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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mercredi 20 mai 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 41

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Audition de M. Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, directeur général de la Cité de la Musique

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mercredi 20 mai 2015

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

——fpfp——

La Commission entend M. Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, directeur général de la Cité de la Musique.

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, M. Michel Herbillon souhaite s’exprimer avant que nous n’entendions M. Laurent Bayle ; je lui donne bien volontiers la parole.

M. Michel Herbillon. Monsieur le président, il y a une semaine, lors de la dernière réunion du bureau de notre commission, je vous ai fait part du souhait des commissaires des groupes UDI et UMP d’entendre dans les meilleurs délais Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. J’ai bien conscience que nous l’avons déjà reçue le 24 mars dernier, mais les interrogations que la réforme du collège suscite sur tous les bancs de notre assemblée, dans la communauté éducative et parmi les parents justifient à mon sens ce rendez-vous avec notre commission qui est chargée des questions d’éducation.

La publication ce matin du décret et de l’arrêté relatifs à cette réforme, au moment même où la ministre indique que la concertation n’est pas terminée, s’apparente à un coup de force qui rend cette audition encore plus nécessaire. Sauf à considérer que le débat est désormais clos, mais personne n’ose imaginer cela, je ne doute pas que vous avez transmis notre demande, monsieur le président, et je souhaite savoir quelle réponse la ministre vous a faite.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur Herbillon, sachez que je tente actuellement d’articuler pour le mieux l’activité de notre commission avec la séance publique. Hier, lors de la Conférence des présidents, j’ai indiqué au président du groupe UMP, M. Christian Jacob, qui avait affirmé qu’aucun débat n’avait eu lieu à l’Assemblée nationale sur la réforme des collèges, que notre commission s’était saisie du sujet très en amont, et que nous avions entendu Mme Najat Vallaud-Belkacem dès le mois de mars. Précisant sa pensée, M. Jacob a précisé qu’il ne visait pas les commissions mais la séance publique, ce qui l’a amené à interpeller sur ce sujet M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, et M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, qui représente le Gouvernement à la Conférence des présidents. J’attends donc qu’une décision soit prise concernant l’éventuelle inscription à ordre du jour de notre assemblée d’un débat avec la ministre de l’éducation nationale afin d’établir en conséquence le calendrier de l’activité de notre commission. Si un débat n’était finalement pas organisé en séance publique, notre commission sera évidemment le lieu idoine pour un nouvel échange avec Mme Vallaud-Belkacem sur la réforme des collèges.

En tout état de cause, je vous rappelle que la Conférence des présidents a décidé que le 2 ou le 3 juin se tiendrait à vingt et une heures trente une séance de questions sur la politique de l’éducation.

Mme Dominique Nachury. L’ordre du jour indique que cette séance aura lieu le mardi 2 juin !

M. le président Patrick Bloche. J’ai demandé qu’elle se déroule plutôt le mercredi 3 juin, sachant que plusieurs membres de notre commission sont retenus le mardi soir avec leurs homologues du Bundestag. M. Jacob doit voir ce qu’il en est de la disponibilité des membres de son groupe et M. Le Guen doit vérifier si la ministre est disponible.

Sur un tout autre sujet, lors de la même Conférence des présidents, M. Jacob a regretté que l’UMP ne dispose plus, pour cette session, de la possibilité d’obtenir la constitution d’une commission d’enquête sur les conditions de nomination de Mme Delphine Ernotte à la présidence de France Télévisions. À l’issue d’échanges nourris avec M. Jacob, j’ai proposé que nous procédions par étapes et que notre commission commence par entendre le président du CSA afin qu’il nous explique dans quelles conditions Mme Ernotte avait été nommée. Tout l’intérêt de cette audition tient au fait qu’elle puisse se tenir dans les plus brefs délais, aussi je vous informe, mes chers collègues, comme j’en ai déjà informé les membres du bureau de notre commission, que nous recevrons le président du CSA mardi prochain, à seize heures trente. Le président Jacob s’est réjoui de cette initiative, renvoyant à plus tard l’éventualité de la constitution d’une commission d’enquête.

J’en viens à notre ordre du jour. Nous sommes heureux d’accueillir M. Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, directeur général de la Cité de la musique, accompagné de M. Thibaud de Camas, directeur général adjoint de ce dernier établissement. Vous aviez reçu il y a maintenant plus d’un an une délégation de notre commission dans une Philharmonie encore en chantier, et je me souviens d’avoir rampé, avec d’autres, pour pouvoir me glisser à l’intérieur de la maquette de ce qui est devenu un équipement culturel majeur à dimension nationale, bien au-delà de Paris et de la région Île-de-France.

La Philharmonie a ouvert ses portes le 14 janvier dernier, soit il y a un peu plus de quatre mois. Vous nous confirmerez que ce nouveau lieu rencontre un vrai succès auprès du public. Les perspectives pour la saison prochaine que vous pouvez observer grâce aux abonnements montrent-elles bien qu’il ne s’agit pas seulement d’un réflexe de curiosité envers un nouvel équipement mais d’un engouement qui s’inscrira dans la durée ?

J’ai parlé du public, mais peut-être aurais-je dû évoquer les publics. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre volonté d’atteindre des publics plus diversifiés et d’amener à la musique classique de nouveaux auditeurs, notamment afin d’assurer ce qu’il est d’usage d’appeler le « renouvellement générationnel » ?

L’Ouest parisien vient-il jusque dans l’Est parisien ? Ce point a suscité de grandes angoisses chez certains : de nombreux articles de presse annonçaient que le voyage jusqu’à la Porte de Pantin rebuterait beaucoup d’amateurs de musique classique !

Vous reviendrez sans doute sur le chantier, son achèvement, vos relations avec M. Jean Nouvel, mais aussi sur les problèmes de financement – moins sans doute sous l’angle des investissements, même s’il ne faut pas hésiter à l’aborder, que sur celui du budget de fonctionnement auquel participent l’État et la ville de Paris. Vous nous direz quelle place prend aujourd’hui la région Île-de-France dans le projet.

Nous sommes impatients de vous entendre sur le nouveau pôle musical constitué au nord-est de Paris par la Philharmonie et la Cité de la musique, sans oublier l’Orchestre de Paris qui y a désormais trouvé une résidence définitive après avoir beaucoup migré ces dernières années.

M. Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, directeur général de la Cité de la musique. Mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions, Thibaud de Camas et moi-même, de nous recevoir ce matin. Nous codirigeons le complexe que constituent la Cité de la musique et la Philharmonie de Paris où nous avons déjà eu le plaisir d’accueillir un certain nombre d’entre vous à l’époque du chantier.

Permettez-moi de commencer mon intervention en vous citant les propos tenus très récemment par un grand musicien : « J’ai joué à Paris pour la première fois en décembre 1955 au Théâtre des Champs-Élysées, je suis venu dans la capitale française pour diriger sans interruption pendant soixante ans au Châtelet, à l’Opéra ou à Pleyel. Jamais je n’avais imaginé qu’un jour il y aurait à Paris une salle de concert aussi merveilleuse. La Philharmonie de Paris est extraordinaire et l’acoustique est l’une des meilleures du monde. » Le maestro Daniel Barenboim qui s’exprime ainsi n’est pas le seul à porter ce jugement : depuis le 14 janvier, de nombreuses personnalités internationales de la musique qui ont joué à la Philharmonie tiennent partout dans le monde des propos semblables. Je pense aux chefs d’orchestre que sont Sir Simon Rattle, directeur musical du prestigieux Orchestre philharmonique de Berlin, Valery Gergiev, Mariss Jansons ou Sir John Elliot Gardiner, sans oublier ceux de la plus jeune génération comme Gustavo Dudamel. Les chefs qui ont dirigé l’Orchestre de Paris en résidence à la Philharmonie partagent cet avis : c’est le cas du directeur musical de cet orchestre, Paavo Järvi ou d’Emmanuel Krivine. Les plus grands instrumentistes rejoignent ce concert de louange. Pour citer quelques pianistes, je pense bien sûr à Daniel Barenboim, qui consacre cette semaine quatre récitals à un cycle de sonates pour piano de Schubert, à Lang Lang, à Martha Argerich, à Maurizio Pollini, à la française Hélène Grimaud…

Qu’on le veuille ou non, que le milieu professionnel l’accepte ou pas, la globalisation, la mondialisation, l’internationalisation des échanges sont des faits en matière musicale, et cela est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’un domaine artistique pour lequel la barrière du langage n’existe pas. Aujourd’hui, si elle veut aborder la musique sous l’angle de la vie professionnelle, une formation ne peut plus concevoir une carrière sans une dimension internationale. L’appréciation portée par Daniel Barenboim sur la Philharmonie ne peut donc que nous faire chaud au cœur dès lors que les pouvoirs publics de notre pays, État et collectivités locales, soutiennent la musique en y consacrant d’importantes subventions – même s’il est vrai que l’on compte, en Allemagne, deux ou trois fois plus d’orchestres que chez nous. L’inscription de la France dans une dynamique internationale grâce à la Philharmonie constitue un juste retour. C’est bon pour Paris, et c’est bon pour l’ensemble des régions – lorsque nous accueillons à la Philharmonie les orchestres de région, cela constitue pour eux un point d’entrée sur la scène musicale internationale.

Je tiens évidemment à remercier l’État et la ville de Paris qui ont pris, dès 2006, la décision de créer la Philharmonie avec le soutien de la région Île-de-France. Certes, ces neuf à dix dernières années furent difficiles : un chantier n’est jamais un long fleuve tranquille et le contexte économique s’est transformé en milieu de période. Il n’en demeure pas moins qu’avec le recul, nous ne pouvons qu’apprécier très positivement aujourd’hui la dynamique qui s’est enclenchée.

Le modèle de la Philharmonie n’est pas seulement celui d’une salle à l’acoustique ultra-performante. Nous héritons d’un modèle historique de salles de concert qui a succédé, au XIXsiècle, à la pratique de la musique dans les lieux privés comme les salons. Depuis cette époque, des mutations se sont produites qui font parfois des grandes salles du passé des lieux un peu décalés par rapport aux usages de nos sociétés modernes : elles n’ouvrent le plus souvent qu’en soirée, elles sont la plupart du temps très spécialisées – une telle est consacrée à l’opéra, une autre à la musique baroque, une autre encore à la musique contemporaine… Elles ne permettent donc pas l’ouverture aux nouveaux publics que vous évoquiez, monsieur le président, dans une période où nous constatons un vieillissement continu des spectateurs. Au cours des trois dernières décennies, l’âge médian du public des concerts de musique classique serait approximativement passé de quarante-huit à soixante ans. Durant la même période, l’affluence des spectateurs de moins de quarante ans aurait été divisée par deux. Et je n’évoque même pas les enjeux liés aux clivages d’ordre sociaux. Il est donc capital que la diffusion de la musique classique s’inscrive dans une dynamique fondée sur de nouveaux modèles – comme les musées ont su le faire avec succès grâce à la mutation entreprise dans les années 1970 au Centre Pompidou. Tel était l’enjeu qui se trouvait au cœur de la création de la Philharmonie.

Les tutelles ont pris le risque de l’installation dans un périmètre géographiquement décalé par rapport aux usages. L’Est parisien, qui paraît aujourd’hui un point extrême, pourra cependant constituer demain une zone centrale du Grand Paris. La Philharmonie a par ailleurs été créée en complément des propositions déjà offertes par le Parc de la Villette : un conservatoire national et une Cité de la musique comprenant déjà deux salles de concert de mille et de deux cent cinquante places, un musée et des salles d’exposition. Il a aussi été décidé que la Philharmonie n’était pas seulement une salle symphonique, mais une salle exemplaire mise en regard avec de nombreux autres espaces : salles adaptées de répétitions pour toutes les formations de la région parisienne ou les formations invitées, espaces pédagogiques destinées à l’éducation musicale des publics de tous les âges, lieux de nature plus ludique comme les salles d’expositions, les espaces de restauration… Dans cette perspective, dès 2006, nous avons travaillé à un programme validé par l’État et la Ville de Paris, avec le soutien de la région, sur la base duquel s’est déroulé, entre décembre 2006 et avril 2007, le concours d’architecture qui a permis de sélectionner le projet de Jean Nouvel. Parmi tous les candidats retenus, Jean Nouvel était celui qui avait le mieux compris et intégré toutes les dimensions que j’ai évoquées. Son bâtiment s’intégrait parfaitement au Parc de la Villette et proposait des connexions très bien calculées par rapport aux nouveaux usages du tramway. Sa forme et le signal en surplomb marquaient aussi un rapprochement avec les banlieues situées au-delà du périphérique, barrière symbolique entre les territoires.

En 2006, avant même de caler notre programme ambitieux et de choisir un architecte, l’hypothèse d’un coût des travaux de 200 millions d’euros avait été retenue. Ils s’achèvent aujourd’hui pour un montant total de 390 millions d’euros – encore faut-il noter qu’il s’agit d’euros 2015 alors que les estimations étaient énoncées en euros 2006.

Nous avons décidé d’ouvrir la Philharmonie dès le mois de janvier 2015 : l’ensemble des espaces intérieurs étaient utilisables et il n’était pas question que nous ne respections pas nos engagements à l’égard de la communauté musicale et culturelle internationale concernant une programmation établie depuis deux ans. D’ici à la fin de l’été, nous pensons que les travaux seront terminés, à l’extérieur comme à l’intérieur, et que le tout aura son aspect définitif. Il reste de notre devoir de veiller à ce que le bâtiment soit performant : bien évidemment, rien ne nous empêchera d’émettre des réserves, qui seraient levées ultérieurement, sur tel ou tel point s’il n’était pas répondu à la totalité de nos attentes.

Nous voulons mettre en œuvre un nouveau modèle de transmission de la musique qui fédère, rassemble et rapproche des fonctionnalités que les usages de la vie quotidienne ont tendance à séparer et fragmenter. Si on laisse la vie professionnelle musicale à son libre cours, elle mène inéluctablement à une spécialisation par genres : ceux qui pratiquent le baroque veulent se retrouver entre eux, les spécialistes de musique contemporaine aussi… Alors qu’une cassure existe entre classique et musiques populaires, et que trop de lieux sont consacrés à des usages spécifiques, il convient d’adopter une vision plus fédérative ; c’est l’enjeu du projet artistique de la Philharmonie.

Il a d’abord été choisi de traiter tout le spectre historique : il est capital de défendre l’entièreté du répertoire et de donner une vision dynamique de l’histoire de la musique. Cela se fera grâce aux résidents de la Philharmonie. L’Orchestre de Paris, résident principal très inscrit dans le répertoire symphonique du XIXe et du XXsiècle, a pour vocation de représenter la France sur le plan international. Les Arts florissants, formation associée, constitue un outil exceptionnel de diffusion des musiques des XVIIe et XVIIsiècles. L’Ensemble intercontemporain, ensemble résident, joue ce même rôle pour la jeune création et la musique du XXsiècle. L’Orchestre national d’Île-de-France, formation associée, nous permettra par ailleurs de mener rapidement une politique de développement des nouveaux publics venant notamment de la région.

Avec une grande salle construite pour accueillir 2 400 personnes, la Philharmonie est destinée au très grand symphonique. Cela ne doit pas empêcher de penser aussi au contrepoint que constituent les formations de chambre, raison pour laquelle elle est liée à un cinquième orchestre, l’Orchestre de chambre de Paris, formation associée.

La Philharmonie fédérera ensuite les dimensions nationales et internationales. Elle se doit d’accueillir les orchestres et les formations issus de toutes les régions de France. Parmi de nombreux autres orchestres, ceux de Toulouse, de Lille ou de Lyon ont déjà joué dans la grande salle. Au cours du week-end « Orchestres en fête », du 27 au 29 mars dernier, une dizaine d’orchestres de région se sont succédé dans toutes nos salles combles. En tant qu’outil national connecté sur l’international, il est essentiel que nous puissions dialoguer au quotidien avec les formations régionales. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse joue par exemple deux à trois fois par an dans nos salles : cela permet à cette formation de développer toute sa politique internationale en direction de l’Europe et des États-Unis. L’enjeu est de taille pour un orchestre qui est aujourd’hui reconnu sur le plan international.

Le rôle fédérateur de la Philharmonie s’entend aussi en raison de sa présence sur un site où se trouvent déjà le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et la Cité de la musique. Nous construisons un projet unique visant à rassembler les trois salles de concerts : les plus petites permettent d’assurer l’émergence des jeunes générations, et les plus grandes favorisent la confrontation des formations nationales que j’ai citées avec les plus grands orchestres et artistes du monde.

Le caractère fédérateur du projet s’affirme également dans la mise en regard de la dimension classique avec des formes qui peuvent relever de pratiques plus populaires. Ces dernières s’inscrivent dans le patrimoine occidental – c’est le cas du jazz ou des musiques dites pop des années 1960 – aussi bien que dans les musiques du monde, qu’elles proviennent par exemple d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine. Cette ouverture permet de donner une autre vision de la musique classique, que l’on croit souvent réservée à une élite et enfermée dans un ghetto ; elle crée une certaine fluidité. La réussite en la matière n’est pas tant un problème budgétaire qu’une question de vision. Cette approche mériterait en tout état de cause d’être partagée par d’autres établissements aussi bien à Paris qu’en région ; elle constitue à mon sens un point de passage essentiel vers la recherche de nouveaux publics.

La Philharmonie sera aussi un lieu fédérateur parce que nous veillons à ne pas développer des espaces consacrés aux seuls concerts. Il me semble en effet essentiel de trouver d’autres modes d’appropriation de la musique par le public, que ce soit grâce aux projets pédagogiques ou aux expositions. Il faut pouvoir s’adapter aux usages des non-mélomanes et penser par exemple aux familles qui souhaitent que leurs enfants ne reproduisent pas la timidité qu’elles peuvent ressentir par rapport à la musique. C’est tout l’enjeu de notre projet éducatif qui, nous l’espérons, concernera environ 150 000 personnes par an : toutes les tranches d’âges se voient proposer des activités, certaines s’adressent aux tout-petits ou aux adolescents, d’autres aux adultes, aux universitaires ou encore aux publics empêchés, comme les personnes en situation de handicap ou celles qui se trouvent à l’hôpital.

En matière éducative, nous croyons très fort à la dimension collective et à la pratique. Cette dernière peut se développer sans l’apprentissage préalable du solfège à partir de la répétition des gestes des musiciens. Nous proposons divers ateliers d’éveil et d’initiation, des ateliers de fabrication d’instruments, des ateliers de préparation à des concerts participatifs – certains spectateurs qui auront par exemple travaillé en amont sur la partition du Messie de Haendel chanteront plusieurs parties des chœurs avec les professionnels lors du concert. Ce type de manifestations, programmé le week-end, permet à un public plus familial que celui de la semaine de découvrir divers répertoires musicaux sans être intimidé.

En semaine, nous donnons la priorité à la relation avec le milieu scolaire : des conventions ont été passées avec l’Éducation nationale dans le cadre de l’aménagement des rythmes scolaires pour proposer aux jeunes toutes sortes de parcours autour d’ateliers, de concerts éducatifs, sans oublier la découverte du musée. Le week-end nous développons une offre davantage adressée aux familles : les artistes qui ont déjà joué en semaine acceptent par exemple de présenter les œuvres, de réduire la durée du concert ou de participer à des ateliers avec le public. Les familles peuvent aussi venir à la Philharmonie parce que cette dernière accueille les enfants dans des ateliers musicaux pendant que les adultes assistent au concert, mais tous peuvent aussi aller ensemble au concert avant de rejoindre ensuite un atelier intergénérationnel. Il existe donc une double dimension de l’offre : celle adressée aux mélomanes qui assistent le soir aux grands concerts de la semaine, et celle des week-ends, davantage tournée vers les publics familiaux avec une gamme de propositions en fin de matinée, en après-midi et soirée.

En matière pédagogique et éducative, je veux insister sur certains projets spécifiques. Nous mettons en place des offres destinées aux régions. Nous signons des conventions avec les bibliothèques et les médiathèques régionales afin qu’elles aient accès aux ressources numériques exceptionnelles dont nous disposons grâce à la captation sonore ou audiovisuelle de tous nos concerts. Depuis 2010, nous avons lancé le très ambitieux projet Démos – Démos pour « dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale » –, fondé sur l’apprentissage de la pratique orchestrale par des enfants de sept à douze ans qui résident dans des quartiers relevant de la politique de la ville. Des orchestres Démos existent déjà dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis, mais aussi dans l’Aisne et en Isère. Les enfants qui ne connaissent pas le solfège s’astreignent à un travail intense deux fois par semaine avec des musiciens professionnels et des travailleurs sociaux. Rapidement, leur regard sur la musique change complètement de même que le regard de leurs parents. Entre 2015 et 2018, nous comptons créer vingt à vingt-cinq orchestres Démos en irriguant l’ensemble du territoire national. Nous allons sur le terrain dans les régions où nous travaillons avec les musiciens professionnels. En retour, ces orchestres viennent jouer à la Philharmonie et montrer leur travail.

Pour conclure, monsieur le président, je vous confirme que le succès est au rendez-vous. Nous vivons un scénario que même les plus optimistes n’osaient pas envisager. Au centième jour d’ouverture 450 000 personnes avaient fréquenté la Philharmonie : plus de la moitié d’entre elles pour des concerts payants, 135 000 pour accéder au musée et aux expositions, 68 000 pour participer à des activités éducatives, et 52 000 pour assister à des activités non payantes comme les portes ouvertes ou les pré-concerts gratuits. Nous avons actualisé le chiffre de fréquentation au 14 mai : il s’élève à 550 000 personnes avec une répartition à due proportion dans les divers postes que j’ai évoqués. De ces chiffres, on peut déduire que le taux de remplissage de la nouvelle salle atteint 96 %, ce qui est particulièrement satisfaisant. Il est d’ailleurs difficile de faire mieux. Ce taux indique que nous nous trouvons dans l’obligation de refuser du public pour de nombreux concerts alors que nous disposons de cinq cents places de plus qu’à la salle Pleyel. J’ai par exemple calculé que nous aurons reçu neuf mille spectateurs pour les quatre concerts Schubert par Daniel Barenboim, et que nous en aurions sans doute reçu environ sept mille si l’événement s’était déroulé à la salle Pleyel. Nous constatons donc un afflux de public supplémentaire de 30 à 40 %. S’il ne permet pas d’augmenter les recettes dans les mêmes proportions, car notre politique tarifaire est plus pondérée, il indique que nous avons réussi à agréger le public de l’Ouest parisien qui était fidèle à la salle Pleyel – malgré le trouble que lui ont d’abord causé ses appréhensions liées à la localisation de la Philharmonie, il se déplace parce qu’il aime la salle dont les mélomanes louent les qualités – et de nouveaux publics venus de Paris, de la région Île-de-France mais aussi des autres régions françaises et de l’étranger. Nous lancerons des études sérieuses pour connaître les motivations de ces nouveaux publics et ses origines.

Mme Régine Povéda. Lieu culturel pensé depuis de nombreuses années – le concours international a été remporté par l’architecte Jean Nouvel en 2007 –, la Philharmonie de Paris invente un nouveau concept de partage de la culture. En effet, si elle s’inscrit dans le tissu culturel parisien, elle est un lieu à vocation nationale et même internationale. Avec la Cité de la musique, elle constitue un atout clair pour notre pays en matière de rayonnement culturel et musical.

La Philharmonie, c’est une architecture audacieuse sans équivalent dans le monde, un espace de 2 400 places largement modulable et capable de s’adapter à différentes formes de musiques, des salles de répétitions ouvertes au public, une acoustique innovante, un espace d’exposition et une grande partothèque. Le projet de Jean Nouvel s’inscrit dans le parc de La Villette, lieu de rencontres et de promenades privilégiés de l’Est et du Nord parisiens mais aussi franciliens. Le complexe formé par la Philharmonie et la Cité de la musique qui abrite le Musée de la musique et une grande médiathèque, deviendra, j’en suis certaine, un lieu incontournable de la vie culturelle française.

Ce bâtiment a choisi de s’ouvrir largement, aussi bien dans son architecture que dans sa politique de programmation et de médiation culturelle, aux publics souvent éloignés de productions musicales jugées trop élitistes ou tout simplement méconnues.

Il manquait une salle musicale dans l’Est parisien, quartier en pleine mutation, à proximité des grands moulins de Pantin et du futur campus universitaire Condorcet d’Aubervilliers. Le toit accessible du bâtiment permet d’embrasser Paris et la petite couronne d’un seul et même coup d’œil. La Philharmonie est le premier des ponts qui seront lancés vers les départements jouxtant Paris, en l’espèce la Seine-Saint-Denis. Non seulement son implantation rééquilibre l’offre classique parisienne, concentrée au centre et à l’ouest, mais elle place la Philharmonie au cœur de la future métropole parisienne.

Avec un démarrage fracassant, dû notamment à la venue de l’excellente exposition consacrée à David Bowie, la Philharmonie a accueilli depuis son inauguration officielle, en janvier dernier, plus de 450 000 spectateurs. Les chiffres que vous avez cités montrent que les Parisiens, les Franciliens et les Français avaient besoin de disposer d’une salle de référence en matière musicale, plus ouverte que ne l’était la salle Pleyel.

La Philharmonie a pour vocation de faciliter, pour tous, la pratique et la connaissance de la musique dans son ensemble. La musique baroque sera représentée, avec Les Arts Florissants de William Christie et l’Orchestre de chambre de Paris. Les orchestres résidents et associés, l’Orchestre de Paris, l’Ensemble intercontemporain, créé par Pierre Boulez, et l’Orchestre national d’Ile-de-France y jouiront de plusieurs salles de répétition. Les orchestres étrangers en tournée pourront y séjourner, et y développer une programmation et des échanges. Le jazz, les musiques actuelles et du monde seront également bien présents dans la programmation.

Nous regrettons qu’aujourd’hui les concerts classiques soient toujours réservés à un cercle d’initiés. Plus qu’ailleurs, les inégalités socioculturelles sont visibles dans la fréquentation des scènes musicales. Pour enrayer ce phénomène, le renouvellement des publics est une nécessité. Il s’agit de l’un des objectifs principaux de la Philharmonie. Selon les premiers résultats de l’enquête menée par le sociologue Stéphane Dorin, l’âge médian des publics du classique est de soixante ans aujourd’hui, contre trente-six ans en 1973. La volonté de la Philharmonie de réduire la distance entre la musique classique et le public se retrouve dans un détail concret, amusant mais intéressant : la distance entre le pupitre du chef d’orchestre et le fauteuil de la salle qui en est le plus éloigné a été réduite au minimum pour une salle de cette taille.

Une offre artistique et pédagogique très diversifiée vise les jeunes et leurs familles, notamment les jeunes franciliens. La démarche intergénérationnelle de votre établissement renouvelle les pratiques des établissements culturels. Une politique tarifaire avantageuse sera mise en place pour les jeunes, mais vous pourrez sans doute nous en dire plus sur les recettes et sur ces politiques dédiées.

La Philharmonie dédiera en outre quinze salles au pôle éducatif. Votre souhait d’ouvrir le week-end aux familles est une excellente chose : les ateliers destinés aux enfants sont particulièrement importants dans une structure comme la vôtre.

Le numérique a également sa place à la Philharmonie qui intègre pleinement les technologies d’aujourd’hui et de demain. C’est un élément essentiel de la transmission culturelle et vous pourrez peut-être nous donner quelques détails sur votre projet en la matière.

Nous ne pouvons que saluer votre volonté de retransmettre les concerts de la Philharmonie en direct et en différé : cinquante nouveaux concerts par an sont disponibles durant au moins quatre mois sur Philharmonie Live, site qui sera enrichi par de nombreux entretiens avec des musiciens et des musicologues ainsi que par des reportages autour des thématiques de la saison. Il permettra aussi d’accéder aux archives audiovisuelles de la Cité de la musique et de la Salle Pleyel, soit près de cinq cent cinquante concerts. Ces contenus seront aussi accessibles grâce à une application mobile et sur tablette. Il s’agit bien d’un outil supplémentaire pour diffuser largement la production musicale.

Face aux enjeux et aux défis à relever, pouvez-vous nous indiquer quelles orientations il convient de donner à la Philharmonie pour qu’elle accueille un large public, notamment les scolaires, les publics empêchés, et tous ceux qui résident hors de l’Île-de France ?

En matière d’investissement, suite à 1a polémique à laquelle a donné lieu le coût élevé des travaux, il semble important de faire le point sur l’avancement du chantier et sur le coût prévisionnel définitif. Qu’en est-il par ailleurs de la pérennité du budget de fonctionnement qui paraît somme toute élevé ? Il est vrai que si la culture n’a pas de prix, elle a un coût, et je pose ces questions afin que nous puissions répondre aux critiques de ceux qui ne voient dans la Philharmonie qu’une salle de plus, pour ne pas dire « de trop ».

M. Michel Herbillon. Avant toute chose, monsieur Bayle, monsieur de Camas, je tiens à saluer l’engagement qui a été le vôtre et celui de vos équipes pour mener à bien le projet de la Philharmonie. Nous sommes frappés par sa cohérence. Vous l’avez porté depuis l’origine, et nous savons quel véritable parcours d’obstacles vous avez dû franchir pour pouvoir aboutir aujourd’hui.

Le groupe UMP a toujours soutenu ce projet. Lors de la précédente législature, le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, et les ministres de la culture successifs ont pris des décisions en ce sens. J’ajoute que ce soutien s’est poursuivi sous l’actuelle législature alors même que la quasi-totalité des projets culturels étaient annulés. Passés dans l’opposition, nous avons regretté la véritable saignée opérée sur le budget de la culture au cours des trois dernières années. En déclarant, dimanche dernier, à Cannes, que la baisse du budget de la culture était « une erreur », le Premier ministre vient rétrospectivement de nous donner raison. Dont acte !

Ne boudons pas notre plaisir ! Dans notre pays où les esprits chagrins sont à la mode et où la critique est quasi-systématique, ne renonçons pas au bonheur de constater le magnifique succès public du lancement de la Philharmonie. Qui pouvait penser qu’en quatre mois l’établissement que vous dirigez recevrait 550 00 visiteurs ? Félicitons-nous que les plus grands musiciens du monde saluent l’acoustique de la grande salle – certains prennent même la parole à l’issue des concerts pour dire devant des salles combles leur joie et leur satisfaction d’avoir joué à Paris dans un nouveau lieu !

Ce succès est bien entendu le vôtre et celui de vos équipes, mais il s’agit aussi d’un succès français. Nous pouvons tous nous en réjouir : la France reste pour de très nombreux pays un phare en matière de création et d’expression culturelle. La manière dont ce projet décloisonne les genres musicaux aussi bien que les publics constitue une véritable innovation. La Philharmonie est d’ailleurs novatrice dans tous ces aspects, aussi bien par son geste architectural fort et visible aux abords du périphérique que par sa localisation atypique ou par son projet culturel même. Permettez à l’élu de la banlieue est que je suis de saluer un choix symbolique au sein du Grand Paris qui permet d’attirer de nouveaux publics. Qui imaginait hier trouver dans le même lieu une exposition consacrée à David Bowie et des concerts des plus prestigieux orchestres symphoniques du monde dirigés par les plus grands chefs ? Et je ne parle pas des concerts participatifs, des activités pour les enfants, des visites scolaires, des répétitions ouvertes au public des cinq formations rattachées, des ateliers d’éveil ou des rencontres avec les artistes…

Nous sommes fiers de cette nouvelle réalisation qui constitue un élément d’attractivité pour la France. Nous ne pouvons qu’être satisfaits de constater que l’ambition musicale de Paris, du Grand Paris, de la région Île-de-France et de notre pays tout entier se situe à ce niveau d’excellence.

Monsieur Bayle, d’ici à deux ou cinq ans, à partir de quels critères apprécierez-vous les résultats du projet ? Quels éléments permettront de confirmer le succès que vous avez constaté depuis quelques mois ?

Les inquiétudes que j’avais relevées en préparant l’examen du budget de la culture pour 2015 persistent-elles concernant le budget de fonctionnement de la Philharmonie ?

Disposez-vous déjà d’éléments d’information sur le public ? Est-il différent de celui qui fréquentait la salle Pleyel ou de celui qui continue de se rendre au Théâtre des Champs-Élysées ?

Sans vouloir le moindre du monde être indélicat à l’égard d’une formation musicale d’excellence, je crois que l’on peut constater que l’Orchestre de Paris n’a pas encore atteint la notoriété de l’Orchestre philharmonique de Berlin, de celui de Vienne, ou de certains grands orchestres américains. Quelles étapes cet orchestre, résident principal de la Philharmonie, doit-il désormais franchir pour atteindre le niveau de réputation des formations que j’ai citées et être invité à l’étranger ?

Enfin, permettez aux quelques amateurs de belles voix et d’opéra qui auraient remarqué que vous n’avez évoqué ni le récital lyrique ni l’opéra en version de concert de vous demander si la grande salle fait peur aux chanteurs qui se produisaient pourtant à la salle Pleyel.

Mme Isabelle Attard. Nous parlons de la Philharmonie depuis des années. Si les aléas de sa construction ont alimenté les articles de presse, cette salle, que je n’ai pas encore eu la chance de visiter, semble extraordinaire sur le papier.

La représentation nationale se soucie légitimement de l’utilisation des deniers publics. Or la construction de la Philharmonie de Paris a pris deux ans de retard et le budget du chantier a explosé. Financés à 45 % par l’État, à 45 % par la ville de Paris, et à 10 % par la région Île-de- France, les travaux ont vu leur coût passer de 118 à 386 millions d’euros, soit une augmentation de plus du triple ! La Cour des comptes a notamment dénoncé « une stratégie politico-administrative visant à minimiser les estimations initiales ». De plus, le maître d’ouvrage et le consortium mené par Bouygues semblent avoir tenu l’architecte Jean Nouvel à l’écart des principales décisions concernant le chantier. Dans la période de crise économique durant laquelle s’est construite la Philharmonie, la question reste posée : fallait-il voir si grand ? Jean Nouvel parle de contrefaçon et de sabotage, que lui répondez-vous ?

Compte tenu du nombre de salles de concert de musique classique qui existent déjà dans la capitale, comment comptez-vous attirer un nouveau public à la Philharmonie ? Comment vous démarquerez-vous des autres salles ? Je vous ai entendu parler d’une double programmation avec du classique en semaine, et des propositions plus ludiques et familiales le week-end. Dans le département où je suis élue, l’Orchestre de Caen organise sur ce modèle des mini-concerts le dimanche après-midi à destination des très jeunes, et c’est une réussite. Dans ce cadre, le chef principal de l’orchestre, Vahan Mardirossian, dirigera par exemple ce mois-ci L’Histoire de Babar, le petit éléphant de Francis Poulenc, dans la version orchestrée par Jean Françaix. Les places à 3 euros pour ces concerts du week-end se vendent comme des petits pains, et les salles sont toujours pleines. Cette programmation constitue un important facteur de l’ouverture vers les familles.

Dans le même esprit, les « Clefs de l’orchestre » sont une série de concerts pédagogiques durant lesquels Jean-François Zygel explique, avec l’Orchestre philharmonique de Radio France, les grandes œuvres du répertoire symphonique pour un public qui ne débourse que 7 euros pour accéder à la Maison de la radio. Cet exemple montre que certaines salles parisiennes vous font déjà une concurrence attractive et originale. Quelle politique tarifaire comptez-vous mener pour y faire face ?

Enfin, au-delà de la question de la fréquentation de vos propres concerts, se pose celle de la fréquentation globale des salles de concert parisiennes. Il serait regrettable qu’un tel investissement n’aboutisse qu’à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Comment ferez-vous en sorte que le nombre total de spectateurs augmente, afin que votre activité ne se développe pas au détriment de celle des autres établissements ?

La salle Pleyel offrait 3 000 places lors de son inauguration, en 1927, et 2 400 places en 1999. En 2006, lors de la réouverture, après quatre ans de travaux, on ne comptait plus que 1 900 sièges. Cette saison, d’après Médiapart, beaucoup de ces places sont restées inoccupées malgré les prix bradés et les invitations, même lors du concert inaugural de l’Orchestre de Paris, en septembre dernier. Dans ces conditions comment pensez-vous trouver au moins mille spectateurs supplémentaires ?

M. Rudy Salles. Depuis son ouverture au mois de janvier dernier, la Philharmonie a réussi le pari de s’imposer comme l’un des lieux incontournables du paysage culturel parisien, participant à la démocratisation de la musique symphonique dans un quartier populaire de la capitale. Il est indéniable que la première année d’exploitation est d’ores et déjà un très grand succès. Lors des cent premiers jours d’ouverture, le site a accueilli plus de 450 000 visiteurs au total, dont plus de 150 000 ont assisté à un événement dans la grande salle de concert.

Ce succès permet d’affirmer que la culture musicale est véritablement un bien commun, et non une activité réservée à une élite. Vous conviendrez qu’il serait dommage qu’un tel projet se dégrade pour des raisons financières. Je fais référence à la dérive budgétaire d’un chantier qui a été beaucoup plus onéreux que prévu : estimé initialement à 170 millions d’euros, son coût a fini par avoisiner les 386 millions.

Pouvez-vous nous indiquer si la fréquentation permettra de faire face à la baisse de votre budget de fonctionnement, qui devait initialement être fixé à 36 millions d’euros ? Comment envisagez-vous l’insertion de la Philharmonie de Paris dans le futur Grand Paris ? Il est essentiel que les pouvoirs publics favorisent l’accès à la culture musicale, notamment par des subventions, mais ont-ils les moyens de soutenir l’institution sur le long terme ? Le coût de fonctionnement est estimé à 30 millions par an, dont 18 millions devaient initialement être financés par des subventions publiques. Comment comptez-vous assurer l’équilibre financier de la Philharmonie ? Un développement plus poussé du mécénat vous semble-t-il une solution envisageable pour assurer sa pérennité ?

Mme Gilda Hobert. Messieurs, croyez bien que nous sommes honorés de vous accueillir au sein de cette commission. Nous vous remercions pour votre présence et pour vos propos liminaires qui en disent déjà long sur votre mission. Car, dès lors que nous parlons de culture, c’est bien d’une mission qu’il s’agit, et cela est encore plus vrai concernant des établissements aussi prestigieux que la Cité de la musique et la Philharmonie de Paris.

Vous avez instauré un vrai tournant avec une nouvelle salle et une nouvelle programmation. C’était un pari risqué, mais vous avez su, à mon sens, lier réflexion artistique et considérations économiques, tout en gardant une cohérence dans le projet de la Philharmonie fusionnée avec la Cité de la musique.

À l’évidence, au premier trimestre, ce fut une réussite que nous saluons. Cela a déjà été dit : plus de 450 000 personnes ont fréquenté la Philharmonie durant les cent premiers jours d’ouverture, dont 30 000 visiteurs pour les seules portes ouvertes du week-end inaugural. Les retours concernant ce nouvel espace de vie sont très positifs tant de la part des musiciens que du public.

Après cette introduction laudative, permettez-moi de revenir sur la notion de mission puisque vous vous êtes fixé celle de la pédagogie ancrée dans le projet artistique. Monsieur Bayle, dans une interview récente vous affirmez : « La Philharmonie ne se veut pas seulement une salle de concert, mais un lieu de réappropriation de la musique par le public. » Vous indiquez également vouloir « encourager la pratique amateur et collective et proposer des contenus adaptés à toutes les générations et à toutes les couches sociales ». À l’évidence les ateliers avec pratique musicale en famille, la programmation des week-ends, la place donnée aux adolescents procèdent absolument de cette intention. Nous saluons aussi la démarche des orchestres Démos. Ces premiers mois vous ont-ils permis de dresser un micro-bilan de ces actions ? J’ai conscience que cela est encore très prématuré, mais peut être disposez-vous déjà de données sur des tendances qui montreraient si les objectifs d’ouverture à un plus large public ont été atteints ?

Que pouvez-vous nous dire des mesures mises en œuvre, notamment en matière tarifaire, afin d’inciter des spectateurs de toutes les catégories sociales à se rendre à la Philharmonie ?

Enfin, j’aimerais aborder avec vous un dernier point concernant le personnel de l’établissement culturel que vous dirigez. Le 25 mars dernier, plusieurs syndicats menaçaient de faire grève en raison de conditions de travail parfois difficiles dans un bâtiment encore inachevé. Où en êtes-vous sur ce plan ? Avez-vous réussi à trouver des accords ?

Mme Valérie Corre. La Philharmonie de Paris est un outil culturel considérable par sa taille et sa conception, mais aussi, comme vous le souligniez, monsieur Bayle, par la qualité incontestable de son acoustique. Cependant, au vu de l’ampleur du projet et de l’investissement consenti par l’État, il est capital que la Philharmonie accueille tous les Français, y compris les publics peu familiers des salles d’opéra ou de concert, et qu’elle constitue un outil de promotion culturelle. Comme vous l’avez constaté, cette préoccupation est largement partagée parmi nous.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les partenariats de la Philharmonie avec les collèges et les lycées ? Dans le cadre de votre projet éducatif et culturel, quels sont les contenus de ces partenariats ? Quels moyens mettez-vous en œuvre pour ouvrir la Philharmonie à l’ensemble des établissements scolaires du territoire, et pas seulement à ceux de la ville de Paris et de sa proche banlieue ?

Comment comptez-vous cibler un public souvent exclu des grandes salles de concert pour des raisons financières ? Quelle politique tarifaire mènerez-vous afin de rendre accessibles les grands spectacles présentés dans la nouvelle salle ? Des partenariats peuvent-ils se nouer pour inclure certains concerts dans le cadre de Pass culturels ou de chèques culture que proposent parfois les collectivités locales ?

Mme Dominique Nachury. Monsieur Bayle, vous avez dit la qualité de la Philharmonie et la place qu’elle occupe désormais dans le monde international de la musique. Si nous partageons vos ambitions, il nous appartient aussi d’aborder des problèmes plus prosaïques.

Comment pensez-vous que coexisteront les différentes salles symphoniques de la capitale : la Philharmonie, la salle Pleyel, le nouvel auditorium de Radio France et celui de la future Cité musicale de l’île Seguin ? Pouvez-vous en particulier nous en dire plus sur l’avenir de la salle Pleyel ?

Vous avez évoqué le renouvellement et la diversification du public. Comment évaluerez-vous les actions que vous mettez en place en ce sens, notamment le projet éducatif que vous avez présenté ? À partir de quels critères procéderez-vous ? Des points d’étape sont-ils prévus, quand auront-ils lieu ?

Mme Julie Sommaruga. Monsieur Bayle, comme vous, nous sommes tous attachés à la démocratisation de la musique. Il faut permettre à tous d’accéder au meilleur de toutes les musiques : le projet éducatif fort et fédérateur que vous nous avez présenté correspond bien à cette ambition.

Trop nombreux sont encore ceux qui, dans les quartiers populaires, n’ont pas accès aux équipements culturels et aux professionnels compétents. Vous avez évoqué le travail mené avec l’Éducation nationale et avec les parents, mais envisagez-vous de vous adresser aussi aux associations et aux collectivités, notamment dans les quartiers populaires ? Des projets menés en commun permettraient de faire venir à la Philharmonie d’autres jeunes sans lien direct avec l’Éducation nationale, et d’autres publics de tous âges.

Mme Annie Genevard. Monsieur Bayle, votre exposé atteste de la richesse de la réflexion entreprise, notamment concernant le projet culturel et éducatif, mais aussi de la générosité d’un lieu ouvert aux territoires, aux publics et aux formations musicales. Nous ne pouvons que nous réjouir du succès d’un équipement dont la création a été décidée sous les précédents gouvernements auxquels nous ne pouvons que rendre hommage.

Lorsque je vous avais rencontré en tant que rapporteure pour avis du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015, vous m’aviez fait part de vos inquiétudes concernant le financement du fonctionnement de la Philharmonie. Elles étaient notamment motivées par les incertitudes relatives au niveau de participation de la ville de Paris. Cette dernière semblait vouloir conditionner le maintien de ses engagements à l’ouverture de la Philharmonie aux musiques actuelles – comme si cela rendait les dépenses plus légitimes que si elles étaient consacrées au répertoire classique. Qu’en est-il aujourd’hui de la participation de la ville de Paris ? Qu’est devenue son idée ? Elle ne semblait pas susciter un très grand intérêt de votre part, ce qui est bien naturel s’agissant de la programmation d’une salle conçue pour la musique classique.

M. Pascal Demarthe. Inaugurée en janvier 2015, la Philharmonie de Paris est déjà enviée à l’étranger. Son objectif premier, vous l’avez rappelé, est de favoriser l’éducation artistique et musicale. Votre programmation est riche, attractive et diversifiée. Lundi dernier, vous avez par exemple accueilli un concert des Arts Florissants consacré à des madrigaux de Monteverdi que les mélomanes d’Abbeville avaient eu le bonheur d’entendre, le vendredi 15 mai, dans le cadre du festival Chœurs et voix-Abbeville-Baie de Somme, présenté par Frédéric Lodéon.

Aujourd’hui, les collectivités encouragent les politiques culturelles volontaristes à destination de tous et s’engagent en la matière. Pouvez-vous nous parler du travail effectué par la Philharmonie en direction des publics les plus éloignés de la culture ? Quels sont vos objectifs en la matière ?

M. Michel Piron. Monsieur Bayle, vous avez évoqué « un nouveau modèle de transmission de la musique » rendu nécessaire par le fossé qui sépare le classique et les autres types de musique ainsi que par le vieillissement du public. Mais ces sujets sont-ils si nouveaux ? Je pense, par exemple, au travail mené à Lille par Jean-Claude Casadesus depuis de très nombreuses années.

Je m’interroge aussi sur les causes de ces phénomènes : pourquoi existe-t-il selon vous un tel écart entre les musiques et entre les publics, pourquoi le public du classique vieillit-il ? Pour ma part, j’ai quelque idée sur le sujet – je pense notamment au rôle de l’école. Quand je constate que les Italiens modifient en ce moment leurs programmes scolaires pour renforcer la part de l’éducation artistique, et que je vois ce que nous vivons actuellement en France, je m’interroge.

Vos propos relatifs aux orchestres Démos m’ont particulièrement intéressé. Sur quels interlocuteurs territoriaux vous appuyez-vous pour les mettre en place ?

Au-delà de Paris et de la France, l’ouverture internationale est indispensable. Avez-vous des partenaires privilégiés pour la mener à bien ?

La dimension événementielle ne constituerait-elle pas une solution pour consacrer le caractère populaire de la Philharmonie ? Dans la région des Pays de la Loire, où se trouve ma circonscription, se déroule tous les ans la désormais célèbre Folle journée de Nantes qui connaît un succès considérable auprès d’un très large public.

M. Jacques Cresta. Nous ne pouvons que nous féliciter de la création d’un instrument de diffusion tel que la Philharmonie de Paris, projet ambitieux enfin mené à terme qui, nous l’espérons, contribuera au rayonnement international de notre pays dans le domaine de la création musicale. Si le projet était ambitieux, les objectifs de ce lieu désormais ouvert doivent l’être tout autant comme en témoigne la dotation de l’État destinée au fonctionnement de l’établissement en 2015, à hauteur de 9,8 millions d’euros. Ce montant est élevé dans l’absolu, mais il l’est aussi au regard des dotations accordées cette année aux opérateurs de l’État dans le domaine du spectacle vivant.

Dès sa première année d’existence, la Philharmonie aura bénéficié d’un soutien de la part de l’État équivalent à celui accordé au Théâtre national de la Colline ou au Théâtre national de Strasbourg. J’ai choisi à dessein deux théâtres nationaux ayant une mission de diffusion mais aussi de création, et plus spécifiquement de promotion des écritures contemporaines pour le Théâtre de la Colline. Subventionnés à une moindre hauteur, les scènes nationales constituent un bon exemple de la pluralité des missions exercées car, au-delà de la diffusion de la multiplicité des arts vivants, elles assurent d’autres tâches essentielles à la création.

Quelles actions la Philharmonie peut-elle mettre en œuvre en faveur de la création artistique ? Je n’ignore pas que la diffusion et l’éducation artistique et culturelle constituent les missions premières de l’établissement, mais celle qui lui est assignée en matière de démocratisation de la musique ne doit-elle pas passer par le soutien à la création ?

Mme Sophie Dessus. Merci, monsieur Bayle, de nous avoir présenté la Philharmonie et son projet avec passion. Nous avons eu le sentiment qu’un cœur battant se consacrait à faire entendre la musique partout et par tous, en particulier par les publics qui s’en croient les plus éloignés. Si vous aviez dû chanter ce matin, sans doute auriez-vous repris la chanson interprétée par France Gall : Tout pour la musique !

En ces temps de mutation d’une société d’intolérance intellectuelle et de médiocrité nombrilistique, les plus belles armes que nous devrions brandir sont bien la culture, les arts et la musique. Quand on a la chance de ne pas vivre à Paris, on a encore plus de recul pour savourer le bonheur de disposer en France d’une salle comme la Philharmonie, et pour être convaincu que toutes les musiques doivent pouvoir s’échapper de ce lieu pour aller partout où elles peuvent être diffusées.

Parce qu’au cœur de votre projet il y a la volonté de transmettre, de faire découvrir, de donner envie, et de créer des vocations, surtout parmi les plus jeunes, permettez-moi une suggestion. Il existe encore en France quelques orchestres départementaux des jeunes qui accomplissent un travail considérable et attirent un public nombreux et diversifié. Ils se trouvent aujourd’hui dans des situations extrêmement fragiles de dépendance par rapport à la volonté politique ou financière des départements. Ne serait-il pas possible de leur ouvrir vos portes, même de façon symbolique, pour les « sanctuariser » et renforcer les efforts considérables qu’accomplissent des jeunes amateurs dont certains deviennent professionnels, un peu dans l’esprit de la manifestation « Orchestres en fête » que vous citiez ?

Pour conclure, je m’interroge sur la complexité des liens entre l’architecte, père des lieux, qui a bien du mal à couper le cordon, et les utilisateurs que vous êtes, que nous sommes, qui veulent voler de leurs propres ailes.

M. Christophe Premat. Monsieur Bayle, nous vous remercions de nous avoir présenté les contours d’un projet ambitieux résolument tourné vers l’avenir. Vous avez insisté à juste titre sur le rôle de l’architecture dans le développement d’une acoustique et sur l’ouverture de la Philharmonie à une variété de genres musicaux.

Pouvez-vous nous en dire plus concernant l’éducation musicale et le lien que la Philharmonie entend développer avec les écoles de musique ? L’aspect pédagogique et la culture de l’écoute sont essentiels pour notre jeunesse. Vous avez tracé des pistes relatives à l’ouverture vers le grand public et vers les jeunes, mais le défi demeure : comment rendre populaire la musique classique ? Quelle stratégie pluriannuelle entendez-vous mettre en œuvre pour que cette éducation musicale soit structurée ? Quels seront les objectifs de cette politique et quels sont les partenariats envisagés ? Il existe un réel besoin de réappropriation de l’écoute à une époque où nos jeunes vivent dans un bruit permanent.

Il y a près de deux mille ans, s’adressant au jeune Nicandre, Plutarque, dans l’un des traités aujourd’hui rangés parmi les Œuvres morales, intitulé Comment on doit écouter, n’insistait-il pas déjà sur la nécessité du silence et sur la pédagogie de l’écoute ? Je crois que la Philharmonie de Paris est à même de favoriser cette pédagogie dont notre société a tant besoin.

M. Thibaud de Camas, directeur général adjoint de la Cité de la musique. Mesdames et messieurs les députés, plusieurs questions relatives au budget de fonctionnement de la Philharmonie nous ont été posées. Initialement évalué à 28,5 millions d’euros pour 2015, première année pleine de fonctionnement, il devrait se situer approximativement en exécution entre 30 et 32 millions d’euros car de nouvelles activités sont programmées en cours de saison, comme certains festivals. Ce montant est à peu près équivalent à celui du budget de fonctionnement de la Cité de la musique dans son périmètre historique. L’ouverture de la Philharmonie aboutit d’une certaine façon à un doublement des activités qui sont destinées à être regroupées au sein d’un établissement unique d’ici à la fin de l’année.

Du point de vue de la structure des dépenses, ce budget de 28,5 millions se différencie assez nettement de ceux de la salle Pleyel et de la Cité de la musique. Les crédits d’activité représentent quasiment 40 % du budget de la Philharmonie, ce qui est considérable pour le lancement d’un tel lieu. Nous ne sommes donc pas lestés, comme d’autres, par des charges fixes de fonctionnement trop lourdes qui risqueraient d’asphyxier progressivement nos activités culturelles. Les crédits consacrés à ces activités s’élèvent à 12 millions d’euros pour un budget prévisionnel de 28,5 millions, et cette part augmentera en exécution puisque, comme je vous l’ai indiqué, de nouvelles programmations expliquent le surcroît de dépenses.

La masse salariale, élément déterminant pour l’avenir du modèle économique de la Philharmonie, représente un peu plus de 6 millions d’euros. Il s’agit d’un montant proportionnellement peu élevé sachant que les salaires absorbent habituellement environ 40 % du budget des établissements publics. Nous parvenons à maintenir ce faible niveau grâce à la mutualisation avec la Cité de la Musique, qui constitue l’un des points forts de notre modèle économique. La mutualisation des équipes permet de démarrer une nouvelle activité avec un dimensionnement humain très raisonnable. Cette dépense de 6 millions d’euros couvre le rapatriement des équipes de la salle Pleyel, soit environ quarante personnes, et la création d’un certain nombre d’emplois – dans une mesure, somme toute, assez modeste puisque nous n’avons ouvert la Philharmonie qu’avec vingt-cinq emplois nouveaux.

Sur le plan des recettes, nous nous fondons sur un modèle selon lequel 15 millions d’euros de subventions nous sont versés, 9 millions apportés par l’État, et 6 millions par la ville de Paris. Il est exact que la Ville avait envisagé, dans un premier temps, un financement à parité avec l’État pour 9 millions d’euros, et que, dans les derniers mois de préfiguration du projet, elle a opté pour un financement de 6 millions. Grâce au dialogue permanent avec ces deux tutelles, nous avons cependant eu le temps de réviser notre modèle économique pour tenir compte de l’ajustement du niveau des subventions et ouvrir la Philharmonie avec un budget sécurisé. Le volume des activités, aussi bien celui des concerts que celui des activités éducatives, a été revu pour correspondre aux rentrées financières, et le budget pour 2015 a été construit sur des bases saines. Il n’y a aucune mauvaise surprise à attendre.

Permettez-moi de revenir sur le modèle économique de la Philharmonie. Pour citer deux établissements que nous connaissons bien, il faut savoir que les subventions représentent environ 70 % des ressources de la Cité de la musique alors que ses recettes propres s’élèvent à 30 %. Ces proportions étaient inversées à la salle Pleyel dont le modèle économique reposait sur des prix de places très élevés à destination d’un public à fort pouvoir d’achat et souvent assez âgé. Fondée sur un projet éducatif qui tend la main à de nouveaux publics, la Philharmonie ne pouvait pas partir sur des bases similaires. Nous nous sommes donc positionnés à un niveau intermédiaire. La Philharmonie est subventionnée à un peu plus de 50 %, et l’autofinancement devrait atteindre environ 45 ou 47 % de son budget. Même si la part des ressources propres est supérieure à celle de la Cité de la musique, nous disposons de marges budgétaires qui nous permettent de proposer des tarifs nettement inférieurs à ceux de la salle Pleyel.

Nous pouvons d’ores et déjà estimer que nous finirons l’année 2015 avec un taux d’autofinancement supérieur à celui initialement prévu en raison d’un accroissement des ressources propres. La réussite de l’exposition David Bowie, le taux de remplissage de 95 %
– nous n’espérions pas qu’il soit meilleur que celui enregistré à Pleyel ou à la Cité de la musique –, et le succès des opérations de mécénat permettent de penser que nous dépasserons nos objectifs de recettes. Dès cette première année, le taux d’autofinancement pourrait donc s’élever à 50 ou 55 %.

Je précise qu’à mon sens ces résultats ne s’expliquent pas par un engouement passager ou par le phénomène de curiosité que peut susciter un lieu nouveau. Ils reposent sur des bases économiques saines et solides grâce à l’importance de la jauge de la Philharmonie et à la véritable attractivité du projet pour les mécènes et les partenaires commerciaux. Nous constatons même que cette dynamique se fait ressentir à la Cité de la musique. Alors que l’on pouvait penser que l’attention se concentrerait sur la seule Philharmonie, nous observons que le taux de fréquentation de la Cité de la musique progresse également : nous étions à 80 à 85 % de taux de remplissage, et nous atteignons aujourd’hui les mêmes résultats que dans le nouveau bâtiment de Jean Nouvel.

À moyen terme, plusieurs points sont donc favorables au maintien de l’équilibre budgétaire, que ce soit le niveau raisonnable de la masse salariale, le montant des recettes propres, les crédits d’activité dont le niveau initial élevé permettra de construire une politique artistique dans la durée, ou la stabilisation de la subvention, puisque la Ville et l’État se sont engagés à maintenir le montant de leur participation. J’y ajoute le fait que, dans la loi de finances pour 2015, l’État a fait un geste à l’égard de la Cité de la musique, en « rebasant » son budget, qui avait baissé ces dernières années, d’environ 1,5 million d’euros, ce qui, dans la perspective de la fusion des sites en un seul établissement, confortera les moyens de l’ensemble.

La baisse des tarifs par rapport à ceux de la salle Pleyel constitue un fait marquant de l’ouverture de la Philharmonie. Cette baisse générale concerne aussi bien les activités du week-end tournées vers les familles que les concerts de prestige du soir. Elle est de l’ordre de 20 à 25 %, ce qui est très sensible. Le public mélomane qui fréquentait Pleyel est ainsi incité à se déplacer vers la Philharmonie. Nous constatons qu’il a suivi, sans aucun doute parce qu’il est passionné, mais aussi parce qu’il y est encouragé par la baisse significative des prix.

Ces tarifs permettent également de tendre la main aux jeunes et à de nouveaux publics. La jauge de la Philharmonie dépasse celle de la salle Pleyel de cinq à six cents places qui sont excellentes sur le plan de la visibilité et de l’acoustique : nous pouvons les proposer aux jeunes pour 8 euros dans le cadre d’un abonnement, ou de 10 euros à l’unité. Nous disposons donc d’un considérable réservoir de places très accessibles économiquement à offrir au jeune public afin qu’il découvre la musique. Aujourd’hui, les jours de concert, nous constatons physiquement que les jeunes sont beaucoup plus nombreux qu’à Pleyel. Il suffit de se tenir dans l’entrée de la Philharmonie pour se rendre compte de la présence de publics que l’on n’avait pas l’habitude de voir au concert. Je rappelle que les prix des concerts participatifs destinés aux familles sont également bas, soit 8 euros pour les enfants et 10 euros pour les parents.

Nous ne disposons pas encore d’étude sérieuse susceptible de nous donner des informations sur l’origine sociale et géographique des publics. Ce travail ne peut s’effectuer sur une durée courte, notamment parce qu’une programmation festivalière attire des spectateurs toujours différents. Il demande de plus de mettre en place des protocoles statistiques très précis d’échantillonnage. Nous avons toutefois prévu de cofinancer avec le ministère de la culture une étude d’ensemble sur le public de la Philharmonie. Elle devrait commencer à la fin de l’année avec la participation du département des études de la prospective et des statistiques du ministère. Ses résultats permettront de fournir des chiffres extrêmement précis à la représentation nationale.

À ce stade, je peux néanmoins vous communiquer quelques indications fondées sur l’échantillon restreint de nos abonnés – il convient en conséquence de prendre ces données avec les plus grandes précautions. Pour les cent premiers jours d’ouverture, 60 % des abonnés aux concerts venaient de Paris et 40 % de l’extérieur de la capitale, les trois quarts du public non parisien provenant de l’Île-de-France. Un quart du public des concerts habite dans les quatre arrondissements du Nord-est parisien, soit le XIe, le XVIIIe, le XIXe et le XXe, et 10 % des spectateurs viennent du seul XIXe où se trouve la Philharmonie, ce qui est très significatif. Par ailleurs 10 % du public vient des Hauts-de-Seine, 6 % de Seine-Saint-Denis, et 6 % du Val-de-Marne. Il nous semble que ces premiers éléments témoignent d’un élargissement du public tant parisien que francilien.

M. Laurent Bayle. Dans son Histoire des oracles publiée en 1687, Fontenelle raconte que sur la foi du bruit selon lequel une dent d’or avait poussé dans la bouche d’un enfant de sept ans, théologiens et historiens publièrent durablement et abondamment sur le sujet avant qu’un orfèvre ne découvre qu’il s’agissait d’une supercherie. « Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu’il fût vrai que la dent était d’or » conclut-il. Plus de deux siècles plus tard, il est toujours bon de commencer par vérifier les faits. En ce qui concerne le chantier de la Philharmonie, sur lequel plusieurs d’entre vous m’ont interrogé, je crains que la presse, malgré mes demandes répétées, n’ait pas toujours procédé aux vérifications nécessaires, notamment pour fournir des montants exacts de dépenses. Elle s’est souvent trompée, ou disons qu’elle n’a pas voulu entrer dans le détail des périmètres budgétaires.

Lorsque l’on parle d’un coût initial de 130 millions d’euros, il faut bien comprendre que l’on n’utilise pas le même périmètre que lorsqu’on annonce un coût final de 385 millions. Alors que l’estimation initiale de 130 millions ne portait que sur le « marché entreprise », le budget global prévisionnel s’élevait à 200 millions. C’est ce dernier chiffre qu’il faut comparer à celui de 385 millions – comme l’indique justement un rapport de votre assemblée –, en tenant aussi compte du fait que nous parlons en euros 2006 pour les 130 millions, mais en euros courants, jusqu’aux euros 2015, pour le coût final.

Si vous le permettez, je ne m’exprimerai pas longuement sur le conflit avec l’architecte sinon pour rappeler notre fierté d’avoir travaillé avec Jean Nouvel, notre attachement au projet, notre adhésion, notre engagement, et notre plaisir devant l’excellence du travail fourni, notamment par le bureau d’études néo-zélandais Marshall Day Acoustics – Harold Marshall loue partout dans le monde la qualité de la salle. La question a porté sur le respect du droit d’auteur. De notre côté, nous assumons un retard dans la livraison finale de l’équipement. Ce retard visait à gérer les fonds publics de manière optimale et à respecter tant le public que les artistes. Le tribunal de grande instance saisi par Jean Nouvel a débouté ce dernier. Je me contenterai donc de renvoyer à ce jugement en rappelant mon respect et en insistant sur mon attachement à ce que cet équipement soit terminé au plus vite afin d’assurer le plus grand contentement de tous les usagers.

Que sera la Philharmonie d’ici à cinq ans ? En m’inscrivant dans le sillage des propos tenus par Daniel Barenboim, je répondrai que si elle est perçue comme un phare sur tous les continents, l’ensemble du pays y trouvera un intérêt. La Philharmonie sera en quelque sorte une marque mais elle sera aussi un geste qui ouvre le XXIsiècle.

Pour avoir mis en application un nouveau modèle, la France sera consultée par ses partenaires européens, mais aussi bien au-delà dans un monde qui bascule vers d’autres continents. Dès à présent, Sir Simon Rattle, qui fait campagne pour la construction d’une salle de concert symphonique à Londres, se sert de l’exemple de la Philharmonie. Je dois aussi me rendre prochainement à Munich et je suis en relation avec Mariss Jansons qui plaide pour la création d’une salle philharmonique dans cette ville.

La Philharmonie devra réussir à se constituer comme un tremplin pour l’Orchestre de Paris. Intrinsèquement, il s’agit d’un orchestre de très grande qualité, j’en discutais encore hier avec Daniel Barenboim, et Emmanuel Krivine qui l’a dirigé la semaine dernière était ébloui. La Philharmonie est l’instrument qui doit d’ici à cinq ou dix ans placer cette excellence au niveau de notoriété et de légitimité internationales qu’elle mérite. L’assise de la Philharmonie accompagnera l’élan actuel de l’Orchestre de Paris vers le plus haut niveau mondial. Notre succès pourra aussi être évalué sur ce critère.

La réussite de la Philharmonie pourra également se mesurer à l’aune de la question des publics, notamment de leur origine géographique. On peut considérer que le public des salles classiques de l’Ouest parisien est ainsi structuré : deux tiers des spectateurs viennent de Paris intra-muros et un tiers de l’extérieur de la capitale. Je crois que, d’ici à cinq ans, nous pourrions parvenir, pour ce qui concerne la Philharmonie, à une répartition équilibrée du public avec 50 % de Parisiens et 50 % de non-Parisiens. Concernant ces derniers, je pense aux habitants de l’Île-de-France mais aussi à une dynamique nationale. Si nous avons mis en place une programmation musicale événementielle et thématique en particulier le week-end, c’est aussi pour permettre au public de région, familial ou individuel, de se déplacer et de profiter de diverses activités, expositions, ateliers et concerts.

En cinq ans, nous devons enfin avoir totalement équilibré notre modèle économique. J’en profite pour préciser que les relations avec les tutelles sont sereines. Toutes les parties se sentent parfaitement à l’aise dans un modèle qui est actuellement stabilisé, les subventions étant versées à 60 % par l’État et à 40 % par la Ville.

L’équilibre budgétaire s’appuiera également sur la diversification de nos ressources propres. Nous restons très prudents en matière de tarification car il nous semble impossible d’affirmer une chose et son contraire. On ne peut pas vouloir pratiquer des tarifs moins élevés pour les jeunes et signer des conventions avec les collectivités locales pour l’utilisation de chèques culture afin de favoriser l’accès des publics éloignés et, dans le même temps, doubler les recettes de billetterie. Nous restons néanmoins très attentifs au socle que constituent ces ressources, que nous considérons comme un élément structurant de notre budget.

Nous fondons aussi de considérables espoirs sur notre capacité de développer les recettes provenant du secteur privé et du mécénat. Le lieu le permet car un travail préalable a été effectué en ce sens – nous disposons par exemple de nombreux espaces de réception adaptés. Notre activité diversifiée peut aussi séduire beaucoup de mécènes, et le volet éducatif de notre projet nous permet de travailler avec le monde des fondations. L’importance accordée dans le projet au rayonnement international ou la réussite de l’intégration de tous les résidents sont également des facteurs favorisant les partenariats entre public et privé.

J’en viens à la question de la transformation de l’offre symphonique à Paris. Elle se situait jusqu’à cette année plutôt à l’ouest de la capitale avec la salle Pleyel, le Théâtre des Champs-Élysées – dont l’activité n’est toutefois pas uniquement consacrée au concert, ou l’auditorium de Radio France – rappelons qu’il existait déjà avant sa récente rénovation même si sa jauge est passée de mille à mille quatre cents places. Autant de propositions auxquelles s’ajoutera bientôt celle de l’île Seguin, avec une salle dédiée aux musiques actuelles et une salle de mille deux cents places pour la musique classique.

Il faut d’abord bien comprendre qu’en énumérant ces salles, nous ne parlons pas de la même chose. Le Théâtre des Champs-Élysées est un théâtre, pas une salle de concert ; et une salle de concert de mille ou mille deux cents places n’est pas une salle symphonique qui doit comporter de deux mille à deux mille quatre cents places. Bien sûr, des concerts peuvent se dérouler devant un plus petit nombre de spectateurs ou dans des lieux différents – j’ai moi-même organisé des concerts en plein air, et la Cité de la musique a invité des orchestres à jouer devant mille spectateurs –, il n’en demeure pas moins qu’il existe des éléments de référence qui permettent de se situer au niveau international que j’évoquais. Il faut en avoir conscience et l’énoncer clairement.

Il convient ensuite de préciser que la Cité de la musique, devenue propriétaire de la salle Pleyel, a décidé, en accord avec l’État, de faire en sorte que ce lieu se consacre à d’autres types d’activités que la musique classique. La concession de la salle a été attribuée au groupe FIMALAC de M. Marc Ladreit de Lacharrière, dont l’offre l’a emporté sur celles de ses concurrents. Ce lieu sera désormais dédié à des spectacles relevant par exemple du domaine de la comédie musicale ou de diverses formes de variétés, à l’exclusion du champ des musiques classiques.

De peur de passer pour un ayatollah, je reviens un instant sur cette « exclusion ». La salle Pleyel a coûté 60 millions et, parce que nous ne voulions pas que cet achat pèse sur le budget de la nation, il fallait que ce lieu permette de dégager des ressources. Une partie de ces recettes, de l’ordre de 1,5 à 2 millions d’euros par an, provient de la location de bureaux. Nous devions trouver une somme équivalente afin de rembourser l’emprunt contracté en quinze ou vingt ans. L’offre de FIMALAC se situait à ce niveau. Tout le monde peut comprendre que l’on ne demande pas à un groupe privé qui doit payer 1,5 à 2 millions par an et qui ne bénéficie d’aucune subvention de venir se positionner dans le champ de la musique classique en concurrence avec des établissements subventionnés. La mission confiée au groupe FIMALAC est donc cohérente, y compris sur le plan de la gestion financière.

Finalement, je ne pense pas que nous assistions à un bouleversement fondamental de l’offre. Elle perdurera dans l’Ouest parisien tandis qu’à l’est se sera installé un pôle de référence international du concert symphonique, mais aussi, je l’espère, monsieur Herbillon, du concert lyrique et des grandes voix.

Nous avons été prudents pour notre première saison s’agissant de ces grandes voix car la salle de la Philharmonie est construite sur un modèle innovant et actuel qui permet de favoriser la proximité du public grâce à une scène centrale. Une partie des spectateurs se trouve donc derrière la scène et, parce que le chanteur projette sa voix devant lui, il lui est parfois difficile de la faire passer « par-dessus » l’orchestre pour se faire entendre dans son dos. Il est vrai que certains chanteurs ont peur de cette configuration – même si d’autres l’adorent. Cependant la grande salle est modulable : les sièges situés à l’arrière de la scène se rétractent afin de déplacer cette dernière et de placer tout le public en position frontale. Nous voulons être sûrs de la manipulation en question et, dès la saison prochaine, nous aurons une riche programmation lyrique – pour ne citer qu’elle, Cecilia Bartoli chantera à la Philharmonie au mois de décembre.

La Philharmonie a pu ouvrir grâce au soutien continu des tutelles mais aussi grâce à la qualité de ses équipes. J’ai déjà rendu hommage aux résidents ; il convient également de faire honneur aux personnels de la Cité de la musique et de la salle Pleyel qui se sont battus intensément pour ce projet et qui ont énormément travaillé. Il est vrai que les conditions de travail durant les premiers mois d’ouverture d’une salle dont l’intérieur n’était pas tout à fait fini ont créé des tensions. Si l’on y ajoute le succès public inattendu, on comprendra qu’il a fallu s’organiser pour répondre à ces défis. Un dialogue social de très grande qualité existe avec les personnels et leurs représentants syndicaux. Ils nous ont fait part de leurs inquiétudes, mais ils sont fiers du succès de la Philharmonie à laquelle ils sont très attachés.

Oui, nous menons une action très forte sur le plan éducatif. Oui, l’éducation artistique et culturelle au collège et au lycée est au cœur de notre activité. Nous avons entrepris un travail considérable avec l’Éducation nationale qui concerne l’ensemble de la nation car nous développons des applications numériques destinées aux professeurs et aux élèves, comme celles consacrées aux épreuves musicales du baccalauréat. Nous organisons des parcours d’éducation artistique et culturelle qui s’adressent aujourd’hui à l’Île-de-France mais que j’aimerais voir se diffuser dans d’autres régions.

Nous agissons aussi en dehors de nos conventions avec l’Éducation nationale, notamment pour atteindre les publics qui en sont éloignés dont parlait Mme Julie Sommaruga. J’ai évoqué le programme Démos qui est déjà implanté dans l’Aisne et en Isère. Aujourd’hui, nous sollicitons l’ensemble du territoire car nous aimerions créer d’ici à 2018 de vingt à trente orchestres de ce type. Sachant que chaque projet coûte environ 260 000 euros par an, nous proposons un financement en trois tiers entre la Philharmonie – nous trouverions des ressources en liaison avec l’État –, le mécénat, et les collectivités territoriales. Ces programmes se mettent en place localement avec des acteurs sociaux choisis par les collectivités, et avec les écoles de musique de leur choix. Il concerne des enfants qui vivent dans des quartiers relevant de la politique de la ville ou dans des zones rurales éloignées, qui se retrouvent deux fois par semaine durant trois ans. Pour notre part, nous formons et nous encadrons les musiciens professionnels et tous les intervenants, ainsi que les enfants par leur intermédiaire. Des processus d’évaluation indépendants menés par des laboratoires de recherche permettent aux caisses d’allocations familiales et aux mécènes de suivre les résultats des actions entreprises. Des comités réunissent régulièrement les parties prenantes, dont les élus ou leurs représentants. J’invite ceux d’entre vous qui le peuvent à venir assister à la Philharmonie aux deux concerts qui marqueront les 27 et 28 juin prochains l’aboutissement du travail des huit premiers orchestres Démos.

Notre ambition, en développant ces programmes, consiste aussi à inscrire la Philharmonie dans les régions. Je me rends à Marseille la semaine prochaine, et il est pour moi essentiel qu’un travail ait lieu entre les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Marseille, les conservatoires de la ville, et les acteurs sociaux. Nous sommes en mesure d’assurer une coordination et d’apporter une pédagogie du travail collectif.

Je ne reviens pas sur la politique tarifaire décrite par Thibaud de Camas : elle constitue un point extrêmement sensible. Nous sommes fiers de proposer constamment au moins cinq cents places dont le prix se situe entre 5 et 20 euros à destination des jeunes et des personnes qui rencontrent des difficultés économiques. Ce choix favorise beaucoup l’accès au concert de nouvelles générations. Le niveau des tarifs n’est évidemment pas le seul facteur sur lequel il faille jouer, mais il s’agit à coup sûr de l’un des éléments qui expliquent que le public âgé de vingt-cinq à quarante ans ne vient pas vers la musique classique – en moyenne pondérée, la danse ou le théâtre sont beaucoup moins chers et beaucoup plus accessibles aux jeunes.

Pour attirer ce public, nous devons aussi être ultra-dynamiques en matière numérique : notre site internet est extrêmement fourni et la base Philharmonie Live permet aux internautes de suivre toutes les captations que nous « éditorialisons » pour les rendre accessibles à tous. Nous avons évidemment passé des accords avec les sociétés de gestion des droits d’auteur, et nous travaillons en liaison avec France Télévisions et Culturebox, Arte… Ces captations couvrent tout le spectre esthétique au-delà de la seule musique classique.

Il ne faut pas caricaturer l’opposition entre musiques actuelles et musiques savantes. Certes, des expériences sont menées afin d’intégrer dans le champ du classique des thèmes venus des musiques actuelles, et des chanteurs de musiques actuelles travaillent avec des orchestres symphoniques, il n’en reste pas moins que des traditions différentes demeurent : l’une repose sur la partition écrite, l’autre sur la transmission orale. Pour ma part, je milite, non pour le cross over et le métissage, en la matière chacun fait ce qu’il veut, mais pour que ces deux formes puissent être mises en miroir au sein d’un même espace afin que l’on voie mieux la colonne vertébrale qui va de la musique baroque à la musique contemporaine, et afin que l’on comprenne que la musique écrite ne peut revendiquer une position de monopole. On ne peut pas considérer que le patrimoine musical constituerait un sommet de la pyramide, et que le reste ne serait que dégradation commerciale ou culturelle au motif que ce qui viendrait d’autres continents ou que ce qui subirait une « américanisation » entrerait dans la catégorie des sous-produits de la musique classique. Il faut absolument se préserver d’une telle vision.

Il est tout à fait naturel, dans un espace comme la Philharmonie, qu’à côté des 60 % de la programmation consacrée au patrimoine, 30 à 40 % des concerts mettent en regard ce qui émerge de la jeune création et de l’innovation, quels que soient les outils dont se servent les artistes en question. La seule question qui se pose, dès lors que nous disposons de trois salles de tailles diverses, est celle du respect de l’harmonie entre le lieu et le programme proposé. Si vous organisez un concert avec une très forte amplification dans la grande salle où le son se réverbère davantage que dans les plus petites, vous ne rendez service à personne. De même, si je programmais un jeune artiste émergent dans la grande salle de 2 400 places pour montrer mon ouverture à la création, et qu’il n’attirait que quelques centaines de personnes, j’aurais desservi ce dernier. Les trois salles permettent précisément de construire dans la durée. La question des musiques actuelles fait l’objet d’un accord général. Elle a été utilisée dans le cadre de polémiques, mais il s’agissait d’un faux sujet.

Nous consacrons en ce moment une exposition à David Bowie et une autre à Pierre Boulez. Je tiens à rendre un vibrant hommage à cet immense musicien qui est à l’origine du projet de la Philharmonie. Malheureusement, il n’est plus en mesure de diriger aujourd’hui et il n’aura pas eu la chance de sentir depuis le pupitre du chef le résultat d’un combat qu’il a mené durant toute sa vie. Pour en revenir à nos expositions, je n’ai pas la naïveté de penser que je fais dialoguer esthétiquement Pierre Boulez et David Bowie parce qu’ils auraient un destin commun. Je ne suis pas dupe. Néanmoins, la présence de ces deux figures dans un même espace a un véritable sens en termes d’ouverture : elle montre qu’il est possible de parler à des publics qui portent des aspirations spécifiques, toutes aussi légitimes les unes que les autres. Je ne demande pas que tous les lieux fassent ce choix, mais je considère que dans un monde de plus en plus fragmenté, nous avons aujourd’hui besoin que certains d’entre eux portent un regard général et synthétique.

Je suis extrêmement sensible à la question de M. Jacques Cresta concernant la création artistique. Nous défendons un nouveau modèle de transmission. Nous pourrions nous moquer du rayonnement international et de la création : après tout, sachant que les nouveaux publics viendront dans un premier temps pour les événements, les artistes et les programmes de référence, pourquoi s’embêter avec la création ? Si tel était le cas, nous irions à l’échec à moyen terme car notre modèle ne peut exister que s’il est activé par un esprit de création. Il passe par la défense des jeunes créateurs, qui ne relèvent jamais de la génération spontanée mais se situent toujours dans une lignée : quelles que soient les énormes ruptures historiques qui ont eu lieu dans l’histoire de la musique, le recul permet toujours de tracer un continuum. C’est vrai, par exemple, pour ce qui s’est passé avant la Première Guerre, ou juste après la Seconde Guerre mondiale. Il nous revient de penser à la création d’aujourd’hui et de la placer dans un dispositif de réflexion global.

M. le président Patrick Bloche. Messieurs, nous vous remercions tous les deux vivement pour la pertinence et la clarté de vos interventions et de vos réponses.

La séance est levée à onze heures cinquante.

——fpfp——

Présences en réunion

Réunion du mercredi 20 mai 2015 à 9 heures 30.

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, M. Benoist Apparu, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, M. Xavier Breton, M. Ary Chalus, Mme Dominique Chauvel, M. Jean-François Copé, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Bernard Debré, M. Laurent Degallaix, M. Pascal Deguilhem, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Sophie Dion, Mme Sandrine Doucet, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, Mme Martine Faure, Mme Michèle Fournier-Armand, Mme Annie Genevard, M. Jean-Patrick Gille, M. Jean-Pierre Giran, Mme Claude Greff, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, M. Christian Kert, Mme Anne-Christine Lang, M. Dominique Le Mèner, Mme Annick Lepetit, M. Michel Ménard, Mme Dominique Nachury, Mme Maud Olivier, M. Michel Piron, Mme Régine Povéda, M. Christophe Premat, M. Frédéric Reiss, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – Mme Huguette Bello, Mme Brigitte Bourguignon, M. Bernard Brochand, M. Yves Durand, M. Hervé Féron, Mme Sonia Lagarde, Mme Martine Martinel, M. François de Mazières, Mme Barbara Pompili, M. Franck Riester, M. Patrick Vignal

Assistait également à la réunion. – M. Éric Straumann