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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 15 janvier 2014

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 34

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Examen de la proposition de loi organique de Mmes Eva Sas, Barbara Pompili et M. François de Rugy et plusieurs de leurs collègues portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse (n° 1628) (Mme Eva Sas, rapporteure) 2

– Examen de la proposition de résolution européenne de MM. Jean-Jacques Urvoas, Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (n° 1658) (Mme Marietta Karamanli, rapporteure) 9

– Informations relatives à la Commission 12

La séance est ouverte à 10 heures 05.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine, sur le rapport de Mme Eva Sas, la proposition de loi organique de Mmes Eva Sas, Barbara Pompili et M. François de Rugy et plusieurs de leurs collègues portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse (n° 1628).

Mme Eva Sas, rapporteure. Cette proposition de loi organique vise à introduire une évaluation de l’ensemble des réformes présentées dans les principaux projets de loi à caractère financier au regard d’indicateurs de richesse distincts du produit intérieur brut (PIB) – variable dont la progression ne saurait constituer qu’un objectif intermédiaire. Ce texte permettrait d’évaluer notre politique économique et budgétaire à l’aune de ses véritables ambitions : l’amélioration de l’emploi et de la qualité de vie de nos concitoyens, ainsi que la soutenabilité de notre modèle de croissance, entendue comme la capacité de notre pays à répondre aux besoins du présent sans compromettre les chances des générations futures.

Il ne s’agit pas de contester le PIB, qui reste un indicateur essentiel de richesse de notre pays, mais de le désacraliser et de le mettre à sa juste place. En effet, les travaux menés dans ce domaine montrent que, malgré son caractère prépondérant, cette variable présente deux limites importantes : d’une part, elle ne témoigne que partiellement de l’évolution du bien-être de nos concitoyens ; d’autre part, elle ne prend pas en compte la soutenabilité des politiques menées, notamment en matière environnementale.

Les critiques relatives à la notion de PIB pour mesurer le bien-être et la soutenabilité ne sont pas nouvelles ; développées dans les années 1970 aux États-Unis par Nordhaus et Tobin, elles ont conduit les Nations unies et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à travailler sur une série de nouveaux indicateurs de richesse, dont le plus connu est sans doute l’indice synthétique de développement humain (IDH) créé, dans les années 1990, par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

Quelles sont les principales critiques faites au PIB, mises en exergue en France par Jean Gadray, Florence Jany-Catrice, Patrick Viveret et Dominique Méda ? En valorisant les biens et services marchands au regard du prix de marché, le PIB ne rend pas compte de l’amélioration de la qualité des produits ou des services rendus. Le PIB mesure les flux, et peut donc conduire à valoriser un accident ou des dégâts liés à une catastrophe naturelle en raison de la richesse créée par la reconstruction, sans évaluer les aspects négatifs de ces événements, comme le capital détruit. Le PIB ne prend pas en compte la répartition des nouvelles richesses créées, et donc les inégalités : en France, en 2011, le niveau de vie médian est resté stable alors que le taux de pauvreté a augmenté et le niveau de vie des plus riches a progressé. Enfin, le PIB est un indicateur de court terme qui ne prend pas en compte l’amélioration ou la dégradation du capital naturel et l’épuisement des ressources, et ne mesure donc pas la soutenabilité de nos politiques.

Depuis 2008, la France a engagé un grand débat pour améliorer les instruments de mesure de la richesse de notre pays – objectif qui a réuni un consensus au-delà des clivages partisans. La commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social a été installée en 2008 par le président de la République Nicolas Sarkozy. Les travaux de cette commission – présidée par Joseph E. Stiglitz et composée de spécialistes armés d’un large éventail de compétences allant de la comptabilité nationale à l’économie du changement climatique – furent éclairés par Amartya Sen et coordonnés par Jean-Paul Fitoussi. Les services nationaux de la statistique – l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et le service de l’observation et des statistiques du Commissariat général au développement durable (CGDD-SOeS) – comme l’Association des régions de France se sont depuis saisis de ses propositions pour élaborer une batterie de nouveaux indicateurs. De son côté, le Gouvernement en suit désormais plus d’une vingtaine dans le cadre de la stratégie nationale pour le développement durable 2010-2013. Une partie de ces indicateurs sont d’ailleurs commentés dans le rapport sur l’économie française, qui accompagne chaque année le projet de loi de finances, et repris dans le volet statistique du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances.

Les tableaux de bord de nouveaux indicateurs existent donc déjà, même s’ils doivent être améliorés ; l’objectif de cette proposition de loi n’est pas d’en produire un autre, mais de donner à ces variables la même visibilité que celle dont bénéficie le PIB. Pour cela, il nous est apparu nécessaire d’en exposer l’évolution au moment clé de la discussion budgétaire, dans l’exposé des motifs du projet de loi de finances, de façon à analyser l’impact des différentes réformes proposées sur ces indicateurs. Ce choix implique de modifier la présentation de la loi de finances et justifie le dépôt d’une proposition de loi organique, malgré les contraintes de cette procédure.

Il nous a également semblé indispensable de proposer des indicateurs synthétiques, seuls à même de constituer des vecteurs de communication comparables au PIB. Ainsi, faire apparaître que l’empreinte écologique d’un Français est de 2,7 Terres, c’est-à-dire excède de 2,7 fois la biocapacité par habitant de la Terre, offre un élément d’objectivation simple de l’épuisement des ressources produit par nos modes de vie. Ces indicateurs synthétiques ne s’opposent pas aux tableaux de bord d’indicateurs multiples, mais les complètent utilement. La présente proposition de loi organique propose donc d’évaluer l’impact global des réformes prévues par les principaux textes financiers à l’aune de quatre indicateurs de richesse, dont la définition est largement détaillée dans mon rapport : l’indice d’espérance de vie en bonne santé, l’indicateur de santé sociale, l’empreinte écologique et l’empreinte carbone.

Les auditions que j’ai menées avec les services de l’INSEE et de la direction générale du Trésor, ainsi qu’avec le cabinet du ministre de l’Économie, m’ont convaincue que cette proposition de loi organique pouvait être améliorée sur différents points. L’INSEE m’a ainsi démontré qu’il serait plus pertinent d’instaurer une évaluation des principales réformes à l’aune d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, sans toutefois spécifier ces derniers. En effet, sur le plan technique, les outils statistiques de l’INSEE ne lui permettraient pas, par exemple, d’évaluer, à ce jour, de manière pertinente l’indice de santé sociale – un indicateur composite combinant quatorze variables dont certaines ne sont plus mesurées ou le sont à des périodicités très différentes. De plus, l’INSEE m’a indiqué qu’une nouvelle commission était en cours d’installation pour définir les indicateurs les plus pertinents dans le cadre de la stratégie nationale de développement durable pour les années 2014 à 2020.

Nous estimons dès lors que, s’il est fondamental de disposer d’indicateurs synthétiques tels que l’indice de santé sociale ou l’empreinte écologique, il pourrait être plus prudent de ne pas définir, a priori, dans une loi organique, les variables à retenir, car les travaux de recherche sur ce sujet sont en constante évolution. Par ailleurs, les discussions menées avec l’INSEE et la direction générale du Trésor nous ont persuadés de la nécessité de produire une analyse rétrospective de ces indicateurs sur le long terme – dix à vingt ans –, et non sur trois ou quatre années seulement, comme le suggère le dernier alinéa du texte actuel.

Enfin, dès lors que le moment crucial pour apprécier et évaluer l’impact des réformes proposées à l’aune de ces nouveaux indicateurs est le débat budgétaire – la préparation du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale –, il serait plus juste, du point de vue strictement juridique, de modifier en ce sens la loi organique relative aux lois de finances plutôt que la loi organique relative à la programmation et la gouvernance des finances publiques.

Plusieurs amendements que je vous présenterai à la suite de la discussion générale cherchent à améliorer la proposition de loi organique suivant ces indications.

M. Jean-Frédéric Poisson. Chacun est conscient des limites du PIB, tant dans ses hypothèses que dans la manière dont il est construit. Cet indicateur central qui irrigue l’ensemble de nos réflexions impose une vision beaucoup trop quantitative de l’activité économique. Nous partageons l’analyse critique que vous en faites, en particulier au regard du paradoxe qui veut que, dans le cas d’un accident grave, on compte comme production de richesses l’activité déployée pour en réparer les conséquences, mais pas le capital détruit.

Deux questions nous préoccupent pourtant, que le débat devrait pouvoir éclairer. D’abord, malgré la pertinence des critiques émises tant par les économistes que par les sociologues, le PIB reste un indicateur partagé au niveau mondial. Beaucoup d’engagements internationaux – notamment européens – de notre pays, comme ceux issus du traité de Maastricht, sont fondés sur la reconnaissance de cette variable. Aussi la France ne peut-elle se permettre d’être le seul pays d’Europe à modifier aussi sensiblement la manière de calculer sa richesse.

De plus, certains indicateurs que vous proposez reposent sur des éléments sinon subjectifs, du moins qualitatifs, ce qui semble difficilement compatible avec la précision nécessaire en matière de calcul économique et de prévision, en particulier dans le cadre d’une loi organique qui touche à l’organisation de notre budget.

Étant donné ces réserves, le groupe UMP déterminera sa position en fonction du déroulement du débat. Pour emporter notre adhésion, le texte devrait néanmoins évoluer très nettement.

M. Jean Launay. Sur le fond, le groupe SRC approuve l’idée d’interroger les indicateurs de croissance afin de dépasser le seul critère du PIB. Les indicateurs de soutenabilité représentent ainsi le corollaire de l’inclusion du développement durable dans les politiques publiques. Sans aller jusqu’à passer du PIB au « bonheur national brut », il est nécessaire de déplacer le centre de gravité de la mesure statistique. Afin de ne pas en rester à la seule mesure de la production, il faut y inclure le progrès social, distinguer la production de richesses venant corriger les catastrophes et la production industrielle proprement dite, et tenir compte de l’objectif de réduction des inégalités qui reste au cœur de nos ambitions.

Sur la forme, pourtant, le texte me semble présenter une difficulté – sans doute surmontable. Vous avez fait le choix de formuler une proposition de loi organique, même si votre propos liminaire laisse entendre que vous avez conscience des contraintes que cela implique. Le débat technique devra aborder ce point.

L’objectif du groupe SRC est de trouver, avant la fin de la session ordinaire, les voies et les moyens d’approfondir ce sujet, afin que le projet de loi de finances pour 2015 puisse intégrer – par exemple au travers du rapport économique, social et financier prévu dans la loi organique relative aux lois de finances – de nouveaux indicateurs de richesse. Il nous faudra parvenir à un accord, que je souhaite le plus large possible, pour arriver à dépasser le seul indicateur du PIB.

M. Serge Bardy. Depuis novembre 2012, au sein de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, nous avons créé un groupe de travail sur les nouveaux indicateurs de richesse. Mais, si nous partageons les critiques du PIB qui viennent d’être exprimées, l’approche de la question – qui recoupe différents domaines – est nécessairement complexe. Ainsi, nous avons auditionné des responsables départementaux – notamment en Gironde – et internationaux, des statisticiens et des sociologues ; notre groupe de travail est aujourd’hui sollicité pour alimenter l’initiative à l’échelle européenne afin de préparer la prise en compte de nouveaux indicateurs, dans toute leur complexité. Il me semble donc important de retravailler ce sujet afin de parvenir à une lisibilité des indicateurs censés mesurer les inégalités ou la soutenabilité de nos politiques.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Si je trouve cette proposition – qui a le mérite de lancer le débat – à la fois sympathique et intéressante, je reste cependant perplexe devant la rédaction du texte et de l’amendement de la rapporteure qui réécrit l’article unique.

Outre sa longueur, le texte donne trop de place à l’« empreinte écologique » et aux « émissions de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre », alors que d’autres éléments écologiques mériteraient d’être mentionnés. Au total, il me semble préférable de s’en tenir à la notion de développement durable que propose l’amendement de Mme Sas ; sans trop entrer dans le détail, elle apparaît suffisante.

En revanche, la proposition de loi organique n’explicite pas le concept de « santé sociale » – assez neuf dans notre droit –, alors que des éléments de définition très intéressants – comme les « aspects relatifs au travail, aux revenus, à l’éducation, à la santé, au logement, à la sécurité » – figurent dans l’exposé des motifs. Il me semble d’ailleurs que cette définition devrait mentionner la qualité des services publics dans leur ensemble.

Je suis favorable à l’inclusion de ce type d’indicateurs dans la loi de programmation, sous réserve d’un débat plus approfondi et d’une rédaction à la fois plus précise et plus synthétique du texte.

Mme la rapporteure. Monsieur Poisson, il ne s’agit pas d’abandonner le PIB – variable qui permet des comparaisons internationales et un suivi européen – au profit d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, mais de combiner les deux. Je partage votre préoccupation quant au choix des indicateurs ; en effet, ceux-ci doivent être réalisables techniquement, légitimes et largement reconnus. Je pense néanmoins que nos amendements répondent à vos inquiétudes puisque nous retirons la liste des quatre indicateurs qui figurent dans la proposition de loi initiale au profit d’une formulation plus générale qui permettra de débattre ultérieurement, avec le Gouvernement, des indicateurs à retenir.

Monsieur Launay, nos amendements ne transforment pas la proposition de loi organique en proposition de loi ordinaire, à la fois parce que cela est interdit par le règlement de l’Assemblée nationale et parce que l’objectif de ce texte n’est pas de faire un tableau de bord de nouveaux indicateurs, mais de donner à ces derniers la même visibilité que celle dont bénéficie le PIB. Cela suppose un changement de présentation de la loi de finances, ce qui ne peut se faire qu’au travers d’une proposition de loi organique. Connaissant les problèmes que pose la présentation d’un texte de ce type, nous avons longuement réfléchi à la question ; malheureusement, il s’agit du seul vecteur possible pour parvenir à cet objectif.

Monsieur Bardy, le travail effectué au sein de la commission du Développement durable contribue à faire connaître les nouveaux indicateurs de richesse et à dégager un consensus quant au choix des plus pertinents d’entre eux. Grâce à nos amendements, ce travail pourra être pris en compte ; en effet, la proposition de loi modifiée ne statue pas sur les indicateurs à retenir et vos conclusions seront très utiles pour la suite à donner à ce texte sur le plan opérationnel.

Madame Bechtel, j’adhère à vos remarques ; mais là encore, nos amendements me semblent y répondre puisque nous abandonnons la liste des indicateurs au profit d’une formulation beaucoup plus générale.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique.

Article unique (art. 7 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012) : Introduction de nouveaux indicateurs de richesse

La Commission examine l’amendement CL1 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement, qui propose une nouvelle rédaction de l’article unique de la proposition de loi, tend à modifier l’article 51 de la loi organique relative aux lois de finances en vue de faire figurer dans l’exposé des motifs du projet de loi de finances une présentation globale des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires et aux dépenses publiques au regard d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable mentionnés dans le rapport économique, social et financier. Proposant de modifier directement la loi organique relative aux lois de finances plutôt que l’article 7 de la loi organique sur la gouvernance et la programmation des finances publiques qui modifie lui-même la loi organique relative aux lois de finances, cet amendement constitue donc une mesure de simplicité et de lisibilité.

L’objectif poursuivi est le même que celui de la proposition de loi organique initiale : amener le Gouvernement à présenter les réformes prévues dans les textes budgétaires au regard de nouveaux indicateurs de richesse que sont les indicateurs de qualité de vie et de développement durable, qui doivent, au-delà de la seule croissance du PIB, motiver à moyen terme nos politiques publiques.

À la suite des discussions fructueuses menées avec les services de l’INSEE et la direction générale du Trésor, il n’est plus proposé d’inscrire dans la loi organique les quatre indicateurs mentionnés dans la proposition de loi organique initiale, mais d’adopter une formulation plus générale, les indicateurs pouvant faire l’objet d’un débat. Cette démarche me semble répondre à vos préoccupations.

La modification proposée répond à des raisons techniques et à des raisons d’opportunité, car les travaux de recherche sur ces indicateurs sont en constante évolution et il n’y a donc pas lieu de figer dans la loi organique des indicateurs dont la pertinence relative pourra évoluer.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je n’ai pas obtenu tout à l’heure la précision que je demandais. Les indicateurs de qualité de vie incluent-ils clairement l’évolution des inégalités de revenus et la qualité des services publics ?

M. Jean-Frédéric Poisson. La question de la qualité des services publics illustre bien la difficulté de l’exercice, car nous ne pouvons peut-être pas l’évaluer autrement que par les dépenses correspondantes, à moins de nous entendre sur une mesure de l’efficacité de ces dépenses – c’est-à-dire sur des critères de réussite dont les débats liés au classement PISA, en matière d’éducation, montrent combien il est difficile d’en donner une définition. Je confirme donc que notre groupe est hésitant face à ce texte, y compris dans la nouvelle formulation proposée par l’amendement qui nous est proposé.

M. Jean Launay. Madame la rapporteure, pouvez-vous préciser la dernière proposition de l’amendement ?

Mme la rapporteure. Madame Bechtel, en évoquant les indicateurs de qualité de vie et de développement durable, nous adoptons une formulation assez large. Les inégalités sont déjà en partie couvertes par l’indicateur relatif à la distribution des revenus et figurent donc déjà dans le tableau de bord du rapport économique, social et financier. Je ne puis cependant vous répondre sur les indicateurs qui seront retenus à terme dans l’exposé des motifs des projets de loi de finances, car l’amendement proposé ne statue pas sur ce point.

C’est précisément pourquoi, monsieur Poisson, je suis étonnée de votre question. La commission Stiglitz a déjà fait nettement progresser le débat en dégageant un consensus sur certains indicateurs et le choix en la matière recoupe bien évidemment des choix politiques, mais, je le répète, la présente proposition de loi organique ne statue pas sur ces indicateurs, qui feront l’objet d’un autre débat.

Monsieur Launay, je vous rappelle que nous proposons d’introduire dans la loi organique relative aux lois de finances un alinéa prévoyant « une présentation globale des mesures nouvelles relatives aux prélèvements obligatoires et aux dépenses publiques au regard des indicateurs de qualité de vie et de développement durable analysés dans le rapport mentionné à l’article 50 ». L’exposé des motifs des projets de loi de finances comportera donc une analyse des mesures à l’aune d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, et le rapport une présentation détaillée de l’évolution de ces indicateurs et de l’impact des réformes proposées au regard de ces indicateurs. C’est là une manière de répondre à la double exigence de disposer d’une information à la fois synthétique et assez détaillée.

M. Jean Launay. Les amendements présentés, qui remettent fondamentalement en cause la présentation de la proposition de loi organique initiale, montrent bien que le débat n’est pas simple et doit être poursuivi. Pourquoi, monsieur le président, doit-il s’agir d’une proposition de loi organique ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Dès lors que la proposition de loi du groupe écologiste vise à modifier la loi organique relative aux lois de finances, il doit nécessairement s’agir d’une proposition de loi organique. Le Gouvernement, tout en comprenant cette démarche, s’est interrogé sur la nécessité de modifier la loi organique et a évoqué la transformation de cette proposition de loi organique en proposition de loi ordinaire. Cependant, le règlement de l’Assemblée nationale ne permet pas cette opération. Le groupe écologiste souhaitant utiliser sa niche parlementaire pour mettre ce texte à l’ordre du jour, le Gouvernement ne voit pas de raison de s’y opposer ni de la combattre sur le fond.

La Commission adopte l’amendement.

L’article unique est ainsi rédigé.

Après l’article unique

La Commission est saisie de l’amendement CL2 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à insérer dans le tome I du rapport économique, social et financier une évaluation qualitative détaillée de l’impact des réformes proposées en projet de loi de finances et en projet de loi de financement de la sécurité sociale au regard de l’évolution à moyen terme des indicateurs de qualité de vie et de développement durable figurant dans l’annexe statistique de ce rapport. Le Gouvernement disposera ainsi de plus de temps pour mener une analyse consciencieuse et détaillée de ce point. En effet, si le rapport économique, social et financier est traditionnellement annexé à la loi de finances, il est généralement déposé une semaine à dix jours plus tard que le projet de loi de finances – mais toujours avant le débat en séance publique. De même que ce rapport présente, pour chaque catégorie d’administration publique, les mesures proposées en projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale, il préciserait leur impact au regard de tout ou partie des indicateurs de qualité de vie et de développement durable que l’INSEE mesure déjà et qui figurent dans l’annexe statistique du rapport économique, social et financier. Cette analyse serait à la fois rétrospective, tenant compte de l’évolution desdits indicateurs sur les dix à vingt dernières années, et prospective pour apprécier l’impact à moyen terme de nos politiques publiques au regard de cet état des lieux.

Le rapport économique, social et financier changerait symboliquement de nom afin de mettre en valeur le changement de méthode proposé, consistant à rendre compte de l’impact de nos réformes budgétaires non seulement sur le plan financier, mais également sur les plans économique, social et surtout environnemental.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cet amendement me paraît superfétatoire compte tenu de l’obligation déjà faite au Gouvernement de présenter des études d’impact pour tous les projets de loi. Nous voterons donc contre.

Mme la rapporteure. Alors que les études d’impact sont réalisées article par article, il s’agit ici d’une évaluation globale des réformes proposées.

La Commission rejette l’amendement.

Titre

La Commission est saisie de l’amendement CL3 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement de conséquence tend à substituer aux mots : « à la programmation et à la gouvernance des finances publiques » les mots : « aux lois de finances ».

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle rejette l’ensemble de la proposition de loi organique modifiée.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Le groupe écologiste a fait connaître son intention d’inscrire cette proposition de loi organique à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Ce texte sera examiné la semaine prochaine en séance publique.

*

* *

Puis, la Commission examine, sur le rapport de Mme Marietta Karamanli, la proposition de résolution européenne de MM. Jean-Jacques Urvoas, Guy Geoffroy et Mme Marietta Karamanli sur la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (n° 1658).

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Lors de notre réunion du 4 décembre dernier, M. Guy Geoffroy, M. Jean-Jacques Urvoas et moi-même avons présenté une proposition de résolution européenne portant création du parquet européen, qui a été présentée devant notre Commission, puis adoptée par la commission des Affaires européennes.

Il s’agissait là d’une innovation procédurale, car, pour la première fois, une commission permanente prenait l’initiative d’une proposition de résolution. C’est là une démonstration de la volonté de notre Commission de s’impliquer davantage et plus directement que sous les précédentes législatures dans le contrôle des affaires européennes, en concertation avec la commission des Affaires européennes.

Le parquet européen est un sujet sur lequel notre intervention et notre vigilance, le plus en amont possible de la procédure d’adoption du futur règlement européen, sont particulièrement justifiées, car il concerne une prérogative régalienne située au cœur des compétences de la commission des Lois et dont la mise en œuvre pourrait d’ailleurs nécessiter une révision constitutionnelle.

Sans revenir en détail sur le contenu de la proposition de résolution, qui n’a pas été modifiée par la commission des Affaires européennes, je me contenterai d’en rappeler les points essentiels.

La résolution a d’abord pour objet de rappeler le soutien constant de l’Assemblée nationale à la création d’un parquet européen, soutien qui s’est exprimé notamment dans deux résolutions adoptées en 2003 et en 2011. Elle souligne cependant que plusieurs des modalités retenues par la Commission européenne ne nous paraissent pas satisfaisantes.

Elle rappelle également que l’Assemblée nationale souhaite que le parquet européen soit compétent en matière de lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et ne se limite pas à la seule protection des intérêts financiers de l’Union européenne. Les attentes des citoyens européens portent en effet davantage sur la lutte contre le terrorisme ou la traite des êtres humains que sur la fraude au budget européen.

La proposition de résolution souligne aussi que la compétence du parquet européen ne devrait pas être exclusive, mais partagée avec celle des autorités judiciaires des États membres. Je salue à ce propos la constance avec laquelle M. Guy Geoffroy a su réaffirmer cette préoccupation de collégialité à travers plusieurs législatures.

Plusieurs paragraphes de la proposition de résolution sont consacrés à la structure du parquet européen. Celui-ci devrait être institué sous une forme collégiale et composé de membres nationaux ancrés dans leurs systèmes judiciaires respectifs, élisant en leur sein un président, et non sous la forme, proposée par la Commission européenne, où un procureur européen unique serait assisté par de simples adjoints et par des délégués auxquels il adresserait ses instructions. Cette structure collégiale conférerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques des États membres et renforcerait ainsi son efficacité.

La proposition de résolution souligne également la faiblesse de la proposition de la Commission européenne en matière de contrôle juridictionnel des actes du parquet européen, qu’elle propose de confier exclusivement aux juridictions nationales, ainsi qu’en matière d’admissibilité des preuves et de prescription.

Cette proposition de règlement de la Commission a reçu un « carton jaune » de la part de quatorze chambres des parlements de l’Union européenne – dont le Sénat français –, qui l’ont jugée contraire au principe de subsidiarité. Notre choix est différent : même si nous sommes en désaccord avec certaines des modalités retenues par la Commission européenne, nous ne contestons nullement la plus-value de l’intervention de l’Union européenne sur ce sujet. Les difficultés soulevées ont donc trait à la proportionnalité, et non à la subsidiarité – il me semble important de ne pas confondre ces deux principes. L’interprétation faite par certains de la position du Sénat français, présenté comme hostile à la création d’un parquet européen alors qu’il y est favorable, montre qu’il n’est pas sans risque d’opter pour la voie de la subsidiarité et de se trouver ainsi aux côtés de chambres telles que la Chambre des Lords ou celle des Communes, car cette interprétation brouille le message.

Il s’agit pour nous d’acter cette résolution européenne. Nous continuerons à suivre de près ce dossier au titre de la veille européenne et nous vous présenterons régulièrement un état des lieux des négociations devant conduire, à terme, au déclenchement d’une coopération renforcée réactivant le débat sur le parquet européen.

M. Guy Geoffroy. Le dispositif de « veille européenne » que notre Commission a mis en place depuis le début de la législature n’a pas pour objet de nous opposer sur ces questions à la position de la commission des Affaires européennes, mais de créer une plus grande fluidité et d’assurer une anticipation bienvenue. À l’initiative de notre Commission, celle des Affaires européennes a ainsi repris ce dossier et a suivi les propositions issues de ses réflexions et des nôtres.

En deuxième lieu, je tiens à rappeler que notre Commission défend depuis plus de dix ans l’idée que la compétence du parquet européen ne saurait se limiter à la lutte contre les infractions contraires aux intérêts financiers de l’Union. Les gouvernements successifs de notre pays ont toujours repris à leur compte cette position et l’ont fait valoir avec des résultats parfois très intéressants.

En troisième lieu, comme toutes celles que nous avons prises depuis plus de dix ans, cette résolution insiste sur la collégialité qui prévaut pour Eurojust, avec une compétence partagée et non pas une compétence exclusive qui opposerait une tutelle européenne aux différents systèmes judiciaires européens. Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé nous ont confirmé que cette position est conforme aux souhaits du Gouvernement.

Je souligne enfin que le travail de cohérence que nous menons sur le long terme porte ses fruits, car il est reconnu comme étant en phase avec les positions du gouvernement français et il est pris au sérieux par la Commission européenne elle-même. Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, a ainsi acté le fait qu’il lui faudrait présenter une nouvelle proposition de règlement sur le sujet.

Je souhaite donc que cette proposition de résolution puisse être approuvée à l’unanimité par notre Commission, comme cela a toujours été le cas sur ce sujet.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Si l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour de l’Assemblée est demandée, elle sera examinée en séance publique. Si ce n’est pas le cas, elle sera réputée adoptée par l’Assemblée nationale. Comme l’a rappelé tout à l’heure la rapporteure, c’est la première fois qu’une commission permanente est à l’origine d’une telle proposition.

La Commission adopte la proposition de résolution à l’unanimité.

La séance est levée à onze heures.

Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Patrice Verchère, co-rapporteur sur la mise en application de la loi qui serait issue de l’adoption définitive du projet de loi relatif à la géolocalisation (sous réserve de sa transmission).

La Commission a ensuite procédé à la création d’une mission d’information sur la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin.

Elle a désigné MM. Daniel Gibbes et René Dosière, rapporteurs.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nathalie Appéré, M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Erwann Binet, M. Jean-Pierre Blazy, M. Jacques Bompard, M. Marcel Bonnot, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, Mme Pascale Crozon, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Marc Dolez, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Yann Galut, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Sébastien Huyghe, M. Armand Jung, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Jean Launay, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Bernard Lesterlin, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Jacques Pélissard, M. Edouard Philippe, M. Sébastien Pietrasanta, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Bernard Roman, Mme Eva Sas, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Carlos Da Silva, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Jean-Pierre Decool, M. René Dosière, Mme Laurence Dumont, M. Édouard Fritch, M. Daniel Gibbes, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Serge Bardy, M. Dino Cinieri