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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 30 avril 2014

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 52

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, Président

– Audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur

– Échanges de vues sur les travaux de la Commission

– Informations relatives à la Commission

La séance est ouverte à 11 heures 45.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l’audition de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous accueillons M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, que je remercie d’avoir accepté cette première invitation à la commission des Lois. Je suis certain que les rapports que la Commission établira avec vous, monsieur le ministre, seront empreints de respect mutuel et marqués par un désir partagé de faire progresser les idées auxquelles nous sommes tous ici attachés, quelle que soit notre appartenance politique.

En accord avec vous, nous consacrerons cette réunion au plan, présenté au conseil des ministres du 23 avril dernier, visant à lutter contre la dérive djihadiste de certains de nos ressortissants. Le sujet demeure d’ailleurs d’une grande actualité puisque, ce matin même, vous avez soumis au même conseil des ministres le décret transformant la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), mutation devant entrer en vigueur le 12 mai prochain cependant que la sous-direction à l’information générale deviendra le service central du renseignement territorial…

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Je vous remercie, monsieur le président, de votre accueil et tiens à assurer la Commission de mon entière disponibilité pour participer à tous les débats pour lesquels elle jugera ma présence nécessaire. Il importe en effet que le Parlement puisse exercer pleinement ses prérogatives de contrôle en interrogeant les ministres sur les sujets qui relèvent de leur compétence.

Le plan que le Gouvernement a adopté la semaine dernière pour lutter contre les groupes djihadistes engagés sur le théâtre syrien est issu d’un travail interministériel approfondi conduit sous l’égide de mon prédécesseur, qui avait proposé un ensemble de mesures devant le Conseil de défense du 24 mars dernier. Pour vous donner la mesure du problème posé, je commencerai par vous donner quelques chiffres : ce sont 285 de nos ressortissants qui se trouvent ou se sont trouvés sur le théâtre des opérations syrien, et leur nombre a crû d’environ 75 % au cours des six derniers mois ; 120 autres seraient en transit vers les lieux du conflit, au moins 25 auraient trouvé la mort à l’occasion des combats et une centaine seraient revenus sur le territoire national. En outre, 116 femmes et une trentaine de mineurs ont accompagné ces Français engagés en Syrie. Mais le phénomène n’est pas cantonné à la France : la plupart des pays de l’Union européenne constatent qu’un nombre croissant de leurs ressortissants s’engagent en Syrie dans des groupes djihadistes après s’être imprégnés d’une pensée radicalisée sur l’Internet. Dans certains pays, comme la Belgique, on recense même plus de cas par rapport à la population totale qu’en France, mais dans tous, l’augmentation du nombre des départs au cours de la période récente est sensible, et comparable à celle que nous avons nous-mêmes enregistrée.

Il s’avère que ces personnes – en France comme dans les autres pays européens – ont peu fréquenté les lieux de culte et sont bien souvent ignorantes des préceptes et des valeurs de l’islam ; elles souffrent de fragilités psychologiques et ont connu des processus de relégation ou de marginalisation qui leur ont fait perdre tout repère. Elles ont rencontré la violence sur l’Internet – vecteur principal, pour ne pas dire exclusif, de la propagande –, puis ont basculé dans le djihad. Tous les pays de l’Union cherchent donc à maîtriser les informations véhiculées sur la Toile, de manière à éradiquer le phénomène.

Je rappelle que, d’autre part, nous avons mené une action humanitaire et diplomatique afin d’assurer le respect du droit international et des droits de l’homme, et pour garantir l’assistance aux populations victimes de violences en Syrie. Il importe de faire en sorte que cette action menée en lien avec la communauté internationale et avec l’Union, face aux atrocités du régime de Bachar el-Assad, soit bien comprise de tous.

Les familles confrontées au basculement dans le djihad de l’un de leurs membres vivent un drame. Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, et moi-même avons rencontré certaines d’entre elles la semaine dernière ; elles nous ont fait part de la difficulté à détecter ces ruptures, car la propagande sur l’Internet conseille aux jeunes de dissimuler les préparatifs de départ et, même si cela conduit les intéressés à se renfermer sur eux-mêmes, la nature du danger n’est pas toujours perceptible pour les proches. Cependant, certaines familles se sont posé des questions qui auraient pu justifier un accompagnement ou la sollicitation d’un interlocuteur.

Ensuite, les communications avec les jeunes partis en Syrie sont coupées, ce qui nourrit l’inquiétude des familles. Certains meurent – une famille a ainsi perdu ses deux enfants – mais, pour les autres, il y a tout à craindre des effets du traumatisme psychologique né du contact avec une violence souvent d’une barbarie inimaginable. Lors de leur retour, il faut donc des mesures allant de la neutralisation de ceux qui peuvent porter atteinte à notre sécurité – nous ferons preuve sur ce point d’une extrême fermeté – à l’endiguement, spécialement en milieu carcéral, de la pensée radicale et violente.

Pour faire face à ce phénomène, le Gouvernement a arrêté un plan en trois volets.

Tout d’abord, nous souhaitons prévenir les départs, qui peuvent conduire à des situations difficilement réparables, sinon irréversibles. Pour les empêcher, nous devons mobiliser, au sein de l’Union et dans notre pays, des moyens qui peuvent impliquer des évolutions réglementaires ou législatives. S’agissant des mineurs, rétablir l’autorisation de sortie du territoire n’aurait aucune efficacité. Pourtant, nous devons nous mettre en mesure de retenir ceux qui se préparent à partir ou dont le comportement nous a été signalé par leur famille ou par nos services. Nous pouvons pour cela les inscrire au fichier des personnes recherchées et les signaler au service d’information de l’espace Schengen, en sorte qu’ils soient arrêtés aux frontières de l’Union. Nous avons souhaité que cette disposition soit mise en œuvre immédiatement après la présentation du plan en conseil des ministres, et une instruction a été signée à cet effet il y a quarante-huit heures. En ce qui concerne les majeurs, le même dispositif sera mis en place, mais cela nécessitera une mesure législative nous permettant d’aller, comme pour les mineurs, jusqu’au retrait du passeport – étant entendu que nous ne pouvons, en dehors d’une procédure de contrôle judiciaire, priver nos ressortissants de leur carte d’identité, qui suffit pour circuler au sein de l’espace Schengen.

En deuxième lieu, nous voulons lutter contre les filières djihadistes par une combinaison de mesures diverses mais qui, prises ensemble, devraient se révéler efficaces. Dans le respect du droit en vigueur mais en faisant preuve d’une grande détermination, nous expulserons les étrangers présents sur notre territoire qui seraient convaincus de participation à des activités de type terroriste, de propagande ou de recrutement de certains de nos compatriotes pour les envoyer sur le champ de bataille syrien. Pour ce faire, nous exploiterons les qualifications pénales existantes. Nous procéderons également au gel systématique des avoirs mal acquis ou appartenant à des groupes qui financent ces filières.

Comme l’enrôlement s’effectue grâce à l’Internet, une bonne connaissance de ce qui se déroule sur la Toile permettra d’identifier l’ensemble des acteurs impliqués dans ces opérations funestes pour les mettre hors d’état de nuire. Nous comptons sur la coopération étroite des services de nos partenaires européens, car le recoupement de nos informations avec celles dont ils disposent permettra de mieux confondre les auteurs, les recruteurs et les pourvoyeurs de haine sur l’Internet ; nous agirons ensuite auprès des opérateurs pour qu’ils « coupent » les discours, les vidéos et les images servant à l’endoctrinement. Le problème débordant le cadre européen, j’ai rencontré hier Mme Lisa Monaco, conseillère du président Obama sur ces sujets, afin que nous sollicitions ensemble les opérateurs.

Il est également crucial, pour pouvoir lancer des poursuites judiciaires, que nous pénétrions ces réseaux qui recrutent grâce aux forums, aux réseaux sociaux et autres multiples moyens de communication disponibles sur l’Internet. Cette partie du dispositif exigera l’adoption de mesures législatives pour permettre l’intervention de nos enquêteurs sous pseudonyme. De surcroît, afin de disposer du temps nécessaire pour conduire les enquêtes jusqu’à leur terme, nous proposerons au Parlement que les données recueillies par ce moyen ou grâce aux interceptions de sécurité puissent être conservées au-delà de dix jours et jusqu’à un mois, de manière à ce qu’elles puissent être exploitées de manière exhaustive, dans le respect rigoureux des libertés publiques et des textes en vigueur. Compte tenu de l’importance de ce travail en commun de nos services pour démanteler les filières intervenant sur l’Internet, je m’en entretiendrai dès cet après-midi, à Londres, avec mes homologues britannique, allemand et belge et, le 8 mai prochain, c’est l’ensemble des ministres de l’Intérieur des pays occidentaux qui se retrouveront pour élaborer un plan d’action global en la matière.

Troisième volet : nous souhaitons que les services de l’État accompagnent les proches plongés dans le désarroi qui solliciteraient une aide de la puissance publique. Pour ce faire, nous avons installé une plateforme Internet – hébergée par le site du ministère de l’Intérieur – et un numéro vert ; celui-ci a été mis en place ce matin et permet aux familles de contacter un fonctionnaire. J’ai également pris une instruction à destination des préfets pour organiser un accompagnement aussi proche que possible de ces familles, grâce à la mobilisation d’une diversité d’acteurs – relevant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de l’Éducation nationale ou du secteur social – aptes à prendre en charge de manière spécifique les difficultés auxquelles elles sont confrontées.

Empêcher les départs, démanteler les filières et agir de manière préventive : ces trois volets regroupent au total 23 mesures précises, mais susceptibles d’évoluer si nécessaire. Nous devons en effet, en lien avec nos partenaires européens, déployer de grandes capacités d’adaptation et de réaction afin de faire face à des situations ou à des comportements mouvants ou inédits et pouvant mobiliser des moyens sophistiqués, et il nous faut donc être prêts à engager à tout moment de nouvelles initiatives ou de nouvelles coopérations.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, le groupe UMP a, en 2012, apporté son soutien au renforcement de notre arsenal préventif et répressif proposé par votre prédécesseur pour combattre le terrorisme. C’est dans le même esprit de consensus et le même souci de l’intérêt général que nous interviendrons aujourd’hui dans cette discussion.

Le juge Marc Trévidic a publié récemment dans Le Figaro une tribune dans laquelle il s’interrogeait sur la pertinence de l’infraction large et collective – définie par la loi du 22 juillet 1996 – d’association de malfaiteurs en vue de la réalisation d’un acte terroriste pour combattre une menace qui est de plus en plus le fait d’individus solitaires. Le Gouvernement réfléchit-il à une évolution de cette incrimination afin de viser la préparation d’un acte terroriste isolé, caractérisée par un faisceau d’indices comme la consultation habituelle de pages Internet faisant l’apologie du terrorisme, l’acquisition de composants explosifs ou le repérage de cibles ?

Monsieur le ministre, vous jugez nécessaire de recourir à une mesure législative pour autoriser le travail sous pseudonyme de cyberpatrouilleurs chargés de s’infiltrer dans des conversations ayant lieu sur l’Internet ; la mesure, comparable à celle qui a été adoptée pour combattre la pédopornographie, relève en effet du domaine de la loi, mais n’en est-il pas de même s’agissant du blocage de l’accès aux sites ou aux pages glorifiant le terrorisme ? Notre majorité s’était posé la question lors de la discussion du projet de loi défendu par M. Michel Mercier, garde des Sceaux, à la toute fin du précédent quinquennat et nous avons abordé à nouveau ce sujet à la fin de 2012, à propos d’amendements déposés par le groupe UMP et rejetés par l’actuelle majorité. Obtenir des opérateurs qu’ils « coupent » les images et les vidéos de propagande, comme vous le souhaitez, me semble requérir une loi et le fait que le Conseil constitutionnel ait, en 2011, validé les mesures législatives de lutte contre la pédopornographie paraît confirmer ce point de vue.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, je vous félicite pour votre nomination. Le plan que vous nous présentez aujourd’hui concerne un sujet grave, qui doit nous rassembler. Les députés de l’opposition avaient d’ailleurs soutenu le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme adopté à la fin de 2012 à l’initiative de votre prédécesseur – un texte qui, soit dit en passant, reprenait nombre de dispositions du projet de loi présenté par la précédente majorité après l’affaire Merah, mais que le groupe socialiste du Sénat avait, hélas, refusé de soutenir. J’apporte donc mon soutien aux propositions que vous nous faites, car j’en approuve l’esprit et j’estime qu’elles vont toutes dans le bon sens, même si, à l’exception de la mise en place du numéro vert et de la plateforme de signalement sur Internet, elles comportent peu de dispositions nouvelles – ce que le directeur du Centre français de recherche sur le renseignement n’a pas manqué de souligner dans une récente interview à l’AFP.

Envisagez-vous l’adoption d’un nouveau texte législatif ? La loi du 21 décembre 2012 a prorogé jusqu’au 31 décembre 2015 l’application des dispositions de la loi antiterroriste de 2006. Bien entendu, il sera nécessaire de procéder le moment venu à une nouvelle prorogation ; ne pourrait-on en profiter pour revoir l’ensemble du dispositif de lutte contre le terrorisme, en particulier pour revenir sur la question de la consultation des sites Internet ? On sait que le prosélytisme en faveur du terrorisme passe prioritairement par cette voie. J’avais présenté en novembre 2012, avec Philippe Goujon et Guillaume Larrivé, un amendement tendant à créer un délit de consultation des sites Internet provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie – proposition qui était incluse dans le projet de loi déposé en avril 2012 par le gouvernement Fillon –, mais le Gouvernement a refusé de nous suivre. Une telle mesure serait utile, mais nécessiterait sans doute un vecteur législatif.

Conformément à la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance, des cellules de signalement ont déjà été mises en place par les conseils généraux, et elles se révèlent extrêmement utiles. C’est grâce à l’une d’entre elles que j’ai eu connaissance, en tant que président du conseil général des Alpes-Maritimes, de cinq cas d’enfants mineurs partis de Nice probablement pour mener le djihad : leurs familles avaient contacté les services de la protection de l’enfance. Une coordination avec les conseils généraux serait par conséquent utile – même si je sais la défiance du Gouvernement à l’égard de ces derniers…

Enfin, savez-vous pourquoi M. Valls a fait publier la circulaire du 20 novembre 2012 qui supprime l’autorisation de sortie de territoire pour les mineurs ?

M. Alain Tourret. Permettez au Normand que je suis d’exprimer son bonheur de voir un autre Normand occuper le poste de ministre de l’Intérieur ! Citant l’un de ses prédécesseurs, Clemenceau – « le Tigre » –, je lui dirai : « Ne craignez jamais de vous faire des ennemis. Si vous n’en avez pas, c’est que vous n’avez rien fait ! ».

Quelle qualification juridique donner à l’engagement des djihadistes ? Si l’on a la preuve qu’ils ont effectivement participé à des actions armées ou à des actes de guerre, doit-on considérer qu’il s’agit d’une tentative d’assassinat, voire, s’ils ont tué quelqu’un, d’un assassinat ? Jusqu’où peut-on et doit-on aller dans cette voie ? Durant la guerre d’Algérie, des poursuites étaient systématiquement engagées contre ceux qui passaient dans le camp du FLN, mais ces derniers étaient amenés à tirer sur les forces françaises : ce n’était pas tout à fait la même chose. Il n’en reste pas moins que l’on assiste actuellement à une internationalisation de la qualification de crimes – c’est notamment le cas en matière de viol. Jugeriez-vous utile, voire nécessaire, d’engager des poursuites sous de telles qualifications ? Pensez-vous qu’il est nécessaire de modifier la législation actuelle ou peut-on s’en contenter ? Quelles sont les instructions données à ce sujet par la garde des Sceaux et par vous-même ?

Mme Nathalie Nieson. Certains assimilent les méthodes d’endoctrinement des djihadistes à celles des sectes ; cela ne pourrait-il pas aider à qualifier juridiquement l’engagement djihadiste ou inspirer des campagnes de prévention ?

Vous avez dit que ce fléau touchait aussi d’autres pays européens, mais la France est-elle une cible privilégiée et si oui, pourquoi ? Serait-ce lié à l’arsenal législatif dont nous nous sommes dotés ?

Enfin, je suis heureuse que ce plan comporte un volet consacré à l’accompagnement des familles, qui ne sont que les victimes de ces situations.

M. Philippe Goujon. Votre plan va certes dans le bon sens, monsieur le ministre, et nous en attendons beaucoup. Toutefois, je pense qu’il serait nécessaire qu’il repose sur un support législatif, ne serait-ce que parce qu’il faudra prolonger en 2015 les dispositions de la loi de 2012 et inscrire un certain nombre de mesures dans le code pénal.

Guillaume Larrivé, Éric Ciotti et moi avions déposé en 2012 un amendement tendant à instituer un délit de consultation des sites Internet faisant l’apologie du terrorisme ; cela aurait permis de placer des personnes en garde à vue, de relever leur identité, de procéder à des auditions et d’obtenir ainsi une première évaluation de leur degré d’embrigadement. La création d’un tel délit est, je le rappelle, conforme au Mémorandum de Rabat, qui a été signé par les membres du Forum mondial contre le terrorisme – auquel la France appartient – et qui préconise la criminalisation des actes préparatoires. À l’époque, le Gouvernement avait rejeté l’amendement au motif qu’il préférait pouvoir détecter ces individus sans les alerter. Pouvez-vous nous dire, deux ans après, combien de personnes ont été ainsi identifiées et empêchées de nuire ?

Vous participerez cet après-midi à Londres à une réunion quadrilatérale consacrée à la lutte contre les filières djihadistes. Le Royaume-Uni est allé très loin dans sa législation et sa pratique antiterroristes : les djihadistes y sont arrêtés et interrogés à leur retour, et le Gouvernement britannique envisage de les interdire de territoire si la menace qu’ils représentent est sérieuse. Envisagez-vous de créer « un délit-obstacle faisant interdiction à un Français de combattre à l’étranger sans autorisation », comme le préconisent le juge Trévidic et le consultant international Jean-Charles Brisard ?

Pour dissimuler leurs déplacements aux autorités, de nombreux apprentis djihadistes partent en Turquie, où ils peuvent entrer sans visa, puis s’évanouissent dans la nature pour rejoindre la Syrie. Évoquant le dispositif de Schengen lors de son audition du 12 juillet 2012, votre prédécesseur avait reconnu qu’il y avait débat avec les autorités turques sur la question des visas, problème qui devait être réglé, avait-il dit, « en respectant le droit, mais sans angélisme ». Deux ans après, qu’en est-il ? Quelles dispositions envisagez-vous de prendre, en accord avec votre homologue turc, pour contrôler la frontière entre l’Union européenne et la Turquie ?

Mme Marie-Françoise Bechtel. Votre exposé, monsieur le ministre, nous concerne d’autant plus que vous avez souligné, tout comme votre prédécesseur, la nécessité de compléter le dispositif législatif, notamment afin que les services de police soient autorisés à infiltrer les sites Internet. Nous en étions restés au point où des problèmes constitutionnels faisaient obstacle à une intervention législative rapide ; les services du ministère de l’Intérieur devaient travailler sur la question. Êtes-vous aujourd’hui en mesure de nous dire dans quel délai une disposition législative pourrait être prise ?

Permettez-moi, puisque j’étais la rapporteure du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, de faire quelques commentaires sur les interventions des précédents orateurs.

Je dois dire, monsieur Larrivé, que la tribune du juge Trévidic en faveur d’une révision de l’infraction dite « d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste » m’a beaucoup étonnée ; en effet, lorsque nous l’avions auditionné dans le cadre de la préparation de mon rapport, il nous avait au contraire expliqué que la loi de 1996 qui définit cette infraction était remarquable par sa souplesse et son empirisme, qu’elle était souvent copiée à l’étranger et que nous n’avions aucune raison de la dénigrer. Je suis par conséquent surprise que l’on juge aujourd’hui nécessaire de définir l’acte isolé, alors qu’il soutenait à l’époque qu’une telle incrimination permettait d’en tenir compte. La réflexion aurait-elle évolué sur ce point ? Qu’en pense-t-on au ministère de l’Intérieur ?

La possibilité de bloquer l’accès aux sites Internet avait également été examinée par la Commission, des amendements ayant été déposés en ce sens ; mais nous avions considéré – à tort ou à raison – qu’une telle mesure serait contre-productive par rapport à l’objectif d’infiltrer ces sites. On ne peut pas faire les deux : il en est comme de boire ou conduire, il faut choisir !

Un délit de consultation des sites Internet faisant l’apologie du terrorisme serait malaisé à mettre en œuvre. Certaines personnes pouvant être amenées à les consulter de façon légitime, il faudrait que la loi prévoie des exceptions : je pense non seulement aux forces de sécurité, mais aussi aux chercheurs. Or comment définir un chercheur ? Je crains qu’il ne soit bien difficile d’aboutir à une disposition claire et efficace.

À l’époque, certains membres de la Commission avaient estimé qu’il fallait agir prioritairement contre la propagande ouverte, notamment dans les cours de récréation. Or il s’avère que le recrutement des djihadistes s’effectue dans le secret, via Internet, sans que les familles en soient informées. Il s’agit de méthodes de professionnels, beaucoup plus efficaces et bien plus dangereuses qu’une propagande faite aux yeux de tous – même si celle-ci, particulièrement choquante, mérite des actions appropriées, notamment au titre de la protection de l’enfance. Cela rend d’autant plus nécessaire une infiltration des sites par les services de police.

M. Georges Fenech. Je m’associe aux satisfactions et aux attentes exprimées par mes collègues.

On sait que le milieu pénitentiaire est un lieu d’endoctrinement, voire de recrutement, où sont tenus des discours radicaux. Votre ministère s’intéresse-t-il à ce qui s’y passe ? Mettez-vous en œuvre une politique de prévention ?

Puis-je me permettre de poser une question doublement hors sujet, puisqu’elle ne relève ni de votre ministère, ni de l’ordre du jour ?

M. le ministre. Oui, sauf si elle concerne le ministère des Sports… (Sourires.)

M. Georges Fenech. Il est prévu que notre Commission examine le projet de réforme pénale de Mme Taubira. Votre prédécesseur avait exprimé avec force ses désaccords et ses objections sur le texte proposé, allant jusqu’à solliciter l’arbitrage du président de la République. Ses craintes ont-elles été balayées ?

Une étude d’impact réalisée par la Chancellerie estime qu’environ 20 000 détenus pourraient bénéficier dans ce cadre de la fameuse « contrainte pénale » ; un détenu sur trois se retrouvera ainsi dans la nature dans l’année qui suivra l’adoption du texte. Avec quels moyens allez-vous contrôler cette population délinquante ? Est-ce pour vous une source de préoccupation ? Plus largement, quel est votre sentiment sur ce projet de loi ?

Mme Élisabeth Pochon. Seule une poignée de mineurs est partie en Syrie, mais notre République n’a pas à produire des enfants soldats, et encore moins des terroristes. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, j’ai rencontré des familles extrêmement inquiètes parce que leurs enfants leur échappaient. Ma longue expérience de conseillère principale d’éducation ne me fait pas partager le point de vue de Mme Bechtel : il existe aussi de la propagande en sous-main dans les établissements scolaires ; et même si l’Internet est l’interlocuteur principal, l’adhésion du jeune à un projet passera toujours par certains contacts personnels. Dans ce contexte, quel rôle la communauté éducative peut-elle jouer dans l’éducation des jeunes à l’usage de l’Internet et au fait religieux ? Comment la mobiliser pour qu’elle exerce une vigilance accrue, notamment en cas de modifications du comportement ?

D’autre part, même si le fait d’inscrire des jeunes au fichier de personnes recherchées peut être utile, que l’initiative vienne des familles pose problème. Il conviendrait de rassurer celles-ci sur les conséquences de leur démarche, car il n’est guère facile de « dénoncer » son enfant, même quand c’est pour garantir sa sécurité.

Les Britanniques envisagent de procéder au « désendoctrinement » des personnes suspectées de vouloir partir. Si une politique répressive est indispensable pour assurer la sécurité de notre territoire, nous devons avoir conscience que l’attitude de ces jeunes résulte d’une intégration sociale défaillante. Que pouvons-nous faire pour éviter ces départs sans retour et ces retours sans avenir ?

M. Pascal Terrasse. Je vous remercie de m’accueillir au sein de votre Commission. Si je prends la parole, c’est au titre de mes fonctions de secrétaire général parlementaire de l’Assemblée parlementaire de la francophonie. La question du terrorisme doit en effet être abordée de façon différente suivant les pays.

Si le fait que de jeunes mineurs quittent le territoire national pour aller défendre une cause pose bien évidemment problème, je tiens à rappeler qu’en ce qui concerne la Syrie, pays francophone, un certain nombre d’États, dont la France, considèrent plutôt d’un bon œil le combat contre le régime sanguinaire de Bachar el-Assad ; la France avait même envisagé à un moment d’intervenir, avec les États-Unis, pour mettre fin à ses exactions.

D’autre part, qu’en est-il des biens mal acquis ? Un nombre croissant de mouvements terroristes, notamment en Afrique subsaharienne, cachent, sous le couvert d’un engagement politique, des organisations mafieuses et des trafics d’armes, de femmes ou de drogue : ainsi, ces groupuscules soi-disant djihadistes originaires de Libye que l’on trouve aujourd’hui au Nigeria, au Niger, au Tchad, en République centrafricaine ou en République démocratique du Congo. Le même phénomène a été observé au Mali.

L’Europe – et la France en particulier – serait bien inspirée de réfléchir à une réponse juridique et diplomatique appropriée. Aujourd’hui, n’importe quel juge peut être saisi d’un dossier de bien mal acquis sans qu’il dispose de l’expérience ni de la subtilité diplomatique requises. Il serait bon qu’en liaison avec votre collègue des Affaires étrangères, vous dotiez la France d’une cellule spécialisée dans l’examen des dossiers ayant un caractère à la fois juridique et diplomatique. J’ai pour ma part très mal vécu l’incident survenu il y a quelques semaines, lorsqu’un responsable marocain a été contraint par la justice française de justifier sa venue dans notre pays ; je ne rappellerai pas les conséquences diplomatiques de cette affaire !

M. Jean-Frédéric Poisson. La lutte contre les filières de recrutement s’accompagne-t-elle d’un renforcement de la lutte contre les trafics qui les alimentent financièrement – non seulement dans les pays d’Afrique subsaharienne, mais aussi sur notre territoire ?

On dit que certains États accorderaient un soutien plus ou moins actif à des organisations de caractère djihadiste. Existe-il une coordination entre le ministère des Affaires étrangères et le vôtre pour analyser plus précisément la question et concevoir des opérations conjointes ?

Enfin, comme mon collègue Éric Ciotti, je voudrais savoir pourquoi l’autorisation de sortie de territoire pour les mineurs a été supprimée.

M. Patrice Verchère. Le sujet dont nous traitons aujourd’hui nous préoccupe tous et les groupes politiques qui composent notre assemblée sont unis dans la lutte contre le terrorisme. Il sera sans doute nécessaire de modifier notre arsenal juridique, probablement en allant au-delà de ce que vous avez proposé, mais il faudra en outre se doter de moyens humains et financiers importants si l’on veut mener une politique efficace – notamment en matière de cybersurveillance, comme le président Urvoas et moi l’avons souligné dans notre rapport d’information sur le cadre juridique applicable aux services de renseignement. Avez-vous une idée des moyens que le Gouvernement serait prêt à dégager ?

Pascal Terrasse a raison : les jeunes se font endoctriner via Internet, mais aussi, dans certains cas – notamment celui de la Syrie –, par ce qu’ils lisent ou voient dans les médias. On dit que l’on lutte contre un dictateur sanguinaire, ce qui est vrai, mais en oubliant de préciser que certains de ceux qui le combattent veulent instaurer une autre forme de dictature. Voilà qui me semble poser problème, bien plus qu’Internet ou que la propagande dans les cours d’école ! Il convient donc d’être particulièrement prudents dans nos prises de parole, et de faire en sorte que les discours de certains journalistes et politiques soient plus nuancés, car des jeunes pourraient être tentés de penser qu’ils s’en vont rejoindre les rangs des résistants ou des combattants de la liberté.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. J’insisterai à mon tour en faveur de la proposition de pénaliser la consultation régulière de sites faisant l’apologie du terrorisme, proposition que nous avions formulée par voie d’amendement au projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et dont nous avions débattu avec Mme Bechtel.

Le cas des parents informés mais démunis, s’il n’est pas le plus répandu, mérite néanmoins une attention particulière. Je songe par exemple au cas de parents séparés, le père tolérant le processus de radicalisation, voire l’accompagnant, quand la mère, avertie, s’y oppose. Lorsqu’ils viennent nous trouver, nous, élus, nous n’avons guère de solutions à leur proposer ni de protection à leur offrir. Ils en sont réduits à trouver eux-mêmes les moyens de saisir une autorité. Nous les renvoyons aux services de sécurité, qui ne peuvent pas faire grand-chose puisqu’il n’est pas interdit de consulter ces sites, non plus que de se rendre dans certains pays.

En outre, ces familles ignorent tout des suites qui seront données à leur démarche. En la matière, la puissance publique et la justice n’ont évidemment pas le même point de vue que des parents qui viennent dénoncer leur enfant. Comment pouvons-nous leur garantir que leur initiative servira à protéger ce dernier d’un risque plus grave que ceux auxquels elle l’expose ?

Dans un souci d’efficacité, ne devrions-nous pas nous préoccuper d’abord de ces personnes dont la radicalisation est connue de leur famille, plus faciles à rattraper que celles dont l’entourage ignore les agissements ?

Mme Sandrine Mazetier. Le financement des filières terroristes n’est pas uniquement d’origine mafieuse. À propos de coopération avec le Quai d’Orsay, ne serait-il pas bienvenu de revoir certaines conventions fiscales signées avant 2012 ? En effet, en vertu des règles de la haute courtoisie internationale, nous exonérons d’impôt les biens des dirigeants de certains pays et, parfois, de toute leur famille. Par cette bienveillance fiscale, ne favorisons-nous pas le financement de groupuscules extraordinairement dangereux ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Monsieur le ministre, comment se passe la collaboration entre la DGSE et la DCRI sur la question qui nous occupe ?

Vous avez dit que la situation se détériorait depuis six mois. Je vais me faire l’avocat du diable : la menace s’est-elle aggravée au point d’appeler de nouvelles dispositions législatives ? Les services n’ont-ils pas intérêt à la surestimer afin d’obtenir des moyens d’action supplémentaires, comme on peut le lire ici ou là ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Monsieur le président, l’augmentation du nombre de départs est un élément objectif. Mes contacts avec tous mes homologues au sein de l’Union le confirment, ce phénomène n’est pas limité à la France, mais s’étend à toute l’Europe ; il est d’ampleur comparable, voire supérieure, chez certains de nos voisins. En la matière, j’incline à m’appuyer sur nos services plutôt qu’à me méfier d’eux. Ils ont toute ma confiance. Ils effectuent un travail remarquable, nourri de leurs échanges avec leurs collègues européens et fondé sur une connaissance poussée, voire encyclopédique, du sujet. Grâce aux actions qu’ils ont menées ces derniers mois, nous sommes informés et à même de prendre les mesures adéquates.

Les relations entre la DCRI et la DGSE nous permettent-elles de connaître au mieux ces sujets et d’agir plus efficacement ? Oui. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 l’a dit, celui de 2013 l’a réaffirmé : la capacité d’anticipation et la mission de renseignement, gages de prévention des crises et de sécurité, constituent une préoccupation centrale de notre pays, par-delà les alternances politiques. Nos deux services échangent donc des informations, mais ont également décidé de mutualiser des moyens afin de faire mieux circuler ces informations et de les traiter conjointement.

S’agissant des préconisations du juge Trévidic, je serai pragmatique, monsieur Larrivé. La question qui se pose est la suivante : quel est le meilleur moyen, en droit, d’atteindre l’objectif poursuivi ? J’ai proposé au juge Trévidic que nous nous rencontrions, ce qui se fera prochainement, afin d’en discuter et de comprendre ce qui l’a conduit à évoluer par rapport à ses déclarations antérieures.

Voici ce que l’on peut d’ores et déjà dire à ce sujet. La législation française permet dès à présent de réprimer non seulement la commission, mais également la préparation d’actes de terrorisme, par le délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, passible de dix ans d’emprisonnement, qui couvre un très grand nombre d’activités et peut viser une pluralité d’acteurs dès lors qu’il est établi que l’individu concerné par la procédure a agi en lien avec d’autres.

Le juge Trévidic formule deux propositions. D’abord, puisque des actes de terrorisme peuvent être préparés par des individus isolés – c’est la théorie du « loup solitaire » –, serait assimilé à un acte terroriste le fait de préparer seul des actes de violence, dès lors que des éléments concordants témoignent de l’intention et de la capacité de les réaliser. Certains lui objectent que le délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste est suffisamment souple pour englober ces comportements et que l’on risque, en surlégiférant, de perdre en respect des libertés publiques sans gagner en efficacité. Sur ce point, je partage la préoccupation de Mme Bechtel. Mais je rencontrerai le juge afin de connaître l’analyse juridique précise qui motive sa proposition et d’en étudier le bien-fondé au regard des dispositions législatives existantes.

S’agissant de sa seconde proposition, je serai plus catégorique : l’interdiction à un Français d’aller combattre à l’étranger sans autorisation ne me paraît pas utile en droit. En effet, la loi du 21 décembre 2012 a introduit dans le code pénal l’article 113-13, qui permet d’appliquer la législation antiterroriste française aux actes commis à l’étranger par un ressortissant français ou par une personne résidant habituellement en France. En outre, les articles 436-1 et 436-3 relatifs au mercenariat répriment le fait de recruter des Français pour participer à des conflits armés à l’étranger, ainsi que la participation à de tels conflits moyennant rétribution ou avantage.

Monsieur Ciotti, monsieur Goujon, comme le comporte ma fonction, je prends connaissance de tout ce qui s’écrit et que la loi m’autorise à lire ! J’apprends ainsi que, selon vous, le plan anti-djihad du Gouvernement se réduirait à la création d’un numéro vert. Ce n’est pas exact. Notre plan inclut des dispositions législatives nouvelles, que je présenterai en conseil des ministres fin juin afin que le Parlement puisse en discuter au cours du second semestre. En effet, il est nécessaire de modifier la loi afin d’améliorer l’efficacité de notre arsenal.

Premièrement, à l’heure actuelle, les interceptions de sécurité et l’ensemble des données qui en résultent ne peuvent être conservées plus de dix jours, ce qui obère l’efficience des enquêtes visant à identifier et démanteler les groupes djihadistes. Nous proposerons de porter cette durée à un mois.

Deuxièmement, les cyberpatrouilleurs ne peuvent aujourd’hui être assurés de l’efficacité de leur intervention lorsqu’ils s’introduisent sous pseudonyme dans les forums de discussion djihadistes. Notre plan comporte une mesure qui leur permettra d’enquêter en ligne sous pseudonyme.

Troisièmement, des dispositions législatives sont nécessaires pour empêcher des personnes majeures de quitter le territoire national en les inscrivant au fichier des personnes recherchées et dans le système d’information Schengen, ce qui déclenche le processus de coopération européenne. Nous les inclurons dans notre plan.

Enfin, la loi permettra l’interconnexion à distance entre nos services, de manière à disposer de la palette d’informations la plus large possible.

Il s’agit bien de mesures nouvelles, qui vont s’articuler aux dispositions que vous avez adoptées en 2012. En outre, nous pourrions être amenés à les compléter d’ici à la présentation de la loi en conseil des ministres. En effet, la négociation européenne dans laquelle nous sommes engagés, et qui justifie mon déplacement à Londres ainsi que la réunion prévue le 8 mai, pourrait déboucher sur des propositions communes aux pays de l’Union et appelant une transcription législative.

Des dépêches de l’AFP ont relayé l’idée que nous ne pourrions poursuivre ceux qui reviennent du djihad parce qu’ils ont combattu le gouvernement d’Assad auquel nous sommes politiquement opposés. Cet argument n’est absolument pas valide en droit, notamment parce que la qualification pénale d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste englobe les actes visés.

Plusieurs d’entre vous ont parlé de « couper » les sites Internet illégaux. Ce geste est plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Sur ce point également, je suis d’accord avec Mme Bechtel. Nous devons nous assurer de l’efficacité technique de notre intervention, garantir une étanchéité totale, ce qui n’est pas toujours simple dès lors que les lieux d’émission sont lointains. Nathalie Kosciusko-Morizet, qui a été chargée des questions numériques au gouvernement, le sait bien. En outre, si nous y parvenions, les membres des réseaux djihadistes, réseaux internationaux, pourraient continuer de s’informer ailleurs tout en restant sur notre territoire, alors que nous nous priverions d’un moyen d’y détecter leur présence. Cela dit, le débat sur ce point est légitime et la présentation au Parlement des nouvelles dispositions législatives nous fournira certainement l’occasion de le poursuivre pour le mener à son terme.

Que M. Ciotti se rassure : nous avons bien l’intention d’associer les départements à notre action. Tel est le sens de l’instruction que j’ai adressée aux préfets.

Était-ce une bonne idée de supprimer l’autorisation de sortie du territoire ? À cette question, je répondrai par une autre : son maintien aurait-il empêché les départs ? En aucun cas, puisque les jeunes qui partent dissimulent à leurs parents leurs intentions, de sorte qu’aucune autorisation n’est établie et qu’il nous serait donc difficile de les détecter pour les inscrire au fichier des personnes recherchées et dans le système d’information Schengen. En revanche, les moyens dont nous disposons en matière de renseignement, joints à la mobilisation des familles, permettent de les empêcher de partir dès lors qu’ils sont identifiés – en effet, nous ne sommes pas seulement alertés par les parents, madame Pochon, mais aussi informés par le biais des enquêtes que nous menons.

Il est exact, madame Nieson, que les méthodes d’endoctrinement employées – manipulation, instrumentalisation de la faiblesse d’autrui – s’apparentent à celles des sectes. Il nous faut donc les décrire aux familles et à l’opinion publique, notamment en diffusant sur les réseaux sociaux un discours concurrent. Nous devons également expliquer l’action humanitaire que nous menons en Syrie avec la communauté internationale afin de protéger la population des violences de toutes natures et de toutes origines et de lui offrir des moyens de subsistance.

Monsieur Goujon, notre collaboration avec les autorités turques à la frontière de l’espace Schengen a été considérablement renforcée, et le sera encore en application des mesures nouvelles que je propose, afin d’arrêter à la frontière de l’Union ceux qui seront partis en dépit des dispositions visant à les en empêcher.

Monsieur Fenech, il est en effet essentiel d’agir en milieu pénitentiaire, où peut se diffuser la pensée radicale, ce qui constitue un préalable au basculement. Ces questions seront traitées dans le plan qui vous sera présenté au cours du second semestre ; elles feront l’objet d’une communication conjointe avec la garde des Sceaux, à l’instar, d’ailleurs, de la loi pénale. Sur ce dernier point, sur lequel il n’y a pas lieu de s’attarder aujourd’hui, les arbitrages ont été rendus, après que les ministres se sont parlé, par le président de la République et le Premier ministre de l’époque. Il en est résulté un équilibre qui doit assurer le bon fonctionnement de la chaîne pénale et permettre d’articuler l’action de la police à celle de la justice – ce qui vaut toujours mieux que de les opposer lorsqu’il s’agit de lutter contre la délinquance –, de manière à produire la réponse pénale la plus appropriée.

En ce qui concerne les biens mal acquis, il n’existe pas de pensée radicale pure, indépendante des filières du crime organisé. Tout est lié. Le financement vient des trafics, les filières s’organisent au niveau international ; il faut les démanteler. Les bénéficiaires sont fort marris lorsqu’on gèle et récupère les avoirs qui servaient à financer leur action. Ce gel et cette récupération des biens mal acquis deviennent donc une priorité absolue de la lutte contre le crime. C’est d’ailleurs tout aussi essentiel s’agissant des filières non djihadistes présentes sur nos territoires. Nous œuvrons beaucoup en ce sens, comme j’ai pu le constater lors de mon déplacement à Marseille vendredi dernier : le gel des avoirs mal acquis s’est considérablement développé. Nous devons poursuivre dans cette voie de manière très offensive.

Nous menons bien entendu une action diplomatique en vue d’éviter que certains États ne confortent les djihadistes et nous disposons en la matière d’éléments de renseignement.

À M. Verchère, qui s’inquiétait des moyens alloués à la DCRI, j’aimerais rappeler que les forces de police et de gendarmerie ont perdu 13 720 emplois entre 2007 et 2012. À la faveur de sa transformation en direction générale de la sécurité intérieure, nous allons en créer 436. Les emplois supprimés dans la police et la gendarmerie sont donc en train d’être recréés – le Premier ministre l’a confirmé hier devant l’Assemblée nationale. Cela nous permettra de lutter efficacement contre le terrorisme. Grâce à la réorganisation de la DCRI, nous serons mieux armés, à l’heure où nous voulons donner la priorité au renseignement et à l’anticipation.

Je vous remercie de votre attention et je suis disposé à revenir devant vous aussi souvent que nécessaire.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous remercie, monsieur le ministre.

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Échanges de vues sur les travaux de la Commission

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le président, pourriez-vous nous faire connaître les raisons qui ont conduit au report sine die de l’examen de la proposition de loi visant à faciliter l’exercice par les élus locaux de leur mandat ?

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La Conférence des présidents a enregistré le retrait de ce texte de l’ordre du jour de l’Assemblée. Les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat ont eu du mal à s’accorder sur une date pour échanger sur ce texte, la campagne pour les élections municipales n’ayant pas facilité les choses, mais l’horizon vient de se dégager. L’examen du texte sera bien entendu achevé avant la suspension estivale de nos travaux.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné

– M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur sur la proposition de loi organique de MM. Jean-Paul Chanteguet, Jean-Jacques Urvoas et Gilles Savary et plusieurs de leurs collègues relative à la nomination des dirigeants de la SNCF (n° 1877) ;

– Mme Marietta Karamanli, rapporteure sur la proposition de résolution européenne de Mme Marietta Karamanli sur la proposition de règlement relatif à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) (n° 1890).

La séance est levée à 13 heures 15.

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Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christian Assaf, Mme Marie-Françoise Bechtel, M. Jean-Pierre Blazy, M. Marcel Bonnot, M. Dominique Bussereau, Mme Colette Capdevielle, Mme Marie-Anne Chapdelaine, M. Éric Ciotti, M. Gilbert Collard, M. Sergio Coronado, M. Sébastien Denaja, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Patrick Devedjian, M. Philippe Doucet, M. Olivier Dussopt, M. Matthias Fekl, M. Georges Fenech, M. Hugues Fourage, M. Guy Geoffroy, M. Bernard Gérard, M. Philippe Gosselin, M. Philippe Goujon, Mme Françoise Guégot, M. Philippe Houillon, M. Armand Jung, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Bernard Lesterlin, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, M. Pierre Morel-A-L'Huissier, Mme Nathalie Nieson, M. Edouard Philippe, Mme Elisabeth Pochon, M. Jean-Frédéric Poisson, M. Pascal Popelin, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Jean-Jacques Urvoas, M. Daniel Vaillant, M. Jacques Valax, M. François Vannson, M. Patrice Verchère, M. François-Xavier Villain, Mme Marie-Jo Zimmermann, M. Michel Zumkeller

Excusés. - M. Jacques Bompard, M. Jean-Michel Clément, M. Jean-Pierre Decool, M. Marc Dolez, M. René Dosière, Mme Laurence Dumont, M. Daniel Gibbes, M. Yves Goasdoué, Mme Marietta Karamanli, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Bernard Roman, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Mathieu Hanotin, M. Paul Molac, M. Pascal Terrasse