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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 27 mai 2015

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 66

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense (n° 2779)

La séance est ouverte à onze heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, pour une audition sur le projet de loi actualisant la programmation militaire (LPM) pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense. Ce texte contient des indications sur le programme de frégates de taille intermédiaire, mais prend aussi en compte l’impact de la vente de la FREMM Normandie à l’Égypte. Nous attendons de connaître la vision du chef d’état-major de la marine.

Amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine. Je vous remercie de m’avoir invité devant vous, car je crois qu’il est important que les différents chefs d’état-major puissent s’exprimer sur l’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM). C’est toujours un moment de solennité pour moi, car nous parlons non seulement du quotidien, mais encore de l’avenir de notre marine, de nos armées, de notre pays. Vous m’avez demandé de vous exposer les implications de l’actualisation de la loi de programmation militaire pour la marine. Je le ferai en vous présentant au passage le plan « Horizon Marine 2025 », inséparable de ce contexte.

L’actualisation était prévue par la LPM. Elle est intervenue, comme vous le savez, un peu plus tôt que prévu, dans le contexte des attentats de janvier 2015, qui ont donné lieu à la mise en place de l’opération Sentinelle.

Pour la marine, le sentiment spontané est que ce projet d’actualisation est dans l’exacte continuité du Livre blanc. Il n’y a donc lieu d’être ni particulièrement enthousiaste, ni particulièrement déçu.

En réalité, pour nous marins, il ne change pas grand-chose, ce qui est déjà en soi une très bonne chose : il comporte quelques nouveautés, il n’atténue pas certaines des incertitudes qui pèsent sur les effectifs, les équipements ou sur l’activité de la marine dans un contexte stratégique pourtant particulièrement durci par rapport au Livre blanc. Pour éviter de vous donner l’impression de noircir le tableau, je voudrais dire au préalable que l’abondement en finances et en effectifs pour la mission Sentinelle est heureux, car la faire sous enveloppe aurait eu des répercussions immédiates sur les capacités et sur les équipements. La budgétisation des ressources exceptionnelles lève également une incertitude importante. Nous ne pouvons que marquer notre satisfaction sur ces deux points.

Je voudrais commencer par replacer ce projet de loi dans son contexte vu de la marine. Le contexte dans lequel intervient ce projet de loi est celui d’une situation stratégique mondiale dont le durcissement est perceptible y compris dans les espaces maritimes. C’est un contexte dans lequel la marine reste très fortement sollicitée sur le plan opérationnel.

C’est également un contexte dans lequel la marine continue à se transformer en profondeur pour s’adapter aux nouveaux enjeux et aux nouvelles menaces. C’est aussi, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire à plusieurs reprises depuis quatre ans, un contexte de vieillissement de la flotte dont le renouvellement devient impératif.

C’est tout l’objet du plan stratégique Horizon Marine 2025, qui est pour la marine une révolution bien plus qu’une évolution. Le projet d’actualisation revient relativement peu sur les aspects maritimes de l’évolution du contexte stratégique ; je le regrette, car il y a aujourd’hui des ruptures stratégiques dans ce milieu. On peut citer un certain nombre de tendances nouvelles ou de tendances qui se confirment.

Je pense à la redistribution des puissances maritimes. La Russie continue d’affirmer sa capacité à mettre en œuvre des outils navals de puissance. La marine chinoise poursuit également son développement spectaculaire, comme j’ai pu m’en rendre compte lors d’un déplacement sur place le mois dernier.

Je n’oublie pas l’Inde, le Brésil, le Japon ou encore l’Australie… et une Europe qui, malheureusement me semble trop absente du débat et de ses enjeux. Je pense également à la tendance à la territorialisation des espaces maritimes que l’on voit à l’œuvre en mer de Chine, dans le grand Nord, en Méditerranée et qui s’étendra partout, j’en suis certain.

Je pense à certains conflits régionaux, qui ont des répercussions en mer : la crise yéménite fait naître des tensions autour du détroit de Bab-el-Mandeb, qui voit passer 17 000 navires par an, représentant 30 % des approvisionnements européens en hydrocarbures et 90 % des biens manufacturés qui nous arrivent d’Asie sur des porte-conteneurs. Mais aussi à la crise syrienne et à la situation politique dans certains pays d’Afrique, combinées avec la situation qui prévaut en Libye et les changements climatiques, qui poussent un très grand nombre de personnes à tenter le voyage vers l’Europe. Cela se traduit par les flux de migrants que nous connaissons aujourd’hui, exploités par les réseaux de passeurs criminels. Je pense enfin à des phénomènes comme la piraterie, ou aux trafics en mer, qui ne se tarissent pas, et qui, dans la plupart des cas, ont des liens étroits avec les groupes armés terroristes.

Il me faut donc gérer la surchauffe opérationnelle en faisant en permanence des choix entre les différentes missions, en en sacrifiant certaines au profit de la résolution de l’urgence. La marine reste très fortement sollicitée du point de vue opérationnel. Outre les opérations directement liées à la dissuasion et à l’action de l’État en mer, je vous indiquais lors d’une précédente audition que celle-ci opérait en permanence dans quatre à cinq zones au lieu des « une à deux » envisagées par le Livre blanc. À cet égard, la mission Frontex, l’opération européenne liée à l’augmentation du nombre de migrants en Méditerranée centrale, sera un nouveau challenge à relever dans un contexte de réduction des moyens. Il faudra continuer à faire des choix cornéliens entre nos différentes missions.

Parmi ces déploiements, le groupe aéronaval a été déployé dans le golfe arabo-persique pour réaliser des frappes en Irak dans le cadre de l’opération Chammal. Début avril, trois de nos bâtiments ont assuré l’évacuation par voie de mer – la seule qui fût accessible – d’une centaine de ressortissants français et étrangers du Yémen. La marine contribue à une mission de sécurisation du détroit de Bab-el-Mandeb, dans le cadre d’une coalition, avec la présence d’un chasseur de mines.

Elle contribue d’ores et déjà à l’opération Triton de recueil de migrants en Méditerranée, comme à la surveillance de la pêche de thon rouge en Méditerranée, où l’aviso Commandant Ducuing a récemment relevé le Commandant Birot. Elle poursuit sa participation à l’opération Atalante de lutte contre la piraterie en océan Indien. Elle maintient un bâtiment déployé dans le cadre de l’opération Corymbe en Afrique de l’Ouest. Elle poursuit sa participation à Barkhane, au Sahel, aux côtés des autres armées.

La marine contribue aussi en permanence à la protection du territoire national à travers sa posture permanente de sauvegarde maritime, grâce aux sémaphores, aux centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) et à la gendarmerie maritime, et en assurant la protection de ses emprises, dont les emprises nucléaires. Ce sont non moins de 3 000 marins, soit 10 % environ des effectifs de la marine, qui y sont impliqués. Comme l’indique leur nom, il s’agit de postures permanentes, qui n’ont pas attendu le mois de janvier 2015 pour être mises en place. Elles ont été malgré tout renforcées à la suite des attentats de janvier. Il faudra que nous parvenions à faire tenir ces dispositions renforcées dans le temps, exactement au même titre que l’opération Sentinelle.

Dans le même temps, la marine poursuit sa transformation. Ce n’est pas une simple évolution qu’elle traverse, mais une véritable révolution, avec une transformation qu’elle doit opérer simultanément sur tous les fronts pour assurer la transition entre des moyens d’ancienne génération et des moyens de nouvelle génération.

C’est ce que j’appelle le passage d’une marine mécanique à une marine informatique. Elle opère cette transformation à travers son plan stratégique Horizon Marine 2025, qui s’inscrit dans le projet général du CEMA « Cap 2020 ». Pourquoi 2025 alors que les autres armées ont choisi 2020 ? Parce que pour construire une flotte on a besoin de temps et de voir loin. Ce plan est articulé autour de quatre volets, qui constituent les quatre enjeux de la marine : « Agir », « Adapter », « Bâtir » et « Être marin ».

Premier enjeu, la tenue du contrat opérationnel. C’est le volet « Agir ». Ce volet s’appuie sur un maintien en condition opérationnelle (MCO) naval toujours plus performant et sur le plein appui aux efforts interarmées d’amélioration du MCO aéronautique, sur une préparation opérationnelle innovante et adaptée aux nouvelles menaces en mer, sur une organisation du commandement qui s’adapte en permanence au tempo rapide et au contexte des opérations et, enfin, sur une coopération et une interopérabilité renforcées avec nos principaux partenaires, au premier chef les Américains, les Britanniques et les Allemands. Tel est le contenu de ce premier volet, recouvrant une activité se déployant dans un espace qui s’élargit, mais avec des contraintes temporelles qui se resserrent.

Le deuxième volet, que j’ai intitulé « Adapter » vise à faire évoluer les organisations de la marine dans un contexte interarmées pour les rendre toujours plus efficientes. J’y inclus le déménagement à Balard qui constituera pour nous un changement profond. Mais il s’agit aussi de préserver les compétences humaines et technico-opérationnelles, car le passage à des navires à dominante informatique requiert des compétences plus spécialisées et moins nombreuses que l’utilisation de bateaux à dominante mécanique.

Mon troisième volet s’intitule « Bâtir ». Il vise à garantir l’accueil et l’intégration des nouvelles capacités de la marine à travers l’adaptation de nos infrastructures portuaires et nucléaires. Je rappelle qu’il y a quelques années, le choix avait été fait de les mettre à niveau au moment où arrivaient les nouveaux bâtiments, frégates multi-missions (FREMM) et les Barracuda. C’est un impératif malgré les contraintes budgétaires. De par son importance et au vu de l’avancement des nouveaux programmes, cette rénovation des infrastructures ne peut être décalée. Je vous rappelle par exemple que beaucoup de nos installations portuaires datent du plan Marshall. C’est le cas des installations électriques des ports de Brest et Toulon en cours de rénovation.

Sans doute pour moi le plus important, le dernier volet de ce plan, que j’ai intitulé « Être marin », concerne le cœur des ressources humaines. Il touche au maintien et au développement de la performance et de la combativité de nos équipages, à travers une gestion de carrière individualisée. Il comprend aussi ce que j’appelle « l’escalier social ». Car la valorisation des carrières est tout aussi bénéfique aux marins qu’à la marine elle-même.

Ce plan Horizon Marine 2025 n’est pas un simple coup de peinture sur la coque du bateau « Marine ». C’est un carénage de grande ampleur, qui comprend un remplacement intégral des moteurs, un changement du système d’armes, la livraison d’un nouveau système de combat requérant des compétences rares et un resserrement de son équipage… Il ne s’agit pas d’une simple adaptation. La marine change de format et d’organisation.

Je veux maintenant en venir aux implications de l’actualisation de la LPM. Comme je vous l’ai dit en introduction, elle s’inscrit dans un sentiment de continuité, car le modèle Horizon 2025 n’est pas impacté. En revanche, la répartition des risques est modifiée.

L’équilibre de la LPM peut être présenté comme une équation budgétaire à trois variables : effectifs, équipements et activité. C’est ce que qu’organisait le Livre blanc. À partir du moment où l’une de ces variables est figée, à savoir les effectifs, les risques budgétaires pèsent aujourd’hui sur les deux autres variables, c’est-à-dire les équipements et l’activité.

Tous les arbitrages n’ayant pas encore été rendus, à ce stade, il m’est difficile de vous livrer une analyse exhaustive des risques qui pèsent sur les équipements et sur l’activité de la marine. Je pense d’ailleurs non seulement aux arbitrages à venir au sein du ministère de la Défense, mais aussi aux conséquences potentielles des aléas budgétaires annuels dont vous êtes familiers. Il me faut donc à ce stade rester assez prudent.

Je commencerai par vous livrer mon analyse concernant les effectifs, avant de vous parler des équipements et de l’activité de la marine. Dans le domaine des effectifs, l’annonce des moindres déflations répond d’abord au besoin nouveau et nécessaire de renforcement de la protection de nos concitoyens et de nos emprises, mais en revanche, cette LPM ne permettra pas à la marine de regagner des marges de manœuvre. Malgré les missions nouvelles, l’équation des effectifs que je vous avais présentée en automne dernier ne change pas.

Si on se place dans un premier temps à l’échelle du ministère, la facture des déflations d’effectifs prévues dans ce projet de loi est atténuée de 18 500 postes sur la période de la LPM.

Sur cet effectif, de ce que je comprends, 11 000 sont destinés à la force opérationnelle terrestre, en appui de l’opération Sentinelle et 5 000 postes environ – du moins je l’espère, en l’attente des arbitrages précis – correspondront à l’annulation de déflations qui n’avaient pas pu être identifiées par les armées lors des travaux qui ont suivi la LPM. Cela évitera ainsi pour nous une surcoupe en effectifs. Il reste donc un total de 2 000 à 2 500 moindres déflations à ventiler au sein du ministère de la Défense.

Si l’on se place maintenant à l’échelle de la marine, la manœuvre en effectifs que je dois conduire comporte deux volets. Je dois d’abord poursuivre les efforts de rationalisation auxquels la marine s’est engagée pour la période de la LPM. Cet effort porte sur 1 800 postes – 1 300 au titre de la LPM actuelle, plus 500 qui restent à mettre en œuvre de la LPM précédente. Reposant sur une analyse fonctionnelle, ces déflations s’appuient en grande partie sur la réduction, décidée dans le Livre blanc, des moyens, ainsi que sur le remplacement de bâtiments d’ancienne génération, qui ont encore des effectifs nombreux par des bâtiments modernes à équipage optimisé. Dans le cas des frégates anti-sous-marines, les effectifs sont divisés par 2,5 avec l’entrée en service des FREMM, qui ne requièrent plus qu’un équipage d’une centaine d’hommes. Vous mesurez ainsi l’impact sur les effectifs du moindre décalage dans le programme des FREMM.

Une part importante des déflations a déjà été réalisée en 2014 et 2015. Dans cette poursuite des efforts de déflation de la marine, les équilibres sont tenus à mes yeux.

Comme je vous l’ai répété à de nombreuses reprises, je dois veiller à trois impératifs. Premièrement, je dois veiller à ne pas aller au-delà de l’effort actuellement consenti, sous peine de mettre en péril les compétences rares et précieuses de la marine ; je rappelle que la marine s’appuie sur de nombreuses micro-filières de marins hautement qualifiés, et la tendance s’accentue avec l’arrivée des FREMM. Deuxièmement, le cadencement de ces déflations doit impérativement rester en phase avec le calendrier physique des retraits du service actif et d’entrée en service des nouveaux équipements, sinon, on cassera durablement l’outil, pour ne pas avoir attendu un ou deux ans. Troisièmement, je dois veiller à ne pas laisser se développer des objectifs de dépyramidage qui ne correspondraient pas au nouveau modèle de la marine. Je vous l’ai expliqué, la flotte de 2025 sera une flotte aux effectifs resserrés, avec un niveau de technologie accru. Mécaniquement, son taux d’encadrement embarqué devra donc être plus élevé. Je dois être vraiment très vigilant sur ce point de gestion des compétences.

Le deuxième volet de la manœuvre en effectifs que je dois conduire consiste à renforcer les effectifs de la marine pour prendre en compte les évolutions les plus récentes. En premier lieu, j’ai demandé un renfort définitif justifié par l’évolution du contexte sécuritaire. Comme je vous l’indiquais, la marine a renforcé son dispositif de protection à la suite des attentats du mois de janvier. Ce dispositif est aujourd’hui sous forte contrainte, avec un taux d’emploi extrêmement élevé des marins concernés par cette tâche. Certains marins, tels les fusiliers, sont mobilisés plus de 70 heures par semaine. Ils n’ont pas de relève et ils remplissent toute l’année une tâche parfois ingrate, lorsqu’il s’agit de surveiller des clôtures ou des entrées de base.

Il est donc impératif que la marine puisse disposer d’environ 500 postes de fusiliers marins supplémentaires pour faire baisser la pression et contribuer à la sécurité générale. Par ailleurs, j’ai demandé un autre renforcement, de 320 postes, pour renforcer la sûreté et la sécurité des installations de la marine. Il s’agit par exemple des atomiciens. Les viviers dont ils sont issus ont été fortement réduits depuis dix ans sous l’effet des déflations d’effectif. Leur volume doit aujourd’hui impérativement être réévalué.

La marine a par ailleurs des besoins liés à des circonstances particulières. Ces besoins ont un caractère temporaire. La frégate Normandie, qui devait être livrée à la marine, est finalement vendue à l’Égypte. De manière à tenir le contrat opérationnel malgré le retard induit dans le programme FREMM, il est donc nécessaire de prolonger d’un an la durée de vie de trois frégates F70 d’ancienne génération, avec leur équipage, plus nombreux que celui d’une FREMM. Il s’agit des frégates Jean de Vienne, Montcalm et Primauguet. Dans la lutte anti sous-marine, le contrat opérationnel prévoit en effet une capacité de huit bâtiments, aujourd’hui temporairement réduite de trois.

Il a également été demandé à la marine de contribuer à la formation des marins égyptiens, en mettant à disposition une équipe d’une trentaine de marins. Ces marins sont prélevés sur le vivier encore très réduit de spécialistes FREMM de la marine, ceux-là même qui doivent assurer la montée en puissance du programme FREMM. Bien qu’ils puissent paraître dérisoires, ces chiffres sont donc non négligeables.

La marine a également été désignée, en raison de la qualité de sa gestion, pour être la première armée pour mettre en œuvre Source solde, le successeur du logiciel Louvois. Pendant la période de transition entre les deux systèmes, qui doit s’étaler sur plusieurs mois, elle devra pouvoir assurer une double comptabilité de la solde, ce qui suppose qu’elle puisse bénéficier de renforts en personnel qualifié, environ une cinquantaine de marins, pour assurer à la fois la gestion des inconvénients du logiciel Louvois et le plein succès du logiciel nouveau.

Le besoin de la marine est donc d’un peu plus de 800 postes à caractère permanent, et de 200 à 300 autres pour une durée limitée dans le temps, pour la plupart dans la durée de la LPM, à savoir ceux qui sont liés à la mise en œuvre du logiciel Source solde et au décalage dû à l’export.

Je tiens à conclure sur ce volet par un constat très ferme : la marine a épuisé toutes ses marges de manœuvre en matière d’effectifs. Les moindres déflations permettent de répondre à l’urgence dans le domaine de la protection de nos concitoyens et des emprises. Mais l’actualisation ne change pas l’équation générale. Je continue les déflations telles que prévues.

Je voudrais, à titre d’exemple, vous indiquer que si l’on fait la somme des astreintes à moins de 48 heures, des jours de garde des bateaux à quai à raison d’un tour par semaine, des absences du port-base pour 120 jours par an, on atteint 180 jours de contraintes par an pour les marins embarqués sur des frégates, soit près d’un jour sur deux, ce qui se paye en termes de vie familiale. Il me paraît difficile d’en demander plus. Le moral des marins reste la première de mes priorités.

Dans le domaine des équipements, le plan d’équipement de la marine reste fort heureusement conforme aux prévisions et aux besoins que j’évoque devant vous de longue date, mais force est de constater que certains besoins restent à pourvoir. L’actualisation de la LPM confirme le calendrier de livraison des FREMM. Lorsque la Normandie a été vendue, il y avait une incertitude sur le calendrier de livraison d’une sixième FREMM.

Pour autant, la vente de la Normandie a occasionné un retard d’environ un an dans l’arrivée des nouveaux bateaux, créant le besoin de combler des trous en maintenant en activité des bâtiments très anciens.

Le lancement du programme des frégates de taille intermédiaire (FTI) est confirmé et avancé de deux ans, avec une première livraison prévue en 2023. C’est une bonne nouvelle : ce programme permettra d’atteindre en 2029 le format de 15 frégates de premier rang de nouvelle génération. D’ici là il sera tenu grâce à l’ajout de sonars sur des frégates légères.

Le lancement du programme FLOTLOG au cours de la période de la LPM est également confirmé. Avec trois bâtiments, le format de la flotte logistique prévu par le Livre blanc est atteint, mais les pétroliers ravitailleurs sont vieillissants, ne correspondent plus aux exigences modernes et doivent être remplacés. Leur vieillissement est un risque que l’on prend. Le lancement du programme FLOTLOG est donc vital.

Dans le domaine de la protection, qui inclut l’action de l’État en mer, ce projet de loi confirme la commande du quatrième bâtiment multi-missions (B2M) et de quatre bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) financés sur les crédits d’équipement. Ce besoin n’est pas nouveau : la marine l’exprime depuis 2008 pour les BSAH. Rappelons que les B2M répondent aux besoins quotidiens de surveillance de la zone économique exclusive outremer, tandis que les BSAH servent à la lutte contre la pollution et au remorquage et à l’assistance. Je ne peux que me féliciter que nous ayons été entendus.

On parle ici de montants d’engagement limités au regard des plus gros programmes de la défense, puisqu’il s’agit d’une trentaine de millions d’euros sur le milliard d’euros supplémentaire prévu pour être consacré aux équipements. Cette nouvelle est donc importante pour la marine, mais reste modeste sur le plan budgétaire.

En revanche, cette actualisation de la LPM ne modifie pas l’échéance de livraison tardive du programme de patrouilleur de haute mer BATSIMAR, toujours annoncé pour 2024. C’est l’un de mes soucis permanents.

La marine bouche les trous occasionnés par le départ des BATRAL, bâtiments légers amphibies, avec l’arrivée des B2M, mais il y aura d’autres trous à boucher avec le départ des patrouilleurs. En 2020, la rupture de capacité outre-mer sera supérieure de 50 % par rapport à la situation actuelle. Je continue à soutenir qu’il est indispensable de voir arriver les BATSIMAR au plus vite dans les forces et je défendrai ce point de vue à l’occasion de la réflexion sur le prochain Livre blanc. Il ne s’agit pas de volumes financiers considérables, mais ces bâtiments sont indispensables à la surveillance de la zone économique exclusive.

Enfin, je voudrais revenir sur le programme des hélicoptères légers. L’âge moyen des Alouette III est aujourd’hui de 42 ans, celui des Lynx de 33 ans. Dans le grand concours du matériel le plus ancien, nous ne sommes sans doute pas loin d’être les meilleurs. Ces hélicoptères rendent encore de bons services, mais leur maintien en condition opérationnelle est délicat. Il faudra y songer aussi au cours de l’élaboration du prochain Livre blanc.

En matière d’activité, je voudrais tout d’abord rappeler que la marine finance 98 % de ses opérations sur son enveloppe budgétaire propre. Bien qu’en opération partout, elle émarge très peu au budget des opérations extérieures, n’ayant été remboursée, par exemple, que de 30 millions d’euros sur 1,1 milliard d’euros alloués en 2014 à ce budget. La marine autofinance donc ses opérations sur ses crédits d’entretien. C’est important de le rappeler quand on parle d’arbitrages financiers, car je les aborde en sachant qu’ils n’amèneront que très peu d’apport nouveau à la marine.

L’activité reste un domaine crucial : sans elle, le nombre de jours de mer s’effondrerait, et les missions également. Le projet d’actualisation de la LPM prévoit d’abonder les crédits d’entretien du ministère de la Défense à hauteur de 500 millions d’euros. Nous verrons quels seront les arbitrages sur la répartition de cet abondement. L’objectif reste bien, conformément à la LPM, de remonter l’activité à partir de 2016.

Pour l’instant, je suis contraint de faire des choix en privilégiant l’activité opérationnelle sur la préparation opérationnelle, en particulier en réduisant les entraînements majeurs ou la participation aux exercices multinationaux. C’est une situation qui devra rester temporaire, sous peine de porter atteinte aux compétences de la marine.

Le projet d’actualisation de la LPM prévoit de porter l’effort sur les équipements en redéployant à leur profit un milliard d’euros. Cet effort est obtenu en tablant sur des gains réalisés grâce à l’amélioration des indices économiques, tels que l’inflation, le coût des carburants ou le coût des matières premières… Il sera important de bien les identifier.

Je ne voudrais pas non plus que soient fragilisés, pour une raison ou pour une autre, les projets d’infrastructures de la marine. Ces projets sont indispensables pour l’accueil des nouveaux bâtiments et pour la remise en état des infrastructures industrielles et portuaires vieillissantes, dont la situation est préoccupante. Aujourd’hui, la ressource programmée pour ces remises à niveau ne couvre que 60 % des besoins.

Or les besoins restent réels. À titre d’exemple, dans le domaine de l’infrastructure, à Toulon, dans la principale zone de stationnement des grands bâtiments, cinq quais sur six font l’objet de mesures restrictives d’emploi en raison de problèmes de corrosion. L’infrastructure est donc vitale, puisqu’il s’agit du stationnement de nos bâtiments.

En conclusion, je voudrais saluer la continuité de l’actualisation vis-à-vis du Livre blanc et de l’absence de remise en cause du plan Horizon Marine 2025. La France a connu au mois de janvier des événements tragiques, à la suite desquels des mesures de protection ont été prises. Pour autant, il me semble important que cette menace ne vienne pas éclipser les autres menaces et les autres enjeux, qui n’ont pas disparu après le 11 janvier 2015. Ce n’est pas parce qu’une nouvelle menace apparaît que les autres disparaissent. Tout nous prouve aujourd’hui le contraire. Nous devons penser à l’avenir, par une réflexion stratégique sur la longue durée, même si nous répondons bien sûr aux sollicitations du moment : opérations Sentinelle, Frontex... Les armées sont sollicitées comme elles ne l’ont jamais été, mais il faut continuer de s’engager à l’horizon 2025-2030 et songer au legs que nous laisserons à la prochaine génération.

Enfin, je voudrais dire combien je suis fier des marins qui servent sous mes ordres, avec une disponibilité extrême et des contraintes familiales lourdes. Je reste très attentif à leur moral, qui est aujourd’hui fragile. Ce qui ressort des rapports sur le moral, que je lis chaque jour, c’est une lassitude devant les réformes conduites depuis 10 ans, qui compliquent la vie au quotidien, lassitude également devant l’empilement des contraintes. Or, si le moral descend, nous connaîtrons un problème de fidélisation des marins, ce qui nous poserait un très en termes de ressources humaines.

Mme la présidente Patricia Adam. Vous avez évoqué des arbitrages en cours au sujet de l’abandon d’une déflation de personnel concernant 5 000 hommes. La marine s’est quant à elle engagée à une déflation progressive de 1 800 hommes, pour laquelle vous nous dites qu’elle a tenu ses objectifs en 2014 et en 2015. Mais pouvez-vous nous préciser combien d’hommes sont concernés pour ces deux exercices ?

Amiral Bernard Rogel. En 2014, la diminution portait sur plus de 400 postes, en 2015, sur 660 postes. La déflation a donc déjà touché plus d’un millier de postes. En 2016, nous nous heurterons à une grosse difficulté. Car, même si cela peut paraît difficile à comprendre, le plan de déflation continue d’être appliqué malgré l’arrivée de nouveaux effectifs pour répondre aux besoins importants nés du soutien à l’export et de l’appui à la formation qui en découle, ainsi que de la mise en place du logiciel de paie Source Solde. Il y a aura donc une différence entre la déflation brute prévue par ce plan et la diminution nette des effectifs, plus faible.

Mme la présidente Patricia Adam. Je comprends que la déflation à achever concerne donc encore huit cents hommes. D’où l’importance des renforcements temporaires qui restent à arbitrer. Je passe la parole à Gwendal Rouillard, rapporteur du budget de la marine.

M. Gwendal Rouillard. Amiral, je partage votre fierté au sujet de nos marins. Il ne s’agit vraiment pas d’une formule, mais d’une réalité vécue lors des déplacements sur le terrain.

S’agissant d’abord de la trame ou trajectoire de développement des frégates, je rappelle que nous sommes partis de onze FREMM pour arriver à huit FREMM, dont deux FREMM spécialisées dans la défense anti-aérienne. Vous avez par ailleurs exprimé le besoin de cinq frégates de taille intermédiaire (FTI). Je salue donc le lancement du programme FTI. Mais quelles garanties avons-nous de parvenir ainsi au chiffre de quinze frégates de premier rang ?

Quant à l’aéronautique navale, des interrogations se sont fait jour à propos du taux de disponibilité des avions Atlantique 2 (ATL2), et de la corrélation entre leur maintenance et leur rénovation. J’ai déjà relayé hier auprès du délégué général à l’armement les préoccupations qui s’expriment à ce sujet. Je sais que le ministre et son cabinet y veillent, mais je serais heureux de connaître également votre sentiment.

Au-delà du soutien apporté aux B2M et aux BSAH, l’adhésion reste à conquérir s’agissant du programme BATSIMAR relatif aux bâtiments de surveillance et d’intervention maritime. Je voulais vous exprimer notre soutien dans ce combat.

Avec mon collègue Olivier Audibert-Troin, nous avons participé récemment à un exercice conjoint des marines française et congolaise dans le cadre de l’opération Corymbe. Née en 1990, cette opération répond au triple objectif de protéger nos 80 000 ressortissants dans la zone, d’y assurer l’influence de la France et d’y garantir la sécurité de nos entreprises. Alors que nous pouvons témoigner de son efficacité, certains s’interrogent pourtant sur sa légitimité. Pourriez-vous tracer les perspectives de cette opération et nous dire quel regard vous portez sur son efficacité ?

M. Nicolas Dhuicq. Je suis triste d’entendre les chefs d’état-major faire des calculs à cent hommes près, alors que l’État continue de tant dépenser dans des systèmes d’aide qui ne fonctionnent plus et qu’il faut augmenter les emplois. Je ne comprends pas que la priorité soit ainsi donnée à des emplois aidés plutôt qu’à de vrais emplois. Il y a, à mon sens, un vrai choix politique à faire.

Alors que croît la menace aérienne, de quelle défense anti-aérienne bénéficiera notre flotte de haute mer en attendant la livraison des frégates destinées à assurer la protection du groupe aéronaval ? Faut-il considérer que le Gouvernement délaisse le Pacifique Sud, en abandonnant les nodules polymétalliques au fond des océans, le nickel de Nouvelle-Calédonie et la sécurité de nos côtes ? Les bateaux affectés à cette tâche devaient passer de neuf à six ; ils ne sont désormais plus que trois. Comment ferons-nous en attendant la prochaine livraison ?

M. Philippe Vitel. Je voudrais surtout, amiral, vous exprimer ma compassion, devant une évolution qui ne va pas dans le sens où il faudrait. La livraison de la frégate Normandie aux Égyptiens a créé un retard d’équipement dans le programme FREMM qui ne sera résorbé qu’en 2023 et nos capacités opérationnelles sont diminuées jusqu’à cette date à cause de cette exportation particulière. Une frégate de taille intermédiaire peut-elle être considérée comme une frégate de premier rang ? Ne doit-elle pas pour cela disposer d’une capacité de destruction ? Nous sommes loin en tout cas des vingt-trois bâtiments dont le besoin était évoqué il y a quelques années.

Dans le rapport annexé au projet de loi actualisant la programmation militaire, je relève les modifications apportées par rapport à la loi de programmation adoptée fin 2013. Nous lisons qu’il n’y aura plus que deux ATL2, et non quatre, que la livraison du premier des Barracuda n’est désormais prévue qu’en 2018 et non plus en 2017, et que l’indisponibilité programmée pour entretien et réparation (IPER) du Charles de Gaulle est prévue pour 2017, et non plus 2016. Cette dernière nouvelle met en émoi toutes les entreprises sous-traitantes de DCNS, qui se demandent comment elles pourront verser les salaires des ouvriers entre-temps. Il y a là une immense cavalerie. Hormis le point positif d’un quatrième BSAH et d’un quatrième B2M, le compte n’y est absolument pas.

Quant à la déflation des effectifs prévue par la LPM, elle concerne 9 400 postes de militaires et 5 500 postes de civils. Or cette déflation des effectifs civils ne concernera que l’armée de l’air et de la marine. Dès lors, quelles sont les projections de pertes d’emplois civils et militaires pour la marine à l’horizon 2018 ?

Amiral Bernard Rogel. Monsieur Rouillard, le ministre n’a pas encore confirmé la trame des frégates, mais devrait le faire d’ici quelques semaines. Elle sera composée essentiellement de FREMM et de FTI, même si la répartition entre elles reste à préciser. Nous devrions ainsi arriver à une trame de quinze frégates. Ce chiffre n’est garanti par rien de moins que la loi de programmation militaire elle-même.

Ce n’est pas pour moi une fin en soi que de défendre un périmètre, mais il est de mon devoir de mettre en garde contre l’impossibilité d’assurer les missions qui découlerait d’un manque de moyens. Les missions qui nous sont imparties par le Livre blanc nous imposent de disposer de quinze frégates de premier rang. En attendant, nous comblerons les trous par l’adjonction de sonars sur des frégates légères, pour pallier ainsi nos lacunes en matière de lutte anti sous-marine, même si cela ne suffira pas à faire de nos frégates légères des frégates de premier rang.

Quant à l’aéronavale, l’âge moyen de nos avions Atlantique 2 s’établit à vingt-deux ans. Leur taux de disponibilité ne s’élève qu’à 25 %, ce qui n’est pas satisfaisant. La rénovation engagée les accapare, tandis que la surchauffe opérationnelle, au Sahel et en Irak, explique également ce faible taux. Moins les avions disponibles sont nombreux, plus vite ils s’usent dans des rotations. Avec la Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) et le service industriel de l’aéronautique (SIAé), services interarmées dépendant de l’armée de l’air, nous sommes en train de bâtir un plan d’urgence pour surmonter les difficultés industrielles qui empêchent les ATL2 de sortir de maintenance. Améliorer leur disponibilité constitue l’un de mes soucis permanents.

Monsieur Vitel, seuls deux Atlantique 2 rénovés seront livrés au cours de la LPM au lieu de quatre en raison des retards industriels dans la rénovation. Le nombre final d’Atlantique 2 rénovés, qui est de quinze, ne change pas.

Mme la présidente Patricia Adam. Le délégué général à l’armement nous a fait hier la même réponse.

Amiral Bernard Rogel. Voici une déclaration qui me rassure. Quant au programme BATSIMAR, le Livre blanc est ainsi bâti, monsieur Vitel, et nous réglons notre attitude sur celle du marin, qui est habitué à faire au mieux avec ce qu’il a.

Pour voir le verre à moitié plein, disons que le recours à quatre B2M permet de combler un trou en remplaçant les bâtiments de transport amphibie légers (BATRAL). Mais d’un autre côté, le fort taux d’emploi accélère le vieillissement des P400 et des avisos A69 comme le Commandant Ducuing et Commandant Birot, engagés dans l’opération Frontex.

Il y a quelques mois, trois patrouilleurs de haute mer sur quatre étaient indisponibles à Brest pour cette raison. Oui, monsieur Dhuicq, cela pose question en matière de surveillance de la zone économique exclusive, au moment où d’autres puissances peuvent s’y intéresser du fait de la nouvelle répartition des forces. Toute la question est de savoir si l’on accepte ces trous capacitaires. Il faudra la traiter à l’occasion du prochain livre blanc.

Pour l’heure, ce sont des avisos A69 qui secourent ou interceptent, selon le point de vue où l’on se place, les migrants en Méditerranée. À l’avenir, ce seront les patrouilleurs BATSIMAR qui en seront chargés. En attendant, les équipages, par leur dévouement, font tenir le matériel de manière acceptable, mais son vieillissement fait de plus en plus peser la menace d’une rupture franche dans ce domaine.

Quant à l’opération Corymbe, il s’agit d’une opération essentielle, certes centrée sur la mer et non sur le cœur du sol africain. À l’origine, elle devait permettre de laisser en permanence un bâtiment disponible au cas où telles ou telles fluctuations politiques rendraient nécessaire l’évacuation de ressortissants – nous en comptons 70 000 dans la zone du golfe de Guinée. Force est de constater que les rebelles qui veulent prendre possession d’un pays ont aujourd’hui pour premier souci de prendre les aéroports, puis de fermer les frontières, comme on l’a vu au Yémen. Seule une évacuation par la mer reste possible.

De surcroît, le golfe de Guinée est devenu, au fil du temps, un espace où se concentrent les menaces en mer : piraterie, trafics d’hommes, d’armes, de drogue et de cigarettes, pêche illicite. L’opération Corymbe, initialement conçue comme une posture protectrice de nos ressortissants et de nos intérêts, a donc évolué vers une fonction préventive et de coopération avec les pays riverains de cette zone où nous avons à défendre des intérêts nationaux ou, devrais-je dire, européens, car nous sommes étrangement seuls dans cette région et nous avons parfois à y protéger les intérêts des autres. Je rappelle que le pétrolier Adour a été libéré grâce à notre intervention. La piraterie connaît en effet dans cette zone une recrudescence marquée par un niveau important de violence.

Heureusement, une forte prise de conscience des pays africains s’est exprimée au sommet de Yaoundé. Ils ont marqué la volonté que nous les soutenions. Les marins africains ont confiance en nous. Nous leur apportons beaucoup ; nous les formions auparavant sur place ou en France. Incluse dans Corymbe, l’opération Nemo de formation des marines africaines pourvoit désormais à leur formation. Le commandement de la zone maritime Atlantique (CECLANT) basé à Brest en est chargé. Avant chaque opération Corymbe, il se met en relation avec ses homologues africains pour monter comme un programme « universitaire » à la carte. Il s’agit d’une mission importante, notamment pour le Congo, comme vous l’avez vu Monsieur Rouillard, mais aussi pour la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, le Togo et bien d’autres. Ne pas continuer à assurer cette mission serait une erreur. Certains pays européens, qui ont des intérêts dans la région, pourraient y être intéressés eux aussi. Avec le concours du ministère des Affaires étrangères, nous avons convié les chefs d’état-major des marines danoise, espagnole et portugaise fin juin au premier séminaire commun avec les chefs d’état-major des marines de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).

Il faut être bien conscient de ce que, si la France ne poursuit pas sa politique d’influence dans le golfe de Guinée, d’autres puissances prendront sa place.

J’en viens au nombre des frégates et à la défense anti-aérienne. Aujourd’hui, dès que la marine fait mouvement, en particulier dès qu’elle se rapproche de la terre, elle est exposée à la menace aérienne et missiles. Notre métier nous amène à proximité des côtes, dans des passages resserrés, au large de la Syrie, du Yémen ou de la Libye, sous la menace de missiles qui peuvent venir tant de l’air que de la terre. Sans la défense anti-aérienne, vitale, nous sommes donc exposés à des risques.

Nous disposons finalement de quatre frégates de défense aérienne, ce qui constitue le minimum. Deux d’entre elles, Forbin et Chevalier Paul font partie des meilleurs bâtiments de ce type au monde ; elles appartiennent à la classe Horizon. Deux autres frégates, Jean Bart et Cassard, devront être remplacées en 2021-2022, car leurs missiles ne seront plus fabriqués à partir de cette date. Elles devraient être remplacées par deux FREMM à vocation de défense aérienne. Sur ce sujet comme sur d’autres, nous nous inscrivons dans le respect du Livre blanc.

Quant au Pacifique, le choix a été fait il y a quelques années d’y conserver des forces de sécurité en permanence, en l’occurrence des patrouilleurs de haute mer et des BATRAL, désormais remplacés par des B2M, tout en gardant la possibilité de participer à des projections de forces telles que l’opération Jeanne d’Arc actuellement en mer de Chine, à laquelle contribuent le Dixmude et l’Aconit. Mais nous ne nourrissons naturellement pas l’ambition de développer une flotte du Pacifique comme la marine américaine.

Nous sommes l’un des rares pays européens à montrer que nos intérêts sont protégés dans le Pacifique par une possible projection de forces. Des forces permanentes veillent dans le même temps à lutter contre le trafic de drogues, les pêches illégales ou à surveiller notre espace de souveraineté : n’a-t-on pas trouvé il y a deux ans des navires de prospection étrangers dans nos eaux dans le canal du Mozambique ?

Quant au décalage du programme FREMM, il est dû au retard provoqué par la cession de la frégate Normandie, qui a conduit à prolonger les anciennes frégates. Mais l’objectif de six nouvelles FREMM en 2019 sera respecté dans la loi de programmation. Les deux derniers nouveaux bâtiments remplaceront ensuite Jean Bart et Cassard à l’horizon 2021-2022.

Sur les frégates de taille intermédiaire (FTI), il convient de lever quelques confusions. Ce ne seront pas des remplaçantes des frégates légères, sinon ce ne serait pas des frégates de premier rang. Il s’agit bien d’une solution alternative, demandée par le Livre blanc qui a exigé la différenciation entre les FREMM et les frégates dites de taille intermédiaire, de la classe quatre mille tonnes, que nous avons l’ambition de doter de capacités de lutte anti-sous-marine, tels des sonars remorqués comme les VDS (Variable Depth Sonar). Je rappelle que les frégates légères n’ont actuellement pas de sonar, et seulement une aptitude limitée de défense courte portée contre la menace aérienne. Il n’est donc pas possible de les appeler des frégates de premier rang, malgré leurs qualités et malgré le travail formidable de leurs équipages. Les FTI ne pourvoient donc pas au remplacement des frégates de type La Fayette (FLF). Il s’agit plutôt de développer un nouveau type de bâtiment pour arriver au chiffre total de quinze frégates de premier rang tel qu’il est prévu par le Livre Blanc.

Sur les Barracuda, nous avons accepté qu’il y ait quelques mois de retard à la livraison, ce qui justifie qu’elle glisse de 2017 à 2018. Quant au Charles de Gaulle, il ne faut déplorer aucun mauvais procédé à son sujet. Des discussions confiantes et positives sont engagées avec les industriels et avec la Délégation générale à l’armement (DGA) pour savoir comment optimiser son emploi avant son arrêt technique majeur (ATM), mais aussi pour lisser le plan de charge des chantiers des bâtiments à propulsion nucléaire, au bénéfice des industriels eux-mêmes.

M. Philippe Vitel. Notre nouveau système de combat sera donc à l’heure ?

Amiral Bernard Rogel. Je n’ai pas de doute à ce sujet. Nous menons en ce sens un dialogue constructif avec les industriels.

Mme Geneviève Gosselin-Fleury. Vos besoins d’équipement sont si nombreux aujourd’hui à cause des reports imputables aux programmes adoptés dans le cadre des lois de programmation précédentes. L’entreprise DCNS annonçait il y a quelques semaines que le Suffren serait livré à la date prévue. Pourquoi y aurait-il un retard sur les Barracuda ?

Vous évoquez les besoins nouveaux en hommes, en particulier en fusiliers marins, nés de la surveillance des sites militaires. Ces besoins seront-ils couverts par la non-déflation des effectifs ou par un franc recrutement ?

M. Jean-Jacques Candelier. Quels sont les moyens militaires engagés dans les opérations EUNAVFOR (European Union Naval Force Operation) en Méditerranée ? Disposons-nous de moyens suffisants pour y participer ?

Pouvez-vous nous éclairer sur l’information selon laquelle certains pays européens se font les complices de Daech en achetant du pétrole tiré des puits placés sous contrôle de cette organisation terroriste, qui encaisserait ainsi deux à trois millions d’euros ?

M. Philippe Folliot. Vous avez évoqué la problématique des forces de souveraineté. Au cours d’une mission à bord du Prairial il y a quelques semaines, j’ai constaté de visu le grand professionnalisme et le dévouement de nos marins. Mais j’ai pu constater également l’extrême difficulté pour nos forces d’assurer leurs missions. L’arrivée de deux B2M apportera un soulagement, mais ne fera que déplacer le problème, car la question des trous capacitaires continuera de se poser.

Je crains que des visites tous les deux ans n’assurent pas de la même manière une mission de souveraineté que des visites tous les ans. Le programme BATSIMAR apportera un élément de réponse majeur, mais ne pourra être efficace que si des hélicoptères légers y sont adjoints, comme dans les opérations contre les narcotrafiquants. Or je rappelle que les hélicoptères Alouette III ont 43 ans d’âge en moyenne… Quel est le coût de la maintenance en condition opérationnelle (MCO) de ces matériels ?

Quant aux frégates de surveillance, la décision de leur retirer les missiles de type Exocet est-elle réversible ? Le Prairial affichait un clair handicap lors de sa récente visite au Pérou, du fait de ce désarmement. J’entends aussi qu’il manquerait des gilets pare-balles aux forces qui luttent contre les narcotrafiquants, ce qui me semble un symbole inquiétant de nos problèmes de moyens.

Amiral Bernard Rogel. S’agissant des Barracuda, je ne nourris aucune inquiétude quant à leur arrivée prochaine, d’après mes échanges avec DCNS. Je souligne qu’un décalage de livraison de six mois ne constitue pas à proprement parler un retard pour un objet aussi complexe qu’un sous-marin nucléaire. Car, sur une échelle de complexité de un à quatre où une voiture occuperait le premier palier, un char de combat occuperait le deuxième, un avion de chasse le troisième et le sous-marin nucléaire le quatrième. Il s’agit probablement de l’objet le plus complexe qui puisse être conçu : il représente à la fois un navire sous-marin, une installation de lancement d’armes tactiques ou de fusées intercontinentales et une centrale nucléaire, le tout fonctionnant en espace confiné, comme une navette spatiale.

Les cinq cents hommes supplémentaires nécessaires pour couvrir les nouveaux besoins de surveillance des sites militaires seraient en effet couverts par des recrutements, dans l’esprit de l’opération Sentinelle. La charge était très lourde dès avant janvier 2015. Nous avons parallèlement engagé un plan de diversification de leurs tâches, pour qu’ils alternent entre des opérations de protection embarquée dans le golfe de Guinée ou en océan Indien et des surveillances de sites sensibles, tâche particulièrement ingrate. Les hommes effectuent soixante-dix heures par semaine, c’est beaucoup… Or nous devons désormais répondre à une augmentation de la menace. Quand la tendance était à l’externalisation, des vigiles non armés ont été recrutés pour surveiller l’entrée des ports ; mais, s’ils peuvent assurer le service courant, ils doivent aussi à leur tour être protégés.

Il convient également de garantir une capacité d’intervention et de ne pas se concentrer de manière exclusive sur la menace d’aujourd’hui au détriment de la menace de demain. À Bombay, en 2008, les auteurs des attentats sont venus par la mer. En 2001, l’attaque à New York était aérienne. Il ne faut donc oublier aucun type de menace, au risque de laisser sinon un trou dans notre cuirasse. Les besoins sont donc réellement nouveaux, madame Gosselin-Fleury.

L’opération EUNAVFOR en Méditerranée est en cours de montage. Le président de la République a décidé que la France y participerait et l’état-major réfléchit aux modalités. Les déploiements actuels de navires français se déroulent sous l’égide de Frontex. Le Commandant Birot a sauvé plus de cinq cents personnes dans ce cadre. Le Commandant Ducuing vient de le relever. La frontière est du reste ténue entre le sauvetage de malheureux et la lutte contre l’immigration illégale.

Nous avons non seulement le devoir, mais aussi l’obligation légale, de porter secours aux naufragés. Mais comment peut-on gérer cette situation sans créer un afflux de migrants assurés d’être sauvés comme naufragés s’ils aperçoivent un bâtiment militaire ? Tout ne dépend pas de l’état-major. Si l’on veut être efficace, l’action doit porter sur les passeurs et sur les réseaux financiers sur lesquels ils s’appuient. L’opération qui s’annonce devra être une opération de type Atalanta, ne se bornant pas à du sauvetage, mais apportant une réponse globale.

S’agissant d’achat de pétrole auprès de Daech, je n’ai pas d’autre information à ce sujet que celle que j’ai pu tirer de la lecture des journaux, tout comme vous.

Quant aux missions de souveraineté, nous les assurons avec les bateaux disponibles. De même que, sur les routes, les radars mobiles pallient l’impossibilité d’une couverture universelle par des radars fixes, nos missions de présence deviennent en quelque sorte mobiles elles aussi et nos patrouilles se déroulent désormais tous les deux ans dans certaines zones.

Monsieur Folliot, les missiles sont en effet concentrés sur les frégates qui se portent sur les zones de crise et sur les zones de guerre, par économie de munitions. Le programme BATSIMAR permettra des patrouilles en haute mer, non une surveillance portuaire ou littorale ; des moyens aériens y seront obligatoirement adjoints : ils sont aujourd’hui devenus essentiels dans toutes les missions de l’action de l’État en mer, de la lutte contre le trafic de drogue à la surveillance des pêches. Aussi suis-je persuadé qu’il faudra en effet des hélicoptères ou des drones aériens associés au programme BATSIMAR. Des recherches sont actuellement en cours sur ces derniers, un drone ayant été expérimenté sur L’Adroit.

Certes, un drone ne permettra pas d’arrêter un go-fast de trafiquants de drogue, parfois très rapide. Il y a donc un équilibre à trouver entre hélicoptères légers et drones et il faudra garder le choix du moyen aérien qui équipera chaque BATSIMAR à son appareillage selon la mission qui lui aura été confiée.

Quant à l’équipement en gilets pare-balles, toutes nos équipes d’intervention en sont pourvues à ma connaissance. Ces moyens de protection individuelle sont indispensables, car les interventions sont parfois très brutales, telles les dernières opérations en Guyane contre la pêche illégale. Si des déficits ponctuels me sont signalés, j’y ferai remédier au plus vite.

Le MCO des Alouette III, des Dauphin et des Panther coûte environ cinquante millions d’euros par an. La disponibilité des Panther s’établit à un bon niveau, mais celle des Alouette III et des Lynx est moins élevée, car il s’agit d’aéronefs nettement plus anciens.

La séance est levée à douze heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Fanélie Carrey-Conte, M. Laurent Cathala, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M. Guy Delcourt, M. Nicolas Dhuicq, Mme Geneviève Fioraso, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Laurent Kalinowski, M. Marc Laffineur, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Frédéric Lefebvre, M. Christophe Léonard, M. Maurice Leroy, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, Mme Nathalie Nieson, M. Jean-Claude Perez, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. - Mme Danielle Auroi, M. Frédéric Barbier, M. Claude Bartolone, M. Malek Boutih, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Lucien Degauchy, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Bruno Le Roux, M. Damien Meslot, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Stéphane Saint-André

Assistait également à la réunion. - M. Jean-François Lamour