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Commission des affaires sociales

Mercredi 10 décembre 2014

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 25

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Courrèges, dont la nomination à la direction générale de l’Agence de la biomédecine est envisagée par le Gouvernement (application de l’article L. 1451.1 du code de la santé publique)

– Information relative à la commission

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 10 décembre 2014

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission)

La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de Mme Anne Courrèges, dont la nomination à la direction générale de l’Agence de la biomédecine est envisagée par le Gouvernement (application de l’article L. 1451.1 du code de la santé publique).

Mme la présidente Catherine Lemorton. J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à Mme Anne Courrèges, dont la nomination aux fonctions de directrice générale de l’Agence de la biomédecine est envisagée par le Gouvernement.

Cette audition intervient en application de l’article L. 1451-1 du code de la santé publique, issu de l’article 1er de la loi sur le médicament que nous avons adoptée en 2011. En effet, l’Agence de la biomédecine fait partie des neuf organismes dont les présidents, directeurs généraux et directeurs, doivent être auditionnés par le Parlement – en l’espèce, les commissions des affaires sociales des deux assemblées – avant leur nomination.

Nous ne sommes pas dans le cadre de la procédure de mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution : il ne s’agit donc que d’une simple audition et non d’un avis demandé aux commissions compétentes. C’est pourquoi cette audition ne sera pas suivie d’un vote.

Je rappelle que l’Agence de la biomédecine est une agence publique nationale de l’État, créée par la loi de bioéthique de 2004. Elle exerce ses missions dans les domaines du prélèvement et de la greffe d’organes, de tissus et de cellules, ainsi que dans les domaines de la procréation, de l’embryologie et de la génétique humaines.

Sa direction générale est vacante depuis juillet dernier, à la suite du départ d’Emmanuelle Prada-Bordenave.

Mme Anne Courrèges. Madame la présidente, mesdames, messieurs, je suis très honorée d’être proposée pour occuper la fonction de directrice générale de l’Agence de la biomédecine et d’être devant vous aujourd’hui.

Les relations entre l’Agence et le Parlement sont extrêmement étroites. Parmi les missions les plus récentes de l’Agence, certaines sont issues d’amendements parlementaires, comme la veille en neurosciences. Il est particulièrement heureux que le législateur, en 2011, ait prévu cette procédure d’audition. Vos questions seront pour moi l’occasion d’entendre vos préoccupations et vos attentes à l’égard de cette agence.

Je vais d’abord vous présenter la situation de l’Agence, ses enjeux et ses perspectives. J’évoquerai ensuite en quelques mots mon parcours et mon engagement au service de l’Agence.

L’Agence a repris, en 2004, les fonctions de l’Établissement français des greffes pour ce qui concerne l’activité de prélèvement et de greffe d’organes, de tissus et de cellules. S’y sont ajoutées trois missions : la procréation, l’embryologie et la génétique humaines. En 2011, le législateur a conforté ces missions et en a ajouté d’autres, comme les neurosciences. En 2013, il a clarifié le régime juridique des recherches sur les cellules-souches embryonnaires.

Pour exercer ses compétences, l’Agence s’est vue confier un certain nombre de missions, qui lui donnent aujourd’hui une place singulière. Pour reprendre les termes de Jean-Louis Touraine dans l’avis sur le projet de loi de finances pour 2015, nous sommes en présence, à la différence d’autres agences sanitaires, d’une agence sanitaire opérationnelle. Succédant à l’Établissement français des greffes, elle a un rôle d’acteur et de pilote en matière de greffes.

S’y ajoutent quatre missions plus classiques pour une agence sanitaire.

Une mission d’encadrement, qui lui permet d’exercer des fonctions d’inspection et d’autorisation en matière de génétique, par exemple.

Une fonction d’accompagnement : c’est ainsi que l’Agence a calé le dispositif sur le don croisé d’organes, prévu en 2011 par le législateur et accompagne sa montée en puissance.

Une mission d’évaluation, comme l’évaluation systématique des centres d’assistance médicale à la procréation.

Une mission d’information enfin en direction des professionnels de santé, du Parlement, du Gouvernement et du grand public. Un site grand public vient d’être ouvert sur la génétique, sujet qui suscite beaucoup de fantasmes et de craintes dans l’opinion publique. Cette mission d’information se double d’une mission de promotion du don : une campagne de promotion du don de gamètes est d’ailleurs en cours.

Dans toutes ses missions, l’Agence veille à incarner les valeurs d’éthique, de transparence, d’équité et de solidarité qui fondent la loi de bioéthique. Pour les remplir, l’Agence compte un peu plus de 270 personnes et dispose d’un budget de 80 millions d’euros, dont la moitié au titre de son rôle d’intermédiation du registre France Greffe de Moelle, l’autre moitié étant constituée de subventions provenant pour deux tiers de l’assurance maladie et pour un tiers de l’État.

C’est donc une structure à taille humaine, mais je me permettrai d’y associer les 800 experts qui y apportent leur collaboration, ainsi que les associations de patients, d’usagers et de promotion du don, dans la mesure où l’Agence ne peut pas être perçue comme un élément isolé ; elle fonctionne en lien permanent avec son écosystème.

En 2015, l’Agence va fêter ses dix ans. D’après les contacts que j’ai pu avoir, ce sera l’occasion d’un bilan qu’elle pourra aborder sereinement. Elle est aujourd’hui respectée par ses différents partenaires et elle a su trouver sa place, ce qui n’était pas évident, compte tenu de son rôle de régulateur, qui n’est pas toujours spontanément accepté, et surtout de la très grande sensibilité de ses domaines d’intervention. Elle peut aussi se prévaloir de certains succès. Pour ne citer qu’un exemple, les objectifs fixés en matière d’unités de sang placentaire stockées – 30 000 – ou de donneurs inscrits pour une greffe de moelle – 240 000 – sont en passe atteints, et en avance sur le calendrier prévu.

L’Agence peut se prévaloir du très grand professionnalisme de ses agents. J’en profite pour saluer ses anciennes directrices générales, et notamment Emmanuelle Prada-Bordenave, qui a été auditionnée plusieurs fois par votre commission, ainsi que par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Cela tient aussi à la qualité et à la fluidité des relations que l’Agence a su entretenir avec ses différents partenaires et interlocuteurs, y compris avec les médias. Il est très important, compte tenu de la sensibilité des sujets traités, d’avoir des relations de confiance avec les médias, dans un souci de pédagogie, mais aussi pour faire passer des messages, particulièrement en ces temps de crise. Les relations avec le Gouvernement et le Parlement sont également une priorité.

Le premier enjeu de l’Agence est celui de la continuité, dans un contexte en renouvellement permanent. Cela est devenu tout à la fois plus simple parce qu’elle a accumulé des savoir-faire et noué des relations de confiance, et plus compliqué en raison de l’extrême rapidité des progrès médicaux et scientifiques, comme en attestent tous les rapports de l’OPECST et de l’Agence. Si la thérapie cellulaire, la génétique, les recherches sur les cellules-souches ouvrent de nouveaux horizons sur le plan médico-scientifique, elles posent de redoutables questions éthiques et ont également un impact sur l’organisation de notre système de santé et le financement de l’assurance maladie. D’où l’intérêt que l’Agence reste mobilisée sur son rôle de veille et d’anticipation.

Les chantiers 2015 sont largement prédéterminés par le contrat d’objectifs et de performance dont ce sera, en principe, la dernière année, ainsi que par les plans pluriannuels annexés, comme le plan greffe. La greffe et la lutte contre la pénurie en matière de greffe sont un axe prioritaire de l’action de l’Agence. Ce travail a été initié par le législateur en 2011 et l’Agence en assure la montée en charge, concernant, par exemple, le don croisé d’organes et l’élargissement du vivier des donneurs vivants. Nous devons aussi travailler sur le don d’organes par des personnes décédées qui reste la source principale de prélèvements.

À cet égard, une grande vigilance doit être accordée en 2015 à un sujet très sensible : les prélèvements sur donneurs décédés après arrêt circulatoire contrôlé, suite à un arrêt des thérapeutiques actives, dits « Maastricht III ». À la suite de l’audition par l’OPECST, un élan décisif a été donné à ce sujet sensible puisqu’il concerne des patients en fin de vie. Un protocole rigoureux a été mis en place après concertation, y compris avec les associations d’usagers et de patients. Il prévoit une étanchéité très forte entre les opérations de fin de vie et les opérations de prélèvement, de façon qu’elles n’interfèrent jamais l’une avec l’autre. Une convention vient d’être signée avec le centre hospitalier d’Annecy et cette année sera celle de la première mise en œuvre. Il faudra faire preuve d’une grande vigilance, car aucun droit à l’erreur n’est permis sur ce sujet.

L’année 2015 sera aussi consacrée à d’autres chantiers prioritaires, comme la préservation de la fertilité, dans le cadre du plan cancer 3, qui sera mis en œuvre en lien avec l’Institut national du Cancer (INCa). Pour autant, il ne faut pas négliger les chantiers organisationnels et administratifs : comme tous les opérateurs, l’Agence est soumise à des impératifs d’efficience. En outre, l’expérience montre qu’un certain nombre de difficultés rencontrées aujourd’hui, s’agissant en particulier des disparités régionales, peuvent pour partie tenir à des questions d’organisation.

Une action est menée aujourd’hui sur la formation des professionnels de santé, par exemple, sur la façon d’aborder avec les proches la question du don d’organes dans le but de faire baisser le taux de refus. Une plate-forme d’enseignement à distance va être mise en place pour toucher le maximum de professionnels.

Une action de réorganisation des services de régulation et d’appui qui travaillent en région est également mise en œuvre, afin de mettre le système sous tension.

Ce sera par ailleurs l’année de la loi de santé : l’Agence sera extrêmement attentive aux travaux de votre commission et du Parlement, dans la mesure où ceux-ci sont susceptibles d’influer sur ses missions.

Enfin, il y a des chantiers de moyen et long terme, plus structurants et stratégiques. Nous arrivons en principe, je l’ai dit, à la dernière année du contrat d’objectifs et de performance, il faudra donc en élaborer un nouveau, qui sera l’occasion d’un dialogue extrêmement utile avec la tutelle pour prioriser les actions.

Les travaux préparatoires à la révision des lois de bioéthique, qui doivent aboutir au plus tard fin 2018, seront précédés par un bilan de la loi bioéthique et des états généraux de la bioéthique, qui relèvent du Comité consultatif national d’éthique (CCNE). L’Agence a vocation à apporter son expertise et son éclairage, notamment au Parlement, comme elle l’a toujours fait jusqu’à présent. Ce sera un chantier prioritaire.

En ce qui concerne mon parcours, ma candidature à l’Agence de biomédecine est en quelque sorte un retour aux sources. J’ai en effet commencé ma carrière dans le secteur sanitaire, en tant qu’élève-directeur d’hôpital. C’est à cette occasion que j’ai été sensibilisée pour la première fois à la question des greffes. J’ai fait un stage d’aide-soignante et j’ai passé un certain temps dans des services de dialyse et de néphrologie. Cela m’a permis de saisir les aspects humains qui se cachent derrière des enjeux lourds d’un point de vue éthique, mais aussi budgétaire et médical, et de mieux appréhender le fonctionnement et l’organisation de notre système de santé.

À ma sortie de l’École nationale d’administration, j’ai eu la chance de rejoindre le Conseil d’État. C’est tout naturellement que je me suis à nouveau spécialisée dans les questions sanitaires et sociales, que ce soit au contentieux ou à la section sociale du Conseil d’État, ce qui m’a permis de voir passer les décrets d’application de la loi bioéthique de 2004.

Mes activités extérieures ont également porté sur ce secteur puisque j’ai rejoint la mission juridique d’appui des ministères sociaux, qui a préfiguré la direction des affaires juridiques. J’ai eu le plaisir de travailler avec Emmanuelle Prada-Bordenave, qui était à l’époque chef de mission. J’étais, pour ma part, plus particulièrement en charge de la Direction générale de la santé (DGS) et de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS).

Pour la petite histoire, ma première saisine portait sur la possibilité, par amendement législatif, de déroger à titre expérimental pour permettre des recherches sur les cellules-souches embryonnaires. Ces quatre dernières années, mes activités m’ont plutôt portée vers les questions éducatives. Mais dès que j’en ai eu l’occasion, notamment au travers de mes compétences sur l’enseignement supérieur et la recherche, c’est avec un grand plaisir que j’ai retrouvé ces sujets. Je crois que, lorsqu’on a la fibre, la passion ne s’éteint pas, même s’il faut, autant que faire se peut, les traiter de façon dépassionnée. Les chantiers sont très intéressants et donnent l’occasion de travailler avec des gens venant d’horizons très divers, ce qui est aussi une des richesses de l’Agence.

Je suis extrêmement motivée et j’ai la faiblesse de croire que mon expérience et les compétences que j’ai acquises au Conseil d’État peuvent être utiles. Je crois avoir le sens du service public, la capacité d’analyser et de restituer des sujets complexes, le sens de la collégialité, le souci de l’objectivité, le respect des institutions et de la loi, ainsi qu’une forme de solidité, c’est-à-dire la capacité de décider, d’assumer et de m’exprimer sur des sujets humainement difficiles ou éthiquement lourds.

Ces acquis ont été confortés par mon expérience de directrice d’administration centrale, ainsi qu’en cabinet, où j’ai acquis d’autres compétences, notamment la capacité de gérer les urgences et les situations de crise, mais aussi d’interagir avec des gens issus d’univers très variés. Je crois pouvoir me prévaloir d’une bonne connaissance des rouages de l’État et des relations entre l’administratif et le politique. Toutes ces expériences peuvent être utiles, dans le contexte actuel de l’Agence, pour faire face aux défis qui l’attendent. En tout cas, j’ai très envie de les mettre au service tant de l’Agence que des pouvoirs publics.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie pour cet exposé de votre parcours et de vos convictions. Nous avons bien compris votre souci du service public, s’agissant d’un sujet important qui doit rester dans la sphère publique, au moins au niveau du débat et des décisions. Les questions qui, dans ce domaine, dépassent souvent les clivages politiques traditionnels, seront nombreuses. Cela étant, puisque vous n’êtes pas encore entrée à l’Agence de biomédecine, il va de soi que nous n’attendons pas une réponse à chacune d’elles.

Selon une information qui m’est parvenue hier, une personne que vous avez sans doute côtoyée et dont je tais le nom pour l’instant puisque nous attendons sa nomination, est en train de mettre en place, pour tous les chercheurs de France, un centre de ressources biologiques pour les embryons donnés à la recherche, suite à la loi votée l’année dernière.

J’ai, pour ma part, deux questions à vous poser, concernant les dons d’organes et de gamètes. Compte tenu du nombre insuffisant de dons d’organes et de gamètes, qu’il s’agisse de spermatozoïdes ou d’ovocytes, ne faudrait-il pas améliorer l’efficacité des campagnes d’information ? Ne faudrait-il pas aller au plus près des gens pour en parler, sur leur lieu de travail, dans les entreprises, par exemple, et sur les réseaux sociaux ? Depuis quelques années, l’État informe les jeunes qui participent à la journée de la citoyenneté. Ils repartent avec une plaquette expliquant le don d’organes et de gamètes.

Sachant qu’ils sont plus nombreux dans d’autres pays, pensez-vous que les dons, en France, doivent rester anonymes, gratuits et principalement gérés par le service public hospitalier, pour des raisons d’éthique et de déontologie ? Loin de moi l’idée que la déontologie n’existe pas dans le secteur privé, mais aujourd’hui, les principales banques de sperme sont dans les hôpitaux publics.

M. Jean-Louis Touraine. J’avoue être impressionné par le brillant parcours de Mme Courrèges, qui plaide en faveur de sa nomination à la tête de la prestigieuse Agence de la biomédecine, appelée à relever des défis majeurs sur les plans sanitaire, sociétal, éthique et économique.

Tout votre talent, madame, sera requis pour succéder à Mme Prada-Bordenave, qui a été une excellente directrice générale, et pour faire progresser l’Agence dans les nombreuses missions qui lui sont fixées et qui ont été étendues au fil des années, sans que les moyens aient été multipliés en proportion. Les transplantations d’organes, de tissus et de cellules, le domaine de la reproduction, l’embryologie et la génétique humaines restent des questions particulièrement sensibles dans la société française d’aujourd’hui.

À la différence d’autres agences sanitaires nationales, l’Agence de la biomédecine n’a pas prioritairement un rôle de police sanitaire ni d’évaluation des produits et techniques : elle a avant tout un rôle opérationnel. C’est une organisation importante, non seulement au niveau central, mais également au niveau déconcentré, dans chacun de nos territoires, où il existe de grandes disparités qu’il importe de corriger, que ce soit en métropole ou plus encore dans les territoires d’outre-mer.

Vous serez vraisemblablement bientôt immergée dans un océan de notions en génétique. Vous aurez alors la confirmation que si les gènes ne gouvernent pas tout, leur rôle n’en est pas moins important. Si l’on se réfère au cas de deux jumelles, qui ont donc les mêmes gènes et qui ont toutes deux mené une brillante carrière, l’une dans la haute administration, puis en tant que conseillère du Président de la République dans le domaine de l’éducation, l’autre dans le domaine sanitaire, à la tête d’une agence régionale de santé (ARS) et comme conseillère du Premier ministre dans le secteur de la santé, on ne peut qu’être persuadé que vous possédez tous les gènes requis pour mener à bien l’importante mission qui va vous être confiée. Du reste, au début de votre formation, vous avez été élève-directeur d’hôpital. J’imagine que rien ne vous échappe des défis que vous aurez à relever dans les prochaines années.

Vous avez évoqué le rapport de la mission « santé » du PLF 2015, qui portait principalement sur l’Agence de la biomédecine. Dans ses conclusions, j’avais insisté sur la nécessité, pour la future directrice générale, de disposer d’un financement pluriannuel ou au moins d’indications assez précises sur le financement des années à venir : presque toutes les actions que vous aurez à conduire s’étalent sur de nombreuses années et les résultats ne peuvent être escomptés en quelques mois. Il est donc nécessaire d’avoir une certaine sécurité en matière budgétaire.

Ce même rapport évoque la nécessité de faire vivre les acteurs de terrain qui, pour l’instant, sont insuffisamment soutenus et qui demandent un peu plus d’enthousiasme et de stimulation pour les aider à accomplir des missions très difficiles et très disparates dans les différents territoires. Pour les personnes inscrites en vue d’une transplantation, selon les régions, en métropole, les chiffres vont du simple au double. Si 87 % des personnes dialysées susceptibles d’être greffées sont inscrites en Île-de-France, elles ne sont que 37 % dans le Nord, soit moins de la moitié, et 36 % en PACA. Il y a là un effort considérable à faire.

Inscrire tous les malades susceptibles d’être greffés est peut-être un vœu pieux, dans la mesure où il y a un déficit d’organes. Cela étant, il y a là une inégalité que nous ne pouvons pas accepter. Nous devons relever le défi. Les chances pour être transplanté sont moindres chez les femmes, chez les personnes dialysées dans des centres privés, dans certaines régions et chez les personnes ayant peu de formation ou peu de diplômes.

En outre, la tarification actuelle défavorise la transplantation par rapport à la dialyse, alors que la transplantation rénale, notamment, fait faire d’énormes économies à notre pays. Il faut compter 89 000 euros pour chaque année de dialyse contre 20 000 euros pour une transplantation, dès la fin de la première année. Il est donc nécessaire d’avancer très vite dans ce domaine.

Enfin et surtout, il faudrait augmenter de plus de 50 % le nombre d’organes disponibles pour les greffes. En 2013, 4 467 patients étaient inscrits pour une greffe rénale, mais 3 074 seulement ont été greffés. Il reste, de surcroît, à résorber les 14 000 patients inscrits et non satisfaits aujourd’hui. L’effort à faire est donc énorme : il faut augmenter l’accès aux reins de donneurs vivants et aux organes prélevés chez les personnes décédées, et faire baisser le nombre de refus. Pourquoi enregistre-t-on 40 % d’oppositions au prélèvement en France, alors qu’il y en a moins de 20 % en Espagne ? Nous avons tous confiance en vous, madame Courrèges, pour corriger cela. Sachez que nous vous accompagnerons sur le plan législatif, afin que soient adoptées les mesures permettant de résorber la pénurie d’organes et de satisfaire de façon égalitaire tous les patients qui en ont besoin.

Mme la présidente Catherine Lemorton. En ce qui concerne l’inné et l’acquis, monsieur Touraine, j’espère que l’individu n’est pas génétiquement programmé pour toute sa vie. Sinon, les politiques menées pour lutter en faveur de l’égalité pour tous n’auraient pas de sens ! Je veux espérer qu’un individu, quand il naît, a encore toutes ses chances, quelle que soit son origine sociale ou territoriale, et que toutes les politiques menées en ce sens y contribuent.

Je tenais à le préciser, car même si votre intervention avait pour seul objectif d’illustrer le parcours de Mme Courrèges, ce débat philosophique a été tranché : un individu n’est pas génétiquement programmé pour toute sa vie, et c’est heureux.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Le déterminisme génétique est une notion catastrophique. On sait aujourd’hui que l’évolution de carrière de deux jumeaux peut être extrêmement différente en fonction de leur environnement.

L’Agence de la biomédecine a été créée en 2004. Je regrette l’absence de Jean Leonetti, qui ne peut malheureusement être parmi nous aujourd’hui.

Si nous avons salué le travail remarquable de Mme Prada-Bordenave, il ne faut pas oublier Mme Carine Camby, première directrice de l’Agence, qui a eu le soin de la mettre en œuvre et qui a fait preuve d’une grande efficacité.

C’est à travers le prisme du Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, dont je suis membre, et de l’Office parlementaire, pour lequel j’ai réalisé le rapport d’évaluation de la loi de bioéthique, que je voudrais, madame Courrèges, vous interroger.

Vous avez rappelé qu’il s’agissait d’une agence de concertation et d’information, mais c’est avant tout une agence de régulation qui délivre des autorisations et des agréments, en particulier aux centres de procréation médicalement assistée. Elle délivre aussi aux équipes des autorisations de recherche sur les cellules-souches embryonnaires. Le travail qu’elle réalise est remarquable et je ne doute pas une seconde que vous poursuivrez dans la voie tracée par vos prédécesseurs.

S’agissant des greffes, pourriez-vous citer quelques chiffres et nous dire si la nouvelle loi de bioéthique autorisant les prélèvements à cœur arrêté et les dons croisés a permis d’améliorer le don en France ?

Je m’interroge également sur la recherche sur les cellules-souches embryonnaires, dont on ne parle plus beaucoup actuellement. J’aimerais savoir si vous avez délivré de nouveaux agréments et si des équipes sont en voie de passer aux essais cliniques.

Je voudrais vous interroger plus particulièrement sur les tests génétiques. L’Agence avait, dans ses obligations, la nécessité de créer un site d’information à destination du grand public. Si, aujourd’hui, les tests sont très encadrés en France, ils sont d’un accès très facile à l’étranger, mais ils comportent de nombreux risques concernant la qualité de leur réalisation, leur interprétation et la confidentialité des données. Pensez-vous arriver à informer le grand public du danger qu’il y a à envoyer, sans aucun contrôle, des prélèvements à l’étranger ?

S’agissant de la procréation médicalement assistée, j’aimerais savoir si la baisse des dons peut être liée aux incertitudes sur l’évolution de la loi qui, aujourd’hui, n’autorise la PMA que pour les couples médicalement infertiles. La possibilité d’ouvrir la procréation médicalement assistée à d’autres cas a-t-elle une incidence sur le don ?

Se pose enfin une question plus globale, qui touche à plusieurs domaines dans lesquels vous travaillez, notamment les tests génétiques et les neurosciences. On assiste actuellement à une explosion des données numériques concernant les patients et l’on voit apparaître, à côté du corps du patient, un véritable corps numérique. Comment pourrons-nous stocker cette énorme quantité de données et en assurer la confidentialité ? Comment pourrons-nous en assurer le partage entre les chercheurs lorsque c’est nécessaire, notamment en matière de tests génétiques ? Quel sera le rôle de l’Agence dans la protection et le partage de données ? Vous semble-t-il opportun de créer un centre national de séquençage du génome, qui aurait en charge à la fois le stockage, la protection et l’organisation du partage entre les différentes équipes de chercheurs ?

Pour conclure, je tiens à nouveau à souligner l’excellente qualité du travail fait par l’Agence, notamment avec les associations de patients.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Vialatte, nous nous retrouvons assez souvent lors des votes en faveur de la recherche sur les cellules-souches embryonnaires. Au-delà des clivages politiques, nous avons la même vision, cela méritait d’être souligné.

M. Michel Liebgott. L’équité dans l’accès aux dons d’organes est, avec les délais d’accès, le problème principal. Bon nombre de départements ne disposent toujours pas d’un établissement de prélèvement – l’Eure, la Creuse, la Lozère, la Haute-Marne, la Haute-Saône ou le Jura notamment. Même si le découpage par départements peut paraître un peu fictif, la gestion doit se faire dans un cadre territorial.

L’homme dit « bionique » est un sujet en plein développement. Entre-t-il dans le cadre de vos compétences ? J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le cas de d’Oscar Pistorius, qui utilise des équipements lui permettant d’aller plus vite qu’un athlète classique. Dans un autre registre, des lunettes permettent aujourd’hui, grâce à de nouvelles techniques, de récupérer une partie de la vision.

Enfin, comment faire pour multiplier le nombre des donneurs ? Ne faut-il pas s’inspirer de ce qui se fait pour le sang ? Si, dans ce domaine, on est parfois à la limite de la rupture, le dynamisme des associations montre qu’il faut sans doute chercher de ce côté pour faire passer le message à nos concitoyens et les sensibiliser davantage au don d’organes. Il est pour le moins paradoxal, concernant la transplantation rénale, succès médical incontestable, qu’on ne puisse pas atteindre des objectifs tout à fait plausibles, compte tenu du nombre de donneurs potentiels, mais qui n’ont pas lieu faute d’accord préalable.

M. Élie Aboud. Tous nos encouragements vous accompagnent, madame Courrèges, pour la noble mission qui vous attend.

Vous avez évoqué les interrelations de l’Agence avec la puissance publique hospitalo-universitaire. S’agissant des interrelations avec le monde associatif, nous avons, en tant qu’élus, l’occasion de rencontrer ses représentants sur le terrain, qui nous reprochent d’être un peu déconnectés du monde hospitalier, du monde universitaire et de l’Agence. On sent chez eux un vrai militantisme associatif et une énergie extraordinaire, ce qui devrait sans doute vous aider dans votre tâche. Il serait souhaitable d’établir des passerelles avec le monde associatif qui œuvre au quotidien.

Sur le plan législatif, force est de constater qu’il existe des disparités énormes au niveau européen, ce qui pose de nombreux problèmes dans les régions frontalières.

Mme Hélène Geoffroy. Permettez-moi, madame Courrèges, de dire combien j’ai été impressionnée par votre parcours.

Je travaille aujourd’hui sur le projet de loi santé qui institue une obligation légale de représentation des usagers dans les organes de gouvernance de toutes les agences sanitaires nationales, dont l’Agence de la biomédecine. À ce jour, les usagers ne sont pas représentés dans leurs instances délibérantes. Quel est votre sentiment sur cette question ? En fonction des agences ou des personnes auditionnées, la question est aujourd’hui ouverte sur la forme que peut prendre cette participation et sur la possibilité d’accorder des voix délibératives.

Enfin, quelle formation estimez-vous nécessaire pour que cette représentation soit pertinente ?

M. Bernard Perrut. Madame Courrèges, nous vous avons attentivement écoutée exposer votre carrière et vos objectifs. On sait combien l’Agence de biomédecine est une institution importante. J’aimerais savoir quelle est votre volonté en matière d’information et de communication. Depuis quelques années, l’Agence a mis en place un site qui s’adresse, d’une part, aux professionnels, d’autre part, au grand public. Que pouvez-vous faire pour que cette information soit plus dynamique et plus performante afin de répondre aux besoins de nos concitoyens ?

Chaque année, les parlementaires étudient en détail les rapports d’information remis au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques. Nous avons pris connaissance du rapport 2013. Je suppose que le rapport 2014 n’est pas encore sorti. Pouvez-vous nous éclairer sur les objectifs ou les points forts qui vont ressortir de ce document puisque vous-même aurez à en assurer le prolongement ?

S’agissant des greffes, l’Agence a mené une action pédagogique, intitulée « un don en moi », véritable campagne de communication pour la greffe rénale à partir d’un donneur vivant. On en mesure toute l’importance dans le grand public.

Malheureusement, les chiffres restent inquiétants. Ceux émanant de votre agence montrent qu’en 2013, 14 336 patients étaient en attente d’une greffe de rein et que 3 074 seulement ont pu être greffés la même année. L’attente est toujours immense. Quelles actions pourraient être menées au niveau du grand public, en s’adressant à tous les âges, pour une plus grande incitation aux dons ? Comment faire passer le message ? Pour la greffe de moelle et le don du sang, la communication a su s’instaurer, y compris au niveau des collectivités locales, sur le terrain : les communes sont souvent partenaires de cette opération. Que comptez-vous faire pour répondre à cette attente ?

M. Olivier Véran. Le champ de compétence de l’Agence de la biomédecine inclut le sang de cordon ombilical qui, comme la moelle osseuse, regorge de cellules-souches hématopoïétiques et peut sauver des vies : des greffes de cellules-souches de cordon peuvent être indiquées dans le cas de maladies sanguines comme les leucémies ou les lymphomes. À l’instar du don d’organes ou de sang, le don de sang de cordon repose sur la gratuité, l’anonymat et le consentement. En pratique, il est prélevé à la maternité après accord de la mère et il est immédiatement transporté.

Les banques de sang de cordon sont reliées entre elles au sein d’un réseau français du sang placentaire. Un réseau international s’est constitué pour pallier le fait que la compatibilité entre les cellules-souches issues de sang de cordon et les receveurs potentiels est extrêmement rare, de l’ordre d’un pour un million. Ce réseau international comprenait déjà quelque soixante-quatorze pays en 2010 et 700 000 à 800 000 profils potentiels.

En France, un ambitieux programme de prélèvement de sang de cordon avait été mis en place, il y a quelques années. Où en sommes-nous ? Les objectifs ont-ils été atteints ? Est-il prévu de relancer le programme ?

Mme Bernadette Laclais. Madame Courrèges, nous vous adressons tous nos vœux de réussite dans votre nouvelle mission même si nous ne doutons pas de votre succès.

Ma première question porte sur le don d’organes. Dans nos permanences, nous recevons beaucoup de personnes et de représentants d’associations qui souhaitent la réouverture du débat sur ce sujet, compte tenu des besoins. Nombre d’entre nous sont prêts à s’engager pour faire avancer les choses dans le respect de l’éthique et pour mener le débat jusqu’à son terme. D’aucuns préconisent l’organisation de campagnes dans les entreprises. Compte tenu de vos précédentes fonctions dans le domaine de l’éducation, ne pensez-vous pas que certaines actions pourraient être envisagées dans les écoles, afin de sensibiliser au don d’organes dès le plus jeune âge ? Il s’agit de faire évoluer notre comportement culturel face à cet acte, sachant que 40 % des familles le refusent, en dépit des avancées législatives en la matière.

Ma deuxième question concerne le don de moelle osseuse. Certaines personnes ne peuvent plus faire de don, après avoir été touchées par des maladies telles que le cancer, même après une rémission totale. Ne faudrait-il pas assouplir certaines contraintes, d’autant que ces personnes le demandent, ces dons étant aussi pour elles le signe d’une guérison totale ?

Mme Michèle Delaunay. La cryocongélation des ovocytes fait-elle partie de vos compétences ? La conservation des produits utilisés en procréation assistée va très certainement susciter un débat sur l’utilisation d’ovocytes cryoconservés issus de soi-même et pour soi-même. Quoi qu’il en soit, je vous félicite pour votre nomination à ce très beau poste qui va vous ouvrir un champ de décisions et de réflexions considérable.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous avez la parole, Madame Courrèges, pour répondre à ces questions. Sachez, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, que personne ne vous en voudra si vous n’avez pas, à ce stade, réponse à tout.

Mme Anne Courrèges. Merci à tous. Cette audition me permet de connaître vos attentes concernant l’Agence de la biomédecine. Lorsque j’aurai l’occasion de revenir vers vous, j’espère que je pourrai vous apporter des réponses éclairées et précises aux questions auxquelles je n’aurais pas suffisamment répondu aujourd’hui.

Les campagnes en faveur du don d’organes sont-elles suffisantes ? Les campagnes à destination du grand public sont globalement bien perçues sur le plan qualitatif, les études le montrent. Cela étant, il est nécessaire de mener davantage de campagnes ciblées sur le plan territorial pour répondre à un souci de proximité et aussi aux disparités régionales : le taux de refus n’est que de 20 % en Franche-Comté alors qu’il atteint plus de 40 % dans d’autres régions.

La nécessité d’une approche différenciée se fait aussi sentir quand on s’adresse aux jeunes qui n’utilisent pas les mêmes médias que leurs parents – quand ils regardent la télévision, c’est sur internet – et qui ne sont pas forcément sensibles aux campagnes destinées au grand public. L’agence a investi les réseaux sociaux en ouvrant des comptes Twitter, des pages Facebook et YouTube, encore faut-il que les jeunes connaissent leur existence : les comptes institutionnels ne sont pas les plus fréquentés de la « twittosphère » et ce sont généralement des institutions qui les consultent. Les journées défense et citoyenneté organisées dans les établissements scolaires offrent l’opportunité de faire passer des messages sur mesure et d’informer les jeunes de l’existence de ces comptes qui sont plus adaptés à leur mode de communication. Nous devons tenir compte de ces réalités pour avoir une communication efficace sur ces sujets très importants.

L’organisation du système mérite aussi réflexion. Comment le mettre sous tension grâce à une analyse fine des disparités régionales et à la formation de tous les professionnels qui interviennent à chaque maillon de la chaîne, notamment ceux qui seront au contact des proches au moment où la décision doit être prise ? Comment accompagner les proches en ce moment très difficile pour eux, de façon à faire baisser le taux de refus ? Rappelons qu’il reste de plus de 30 % en moyenne en France alors qu’il est proche de 15 % en Espagne, pays dont la tradition culturelle est pourtant très proche de la nôtre.

Madame la présidente, vous avez aussi évoqué les caractéristiques du don éthique français – l’anonymat, la gratuité, le rôle du service public hospitalier – auxquelles je rajouterais évidemment le volontariat. L’Agence de la biomédecine est extrêmement attachée à ces valeurs éthiques qu’elle rappelle toujours avec fermeté, convaincue qu’il y va de nos principes mais aussi de l’efficacité du don. Dans ces domaines sensibles, la vertu est aussi un gage d’efficacité et de sécurité.

Parlons de l’anonymat. À chaque fois que revient la question de sa levée pour les dons de gamètes, les associations alertent sur les risques de baisse du nombre des donneurs potentiels, ceux-ci ne sachant trop ce qu’il adviendra lorsqu’un jeune né d’un don de gamètes voudra connaître ses origines. Le législateur a trouvé un équilibre en permettant de lever l’anonymat dans certains cas, mais il faut veiller à ne pas aller trop loin pour ne pas décourager les donneurs, sachant que nous sommes dans une situation de pénurie.

Quant à la gratuité, des études scientifiques australiennes démontrent qu’elle est favorable aux dons car considérée comme un facteur de qualité : en cas de rémunération, les gens qui sont dans la plus grande précarité, y compris ceux qui ont des problèmes de santé, vont être tentés de se présenter. C’est naturel, légitime. À l’inverse, certaines personnes renonceraient peut-être à donner si elles étaient rémunérées, dans la mesure où cet acte généreux et extrêmement valorisant à leurs yeux prendrait de fait une dimension plus commerciale. Ces valeurs éthiques, sur lesquelles notre système s’est construit, sont plutôt un gage d’efficacité, et l’agence les défend avec fermeté.

Monsieur Jean-Louis Touraine, je ne me permettrai pas de trancher le débat entre l’inné et l’acquis. Le fait que ma sœur jumelle s’occupe aussi – et depuis plus longtemps que moi – de sujets de santé, est peut-être lié à la transmission de valeurs familiales concernant le service public, l’intérêt général et l’éthique.

En ce qui concerne la question du financement pluriannuel, posée lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2015, je vous renvoie à la réponse de Marisol Touraine. Le futur contrat d’objectif et de performance donnera l’occasion de reposer la question pour obtenir des données au moins indicatives, car nous savons tous que les engagements fermes sur plusieurs années sont compliqués à tenir en l’état de nos finances publiques.

Vous avez insisté sur la nécessité de faire vivre les acteurs de terrain, sur la volonté d’inscrire tout le monde sur les listes d’attente, sur la disparité des taux de refus. Il serait difficile de ne pas être totalement d’accord avec vous : les chiffres sont implacables. Ce qui vaut pour la communication vaut pour l’organisation : il faut analyser les origines des disparités afin de mener des actions dirigées vers les territoires qui sont en retard. Ce sera l’un des axes prioritaires du contrat d’objectif et de performance et des différents plans pluriannuels qui vont se succéder. Le simple fait qu’il n’y ait pas d’équipes de prélèvement dans tous les départements représente une perte de chances préjudiciable aux malades, compte tenu de la forte pénurie d’organes et de l’importance de la demande de greffes. Cette perte de chances est aussi préjudiciable à notre système d’assurance maladie : les dialyses coûtent très cher et, ne serait-ce que par égoïsme, nous aurions intérêt à développer les greffes de reins.

Monsieur Jean-Sébastien Vialatte, vous avez évoqué le rôle régulateur de l’agence, particulièrement dans les domaines de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et des cellules-souches. La grande force de l’agence est d’avoir su nouer des relations de confiance avec ses interlocuteurs ; son rôle de régulateur est particulièrement bien accepté, comme le montre la campagne d’évaluation menée sur les centres d’AMP. Ceux-ci ont vraiment joué le jeu car ils ont eu le sentiment d’avoir un interlocuteur qui prenait en compte leurs contraintes, qui était conscient des disparités, des caractéristiques des populations dans les différents centres, et qui était à leur écoute. La campagne a fait remonter des données très intéressantes qui peuvent être exploitées avec les centres eux-mêmes pour créer des dispositifs de remédiation là où il y a des disparités.

Les dispositifs prévus dans la loi de 2011 ont-ils apporté des améliorations en matière de greffes ? Très certainement : le nombre de greffes annuelles est passé de 3 000 en l’an 2000 à un peu plus de 5 100 actuellement ; les greffes de reins à partir de donneurs vivants ont augmenté de 12 % en 2013 et ils représentent environ 13 % des prélèvements contre 6 % à 7 % en l’an 2000. Quant au don croisé, il n’en est qu’à ses débuts. Le dispositif est extrêmement lourd et complexe : lorsque le don n’est pas possible au sein de deux membres de la même famille, le don croisé consiste à réunir deux paires donneurs-receveurs présentant une compatibilité entre eux. À ma connaissance, une vingtaine de paires a été recensée ; le nombre de greffes de cette nature ne dépasse pas quatre par an. Compte tenu des marges de progression existantes, c’est un domaine prioritaire.

Y a-t-il du nouveau en ce qui concerne les recherches sur les cellules-souches embryonnaires et les essais cliniques ? Nous sommes plutôt dans une phase de consolidation du dispositif où la clarification de 2013 a joué un rôle très important. Pour le stade clinique, la situation n’a pas évolué depuis la présentation du dernier rapport d’activité de l’agence par Emmanuelle Prada-Bordenave. Des recherches sont effectuées sur des maladies telles que la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Les potentialités sont immenses mais, compte tenu du très haut niveau d’expertise requis, peu d’équipes sont capables de se lancer dans des recherches très pointues dans ce domaine. En outre, étant donné l’ampleur des moyens nécessaires, ces recherches ont vocation à se développer au sein de partenariats européens ; le cadre national est un peu étroit au regard de l’ampleur des technologies à mettre en œuvre.

S’agissant des tests génétiques, plus encadrés en France que dans nombre de pays, je rappellerais le message constant de l’agence : non seulement ces tests sont inutiles, mais ils peuvent être dangereux. Inutiles parce que, les trois quarts du temps, ce sont des tests de susceptibilité qui ne renseignent pas sur l’existence du vrai risque : c’est un peu comme jouer aux cartes sans connaître leur valeur ni les règles du jeu, me disait un membre de l’agence. Dangereux dans la mesure où de mauvais messages peuvent être envoyés à la personne qui n’est pas accompagnée : soit elle va penser qu’elle ne risque finalement pas grand-chose et elle va renoncer à la prévention en sous-estimant les facteurs environnementaux ; soit elle va se croire, à tort, surexposée et perdre en qualité de vie. Quant aux tests de prédispositions, qui concernent notamment certains types de cancers génétiques du sein où les risques atteignent 60 % à 70 %, ils supposent que la personne soit sérieusement accompagnée par un professionnel de santé au moment où elle reçoit le résultat. Le test par internet ne permet pas ce genre d’accompagnement. C’est précisément à ce type de questions que l’agence veut apporter des réponses simples via son site internet et les médias qui sont logiquement fascinés par ces tests. Il est nécessaire de se montrer très pédagogue avec tous les médias – y compris Parents, Biba ou autres – pour que les messages délivrés soient parfaitement clairs.

Qu’en est-il de l’AMP et d’une éventuelle baisse des dons liée aux incertitudes concernant la loi ? Les dons d’ovocytes sont plutôt en hausse : 400 contre 200 il y a cinq à dix ans, mais ils restent inférieurs aux besoins estimés à 900 par an. Les dons ont été favorisés par les campagnes de promotion plus actives qui ont été menées, y compris auprès des gynécologues. Il m’est difficile de vous dire si les incertitudes légales ont créé un mouvement inverse, en l’absence d’une analyse qualitative beaucoup plus fine que les informations dont je dispose.

L’explosion des données numériques est un vrai sujet, qui n’est pas de la seule compétence de l’Agence de la biomédecine : toutes les agences sanitaires et l’assurance maladie sont concernées. En France, nous avons la chance de pouvoir compter sur la vigilance de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Les enjeux économiques, philosophiques et éthiques sont énormes. Nous devons à nos concitoyens d’assurer la protection de leurs données de santé, ce qui ne doit pas empêcher les chercheurs de pouvoir utiliser des données rendues anonymes. Notons que certaines personnes sont prêtes à envoyer des données à l’étranger pour effectuer des tests génétiques, sans avoir aucune garantie sur l’utilisation et la conservation des résultats de ces tests… Cela devrait pourtant alerter nos concitoyens.

Monsieur Michel Liebgott, vous êtes revenu sur la question de l’équité, du temps d’accès aux organes et sur le fait qu’il n’y a pas d’équipes de prélèvement sur tout le territoire. Comme vous l’avez noté, il faut compter sur le dynamisme des associations pour la promotion du don. Ces partenaires actifs ont développé leurs propres sites internet qui sont référencés sur celui de l’agence, de manière à ce que l’information donnée soit la plus large possible ; ils sont toujours associés aux campagnes de promotion à destination du grand public qui sont menées par l’agence ; ils participent aux comités de sélection dans le cadre des procédures d’appel d’offres.

L’agence est-elle compétente en ce qui concerne l’homme bionique ou l’homme amélioré, comme on l’appelle dans certains cercles ? Elle ne l’est pas pour certains sujets qui relèvent davantage des dispositifs médicaux, mais elle l’est au moins par deux biais : la mission de veille et d’anticipation qui lui a été confiée, et les neurosciences. À l’issue de l’adoption de la loi de 2011, l’agence a créé un comité de pilotage qui travaille, comme le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), sur l’homme amélioré.

Monsieur Élie Aboud et madame Hélène Geoffroy, vous m’avez interrogée sur l’implication des associations dans le travail de l’agence de la biomédecine. Elles y ont été associées depuis l’origine, à la demande du Gouvernement et parce que les responsables de l’agence sont convaincus que c’est très important, ne serait-ce que pour ne pas être coupés des réalités et des contacts de terrain. Les associations sont représentées au sein de son conseil d’orientation, le comité éthique de l’Agence ; elles sont associées aux groupes de travail selon une méthodologie précise. À chaque nouveau chantier, un groupe de travail doit prévoir la participation des associations, selon l’une des modalités prévues : inviter les associations à une réunion du groupe de travail ; leur demander d’apporter une contribution ou d’émettre un avis sur un document qui leur aura été transmis ; contribuer par l’intermédiaire d’une plateforme d’échange qui permet de recueillir tous les points de vue. Ces différentes modalités ne sont d’ailleurs pas exclusives les unes des autres mais elles peuvent se cumuler, ce qui montre la préoccupation constante de l’agence d’impliquer le plus possible les associations dans ses travaux. D’ailleurs, j’ai cru comprendre que les associations viennent très souvent à l’agence où elles sont accueillies bien volontiers.

La législation européenne est aussi une vraie question à laquelle on ne peut pas apporter de réponse simple. Les législations différentes se conjuguent avec la libre circulation des personnes, ce qui crée des possibilités de contournement des lois nationales qui nous conduisent à nous interroger sur notre système. Si certaines femmes ont ressenti le besoin d’aller en Espagne à une époque, c’est peut-être parce que notre système n’avait pas su s’organiser pour permettre le don d’ovocytes – qui est chronophage, coûteux et assez difficile à planifier – dans de bonnes conditions. Il était donc nécessaire de mettre le système sous tension. Il y a un vrai travail à mener au niveau de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe. L’agence, très active dans ce domaine, participe à certains programmes européens, ce qui ne signifie pas qu’il sera possible d’obtenir une harmonisation sur tous les sujets par voie de directive ou de règlement communautaire. Quoi qu’il en soit, c’est une occasion d’échanger sur les pratiques, les valeurs et les principes, et de mieux se comprendre. À défaut d’harmonisation, nous pourrons au moins dégager certaines convergences.

Monsieur Bernard Perrut, le nouveau rapport d’information au Parlement est en cours de finalisation et, le jour où j’aurai le plaisir de vous le présenter, j’espère que je serai incollable sur les sujets.

Monsieur Olivier Véran, le sang de cordon fait effectivement partie des compétences de l’agence. Compte tenu de sa diversité génétique, la France ne peut être autosuffisante : la compatibilité entre les cellules-souches issues de sang de cordon et les receveurs potentiels est, vous avez raison, de l’ordre d’un pour un million, d’où la création d’un réseau mondial. Notre pays est d’ailleurs très sollicité car les cordons français sont très appréciés, notamment pour leur qualité et leur richesse, ce qui témoigne de la valeur du travail accompli pour constituer les banques de cordons nationales. Les résultats sont bons : les objectifs, fixés dans le cadre du plan pluriannuel annexé au contrat d’objectif et de performance, ont été atteints ou vont l’être au cours du premier semestre de 2015 pour les banques d’unités de sang placentaire. Maintenant que nous avons atteint les objectifs quantitatifs, un travail qualitatif doit être entrepris pour obtenir une plus grande diversité génétique et éviter l’obsolescence de notre stock. Ces actions ont été prises en charge dans le cadre du plan cancer 2, mais ces financements ne sont pas pérennes. Le problème est bien identifié et une réflexion est en cours avec le ministère sur la pérennisation du financement des maternités qui assurent la collecte.

Madame Bernadette Laclais, vous avez évoqué un sujet qui m’est cher, compte tenu des fonctions que j’ai exercées jusqu’à présent : la campagne de sensibilisation dans les établissements scolaires. D’après mon expérience, les actions de prévention et d’éducation à la santé au sens le plus large, incluant le don d’organes, sont extrêmement perfectibles. Il faut adapter le message en fonction des âges, surtout quand on parle de certains prélèvements sur donneurs décédés : il est des sujets qui ne peuvent être abordés facilement avec les plus jeunes, mais dont on peut discuter avec les plus grands collégiens et les lycéens. Je place de grands espoirs dans la future loi de santé qui va établir un parcours d’éducation à la santé. Ce texte donne l’occasion aux deux ministères, celui des affaires sociales et celui de l’éducation nationale, de travailler main dans la main afin d’élaborer des messages sanitaires vraiment adaptés, en impliquant tous les opérateurs, notamment l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) qui a un rôle très important à jouer. Il donne aussi l’occasion de réfléchir à d’autres façons d’aborder les jeunes : on peut utiliser les réseaux sociaux mais aussi les témoignages de personnes de leur âge, auxquels ils sont généralement plus sensibles. Si des jeunes qui ont reçu un don d’organe allaient parler de leur expérience dans les établissements scolaires, leur message aurait une portée particulière. La réflexion est en cours et elle va s’inscrire dans ce fameux parcours d’éducation à la santé.

Madame Michèle Delaunay, la cryogénisation et la vitrification des ovocytes relèvent bien du champ de compétence de l’agence, depuis que ces techniques ont été autorisées par la loi de bioéthique de 2011. Les équipes ont eu besoin de s’adapter et de se former à ces procédés qui sont très différents de ceux qui étaient utilisés précédemment, ce qui fait que nous nous sommes encore dans une phase d’acclimatation. Contrairement aux embryons qui se congèlent très bien, les ovocytes se conservaient jusqu’à présent nettement moins facilement. Ces techniques ouvrent donc la perspective de conserver les ovocytes plutôt que les embryons. Elles permettent aussi d’envisager une utilisation différée dans le temps, dans le cadre d’un don pour soi-même. Actuellement, la loi n’envisage ce type de don que dans deux hypothèses : quand une femme va subir un traitement qui risque de la rendre infertile ; quand une femme qui n’a pas encore procréé fait un don d’ovocytes. Ces nouvelles techniques soulèvent donc la question du don pour soi « de confort », un terme qui peut sembler péjoratif. L’agence, qui a abordé le sujet lors d’un conseil d’orientation, ne s’y montre pas très favorable : notre système de soins a été construit sur l’idée du don éthique et non pas du don pour soi-même ; le prélèvement est extrêmement lourd pour les femmes concernées et le rapport bénéfice-risque n’est pas évident, d’autant que nous n’avons pas le recul suffisant pour évaluer l’utilisation de ces ovocytes au bout de dix ou quinze ans.

Mme Michèle Delaunay. Un jour ou l’autre, se posera logiquement la question d’autoriser les femmes à avoir une grossesse après la ménopause car, sur le plan physiologique, elles sont clairement dix ans plus jeunes qu’il y a un siècle.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Madame Courrèges, votre exemple sur les témoignages de jeunes destinés à d’autres jeunes est très pertinent. Cela vaut aussi pour les dons de gamètes, sujet qui me touche très personnellement et qui me conduit à revenir à vos propos sur les données génétiques. Les enfants conçus grâce à la procréation médicalement assistée – j’en connais qui sont très proches de moi – ne pourront pas répondre à un médecin qui les interroge sur les antécédents médicaux de leur père et de leur mère. Pour eux, du fait de ces données manquantes, la prévention sera incomplète. Tout en étant contre la levée de l’anonymat des donneurs, je pense qu’il faut réfléchir sur l’accès de ces enfants à des données génétiques qui peuvent indiquer une prédisposition à certaines maladies telles que les cancers du côlon ou du sein.

Pour le reste, vos réponses ont été si riches que nous avons eu l’impression que vous la dirigiez déjà cette Agence de la biomédecine ! Je suppose que vous avez beaucoup travaillé. Vous nous avez dessiné un plan très large, avec des positions à la fois personnelles mais pas affirmées. La Commission ne peut qu’être unanimement favorable à votre nomination à la direction de cet établissement où vous avez un bel avenir. Au nom de tous ses membres, je m’engage à vous apporter le soutien de la Commission. Nous aurons certainement à vous auditionner à l’occasion de futurs débats. Merci beaucoup.

Mme Anne Courrèges. Merci à vous.

La séance est levée à dix heures cinquante-cinq.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission des affaires sociales a désigné Mme Véronique Massonneau, rapporteure sur la proposition de loi visant à assurer aux patients le respect de leur choix de fin de vie (n° 2435).

Présences en réunion

Réunion du mercredi 10 décembre 2014 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Joël Aviragnet, M. Jean-Pierre Barbier, Mme Véronique Besse, Mme Gisèle Biémouret, Mme Kheira Bouziane, Mme Valérie Boyer, Mme Sylviane Bulteau, Mme Marie-Arlette Carlotti, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Philip Cordery, M. Jean-Louis Costes, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Françoise Dumas, M. Richard Ferrand, Mme Hélène Geoffroy, M. Henri Guaino, Mme Sandrine Hurel, M. Christian Hutin, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Conchita Lacuey, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Céleste Lett, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, M. Laurent Marcangeli, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, Mme Dominique Orliac, Mme Luce Pane, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Arnaud Robinet, M. Jean-Louis Roumegas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, M. Jean-Sébastien Vialatte

Excusés. – M. Stéphane Claireaux, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Monique Orphé, Mme Martine Pinville, M. Christophe Sirugue, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean Jacques Vlody