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Commission des affaires étrangères

Mardi 30 juin 2015

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 92

Présidence de M. Paul Giacobbi,
Vice-président

– Examen, pour avis, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (n° 2183) – M. Kader Arif, rapporteur

Examen, pour avis, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (n° 2183) – M. Kader Arif, rapporteur.

La séance est ouverte à dix-huit heures trente.

M. Paul Giacobbi, président. Nous allons examiner pour avis les articles 4 à 12 du projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Le texte sera examiné au fond par la Commission des lois à partir de demain et, d’ores et déjà, je souhaite beaucoup de plaisir au rapporteur... Pour notre part, nous nous sommes notamment saisis des dispositions relatives à la carte de séjour pluriannuelle, qui ont un impact sur l’accueil des étudiants et des talents étrangers. Sur cet important sujet, votre serviteur avait rédigé, il y a de nombreuses années, un rapport que personne n’a lu mais qui n’était pas fondamentalement idiot. (Sourires.)

M. Kader Arif, rapporteur pour avis. Il n’a pas été forcément très simple d’élaborer ce rapport puisque je n’ai été nommé rapporteur que la semaine dernière. Dans ce laps de temps très court, j’ai auditionné un collectif d’associations, puis des représentants du ministère de l’intérieur et du ministère des affaires étrangères.

Les articles 4 à 12 du projet de loi ont pour objet de modifier la délivrance des titres de séjour afin de sécuriser davantage et de rendre plus cohérents les parcours des étrangers en situation régulière. Dans le même temps, il s’agit de renforcer l’attractivité de la France à l’égard des étudiants étrangers, en particulier des plus diplômés, ainsi qu’à l’égard des talents internationaux. C’était d’ailleurs l’objet du Conseil stratégique de l’attractivité qui s’est tenu le 17 février 2014, sous la présidence de M. François Hollande.

Bien que la notion de « talents » ne soit nulle part définie précisément dans le projet de loi, ni d’ailleurs dans l’exposé des motifs ou dans l’étude d’impact…

M. Paul Giacobbi, président. Elle ne l’est que dans l’Evangile !

M. le rapporteur pour avis. … On peut dire qu’il s’agit de ressortissants étrangers à haut potentiel, dont le séjour en France peut apporter une contribution particulière à notre pays. Neuf catégories sont visées : jeune diplômé qualifié ; investisseur ; créateur d’entreprise ; mandataire social ; chercheur ; travailleur hautement qualifié ; salarié en mission ; artiste ; étranger ayant une renommée internationale dans un domaine scientifique, littéraire, intellectuel, éducatif ou sportif.

M. Thierry Mariani. Quel article les concerne ?

M. le rapporteur pour avis. L’article 11. C’est principalement en raison de ces dispositions relatives à l’attractivité de la France au plan international que nous nous sommes saisis d’une partie du projet de loi. Par cohérence, il fallait examiner aussi la question de la généralisation des cartes de séjour pluriannuelles. La simplification et la facilitation des conditions de séjour en France, pour les étrangers en situation régulière, constituent l’un des principaux piliers des décisions qui ont été prises lors du Conseil stratégique de l’attractivité précédemment évoqué.

Ce projet de loi s’appuie notamment sur les constats et les recommandations d’un rapport remis en 2013 par M. Matthias Fekl, qui était alors parlementaire en mission auprès du ministre de l’intérieur. Il s’inscrit aussi dans la continuité d’un autre rapport de 2013, celui d’une mission réunissant quatre grands corps d’inspections qui ont travaillé conjointement sur l’accueil des talents internationaux.

Le rapport de M. Matthias Fekl insistait en particulier sur les points suivants : la courte durée des titres de séjour est pénalisante pour les ressortissants étrangers, contraints de multiplier chaque année les démarches pour renouveler leur titre ; cette situation n’est pas favorable à l’objectif d’intégration ; elle est également dommageable pour l’administration elle-même, les préfectures étant engorgées et n’offrant pas des conditions d’accueil dignes de ce nom. D’où l’utilité de mettre en place des titres pluriannuels et de repenser les contrôles.

Le rapport interinspections de 2013 a mis l’accent, quant à lui, sur l’inadaptation des mesures en vigueur pour favoriser l’attractivité de la France à l’égard des étudiants et des talents étrangers. Le système actuel repose sur une kyrielle de titres dérogatoires, dont certains n’ont jamais trouvé leur public. Si la carte de séjour portant la mention « scientifique-chercheur » est réellement utilisée, la carte de résident pour « contribution économique exceptionnelle » n’a été accordée que quatre fois en 2012 et deux fois en 2013. Surtout, l’une des dispositions phares de la loi de 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, la carte « compétences et talents », n’est délivrée que très marginalement : elle l’a été à 287 étrangers et à 113 conjoints en 2012, et les chiffres de 2013 sont encore moins bons.

Je voudrais compléter ce constat en vous présentant rapidement les principaux faits saillants qui caractérisent les flux migratoires en France : d’abord leur évolution et leur décomposition selon les grands motifs d’immigration ; ensuite la situation de l’immigration professionnelle et de l’immigration étudiante.

L’immigration légale connaît des fluctuations conjoncturelles qui sont en grande partie déterminées par l’évolution de la situation économique et par les inflexions des politiques migratoires. Les flux sont globalement en légère hausse et tendent vers un niveau un peu supérieur à 200 000 premiers titres de séjour délivrés par an, comparable à celui de la fin des années 2000.

Si l’on raisonne selon les principaux motifs de délivrance des titres, on observe que l’immigration familiale reste à l’origine d’à peu près la moitié des flux entrants. Elle est suivie par l’immigration étudiante, qui représente environ 30 % du total, avec quelque 60 000 titres délivrés chaque année. L’immigration pour motif économique représente moins de 10 % de l’immigration légale, tout comme l’immigration pour motif humanitaire.

Après avoir baissé de 10 % entre 2011 et 2012, l’immigration économique a connu un rebond d’environ 10 % en 2013 puis en 2014. Cette évolution résulte principalement de l’augmentation du nombre d’étudiants ayant changé de statut pour exercer une première activité professionnelle en France, à la suite de l’abrogation de la circulaire dite Guéant de 2011. Cette hausse est aussi liée aux effets d’une circulaire de 2012 relative aux conditions d’examen des demandes d’admission au séjour déposées par des ressortissants en situation irrégulière.

Contrairement à certaines idées reçues, l’immigration professionnelle et l’immigration étudiante ne constituent pas majoritairement des formes d’immigration d’installation en France. Au bout de dix ans, 60 % des étrangers arrivés avec un titre de salarié ne sont plus sur le territoire. De même, parmi les étrangers arrivés comme étudiants, seuls 20 % sont encore présents dix ans plus tard. Il faut avoir ces faits en tête quand on parle d’accueil des étudiants et des talents étrangers. L’immigration étudiante n’est pas un vecteur important d’immigration pérenne en France ; il s’agit plutôt d’une mobilité temporaire.

L’augmentation de la circulation des étudiants au plan international est un phénomène particulièrement massif. Selon l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), le nombre d’étudiants partis à l’étranger afin de poursuivre leurs études a doublé depuis l’an 2000 : il est passé de 2 à 4 millions, et ce chiffre devrait encore doubler d’ici à 2020.

L’augmentation de la mobilité étudiante s’accompagne d’un accroissement de la concurrence pour attirer des profils souvent similaires et venant des mêmes pays cibles. La plupart des pays ont développé des stratégies pour augmenter le nombre d’étudiants qu’ils accueillent. Chacun connaît les effets positifs qui en résultent pour le secteur de la recherche, pour l’enseignement supérieur, pour le développement de l’économie en général, grâce à l’afflux de compétences, mais aussi pour l’influence et le rayonnement d’un pays.

La France est le troisième pays au monde pour l’accueil des étudiants étrangers, après les États-Unis et le Royaume-Uni. Nous accueillons 6,8 % des étudiants en mobilité internationale, alors que les États-Unis en reçoivent 18,6 %. La France est surtout le premier pays d’accueil non anglophone, ce dont il faut se réjouir. Les étudiants étrangers ne choisissent pas notre pays pour l’apprentissage de la langue mais en raison de la qualité des diplômes et de l’enseignement français. Si on s’intéresse à l’origine géographique des étudiants étrangers en France, on constate qu’un sur deux est issu du continent africain ; 20 % viennent d’Asie et en particulier de Chine ; quelque 20 % arrivent d’un autre pays de l’Union européenne.

Dans ce contexte de concurrence toujours plus vive au plan international pour l’accueil des étudiants et des talents étrangers, nous avons besoin de dispositifs plus efficaces, plus lisibles et plus cohérents pour renforcer l’attractivité de la France et pour mieux sécuriser les parcours.

J’en viens donc aux principales dispositions dont nous nous sommes saisis pour avis.

Trois nouvelles cartes de séjour, de nature pluriannuelle, seront créées : une carte dite « générale », d’une durée de quatre ans et accessible au plus grand nombre, sauf quelques exceptions ; une carte dite « passeport talent », destinée à des publics spécifiques, à l’égard desquels il a semblé nécessaire de renforcer notre attractivité ; enfin, une carte portant la mention « travailleur saisonnier » dont les caractéristiques sont adaptées.

La généralisation du caractère pluriannuel des cartes de séjour représente un changement profond de logique. Le principe général qui prévaut actuellement est celui d’une validité annuelle des cartes de séjour, renouvelables si les conditions spécifiques à chaque titre sont respectées. La délivrance de titres pluriannuels permettra de réduire la fréquence des passages en préfecture – dont le nombre actuel est de 5 millions par an – et d’améliorer l’accueil aux guichets. Selon l’étude d’impact, on pourrait observer une diminution de 30 % des passages annuels en préfecture.

La nouvelle carte pluriannuelle constituera une sorte de chaînon intermédiaire, aujourd’hui manquant, entre l’obtention d’un premier titre de séjour, de validité annuelle, et l’accès à la carte de résident de dix ans, à laquelle il n’est possible de prétendre, en règle générale, qu’au terme de cinq années de séjour en France. Un véritable parcours d’immigration, fondé sur la progressivité du droit au séjour, pourra donc être construit.

D’une durée de droit commun de quatre ans, la carte pluriannuelle aura une validité adaptée au cursus d’études pour les étudiants, dans la limite de quatre ans ; sa durée sera également alignée sur la durée prévisible des soins pour les étrangers malades ; elle sera enfin de deux ans pour les conjoints de Français, les parents d’enfants français et les étrangers admis au séjour en raison de leurs liens personnels et familiaux, pour des raisons sur lesquelles je pourrai revenir si vous le souhaitez.

Avec la réduction du nombre de passages en préfecture et la fin de l’examen annuel des conditions de séjour, évolutions qui sont directement liées au caractère pluriannuel de la carte, les modalités de contrôle seront revues. La simplification des procédures et des démarches administratives ne doit pas se traduire par un accroissement des fraudes. L’étranger pourra être appelé à justifier à tout moment qu’il continue à satisfaire aux conditions fixées pour la délivrance de sa carte de séjour. L’article 8 permet de retirer la carte ou de refuser son renouvellement non seulement si l’étranger cesse de remplir l’une des conditions exigées, mais également s’il fait obstacle aux contrôles ou s’il ne défère pas aux convocations. Enfin, l’article 25 permettra de consulter un très grand nombre de services susceptibles de transmettre des informations utiles aux vérifications.

Outre ces dispositions générales, qui concernent une grande majorité d’étrangers en situation régulière, le projet de loi comporte des mesures spécifiques pour les talents internationaux. Les différents titres qui leur sont applicables, et qui sont à la fois très hétérogènes et très inégalement utilisés, seront fusionnés en une seule carte pluriannuelle dite « passeport talent », dont le périmètre sera un peu élargi par rapport aux catégories actuelles. Des conditions plus favorables sont également aménagées pour ces talents étrangers : ils pourront accéder à la carte pluriannuelle dès leur première admission au séjour, et non après l’obtention d’un premier document. Ils seront dispensés d’autorisation de travail pour l’activité professionnelle salariée ayant conduit à la délivrance de la carte. Enfin, les membres de leur famille bénéficieront d’un régime dérogatoire au regroupement familial.

En ce qui concerne les étudiants étrangers, le projet de loi comporte plusieurs dispositions très utiles. Les étudiants bénéficieront tout d’abord de la carte pluriannuelle dite « générale », alors qu’ils n’ont aujourd’hui accès à un titre pluriannuel qu’à partir du niveau master. Leur changement de statut, d’une carte d’étudiant vers une activité professionnelle, sera par ailleurs clarifié et facilité. Les étudiants de niveau master pourront ainsi chercher et exercer non seulement un emploi en relation avec leur formation et assorti d’un certain niveau de rémunération, mais aussi créer une entreprise.

Ces dispositions vont globalement dans le bon sens, qu’il s’agisse de la généralisation de la carte pluriannuelle, du « passeport talent » ou des mesures destinées aux étudiants étrangers. Je crois néanmoins utile d’insister, en conclusion, sur la nécessité d’accompagner et de compléter la réforme sur un certain nombre de points qui ne relèvent pas nécessairement du domaine législatif, mais qui sont pourtant essentiels.

Tout d’abord, l’échec complet de la carte « compétences et talents », créée par la loi de 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, conduit à porter la plus grande attention aux mesures d’application qui seront adoptées, sous la forme de décrets et de circulaires. Il sera impératif de veiller à préserver les objectifs de simplification et de lisibilité qui inspirent ce projet de loi.

En second lieu, il faudra consentir des efforts de communication dans la durée pour promouvoir les nouveaux titres de séjour pluriannuels. Cela n’a pas toujours été le cas dans le passé. Des messages bien précis seront nécessaires à la fois au plan interne, pour les administrations françaises, et au plan externe, à l’adresse des publics concernés mais aussi des partenaires – universités, entreprises ou établissements culturels. Signalons que des efforts ont été accomplis en faveur des étudiants, en particulier par Campus France.

Ensuite, la question de l’attractivité du territoire ne se résume pas aux titres de séjour. Il convient aussi de faciliter l’accès à la France pour les publics concernés. Cela passe notamment par le développement des visas de circulation, délivrés plus rapidement et pour des durées plus longues. Il faudra aussi continuer à examiner avec attention l’évolution des taux de refus des visas pour études.

Quatrièmement, il faut se mobiliser pour améliorer les conditions d’accueil des étrangers, en particulier les talents et les étudiants. Cela concerne aussi bien l’accueil en préfecture, l’accompagnement des étudiants par Campus France, que le développement des mobilités encadrées faisant l’objet de conventions entre établissements. Le logement suscite des remarques négatives à l’égard de notre pays, tant en ce qui concerne l’offre que le coût.

En dernier lieu, je suggère de réfléchir à un renforcement des programmes ciblés d’invitation et d’attractivité de courte durée pour des publics ciblés. Je pense au programme d’invitation des personnalités d’avenir qui a été mis en place dès 1989 par le ministère des affaires étrangères, ainsi qu’aux programmes développés dans le cadre de l’Institut français. Nous continuons à être largement en retard par rapport à d’autres pays, au-delà même des États-Unis. Nous avons encore des lacunes dans l’identification des potentiels et dans le développement de liens humains qui sont particulièrement utiles pour assurer l’influence et le rayonnement de notre pays dans le monde.

Au sein de cette commission, il me semble que nous pourrions créer une mission d’information pour étudier ce qui se fait ailleurs, en particulier dans les pays les plus actifs en matière d’accueil d’étudiants.

M. Paul Giacobbi, président. À vous entendre, monsieur le rapporteur, si un étranger parvient à comprendre la législation et la réglementation applicables, cela signifie que son intelligence est hors du commun, ce qui devrait lui valoir autorisation à séjourner dans notre pays, auquel sa présence ne pourrait qu’être bénéfique.

Nous avons effectivement une stratégie d’accueil des étudiants. Pour prendre un cas que je connais bien, le nombre d’étudiants indiens a augmenté de manière spectaculaire au cours des dernières années. Nombre d’écoles de très haut niveau – comparables à l’École polytechnique ou à celle des Hautes Études commerciales (HEC) avec lesquelles elles ont parfois des liens directs pour des doubles diplômes – s’étonnaient parfois de difficultés liées à des réglementations incompatibles avec de tels cursus universitaires, notamment en matière de stages. Les nouvelles dispositions permettront de pallier ces difficultés.

M. Gwenegan Bui. Je ne sais si les étrangers sauront mieux lire et comprendre les subtilités de notre droit, mais il faut noter le progrès qu’incarne cette carte pluriannuelle, source de stabilité pour ses bénéficiaires et d’efficacité pour l’administration : la baisse du nombre de visites dans les préfectures permettra d’améliorer les contrôles.

Notre pays a intérêt à accueillir des jeunes, notamment des étudiants. Or il n’est pas un membre de notre commission qui n’ait été interpellé, lors d’un déplacement ou un autre à l’étranger, sur les difficultés que rencontrent ces étudiants, en raison de la complexité de nos textes. Je me réjouis de l’adoption de mesures qui leur permettront de venir plus nombreux, même si de grands progrès restent à accomplir. Dans son rapport sur cinquante ans de relations entre la France et la Chine, notre collègue Michel Destot évoquait déjà cette question de l’amélioration de l’accueil comme l’une des conditions de la venue en France d’un nombre croissant d’étudiants chinois. Monsieur le rapporteur, vous venez de mettre le doigt sur l’une de nos faiblesses : l’insuffisance des capacités d’hébergement. Comment pourrions-nous progresser encore afin que ces étudiants, une fois rentrés chez eux, deviennent des ambassadeurs de notre pays, de notre langue mais aussi de notre hospitalité ?

M. Thierry Mariani. Ayant été élu au siècle dernier, j’ai été cinq fois rapporteur de textes sur l’immigration, et j’avoue que je suis désespéré de notre manière d’aborder ces sujets, toutes majorités confondues. En tant que député de la onzième circonscription des Français de l'étranger, qui couvre l’Europe de l'Est, l’Asie et le Pacifique, je peux établir des comparaisons à chaque voyage. Notre droit de l’immigration est d’une complexité hallucinante, au point que je n’arrive plus à savoir combien il existe de cartes. Si j’ai bien compris – et je ne vous fais pas de reproches –, vous en avez créé quatre supplémentaires. Dans d’autres pays, il n’y a que quatre régimes : étudiant, investisseur, travailleur, personne qui sollicite un regroupement familial.

Pour les étudiants, de grands progrès ont été faits grâce à Campus France qui a créé des antennes un peu partout – j’ai récemment visité celle de Wuhan en Chine – avec des gens qui font le maximum pour informer les jeunes. Mais je ne suis pas d’accord avec mon collègue Gwenegan Bui quand il se demande ce que nous pourrions faire de plus pour les accueillir. Un pays comme l’Australie ne se pose pas une telle question pour attirer les meilleurs étudiants. Dans sa balance des paiements, l’éducation représente le deuxième ou troisième poste : l’Australie facture très cher les études et ne se préoccupe pas de savoir s’il y a ou non des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) pour les étudiants. Aux États-Unis, en Australie ou en Grande-Bretagne, les études ont un prix. En France, c’est gratuit. Les personnels de Campus France me disent qu’ils doivent quasiment s’expliquer sur cette gratuité qui paraît presque louche aux yeux d’un public qui considère que qui est gratuit n’a pas de valeur. Arrêtons de nous demander ce que nous pouvons faire de plus !

Parlons de la carte « compétences et talents », créée par une loi dont j’étais le rapporteur. Elle a été un échec, dites-vous. Vous vous trompez : elle a été un super-échec ! La mesure me semblait intelligente, mais le diable se niche parfois dans les détails : les modalités pratiques étaient renvoyées à un décret qui a prévu des obligations aussi hallucinantes qu’inapplicables.

Pour illustrer mon propos, je vais prendre l’exemple d’investisseurs russes. Mon épouse étant originaire de Russie, je vais assez souvent dans ce pays, où j’ai eu l’occasion de vanter les mérites de la carte « compétences et talents » à des investisseurs de ma connaissance. Au bout d’un an et demi ou deux ans, ils me l’ont rendue. L’un d’eux possède la première société russe de construction de locomotives et il a passé un accord avec Alstom. En France, il emploie une quarantaine de personnes dans une petite propriété qu’il a rachetée à Elton John ! Pour bénéficier de cette carte, il devait présenter un projet d’intégration. Ensuite, tous les ans, il devait expliquer qu’il avait toujours des talents, et aller faire la queue à la préfecture pour qu’on lui délivre le document. Vous imaginez ces chefs d’entreprise qui emploient parfois des milliers de personnes faire la queue à cinq heures du matin, au milieu de quatre cents personnes ? Dans certains pays, l’ambassadeur vient lui-même à mon domicile m’apporter les papiers entourés d’un ruban, m’a dit l’un d’eux.

Le décret a démoli cette disposition, et je suis même surpris qu’il reste autant de cartes « compétences et talents » : pour ceux qui peuvent y prétendre, il est dix fois plus simple d’aller voir le consul et d’obtenir une carte de circulation de trois ans qui suffira à leurs besoins.

S’agissant de l’excellent programme « Personnalités d'avenir » du ministère des affaires étrangères, je regrette que ses moyens soient en constante diminution depuis des années, sachant que le mouvement a commencé sous la droite. Ce programme constitue pourtant une manière innovante d’assurer la promotion de la France auprès des futures élites des pays visés.

Pour résumer, je suis consterné par la complexité de nos dispositifs, surtout quand je les compare à ceux de pays où il n’existe que trois ou quatre cartes. Monsieur le rapporteur, prenez garde à notre don pour les complications administratives. Nous sommes mauvais quand il s’agit d’attirer les investisseurs – comparez avec le Portugal, Malte ou la Grande-Bretagne ! – et les gens de qualité. En France, les services de TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) questionnent souvent les investisseurs sur l’origine de leurs capitaux ; en Grande-Bretagne, on se contente de leur dire merci. Résultat : dans ma circonscription, mes interlocuteurs sont dégoûtés par les complexités administratives qui leur sont imposées par les gouvernements français successifs, qu’ils soient de gauche ou de droite.

Dans l’espace Schengen, dont nous venons de parler avec le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, règne une véritable concurrence. Nous devons nous efforcer d’attirer chez nous les meilleurs, c'est-à-dire – et j’espère que je ne vais choquer personne – ceux qui ont le plus les moyens d’investir, donc de créer des emplois. Observons les pratiques de certains pays comme Malte ou le Portugal. Je vous souhaite bonne chance.

N'ayant pas lu en détail le reste du texte et étant l’unique représentant du groupe UMP, je ne peux pas encore vous donner notre position.

M. Paul Giacobbi, président. Notre rapporteur a évoqué l’idée de créer une mission sur l’attractivité de la France. Nous la soumettrons lors de la prochaine réunion du bureau de notre commission.

Je signale au passage à M. Mariani, au cas où cela lui aurait échappé, que son groupe a changé de nom et s’appelle maintenant Les Républicains… (Sourires.)

M. Jean-Louis Destans. Pour avoir moi-même exercé quelques fonctions à l’étranger, j’ai pu mesurer concrètement la complexité et le manque de lisibilité de nos procédures. Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, combien les définitions étaient compliquées, multiples. Pour faciliter et accélérer la délivrance des visas, nous avons procédé à l’externalisation de certains services consulaires : en fait, les queues ne se forment plus devant les consulats mais ailleurs. Comment vont s’articuler toutes les structures concernées – services du consulat, externalisés ou issus de la mécanique Schengen, et Campus France – pour gérer les demandes de tous ces étudiants ? Tout en sachant cette question relève du quai d’Orsay et du ministère de l’intérieur, j’aimerais savoir si l’on a déjà réfléchi à une organisation qui permettrait de faciliter les flux, de gagner du temps et d’améliorer la lisibilité du dispositif.

M. le rapporteur pour avis. « Comment améliorer l’accueil des étudiants étrangers ? », demandez-vous, Monsieur Bui. Malgré les efforts déployés par Campus France, nous sommes en retard sur certains pays qui ont développé de véritables stratégies. La Pologne et la Chine ont créé une agence de promotion de l’enseignement supérieur à l’international. Singapour, le Qatar et la Malaisie souhaitent devenir des plateformes régionales. La Chine, l’Inde, la Corée du Sud, l’Allemagne et l’Arabie Saoudite facilitent cette mobilité internationale et montent en puissance.

Pour mesurer les progrès qui nous restent à faire, prenons l’exemple du Québec, territoire francophone. Les étudiants français qui souhaitent intégrer une université québécoise ont accès, via des numéros de téléphone dédiés, à des interlocuteurs qui les guident dans leurs démarches d’inscription et de recherche de logement, et qui leur fournissent toutes sortes d’informations utiles. Une fois arrivé à Montréal, l’étudiant est accueilli dès l’aéroport par une personne de l’université où il s’est inscrit. Pour le moment, nous ne savons pas faire ce genre de choses. D’où l’idée de cette mission de réflexion évoquée tout à l’heure avec Jean-Pierre Dufau.

Améliorer l’accueil des étudiants étrangers peut consister, par exemple, à leur délivrer un titre de séjour bien avant leur arrivée sur le territoire national. Si leur parcours administratif était bouclé dès le mois de mars, ils pourraient se consacrer plus tôt à la recherche d’un logement. Actuellement, certains obtiennent leurs papiers en juin ou juillet, peinent à trouver un logement quelle que soit la ville universitaire, arrivent un mois ou deux après le début des cours et finissent par redoubler, ce qui pose des problèmes de renouvellement du titre. Pour remédier à ce genre de situation et parvenir à une délivrance plus rapide des titres, les services des deux ministères concernés – celui des affaires étrangères et celui de l’intérieur – doivent continuer à renforcer leur concertation.

Nous devons aussi mener une réflexion sur le logement des étudiants étrangers, l’un des points qui suscitent le plus de remarques négatives : l’offre est insuffisante et le coût est assez désespérant, pas seulement à Paris où les loyers atteignent des sommets. Il y a aussi beaucoup à faire pour améliorer la circulation de l’information entre l’État et les collectivités locales qui accueillent de nombreux étudiants. Quand j’étais élu à Toulouse, deuxième ville étudiante de France, j’ai souvent constaté que personne n’était informé des initiatives prises au plus près du terrain ; de même, certaines actions menées au plan national n’avaient pas forcément de traductions locales.

Soulignons qu’en cette matière aussi, il existe un certain déséquilibre entre les universités et les grandes écoles. Ces dernières travaillent avec leurs réseaux, elles ont des capacités d’accueil et des facilités dont ne disposent pas forcément les universités.

Avant de partir, M. Mariani a rappelé quelques réalités avec beaucoup de sincérité. Le projet de loi répond en partie à ses préoccupations, notamment grâce aux dispositions concernant la généralisation de la carte pluriannuelle, le « passeport talent » ou les mesures destinées aux étudiants étrangers. Ces derniers bénéficieront de la carte pluriannuelle dite « générale » alors qu’ils n’ont actuellement accès à un titre pluriannuel qu’à partir du niveau master.

Jean-Louis Destans m’a interrogé sur l’articulation entre les différentes structures concernées par la gestion des demandes de tous ces étudiants. Tout dépendra des messages transmis par les ministères, et des décrets et circulaires d’application. Pour l’heure, je ne peux pas répondre de manière plus précise.

La Commission en vient à l’examen des articles dont elle est saisie.

M. Paul Giacobbi, président. Puisqu’aucun amendement n’a été déposé, nous allons passer directement aux votes sur les articles dont nous sommes saisis.

Article 4 (art. L. 311-1 et L. 211-2-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Documents ouvrant droit au séjour de plus de trois mois

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 5 (art. L. 311-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Autorisation provisoire de séjour délivrée à l’étudiant titulaire d’un diplôme au moins équivalent au grade de master

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 6 (art. L. 313-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 7 (art. L. 313-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Conditions de première délivrance de la carte de séjour temporaire et de certaines cartes pluriannuelles

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 8 (art. L. 313-5-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Modalités de contrôle du maintien du droit au séjour du titulaire d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte pluriannuelle

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 9 (art. L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 10 (art. L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Conditions de délivrance de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale »

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 11 (chapitre III du titre Ier du livre III 11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Carte de séjour pluriannuelle

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

Article 12 (art. L. 5221-2 du code du travail) : Limitation de l’obligation d’obtention d’une autorisation de travail aux seuls séjours professionnels d’une durée supérieure à trois mois

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article sans modification.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, sans modification.

La séance est levée à dix-neuf heures.

____

Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 30 juin 2015 à 18 h 30

Présents. - M. Kader Arif, M. Gwenegan Bui, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Destans, M. Jean-Pierre Dufau, M. Paul Giacobbi, Mme Chantal Guittet, M. Thierry Mariani, M. Patrice Martin-Lalande, Mme Marie-Line Reynaud

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gérard Charasse, Mme Élisabeth Guigou, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Armand Jung, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Jean-René Marsac, M. Jean-Claude Mignon, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Boinali Said, M. Michel Vauzelle