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Commission des affaires culturelles et de l’éducation

Mardi 27 octobre 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 10

Présidence de M. Patrick Bloche, président

– Projet de loi de finances pour 2016 (n° 3096) (seconde partie) :

• Présentation des rapports pour avis sur les crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles :

- Audiovisuel ; Avances à l’audiovisuel public (M. Jacques Cresta, rapporteur pour avis)

- Presse (M. Michel Françaix, rapporteur pour avis)

- Livre et industries culturelles (Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Mardi 27 octobre 2015

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq

(Présidence de M. Patrick Bloche, président)

——fpfp——

La Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’examen des rapports pour avis de M. Jacques Cresta (Audiovisuel ; Avances à l’audiovisuel public), de M. Michel Françaix (Presse) et de Mme Virginie Duby-Muller (Livre et industries culturelles) sur les crédits pour 2016 de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».

M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2016 avec la présentation successive des trois rapports pour avis sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ainsi que ceux figurant au compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », autrement dit, la répartition de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), autrefois appelée redevance.

Comme leurs autres collègues rapporteurs pour avis, Jacques Cresta, Virginie Duby-Muller et Michel Françaix ont choisi un thème spécifique pour leur rapport, qui leur a permis d’approfondir un enjeu particulièrement important pour une entreprise ou un secteur professionnel des médias et des industries culturelles.

Je vous rappelle que Mme la ministre de la culture et de la communication nous présentera lundi prochain son budget pour 2016 en commission élargie. Ce même lundi 2 novembre, à quinze heures puis à dix-sept heures, nous procéderons au vote sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » puis sur ceux de la mission « Culture ».

Je vais tout d’abord donner la parole à M. Jacques Cresta, rapporteur pour avis sur les crédits de l’audiovisuel public, qui a porté son attention sur le projet numérique de France Télévisions dont nous auditionnerons demain matin la nouvelle présidente, Mme Delphine Ernotte. Elle nous présentera son plan d’action, qu’elle nous a fait parvenir, comme la loi du 15 novembre 2013 le prévoit, dans les deux mois suivant sa prise de fonctions, intervenue le 22 août dernier.

M. Jacques Cresta, rapporteur pour avis. Monsieur le président, mes chers collègues, dans un univers médiatique en pleine mutation, France Télévisions est confrontée à un véritable défi numérique, un défi qui doit être relevé avec fermeté, énergie et imagination. C’est pour cette raison que j’ai souhaité consacrer la partie thématique de mon rapport à son projet numérique.

Il s’agit d’un véritable enjeu démocratique. Cette révolution numérique pose en effet la question de la capacité du service public de l’audiovisuel à toucher les jeunes publics et à garantir, pour les nouvelles générations, une certaine diversité de culture et d’information.

L’année 2016 sera déterminante pour l’avenir numérique de France Télévisions car elle verra la signature du prochain contrat d’objectifs et de moyens qui devra impérativement faire une place importante à cette question. Le projet stratégique, que la nouvelle présidente de France Télévisions Mme Delphine Ernotte a présenté devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel avant sa nomination, a d’ailleurs pleinement intégré cette dimension.

Nous assistons, en effet, à un véritable bouleversement des pratiques audiovisuelles en France. En 2015, l’usage de la télévision linéaire reste nettement majoritaire, 51,9 % des Français privilégient l’usage d’un téléviseur. La durée d’écoute quotidienne s’est maintenue à un niveau très élevé en 2014 : trois heures et quarante et une minutes par individu. Derrière ces chiffres se dissimule toutefois une érosion. La durée d’écoute individuelle a subi en 2013 une diminution de quatre minutes, tendance confirmée par une nouvelle diminution, de cinq minutes, en 2014. Ce recul est plus spécifiquement marqué chez les 15-24 ans : moins 19 minutes en six ans, de 2006 à 2014. On constate, par ailleurs, un vieillissement marqué des téléspectateurs des chaînes de télévision publiques et privées. L’âge moyen des téléspectateurs de France Télévisions s’établit à cinquante-huit ans en 2014.

Il est naturellement trop tôt pour tirer de ces chiffres des conclusions définitives. Ils sont néanmoins un reflet, parmi d’autres, des évolutions qui semblent à l’œuvre et des bouleversements qui modifieront peut-être radicalement les pratiques audiovisuelles des Français.

Les Français sont de plus en plus équipés en matériels et abonnés à des services qui constituent autant de moyens d’accès aux offres de télévision numérique : 76,1 % des foyers sont dotés de trois écrans – télévision, ordinateur, tablette ou mobile ; un téléviseur sur deux est connecté à internet via les boxes des opérateurs ; le nombre de smartphones explose avec 59,3 % des Français équipés, proportion qui s’élève à 81 % chez les 15-24 ans ; les deux tiers des foyers français sont abonnés à des offres ADSL, satellite ou câble, l’ADSL étant désormais le premier mode de réception de la télévision devant le mode hertzien.

De nouvelles pratiques audiovisuelles se développent rapidement.

C’est le cas notamment de la télévision de rattrapage. En 2014, plus de quatre milliards de programmes ont été visionnés en ligne en France, soit une progression de 106 % depuis 2011. Le recensement des consommateurs des services délinéarisés montre que ceux-ci pourraient potentiellement se détourner à terme de la télévision linéaire. Selon les estimations du Centre national du cinéma et de l’image animée, la moitié du public de la télévision de rattrapage a aujourd’hui entre quinze et trente-quatre ans.

Le développement de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) constitue une autre évolution notable du paysage médiatique, comme l’illustre l’arrivée de Netflix en France en 2014. Si ces nouveaux modes de consommation restent encore relativement peu développés en France, ils sont devenus massifs aux États-Unis. À la fin de l’année 2014, 38 % des foyers américains étaient ainsi abonnés à Netflix. Cette évolution a d’autant plus d’impact sur les chaînes de télévision en France que ces nouveaux acteurs peuvent se soustraire facilement à la réglementation française, notamment en matière de concurrence, de financement de la création et d’engagement de diffusion.

Si, face à ces évolutions, France Télévisions a développé avec retard son activité numérique, ce retard est aujourd’hui en partie comblé sous l’impulsion notamment de l’ancien président Rémy Pflimlin, qui a donné un coup d’accélérateur au développement de l’offre numérique à compter de 2011.

Le Gouvernement et France Télévisions ont fait de la stratégie numérique un axe central du contrat d’objectifs et de moyens 2011-2015, confirmé et renforcé par un avenant. France Télévisions a ainsi développé une stratégie autour de cinq axes.

Le premier axe consiste à proposer des offres dites de destination multi-écrans autour de cinq thématiques recouvrant le champ des missions de service public de France Télévisions : l’information, avec francetv info ; l’offre sportive, avec francetv sport ; l’offre culturelle, avec culturebox ; la mission éducative, avec francetv éducation ; l’offre jeunesse avec Les Zouzous et Ludo. France Télévisions a mis en œuvre dans le même temps une refonte de l’offre régionale et ultramarine.

Le deuxième axe à développer est la télévision sociale, « Social TV », et les écrans compagnons.

Le troisième axe passe par le renforcement de la présence des marques et programmes.

Le quatrième axe repose sur le développement de la télévision de rattrapage. Le service francetv pluzz est désormais distribué sur le web, les mobiles, ou les téléviseurs via les téléviseurs connectés et les fournisseurs d’accès à internet. Francetv pluzz permettait, en 2014, l’accès à environ 76 % des programmes diffusés sur les chaînes de France Télévisions entre dix-sept heures et minuit. France Télévisions a également lancé en 2012 son service payant de vidéo à la demande Pluzzvad. Ce service permet aux téléspectateurs de retrouver les programmes diffusés sur les chaînes de France Télévisions dès le huitième jour après leur diffusion, à l’issue de la période de gratuité.

Le dernier axe du projet numérique de France Télévisions est l’accompagnement du public et la promotion des innovations. Le groupe a ainsi lancé des services innovants comme Salto, qui permet de reprendre à son commencement un programme déjà en cours de diffusion, ou Maliste, qui permet de sélectionner un programme à regarder plus tard.

Cette stratégie a permis d’étendre significativement la présence numérique de France Télévisions qui se plaçait en juin dernier, avec 10,6 millions de visiteurs uniques, au premier rang des marques audiovisuelles devant MyTFl, Canal+ et 6Play. Record en la matière, 203 millions de vidéos ont été vues au mois de septembre dernier sur l’ensemble des supports, soit une progression de 85 % par rapport à septembre 2014.

Néanmoins, des progrès restent encore à accomplir pour faire connaître plus largement ces offres au grand public, notamment en matière de culture et de programmes pour la jeunesse. À titre d’exemple, l’audience du site culturebox pour les festivals de cet été est restée inférieure à celle d’Arte Concert.

Il conviendra donc d’aborder dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens différents enjeux majeurs pour les développements numériques de France Télévisions.

Le premier enjeu est économique. Le développement du numérique par France Télévisions a généré des charges passant de 46 millions d’euros en 2011 à 78,3 millions d’euros en 2014. Les recettes nettes associées au numérique se sont élevées, quant à elles, à 22,3 millions d’euros en 2014. Un enjeu important pour France Télévisions résidera donc dans sa capacité à trouver des pistes de monétisation accrue pour les plateformes numériques, au-delà des sources actuelles de revenus. Une réflexion est en cours au sein du groupe sur un développement plus important de services payants de vidéos à la demande.

Mme Delphine Ernotte propose ainsi, dans son projet stratégique, de développer la vidéo à la demande pour les programmes dédiés à la jeunesse, premier motif de visite sur Netflix ou Canalplay. Les chiffres des programmes de France Télévisions les plus vus en replay tendent à montrer qu’il existe, en effet, une forte demande en matière de vidéos de rattrapage pour ce type de programmes. Le développement d’un tel service doit concilier l’impératif d’équilibre économique avec les exigences propres à une chaîne de service public.

En toute hypothèse, de tels développements resteront soumis à la capacité financière et juridique de France Télévisions à acquérir auprès des producteurs des droits d’exploitation en SVOD.

Le deuxième défi concerne la mise en cohérence d’offres multiples.

Afin d’accélérer le développement du numérique au sein du groupe, le précédent PDG de France Télévisions, M. Rémy Pflimlin, avait créé un service spécifique dédié au numérique. Ces équipes ont été, pour l’essentiel, regroupées au sein d’une entité spécifique, localisée dans un bâtiment situé à Issy-les-Moulineaux et non au siège du groupe.

Il est désormais nécessaire de diffuser ce développement numérique dans l’ensemble du groupe et de former les personnels à ces techniques numériques, à l’instar de ce qu’a fait Arte en développant la double compétence de ses agents – télévision traditionnelle et télévision numérique. Il convient donc de parvenir à une réelle hybridation du groupe et des équipes autour d’une double mission, linéaire et numérique.

Or l’offre numérique de France Télévisions apparaît aujourd’hui foisonnante et peu lisible. L’enjeu est bien, dans un univers très concurrentiel, de promouvoir une « marque » reconnue en matière d’audiovisuel public, comme y sont parvenus de grands acteurs internationaux, et de proposer une meilleure ergonomie des différentes offres numériques.

Le troisième défi consiste à promouvoir une mutualisation des projets numériques à l’échelle du service public de l’audiovisuel. J’ai en effet constaté la dispersion des moyens dans le développement numérique au sein de l’audiovisuel public. Le lancement, en septembre, d’un service de SVOD par l’INA illustre très bien le fait que la mise à niveau des acteurs de l’audiovisuel public en matière numérique intervient en ordre dispersé.

Les moyens consacrés à l’information au sein de l’audiovisuel public sont également marqués par la dispersion. Les stratégies des sociétés publiques ne sont pas coordonnées et les moyens s’additionnent au sein des trois entités concernées : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde. Or, l’audiovisuel public dispose de moyens considérables en matière d’information : les rédactions de ces sociétés totalisent environ 4 500 journalistes, au niveau national, régional et international.

Le projet de chaîne publique d’information en continu peut constituer une occasion historique de coordonner et mutualiser les moyens des différents groupes de l’audiovisuel public en matière d’information. L’objectif est de permettre à l’usager de disposer d’une analyse et d’une compréhension de l’information, le numérique étant le vecteur idéal pour permettre une réflexion et une analyse de l’actualité.

Cette nouvelle chaîne devrait être mise en place en 2016. Elle serait disponible en priorité sur les supports numériques, en particulier mobiles, et s’appuierait sur les moyens de la direction de l’information de France Télévisions, qui regroupe plus de 1 300 personnes et dispose, en 2015, d’un budget de 235,5 millions d’euros. Par ailleurs, les synergies obtenues grâce au regroupement des rédactions dans le cadre du projet « Info 2015 », dont la première phase sera réalisée début 2016, permettraient de dégager une partie des moyens financiers et humains dont aura besoin la chaîne d’information.

Une mise en commun des moyens d’autres acteurs de l’audiovisuel public, comme Radio France, l’INA et France Médias Monde, est également prévue.

Je tiens enfin à saluer la mise en place, sous l’égide de la ministre de la culture et de la communication, d’un comité stratégique de l’audiovisuel public réunissant les différents acteurs du secteur public de l’audiovisuel ; cette nouvelle structure devrait permettre de faire émerger des projets communs, de développer les mutualisations de moyens et d’assurer le pilotage et la coordination indispensables.

Lors de la première réunion de ce comité, le 21 octobre dernier, ont été abordées les questions relatives à la coordination de l’offre publique d’information, aux moyens de mieux s’adresser aux jeunes, notamment aux jeunes adultes, ainsi que la coordination des actions en faveur de la cybersécurité.

Sur l’ensemble de ces sujets, des actions communes devraient être mises en place très rapidement.

M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le rapporteur : vous nous avez fourni une excellente entrée en matière pour l’audition de Mme Delphine Ernotte devant notre commission demain. Le projet numérique constitue, à l’évidence, un enjeu essentiel pour l’avenir de France Télévisions et plus largement de l’audiovisuel public.

Nous allons maintenant écouter Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au livre et aux industries culturelles. Elle s’est, elle aussi, intéressée aux enjeux numériques, mais dans le secteur de l’exploitation cinématographique.

Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai choisi cette année de consacrer l’avis budgétaire sur les crédits de la mission « Livre et industries culturelles » au cinéma et de me pencher plus particulièrement sur les salles de cinéma à l’heure du numérique.

Si un secteur est représentatif de l’exception culturelle française, c’est bien celui du cinéma, notamment la filière de l’exploitation des films. La France peut s’enorgueillir de disposer d’un réseau de salles important, avec plus de 2 000 salles sur tout le territoire, y compris en zone rurale, allant de la petite salle municipale aux multiplexes, sans oublier les 1 116 salles d’art et d’essai, véritable particularité française. En Haute-Savoie, nous disposons par ailleurs d’un réseau itinérant très dense, avec Cinébus et Écran Mobile CDPC. Cela représente au total 46 salles. Le département, à travers l’assemblée des pays de Savoie, a beaucoup oeuvré pour soutenir la partie fixe des investissements, notamment en matière de numérique.

La fréquentation demeure soutenue en France : notre pays comptabilise 209 millions d’entrées en 2014 alors que le Royaume-Uni affiche 157 millions d’entrées et l’Allemagne 122 millions. Ces bons chiffres ne doivent cependant pas occulter la réalité : à l’heure du numérique, la salle de cinéma doit relever deux défis.

Premièrement, la possibilité de regarder un film en dehors de la salle proprement dite s’est accrue. À la télévision et à l’ordinateur sont venus s’ajouter des appareils nomades comme les smartphones ou les tablettes. De nouveaux modes de consommation des films se sont développés : streaming, vidéo à la demande et même « e-cinéma ». Depuis 2014, quelques films ne sont d’ailleurs proposés que sur internet.

Deuxièmement, les bobines argentiques de 35 millimètres ont été remplacées par des fichiers numériques stockés sur des serveurs et diffusés au moyen de projecteurs électroniques. Ces transformations dans la diffusion induisent des bouleversements dans l’économie du film. Les copies circulent plus rapidement et peuvent être reproduites avec facilité ; les coûts sont réduits. Toute la chaîne de distribution et de diffusion est ainsi modifiée.

Ce passage au numérique comporte des points positifs. Il permet une plus grande souplesse de programmation et une offre accrue de films, notamment en exclusivité, qui profite au cinéma français : entre 2010 et 2014, le nombre de films français diffusés a ainsi progressé de soixante et onze titres.

Le revers de la médaille de cette souplesse et de cette offre abondante est une plus grande rotation des films. Comme il est plus facile de faire circuler les copies et d’augmenter leur nombre, la première semaine de diffusion devient décisive : les succès mais aussi les échecs sont accentués.

Ce phénomène se ressent sur la programmation. Les distributeurs privilégient des plans de sortie de leurs films qui leur assurent une rentabilité rapide. Les petites salles situées dans des petites villes ou des villes moyennes peinent à accéder aux films en exclusivité. Cette difficulté menace les salles indépendantes et favorise la concentration. La diversité des salles est ainsi remise en cause et, par là même, la diversité de l’offre de films.

Comment alors parvenir à préserver ce pluralisme de l’offre, ce tissu diversifié de salles ? Grâce à la loi portée par notre collègue Michel Herbillon en 2010, toutes les salles en métropole sont désormais équipées de matériel de projection numérique grâce à un mécanisme redistributif, dit virtual print fee (VPF). Cette contribution obligatoire, versée par les distributeurs pour l’ensemble des films et des salles, est fléchée vers les exploitants afin de les aider à financer leurs investissements en équipement numérique. Ce dispositif, salué par toute la profession, a permis d’éviter une fracture entre les grandes enseignes et les petites exploitations et de conserver un maillage territorial dense. N’oublions pas l’Outre-mer, où le mécanisme sera mis en place l’année prochaine.

Néanmoins, ces évolutions technologiques sont loin d’être achevées. On peut légitimement se demander si les petits établissements pourront continuer cette course à l’innovation. Se pose déjà la question des coûts annexes du numérique liés à la maintenance ou l’achat de consommables, plus coûteux.

Par ailleurs, les économies permises par le numérique profitent surtout aux grandes enseignes. Comme je le mentionnais, la concentration du secteur a été accentuée. Le nombre d’établissements diminue tandis que le nombre d’écrans augmente. Les chiffres sont significatifs. Entre 2005 et 2014, le nombre d’établissements a diminué de 2,6 % : chaque année en moyenne, une dizaine d’entre eux ferme. Dans le même temps, le nombre d’écrans a augmenté de 7,2 %. Ce phénomène traduit l’émergence des multiplexes, lesquels représentent en 2014 60 % des entrées et 64 % des recettes alors qu’ils ne forment que 9,4 % du parc. S’il est vrai que ces salles participent de la bonne tenue de la fréquentation, il n’en reste pas moins qu’elles constituent un danger pour les petites exploitations.

L’implantation des salles de cinéma est déjà fortement encadrée et, en 2014, le dispositif a été renforcé afin de préserver le pluralisme des salles. Ainsi, tout projet d’extension d’un cinéma qui atteindrait huit salles est soumis systématiquement à autorisation par la commission départementale d’aménagement cinématographique. Aujourd’hui, une plus grande régulation semble nécessaire. Des améliorations sont encore possibles s’agissant, en particulier, de la composition des commissions départementales, où les experts du secteur culturel sont trop peu nombreux, ou encore du contrôle du respect des engagements du projet présenté.

J’en viens au deuxième défi : comment maintenir une offre de film diversifiée sur tout le territoire ?

Association créée en 1983, l’Agence de développement régional du cinéma (ADRC) joue un rôle crucial dans l’accès aux films pour les petites salles. Elle finance des copies de film en sortie nationale pour celles d’entre elles qui en font la demande. En 2014, 2 000 communes ont bénéficié de ce dispositif. Je tiens à saluer leur travail qui permet d’assurer l’aménagement culturel dans des territoires reculés.

Il faut aussi noter les importantes mesures destinées à éviter la disparition des petites salles et à faciliter leur reprise. En premier lieu, l’État a créé une filière au sein de l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, ex-FEMIS, afin de former les nouveaux exploitants. En deuxième lieu, un soutien financier sous forme d’un fonds d’avance remboursable sera mis en place. Géré par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), il permettra d’octroyer des avances qui pourraient représenter jusqu’à 40 % du montant de l’acquisition de petites ou moyennes exploitations sur une période de quatre ans à sept ans par des exploitants de moins de quarante-cinq ans.

Toutefois, le vrai danger réside aujourd’hui dans le piratage des films. Selon l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, en 2015, 13,5 millions d’internautes ont consommé des vidéos de films illégales, que ce soit en streaming ou en téléchargement.

La signature de la Charte des bonnes pratiques entre annonceurs, professionnels de la publicité et représentants d’ayants droit, qui vise à exclure les sites pirates de leurs relations commerciales et à les priver de recettes publicitaires, ne produira que des effets limités car elle ne permettra pas d’atteindre des sites domiciliés à l’étranger. La dissuasion passe par la mise en œuvre de réelles sanctions.

Pour conclure, je soulignerai que l’engouement des Français pour la sortie au cinéma ne faiblit pas. Ce n’est pas la première fois que la salle de cinéma doit relever le défi d’innovations technologiques. Donnée moribonde avec l’arrivée de la télévision et du magnétoscope, elle a su résister. Les bons chiffres de la fréquentation du jeune public sont particulièrement encourageants : 22 % des spectateurs sont âgés de moins de quatorze ans et presque 20 % d’entre eux ont entre quinze et vingt-quatre ans. L’éducation à l’image doit être encouragée. Dans une société de plus en plus individualiste, la séance de cinéma reste un moment de convivialité et de partage.

L’une de nos grandes actrices françaises, Isabelle Huppert, définit le cinéma comme « un art beaucoup plus périssable que les pyramides ». Aujourd’hui, c’est à nous, législateurs, d’en prendre conscience et de mettre en place des politiques publiques afin d’agir efficacement pour sa conservation, son développement et son rayonnement international.

M. le président Patrick Bloche. Nous en venons à la présentation du rapport pour avis sur les crédits de la mission « Presse » de Michel Françaix, qui s’est consacré à la réforme des aides à la presse, sujet inédit, comme on le sait !

M. Michel Françaix, rapporteur pour avis. En octobre 2012, dans mon avis sur les crédits destinés à la presse dans le projet de loi de finances pour 2013, j’avais établi un bilan sévère des aides à la presse et mis en évidence de nombreux dysfonctionnements, en rendant publique pour la première fois la liste édifiante des montants attribués aux trente titres les plus aidés par l’État. Mon rapport appelait à une remise à plat de l’intervention de l’État en faveur de la presse, fondée sur deux objectifs principaux : d’une part, rationaliser les aides à la distribution et à la diffusion ; d’autre part, recentrer l’effort financier sur une presse citoyenne de qualité ainsi que sur les investissements d’avenir et l’innovation. J’insistais également sur le nécessaire renforcement de la contractualisation et de la transparence des aides.

Sur la base de ces propositions, s’est engagée en 2013 et 2014 une réforme des aides à la presse qui se poursuit en 2015 et 2016 avec le chantier crucial de la réforme des aides à la distribution, alors que les « accords Schwartz », qui précisaient les conditions de distribution de la presse par La Poste pour la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015, arrivent à échéance.

Trois ans après le diagnostic sévère que j’ai posé, il m’est apparu opportun de dresser un premier bilan des évolutions intervenues depuis lors et de formuler des propositions pour les réformes à venir.

Dans le dossier complexe de la réforme des aides à la presse, un premier constat s’impose : il est tout aussi urgent de réformer un système qui présente des défauts majeurs qu’il est difficile de faire évoluer un secteur qui se porte mal. Si face aux contradictions et incohérences du système, la première tentation est celle des solutions radicales, les demi-mesures l’emportent parfois hélas à la lumière des risques que la moindre adaptation ou modification font peser sur un secteur d’une extrême fragilité.

J’ai donc dû me rallier à la conviction que la réforme des aides à la presse doit nécessairement procéder d’un équilibre subtil entre audace et prudence : de l’audace afin de mettre fin aux plus graves défauts et aberrations du système ; de la prudence afin d’éviter les effets trop brutaux et les ruptures fatales, alors que le système d’aide a placé le secteur dans une situation de grande dépendance à son égard. À cette aune, les évolutions récentes et annoncées des aides à la presse fournissent quelques motifs de satisfaction. Il faut donc avoir le courage de changer ce qui peut l’être, la sérénité d’accepter ce que nous ne pouvons pas changer et la sagesse de reconnaître un certain nombre de progrès.

Parmi les progrès, il faut compter la régulation renforcée. Nous pensons être en position de voir émerger un barème des messageries qui permettrait d’établir un juste prix. Nous avons assisté au développement des mutualisations entre les messageries – peut-être faudra-t-il d’ailleurs aller jusqu’à la fusion. Même si beaucoup de retard a été pris, des sociétés communes de moyens et un système d’information commun se sont développés. Des avancées ont également été enregistrées dans les réflexions sur la gouvernance et l’organisation de l’Agence France Presse.

Reste toutefois beaucoup à faire.

Premier chantier : le recentrage de l’aide postale sur la presse d’information politique et générale (IPG). J’aime à le rappeler : en 2008, 20 % de l’avantage tarifaire postal, soit l’équivalent de 53 millions d’euros, bénéficiaient à huit magazines de télévision ; en 2014, ceux-ci bénéficiaient encore à ce titre de près de 20 millions d’euros, alors que l’ensemble de l’aide à la modernisation des diffuseurs de presse s’établit à 3,68 millions d’euros.

Il faut également prendre en compte la création de deux nouvelles catégories de presse, la presse du savoir et de la connaissance et la presse de loisir et de divertissement à côté et de la presse IPG. Ces trois catégories ne bénéficieront pas des mêmes montants d’aides. Pour la presse IPG et la presse du savoir et de la connaissance, il faudrait que les tarifs postaux se rapprochent de ceux de l’inflation tandis que la presse de loisirs se verrait appliquer une augmentation sensible, l’objectif étant de parvenir à une convergence des titres vers le tarif universel. Concrètement, pour La Poste, le coût de distribution est aujourd’hui de 80 % de déficit pour un quotidien et de 70 % pour un titre de la presse de loisirs. L’évolution vers le juste prix – 70 % sur sept ans, soit 10 % par an – ne paraît pas simple.

Il faudra aussi définir les contours de ces nouvelles catégories de presse. Tout laisse à penser que sur 6 500 titres, la moitié relèverait de la presse du savoir et de la connaissance, l’autre moitié entrant dans la catégorie de la presse de loisirs. Vous aurez compris que ce classement sera source pour la commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) de soirées animées, chacun voulant être placé dans la bonne case afin de bénéficier des frais postaux les moins élevés !

L’aide au portage devrait être pensée en cohérence avec l’évolution de l’aide au transport postal. La question est complexe car si l’aide postale diminue pour la presse de loisirs, les clients abandonneront l’envoi postal au profit du portage, ce qui contribuera à augmenter le coût pour La Poste qui ne transportera plus les titres en quantité nécessaire. Il faudra sans doute aller plus loin dans le portage multi-titres. Disons-le : La Poste me semble avoir raté le coche avec Neopress. Il est évident que demain, si elle devait perdre en volumes transportés, il serait nécessaire qu’elle se lance dans le portage pour certains titres.

Parmi les choses positives que la ministre va nous annoncer, notons l’extension de l’aide au pluralisme aux publications fragiles qui ont une périodicité autre que quotidienne. Certains journaux bénéficient, en raison de leurs faibles recettes publicitaires, d’une aide particulière qui va être étendue à quelque soixante-quinze nouveaux bénéficiaires, des hebdomadaires et des mensuels. Rassurez-vous, cette enveloppe de 4 millions d’euros ne sera pas prise sur les autres aides accordées : il s’agit de crédits nouveaux.

Je pourrais vous parler du fonds stratégique pour le développement de la presse en ligne et des rapports de la presse avec Google, en vous montrant le danger que présentent certains phénomènes. Je pourrais aussi vous dire que nous devrions aller beaucoup plus loin en matière d’aides à l’innovation et au numérique.

Mais, en guise de conclusion, je vais plutôt vous lister une vingtaine de recommandations que je formule dans mon rapport :

– Appliquer à la presse d’information politique et générale (IPG) et à la presse de la connaissance et du savoir un même taux d’augmentation de leur tarif postal, voisin du taux d’inflation.

– Pour les titres de la presse du loisir et du divertissement, établir une trajectoire acceptable de convergence vers le tarif universel de La Poste, s’étalant sur plusieurs années.

– Apporter une réponse à la distorsion de concurrence créée par la diffusion au tarif préférentiel IPG de suppléments spécialisés de titres IPG, concurrents d’autres catégories de presse. Pour ne citer que deux exemples, Madame Figaro et le M Le magazine du Monde bénéficient du prix IPG de La Poste appliqué aux quotidiens. D’autres magazines se voient appliquer des postaux beaucoup plus importants, alors que ce sont des publications du même type.

– Clarifier dans la durée la finalité et les perspectives d’évolution de l’aide au portage.

– Approfondir différents scénarii d’évolution graduelle vers une aide unique à l’exemplaire diffusé, en envisageant son extension à la diffusion numérique.

– Pour le calcul de l’aide au portage, exclure le portage réalisé, non pas de manière individuelle mais par paquets, à destination des hôtels, des entreprises de location d’automobiles, etc. Notre collègue Rudy Salles avait relevé ce problème et le ministère de la culture et de la communication a déjà exclu le portage à destination des aéroports. Nous sommes bien partis, mais nous ne devons pas nous arrêter en chemin.

– Réexaminer le rôle de La Poste dans l’avenir du portage.

– Redéployer une partie des crédits dégagés par la baisse de l’aide au transport postal vers le soutien aux initiatives émergentes et innovantes du secteur de la presse.

– Renforcer et étendre la réduction d’impôt pour souscription au capital des entreprises solidaires de presse d’information ; relever les plafonds de la réduction d’impôt dont bénéficient les particuliers ; réactiver la réduction d’impôt pour souscription des entreprises au capital des sociétés de presse en majorant l’avantage pour souscription au capital des entreprises solidaires de presse d’information.

– Fournir un premier bilan de l’impact de l’application d’un taux super réduit de TVA à la presse en ligne. Pour l’heure, je n’arrive pas à en mesurer les conséquences.

– Maintenir l’éligibilité des services de presse en ligne de la connaissance et du savoir aux aides du fonds stratégique pour le développement de la presse.

– Relever les taux de subvention du fonds stratégique pour le développement de la presse.

– S’assurer que les crédits du fonds Google ne se substituent pas à l’action des pouvoirs publics en matière d’accompagnement à la transition numérique.

– Accélérer la mise en place de la conditionnalité des aides. Au vu de la concentration qui est à l’œuvre, je pense qu’il faudra établir une distinction entre les journaux qui se font sans journalistes et ceux qui respectent les obligations déontologiques et l’emploi.

– Plus important encore, il faut changer radicalement de politique vis-à-vis des kiosquiers et des marchands de journaux. Je propose de consacrer une partie des marges de manœuvre financières dégagées par la réforme de l’aide postale à la mise en place d’une aide publique plus structurante et pérenne en faveur des diffuseurs. Même si les sommes en jeu sont beaucoup moins importantes que celles dont je viens de vous parler, les mesures sont sans cesse reportées à l’année suivante. En tout cas, elles n’arrivent pas au rythme où les marchands de journaux et kiosquiers pourraient le souhaiter.

M. le président Patrick Bloche. Merci, Michel Françaix, d’avoir utilisé toute votre compétence et votre connaissance du dossier pour nous éclairer. C’est à la fois technique et compliqué ; il faut connaître l’histoire pour en comprendre tous les enjeux.

Vos propos suggèrent que vous êtes en attente, un peu au milieu du gué, et nous y sommes avec vous. Espérons que nous parviendrons à rejoindre l’autre rive car le pluralisme est en jeu. Je vous remercie d’avoir conclu en évoquant la situation des vendeurs de presse. Pour présider la commission professionnelle des kiosquiers parisiens, je sais combien leur situation reste particulièrement précaire.

Mme Lucette Lousteau. Dans le temps qui m’est imparti, je me bornerai à vous livrer quelques remarques que m’inspire le rapport pour avis de notre collègue Michel Françaix sur les aides à la presse.

Je tiens tout d’abord à remercier le rapporteur pour la qualité de son travail ; il nous fournit des clés de compréhension tout à fait essentielles sur la situation de la presse, sujet à la fois passionnant et complexe, qu’il maîtrise parfaitement.

Dans un contexte de réformes engagées depuis plusieurs années dans un secteur qui vit une profonde mutation, il était tout à fait opportun de dresser, comme il l’a fait, un premier bilan des évolutions récentes et de formuler des propositions pour les années à venir.

À cet égard, on peut remarquer la pertinence des recommandations contenues dans le rapport et se réjouir de l’annonce récente faite par la ministre de la culture et de la communication quant à la création d’une nouvelle catégorie de presse, afin de mieux cibler les aides postales. Comme le suppute notre rapporteur, il sera probablement délicat de la délimiter.

Depuis l’origine, le soutien public à la presse et à l’information trouve sa justification dans l’exigence de liberté et de garantie du pluralisme. Ces aides s’articulent autour de trois axes : la diffusion, le pluralisme et la modernisation. Ce dernier volet comprend le fonds stratégique qui intervient pour l’aide au développement de la presse numérique.

Comme l’indiquait notre collègue Jean-Noël Carpentier dans son rapport pour avis l’an dernier, le numérique est avant tout une chance pour la démocratie, mais son arrivée a fait bouger les lignes. Les nouveaux moyens d’accès à l’information et la révolution des technologies obligent toute la chaîne de la presse papier, de l’impression à la diffusion en passant par la distribution, à se réinventer pour ne pas disparaître.

Cependant, notre collègue Michel Françaix relève dans son rapport que les soutiens existants semblent insuffisants pour le secteur des médias émergents. Un rapport de Jean-Marie Charon, remis à la ministre de la culture et de la communication en juin 2015, s’en fait l’écho. Rappelons néanmoins que l’époque où la presse d’information citoyenne en ligne était pénalisée par rapport à la presse papier par un taux de TVA de 19,6 % est révolue : comme la presse écrite, elle bénéficie du taux de TVA super réduit de 2,1 % depuis février 2014, à la suite de l’adoption, à l’unanimité de l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi portée par le président de notre commission et par le rapporteur pour avis.

Si le développement du numérique représente un enjeu majeur, nous devons veiller à ce qu’il ne se fasse pas au détriment de la qualité éditoriale. L’économiste Julia Cagé, que le rapporteur a auditionnée, remarque que les grands titres ont progressivement remplacé les journalistes d’investigation par des journalistes postés devant leurs écrans lorsque la presse en ligne a émergé. Cette substitution a parfois affecté la qualité du titre, papier et numérique. Or la presse d’information, quel que soit son support, ne survivra qu’en faisant le pari de la qualité.

La vigilance s’impose aussi en ce qui concerne la liberté d’expression des journalistes. Si certains repreneurs interviennent parce qu’ils sont convaincus de la nécessité de soutenir la presse pour défendre la pluralité de l’information, tous n’affichent pas cette même volonté. On peut redouter les conséquences de certains rachats sur le pluralisme ou même sur l’indépendance des journalistes vis-à-vis du propriétaire du journal. L’exemple récent de la reprise de Canal + peut légitimement nous alerter.

Certains financiers ou grands partons, qui ont fait fortune dans d’autres secteurs, semblent plutôt s’inscrire dans des stratégies personnelles ou purement financières lorsqu’ils achètent des journaux. La création du fonds d’investissement, baptisé Media One et destiné à racheter des médias, en est une illustration flagrante. Or, on est en droit de se demander si le pluralisme de la presse et des idées peut perdurer dans un pays où quelques financiers possèdent la plupart des médias.

Cette situation suscite des questions sur la qualité de l’information, la pertinence des aides publiques, la liberté des journalistes et le pluralisme. C’est pourquoi nous ne pouvons que suivre le rapporteur lorsqu’il suggère, pour l’application de la conditionnalité des aides, la mise en place de critères relatifs à la déontologie et à l’emploi de journalistes.

Mme Annie Genevard. Tout d’abord, je voudrais complimenter nos trois collègues – Virginie Duby-Muller, Jacques Cresta et Michel Françaix – pour la qualité de leurs rapports et de leurs exposés.

Ma première question concerne l’audiovisuel. Monsieur Cresta, vous avez choisi de centrer votre réflexion sur le développement de l’offre numérique de France Télévisions, à l’heure où les comportements exigent des opérateurs publics qu’ils prennent le train du numérique s’ils veulent rester des médias de référence.

Comme vous l’expliquez, le développement de l’offre de vidéos à la demande, par abonnement, est lié à la réglementation du droit de production, le diffuseur n’étant pas propriétaire des œuvres qu’il a pourtant en partie financées. Vous nous dites qu’un assouplissement des décrets Tasca serait envisagé par le Gouvernement. Avez-vous des informations sur le calendrier de la négociation interprofessionnelle annoncée et sur les principales orientations qui la guideront ?

En ce qui concerne les industries culturelles, je voudrais faire deux observations, l’une sur le cinéma et l’autre sur le livre. S’agissant du cinéma, vous avez parfaitement décrit l’évolution préoccupante en cours. En dépit de l’excellente loi portée par notre collègue et ami Michel Herbillon, qui a permis le vaste et utile mouvement de numérisation des salles, on constate la disparition d’une dizaine de salles indépendantes par an. Cette évolution n’est pas anecdotique et elle menace la diffusion du cinéma sur les territoires, alors qu’il s’agit de la première pratique culturelle des Français.

L’accès aux films dans ces petites salles indépendantes demeure assez difficile malgré la numérisation ; l’équilibre économique y est plus fragile ; l’implication des collectivités est nécessaire dans de nombreux secteurs. Le risque demeure malgré les dispositifs existants. Reste-t-il, selon vous, des mesures à inventer qui permettraient notamment d’anticiper certains changements ? Puisque nous connaissons l’âge des exploitants de cinéma, nous pouvons prévoir le moment auquel la transmission aura lieu et quand la pérennité de la salle se jouera.

S’agissant du livre, Madame la rapporteure, vous mentionnez les réflexions sur l’extension des périodes d’ouvertures des bibliothèques, en soirée ou le dimanche. Certaines collectivités font des expérimentations en la matière, notamment en mettant en œuvre les préconisations de la mission confiée à la sénatrice Sylvie Robert. Un point me semble préoccupant : le Président de la République a annoncé que le taux d’attribution du concours particulier de la dotation générale de la décentralisation serait modulé en fonction de l’ouverture des bibliothèques. Or l’extension des horaires ou des jours d’ouverture de ces équipements a des incidences budgétaires : 15 % des bibliothèques ont dû créer des postes de titulaires ; 19 % ont eu recours à des heures supplémentaires ou à des primes ; 25 % ont mis en place des vacations supplémentaires. À un moment où les moyens des collectivités s’amenuisent, il est dangereux d’assujettir la dotation aux amplitudes d’ouvertures, comme une récompense : certaines villes aimeraient ouvrir davantage leurs bibliothèques mais elles ne le pourront pas. Ce danger a-t-il été bien évalué ? Comment faire pour sensibiliser le Gouvernement à cette question ?

En ce qui concerne la presse, monsieur Françaix, vous prônez un nouveau calibrage des aides qui ne sont pas assez ciblées, qui créent des effets d’aubaine, qui doivent être rénovées, modernisées, etc. Tout le défi est de soutenir ce secteur dans la mue qu’il doit nécessairement effectuer afin de simplement survivre, sans entretenir sa dépendance aux aides publiques. Vous dites attendre des annonces imminentes qui tardent à venir. Comme elles ne sont pas toutes formulées, n’êtes-vous pas optimiste sur la prise en compte de vos préconisations nombreuses et pertinentes ?

Mme Isabelle Attard. Comme mes collègues, je tiens à vous féliciter tous les trois pour la qualité de vos rapports.

Monsieur Cresta, parmi les offres numériques les plus fréquentées de France Télévisions que vous pointez, certaines sont destinées aux enfants. Le Sénat vient d’adopter une proposition de loi écologiste qui prône la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse du service public. En effet, les études scientifiques démontrent un impact sanitaire négatif de la publicité sur les enfants qui la subissent. Le chercheur français Michel Desmurget dénonce notamment le rôle de la publicité pour les produits alimentaires auprès des enfants : celle-ci entraîne l’émergence précoce d’habitudes de vie sédentaires et de préférences alimentaires inadaptées.

Avez-vous envisagé l’interdiction de la publicité pour les programmes diffusés via le numérique à destination des enfants ? Pensez-vous, comme nous, que la démarche d’intérêt général du service public de l’audiovisuel est incompatible avec le matraquage publicitaire à l’intention des jeunes enfants ?

Michel Françaix, vous êtes un expert de la presse française et votre rapport est, comme d’habitude, extrêmement fouillé. Vous soutenez l’extension annoncée de l’aide au pluralisme pour atténuer la concentration des aides. Cependant, vous n’évoquez pas la question de la concentration de la propriété des titres. Le journaliste Fabrice Arfi écrit dans Mediapart : « Sept milliardaires, dont le cœur d’activité n’est pas l’information – c’est de vendre des armes, de faire du BTP, de la téléphonie mobile, de la banque – ont entre leurs mains 95 % de la production journalistique. »

Ce chiffre de 95 % déborde largement du journalisme de presse puisqu’il inclut radios, télévisions et sites d’information. Néanmoins, il devrait nous interpeller. Pour mémoire, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), intitulé Les Jours Heureux, mentionnait l’importance de rétablir « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères. »

Soixante-dix ans plus tard, il semblerait que cet objectif de l’indépendance de la presse ne soit plus une préoccupation. Certes, votre rapport mentionne, page 39, qu’il est important de soutenir l’émergence de nouveaux médias. Dans un secteur autant dominé par l’argent, ne craignez-vous pas que ces nouveaux médias soient inaudibles ou, pire, qu’ils soient rachetés dès qu’ils deviennent audibles ?

Madame Virginie Duby-Muller, votre rapport mentionne l’importante augmentation du budget de la Hadopi : il remonte de 6 millions d’euros à 8,5 millions d’euros, sans que cette augmentation de 41,6 % ne soit justifiée quelque part. Notons que ce budget fluctue beaucoup puisqu’il était de 8 millions d’euros en 2013. Cette année, le document budgétaire indique que ces crédits permettent de « financer les missions d’appui au développement de l’offre légale et de protection des œuvres contre le téléchargement illégal. »

À ma connaissance, le bilan de la Hadopi est nul. Cette autorité indépendante peut tout au plus se vanter de subventionner La Poste à grande échelle, en expédiant des millions de lettres recommandées. Mais quel est l’effet de ces courriers ? La quasi-intégralité de la production culturelle est aujourd’hui disponible en téléchargement illégal. À quoi servent les millions dépensés ?

Je vous ai déjà parlé du blog « J’voulaispaspirater.tumblr.com ». Voici la dernière mésaventure qui y est contée. Un internaute voulait visionner une série récente appelée Mr. Robot. Après avoir tenté d’y accéder légalement en France, cet internaute s’est résolu à la télécharger. Quelques jours plus tard, il recevait un message de la Hadopi lui signalant qu’il avait violé l’article L.331-25 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle, puisque son ordinateur avait été utilisé pour diffuser cette série. Après vérification, le site même de la Hadopi, www.offrelegale.fr, confirme que cette série n’est pas disponible en France.

Chers collègues, peut-on vraiment parler de contrefaçon d’une œuvre lorsque celle-ci est volontairement rendue indisponible par ceux qui sont chargés de la diffuser ? Les 8,5 millions d’euros de la Hadopi seraient bien mieux employés à financer la création et la diffusion, au lieu d’être utilisés pour payer l’envoi de millions de courriers inutiles.

Mme Annie Genevard. Ce n’est pas une raison pour pirater !

Mme Isabelle Attard. Il faut développer l’offre légale !

M. le président Patrick Bloche. Je rappelle que, dans le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, nous avons adopté assez unanimement une disposition visant à la recherche d’une exploitation suivie des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. En vous écoutant, je me disais que ce que La Poste gagne en frais d’envois recommandés de la Hadopi, elle pourrait peut-être le redonner sous forme de baisse des tarifs postaux de la presse.

M. Rudy Salles. À mon tour, je tiens à saluer la qualité des rapports et, bien entendu, celle des rapporteurs. On peut toutefois regretter que certains de ces rapports nous soient arrivés assez tard. Après quelques remarques sur les crédits de la mission, j’aurais quelques questions sur les thèmes choisis par les rapporteurs.

L’examen des crédits de soutien à la presse revêt un caractère tout particulier, notamment après les attentats que la France a vécus au début de l’année. Nous avons malheureusement été les témoins impuissants de la menace qui pèse sur la liberté d’opinion et de diffusion. Aussi, est-il plus que jamais de notre devoir d’assurer et de garantir la diffusion des courants de pensées et d’opinions dans notre pays. La liberté, l’indépendance et le pluralisme sont intrinsèquement liés à la démocratie et à la vitalité du débat citoyen.

Outre cette menace qui pèse sur la liberté d’opinion, le livre, la presse et l’industrie culturelle dans son ensemble sont confrontés à un environnement de plus en plus concurrentiel, marqué par des bouleversements technologiques. Le Programme 180, « Presse », doit par conséquent constituer le socle budgétaire solide sur lequel s’appuie l’évolution des dispositifs de soutien en faveur de la presse. Après avoir déploré une baisse des aides à la presse de 9 % l’année dernière, nous regrettons cette année que le soutien de l’État à la presse continue de cibler massivement la diffusion papier alors même qu’il est urgent de mettre l’accent sur l’innovation pour que le secteur prenne avec succès le virage du numérique. En outre, nous estimons que les aides à la presse doivent bénéficier davantage à la presse quotidienne régionale qui constitue le principal vecteur d’information du pays.

S’agissant du Programme 334, « Livre et industries culturelles », nous tenons à dénoncer la situation dans laquelle se trouve la Hadopi. Certes sa subvention augmente par rapport à l’année dernière puisqu’elle s’élève à 8,5 millions d’euros. Néanmoins, cette subvention demeure incontestablement insuffisante pour lui permettre de mener à bien ses missions. Ai-je besoin de rappeler que, pour 2012, la subvention de la Hadopi s’élevait à 11 millions d’euros ? Au mépris de la loi, le Gouvernement organise donc son extinction. Je tiens à rappeler que cette autorité a été créée par la loi ; elle ne peut être supprimée ou remplacée que par l’adoption d’une nouvelle loi.

Il aurait fallu un peu de courage si vous aviez des projets sur le sujet. Depuis deux ans et demi, aucun des grands changements que nous attendions ne s’est produit. La Hadopi devait disparaître et le CSA devait reprendre ses activités. Il ne s’est rien passé et il ne se passe toujours rien. Le Gouvernement ne peut ignorer que la Hadopi est exsangue. Chers collègues de la majorité, que voulez-vous faire de cette autorité ? Si rien ne change, l’institution court à la catastrophe, et la faiblesse de son budget lui interdit de remplir les missions que le législateur lui a confiées.

Permettez-moi de poser maintenant quelques questions plus précises sur les différents rapports.

Madame Duby-Muller, vous évoquez la délicate question de la chronologie des médias entre la sortie en salle, puis en DVD, puis à la télévision. D’après vos auditions, pensez-vous qu’il faudrait revenir sur cette chronologie et la rendre plus souple ? Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est particulièrement attaché aux structures culturelles qui maillent le territoire, que ce soit les librairies indépendantes ou les salles de cinéma, dans la mesure où elles garantissent le pluralisme. Après vos échanges avec les professionnels du secteur, pensez-vous que le modèle économique des cinémas d’art et d’essai soit pérenne, malgré les coûts annexes des nouveaux équipements, notamment de numérisation ?

Monsieur Françaix, quels éléments nouveaux pouvez-vous nous apporter sur l’évolution et la répartition de l’aide au portage entre les éditeurs de la presse quotidienne nationale et ceux de la presse quotidienne régionale ? Avez-vous des informations sur la solution privilégiée par le Gouvernement ? Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants se joint au rapporteur pour regretter qu’il n’y ait pas de premier bilan de l’application du taux de TVA super réduit à la presse en ligne.

Monsieur Cresta, avant d’entendre Delphine Ernotte demain matin, votre rapport propose un premier éclairage sur les mutations à venir de France Télévisions. Nous aurions évidemment beaucoup à dire et nous n’en avons pas le temps. Néanmoins, je suis en désaccord total avec vous lorsque vous considérez que le projet de chaîne publique d’information en continu peut constituer une occasion historique pour coordonner et mutualiser les moyens des différents groupes de l’audiovisuel public en matière d’information. Dans un contexte budgétaire contraint et fortement concurrentiel, il n’est pas opportun de créer une chaîne d’information en continu supplémentaire, sachant que certaines de celles – nombreuses – qui existent, sont déjà en difficulté. Qui va payer ?

Mme Gilda Hobert. Comme mes collègues, je tiens tout d’abord à vous remercier pour ces rapports excellents, intéressants et fournis, qui corrèlent véritablement nos politiques à destination de la culture et des médias avec les nouvelles pratiques liées au numérique.

La culture ne peut être figée. Mouvante, elle accompagne ou amorce des changements de société. Ceux que nous vivons sont justement liés au numérique qui bouleverse notre manière d’appréhender la lecture, la musique ou tout autre contenu multimédia. Ils sont également d’une étonnante rapidité : le streaming musical, par exemple, a engendré 73 millions de chiffre d’affaires en 2014, contre 54 millions en 2013, ce qui représente une augmentation de 34 % en un an.

Je tiens à saluer les mesures contenues dans ce PLF. À budget équilibré – les autorisations d’engagement des crédits en faveur du livre et des industries culturelles n’ont diminué que de 2,2 % –, l’aide à l’innovation prend une place de plus en plus importante. C’est ainsi que le fonds de soutien à l’innovation et à la transition numérique est chargé de suivre, voire d’accélérer la mutation numérique des entreprises de production phonographique. S’il n’est pas le plus important, ce fonds concerne les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) qui représentent pour notre pays une richesse que l’on doit soutenir et encourager. Ces entreprises permettent le maillage efficient et la diversité culturelle dont nous avons besoin.

Cette richesse, nous devons la protéger. Prenons l’exemple de l’industrie du cinéma. Le nombre d’écrans a augmenté de 7,2 % de 2005 à 2014 tandis que le nombre d’établissements cinématographiques diminuait de 2,6 % dans le même temps. Nous devons combattre cette uniformisation progressive, et défendre le développement du maillage territorial. Réjouissons-nous du fait que 14,6 millions d’euros vont être répartis entre les 1 148 établissements ayant le label « art et essai », qui participent activement au développement de l’exception culturelle française. C’est le cas à Lyon, où les deux salles du Cinéma national populaire (CNP) ouvrent à nouveau leurs portes après quelques mois de travaux, en gardant une programmation ambitieuse et iconoclaste, mais en y intégrant de nouveaux dispositifs numériques.

L’exception culturelle française est aussi liée à des pratiques qui sont bouleversées par le numérique. Entre 2007 et 2014, le nombre d’écrans par foyer est passé de 5,3 à 6,4, ce qui a considérablement augmenté le temps passé sur internet. Le phénomène pourrait avoir des effets négatifs – et l’on peut comprendre les réticences qu’il suscite – mais il peut être une force si nous l’accompagnons.

Il est impératif d’accompagner les cinémas d’art et d’essai, le streaming musical ou l’audiovisuel français vers le numérique. Arte a fait ce choix qui se révèle payant : il permet à la chaîne de se développer et d’attirer de nouveaux publics. Le groupe France Télévisions fait ce choix en ce moment et je ne doute pas de son succès.

Vos trois rapports témoignent, chacun à sa manière et dans son domaine, de la poursuite de la tradition progressiste de la France en faveur de l’indépendance, de la création et, à présent, du numérique. Pensez-vous que l’on puisse, en continuant de lier transition numérique et exception culturelle française, promouvoir et élargir l’audience des arts du spectacle ?

Mme Marie-George Buffet. Tout d’abord, je voudrais bien sûr remercier les rapporteurs pour la qualité de leur travail et de leurs interventions.

À l’instar de Jacques Cresta, je pense que France Télévisions doit accélérer sa mue numérique et innover en la matière. Mais on ne peut pas toujours exiger l’excellence de cette grande maison, sans lui donner les moyens de la chercher. Or la baisse des moyens compromet la capacité du groupe à avancer vers une modernisation nécessaire.

Contrairement à Rudy Salles, je pense que le projet de chaîne publique d’information en continu peut constituer une occasion historique de coordonner et de mutualiser les moyens, mais aussi de favoriser d’autres méthodes de recherche et de traitement de l’information. Lors d’événements particulièrement douloureux, nous avons eu l’occasion – et le CSA également – d’émettre des critiques sur la façon dont les événements étaient relatés par certaines chaînes d’information en continu. Du service public de l’audiovisuel, nous pouvons attendre une nouvelle entrée dans l’information en continu, faisant appel à la réflexion et à la connaissance, ce qui permettrait aux citoyens de mieux maîtriser les enjeux des débats actuels.

La création d’une chaîne publique d’information en continu nécessite une mise en commun de moyens, mais celle-ci ne doit pas être vécue comme une nouvelle manière de diminuer les ressources des différentes entités de l’audiovisuel public. Ne répétons pas la douloureuse expérience de la fusion de RFI et France 24, cherchons une mutualisation qui permette l’enrichissement de l’information des citoyens.

J’en viens au rapport présenté par Michel Françaix que je veux remercier pour sa ténacité en ce qui concerne les aides à la presse. Nous connaissons la situation extrêmement fragile de la presse mais aussi le rôle éminent qu’elle joue et l’importance du pluralisme pour le développement de notre démocratie. La liberté d’information permet de juger du degré d’émancipation d’une société.

Je partage les propositions du rapporteur sur le recentrage des aides, dont il nous a déjà démontré la nécessité. Il nous parle d’avancer vers une mutualisation et peut-être vers une fusion des messageries, en évoquant les difficultés qui pourraient survenir de la part de certains organes de presse. Ces propositions, cher collègue, vous les avez faites à plusieurs reprises et je les approuve complètement. Mais quel est le calendrier ? Nous ne pouvons pas attendre beaucoup plus longtemps.

Ma deuxième remarque porte sur les rachats et la concentration du secteur. Certes, nous devons obtenir le respect des règles déontologiques et l’emploi de journalistes, mais ne faudra-t-il pas aller plus loin pour empêcher cette marche vers la concentration ? Un certain individu, qui a pourtant un endettement extrêmement important, a pu ainsi racheter des titres très rapidement, sans que nous ayons les outils pour l’en empêcher.

Enfin, je regrette que vous n’ayez pas cité votre vingtième proposition qui est extrêmement importante : inscrire à l’ordre du jour des assemblées le projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes.

M. Michel Pouzol. Non sans avoir avant toute chose approuvé ce propos de Mme Buffet concernant la vingtième proposition de M. Françaix, je tiens à mon tour à féliciter les rapporteurs, en particulier M. Cresta pour son travail sur le projet numérique de France Télévisions, très utile étant donné l’évolution des usages audiovisuels des Français - un thème qui semble être au cœur du projet stratégique volontariste de Mme Ernotte. Il était temps, en effet, que France Télévisions prenne le tournant du numérique pour que le service public de l’audiovisuel touche l’ensemble des publics et se mette au diapason des nouvelles pratiques en la matière.

Comme le souligne le rapport du groupe de travail sur l’avenir de France Télévisions, coordonné par M. Marc Schwartz, ces pratiques sont en mutation : les Français sont mieux équipés en matériels et plus souvent abonnés à des services leur permettant d’accéder aux offres de télévision numérique. L’évolution des technologies et la multiplication des écrans offrent aux utilisateurs un accès aisé et transparent aux programmes, quels que soient l’heure, le lieu et le support de diffusion. De ce point de vue, le rapport de M. Cresta montre que la consommation de télévision de rattrapage est en forte augmentation, surtout parmi les jeunes de 15 à 34 ans qui, selon le CNC, représenteraient la moitié de ce public. Pensez-vous dès lors que la télévision de rattrapage offre une solution pérenne permettant de renouveler les audiences de France Télévisions ?

D’autre part, ce groupe doit-il s’inspirer des stratégies innovantes déployées en ce domaine par Arte, qui propose plus de 80 % de ses programmes en rattrapage et enregistre une hausse de vues de 22 % au premier semestre 2015, certains documentaires étant visionnés jusqu’à 400 000 fois ? Grâce à la diffusion non linéaire de ses programmes sur internet, Arte jette en effet les bases d’une chaîne multilingue de dimension européenne.

Enfin, l’essor de cette manière individualisée de vivre la télévision et la baisse du taux d’équipement en téléviseurs, surtout parmi les jeunes, doivent-ils selon vous entraîner l’extension de la base de calcul de la contribution à l’audiovisuel public à l’ensemble des appareils capables de diffuser ces nouvelles offres ?

M. Patrick Hetzel. Les documents budgétaires qui nous sont présentés ne donnent aucune indication concernant les incidences pourtant réelles de la loi NOTRe sur l’offre audiovisuelle du secteur public. Je m’interroge en particulier sur le devenir des émissions locales diffusées sur France 3 Alsace et sur France Bleu Alsace. Ces deux chaînes, l’une de télévision et l’autre de radio, se caractérisent en effet par une forte proximité avec leur public. Cette offre audiovisuelle sera-t-elle préservée ? Le redécoupage régional ne risque-t-il pas d’éloigner ces chaînes de leur public ? Ces services de proximité relevant d’un financement public, nos concitoyens sont en droit d’attendre non seulement qu’ils ne se dégradent pas, mais même qu’ils s’améliorent !

M. Stéphane Travert. Je me réjouis, madame Virginie Duby-Muller, de constater l’augmentation de 54,4 % en autorisations d’engagement et en crédits de paiement de l’action « Industries culturelles », qui s’explique non seulement par la hausse des crédits alloués à la Hadopi, mais aussi par le transfert au sein du programme des crédits alloués au Bureau export de la musique française et, enfin, par l’inscription au titre de cette action de nouvelles aides destinées à valoriser l’entreprenariat culturel.

Je vous félicite particulièrement, madame, pour votre rapport sur la numérisation des salles de cinéma : vous y soulignez la vitalité exceptionnelle de l’exploitation cinématographique en France, qui conserve l’un des taux de fréquentation les plus élevés d’Europe, et la grande diversité de l’offre que la numérisation permet de proposer en salles. Vous présentez également les motifs d’inquiétude du secteur : la concurrence d’autres modes de diffusion des films, comme la lecture en continu ou streaming, mais aussi le fait que les exploitants peuvent accélérer à l’excès la rotation des films grâce à la souplesse que leur offre le numérique. Vous indiquez en particulier qu’en dépit de l’augmentation du nombre d’écrans de cinéma en France, le nombre d’établissements diminue. L’émergence des multiplexes accentue en effet la concentration de ce secteur autour de grandes sociétés d’exploitation bien connues.

Pensez-vous que les exploitations indépendantes, qu’il s’agisse d’associations ou de sociétés coopératives et participatives, les SCOP – comme c’est le cas de l’Utopia à Toulouse – soient menacées par ces superstructures qui, alors qu’elles étaient 135 en 2003, sont désormais 191, soit un rythme moyen de six ouvertures par an ?

Vous soulignez d’autre part la nécessité d’apporter un soutien adéquat à la filière cinématographique ; les dispositifs proposés par le CNC vous semblent-ils adaptés à cette nouvelle donne ? Enfin, parallèlement à l’augmentation du nombre de multiplexes, nous pouvons nous réjouir du fait que le parc de cinémas d’art et d’essai se maintienne et même progresse – signe qu’une cohabitation fructueuse entre ces deux modèles d’exploitation est toujours possible !

Mme Claudine Schmid. Votre rapport, madame Virginie Duby-Muller, insiste sur l’importance de la filière du cinéma en France. Nous devons en effet préserver la singularité de son maillage composé tout à la fois de multiplexes et de salles d’art et d’essai. Pouvez-vous apporter des précisions quant à l’avenir des quelque 1 100 salles d’art et d’essai ? Comment pouvons-nous continuer de les soutenir pour garantir la diversité des œuvres ? Existe-t-il des dispositifs particuliers visant à accompagner leur transition auprès des distributeurs ?

D’autre part, les salles de cinéma jouissent actuellement d’un délai d’exclusivité de quatre mois. De ce point de vue, faut-il assouplir la chronologie des médias ?

Mme Colette Langlade. L’audiovisuel public, la presse écrite et l’industrie du livre sont des enjeux culturels majeurs pour notre société. Ces trois secteurs font aujourd’hui face à une révolution culturelle et à une crise de modèle liée à l’émergence du numérique. L’audiovisuel public doit reconquérir par de nouveaux supports un public qui a perdu l’habitude d’allumer la télévision pour s’informer, se divertir et accéder aux créations cinématographiques. La presse se heurte à une concurrence plus vive encore, tant l’information sur internet et les titres exclusivement numériques gagnent en importance. Enfin, le livre et les industries culturelles comme le cinéma doivent s’adapter à de nouvelles pratiques sans pour autant bouleverser un modèle économique créateur d’emplois. Il ne s’agit plus pour chacun de ces secteurs de se prononcer pour ou contre le numérique, mais de trouver la voie leur permettant de concilier au mieux l’adaptation à la demande et la préservation de notre patrimoine culturel.

Ma question est donc transversale : pouvez-vous, madame et messieurs les rapporteurs, nous éclairer concernant les mesures d’urgence que vous défendez afin de réorienter la dimension numérique de chacun de ces domaines ?

Mme Sophie Dessus. Vous l’avez indiqué, Madame Virginie Duby-Muller : les deux-cents multiplexes qui existent en milieu urbain représentent presque 10 % des salles et 60 % des entrées, tandis que les salles de proximité en milieu rural – souvent aidées par les communes – représentent 73 % des établissements pour 20 % des entrées. Pourtant, ce sont ces petites salles qui garantissent la diversité de l’offre culturelle et la présence du cinéma sur l’ensemble du territoire. La loi du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des cinémas visait d’une part à ce qu’aucune salle ne ferme en raison de la mutation technologique – objectif pleinement atteint – et à ce que tout distributeur mettant un film à la disposition d’une salle de cinéma lui verse une contribution numérique au cours des quatre semaines suivant la sortie nationale, et ce jusqu’en 2021. Cinq années après ce très bon point de départ, trois problèmes se posent. D’une part, la durée d’amortissement des équipements varie selon les salles, d’où une inégalité d’accès aux films. Ensuite, la fixation d’une durée de quatre semaines pendant laquelle les contributions sont dues entraîne la discrimination des salles de proximité, qui n’ont plus accès aux films qu’en cinquième semaine. Enfin, la diffusion simultanée de certains films sur un trop grand nombre d’écrans pourrait appauvrir la diversité culturelle de l’offre cinématographique.

Face à ces risques très graves pour la petite exploitation, peut-on envisager, comme le propose la Fédération française des cinémas français, de refuser le « plein programme » et d’instaurer un taux de location réduit des films, par exemple 40 % à partir de la cinquième semaine, de permettre à l’ensemble des salles d’accéder aux disques durs des films, de proposer un matériel publicitaire adapté, gratuit et unique au moyen d’une plateforme de téléchargement, et de simplifier la saisine du médiateur du cinéma ? Enfin, le comité de concertation, le CNC, le ministère de la culture et de la communication et le Parlement peuvent-ils prendre le problème à bras-le-corps en simplifiant – comme en 2010 – le cadre législatif ? À ces conditions, nous éviterons sans doute d’ici à 2021 la fermeture de cinq à six cents salles qui assurent la diversité et la proximité de la culture cinématographique, ainsi que son égal accès par tous les citoyens.

M. Hervé Féron. Vous rappelez, madame Duby-Muller, que la France possède le parc cinématographique le plus important d’Europe, mais le nombre d’établissements est en recul. Pour préserver le pluralisme des salles, il existe un dispositif de régulation des implantations de cinémas selon lequel au-delà d’un certain seuil de salles, tout projet de création ou d’extension d’un établissement nécessite une autorisation de la commission départementale d’aménagement cinématographique, la CDAC. Or, ce dispositif est parfois menacé : nous venons ainsi de supprimer une mesure que la droite sénatoriale avait insérée dans le projet de loi défendu par M. Emmanuel Macron, qui consistait à relever de 300 à 600 sièges le seuil au-delà duquel l’approbation de la CDAC est nécessaire et, ce faisant, à favoriser les multiplexes. Il faut au contraire renforcer les mécanismes de régulation de l’aménagement cinématographique. De ce point de vue, le sénateur socialiste Serge Lagauche a proposé avec raison d’autoriser les collectivités territoriales à adopter dans leurs plans locaux d’urbanisme des règles spécifiques aux salles de cinéma, et de donner aux régions ainsi qu’aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC), un rôle primordial en matière d’implantation des salles, afin de conserver le recul nécessaire à l’aménagement harmonieux des cinémas sur le territoire. Qu’en pensez-vous ?

D’autre part, vous indiquez qu’en 2014, toutes les salles de métropole étaient équipées pour diffuser une projection numérique, mais qu’en est-il en milieu rural et dans les cinémas indépendants, où le modèle du cinéma numérique est inadapté compte tenu du coût, de la complexité et des exigences de sécurité des équipements ?

Mme Sylvie Tolmont. Je tiens avant toute chose à saluer la constance et la cohérence de M. Françaix concernant les aides à la presse. Dans le projet de loi de finances pour 2016, les aides à la distribution représentent 200 millions d’euros : c’est un budget dédié au soutien aux titres de presse, qu’il s’agisse de la vente au numéro ou par abonnement. Vous plaidez dans ce contexte en faveur de la rationalisation de ces aides. Vous proposez notamment de mieux cibler l’aide postale, dont bénéficient de nombreux titres. La presse d’information politique et générale, dite IPG, ne bénéficie que de 45 % de cette aide alors que son rôle est indispensable au maintien d’une information accessible à tous et à la sensibilisation au civisme que permettent l’éclairage sur l’actualité et l’ouverture au monde.

Dans le même temps, huit magazines de programmes télévisés bénéficiaient en 2014 d’un avantage tarifaire postal équivalant en tout à 20 millions d’euros. Pour mieux cibler ces aides, monsieur le rapporteur pour avis, vous avez soutenu la proposition de Fleur Pellerin consistant à créer une catégorie de presse dite « du savoir et de la connaissance », qui regrouperait notamment les titres spécialisés et destinés aux professionnels. Distinguer cette catégorie de la presse IPG et de la presse de divertissement et de loisir permettrait de mieux différencier les aides postales. Cependant, une telle ambition se heurte à plusieurs défis liés à la porosité des frontières entre presse IPG et presse du savoir et de la connaissance. De surcroît, il ne faudrait pas réduire cet objectif à une opposition stérile entre « bonne » et « mauvaise » presse. Je rappelle toutefois qu’en 2001, le Conseil constitutionnel a jugé tout à fait légitime la classification des titres de presse afin de préserver le pluralisme de la presse IPG, qui contribue à l’information du citoyen.

Dans ce contexte, pourriez-vous tracer plus précisément les contours de la catégorie de titre qui pourrait relever de la presse du savoir et de la connaissance et les critères de définition qui pourraient être retenus ? D’autre part, vous proposez que les tarifs postaux appliqués à la presse du loisir et du divertissement rejoignent progressivement les tarifs universels de La Poste, soit une hausse de 70 % : quelles en seraient les conséquences pour les titres concernés et comment pourront-ils préserver leur volume d’abonnements ?

Mme Julie Sommaruga. Quel est selon vous, Madame Duby-Muller, l’effet de diverses opérations telles que le Printemps du cinéma sur l’accessibilité des tarifs et l’attractivité des salles de cinéma ? Il serait difficile, dites-vous, de rendre le cinéma encore plus accessible financièrement sans accentuer le fossé qui existe entre les cinémas de quartier et les grandes enseignes – et que les stratégies tarifaires de ces dernières aggravent. Quelles propositions vous ont été présentées sur ce point au cours des auditions ?

Nous partageons tous l’objectif visant à encourager le plus grand nombre de personnes à aller au cinéma, en particulier les jeunes. Ne faut-il pas que l’Éducation nationale valorise davantage le cinéma – l’art autant que le lieu – auprès de tous, et non pas seulement dans les filières spécialisées ?

Mme Martine Martinel. Le rapport de M. Cresta détaille l’évolution des pratiques audiovisuelles et la tendance qu’ont notamment les jeunes et les enfants à se détourner de la télévision linéaire. Vous indiquez d’autre part que la stratégie numérique de France Télévisions produit des résultats encourageants, mais que le projet numérique d’Arte est plus convaincant. Selon vous, comment mieux faire connaître la dimension numérique de France Télévisions ? Plus généralement, en quoi le fait de relever le défi numérique représente-t-il un enjeu démocratique ?

M. Jacques Cresta, rapporteur pour avis. J’ai le même attachement à France 3 Pays catalan que M. Hetzel à France 3 Alsace, et je suis très vigilant au sujet des antennes locales. Le rapport au Parlement sur les orientations de France Télévisions que vient de nous adresser Mme Delphine Ernotte indique il est vrai que la réforme de l’organisation territoriale entraînera l’évolution de France 3 afin de l’adapter aux nouvelles régions, mais cette adaptation sera principalement éditoriale et concernera pour l’essentiel les rendez-vous d’information.

La télévision de rattrapage, monsieur Pouzol, est pour France Télévisions tout à la fois un relais d’audience et un outil fondamental d’organisation. Quant à la chaîne Arte, elle a déployé une stratégie numérique sur diverses plateformes qui est un véritable succès. Sans doute les structures plus petites et moins bien dotées ont-elles plus de facilité à faire preuve d’innovation et de créativité.

J’en viens à la question de la chaîne d’information en continu pour m’étonner qu’il n’en existe pas encore dans le secteur public. Une chaîne publique pourrait pourtant mieux équilibrer le fonctionnement de notre démocratie. L’objectif, en effet, n’est pas de copier les journaux en continu des chaînes privées, qui reposent souvent sur l’émotion, mais de proposer une chaîne d’information s’adressant à l’intelligence des téléspectateurs.

Un amendement du Gouvernement, adopté à la suite d’une proposition de MM. Bloche et Beffara, a permis d’augmenter les dotations de France Télévisions de 25 millions d’euros pour 2016. Cet apport viendra partiellement combler le déficit de 50 millions d’euros prévu par le groupe pour ce même exercice mais il lui faudra trouver de nouvelles ressources, peut-être au moyen de réformes de structure. Je constate toutefois que les acteurs de l’audiovisuel public semblent travailler chacun dans leur coin au développement du numérique ; l’INA vient ainsi de lancer son service de vidéo à la demande. J’estime au contraire que France Télévisions doit promouvoir une offre numérique du service public dans son ensemble. De ce point de vue, la chaîne d’information en continu permettra de favoriser les synergies, d’éviter la multiplication des unités de recherche et développement dans chaque entité et de proposer une offre cohérente dans le respect des sensibilités de chaque chaîne.

Concernant les métiers, il faut en effet aller vite, sachant que chaque entreprise, qu’il s’agisse de France 2, de France 3 ou de l’INA, possède sa culture propre. Une action plus transversale permettra de rapprocher ces équipes du service public qui s’ignorent parfois, voire se méfient les unes des autres, et d’améliorer l’offre publique. Dans l’immédiat, il est urgent de renforcer la polyvalence des salariés de ces chaînes de sorte qu’ils puissent travailler tout à la fois sur les chaînes linéaires et sur les supports numériques.

À titre personnel, j’aurais certainement voté pour l’amendement concernant la suppression de la publicité durant les programmes pour enfants. En réalité, seule la chaîne Ludo diffuse des publicités ; la plateforme des Zouzous, quant à elle, propose des applications sans publicité pour les supports mobiles et encadre strictement les annonces diffusées sur certaines parties du site en les limitant à des jouets et films pour enfants et en excluant toute publicité pour des produits de consommation alimentaire, par exemple. J’y suis extrêmement attentif. Cela étant, pour se développer, ces chaînes doivent trouver un équilibre entre recherche de financements et respect des obligations du service public.

Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis. Chacun d’entre vous a relevé la vitalité du cinéma français, et je rappellerai à cet égard que les films français représentent plus de 40 % des parts de marché. Vous avez également tous souligné votre attachement à préserver ce vecteur de diffusion culturelle, le plus important dans notre pays.

Il faut en effet, Madame Annie Genevard, innover en matière d’aides. Des annonces ont déjà été faites au congrès de la Fédération nationale des cinémas français, à Deauville, en ce qui concerne la transmission de salles, en vue d’accompagner les nouveaux entrants, un vieillissement des exploitants étant constaté. Ces mesures seront lancées dès le mois de décembre, avec la création d’une filière – un module de formation – à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, et surtout celle d’un fonds d’avances remboursables, géré par l’Institut du financement du cinéma et des industries culturelles, ce qui sera sécurisant pour les futurs investisseurs, tant l’investissement pour reprendre une salle est lourd.

Je suis un peu surprise par la question concernant les bibliothèques et le fait de moduler les crédits du concours particulier de la dotation générale de la décentralisation en fonction des plages horaires des bibliothèques, dans une volonté d’encourager leur ouverture à des heures tardives ainsi que le dimanche. Des plages horaires plus larges sont un moyen d’ouvrir ces lieux et de lutter contre l’illettrisme. Il faudra poser la question à la ministre de la culture et de la communication pour s’assurer que ces mesures n’auront pas d’effets négatifs pour les finances des collectivités territoriales.

S’agissant de la Hadopi, M. Rudy Salles a déploré un budget insuffisant tandis que Mme Isabelle Attard constatait que son bilan était nul. Le budget pour 2016 s’élève à 8,5 millions d’euros. Il a été divisé par deux entre 2011 et 2014. Si, en 2012 et 2013, les réserves budgétaires ont été utilisées, il y a eu une évolution significative de son activité en 2015, ainsi qu’en 2016, afin de répondre aux missions définies par la loi. Le bilan n’est donc pas nul. En cinq ans, 5,4 millions de courriels ont été envoyés, donnant lieu à un premier avertissement, 500 000 personnes ont récidivé et ont donc reçu un deuxième courriel, 2 844 ont reçu un troisième courriel, et, au final, 400 dossiers ont été transmis à la justice. Ces chiffres indiquent que la Hadopi et la riposte graduée sont efficaces et ont un effet dissuasif. Il faut également rappeler que la possibilité de suspendre l’accès à internet a été supprimée en 2013.

La question de la chronologie des médias, posée par M. Rudy Salles et Mme Claudine Schmid, est controversée. L’exclusivité du film est une condition du succès en salle et nous y sommes attachés. Il pourrait cependant être envisagé d’abaisser la fenêtre d’exploitation de quatre à trois mois pour certains films, lorsque les entrées lors des quatre premières semaines d’exploitation sont insuffisantes – on a par exemple évoqué le chiffre de 20 000 entrées. Lorsque le départ sur ces premières semaines est raté, le délai d’exclusivité pourrait être écourté et la chronologie des médias assouplie.

Il a beaucoup été question également de l’importance du cinéma d’art et d’essai. Le danger vient moins de la numérisation des films que des films d’art et d’essai dits porteurs. En effet, les multiplexes diffusent eux aussi des films d’art et d’essai porteurs, et concurrencent ainsi les salles dédiées. Pour répondre à M. Stéphane Travert sur la menace représentée par des multiplexes, il faut rappeler que la loi du 18 juin 2014 exige un accord en CDAC lorsque la salle compte plus de huit salles : cette régulation est positive. Claudine Schmid a posé la question d’un soutien particulier au cinéma d’art et d’essai : il existe déjà des aides spécifiques prévues par le CNC, et cela fonctionne assez bien.

Mme Gilda Hobert a fait le lien entre les trois rapports, en indiquant que la mutation liée au numérique appelait un changement de modèle. Elle a aussi posé la question du spectacle vivant. Les salles de cinéma diffusent désormais ce que l’on appelle « le hors-film » : opéras, concerts… Les exploitants nous disent que c’est intéressant mais que cela doit rester marginal, et qu’il faut si possible éviter de diffuser ces programmes le week-end, à des moments plus porteurs pour les films. Il convient cependant d’utiliser les salles de cinéma pour diffuser d’autres modes de culture.

M. Hervé Féron a rappelé les propositions du sénateur Serge Lagauche et celles-ci nous paraissent assez intéressantes, notamment l’articulation au niveau régional. Il peut y avoir une différence de vues entre un aménagement purement commercial et un aménagement culturel, et la difficulté, comme je l’ai rappelé en préambule, est que les CDAC comptent moins de représentants du monde culturel que d’élus.

M. Hervé Féron a également indiqué que toutes les salles n’étaient pas équipées en numérique. Je n’ai pas les mêmes chiffres que lui : en métropole, 100 % du parc est équipé, y compris en zones rurales. L’étape suivante concerne les outre-mer. La loi de 2010 a permis de pérenniser nos salles, alors que, dans d’autres pays européens, tels que l’Espagne, 20 % des salles ont dû fermer.

Les modalités du taux de location, madame Sophie Dessus, sont fixées par le code du cinéma et de l’image animée et le taux est négocié de gré à gré entre distributeurs et exploitants. La durée de la période d’amortissement de l’équipement numérique représente un vrai souci ; il faut sans doute s’en remettre au comité de suivi parlementaire institué par la loi de 2010, dans lequel siègent nos collègues Michel Herbillon et Marcel Rogemont. En ce qui concerne la cinquième semaine d’exploitation, la question nous a beaucoup été posée, car c’est en effet souvent un moyen pour les distributeurs de contourner le paiement de la contribution dite VpF.

Julie Sommaruga a posé la question des actions pouvant être menées, comme le Printemps du cinéma, qui sont assez porteuses et fonctionnent, et celle de la politique tarifaire. Le prix moyen d’un billet, à 6,38 euros, reste assez accessible. Le tarif différencié de 4 euros pour les moins de quatorze ans, contrepartie de la diminution à 5,5 % de la TVA en 2014, a plutôt bien fonctionné. Mme Julie Sommaruga a également rappelé l’importance de l’Éducation nationale et je suis d’accord avec elle : il faut davantage associer celle-ci et travailler sur l’éducation à l’image. Les cinémas d’art et d’essai nous ont rappelé qu’ils étaient disponibles pour recevoir des classes scolaires.

M. Michel Françaix, rapporteur pour avis. On parle souvent de la crise : dans le domaine de la presse papier, elle existe bel et bien, qu’il s’agisse d’une baisse des recettes publicitaires de 9 ou 10 %, ou encore de la baisse de la distribution de 7 à 8 %, voire de 10 à 12 % chez les kiosquiers… C’est dans ce cadre que nous essayons de trouver des solutions d’avenir, et c’est plus difficile quand un domaine est en crise.

Vous êtes tous d’accord pour accompagner la transition et éviter la rupture, et vous demandez que l’on aille plus vite. Or il n’est pas facile d’aller plus vite.

Si nous souhaitons classifier les différentes formes de presse, par exemple, c’est parce que la presse de loisir, même si elle est tout à fait respectable, a moins de raisons d’être aidée par le citoyen qu’une presse plus citoyenne. Or La Poste nous indique que, si elle ne reçoit plus d’argent de l’État, les prix doivent augmenter de 70 % dans les sept ou huit ans ; cela signifie qu’un journal sur deux dans la catégorie des loisirs risque d’être supprimé. Si, donc, il serait décevant de ne pas distinguer différents types de presse, il est également compliqué de prévoir tout d’un coup que certains ne seront plus aidés, car cela conduira à la suppression de nombreux emplois.

J’ai souligné le fait que je suis favorable aux aides conditionnelles. Mais je pense que les concentrations sont obligatoires, à défaut de quoi ce sont des concentrations à l’international qui domineront. Toutefois, s’il faut que nos groupes de presse soient plus puissants, nous pouvons conditionner l’aide publique au respect du pluralisme. Le pluralisme n’est pas forcément opposé à la concentration. Je préférerais qu’il n’y ait pas besoin de concentrations, que nous vivions dans un monde formidable où chacun pourrait sortir son journal du jour au lendemain. Je fais partie de ceux qui ont cru, en 1981, aux radios locales : nous avons bien vu que les Nostalgie, les NRJ et les autres ont été rachetées au bout de quatre ou cinq ans. Il faut permettre à certains petits journaux de vivre selon des modèles différentes, mais la concentration est obligatoire.

Les plus aidés, c’est vrai, sont ceux qui en ont le moins besoin. Le Figaro, Le Monde, Libération, et tous les titres rachetés par de gros patrons de presse, pourraient se passer des aides, mais nous ne pouvons pas dire d’un seul coup qu’ils ne recevront plus d’aides parce que tout va bien pour eux. C’est un fait : une partie de l’argent public ne va pas là où ce serait souhaitable.

Enfin, comment ferons-nous pour différencier la presse de loisir et la presse du savoir ? Ce n’est pas la question la plus simple qui m’ait été posée. Il faudra peut-être modifier la commission paritaire des publications et agences de presse. J’attends du Gouvernement qu’il nous présente, la semaine prochaine, les décrets d’application définissant précisément une presse du savoir et une presse de loisir. Il ne faut pas que la commission paritaire mette trois ans à décider.

Je pense que nous récupérerons un peu d’argent pour l’innovation, pour l’IPG, pour de nouveaux journaux papiers et le numérique, mais ce sera le quart de ce que nous pourrions avoir si l’argent donné à La Poste n’allait pas à la presse de loisir. Le sujet n’est pas simple, et je vous remercie, les uns et les autres, d’avoir loué ma persévérance.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 27 octobre 2015 à 17 heures

Présents. – M. Jean-Pierre Allossery, Mme Laurence Arribagé, Mme Isabelle Attard, M. Patrick Bloche, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marie-George Buffet, Mme Valérie Corre, M. Jacques Cresta, M. Pascal Demarthe, Mme Sophie Dessus, Mme Virginie Duby-Muller, M. William Dumas, M. Hervé Féron, M. Michel Françaix, Mme Annie Genevard, M. Michel Herbillon, M. Patrick Hetzel, Mme Gilda Hobert, Mme Anne-Christine Lang, Mme Colette Langlade, Mme Lucette Lousteau, Mme Martine Martinel, M. Michel Pouzol, M. Marcel Rogemont, M. Rudy Salles, Mme Claudine Schmid, Mme Julie Sommaruga, M. Claude Sturni, Mme Sylvie Tolmont, M. Stéphane Travert

Excusés. – M. Bernard Brochand, M. François de Mazières, Mme Dominique Nachury, Mme Barbara Pompili, M. Christophe Premat