elle était aux affaires, qui a élargi cette trappe !

M. Hervé Mariton. Non, c’est vous qui, par le dispositif que vous proposez, élevez une marche que trop de foyers n’auront pas intérêt à franchir.

Le problème soulevé est légitime ; la réponse que vous y apportez n’est pas bonne.

M. Charles de Courson. Je constate qu’une nouvelle fois, les gages proposés sont « bidons » puisqu’ils consistent à augmenter les droits sur les tabacs et alcools ! Ce n’est pas ainsi que l’on trouvera les 270 millions d’euros de pertes de recettes qu’il faudra compenser aux collectivités.

M. le président Gilles Carrez. Le produit est assuré pour les collectivités car il s’agit de dégrèvements.

M. Charles de Courson. Pourquoi est-il alors question dans l’amendement de « perte de recettes pour les collectivités territoriales » ?

M. le président Gilles Carrez. Si je puis me permettre de le dire à la place de notre collègue Dominique Lefebvre, ce gage a été prévu par précaution.

M. Charles de Courson. Cet amendement qui, quoi qu’on dise, ne sera pas neutre pour les collectivités, ne le sera pas non plus pour les comptes sociaux où manqueront, cette fois, 180 millions d’euros. Augmentera-t-on encore le prix du tabac, après l’augmentation déjà programmée à d’autres fins ? Vu l’état de nos finances publiques, il serait déraisonnable de voter un amendement dont le coût oscille entre 400 et 500 millions d’euros.

M. le président Gilles Carrez. Le gage est formel puisque, conformément à l’article 40, aucun amendement ayant pour effet d’occasionner des pertes de recettes publiques ne peut être accepté s’il n’est gagé. Je suis le premier conscient que gager un amendement sur les droits applicables au tabac relève d’un exercice assez virtuel d’acrobatie budgétaire, mais peut-être aurons-nous la surprise de voir le Gouvernement nous proposer en séance publique 470 millions d’euros d’économies supplémentaires !

M. le rapporteur général. Dominique Lefebvre l’a dit, le groupe socialiste va proposer un ensemble d’amendements permettant de trouver les recettes nécessaires au financement de ces mesures. Ce « paquet » est équilibré. Soyez rassuré, il n’y aura pas d’imprévu et le tabac n’augmentera pas du fait de cette mesure.

M. Nicolas Sansu. Nous sommes très favorables à l’esprit de cet amendement. J’ai toutefois une question concernant les collectivités territoriales. Il me semble que les pertes de recettes estimées entrent dans l’enveloppe normée de la dotation globale de fonctionnement (DGF) et des allocations compensatrices d’exonérations des impôts directs locaux. Si, comme il est prévu, l’enveloppe normée diminue d’un milliard et demi d’euros et que 270 millions doivent encore y être prélevés pour financer cette mesure, c’est au final de 1,77 milliard que cette enveloppe sera amputée.

M. le rapporteur général. La quasi-totalité des dégrèvements accordés en conséquence des dispositions votées dans la loi de finances est compensée aux collectivités. Seule la petite fraction des dégrèvements que ces collectivités peuvent elles-mêmes décider ne l’est pas. En 2014, selon l’évaluation préalable de l’article, pour l’augmentation de 0,8 % du RFR résultant de l’article 2, les dégrèvements accordés devraient se répartir en 10 millions d’euros non compensés, pour l’ensemble des collectivités, et 75 millions compensés par l’État.

M. Olivier Carré. À combien le Gouvernement avait-il estimé les économies procurées par le gel du plafond de revenu fiscal de référence ? Il serait intéressant de confronter l’évaluation faite à l’époque et celle de la dépense supplémentaire estimée aujourd’hui.

Comme l’a expliqué le ministre lors de son audition, en réponse à une question du président de notre Commission, l’augmentation du nombre de foyers fiscaux nouvellement redevables de l’impôt sur le revenu est liée bien davantage à la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires et à l’intégration des revenus des placements financiers dans l’assiette imposable qu’au gel du barème, largement compensé par la décote.

M. le rapporteur général. S’agissant des pertes de recettes de taxe d’habitation et de taxe foncière, les ordres de grandeur étaient les mêmes pour l’année 2012, avec 82 millions d’euros de gain issu de la non indexation du barème, dont 73 millions d’euros pour la taxe d’habitation et 9 millions pour la taxe foncière.

M. Alain Fauré. Si nous sommes obligés de déposer un tel amendement, c’est pour corriger les perfidies du budget pour 2012, voté en décembre 2011 – à une époque, monsieur Mariton, où vous apparteniez à la majorité !

M. Marc Le Fur. La dépense supplémentaire qui résultera de cet amendement est gagée pour partie « par la majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement », c’est-à-dire par la majoration d’une subvention de l’État aux collectivités. Je ne comprends donc pas comment il a pu être déclaré recevable au titre de l’article 40.

M. le président Gilles Carrez. Cela est tout à fait normal car la DGF est considérée comme un prélèvement sur recettes, et non comme une dépense.

La Commission adopte l’amendement I-CF 479.

Puis elle adopte l’article 2 ainsi modifié.

Après l’article 2

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 2. Elle examine d’abord l’amendement I-CF 235 de Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Nous aurions pu intituler cet amendement d’appel « amendement réforme Piketty ». Conformément à l’engagement pris par le Président de la République, nous proposons de fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG afin de rendre notre système fiscal plus lisible et plus juste, avec une imposition plus progressive et moins mitée par les niches fiscales. Il conviendrait pour cela, dans un premier temps, de supprimer l’impôt sur le revenu, trop mité pour pouvoir être réformé en l’état, puis de le basculer en totalité sur la CSG, dont l’assiette est plus large et plus juste, et enfin de rendre la CSG progressive. Ce serait de nature à restaurer la confiance dans notre système fiscal.

M. le rapporteur général. Les amendements d’appel sont toujours sympathiques et donnent toujours lieu à de longs débats. Pour autant, ce n’est ni M. Piketty, ni d’ailleurs le MEDEF, Les Échos ou la CFDT qui font la loi, mais les parlementaires et eux seuls. Substituer à l’impôt sur le revenu actuel une CSG réformée soulèverait de très nombreux problèmes. Le Gouvernement et la majorité, du moins certaines de ses composantes, sont disposés à réfléchir à leur rapprochement. Mais il faut rappeler que la CSG est perçue à la source sur les revenus, sans décalage, alors que l’impôt sur le revenu l’est avec un an de décalage ; que le taux de la CSG est identique pour tous, à l’exception de quelques rares taux réduits, alors que l’impôt sur le revenu est progressif ; enfin, que, contrairement à l’impôt sur le revenu, la CSG ne tient pas compte de la situation familiale.

Tout rapprochement entre CSG et impôt sur le revenu exigerait de lever plusieurs contraintes lourdes. Substituer à un impôt perçu avec un an de décalage un impôt prélevé immédiatement obligerait, l’année du basculement, à prévoir, soit une imposition double, soit une imposition nulle, sauf à étaler ce basculement sur plusieurs années – ce qui serait sans doute la solution choisie pour mettre en oeuvre cette réforme.

Mme Eva Sas. C’était un engagement du Président de la République.

M. le rapporteur général. Il demeure, mais c’est plutôt un objectif de deuxième partie de législature. Nous ne pouvons ainsi, au détour d’un amendement, modifier aussi radicalement notre système fiscal. Vous l’aurez compris, je suis défavorable à cet amendement.

M. Dominique Lefebvre. La vocation d’un amendement d’appel étant d’être soit retiré, soit rejeté, comme celui-ci ne sera vraisemblablement pas retiré, les commissaires socialistes voteront contre.

Toute réforme fiscale se heurte à des problèmes importants, qui se posent d’ailleurs à peu près dans les mêmes termes pour les entreprises et pour les ménages, les contraintes n’étant pas différentes. Dois-je rappeler l’extrême difficulté de mener une réforme fiscale à produit constant – nous aurons l’occasion d’y revenir à l’article 10 ? Chacun s’accordera à reconnaître qu’une réforme visant à établir une assiette large, peu susceptible d’optimisation, permettant à la fois d’instaurer de la progressivité et d’afficher des taux faibles, va dans le bon sens. Mais si cela se fait à produit constant, on redistribue. Les entreprises, comme l’ont fait savoir le MEDEF et l’AFEP, n’ont pas souhaité s’engager dans cette voie en 2014. Pour ce qui est des ménages, la progressivité de la CSG poserait également de redoutables problèmes politiques.

Pour le reste, compte tenu du rôle que j’ai joué auprès de Michel Rocard lors de l’instauration de la CSG, je suis toujours heureux qu’on en vante les mérites : assiette large, taux certes proportionnel mais il faut se souvenir qu’elle s’est substituée à des cotisations dégressives. Comme l’a souligné le rapporteur général, avant de basculer l’impôt sur le revenu sur la CSG, il faudrait régler le problème du prélèvement à la source et traiter la question, éminemment politique, de la familialisation de l’impôt. Une telle réforme, aussi bien pour les entreprises que pour les ménages, ne saurait être engagée que de façon progressive, dans la durée, et alors qu’on dispose de marges de manœuvre financières suffisantes.

Préparer le rapprochement des deux prélèvements suppose de continuer ce qui a été engagé depuis juin 2012, à savoir en finir avec le mitage de l’impôt sur le revenu. Il faut notamment supprimer les niches fiscales, dont chacune altère la progressivité de l’impôt. Or, je suis sûr, madame Sas, que lorsque nous en viendrons à l’article 4, l’unanimité se fera jour pour ne pas remettre en question certaine niche fiscale… Bref, ce n’est pas l’objectif que vous visez qui est critiquable, mais les moyens de l’atteindre.

M. Charles de Courson. L’engagement n° 14 du Président de la République est l’exemple même d’une idée folle quand on sait que l’assiette de la CSG est de 1 100 milliards d’euros contre 400 milliards pour l’impôt sur le revenu et que le produit de la première est de 90 milliards contre 55 milliards pour le second. Toutes les simulations montrent qu’une telle réforme occasionnerait des transferts considérables, pénalisant lourdement les familles car il sera impossible de familialiser la CSG.

M. Henri Emmanuelli et plusieurs autres commissaires du groupe SRC. Pas du tout !

M. le président Gilles Carrez. Même si elle ne pénalisait pas les familles, cette réforme provoquerait en tout état de cause des transferts massifs. Or aucune réforme fiscale entraînant des transferts n’est jamais bonne pour les gouvernements en place. En effet, ceux qui y gagnent se terrent et se taisent, tant d’ailleurs ils en sont parfois étonnés, tandis que ceux qui y perdent hurlent à la mort.

M. Charles de Courson. Ce sont les couches moyennes qui feraient les frais d’une telle réforme. Ne semez plus de telles idées folles !

M. Hervé Mariton. Cet amendement, qui reprend l’un des engagements extravagants du Président de la République, est cohérent avec la doctrine économique que défend M. Thomas Piketty. Reste à espérer que, d’ici à la fin du quinquennat, les conditions ne seront pas réunies pour qu’il soit mis en œuvre. Il aurait pour conséquence d’alourdir l’impôt de manière considérable pour les classes moyennes et les familles. M. Thomas Piketty l’assume d’ailleurs parfaitement, qui milite pour l’individualisation de l’impôt. Mais cela relève d’une vision totalement différente de la société.

Enfin, oui à la progressivité de l’impôt, mais jusqu’à un certain point seulement. Si des niches fiscales ont été créées, c’est aussi pour limiter l’extrême concentration et la très forte progressivité qui caractérisent aujourd’hui notre système fiscal. Sans doute est-on allé trop loin à cet égard et il était opportun de plafonner les niches. Mais la réforme proposée serait particulièrement néfaste. Elle est, hélas, cohérente avec la doctrine fiscale professée par certains de vos inspirateurs et avec certaines orientations fiscales qu’il est arrivé, non seulement aux élus Verts mais aussi socialistes, de défendre, et dont nous ne dirons jamais assez aux Français de se méfier.

M. Pascal Cherki. Le rapporteur général a raison, ce sont les parlementaires et eux seuls qui font la loi fiscale. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin pour rappeler par exemple qu’il n’appartient pas aux « pigeons » de dicter le régime d’imposition des plus-values de cession de valeurs mobilières non plus qu’à l’AFEP de décréter que la taxation de l’excédent brut d’exploitation n’est pas opportune. Mais il faudrait être cohérent ! On ne peut, d’un côté, céder à certains lobbies, particulièrement bien armés sur le plan idéologique, et de l’autre, rejeter sans autre forme de procès certaines réformes progressistes, au motif que nul ne devrait inspirer les parlementaires pour faire la loi.

L’amendement de notre collègue a le mérite de rouvrir le débat, inachevé, sur la progressivité de l’impôt. Beaucoup a déjà été fait depuis le début de la législature avec le rabotage des niches et la création d’une tranche d’imposition à 45 %. Mais nous ne sommes pas allés assez loin. Monsieur le rapporteur général, monsieur le président et messieurs les membres du bureau de la commission, quelle méthodologie proposez-vous pour que les commissaires aux finances non seulement se saisissent de ce sujet mais soient en mesure de formuler rapidement des propositions alternatives ?

M. Laurent Baumel. Il ne faudrait pas laisser croire que tous les commissaires aux finances socialistes accueilleraient défavorablement l’amendement de nos collègues Mme Sas et M. Alauzet. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il serait bon d’introduire une dose de progressivité dans le taux de CSG avant la toute fin du quinquennat. Avec un certain nombre de collègues, nous proposerons donc un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale qui rendrait la CSG progressive, sans avoir à la fusionner avec l’impôt sur le revenu. Cela paraît possible en évitant à la fois la censure du Conseil constitutionnel qui exige le maintien de la familialisation de l’impôt et les complications techniques qui pourraient résulter de l’obligation faite aux entreprises de collecter les données familiales de leurs salariés. Si le Parlement y tenait vraiment, il serait possible d’engager cette réforme sans retard. Ne la reportons pas indéfiniment au prétexte de difficultés techniques ou de problèmes d’inconstitutionnalité, tous arguments qui n’ont d’autre but que de dessaisir le Parlement de son droit d’initiative en matière fiscale.

M. Pierre-Alain Muet. Dans ce débat récurrent, mon point de vue est complètement opposé à celui de M. Mariton. J’ai toujours pensé que notre impôt sur le revenu était aberrant. Chez nos partenaires européens, il aboutit en moyenne à prélever 10 % des revenus contre 2,5 % chez nous, où il faut y ajouter la CSG – représentant 8 % du revenu – pour arriver au même taux, mais dans le cadre d’un dispositif mal construit, la CSG étant proportionnelle tandis que l’impôt sur le revenu, seul, est progressif.

En fusionnant ces deux impôts, nous nous rapprocherons de tous les autres pays européens, dont l’impôt est en général individualisé et où les charges familiales sont compensées, non par le quotient familial, mais par un crédit d’impôt ou par des abattements qui peuvent être proportionnels ou fixes.

Pour accomplir cette réforme essentielle, il y a deux méthodes : soit la « nuit du 4 août » que préconise M. Piketty, soit la démarche progressive que M. Didier Migaud recommandait dans un rapport parlementaire de 2008 et que j’ai décrite dans Un impôt citoyen pour une société plus juste. Je crois que la réforme est réalisable en quatre ou cinq ans. La difficulté principale tient à ce que la CSG est un impôt individualisé prélevé à la source tandis que l’impôt sur le revenu est prélevé ex post et familialisé. Pour la résoudre, la première étape consiste à supprimer des niches fiscales, ce que la gauche comme la droite ont commencé à faire, et de soumettre l’intégralité des revenus au barème, ce que nous avons fait l’an dernier.

Certes, comme le souligne le président Carrez, cette transition suppose que l’on soit dans une période de croissance afin que l’évolution des revenus apporte des compensations et des marges de manœuvre. Mais nous ne devons pas abandonner ce projet qui a un sens dans le quinquennat.

M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie pour ce rappel objectif des termes du débat.

M. le rapporteur général. Je l’ai dit et je le répète : la loi doit se faire au Parlement. Diverses assises ont eu lieu, comme celles de l’environnement et de l’entrepreneuriat, d’autres suivront, comme celles de la fiscalité des entreprises. J’ai rappelé fermement à différents ministres que ces derniers travaux ne doivent pas se dérouler sans nous. Il est hors de question que la commission des Finances ne soit pas associée à ces échanges, par ailleurs tout à fait légitimes, entre toutes les forces vives du pays. Et notre travail doit être à la hauteur de ce que nous exigeons : qu’il s’agisse de la fiscalité des entreprises ou du rapprochement entre la CSG et l’impôt sur le revenu, il nous faut apporter nous aussi nos contributions – sous la forme, par exemple, de rapports d’information ou de rapports du rapporteur général.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement I-CF 291 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Les niches fiscales écornent souvent la progressivité de l’impôt sans procurer toujours le bénéfice social escompté. Il arrive même qu’elles produisent des effets néfastes, notamment sur l’environnement. Leur « nettoyage », a-t-on dit, est un préalable au rapprochement entre CSG et impôt sur le revenu. Je propose par cet amendement de passer aux travaux pratiques.

Les propriétaires d'immeubles protégés au titre des monuments historiques, agréés par le ministère des finances ou labellisés par la Fondation du patrimoine, peuvent, sous certaines conditions, bénéficier de réductions de l'impôt sur le revenu pour les sommes qu'ils consacrent à la conservation de leur immeuble. Ainsi les dépenses d'entretien sont intégralement déductibles des impôts si le bâtiment est ouvert à la visite. Dans le cas contraire, elles sont déductibles à hauteur de 50 %. Ces dispositions semblent très excessives dans la période que nous vivons.

Mon amendement vise à revenir sur cette niche en ramenant la déduction de 100 % à 50 % lorsque le monument est ouvert à la visite et en la supprimant lorsqu’il ne l’est pas.

M. le rapporteur général. Cette niche est bien connue et donne lieu à des caricatures dans les deux sens. Il n’y a pas que des châteaux qui crouleraient sans ce dispositif fiscal, bien sûr, mais il n’y a pas non plus que des châteaux somptueux dont les propriétaires n’ont besoin d’aucune aide !

Je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre avec le dispositif actuel. Nous avons introduit notamment l’obligation, dans certaines conditions, d’ouvrir les monuments au public et nous avons récemment prévu que l’avantage ne pouvait s’appliquer qu’aux propriétaires s’engageant à conserver l’immeuble pendant au moins quinze ans. Pour éviter des dérives, nous avons aussi posé le principe de la détention directe de l’immeuble bénéficiant du dispositif et nous avons exclu sa mise en copropriété.

Le coût du dispositif est de 40 millions d’euros. C’est élevé, mais est-ce excessif pour créer les conditions de la préservation du patrimoine, que l’État seul ne peut pas assumer par des crédits budgétaires ? Je vous propose donc de retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président Gilles Carrez. Je souscris aux propos du rapporteur général. Le point d’équilibre qu’il évoque a été trouvé après le travail de notre Commission en 2008 pour limiter et plafonner des niches qui ne l’étaient pas. Les monuments historiques constituent le seul cas pour lequel nous avons admis la possibilité d’une déduction totale, sous réserve de l’ouverture au public. Il serait dommage de remettre en cause cet équilibre.

M. Éric Alauzet. La notion d’équilibre est subjective. La déduction de 100 % s’applique non seulement aux dépenses d’entretien et de réparation, mais aussi aux droits de succession. Où est l’équilibre ? Je maintiens mon amendement !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement I-CF 290 du même auteur.

M. Éric Alauzet. Cet amendement tend à réviser le barème de l’impôt sur le revenu. Il ne faudrait pas prendre prétexte du débat autour du « ras-le-bol fiscal » pour abandonner le travail approfondi que nous avons engagé en renonçant aux ajustements nécessaires. Aussi proposons-nous d’abaisser le seuil de la dernière tranche de 150 000 à 134 000 euros et de créer une nouvelle tranche d’imposition de 49 % au-delà de 200 000 euros.

Pour faire litière d’une confusion trop souvent commise et que certains entretiennent à dessein, je précise qu’un contribuable touchant, par exemple, 18 000 euros par mois ne serait imposé à 49 % que sur la part de ses revenus annuels qui excède 200 000 euros et non sur la totalité du montant déclaré.

M. le rapporteur général. Le Gouvernement et une grande partie de la majorité ne souhaitent pas modifier le barème prévu dans le PLF. Je rappelle que nous y avons déjà inclus différents revenus du capital, ce qui a sensiblement accru la progressivité de l’impôt.

Mais je partage totalement votre point de vue sur la nécessaire distinction entre taux réel et taux marginal d’imposition. Nous devons faire un effort de pédagogie à ce sujet.

Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement I-CF 202 de Mme Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. Cet amendement est satisfait par l’adoption de l’amendement I-CF 479, qui prévoit une revalorisation plus importante du revenu fiscal de référence. Je le retire.

L’amendement est retiré.

Article 3 : Abaissement du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial

La Commission est saisie des amendements identiques I-CF 4 de Mme Marie-Christine Dalloz, I-CF 6 de M. Marc Le Fur, I-CF 55 de M. Hervé Mariton, I-CF 108 de M. Nicolas Sansu, I-CF 194 de M. Xavier Bertrand et I-CF 372 de M. Charles de Courson, tendant à supprimer l’article 3.

Mme Marie-Christine Dalloz. Selon l’exposé des motifs de l’article 3, le Gouvernement procède à un nouvel abaissement du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial « afin d’assurer la pérennité du financement de la politique familiale ». Cela ne manque pas de sel de la part de ceux qui ont mis à bas la TVA sociale, instaurée précisément pour assurer cette pérennité !

Ensuite, au lieu de réfléchir aux fondements et à la mise en œuvre de la politique familiale, vous réduisez chaque année l’avantage tiré du quotient familial. Vous n’aimez pas les familles, soit, mais soyez au moins cohérents en matière de financement !

Pour ces raisons, je propose la suppression de l’article 3.

M. Marc Le Fur. Cet article remet en cause un des principes de base de l’impôt sur le revenu, le quotient familial. En effet, il ne faut pas seulement rapporter l’impôt sur le revenu aux recettes des contribuables, il faut aussi le rapporter à leurs charges, en particulier à leurs charges familiales. Je vous renvoie aux travaux de l’économiste M. Michel Godet, qui estime que le niveau de vie baisse en moyenne de 13 % avec l’arrivée du premier enfant et que les revenus des familles nombreuses sont inférieurs de 25 % à ceux des ménages sans enfant.

Contrairement à ce que pensent plusieurs collègues de gauche, le quotient familial n’est ni une exception, ni une dérogation, ni une niche fiscale : il est partie intégrante de notre conception de l’impôt sur le revenu.

D’autre part, il n’établit pas une solidarité entre familles aisées et familles modestes mais, à niveau égal, entre ceux qui n’ont pas de charges de famille et ceux qui en ont.

Dans l’hypothèse d’une adoption de l’article 3, l’impôt d’un célibataire ayant un enfant à charge et disposant de 75 000 euros de revenus annuels augmenterait de 1 138 euros, tandis que l’impôt d’un célibataire sans enfant n’augmenterait, à revenu égal, que de 138 euros. L’impôt sur l’enfant s’élève donc à 1 000 euros ! Pour un couple avec deux enfants, la différence par rapport à la hausse que subira un couple sans enfant est de 1 090 euros, soit 545 euros par enfant.

En touchant à l’un de ses principes constitutifs, nous modifions la conception même de l’impôt sur le revenu. La progressivité de l’impôt n’est concevable qu’avec le quotient familial, sans quoi elle produirait des effets redoutables. Si nous étions dans une logique de flat tax, la nécessité du quotient familial ne se ferait pas sentir avec la même acuité, mais tel n’est pas le cas. Vous êtes en train de rompre avec une conception de l’impôt qui nous a rassemblés pendant des décennies !

M. Hervé Mariton. Lorsque le Gouvernement cherche à mobiliser des ressources supplémentaires, c’est de préférence sur le dos des familles qu’il le fait ! On le voit ici avec l’abaissement du plafond du quotient familial, on le verra plus tard avec la fiscalisation des droits familiaux pris en compte pour la retraite.

Tout d’abord, le quotient familial n’est pas un « avantage ». En réponse à certaines tentations, le Conseil des prélèvements obligatoires et la commission des Finances sous la présidence de M. Didier Migaud y avaient bien insisté : ce n’est en aucune manière un avantage ou une niche fiscale, mais une modalité de calcul de l’impôt. Parler d’« avantage » est une manipulation délibérée.

Jusqu’où irez-vous ? La doctrine de M. Thomas Piketty, nous le savons, préconise l’individualisation de l’impôt et refuse sa conjugalisation et sa familialisation. Or, pour la deuxième année, vous abaissez le plafond des effets du quotient familial. Pour ma part, je considère qu’on ne devrait pas plafonner ce dispositif de justice et je regrette qu’une majorité précédente ait commencé à le faire. Même si Alfred Sauvy avait imaginé un mécanisme de division et de multiplication encore plus puissant, le système du quotient procède d’une vision juste de l’égale répartition de la contribution publique.

Vous prenez là une mesure lourde qui affectera 1,5 million de foyers. Et ce n’est pas parce que les familles très favorisées paieront une addition plus élevée qu’elle sera juste pour autant : l’impôt sur le revenu de nombreux Français de la classe moyenne connaîtra lui aussi une augmentation considérable. C’est grave et c’est injuste.

M. Nicolas Sansu. On ne peut découper ainsi la politique familiale en s’attaquant tantôt au quotient familial, tantôt aux cotisations de la branche famille. On a promis aux entreprises que la hausse de 0,3 % de leurs cotisations vieillesse sera compensée par une baisse de leur contribution à la branche famille. Il est donc clair que l’on organise, via le quotient familial, le transfert vers les familles de la charge assurée aujourd'hui par les entreprises.

Dans sa construction actuelle, la politique familiale est une composante du pacte social issu du Conseil national de la Résistance. S’il faut, comme je le pense, augmenter l’imposition des plus fortunés, il existe des moyens beaucoup plus simples que de toucher au quotient familial. La création d’une tranche supplémentaire, par exemple, permettra de récupérer des recettes sans entamer notre pacte social. Il n’est pas admissible de considérer le quotient familial comme une niche fiscale et sociale alors que l’on en crée de nouvelles par ailleurs !

M. Xavier Bertrand. Depuis plus d’un an, la liste des attaques en règle contre la famille ne cesse de s’allonger. L’article 3, dont nous demandons la suppression, s’inscrit dans le prolongement de cette logique folle.

Le débat n’est pas seulement budgétaire, il est aussi politique et philosophique. Nous n’acceptons pas cette remise en cause supplémentaire de la politique familiale. On peut bien s’esbaudir des chiffres de notre démographie, il ne faudra pas s’étonner si, au bout de cinq ans, notre pays rencontre les mêmes difficultés que ses voisins européens !

M. Charles de Courson. La justice fiscale ne consiste pas à traiter de la même façon des personnes qui ont les mêmes revenus mais qui n’ont pas les mêmes charges. Si l’on pousse l’évolution plus qu’esquissée par la majorité jusqu’à son terme, un couple sans enfant serait traité comme un couple avec enfants. Le plafond est descendu de 2 300 à 2 000 euros, on veut encore l’abaisser, pour le ramener à 1 500 euros. À la fin de la législature, le quotient familial n’existera plus !

D’autre part, le plafonnement actuel est maintenu pour les anciens combattants, pour les invalides, ou encore pour les personnes ayant à charge une personne handicapée. Pourquoi, à revenus équivalents, cette inégalité de traitement ? Où est la cohérence ?

M. le rapporteur général. Le Gouvernement a proposé cette mesure lorsque le débat s’est ouvert sur les moyens de préserver un financement équilibré des allocations familiales. Pour combler le déficit de la branche famille, qui s’élève à 2,6 milliards d’euros, certains suggéraient de placer sous conditions de ressources le versement des allocations familiales, d’autres de rendre imposables ces allocations. La solution retenue permet de dégager environ 1 milliard d’euros. Il s’agit d’un choix assumé, qui préserve l’universalité des allocations familiales conformément au souhait de la plupart des associations et à notre souhait à tous – l’idée étant qu’un enfant de riche coûte autant qu’un enfant de pauvre.

Contrairement à ce que vous affirmez, M. Le Fur, nous ne touchons pas au quotient familial, mais seulement au plafonnement du bénéfice maximal que le contribuable peut en tirer. Personne, ici, ne remet en cause la familialisation de l’impôt sur le revenu. Les chiffres que vous produisez sont exacts, mais vous pourrez aussi lire dans mon rapport que le décile des contribuables les plus riches perçoit 30 % des 12 381 millions d’euros de l’avantage procuré par le quotient familial, tandis que le décile des contribuables les plus pauvres n’en reçoit que 341 millions, soit moins de 3 %. Dans ce système, à l’évidence, un gosse de pauvre ne procure par le même avantage qu’un gosse de riche !

Enfin, il est facile de prendre des exemples caricaturaux, mais mon rapport indiquera les seuils – variables selon le nombre d’enfants – à partir desquels les contribuables seront progressivement touchés par le plafonnement du quotient familial. Pour ma part, n’ayant plus d’enfants à charge, je ne saurais être soupçonné d’un conflit d’intérêt !

S’agissant de la question – légitime – de monsieur de Courson, nous avons estimé que la demi-part supplémentaire accordée aux personnes atteintes d’un handicap ou aux anciens combattants ne devait pas subir de coup de rabot. Nous avons souhaité préserver l’avantage fiscal attaché à ces situations car avoir des enfants relève, aujourd’hui plus qu’autrefois, d’un choix ; le handicap, lui, est toujours subi.

Cela étant, je le répète, la réforme s’explique en premier lieu par le souci d’équilibrer la branche famille. Avis défavorable à l’ensemble des amendements de suppression.

M. Jean-Christophe Lagarde. La vigueur du renouvellement des générations constitue l’un des avantages compétitifs de la France pour les années à venir. Elle nous épargne pour le moment les difficultés qui attendent, notamment, notre principal partenaire, l’Allemagne. Mais cette mesure s’ajoute à toutes celles qui, par petites touches, sont déjà venues rogner notre politique familiale.

Pour trouver les 2 milliards d’euros nécessaires à la branche famille, le parti socialiste avait d’abord envisagé de placer les allocations familiales sous conditions de ressources. Mais devant la levée de boucliers des associations, le Gouvernement et sa majorité ont estimé qu’il serait moins douloureux de s’attaquer au quotient familial. Or cette mesure n’affectera pas uniquement les plus riches : dès lors, le fait que la naissance d’un premier enfant se solde par 1 000 euros d’impôt supplémentaire n’est pas anodin !

Monsieur le rapporteur général, comparer le premier et le dernier décile sert votre démonstration : les contribuables du dernier décile, qui paient le plus d’impôts, bénéficient forcément le plus de la défiscalisation liée à l’application du quotient familial ; au contraire, les revenus du premier décile sont massivement exonérés d’impôt. Mais entre ces deux extrêmes, l’abaissement du plafond du quotient familial frappera des contribuables déjà fragilisés par toute une série d’autres mesures.

Et si l’on veut réviser la politique familiale de la France – car c’est ce que vous faites, par petites touches –, il faut organiser un véritable débat sur cette question.

Enfin, vous n’avez pas répondu à la question essentielle qu’ont posée plusieurs de nos collègues : auparavant fixé à 2 300 euros, le plafond du quotient familial a été ramené à 2 000 euros l’an dernier, puis va l’être à 1 500 euros ; comment interpréter ces réductions ? S’agit-il uniquement de trouver les milliards manquants, et jusqu’où pourra-t-on pousser cette logique ? S’il manque 1,5 milliard l’an prochain, baisserez-vous le plafond à 1 000 euros ? Devant le manque de toute réflexion prospective et stratégique en la matière, je voterai la suppression de l’article.

M. Pierre-Alain Muet. Ne confondons pas quotient familial et politique familiale. Tous les pays tiennent compte de la composition des familles dans leur système d’imposition ; la plupart de nos voisins octroient un crédit d’impôt identique pour chaque enfant, quel que soit son rang, avec des subventions pratiquement aussi fortes que chez nous, mais qui n’augmentent pas avec le revenu.

À un système de quotient familial et d’allocations versées sous conditions de ressources, je préfère un crédit d’impôt et des allocations familiales universelles. Le rapporteur général a évoqué la progressivité du quotient familial, 3 % des sommes en jeu revenant au premier décile, 30 % au dernier. Mais lorsqu’on combine allocations familiales et quotient familial, on s’aperçoit que la courbe – plate sur les neuf premiers déciles, qui bénéficient de la même somme – monte d’un seul coup sur le dernier décile, qui reçoit quatre fois plus. Dans ces conditions, ne devrait-on pas instaurer un crédit d’impôt par enfant, tout en conservant des allocations familiales universelles ? La familialisation en serait simplifiée, comme dans la plupart des pays, et l’impôt pourrait même être individualisé.

Quant à la question de savoir jusqu’où nous comptons aller, je répondrai : jusqu’à atteindre le même montant d’aides à la famille par enfant, quel que soit le niveau du revenu. Ce système – adopté par la plupart des pays dotés d’une fiscalité moderne, comme l’Allemagne ou la Grande-Bretagne – n’a rien à voir avec l’idéologie ; il représente une solution juste, et finalement – si l’on considère l’effet cumulé des allocations familiales et du quotient familial – pas si éloigné de notre système actuel. L’aide à l’enfant ne devrait pas dépendre du revenu.

M. Laurent Baumel. Parler de débat philosophique, comme l’a fait M. Xavier Bertrand, revient à fétichiser le quotient familial, comme s’il représentait l’unique moyen d’une politique familiale. Or la combinaison de la progressivité de l’impôt et du quotient familial – cette manière particulière de traiter la politique familiale – amène à traiter un enfant des classes aisées mieux qu’un enfant des couches populaires. Au fil de l’histoire, on a créé une contradiction entre deux facettes de la justice : la redistribution sociale classique et la redistribution entre les familles en fonction du nombre d’enfants. Peut-on s’en satisfaire ? Pourquoi en faire une question idéologique, alors qu’il s’agit simplement de trouver une réforme de la politique familiale qui ne soit pas contradictoire avec des objectifs de justice sociale ?

Vos réflexions, monsieur Lagarde, – qui s’écartent de la défense idéologique du quotient familial en tant que tel –, méritent davantage d’être entendues. Pour ma part, tout comme M. Pierre-Alain Muet, je vois l’abaissement progressif du plafond comme une transition vers une réforme globale de l’impôt sur le revenu qui prendrait en compte l’enfant au moyen d’un crédit d’impôt forfaitaire.

M. Olivier Carré. Il s’agit d’un débat de fond. D’année en année, l’on voit le quotient familial s’amenuiser. Ce dispositif représentant le principal obstacle technique à la fusion entre l’impôt sur le revenu et la CSG, le jour où il aura disparu, ce passage sera simple à réaliser.

La politique familiale est loin de se résumer aux allocations familiales et au quotient familial ; elle repose aussi, par exemple, sur l’aide personnalisée au logement – APL – élément extrêmement important dont l’assiette est directement liée au revenu et à la composition de la famille. Tout un ensemble de dépenses sociales participent ainsi d’une logique globale. Pierre-Alain Muet propose une analyse intéressante ; mais pourquoi conduire cette réforme en catimini ? Le passage à un impôt moderne doit, certes, se faire dans la durée, mais avec un objectif bien défini et une analyse claire du mécanisme qui remplacera les dispositifs actuels.

En tant qu’élus locaux, nous sommes souvent sollicités pour venir en aide aux familles les plus modestes. Mais au-delà de cette catégorie, au-delà également des familles très aisées, c’est toute la masse des 60 % de nos compatriotes qui se situent dans ce qu’on appelle les classes moyennes – au niveau de revenu parfois un peu supérieur à la moyenne nationale – qui est touchée par cet ensemble de décisions. Notre Commission doit organiser un débat de fond, ouvert à nos collègues de la commission des affaires sociales, pour définir un système dont les principes ne seraient probablement pas très éloignés de ceux qu’a énoncés Pierre-Alain Muet.

M. Hervé Mariton. Si l’on va au bout du raisonnement du rapporteur général, l’APL devrait être versée à tous les foyers et l’ensemble des prestations familiales aujourd’hui soumises à des conditions de ressources ne devraient plus l’être.

Le quotient familial représente davantage une modalité de calcul de l’impôt qu’un simple élément de politique familiale. J’ai toujours regretté qu’on le défende dans une optique nataliste, car il constitue plutôt un élément de justice : suivant la logique de la solidarité horizontale, il convient qu’à niveau de vie comparable, le fait d’avoir des enfants ne soit pas trop pénalisant. Si je récuse les termes de coût ou de prix d’un enfant, les dépenses liées au mode de vie d’un enfant varient incontestablement avec le niveau de revenu des parents ; c’est la raison d’être même du quotient familial. En contester le principe revient à supposer que le « coût » d’un enfant est le même, quel que soit le revenu. Mais ce n’est évidemment pas le cas : les dépenses engendrées par la présence de l’enfant – parce que les personnes ne vivent pas au même endroit, n’habitent pas le même type de logement, n’ont pas le même niveau de vie – sont inégales. Votre vision – opposée au quotient familial, potentiellement favorable au crédit d’impôt – consiste à affirmer que tout cela ne concerne pas la République. La nôtre s’appuie pour sa part sur la solidarité horizontale entre foyers sans et avec enfants.

Enfin, le rapporteur général a prétendu que le fait de ne plus avoir d’enfants à charge l’affranchissait, dans ce débat, de tout conflit d’intérêt ; mais c’est précisément ce qui l’y expose !

M. Marc Le Fur. Les propos de nos collègues socialistes m’inquiètent plus encore que les propositions du Gouvernement ; substituer au quotient familial – rapporté au revenu – un forfait uniforme prenant la forme d’un crédit d’impôt, c’est-à-dire une seconde allocation familiale, contredit la logique même de notre politique familiale.

Monsieur le rapporteur général, lorsque vous avez dit, sans aller d’ailleurs au bout de votre logique, que, puisque les enfants sont choisis, c’est aux parents d’en assumer la charge, j’ose espérer que vous n’avez pas exprimé le fond de votre pensée !

Certes, puisqu’il est lié à l’impôt, le quotient familial bénéficie surtout, par définition, aux derniers déciles. Mais la politique familiale comprend trois dispositifs différents : le quotient familial – lié à l’impôt –, les allocations familiales – universelles et identiques pour tous –, et de multiples aides soumises à des conditions de ressources. Les sommes versées au titre de ces trois dispositifs sont comparables ; aujourd’hui, la CAF distribue moins d’allocations familiales – qui représentent quelque 46 ou 47 % de ses versements – que des prestations diverses soumises à des conditions de ressources. Pour une analyse cohérente, le tableau figurant en annexe de votre rapport, monsieur Eckert, devrait donc prendre en compte, non le seul l’impôt, mais l’ensemble de ces éléments.

Si le déficit de la branche famille impose de trouver des ressources, il est aberrant de le faire payer aux familles elles-mêmes – même un peu moins pauvres – au lieu de faire appel à la solidarité nationale pour partager l’effort entre les familles et ceux qui n’ont pas cette charge à assumer. Il est incongru de faire payer les familles aisées pour aider les familles modestes ; la politique familiale ne repose pas sur la solidarité entre les différentes familles, mais sur celle qui lie ceux qui sont soumis aux contraintes familiales et ceux qui ne le sont pas ou plus. Loin de représenter une annexe de la politique sociale, elle a son autonomie et sa cohérence propre.

M. Henri Emmanuelli. Les propos de M. Mariton et de ses collègues nous replongent dans un très vieux débat entre la gauche et la droite. Vous avez du quotient familial une vision censitaire qui voudrait que, plus on a de revenus, plus on bénéficie de ce genre d’avantage.

Je suis également choqué, messieurs les défenseurs de la politique familiale, que vous puissiez considérer un enfant comme une source de revenu. À côté du quotient familial et des allocations familiales, d’autres dispositifs aident à élever un enfant : les crèches, les garderies, la gratuité des études – cruciale quand on sait que chez nos voisins anglais, à Londres, un salaire sur deux dans une famille sert à payer les frais de scolarité. C’est tout cet ensemble qui constitue la politique familiale ; vouloir la réduire à un avantage pour les déciles supérieurs relève d’une caricature.

M. Dominique Lefebvre. Quelle que soit l’importance de ces questions, nous devrions accélérer la discussion des amendements. Nos désaccords fondamentaux ne doivent pas nous conduire à nous perdre dans un débat sans fin ; passons au vote et avançons.

M. Jean-François Lamour. Monsieur le rapporteur général, vous avez expliqué que cet abaissement du plafond était lié à votre volonté de réduire le déficit de la branche famille, que vous évaluez à 2,6 milliards d’euros. Or, comme l’a montré M. Marc Le Fur, ce n’est pas une répartition différente entre les familles qu’il faut aujourd’hui envisager. Puisque – comme l’a avoué M. Peillon – les caisses d’allocations familiales supporteront l’essentiel des coûts liés à la généralisation de l’aménagement des rythmes scolaires en 2014, nous proposerez-vous, pour le budget 2015, un nouvel abaissement du quotient familial ? Si ce n’est pas à la solidarité nationale de réduire le déficit, mais aux familles de s’aider les unes les autres, le quotient familial se trouvera réduit à néant à la fin de cette législature.

M. le rapporteur général. Monsieur Lagarde, le tableau auquel je faisais allusion ne prend en compte que les personnes qui bénéficient du quotient familial. Par conséquent, votre argument – évoquant un biais dû à la prise en considération de personnes qui n’en bénéficient pas – ne tient pas.

La Commission rejette les amendements de suppression.

Puis elle adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 : Suppression de la réduction d’impôt pour frais de scolarité

La Commission est saisie des amendements I-CF 7 de M. Marc Le Fur, I-CF 57 de M. Hervé Mariton, I-CF 109 de M. Nicolas Sansu, I-CF 142 de Mme Marie-Christine Dalloz, I-CF 197 de Mme Annick Girardin, I-CF 294 de M. Éric Alauzet, I-CF 373 de M. Charles de Courson et I-CF 478 de M. Dominique Lefebvre, tendant tous les huit à la suppression de l’article.

M. Marc Le Fur. Cet article confirme que cette loi de finances est hostile aux familles et, en l’espèce, à celles dont les enfants fréquentent le collège, le lycée ou l’université. Cette hostilité se manifeste en particulier à l’égard de familles qui ne reçoivent plus d’allocations familiales – versées jusqu’aux vingt ans de l’enfant seulement – et dont les enfants font des études supérieures. Nous sommes opposés à cette suppression des petits avantages dont bénéficient les familles d’enfants scolarisés. Mais des échos dans la presse semblent indiquer que nos collègues socialistes ont compris leur bévue et envisagent également de supprimer ou de modifier sensiblement cet article…

M. Hervé Mariton. Il s’agit en effet d’une nouvelle mesure dirigée contre la famille. Les élus de la majorité souhaitent effacer cette mauvaise idée, mais le fait même qu’elle ait été proposée représente un acte manqué révélateur de ce que la majorité est prête à imaginer.

M. Nicolas Sansu. Notre amendement est défendu.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’article constitue une nouvelle atteinte à la politique familiale. Je serai heureuse de vous voir faire volte-face, car cette mesure cadre mal – tant par ses implications idéologiques qu’en raison des conséquences financières qu’elle aurait pour les ménages – avec la volonté que vous affichez depuis dix-sept mois de donner la priorité à la jeunesse et à l’éducation. Il faut conserver une disposition fiscale qui profite aux jeunes.

Mme Annick Girardin. Il ne s’agit pas d’un acte manqué, mais d’un débat entre nous, dont nous saluons l’issue.

L’amendement I-CF 197 est défendu.

M. Éric Alauzet. Il en va ici de l’intérêt de 1 150 000 familles – chiffre considérable. Au risque d’agacer nos collègues de l’opposition, je dirai que, plutôt que de conserver deux dispositifs différents d’aide à l’enfant, on aurait dû abaisser un peu plus encore le plafond du quotient familial afin de ne pas toucher à la réduction d’impôt pour frais de scolarité.

M. Jean-Christophe Lagarde. Alors que le Gouvernement avait décidé l’abaissement du plafond du quotient familial et la suppression de la réduction d’impôt liée aux enfants scolarisés, il semble qu’un amendement déposé au terme de débats internes à la majorité revienne finalement sur cette deuxième mesure – ce qui permet maintenant à la majorité de se vanter d’avoir épargné les familles.

Si l’on en croit la presse, cette renonciation à la fiscalisation se fera au détriment de l’engagement pris par le Président de la République – après son élection, il est vrai – de réduire de 5,5 % à 5 % le taux réduit de la TVA. Il est curieux d’observer que la TVA, dénoncée par le candidat François Hollande comme l’impôt le plus antisocial, est finalement maintenue et que ses taux connaissent une augmentation globale. Vous avez supprimé dès le mois de juillet 2012 la TVA sociale, adoptée sous la précédente législature, qui visait principalement les produits d’importation et permettait notamment de combler le déficit de la politique familiale, puis vous avez imposé une augmentation – qui ne vise pas seulement les produits d’importation – pour financer votre politique. Votre amendement de suppression est l’aveu de votre intention de financer l’avantage pour enfant scolarisé par la TVA au taux minimal, qui restera de 5,5 % : après les discours anti-TVA de la campagne électorale, le Gouvernement pratique une improvisation fiscale permanente !

M. Dominique Lefebvre. Je le confirme : le groupe socialiste votera, avec l’amendement I-CF 478, la suppression de cet article.

Les propositions du Gouvernement visaient à assurer le maintien de l'universalité de la politique familiale et à venir en aide en priorité aux familles modestes – qui se définissent d'abord comme n'étant pas imposables. Ce dispositif avait sa cohérence, avec la suppression d'une niche fiscale qui bénéficie à tous les ménages indépendamment de leur revenu – ce qui n'est pas forcément justifié –, au profit de l'universalité de la politique familiale.

La suppression de la réduction d'impôt pour enfants étudiants avait pour objet de financer un effort considérable en faveur des bourses et répondait à une demande des jeunes, qui préfèrent toucher une bourse plutôt que de voir leurs parents bénéficier d’un avantage fiscal. Il s'agissait d’aider des familles qui, n’étant pas imposables, ne bénéficient pas de ce dispositif.

Du fait du caractère forfaitaire de ces réductions d'impôt, les familles relevant des premières tranches du barème auraient perdu le même avantage que celles qui relèvent des tranches supérieures. Compte tenu de la priorité donnée à l’éducation, la suppression proposée dans cet article n’a pas été comprise. Il nous faut donc financer autrement notre politique en matière de bourses. Mais, monsieur Lagarde, ce ne sera pas par le relèvement de la TVA. Le débat sur la TVA viendra cependant. L’année dernière, en effet, nous avons voté des taux en annonçant que nous procéderions à des redéploiements à enveloppe constante. Or nous allons faire mieux et le bilan global des mesures que nous proposerons sera une réduction du produit de la TVA par rapport à ce que nous avons voté l’an passé. Il ne faut donc pas confondre les sujets.

M. le rapporteur général. Avis favorable à ces amendements de suppression.

Mme Valérie Pécresse. Permettez-moi de revenir brièvement sur l'article 3. Le Gouvernement s'est engagé à ce que toutes les augmentations de la fiscalité pesant sur les familles aient pour contrepartie l'augmentation du nombre de places de crèche. Or ces places sont financées à 50 % par les communes, qui devront donc augmenter leurs impôts locaux. Le Gouvernement prend donc des engagements à crédit et les Français seront heureux d'apprendre que l'augmentation des impôts d'État aura pour conséquence une hausse des impôts locaux.

M. Pascal Cherki. La volée de bois vert que vient de recevoir le Gouvernement est imméritée. Certes, l'article 4 a été mal rédigé et n'aurait pas dû inclure dans une même disposition les frais de scolarité engagés pour les enfants scolarisés dans le secondaire et dans le supérieur, mais je rappelle que le Gouvernement a augmenté de 200 millions d'euros le financement des bourses, mesure qui bénéficiera à 100 000 personnes supplémentaires et touchera des catégories sociales pour lesquelles l’accès à l'enseignement supérieur est très difficile. Il n'est pas choquant que cette mesure de justice sociale ait pour contrepartie la suppression de l'avantage fiscal lié aux frais de scolarité des étudiants. La prise en compte des étudiants – qui sont majeurs – plutôt que celle de leurs familles est en outre une revendication constante des organisations syndicales étudiantes majoritaires.

La suppression de l'avantage fiscal lié aux frais de scolarité des lycéens et collégiens pouvait en revanche poser problème. C'est la raison pour laquelle nous voterons cet amendement de suppression. Le fait que le Gouvernement s’y soit mal pris d’un point de vue technique ne doit pas pour autant nous conduire à combattre sa philosophie en la matière.

M. Pascal Terrasse. Il n'est pas certain qu’en l’état, le dispositif de réduction d'impôt lié aux frais de scolarité soit efficace. Outre qu’il ne bénéficie qu’aux familles soumises à l'impôt sur le revenu, le montant qui lui est affecté est très modeste. Il reste que sa suppression a suscité des interrogations dans la population.

Chers collègues de l'opposition, qui critiquez le mode de préparation de ce budget, n'oubliez pas quel est le rôle d'un Parlement : le Gouvernement formule des propositions et le Parlement, à la différence peut-être de ce qui se produisait au cours des dix dernières années, n'est pas aux ordres et discute avec le Gouvernement. En l’occurrence, la majorité socialiste et écologiste a été entendue.

Il faut néanmoins, comme l'a souligné M. Cherki, que le Gouvernement approfondisse l'idée d'une revalorisation des bourses d’étudiant sur critères sociaux. C'est là un sujet majeur, en particulier pour les jeunes éloignés des centres urbains. Il conviendra donc de définir à cet effet des critères discriminants positifs.

Mme Monique Rabin. Madame Pécresse, votre intérêt pour le budget des collectivités locales n'est pas très cohérent avec le fait que la droite propose de faire participer ces dernières à l'effort de réforme à hauteur de 930 millions d'euros.

Je rappelle d’autre part que la défiscalisation des heures supplémentaires était financée par un emprunt de 5 milliards d'euros par an. Les promesses gratuites sont donc plutôt de votre côté que du nôtre.

M. Jean-Louis Gagnaire. Comme l’a déclaré M. Pierre-Alain Muet, ces amendements doivent être replacés dans la perspective d'une réflexion globale. À la différence de mon collègue parisien, j’estime que la charge la plus lourde est celle que supportent les familles dont les enfants font des études supérieures. Celles que nous recevons dans nos permanences se plaignent en particulier du coût du logement pour les jeunes étudiants. J’espère par conséquent que nous pourrons inscrire dans la loi sur le logement des mesures relatives à la colocation, car certaines familles doivent se porter caution solidaire sept ou huit fois, au fil des déplacements de leurs enfants.

Je me range néanmoins au consensus qui se dessine pour la suppression de l'article 4.

La Commission adopte les amendements identiques de suppression. En conséquence, l’article 4 est supprimé et l’amendement I-CF198 de Mme Annick Girardin n’a plus d’objet.

Article 5 : Suppression de l’exonération fiscale de la participation de l’employeur aux contrats collectifs de complémentaire santé

La Commission est saisie des amendements I-CF 8 de M. Marc Le Fur, I-CF 58 de M. Hervé Mariton, I-CF 110 de M. Nicolas Sansu et I-CF 374 de M. Charles de Courson, tendant tous les quatre à la suppression de l’article.

M. Hervé Mariton. L’article 5 prévoit de soumettre à l'impôt sur le revenu la participation financière des entreprises aux cotisations d'assurance complémentaire. Ce débat a été largement porté sur la place publique et, pour un grand nombre de nos concitoyens, l'intégration dans leurs revenus imposables de cet avantage en nature qui était jusqu'à présent défiscalisé se traduira par une augmentation d'impôt. Nous y sommes défavorables. Au surplus, alors que la politique de ces derniers mois va dans le sens d’une généralisation du recours aux assurances complémentaires, il n'est pas cohérent de pénaliser ainsi ces assurances pour certains salariés.

M. Marc Le Fur. M. Mariton a tout dit. La disparition de cette exonération se traduirait par une hausse de l’impôt de 90 à 150 euros par bénéficiaire. Cette mesure, qui est un mauvais signe adressé aux mutuelles et à la protection sociale en général, a donc aussi des conséquences très pénalisantes pour les personnes concernées.

M. Nicolas Sansu. Si le principe d'une fiscalisation et d'une socialisation de tous les revenus et avantages doit être la norme universelle, se pose néanmoins un problème de pouvoir d'achat. Le projet de loi de finances tend en effet à fiscaliser un avantage sans offrir de contrepartie aux salariés sous forme de hausse des salaires et du pouvoir d'achat. Nous proposons donc la suppression de cette disposition. Je rappelle à ce propos que la fiscalisation et la socialisation des heures supplémentaires, pour normale qu'elle soit, ne s'est pas accompagnée non plus d'une augmentation des salaires et du pouvoir d'achat et qu’elle a été, à juste titre, très mal ressentie. Oui donc à la fiscalisation et la socialisation de tous les revenus et avantages, mais attention au pouvoir d'achat des plus modestes !

M. Charles de Courson. Je ne comprends pas la logique du Gouvernement : après l'accord national interprofessionnel – ANI – et la généralisation de la complémentaire santé, que nous avons soutenus, il n’est pas cohérent de supprimer la défiscalisation de la participation de l’employeur à cette assurance. En termes de démocratie sociale, cet avantage était aussi, avant la généralisation, un moyen de récompenser ceux qui avaient conclu des accords d'entreprise, de branche ou de groupe.

Pourquoi, dans ces conditions, ne pas fiscaliser aussi les cotisations patronales en revenant sur leur déductibilité de l'impôt sur les sociétés ? Monsieur le rapporteur général, la participation des entreprises aux cotisations d’assurance complémentaire sera-t-elle également soumise aux cotisations sociales ?

Le groupe UDI est très hostile à cette mesure.

M. le rapporteur général. Monsieur de Courson, la participation de l’employeur est, sauf erreur de ma part, soumise à la CSG et à la CRDS, ainsi qu’au forfait social à hauteur de 8 %.

Je soutiens sans état d'âme la position du Gouvernement, car cette contribution est un revenu, qui doit être fiscalisé. Je m'étonne en outre que certains puissent à la fois défendre le principe selon lequel tous les revenus doivent être assujettis à l'impôt et demander la suppression de l'article 5.

Cette mesure induira cependant une différence de traitement entre les salariés du privé, qui relèveront tous à terme d’un accord collectif interprofessionnel, conformément à l’ANI, et qui pourront déduire de leurs revenus leur propre cotisation à une complémentaire santé, et d'autres catégories de Français, comme les fonctionnaires, les chômeurs et les retraités, qui ne le pourront pas. Il y a là une inégalité fondamentale. Nous savons bien, du reste, que les retraités que nous recevons dans nos permanences se plaignent que la cotisation à leur mutuelle, outre qu’elle est de plus en plus élevée et de facto quasi indispensable, ne soit pas défiscalisée. Ne pourrait-on parvenir, à coût égal, à une déductibilité partielle – qui sera déterminée par les ordinateurs de Bercy – et à un même traitement pour tous ? Il y a là une piste de réflexion d’avenir pour parvenir à plus d’équité et de justice.

M. le président Gilles Carrez. C’est à très juste titre que vous soulevez ce problème, monsieur le rapporteur général. Il y a là matière à une deuxième étape d’alignement.

M. Jean-Louis Gagnaire. Un amendement recevable aurait consisté à généraliser l'avantage. En l’état, il s’agit de rétablir un équilibre, même si celui-ci n'est pas satisfaisant, et je suis d'autant plus surpris de la proposition de nos collègues de l'opposition qu'ils ont fait la même chose en rendant imposable la contribution des collectivités locales aux cotisations retraite des élus locaux. Il faut fiscaliser l'ensemble des revenus si nous voulons avoir une vision claire des choses et assurer une certaine équité. Nous devrons, à cet égard, ouvrir rapidement le chantier proposé par le rapporteur général.

M. Alain Fauré. Puisqu'il s'agit d'un revenu et que la participation des entreprises est désormais obligatoire, ce revenu doit être fiscalisé. Il n'y a là rien de choquant et je suis surpris de constater que ceux mêmes qui déplorent que la dette se creuse et que les rentrées fiscales soient insuffisantes s'opposent à cette mesure.

Étant encore à la tête d’une entreprise, je ne suis pas gêné de ne plus bénéficier de cette exonération, car l'entreprise se doit aussi d'être citoyenne.

M. Étienne Blanc. Monsieur le rapporteur général, pouvez-vous nous confirmer que cette mesure s'appliquera aussi à la fonction publique territoriale, car le texte n'est pas très clair à cet égard ? En effet, un nombre croissant de collectivités prend en charge tout ou partie de cette assurance complémentaire pour les fonctionnaires territoriaux : cette somme s'ajoutera-t-elle à leurs revenus imposables ?

M. le rapporteur général. A priori, les fonctionnaires territoriaux n'entrent pas dans le champ de la mesure.

M. Étienne Blanc. Vous confirmez donc que la mesure s'applique au privé, et non au public.

M. Pascal Terrasse. Depuis plusieurs années s'exprime de la part de tous les gouvernements une tentation forte de transférer un certain nombre de prises en charge aux assurances complémentaires. De fait, ces assurances n’étant pas obligatoires, ces transferts contribuent à alléger les prélèvements obligatoires et, d’autre part, toutes les parties conviennent de la nécessité d'une maîtrise des cotisations sociales, renvoyant ainsi la charge de la dépense sociale, notamment sanitaire, vers les assurances complémentaires. Au regard de cette évolution, l’article 5 n’est pas sans soulever d'importantes interrogations.

L’accord national interprofessionnel a posé le principe d’une généralisation du recours à une assurance complémentaire. Le dispositif proposé dans le projet de loi de finances s'inscrit déjà dans ce cadre. Sans être opposé à la fiscalisation de ces avantages, j'aurais préféré un dispositif plus global, favorisant l'accès de tous, notamment des retraités et des fonctionnaires – et non des seuls salariés en activité – à une assurance complémentaire et préparant une définition plus large de ce que devront être demain ces assurances. Je regrette que ce ne soit pas le cas.

M. Dominique Lefebvre. Sur le principe, je rappelle que, comme le suivant, cet article 5 s’inscrit dans un dispositif plus général – pour celui-ci, la généralisation des complémentaires santé ; pour le suivant, la réforme des régimes de retraite. Il est donc très difficile de traiter un point indépendamment de l'ensemble, qui tend à l’équilibre.

Le problème juridique qui se pose ici tient à la qualification de « complément de revenu » attachée à la participation de l'employeur, alors que ce revenu n'est, en réalité, jamais perçu par l'intéressé. D’autre part, les collectivités locales mettent en place des complémentaires santé pour les fonctionnaires territoriaux – c’est le cas notamment de celle dont je suis membre, qui y consacre une enveloppe de 200 000 à 250 000 euros. Et la question pourrait même se poser, à tout prendre, d’intégrer dans les revenus des salariés les charges sociales payées par l'employeur pour couvrir le risque maladie ? La mesure proposée va dans le bon sens, mais il faut poursuivre le débat.

M. le président Gilles Carrez. Ne risquons-nous pas une rupture d’égalité ? De fait, l’abondement apporté par l’employeur sera intégré dans le revenu imposable pour les salariés des entreprises privées, mais ne le sera pas pour ceux des collectivités territoriales.

M. le rapporteur général. Avis défavorable sur ces amendements, même s’il est nécessaire d’approfondir le travail sur le texte, en liaison avec nos collègues de la commission des affaires sociales.

La Commission rejette les amendements de suppression.

Elle est saisie de l’amendement I-CF 361 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’article 5 vise à soumettre à l’impôt sur le revenu le complément de rémunération constitué par la prise en charge par l’employeur d’une partie des cotisations des contrats collectifs, assimilable à un avantage en nature, et dont le montant par salarié est estimé à 480 euros par an en moyenne par le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.

L’article va néanmoins au-delà de cet objectif, puisqu’il abaisse le plafond global de déductibilité fiscale des cotisations versées à l’ensemble des régimes de prévoyance et de santé complémentaire, ce qui pourrait conduire à réintégrer dans le revenu imposable la cotisation versée par le salarié à un régime de prévoyance complémentaire, pour un montant équivalent à celui de la contribution patronale à la complémentaire santé.

Cet amendement vise donc à mettre en cohérence la réduction du plafond de déductibilité des cotisations santé et prévoyance avec l’objectif annoncé, afin de taxer la seule part de la cotisation versée par l’employeur à une complémentaire santé.

M. le rapporteur général. L’article modifie le plafond en vigueur pour tenir compte du fait qu’il y a désormais moins d’éléments à y soumettre : les cotisations de l’employeur ne seront plus prises en compte. Le calcul qui a été effectué est certes peu global, mais il ne devrait pas aboutir, hormis quelques rares exceptions, à réduire l’avantage du bénéficiaire.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas la question que je pose. Ces assurances complémentaires comportent deux parties, une partie santé et une partie prévoyance. Dans votre esprit, la réduction du plafond s’applique-t-elle à la seule partie santé, ou aussi à la partie prévoyance ?

M. Pascal Terrasse. La difficulté vient de ce que les organismes de prévoyance proposent eux-mêmes une couverture complémentaire santé. Il existe donc des contrats qui cumulent la prévoyance, la couverture santé complémentaire, voire la prise en charge des jours de carence, ainsi que d’autres prestations – liées par exemple aux vacances ou au décès. Bref, ils offrent un « panier » de prestations. L’ensemble de ces avantages ne peut être pris en compte, sauf à accepter que la disposition en question fasse basculer un certain nombre de contribuables dans une tranche supérieure de l’impôt sur le revenu.

M. le rapporteur général. Il y a eu une adaptation proportionnelle des plafonds. L’identification des parts respectives de la santé et de la prévoyance dans la cotisation prise en compte peut poser dans certains cas des problèmes techniques, mais les organismes ne devraient pas avoir de difficultés à s’adapter.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 5 sans modification.

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Membres présents ou excusés

Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 9 octobre 2013 à 9 h 45

Présents. – M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Dominique Baert,
M. François Baroin, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger,
M. Xavier Bertrand, M. Étienne Blanc, M. Christophe Caresche, M. Olivier Carré,
M. Gilles Carrez, M. Christophe Castaner, M. Gaby Charroux, M. Jérôme Chartier,
M. Pascal Cherki, M. Alain Claeys, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Carole Delga, M. Jean-Louis Dumont,
M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré,
M. Marc Francina, M. Jean-Claude Fruteau, M. Jean-Louis Gagnaire, Mme Annick Girardin, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jean-Christophe Lagarde,
M. Jérôme Lambert, M. Jean-François Lamour, M. Jean Launay, M. Patrick Lebreton,
M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, M. Thierry Mandon, M. Hervé Mariton,
Mme Sandrine Mazetier, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon,
Mme Valérie Pécresse, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault,
Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu,
Mme Eva Sas, M. Pascal Terrasse, M. Gérard Terrier, M. Thomas Thévenoud,
Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier,
M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth

Excusés. – M. Olivier Dassault, M. Jean-François Mancel, M. Thierry Robert

Assistait également à la réunion. – M. Lionel Tardy

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