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Commission des affaires culturelles, et de l’éducation

Mercredi 12 novembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 15

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Examen, ouvert à la presse, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel (n° 2319) (M. Hervé Féron, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 12 novembre 2014

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la commission)

——fpfp——

La commission procède à l’examen, ouvert à la presse, sur le rapport de M. Hervé Féron, du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel (n° 2319).

M. le président Patrick Bloche. Compte tenu des exigences du calendrier de transposition des directives visées par le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, le texte fait l’objet d’une procédure accélérée et sera examiné en séance publique jeudi 20 novembre, journée dont l’ordre du jour prévisionnel promet d’être très chargé.

Malgré le délai très bref dont notre rapporteur Hervé Féron a disposé pour étudier ce texte particulièrement complexe, son pré-rapport vous a été adressé dès vendredi dernier, afin de vous permettre de préparer au mieux la réunion de ce matin. Je remercie notre collègue pour le souci d’analyse et d’explication dont témoigne son rapport.

M. Hervé Féron, rapporteur. Notre commission est saisie d’un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (DDADUE) dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel, qui transpose en droit interne trois directives. Ce projet fait l’objet d’une procédure accélérée en raison de l’urgence qu’il y a à transposer la première directive, qui prolonge la durée de certains droits voisins. La France aurait dû la transposer avant le 1er novembre 2013 ; nous avons donc un an de retard et notre pays est sous la menace du déclenchement par la Commission européenne d’une procédure d’infraction et, par conséquent, d’une possible condamnation par la Cour de justice à une amende de plusieurs millions d’euros. Notre retard est moindre pour la deuxième directive, qui devait être transposée avant le 29 octobre 2014 ; seule la troisième sera transposée dans les temps impartis – d’ici à décembre 2015. Je pense que nous nous accorderons tous pour regretter un dépôt aussi tardif du projet de loi de transposition, qui nous contraint à examiner en urgence des dispositifs d’une assez grande complexité.

Je tiens à souligner en préalable l’étroitesse de la marge de manœuvre du législateur français dans l’exercice de transposition des directives communautaires : l’adaptation au droit européen implique une retranscription fidèle et précise de dispositions que nous n’avons pas loisir de modifier sur le fond. C’est ce qui explique la nature pour l’essentiel rédactionnelle des amendements que je vous propose, même si des amendements plus substantiels corrigent le texte afin de respecter plus fidèlement que ne le fait le projet de loi les prescriptions des directives. J’ai veillé à la fidélité et l’exhaustivité de la transposition des trois directives, tout en étant très attentif à la bonne articulation des dispositifs nouveaux avec notre droit interne.

L’objet principal de la première directive, celle du 27 septembre 2011 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, est de porter de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection de certains droits voisins, à savoir ceux des artistes-interprètes et des producteurs du seul secteur de la musique. Le régime des producteurs de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle n’est pas modifié par la directive. La Commission européenne justifie ce traitement différencié par les défis particuliers auxquels est confronté le secteur de la musique, se référant au piratage électronique et à l’apparition d’un nouveau modèle économique adapté à la diffusion en ligne. Sans doute les demandes des producteurs de ce secteur – qui ne sont, semble-t-il, pas partagées par les producteurs de vidéogrammes – ne sont-elles pas étrangères à l’équilibre retenu par la Commission européenne. En tout état de cause, en allongeant de vingt ans la durée de protection des droits voisins, la directive entend permettre aux artistes de faire prévaloir leurs droits sur l’œuvre interprétée durant toute leur vie, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Afin que l’allongement de la durée de protection des droits bénéficie bien in fine aux artistes et non, du fait des contrats de cession de droits, aux seuls producteurs, la directive impose aux États membres deux séries de mesures d’accompagnement destinées aux artistes.

D’une part, sont consacrées les clauses d’« exploitation à peine de perte de droits » qui permettent aux artistes-interprètes de récupérer leurs droits si leur producteur ne commercialise pas leur enregistrement – sous forme d’exemplaires matériels et par mise en ligne, comme le précise la directive – au delà de la période initiale de protection de cinquante ans. Si le défaut d’exploitation persiste au delà d’un délai d’un an suivant la mise en demeure adressée par l’artiste, ce dernier pourra user comme il le souhaite de son enregistrement, en le commercialisant lui-même ou en le confiant à un autre producteur.

D’autre part, des mécanismes viennent garantir que l’allongement de la durée de protection sera bien accompagné d’un complément de rémunération pour les artistes-interprètes. Deux cas sont distingués. Si l’artiste a cédé ses droits contre une rémunération récurrente proportionnelle – cela vaut, le plus souvent, pour les artistes principaux –, la prolongation de vingt ans de cette rémunération s’accompagne de l’annulation de toutes les clauses relatives à des déductions d’avances, selon le principe dit de la « table rase ». Si l’artiste a cédé ses droits contre une rémunération forfaitaire – c’est le cas, le plus souvent, pour les artistes d’accompagnement –, la rémunération annuelle supplémentaire reçue par l’artiste pendant la prolongation de vingt ans est calculée sur la base de 20 % de l’ensemble des recettes perçues par le producteur au titre du phonogramme en question, à l’exclusion des rémunérations pour copie privée et de la rémunération équitable pour radiodiffusion. Ces sommes sont administrées par une ou plusieurs sociétés de perception et de répartition des droits.

Les articles 1er et 2 du projet assurent la transposition de cette directive.

S’agissant du complément de rémunération, l’article 2 prévoit, comme le permet la directive, un régime d’exemption de la rémunération annuelle supplémentaire pour les « petits » producteurs, à savoir ceux qui emploient moins de dix personnes et qui réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 2 millions d’euros. Ce dispositif, dont on comprend la finalité, pourrait néanmoins se retourner contre les « petits » artistes d’accompagnement produits par ces « petits producteurs » qui, contrairement à ceux produits par les grandes maisons – les majors –, ne recevront pas de complément de rémunération au delà de cinquante ans.

Une question importante posée par la transposition de cette première directive est traitée par l’article 7 du projet de loi, qui précise les conditions d’application dans le temps de l’allongement de la durée de protection. Conformément à la directive, seuls les phonogrammes encore protégés – et donc non tombés dans le domaine public – au 1er novembre 2013 bénéficieront du nouveau régime de protection permettant, sous les conditions fixées par le projet de loi, de proroger les droits de vingt ans. Toutefois, le retard pris dans la transposition de la directive implique un effet rétroactif pour la période courant entre le 1er novembre 2013 et la date de promulgation de la loi. La directive prévoit, en effet, ses propres conditions d’entrée en vigueur : elle s’applique, quelle que soit la date à laquelle intervient la transposition par l’État membre, à tous les phonogrammes fixés depuis le 1er novembre 2013.

Le cas délicat sera celui des phonogrammes qui, en vertu du droit actuel, sont tombés dans le domaine public depuis le 1er novembre 2013 et qui, par l’effet de la loi nouvelle, seront rétroactivement à nouveau couverts par des droits à la date du 1er novembre 2013. Cette rétroactivité n’aura cependant pas d’effet en matière pénale : on ne pourra poursuivre pour contrefaçon les producteurs qui exploiteraient de telles œuvres dans la période transitoire. Cette très mauvaise situation étant due au retard pris dans la transposition de cette directive, on ne peut vraiment que regretter le retard pris par le Gouvernement pour présenter le projet de loi.

Le texte transpose, en deuxième lieu, la directive du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des œuvres orphelines. Pour qu’une œuvre protégée par des droits d’auteur soit mise à la disposition du public sous forme numérique dans le cadre d’une bibliothèque ou d’archives accessibles sur internet, une autorisation préalable doit être délivrée par le titulaire des droits. La question à laquelle vise à répondre la directive est celle de la mise à disposition électronique du public d’œuvres protégées par des droits dont il n’est pas possible d’identifier ou de trouver les titulaires à même de donner leur consentement préalable à la diffusion. Ces œuvres sont dites « orphelines » et, en l’état actuel du droit, l’absence d’une telle autorisation rend impossibles leur numérisation et leur circulation.

La directive précise les modalités selon lesquelles certains organismes poursuivant un objectif d’intérêt public – bibliothèques ouvertes au public, musées, services d’archives, institutions dépositaires du patrimoine cinématographique ou sonore, établissements d’enseignement, organismes publics de radiodiffusion – peuvent reproduire les œuvres orphelines et les mettre légalement à la disposition du public, dans un but exclusivement non lucratif. Deux catégories d’œuvres sont visées : d’une part, les œuvres publiées sous forme écrite – livres, revues, journaux, magazines ou autres écrits –, d’autre part, les œuvres cinématographiques, audiovisuelles ou sonores incluant les phonogrammes et les vidéogrammes.

Pour relever du champ de la directive, l’œuvre doit avoir été divulguée sur le territoire de l’Union européenne, c’est-à-dire publiée ou radiodiffusée dans un État membre, ou rendue publiquement accessible par l’un des organismes bénéficiaires de la directive. L’œuvre orpheline ne pourra être publiée que si aucun titulaire de droits n’a été identifié et localisé à l’issue d’une « recherche diligente » menée par les organismes bénéficiaires, préalablement à toute utilisation. Une annexe à la directive dresse une liste minimale de sources que les organismes bénéficiaires doivent consulter pour rechercher les titulaires de droits.

En application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de classement comme œuvre orpheline, une œuvre considérée comme orpheline dans un État membre devra être considérée comme telle dans tous les États membres de l’Union européenne. Il incombera aux organismes bénéficiaires de tenir un registre de leurs recherches diligentes et de faire connaître à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI) les résultats de leurs recherches ainsi que les utilisations qu’ils souhaitent faire de l’œuvre, aux fins d’inscription dans une base de données européenne. Cette inscription a d’importants effets en ce qu’elle dispense les organismes analogues dans toute l’Union de recherches diligentes pour mettre une œuvre déclarée orpheline à la disposition du public. Mais si un ayant droit réapparaît, qui conteste le statut de l’œuvre, tous les organismes ayant mis l’œuvre à la disposition du public lui seront redevables de la « compensation équitable du préjudice » que lui reconnaît la directive.

La principale question que pose la transposition de cette directive assurée par le titre II du projet de loi est celle de sa mise en cohérence avec le dispositif issu de la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXsiècle, qui autorise sous certaines conditions l’exploitation commerciale de livres publiés avant le 1er janvier 2001 qui ne font plus l’objet d’une diffusion par un éditeur.

Je rappelle que les livres indisponibles sont répertoriés dans la base de données « ReLIRE » (Registre des livres indisponibles en réédition électronique), gérée par la Bibliothèque nationale de France (BnF). À l’issue d’un délai de six mois à compter de l’inscription d’un ouvrage dans cette base, sans opposition de l’auteur ou de l’éditeur disposant des droits de reproduction, la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA), gérée à parité par les auteurs et les éditeurs, peut autoriser, pour le compte des titulaires de droits et contre rémunération, la reproduction et la représentation sous forme numérique du livre, à des fins commerciales.

Du fait des possibles chevauchements de champ d’application des deux dispositifs, un livre indisponible pouvant également être une œuvre orpheline, il est apparu nécessaire de s’assurer de la bonne articulation du dispositif existant avec celui qu’instaure le projet de loi, afin de déterminer quel régime est applicable aux livres présentant les deux caractéristiques.

Le considérant 4 de la directive précise expressément que la directive est « sans préjudice de solutions spécifiques développées dans les États membres pour traiter de questions de numérisation de masse, comme dans le cas d’œuvres dites indisponibles dans le commerce ». Dans ces conditions, les auteurs du projet de loi ont fait le choix, que je juge le meilleur, de la coexistence parallèle des deux régimes des œuvres orphelines et des livres indisponibles. De la sorte, un livre considéré à la fois comme « indisponible » et « orphelin » pourra faire l’objet d’une procédure d’exploitation commerciale sur autorisation de la SOFIA et, parallèlement et indépendamment, être inscrit, après des recherches diligentes restées infructueuses, dans la base de données de l’OHMI et mis à la disposition du public par des organismes poursuivant un objectif d’intérêt public.

Compte tenu des très lourdes contraintes qui pèseront sur les organismes qui souhaiteront faire usage du régime d’exploitation des œuvres orphelines, contraintes qui pourraient se révéler assez dissuasives, je ne partage pas les craintes de ceux qui redoutent que le dispositif nouveau nuise au dispositif des livres indisponibles. En tout état de cause, il ne serait pas conforme à la directive d’écarter, comme certains le demandent, l’application du régime des œuvres orphelines dès lors qu’on est en présence d’un livre indisponible.

Enfin, le projet de loi procède à la transposition d’un texte communautaire bien plus récent, la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre, dont l’objet est de garantir la restitution, au profit d’un autre État membre, de tout bien culturel considéré comme un « trésor national de valeur artistique, historique ou archéologique » ayant quitté illicitement son territoire à compter du 1er janvier 1993.

Cette directive apporte des modifications pour l’essentiel procédurales au dispositif mis en place par la directive du 15 mars 1993, transposée par la France en 1995. La portée du dispositif de protection est élargie à tous les biens culturels reconnus « trésors nationaux » au sens de l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le délai permettant aux autorités de l’État membre requérant de vérifier la nature du bien culturel trouvé dans un autre État membre est allongé de deux à six mois. Le délai permettant l’exercice de l’action en restitution est étendu de un à trois ans et son point de départ est clarifié. Il est précisé que c’est sur le possesseur que repose la charge de la preuve de l’exercice de la diligence requise, notion en outre harmonisée au travers de critères communs.

Le titre III du projet de loi assure la transposition de ces évolutions procédurales, justifiées par les retours d’expérience montrant que les délais retenus pour la procédure actuelle sont trop courts pour qu’elle puisse être réellement mise en œuvre.

Le premier point sur lequel je souhaite m’attarder est relatif à la nouvelle définition que le projet de loi propose pour les trésors nationaux. Il faut souligner que la définition qu’en donne notre droit interne est d’une importance cruciale, puisque les trésors nationaux constituent la seule exception consentie aux États membres, dans le domaine patrimonial, au principe général de libre circulation des marchandises.

La nouvelle définition figurant dans le projet n’est pas stricto sensu imposée par la directive, qui laisse chaque État membre définir ce qu’il entend par « trésors nationaux » ; elle découle des réflexions menées par le ministère de la culture et de la communication, dans le cadre de l’élaboration du futur projet de loi sur le patrimoine. Par cette définition, le Gouvernement a souhaité que soient pris en compte non seulement tous les biens culturels relevant du domaine public mentionnés dans le code général de la propriété des personnes publiques, mais également les biens qui, de par leur intérêt pour le patrimoine national, sont de nature à justifier un refus de certificat d’exportation – notamment les archives historiques détenues par des personnes privées. L’étude d’impact précise que le complément ainsi apporté ne change pas fondamentalement le périmètre des trésors nationaux ; on peut néanmoins considérer qu’il est élargi.

J’appelle en second lieu votre attention sur le renversement de la charge de la preuve de la bonne foi qu’impose la directive. L’article L. 112-8 du code du patrimoine intègre la modification la plus substantielle de la directive. Il est désormais prévu qu’il appartient au possesseur du « trésor national » d’apporter la preuve de la diligence requise lors de l’acquisition du bien, et qu’il n’a droit à une indemnité que s’il prouve la licéité de la sortie du bien culturel du territoire de l’État membre requérant. Or notre droit civil reconnaît traditionnellement une présomption de bonne foi au possesseur d’un bien – l’article 2274 du code civil dispose ainsi que « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ». Cette présomption est d’ailleurs appréciée très largement par la jurisprudence de la Cour de cassation.

Le renversement de la charge de la preuve auquel procède l’article 6 du projet de loi conduira, dans le cadre certes limité du champ d’application de la directive, à écarter ce principe traditionnel de notre droit. Cela pourrait induire certaines évolutions des pratiques dans le domaine du marché de l’art, dont on ne mesure sans doute pas encore complètement toutes les implications. En tout état de cause, la directive nous impose de transposer cette inversion de la charge de la preuve.

Sous réserve des amendements que je vous présenterai dans un instant, je vous inviterai, mes chers collègues, à adopter ce projet de loi.

M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir ainsi éclairé les enjeux de ce texte. Le droit de la propriété littéraire et artistique est complexe en soi, et le droit communautaire n’allège pas cette complexité. Mais les enjeux sont de première importance, qu’il s’agisse de l’allongement à soixante-dix ans de la durée de protection de certains droits voisins ou de la mise à disposition des œuvres orphelines, inaccessibles si le droit ne le permet pas.

Mme Sandrine Doucet. Nous sommes réunis pour transposer en droit interne trois directives du Parlement et du Conseil européens relatives à des aspects de la propriété artistique et littéraire et du patrimoine culturel. Ayant entendu l’excellente et très complète présentation de notre rapporteur, j’observe que la transposition de directive est un exercice législatif un peu particulier puisque, tout en ne niant pas nos interrogations sur certaines des dispositions proposées, nous devons adapter notre droit avec vigilance, en nous inscrivant dans le contexte européen.

C’est ce contexte européen que je souhaite tout d’abord évoquer.

La célébration du vingt-cinquième anniversaire de la chute du Mur de Berlin a permis de revoir les images, ô combien émouvantes, du violoncelliste Mstislav Rostropovitch jouant devant le mur honni. Tout, dans ces images, nous émeut, tant est grande leur puissance d’évocation pour nous tous : l’histoire de l’Europe avec ce mur ; la musique de Bach, bien commun des arts européens ; la vie de celui qui l’interprète, qui a connu gloire et disgrâce en fonction des aléas de l’Histoire. Tout cela dit que, bien avant les traités et les directives, la culture européenne s’est construite, faite de partage et de circulation des idées. C’est ce que met en exergue Stephan Zweig en 1942 quand, de son exil brésilien, il dit son effroi de voir disparaître cette richesse commune à laquelle il a contribué. Ce dont il s’agit ici est bien de protéger et de perpétuer une culture commune.

La durée de protection a été l’un des premiers points harmonisés à l’échelle européenne dans le domaine du droit d’auteur et de certains droits voisins, en 1992 et 1993. En transposant en droit interne des directives plus récentes, dans le même esprit de protection des créateurs, nous faisons l’alliance habile et nécessaire du droit des personnes, du droit des artistes et de la construction européenne. De surcroît, en portant de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection de certains droits voisins, nous inscrivons dans notre législation un fait démographique : l’allongement de la durée de vie ; c’est là un autre aspect de la silver economy, chère à notre collègue Michèle Delaunay.

La deuxième directive qu’il nous faut transposer a un champ plus large. Les œuvres orphelines vont désormais faire partie de notre culture commune en étant reversées à un fonds européen accessible à tous. C’est du contexte nouveau offert par la numérisation qu’il s’agit ici. Amplifier la diffusion des œuvres littéraires et artistiques et ainsi l’accès à la culture de tous les citoyens en protégeant toujours les droits voisins, tel est le défi que permettent de relever, ensemble, la construction européenne et le numérique.

Enfin, la transposition de la troisième directive vise à protéger les patrimoines nationaux et redéfinit la notion de « trésor national ». Par le passé, hélas ! guerres, pillages et spoliations ont fait disparaître nombre d’œuvres de notre patrimoine. Aujourd’hui, les trafics en tout genre nous imposent de renforcer rapidement la protection des trésors nationaux. La directive évoque, sans le régler, un combat emblématique : celui de la ministre de la culture grecque Mélina Mercouri qui, de 1983 à sa mort, a revendiqué le retour à Athènes de la frise du Parthénon conservée au British Museum. Cette revendication dit beaucoup du creuset culturel européen.

Protéger nos œuvres, nos artistes, nos patrimoines, notre culture commune en nous inscrivant dans le droit européen, voilà à quoi nous conduisent ces transpositions. Mais, monsieur le rapporteur, ces directives prennent-elles en considération et anticipent-elles les évolutions liées à l’utilisation du numérique pour la protection et la diffusion des œuvres des pays de l’Union européenne ? De quels outils les bibliothèques et les autres détenteurs d’œuvres orphelines, en France et en Europe, disposent-ils pour participer à égalité à la construction d’une culture commune et de la circulation des biens européens ?

M. Frédéric Reiss. Ce projet de loi transpose trois directives datant respectivement de 2011, 2012 et 2014. Le groupe UMP devine que la précipitation du Gouvernement, qui nous soumet un texte en procédure accélérée – dans des délais si serrés qu’ils privent même notre rapporteur de l’opportunité de mener des auditions –, tient au fait que la France est au pied du mur. Nos félicitations vont au rapporteur pour ce travail difficile.

Alors que la directive relative aux droits voisins aurait dû être transposée il y a un an, le Gouvernement somme le Parlement d’examiner dans l’urgence ces mesures de transposition en espérant échapper à une condamnation. Ces méthodes sont regrettables. En vertu du principe de subsidiarité, il nous faut admettre que certaines compétences partagées sont traitées de manière plus pertinente au niveau européen que national ; ce ne serait pas un problème si le Gouvernement ne contribuait pas à nous déposséder définitivement de ces sujets en nous forçant la main par des délais intenables.

Ces méthodes font aussi peser un risque d’insécurité juridique sur une partie du dispositif proposé. Le projet de loi prévoit une entrée en vigueur rétroactive au 1er novembre 2013 des dispositions de la directive de 2011 relative aux droits voisins. Or, durant la période courant entre le 1er novembre 2013 et la date de publication de la loi, rien n’empêche des tiers d’exploiter les catalogues bénéficiant de l’extension des droits, alors même que ces catalogues devraient être déjà protégés si le Gouvernement avait mis le législateur en mesure de transposer la directive dans les temps.

Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que la directive allonge de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre, d’une part, l’allongement de l’espérance de vie des artistes, dont les droits patrimoniaux s’éteignent de plus en plus souvent de leur vivant, et, d’autre part, le risque de réduction du domaine public. Il semble que la période de soixante-dix ans corresponde à un équilibre et permette d’éviter dans un premier temps la réappropriation des phonogrammes tombés dans le domaine public par des tiers exploitants.

Des mesures d’adaptation sont prévues pour accompagner la mise en place de cette période de protection additionnelle, et notamment le versement d’une rémunération annuelle supplémentaire de 20 % des recettes nettes perçues par le producteur sur les rémunérations au forfait. Comment cette mesure s’articulera-t-elle avec les accords conclus par les partenaires sociaux du secteur, qui prévoient une rémunération proportionnelle de 6 % sur certains usages ? N’y a-t-il pas là un risque important de diminution des marges des producteurs, et donc un risque de fragilisation de la convention collective ?

Je m’interroge, en outre, sur la rédaction du III de l’article 7, qui offre aux artistes et producteurs la faculté de renégocier leur contrat au delà de la cinquantième année de protection. En premier lieu, il ne faudrait pas que cette possibilité annule a contrario toute possibilité de renégociation pendant les cinquante premières années. Elle ne devrait pas non plus être interprétée comme une obligation de renégocier et de conclure cette renégociation dans le sens du considérant 16 de la directive, qui demande aux États de prévoir une renégociation au bénéfice des artistes-interprètes. Si la rédaction actuelle était maintenue, il existerait un risque non négligeable de voir les producteurs transférer l’ensemble de leurs contrats, et par conséquent l’ensemble de notre patrimoine musical, vers les pays qui n’ont pas fait ce choix. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point et nous confirmer que le III de l’article 7 consiste en une simple redite du droit positif, qui ne saurait s’accompagner d’une obligation de conclure la renégociation qui aura été demandée par l’artiste ?

Nous ne pouvons que nous réjouir de la transposition de la directive relative aux œuvres orphelines, sujet que nous avions abordé dans la proposition de loi de MM. Hervé Gaymard et Jacques Legendre, devenue la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des œuvres indisponibles. Le dispositif adopté permet l’exploitation des œuvres orphelines mais il faut reconnaître qu’il est relativement restrictif. Il est permis d’espérer que la transposition de la directive élargira le champ des organismes bénéficiaires et redéfinira la procédure préalable à la mise à la disposition du public, qui se réduit à des recherches diligentes et à une information à l’OHMI aux fins d’actualisation de la base de données de ce dernier.

Toutefois, il est permis de douter d’un recours massif à la nouvelle possibilité ainsi ouverte, non seulement parce que les recherches pourraient se révéler longues et coûteuses pour les organismes bénéficiaires, mais aussi en raison du risque de voir réapparaître un ayant droit à qui il faudra verser une compensation pouvant donner lieu à contentieux.

Enfin, nous espérons que la refonte de la directive de 1993 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre permettra de lutter plus efficacement contre le trafic des biens culturels dans l’espace européen. Nous saluons donc les outils proposés, aussi bien l’élargissement du champ des biens culturels concernés que l’allongement des délais encadrant l’action de l’État membre requérant.

M. le président Patrick Bloche. Au cours de ces utiles contributions à nos débats, il a été noté à juste titre que nous sommes invités à transposer l’une de ces trois directives avec un retard d’un an – mais c’est, si j’ose dire, un classique. Je rappelle, en outre, que nous n’examinons pas un projet de loi portant diverses dispositions concernant la propriété littéraire et artistique mais un projet de loi de transposition, ce qui nous place dans un cadre plus contraint.

Mme Isabelle Attard. Je félicite, à mon tour, notre rapporteur. Certes, monsieur le président, les transpositions de directives se font dans un cadre contraint ; une certaine souplesse demeure cependant, qui nous permet d’améliorer le texte, et il nous est loisible de ne pas l’adopter tel quel.

La protection conférée par les droits voisins commence lors de la première interprétation de l’œuvre pour les artistes-interprètes et de la première fixation du phonogramme pour les producteurs ; la protection conférée par le droit d’auteur persiste, au bénéfice des ayants droit, pendant les soixante-dix ans qui suivent la mort de l’auteur. Le groupe écologiste aurait préféré que, plutôt que d’allonger de vingt ans la durée de protection de certains droits voisins, l’Union européenne aligne à cinquante ans la durée des deux formes de protection. Je rappelle que l’extension de vingt ans de la durée de protection des droits d’auteur a été voulue par la Walt Disney Company qui, souhaitant étendre la période pendant laquelle elle pourrait exploiter ses films, a d’abord obtenu le vote d’une loi en ce sens aux États-Unis avant de forcer la main de l’Union européenne. Le groupe écologiste considère que la directive porte une nouvelle atteinte au champ du domaine public, qui est une source de revenus liés à la création artistique. D’ailleurs, pour créer son empire, la Walt Disney Company s’est servie dans le domaine public, en adaptant pour le cinéma des contes de Grimm et de Perrault ; si ces œuvres n’avaient pas été librement accessibles, l’entreprise n’aurait pu, en les utilisant, bénéficier des retombées économiques que l’on sait.

Je présenterai des amendements visant à harmoniser le système des droits d’auteur en France et dans l’Union européenne en proposant d’abroger les prorogations de guerre et l’allongement de trente ans de la durée de la protection conférée par le droit d’auteur pour les ayants droit des auteurs « morts pour la France ». Ces dispositions particulières font que, dans les cas considérés, la protection conférée par le droit d’auteur dans notre pays est porté à quatre-vingt-dix ans. Saisissons l’occasion que nous donne ce texte pour mettre fin à cette exception française, et alignons à soixante-dix ans la protection conférée, tous auteurs confondus.

La transposition de la directive relative aux œuvres orphelines permet un progrès notable, mais nous devons nous efforcer de simplifier la tâche des institutions qui, après avoir fait les recherches diligentes requises, pourront numériser ces œuvres si aucun ayant droit n’a été trouvé. Si l’on ne connaît pas l’auteur d’une œuvre, comment savoir, a fortiori, la date de son décès ? Comment appliquer ces dispositions si l’on ignore si l’auteur est vivant ou mort ? Quel sera le point de départ de leur application ? On peut aussi craindre qu’un musée envisageant d’engager des frais de numérisation, sachant qu’il prend le risque de voir apparaître un ayant droit, décide finalement de n’en rien faire pour éviter les risques de coûteux contentieux ultérieurs. Pour sa part, le Royaume-Uni a choisi de limiter de manière draconienne les possibilités de recours des ayants droit en fixant à 0,10 livre sterling la rémunération maximale qui leur serait due. Le montant est symbolique, mais au moins est-il fixé. Dans le même esprit, nous proposerons la fixation par décret de la somme maximale que pourraient demander les ayants droit éventuels.

Par ces amendements, on pourrait harmoniser notre droit d’auteur avec celui des autres pays de l’Union européenne et protéger celles de nos institutions qui se lanceraient dans la numérisation d’œuvres orphelines.

M. Laurent Degallaix. Je salue, au nom du groupe UDI, le travail de notre rapporteur. La culture et la création sont à la fois des vecteurs d’émancipation, l’un des piliers de la cohésion sociale et une ouverture sur le monde. Ce sont aussi des secteurs d’excellence, vitaux pour la croissance, l’innovation et l’emploi, puisqu’ils représentent 4,5 % du PIB de l’Union européenne et emploient un peu plus de 8 millions de personnes sur son territoire. On regrettera qu’une véritable culture européenne peine encore à émerger, mais la préservation de la diversité culturelle des États membres et la promotion du patrimoine culturel commun sont des objectifs que nous devons poursuivre, car ils participent de l’attractivité et du dynamisme européens.

Le projet de loi que nous examinons revêt, à cet égard, une importance stratégique, et le groupe UDI salue ses apports : renforcement de la défense des droits voisins des artistes-interprètes et des producteurs du seul secteur de la musique ; faculté donnée de numériser et de mettre à disposition du public des œuvres considérées comme orphelines ; garantie de restitution de tout trésor national ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre après le 1er janvier 1993. Protection de la création, accès à la culture, défense des patrimoines nationaux, tels sont les trois axes de ce projet.

Nous examinons ces dispositions dans le cadre particulièrement contraint des transpositions de directives communautaires en droit interne et alors que le retard pris dans ces transpositions place la France sous la menace d’une amende, ce qui explique le choix fait par le Gouvernement de la procédure accélérée. Néanmoins, les avancées permises par le texte et l’esprit de responsabilité qui nous anime nous conduiront à soutenir le projet de loi.

Mme Gilda Hobert. Le groupe RRDP considère que le projet de transposition en droit interne de trois directives concernant la propriété littéraire et artistique va dans la bonne direction. Ainsi que l’a exposé notre rapporteur, que je félicite pour la qualité de son travail, le retard que nous avons pris pour certaines de ces transpositions nous fait encourir des sanctions financières importantes.

La première directive recommande de porter de cinquante à soixante-dix ans la protection de certains droits voisins, ceux des interprètes et des producteurs du secteur de la musique, afin de prendre en compte l’allongement de la durée de vie des titulaires de droits ; cette mesure se justifie pleinement, ces droits venant désormais régulièrement à échéance avant le décès de leur titulaire. Elle permet aussi de rapprocher la législation de ces droits voisins de celle qui vaut pour les droits d’auteurs. Enfin, facteur non négligeable, c’est une bouffée d’air apportée aux producteurs qui promeuvent de nouveaux talents. J’aimerais toutefois être certaine que l’allongement de la durée de protection ne portera pas préjudice aux œuvres considérées comme économiquement non viables ; il ne faudrait pas que des industriels du disque se trouvent moins enclins à les rééditer, ce qui compromettrait la transmission du patrimoine immatériel et culturel.

La deuxième directive concerne l’exploitation des œuvres dites orphelines. Alors que le virage numérique favorise la libre circulation des œuvres, il devenait urgent de se préoccuper des œuvres protégées dont les titulaires de droits ne sont pas retrouvés. L’accès à ces œuvres en était empêché, et ainsi le partage des biens culturels. Combien de spectacles musicaux sont restés, pour cette raison, à l’état de projet ? Tel groupe se trouvait frustré de son choix d’œuvre, telle chorale ne pouvait interpréter une certaine œuvre musicale, et tel organisme qui souhaitait les exploiter se trouvait dans l’insécurité juridique. Aussi, dans le cadre de l’initiative numérique de la « stratégie Europe 2020 », nous accueillons très favorablement cette directive grâce à laquelle la musique trouvera un équivalent à ce qui se pratique depuis 2012 pour les livres et qui a permis l’éclosion de magnifiques initiatives, telle la base de données ReLIRE de la BnF qui répertorie les livres indisponibles du XXe siècle.

On se félicitera enfin que, grâce aux dispositions de l’article 4, bibliothèques, associations de lectures, archives, académies des lettres puissent, grâce aux garde-fous établis, satisfaire leur démarche de transmission culturelle dénuée de tout intérêt lucratif, dans le respect des titulaires de droits.

Nous soutenons également la troisième directive relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire.

Le groupe RRDP votera évidemment ce texte qui place les droits de propriété artistique au centre des débats.

Mme Marie-George Buffet. Le groupe GDR constate, lui aussi, que l’examen de ce texte se fait dans un cadre très contraint, même si, comme l’a rappelé notre collègue Isabelle Attard, nous pouvons améliorer le texte par des amendements. Je m’étonne du retard pris par le Gouvernement dans la transposition de ces directives, retard qui oblige à travailler dans des conditions très difficiles ; de surcroît, le nombre d’amendements déposés par notre rapporteur, que je félicite pour son travail, donne à penser que le texte était mal rédigé.

Le texte sera utile aux artistes-interprètes puisqu’il allonge la durée de protection de certains droits voisins du droit d’auteur, protège leur rémunération et les autorise à récupérer les droits non exploités. Mais pourquoi ces dispositions ne sont-elles pas étendues à la captation audiovisuelle ? Avec ce traitement différencié, n’instaure-t-on pas une hiérarchie des valeurs ?

Le texte contient aussi des avancées pour ce qui a trait à la diffusion des œuvres orphelines. Mais il faut éviter que les dispositions relatives aux œuvres orphelines et aux œuvres indisponibles ne constituent des exceptions au droit d’auteur, sans gestion collective et sans rémunération pour les ayants droit. Pour certains répertoires, il n’y a pas vraiment d’œuvres orphelines, la gestion collective réglant le problème des autorisations et de la licéité de l’accès aux œuvres. Je ne doute pas que vous jugez comme moi, monsieur le rapporteur, qu’il est essentiel de ne pas remettre en cause le principe de la gestion collective des œuvres.

À propos des œuvres orphelines toujours, la formulation retenue pour l’article 135-2 du code de la propriété intellectuelle fait peser un léger doute sur la poursuite de la consultation gratuite des œuvres ainsi numérisées dans les lieux où elles sont consultables aujourd’hui. L’autre risque, que vous avez souligné, est que les institutions publiques considérées renoncent à rechercher les ayants droit en raison du coût de ces recherches et pour éviter le risque de contentieux ultérieur. Comment protéger les organismes publics de recours éventuels ?

La transposition de la troisième directive élargit la liste des trésors nationaux. Elle introduit aussi le principe du renversement de la charge de la preuve, pour un faible nombre de biens il est vrai ; on est toutefois loin de remettre en cause ce qui s’est passé pendant la période coloniale, avec l’accaparement massif des œuvres d’art des pays concernés.

Le groupe GDR votera évidemment pour ce projet de loi.

M. Christophe Prémat. Les directives posant le principe du maintien des droits acquis pour les droits voisins et le nouveau régime juridique étant plus favorable aux ayants droit, je soutiens ce projet de loi quant au fond.

Je suis plus sceptique sur la méthode utilisée pour transposer ces directives. Notre rapporteur a rappelé que la transposition de textes communautaires laisse une marge de manœuvre très restreinte au législateur ; il a aussi mentionné que les délais de transposition ayant été dépassés pour deux des trois directives, la France pourrait être condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne après un recours en manquement de la Commission européenne. La procédure accélérée choisie pour cette raison par le Gouvernement a empêché le rapporteur de procéder à des auditions, et je ressens la même frustration que mes collègues à ce sujet.

Cela étant, je souhaite préciser, dans une perspective plus générale, que si cinquante-six procédures d’infraction sont ouvertes contre la France, quatrième chiffre le plus élevé au classement des États membres de l’Union européenne, notre pays poursuit ses efforts pour réduire le nombre de ces dossiers : ils sont trois fois moins nombreux qu’au semestre précédent. On compte huit procédures en cours dans le secteur de la fiscalité directe, sept pour ce qui concerne la libre circulation des marchandises et cinq dossiers ayant trait à la fiscalité indirecte. Le délai moyen de résolution des infractions est de 26,4 mois, inférieur d’un mois à la moyenne européenne, mais légèrement plus élevé que lors de l’évaluation précédente. Le délai de mise en conformité avec les arrêts de la Cour est de 22,8 mois en moyenne, soit quatre mois de plus que la moyenne de l’Union européenne. Cette durée relativement longue – qui permet de relativiser le retard pris dans le projet de transposition dont nous avons à connaître aujourd’hui – s’explique par le fait qu’au cours des cinq dernières années, la France a pu se mettre en conformité avec deux arrêts relatifs à la protection de l’eau rendus respectivement huit et neuf ans avant la résolution des procédures. Il convient donc de porter une appréciation plus générale sur le délai de transposition des directives en droit interne.

Pour en revenir au texte proprement dit, je souhaite savoir quel type d’amendement peut être déposé tout en respectant les obligations liées aux transpositions : la directive envisage-t-elle une protection minimale ou maximale ? Le législateur national peut-il élargir au secteur audiovisuel l’allongement de la durée de protection conférée par les droits voisins ? Le rapport mentionne à ce sujet que, dans sa contribution écrite, la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI) déplore « la discrimination opérée entre les secteurs de la musique et de l’audiovisuel ». Pourrions-nous prévoir une durée de protection plus longue que ne le prévoit la directive ?

Enfin, le projet de loi permet aux artistes-interprètes de bénéficier de la même durée de protection de leurs droits que les auteurs compositeurs, en harmonisant la durée de protection des droits voisins avec les droits d’auteur. Le rapport mentionne, par ailleurs, que la Commission européenne a également tenu compte de la concurrence exercée par d’autres systèmes plus protecteurs, tel le système américain qui fixe quant à lui à quatre-vingt-quinze ans la protection des droits des producteurs de phonogrammes. Peut-être faudrait-il s’intéresser aux raisons de ce choix et analyser ses limites. Dans le même esprit, il serait intéressant de comparer les mesures d’accompagnement destinées aux artistes-interprètes au Canada et aux États-Unis avec le système envisagé par l’Union européenne, et de vérifier si les clauses d’exploitation « à peine de perte de droit » et le complément de rémunération ont cours dans ces deux pays.

M. François de Mazières. Je me félicite qu’après l’ardente bataille menée contre la Commission européenne pour faire prévaloir l’exception culturelle dans les négociations du traité commercial transatlantique, nous débattions aujourd’hui d’avancées qui nous viennent de Bruxelles.

La première concerne les artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes : on peut se réjouir de l’allongement de leurs droits de cinquante à soixante-dix ans. Les œuvres orphelines seront également plus facilement accessibles, et de cela aussi on peut se réjouir : les bibliothèques, les musées, les services d’archives pourront les numériser pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

Ces progrès, louables, appellent des précisions. Comment s’assurer de la rigueur des recherches entreprises pour retrouver, y compris dans des pays étrangers, les ayants droit d’une œuvre réputée orpheline ? Comment ceux-ci, le cas échéant, seront-ils indemnisés ? Comment sera assurée l’articulation avec le registre ReLIRE, géré par la BnF ?

Comme mes collègues, je regrette que ce projet de loi nous soit soumis alors que le délai de transposition est d’ores et déjà échu. Dans le domaine de compétence de notre commission, monsieur le président, combien de normes doivent encore être transposées ?

M. le président Patrick Bloche. Restons vigilants sur la défense de l’exception culturelle : nous avons remporté de belles batailles, mais, en ce domaine, il ne faut jamais baisser la garde.

Mme Dominique Nachury. Je m’interroge sur le renversement de la charge de la preuve à laquelle nous conduit la troisième directive. C’est là, me semble-t-il, une atteinte portée à notre droit, qui privilégie la présomption de bonne foi. Bien sûr, cela ne concerne qu’un domaine extrêmement limité, mais n’est-ce pas là un coin enfoncé dans un grand principe de notre droit ? Ne peut-on pas craindre une contagion à d’autres domaines, ce qui serait une révolution pour notre système juridique ?

M. le rapporteur. Merci de toutes ces questions, mes chers collègues.

Vous avez été nombreux à relever que ces directives, loin de se limiter à une simple adaptation du droit européen, permettent un véritable progrès. Vous vous êtes également associés à ma critique des conditions dans lesquelles nous avons été contraints de travailler. Toutefois, ce n’est pas l’urgence de ce débat qui limite notre marge de manœuvre, mais bien le fait que ce projet de loi ait pour objet la transposition de directives européennes. Il n’empêche que nous devrons débattre à nouveau du droit d’auteur.

Monsieur Premat, vous avez raison, les retards de transposition sont des difficultés récurrentes ; on ne peut pas accabler le Gouvernement.

Madame Doucet, vous posez la question de la politique culturelle européenne. Sur ce point, je signale que le Gouvernement a organisé en avril dernier le « Forum de Chaillot », qui a réuni plus d’un millier de participants – responsables politiques, artistes, créateurs, professionnels, citoyens – venus de toute l’Europe pour débattre de la politique culturelle européenne et dessiner de nouvelles perspectives. Une nouvelle stratégie pour la culture est nécessaire à l’ère du numérique. La France a notamment proposé une cinquantaine d’actions concrètes : instrument européen de prêt à taux zéro pour le secteur culturel, label européen des villes culturelles, mesures de soutien à la création audiovisuelle européenne, plan de soutien à la mobilité des artistes et des œuvres, compétences renforcées pour la Commission en matière culturelle, politique fiscale adaptée… Le Gouvernement est peut-être en retard dans la transposition des directives, mais il est bien conscient de la nécessité d’établir une stratégie culturelle européenne.

En matière numérique, l’évolution continue des techniques conduit le législateur communautaire et national à remettre sans cesse son ouvrage sur le métier. La directive date de 2011, et les usages ont déjà évolué : dans quelques années, nous serons sans doute amenés à transposer une nouvelle directive.

Monsieur Reiss, je ne partage pas vos craintes sur la possibilité de renégociation des contrats pendant les cinquante premières années : le droit commun de la liberté contractuelle s’applique. Vous doutez que la possibilité d’exploitation d’œuvres orphelines soit massivement utilisée : je l’ai dit, nous en doutons tous, car ce sera compliqué et risqué, puisqu’il peut y avoir des recours exercés par des ayants droit qui se manifesteraient après que les œuvres ont été mises à la disposition du public.

Madame Attard, ce projet de loi transpose trois directives, ce qui limite fortement notre marge de manœuvre. En particulier, la durée de protection des droits est harmonisée par la directive, et nous ne pouvons pas y toucher. Je partage votre souhait de respect du domaine public, mais il faut aussi préserver les droits d’auteur, qui protègent la création. Pour cela, il n’est pas nécessaire de bouleverser notre droit ; il serait souhaitable de mettre en place des procédures qui visent à éviter que des œuvres ne deviennent orphelines. On peut penser à la conception de registres, faisant sans doute intervenir des notaires qui consigneraient les dévolutions successorales. Mais, encore une fois, ce n’est pas l’objet de ce texte.

Madame Hobert, je vous remercie de votre soutien. Je ne partage pas vos craintes pour l’exploitation des œuvres économiquement non viables. Au contraire, le dispositif issu de la transposition de la première directive permettra non seulement de les protéger, mais aussi de les publier ou de les communiquer plus longtemps et de façon différente.

Monsieur Degallaix, merci de votre soutien.

Madame Buffet, je vous remercie également de vos paroles de soutien, tout en partageant, je l’ai dit, vos regrets du grand retard dans la transposition de ces directives. Plutôt qu’une hiérarchie des valeurs, je crois qu’il faut voir dans l’économie de la première directive une hiérarchie des supports : une différence est établie entre phonogrammes et vidéogrammes. Les revendications des producteurs eux-mêmes diffèrent d’ailleurs.

Nous ne pouvons pas revenir sur ce choix fait par la directive d’une exception au droit d’auteur pour les œuvres orphelines. Cela ne remet pas en cause, je l’ai dit, la gestion par la SOFIA des droits sur les livres indisponibles.

Monsieur de Mazières, l’indemnisation se fera en fonction du préjudice réel dont aura pâti l’ayant droit. Quant à l’articulation avec ReLIRE, j’en ai dit quelques mots en introduction.

Madame Nachury, le renversement de la charge de la preuve est limité aux trésors nationaux : ce n’est nullement anodin, je vous l’accorde, mais c’est tout de même un sujet très spécifique. L’avenir nous dira quel impact aura cette évolution de notre droit.

La Commission en vient à l’examen des articles.

TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ALLONGEMENT
DE LA DURÉE DE PROTECTION DE CERTAINS DROITS VOISINS

Article 1er : Allongement de la durée de protection des droits voisins dans le secteur musical

La Commission adopte l’amendement rédactionnel AC10 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AC4 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. L’exposé des motifs de la loi justifie l’allongement des droits voisins par l’allongement de l’espérance de vie des artistes-interprètes. Mais, dans le texte, cette augmentation est inconditionnelle : cet amendement propose donc de réserver l’extension de vingt ans aux artistes-interprètes vivants.

Je rappelle, en outre, que cet allongement ne rapportera en fait presque rien aux artistes-interprètes eux-mêmes : 90 % des sommes gagnées iront directement dans la poche des labels ; pour les artistes, il a été calculé que cet allongement ne représentera qu’un gain de 30 euros par an en moyenne.

M. le rapporteur. C’est pour répondre à cette dernière objection que le texte prévoit des majorations de rémunération pour les artistes-interprètes. Si votre amendement était adopté, le texte deviendrait contraire à la directive, et nous pourrions être condamnés pour défaut de transposition. Nous n’avons ici aucune marge de manœuvre.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte ensuite successivement les amendements de précision AC11, AC12 et AC44 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Mesures d’accompagnement destinées aux artistes-interprètes

La Commission adopte les amendements rédactionnels AC21 et AC13, ainsi que l’amendement de précision AC14, tous du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement AC50 du rapporteur.

M. le rapporteur. La directive permet à l’artiste, à l’issue de la période initiale de protection de cinquante ans, de résilier le contrat qui le lie à un producteur dès lors que celui-ci n’a pas, dans un délai d’un an à compter de la notification de son intention de résilier ce contrat, accompli « les deux actes d’exploitation » imposés, à savoir l’offre à la vente d’exemplaires du phonogramme en quantité suffisante et la mise à la disposition du public pour un accès à la demande. Cet amendement vise à remplacer la conjonction « ou » par la conjonction « et », rendant ainsi le projet de loi plus conforme à la directive.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC15, AC16, AC17, AC18, AC19 et AC45 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement AC48 du même auteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à supprimer une mention qui n’est pas conforme à la directive : l’assiette de la rémunération complémentaire de 20 % doit comprendre l’ensemble des recettes perçues par le producteur au titre du phonogramme en question, les seules recettes exclues étant celles provenant de la rémunération équitable pour radiodiffusion et de la rémunération pour copie privée, alors que le projet de loi exclut également les rémunérations « provenant de toute autre forme de communication au public ».

M. Frédéric Reiss. N’y a-t-il pas, dans ce cas, un risque de réduction de la marge des producteurs, et donc un risque de fragilisation de la convention collective ?

M. le rapporteur. Encore une fois, il ne s’agit ici que de transposition et la mention en cause ne figure pas dans la directive. Vous avez raison, la marge des producteurs sera réduite, mais, en contrepartie, la durée de perception des droits est allongée.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AC20, AC22 et AC23 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 2 modifié.

Après l’article 2 

La Commission est saisie de l’amendement AC6 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise, dans le but de simplifier les règles de protection du droit d’auteur et de mieux défendre le domaine public, à supprimer définitivement le mécanisme des prorogations de guerre des droits d’auteur. Celles-ci auraient déjà dû être supprimées lorsque la France a transposé, en 1997, la directive 93/98/CE. En 2007, la Cour de cassation les a d’ailleurs jugées caduques ; elles ne subsistent aujourd’hui que pour le secteur de la musique. Le maintien de ce régime dérogatoire introduit une complexité préjudiciable. Ces prorogations n’existent plus qu’en France, et elles aboutissent à des absurdités flagrantes : ainsi, le Boléro de Ravel, composé en 1928, est encore protégé par le droit d’auteur. Remédions enfin à ces problèmes !

M. le rapporteur. Sur le fond, vous posez une question très intéressante, qui mériterait débat. Nous pourrons y revenir en séance publique avec le Gouvernement. Toutefois, cet aspect n’apparaît pas dans la directive que nous transposons. Je demande donc le retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Isabelle Attard. Je maintiens l’amendement. La simplification de notre droit est d’actualité ; or cette complexité juridique est tout à fait préjudiciable à l’utilisation des œuvres. M. Juncker a annoncé que le débat sur le droit d’auteur sera repris très prochainement. En attendant, harmonisons et simplifions : c’est ce que souhaite l’Union européenne.

La Commission rejette l’amendement, puis elle examine l’amendement AC7 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Dans le même esprit que celui de l’amendement précédent, il s’agit ici de supprimer définitivement le mécanisme des prorogations des droits pour les auteurs morts pour la France. On peut en comprendre la logique : il s’agissait de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui ont donné leur vie pour leur pays. Mais cette disposition – adoptée, de surcroît, alors que les droits s’éteignaient bien avant les soixante-dix ans après la mort de l’auteur – contribue à restreindre la diffusion de leurs œuvres et donc de notre patrimoine culturel. Ainsi, sans cette prolongation, les œuvres d’Antoine de Saint-Exupéry entreraient dans le domaine public le 1er janvier 2015, ce qui sera d’ailleurs le cas dans le reste du monde. En France, il faudra attendre 2032 ! C’est tout à fait préjudiciable au rayonnement de l’œuvre de cet écrivain. De plus, les conflits judiciaires, déjà nombreux dans ce cas-là, vont se multiplier.

Il faut donc revenir sur cette aberration. Le domaine public ne doit pas être méprisé : l’entrée d’une œuvre dans le domaine public, c’est la possibilité pour chacun de l’adapter, et de créer à partir d’elle. Cela peut avoir de véritables retombées économiques.

M. le rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment : on sort du cadre du projet de loi. Mais c’est une question de fond, et l’amendement est très intéressant ; nous pourrons en reparler en séance publique, en présence de la ministre.

La Commission rejette l’amendement.

TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES À L’EXPLOITATION
DE CERTAINES ŒUVRES ORPHELINES

Article 3 : Suppression du régime d’autorisation d’exploitation à titre gratuit et non exclusif de certaines œuvres indisponibles

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

Article 4 : Instauration d’un régime d’exploitation d’œuvres orphelines

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC24, AC25, AC26, AC27 et AC28 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement AC5 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Cet amendement vise à supprimer la possibilité, pour l’organisme mettant en ligne une œuvre orpheline, de percevoir des « recettes couvrant les frais liés à la numérisation et à la mise à disposition du public d’œuvres orphelines » : la numérisation ne doit pas avoir de but lucratif.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Cette rédaction serait contraire à la directive qui, au point 2 de son article 6 précise que « les organisations n’utilisent une œuvre orpheline […] que dans un but lié à l’accomplissement de leurs missions d’intérêt public » et « peuvent percevoir des recettes dans le cadre de ces utilisations dans le but exclusif de couvrir leurs frais liés à la numérisation et à la mise à disposition du public d’œuvres orphelines ».

Mme Isabelle Attard. C’est simplement une possibilité ! Les frais de numérisation sont aujourd’hui très inférieurs à ce qu’ils ont pu être. De plus, on voit aujourd’hui les dérives du système permettant aux institutions de faire payer les usagers, notamment avec l’accord conclu entre la Bibliothèque nationale de France et ProQuest.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement AC1 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Il s’agit d’un amendement de repli : à défaut de supprimer la possibilité de percevoir des frais liés à la numérisation et à la diffusion des œuvres orphelines, cet amendement limite à cinq ans cette faculté. Ces frais ne doivent pas devenir une rente pour les établissements concernés ! Cela, nous pouvons le faire.

M. le rapporteur. Cette limitation n’est pas prévue par la directive. Le projet de loi dispose que l’utilisation des œuvres est subordonnée à la double condition qu’elle s’effectue dans le cadre des missions « culturelles, éducatives et de recherche » des organismes, et qu’aucun but lucratif ne soit poursuivi. Les seules recettes qui seront susceptibles d’être perçues sont celles « couvrant les frais liés à la numérisation et à la mise à la disposition du public des œuvres », conformément à l’article 6-2 de la directive. La limitation à ces deux types de frais est cohérente avec l’interdiction de toute exploitation commerciale des œuvres. Il n’est pas souhaitable d’introduire une rigidité supplémentaire. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. le président Patrick Bloche. Cet amendement me paraît intéressant, car la question de l’accès aux œuvres est particulièrement importante. Il faudra poser la question au Gouvernement en séance publique : peut-être serait-il possible d’adopter cet amendement, que vous redéposerez certainement.

Mme Isabelle Attard. J’ajoute qu’il serait bien étonnant que les frais de numérisation ne soient pas amortis après cinq années d’exploitation !

M. le rapporteur. Il faut aussi penser aux frais de mise à disposition, pour lesquels la limitation dans le temps des frais de numérisation pourrait inciter les organismes à demander des tarifs plus élevés.

Mme Isabelle Attard. Autant je conçois que la numérisation ait un coût, en temps et en matériel, autant je ne vois pas du tout à quels frais de mise à disposition vous pensez !

M. le président Patrick Bloche. Il faut au moins créer et entretenir un site internet. Je suggère le retrait de cet amendement, afin d’éviter qu’il ne soit rejeté : nous pourrons creuser ce sujet avec le Gouvernement.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte ensuite les amendements rédactionnels AC29 et AC30 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement AC8 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. La formulation actuelle de l’article est floue ; il est nécessaire que la diffusion en ligne des œuvres orphelines numérisées par les établissements culturels soit explicitement mentionnée par la loi. Ce mode de diffusion permettra au plus grand nombre d’accéder aux œuvres numérisées.

Par ailleurs, pour plus de cohérence, il importe d’abaisser autant que possible les barrières à l’accès. Il convient donc d’empêcher que la consultation et la réutilisation des œuvres ainsi diffusées soient subordonnées à l’achat ou à l’installation d’un logiciel ou d’un système d’exploitation particuliers, ou contraintes par des mesures techniques de protection qui viendraient mettre à mal l’exercice de facultés légitimes, comme la copie privée ou l’illustration de la recherche et de l’enseignement. Le rappel de la notion d’interopérabilité, déjà définie dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique, permettra également de privilégier des formats ouverts.

M. le rapporteur. J’en suis désolé, mais j’émets encore un avis défavorable : cet amendement n’est pas conforme à la directive. Il outrepasse en effet son article 6-1, qui ne définit pas de conditions techniques pour l’exploitation des œuvres orphelines. Les questions de mesures techniques de protection et d’interopérabilité ont été tranchées lors de la transposition de la directive de 2001 par la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite loi DADVSI. Ce projet de loi n’a pas vocation à revenir sur les équilibres alors trouvés, mais uniquement à transposer la directive de 2011.

M. le président Patrick Bloche. Là aussi, c’est un vrai sujet. L’interopérabilité avait effectivement donné lieu, certains d’entre nous s’en souviennent, à de très longs débats lors de la discussion de la loi DADVSI – qui avait également pour objet, au départ, la transposition d’une directive.

Mme Isabelle Attard. Je n’ai pas la même lecture de ce projet de loi que le rapporteur. Il nous reste quelques marges de manœuvre : il faut savoir nous engouffrer, parfois, dans les brèches qui s’ouvrent !

M. le rapporteur. L’idéal serait que vous retiriez cet amendement maintenant pour le redéposer en vue de la séance publique.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC31, AC32 et AC33, ainsi que les amendements de précision AC47, AC34, AC35 et AC36, tous du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement AC9 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. Afin de rassurer les établissements qui voudraient se lancer dans la numérisation d’œuvres orphelines et de leur garantir une certaine sécurité juridique, cet amendement propose que le montant de la compensation équitable que peut percevoir le titulaire de droits d’une œuvre qui avait été considérée comme orpheline soit fixé à l’avance et par décret. Le Royaume-Uni a, je le rappelle, adopté pour les diffusions non commerciales d’œuvres orphelines un forfait de 0,10 livre sterling. Les établissements ne doivent pas pâtir d’avoir pris l’initiative de numériser des œuvres orphelines.

M. le président Patrick Bloche. Vous évoquez un décret : il sera d’autant plus important de soulever la question en séance publique, en présence de la ministre.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Sur le fond, vous avez raison, mais prévoir une simple faculté serait contraire à la directive, qui prévoit une compensation équitable obligatoire. J’ajoute que le considérant 18 de la directive encadre la détermination du montant de la compensation, qui ne doit être calculée qu’en fonction du préjudice réellement subi par les ayants droit, en tenant compte du fait que l’utilisation a été faite à titre non commercial et dans un but d’intérêt public.

Mme Isabelle Attard. Imaginons qu’un ayant droit réclame 20 000 euros à une bibliothèque ou à un musée : en un seul procès, ce sera terminé, toutes les institutions renonceront à mettre à disposition les œuvres orphelines ! De plus, une négociation au cas par cas serait interminable ; comment, d’ailleurs, évaluer le préjudice subi ?

Il me semblerait donc pertinent de réfléchir à une somme forfaitaire et juste
– éventuellement plus élevée que celle retenue par le Royaume-Uni – mais qui ne découragerait pas les établissements de s’engager dans la numérisation d’œuvres orphelines.

M. le rapporteur. L’amendement présente, je l’ai dit, un problème de rédaction. Je vous propose de le retirer pour le redéposer. Nous reprendrons ainsi ce débat en séance publique.

M. le président Patrick Bloche. L’idée de compensation forfaitaire peut être pertinente, et il n’est pas interdit aux parlementaires d’amender un projet de loi. Je vous propose, madame Attard, de travailler avec le rapporteur sur ce sujet, voire avec le Gouvernement, d’ici à l’arrivée du texte en séance publique.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’amendement de précision AC46 et l’amendement rédactionnel AC37, tous deux du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Article 5 : Extension d’application du nouveau régime d’utilisation des œuvres orphelines aux titulaires de droits voisins du droit d’auteur

La Commission adopte l’article 5 sans modification.

TITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES À LA RESTITUTION DE BIENS CULTURELS AYANT QUITTÉ ILLICITEMENT LE TERRITOIRE
D’UN ÉTAT MEMBRE DE L’UNION EUROPÉENNE

Avant l’article 6 : Intitulé du Titre III

La Commission adopte l’amendement rédactionnel AC38 du rapporteur.

Article 6 : Transposition de la directive relative à la restitution des biens culturels

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC39, AC40 et AC41 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

Article additionnel après l’article 6 Coordinations au sein du code du patrimoine

La Commission adopte l’amendement AC49 du rapporteur qui actualise des références désuètes dans le code du patrimoine.

TITRE IV
DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET DISPOSITIONS RELATIVES
À L’OUTRE-MER

Article 7 : Rétroactivité de la date d’entrée en vigueur du titre Ier et dispositions transitoires

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC42 et AC43 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Après l’article 7 

La Commission est saisie de l’amendement AC3 de Mme Isabelle Attard.

Mme Isabelle Attard. La notion de domaine public apparaît bien dans ce projet de loi : je propose donc – car nous pouvons le faire – de saisir cette occasion pour adopter une définition positive de cette notion. En effet, aujourd’hui, le domaine public est défini négativement comme l’ensemble des œuvres de l’esprit non protégées par le droit d’auteur. Le projet de loi parle d’ailleurs de « tomber » dans le domaine public. C’est ce qui reste lorsqu’on s’est bien servi ! Or le domaine public constitue un vivier essentiel de matière culturelle et de création – donc d’activité économique, mais aussi de rayonnement pour notre pays. La série française Kaamelott, que d’aucuns adorent, n’existerait pas sans la légende du roi Arthur, elle-même dans le domaine public !

Il faut donc consacrer la notion de domaine public, afin de le garantir contre les atteintes qu’il peut subir. Il est essentiel, en particulier, de lutter contre les pratiques dites de copyfraud, c’est-à-dire les revendications abusives de droits sur les œuvres qui appartiennent au domaine public. Aujourd’hui, de façon totalement illégale, certaines institutions font payer l’accès à des œuvres du domaine public.

M. le président Patrick Bloche. Voilà un amendement particulièrement conséquent !

M. le rapporteur. Cet amendement n’est pas en lien direct avec la transposition des trois directives. La question que vous soulevez est toute à fait intéressante, et nous devons nous en emparer, mais pas dans le cadre de ce projet de loi.

Mme Isabelle Attard. L’intérêt de notre travail de parlementaires est, me semble-t-il, de pouvoir améliorer les projets de loi – même lorsque les marges de manœuvre sont faibles. La notion de domaine public existe bien dans le projet de loi. Pourquoi nous limiter à une simple transposition ? L’intelligence collective me semble ici sous-utilisée, et c’est bien dommage.

M. le président Patrick Bloche. Le droit d’amendement est évidemment fondamental, et garanti par la Constitution. Je comprends donc parfaitement votre démarche et un projet de loi de transposition peut tout à fait être amendé. L’avis défavorable du rapporteur est dû au fait que le projet de loi se limite à transposer des directives ; votre amendement va au-delà de ce qu’il nous est possible de faire. Cela dit, je ne remets nullement en cause le bien-fondé, sur le fond, de votre amendement, qui traite d’un sujet très vaste.

M. Christophe Premat. Cet amendement soulève, en effet, la question fondamentale de la définition du domaine public, et donc des conditions de distribution des œuvres et des revendications abusives de droits. Si je comprends la position du rapporteur, je rejoins donc le sentiment de frustration de ma collègue. Dans quel cadre la réflexion sur ces enjeux pourrait-elle se poursuivre ?

M. le rapporteur. Je propose à Mme Attard de revoir avec elle, d’ici à la séance publique, les différents sujets soulevés ce matin par ses amendements mais je reste, pour le moment, défavorable à son amendement AC3.

Mme Isabelle Attard. Merci de votre écoute, monsieur le rapporteur. On voit trop souvent des amendements qui restreignent la portée d’un texte : il serait, pour une fois, valorisant d’enrichir un projet de loi.

J’avais déposé, il y a un an, une proposition de loi « visant à consacrer le domaine public, à élargir son périmètre et à garantir son intégrité ». Elle n’a pas été inscrite à l’ordre du jour car j’espérais que le projet de loi sur la création permettrait de discuter de ces enjeux dans des délais raisonnables. Il me semble dommage de ne pas saisir l’occasion qui se présente aujourd’hui.

M. le président Patrick Bloche. Un projet de loi sur la liberté de création, les patrimoines et l’architecture devrait être débattu au printemps 2015. Mais votre démarche est, je le souligne à nouveau, parfaitement légitime, dès lors que nous examinons ce projet de transposition.

Il est toujours difficile de trouver – la main tremblante, comme on sait – un équilibre entre le droit d’auteur et les droits voisins d’un côté, et le souci d’accès aux œuvres du plus grand nombre de l’autre.

L’amendement est retiré.

Article 8 : Application outre-mer

La Commission adopte l’article 8 sans modification.

Elle adopte ensuite l’ensemble du projet de loi modifié.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

——fpfp——

Information relative à la commission

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation a désigné M. Michel Françaix rapporteur sur la proposition de loi de M. Bruno Le Roux, portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (n° 2224).

Présences en réunion

Réunion du mercredi 12 novembre 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, M. Emeric Bréhier, M. Xavier Breton, M. Bernard Brochand, Mme Marie-George Buffet, M. Jean-Noël Carpentier, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-François Copé, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Demarthe, Mme Sandrine Doucet, M. Yves Durand, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, M. François de Mazières, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Christian Paul, Mme Barbara Pompili, M. Michel Pouzol, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Franck Riester, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Patrick Vignal

Excusés. – Mme Laurence Arribagé, Mme Huguette Bello, Mme Brigitte Bourguignon, M. Ary Chalus, M. Jacques Cresta, M. Pascal Deguilhem, Mme Sophie Dion, Mme Annie Genevard, Mme Martine Martinel, Mme Maina Sage, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Stéphane Travert

Assistait également à la réunion. – M. Jean-Pierre Vigier