Accueil > Travaux en commission > Commission des affaires sociales > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires sociales

Jeudi 7 avril 2016

Séance de 9 heures 40

Compte rendu n° 43

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Suite de l’examen des articles sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600) (M. Christophe Sirugue, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Jeudi 7 avril 2016

La séance est ouverte à neuf heures quarante.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La Commission poursuit l’examen des articles du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n° 3600) (M. Christophe Sirugue, rapporteur).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je souhaite la bienvenue à nos collègues membres d’autres commissions, tout en leur rappelant qu’ils n’ont pas le droit de vote.

Je vous propose d’essayer de nous en tenir à la règle, énoncée au début de nos travaux, de deux interventions par amendement. Pensez à ceux qui resteront jusqu’à la fin de la discussion du texte…

Article 26 : Ouverture d’une concertation relative au travail à distance et à l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle

La Commission examine l’amendement AS86 de M. Patrick Hetzel.

M. Élie Aboud. Nous sommes tous sensibles à ce que peut apporter le télétravail. Mais il faut lutter contre son dévoiement, qui organiserait en réalité une externalisation des activités : le maintien d’un lien entre l’employeur et le télétravailleur est indispensable.

Il faut laisser la liberté aux partenaires sociaux d’engager une concertation sur le télétravail. Le Conseil d’État a en outre, vous le savez, souligné que cet article ne revêtait aucune portée normative.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Avis défavorable. Le développement récent du télétravail, du nomadisme ou du coworking, rend indispensable une évolution de notre cadre juridique, qui n’est plus adapté – je pense notamment au régime d’imputabilité des accidents du travail des travailleurs à distance. C’est pourquoi une concertation doit s’engager entre les partenaires sociaux.

M. Gérard Sebaoun. Je soutiens le rapporteur. Le télétravail mérite d’être développé, et de faire l’objet de négociations dans les entreprises, afin de garantir le mieux-être des salariés demandeurs. Certaines ont longtemps été réticentes quand d’autres s’engageaient. Le développement de nouvelles formes de travail pose des questions considérables : le lien entre le télétravailleur et son entreprise, mais aussi les garanties juridiques, notamment en cas d’accident du travail, ont été cités, mais il faut aussi ajouter la question de l’autonomie de certains salariés dans une conception hiérarchique et managériale de l’entreprise. La place des managers et des réunions d’équipe est remise en question : il est important de pouvoir en parler tranquillement.

M. Élie Aboud. Nous sommes tous d’accord sur le fond. Il faut en tout cas que ce soit clair pour le salarié qui accepte ce statut.

Mme Isabelle Le Callennec. Les partenaires sociaux ont commencé à travailler sur les conséquences de l’uberisation de la société ; je suppose qu’ils ont également commencé à se concerter sur le télétravail.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement AS944 de la commission des affaires économiques.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Cet amendement a été proposé à la commission des affaires économiques par Mme Troallic. Il tend à préciser que le télétravail ne peut représenter l’intégralité du temps travaillé par un salarié, et que les droits et avantages légaux et conventionnels dont bénéficie le télétravailleur ne peuvent être inférieurs à ceux des salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Enfin, les négociations collectives d’entreprise doivent prévoir les conditions d’organisation du télétravail.

J’avais émis un avis favorable, sous réserve, je le précise ici, de la prise en considération du résultat de la concertation des partenaires sociaux.

M. le rapporteur. Avis défavorable. J’approuve absolument l’intention de l’amendement, mais je ne suis pas favorable à l’inscription de ces principes dans la loi : laissons d’abord les partenaires sociaux échanger sur le sujet. Ce dialogue entre les employeurs et les représentants des salariés est d’autant plus indispensable en l’occurrence que les situations sont multiples et très complexes. Je vous suggère donc de retirer l’amendement.

M. Gérard Sebaoun. J’approuve les principes inscrits dans l’amendement. Toutefois, ces questions doivent être envisagées de façon globale. Ainsi, pensons à une entreprise qui veut élargir les horaires de présence de ces salariés ; l’ensemble des salariés seront concernés. Une négociation est donc indispensable.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS870 du rapporteur.

Puis elle se saisit de l’amendement AS736 de Mme Eva Sas.

Mme Eva Sas. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec l’amendement AS739 adopté hier soir, qui supprime la possibilité de déroger au repos quotidien de onze heures consécutives.

Il s’agit d’éviter le fractionnement du repos des salariés qui télétravaillent. En effet, s’il est opportun qu’une concertation s’engage, il faut l’encadrer, en insistant notamment sur la séparation entre vie professionnelle d’un côté, vie personnelle et familiale de l’autre.

M. le rapporteur. Mes arguments seront les mêmes que pour l’amendement précédent : vous faites le choix – que je respecte – d’ôter certains éléments de la concertation. Je ne suis naturellement pas insensible aux questions que vous soulevez, et je n’imagine pas qu’elles ne soient pas au cœur des discussions des partenaires sociaux. Mais l’idée est bien de renvoyer à la concertation, et donc de ne pas cadenasser les échanges. Avis défavorable.

Mme Eva Sas. L’article 26 suggère explicitement, monsieur le rapporteur, que les discussions des partenaires sociaux portent sur « les modalités du fractionnement du repos quotidien ou hebdomadaire de ces salariés ». Nous proposons simplement de ne pas orienter la concertation dans ce sens.

M. Gérard Sebaoun. Ma lecture de cet article n’est pas la même. La négociation est, me semble-t-il, encadrée. Pas plus que moi vous ne défendez le fractionnement du repos, madame Sas, mais cette idée peut être évoquée par les partenaires sociaux – quitte à ce qu’elle soit balayée.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement AS556 de M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Cet amendement, reprenant l’une des propositions de l’excellent rapport de Bruno Mettling, vise à prévoir, dans les accords d’entreprise, une clarification de la question de l’imputabilité en cas d’accident du travailleur à distance. C’est une carence dans la couverture des accidents du travail : les télétravailleurs à domicile ne sont pas couverts par l’actuelle présomption d’imputabilité de l’accident au travail. Pour établir un climat de confiance propice au développement du télétravail, il nous paraît judicieux que les accords d’entreprise lèvent toute ambiguïté sur ce qu’il advient en cas d’accident pendant les plages horaires travaillées.

M. le rapporteur. C’est là, à nouveau, un sujet extrêmement important, et vous avez entièrement raison de soulever ce problème. Vous l’avez dit, une présomption d’imputabilité de la responsabilité de l’employeur existe dans le cadre classique du travail, mais une ambiguïté persiste si un accident survient pendant les plages horaires télétravaillées. À l’évidence, il va falloir avancer.

Encore une fois, néanmoins, laissons les partenaires sociaux travailler. De toute façon, c’est au législateur qu’il reviendra de décider s’il faut suivre les conclusions des négociations. Cela me paraît conforme à l’esprit de l’article.

M. Gérard Sebaoun. Le télétravail est souvent souhaité le mercredi, pour des raisons que chacun imagine – disons les choses comme elles sont, ce sont malheureusement le plus souvent les femmes qui s’occupent des enfants ce jour-là. Quel est le statut d’un accident survenant sur le trajet entre l’école où l’on va chercher les enfants et la pièce de télétravail ? Ce sont des questions complexes. Le sujet est en tout cas important.

M. Bernard Accoyer. Le projet de loi promet « de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs » et le Gouvernement souhaite à juste titre encourager le télétravail : il existe d’ailleurs un accord-cadre européen sur le sujet. Mais les solutions que vous imaginez vont au contraire freiner son développement : c’est l’éternelle et curieuse démarche du Gouvernement. Nos interminables débats d’hier soir ont montré que, même avec de bonnes intentions, il finit toujours par mettre en place, avec l’aide de sa majorité, des dispositifs lourds, complexes et inefficaces. Tous ces amendements sont intéressants sur le fond, mais ils ne seront pas les moteurs dont notre pays a besoin pour favoriser l’embauche et faire redémarrer la croissance économique. Je ne les voterai donc pas.

M. Arnaud Richard. J’entends les arguments du rapporteur : il faut en effet laisser les partenaires sociaux – auxquels, vous le savez, je suis très attaché – prendre leurs responsabilités. Mais le sujet du télétravail ne date pas d’hier et ils n’ont pourtant jamais voulu le traiter : votre démarche me paraît un peu naïve, monsieur le rapporteur. Pourquoi se prendraient-ils soudainement d’affection pour un sujet qu’ils n’ont jamais voulu aborder ?

Je vous l’accorde, cet amendement n’est pas parfait. Mais quelque 700 000 accidents du travail se produisent chaque année en France, dont peut-être une dizaine concernent des télétravailleurs. Il existe à l’évidence un problème d’accidents du travail qui ne sont pas pris en considération comme tels.

M. le rapporteur. Ce que vous dites est faux, monsieur Richard : l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 traitait du télétravail. Ne dites donc pas que les partenaires sociaux ne s’en sont jamais préoccupés ! Depuis 2005, le phénomène s’est amplifié, et des problèmes sont apparus : c’est pour cela que nous souhaitons que les partenaires sociaux s’emparent à nouveau de la question, pour faire un point d’étape et se mettre d’accord sur les évolutions nécessaires.

Il y aura une concertation. Faut-il tenir la main des négociateurs et dresser pour eux la liste des sujets qu’ils doivent aborder ? Je ne le crois pas. Faisons-leur confiance. Ils connaissent encore mieux que nous les questions qui sont soulevées dans les entreprises.

Je vous suggère donc de retirer l’amendement.

M. Gérard Sebaoun. Parmi les sujets à traiter, les questions du travail à domicile et du coworking sont un peu différentes.

M. Arnaud Richard. Pour montrer tout l’intérêt que j’accorde au dialogue social, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine alors l’amendement AS536 de M. Arnaud Richard.

M. Francis Vercamer. Les partenaires sociaux se sont penchés sur la question du télétravail en 2005, c’est vrai. Mais, aujourd’hui, 16 % seulement des salariés sont concernés, contre 40 % au Royaume-Uni : le télétravail a bien du mal à prendre son envol dans notre pays, pour des raisons culturelles peut-être, mais aussi parce que le haut débit n’est pas suffisamment développé. Sur ce dernier point, le Gouvernement a pris des mesures, et je m’en réjouis.

Le télétravail est un gisement d’emplois extraordinaire : il permet, en zone rurale, de travailler sans avoir à se préoccuper de transports, par exemple. Pour donner un coup d’accélérateur, je propose de supprimer complètement, pendant un an, les charges pour toute embauche d’un télétravailleur en CDI. Cela inciterait les entreprises à se pencher sur le sujet. Certes, cela coûterait de l’argent, mais cela créerait du travail et permettrait un meilleur aménagement du territoire, en aidant les zones rurales mal desservies.

En ces temps de mondialisation, cela me paraîtrait une bonne idée. De plus, un tel dispositif fiscal pousserait les partenaires sociaux à engager une concertation. L’article 26 indique en effet qu’ils ouvrent une discussion « [s’ils] le souhaitent ». S’ils ne le souhaitent pas, il ne se passera rien.

M. Gérard Sebaoun. L’idée est sans doute à creuser.

En revanche, aux termes du projet de loi, la concertation doit être engagée – les termes « si elles le souhaitent » portent sur l’ouverture éventuelle d’une négociation.

M. Francis Vercamer. Si elles ne le souhaitent pas, pas de négociation !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Elle s’ouvrira, j’en suis sûre : c’est un sujet qui s’imposera aux entreprises !

M. le rapporteur. S’agissant de la formulation de l’article, elle est tout à fait usuelle. Les partenaires sociaux doivent accepter de se saisir d’un sujet pour que s’ouvre une négociation : vous savez cela mieux que moi.

Votre amendement suggère déjà une conclusion des débats. Le législateur devra s’emparer de la question après les partenaires sociaux, peut-être de la manière que vous suggérez. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs.

Je vous propose de retirer l’amendement ; sinon, j’y serai défavorable – pour des raisons de méthode, puisque, encore une fois, je ne suis pas en désaccord sur le fond.

M. Francis Vercamer. Je retire l’amendement. Je le redéposerai en séance publique pour entendre l’avis du Gouvernement.

L’amendement est retiré.

La Commission se saisit de l’amendement AS1019 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le Parlement doit être informé des résultats de la concertation menée. C’est pourquoi cet amendement tend à demander un rapport du Gouvernement sur ce sujet avant le 1er décembre 2017. Nous avons adopté un dispositif similaire pour le compte personnel d’activité.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 26 modifié.

Après l’article 26

La Commission examine l’amendement AS946 de la commission des affaires économiques.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Cet amendement a également été proposé à la commission des affaires économiques par Mme Troallic. Il vise notamment à s’assurer que le télétravailleur dispose des moyens matériels et techniques nécessaires, que les plages horaires durant lesquelles il peut habituellement être contacté sont fixées, et que le salarié et sa hiérarchie reçoivent une formation appropriée à l’exercice du télétravail.

Toutefois, ayant entendu les réponses du rapporteur aux précédents amendements, et approuvant l’idée qu’il faut laisser toute sa place au dialogue social, je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

Article 27 : Adaptation du dialogue social aux pratiques numériques

La Commission examine l’amendement AS259 de Mme Jacqueline Fraysse.

M. André Chassaigne. Je parle souvent d’appellation d’origine contrôlée, vous le savez, et aujourd’hui je voudrais – par souci d’œcuménisme – donner plus de sens à l’appellation du projet de loi, qui tend aussi à instaurer de « nouvelles libertés pour les actifs ».

L’article 27 vise à renforcer l’utilisation des outils numériques dans l’exercice du dialogue social. Il est prévu qu’un accord d’entreprise précise notamment les modalités de diffusion numérique des informations syndicales. Ce modeste amendement demande qu’une négociation sur ce sujet puisse être engagée sur simple demande des organisations syndicales. Il s’agirait bien là d’une nouvelle liberté pour les actifs.

M. le rapporteur. Votre intention me paraît satisfaite par le texte, qui prévoit explicitement que l’absence d’accord d’entreprise n’empêchera nullement le recours à la communication syndicale en ligne. Des garanties liées à la sécurité du réseau informatique ou à la liberté de choix du salarié sont toutefois prévues afin d’assurer un encadrement minimal.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS871 et AS872 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement AS167 de M. Gérard Cherpion.

M. Élie Aboud. L’article 27 vise à faciliter la diffusion de l’information syndicale au sein de l’entreprise en limitant le regard de l’employeur sur les contenus diffusés. Il nous semble donc que, à tout le moins, les messages diffusés ne doivent pas comporter de propos nominatifs, susceptibles de semer le trouble.

M. le rapporteur. Il me semble curieux de vouloir encadrer à ce point l’expression syndicale. Je rappelle que les règles juridiques en vigueur par exemple en matière de diffamation s’appliquent à ce type de documents. Cette restriction pourrait d’ailleurs être facilement contournée en employant non pas le nom de la personne concernée, mais sa fonction au sein de l’entreprise. Avis défavorable.

M. Bernard Accoyer. Cet amendement permettrait d’améliorer le climat qui prévaut, hélas, trop souvent dans les entreprises où certaines personnes sont stigmatisées du fait de leurs responsabilités et des décisions de parti pris qu’on les soupçonne de prendre à l’encontre d’une partie du personnel.

M. Élie Aboud. Nous ne souhaitons pas compliquer la diffusion des messages syndicaux, mais, au contraire, la faciliter, puisque l’accord préalable de l’employeur pour l’utilisation de l’intranet est supprimé.

M. le rapporteur. Vous interdisez les propos nominatifs même en cas d’accord, et je répète que je ne me vois pas inscrire dans la loi qu’un document syndical ne peut mentionner le nom d’une personne. Ce serait inouï !

M. Gérard Sebaoun. Je partage l’avis du rapporteur ; il s’agit d’une proposition quelque peu lunaire.

M. Gérard Cherpion. Il ne faut pas confondre la fonction et la personne. Autant on peut critiquer les positions prises par quelqu’un dans le cadre de ses fonctions, autant il faut respecter la personne.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 27 modifié.

Après l’article 27

La Commission examine les amendements identiques AS945 de la commission des affaires économiques et AS264 de Mme Erhel.

Mme Corinne Erhel. Le numérique bouleverse aujourd’hui nos modèles et nos modes d’organisation, mais le taux de conversion ou de transition numérique dans nos entreprises reste très en deçà de ce qu’il est dans les autres pays européens. Nous proposons donc de désigner au sein des instances exécutives des sociétés anonymes un administrateur chargé du numérique. La transformation numérique est en effet un enjeu essentiel pour l’adaptation des compétences ; elle implique de surcroît de développer la collaboration entre les grands groupes, les établissements de taille intermédiaire, les PME et les start-ups. Il s’agit là d’une proposition issue du rapport d’information sur l’économie numérique que Laure de La Raudière et moi-même avons rédigé.

M. le rapporteur. Si je partage votre objectif, votre amendement n’utilise pas le bon véhicule législatif, puisque votre proposition relève du code de commerce et non du code du travail. Je vous appelle donc à le retirer.

M. Francis Vercamer. D’autant que cet amendement ne concerne que les très grosses entreprises. On imagine mal en effet qu’une PME puisse affecter un de ses administrateurs à la seule gestion du numérique. Cette proposition me paraît donc un peu illusoire.

Mme Corinne Erhel. Cela n’a rien d’illusoire puisqu’il s’agit d’une proposition issue d’un travail parlementaire. J’insiste une nouvelle fois sur notre retard en matière de conversion numérique des process. Cela étant, j’accepte de retirer mon amendement.

M. le rapporteur. Je partage votre point de vue, mais vous touchez ici aux missions du conseil d’administration.

Les amendements sont retirés.

La Commission en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements identiques AS904 de la commission des affaires économiques et AS686 de Mme Audrey Linkenheld, et de l’amendement AS521 de M. Christophe Caresche.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. L’amendement AS904 propose d’intégrer dans le droit du travail les travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation électronique, de façon à ce qu’on puisse identifier la responsabilité sociale des plateformes qui leur fournissent du travail et que ces travailleurs puissent, par voie de conséquence, bénéficier d’une assurance, du droit à la formation professionnelle, à la validation des acquis de l’expérience, du droit de grève, mais aussi de la capacité à constituer un syndicat.

M. Bernard Accoyer. Cet amendement ajoute rien moins qu’un titre à notre code du travail, le plus complexe et le plus long du monde. Nous ne sommes pas certains que cela contribuera à résorber le chômage.

M. Michel Liebgott. Monsieur Accoyer, le code du travail évolue, car le monde évolue. L’internationalisation du travail, l’émergence des centres d’appel et leur exil vers des pays à bas coût font que nous devons nous interroger sur le sort de ces travailleurs.

M. Christophe Caresche. Mon amendement reprend l’essentiel des éléments des amendements précédents. Il s’agit de mesures qui figuraient dans l’avant-projet du Gouvernement et ont été soumises au Conseil d’État. Pour une raison que je ne m’explique pas, elles ont disparu du projet de loi. Nous ne faisons donc que rétablir des dispositions proposées par le Gouvernement suite à une concertation. Il s’agit de mesures importantes, car les conflits se multiplient entre les travailleurs et les plateformes numériques, avec un risque de contentieux accru. C’est pourquoi nous proposons de sécuriser le contrat de travail entre le travailleur et la plateforme et de donner des droits nouveaux aux travailleurs.

M. le rapporteur. Ces amendements s’inscrivent dans la lignée du rapport de Pascal Terrasse sur l’économie collaborative. Ils sont inspirés par le constat que l’essor des plateformes collaboratives met à l’épreuve la distinction entre salarié et travailleur indépendant et brouille les frontières entre les activités professionnelles qui permettent de vivre et celles qui peuvent être exercées à titre occasionnel.

Vous proposez ainsi de clarifier la responsabilité sociale des plateformes en précisant les conditions de prise en charge des cotisations en matière d’accidents du travail, d’accès à la formation professionnelle, de validation des acquis de l’expérience. Je vous rejoins et suis donc favorable aux amendements identiques AS904 et AS686.

L’amendement défendu par Christophe Caresche inclut également des dispositions concernant la présomption de travail indépendant, la détermination du coût des biens partagés ainsi que la compétence des tribunaux de commerce, domaines qui restent encore à stabiliser. Je suggère donc qu’il retire son amendement.

M. Francis Vercamer. Ces dispositions ne rentrent-elles pas dans le champ du télétravail ? Dans ces conditions, il suffirait d’étendre la négociation entre les partenaires sociaux aux plateformes numériques pour régler le problème.

M. le rapporteur. La différence fondamentale est que, dans le cas du télétravail, l’on a affaire à des salariés, alors que, dans le cas des plateformes, toute la difficulté résulte précisément dans la qualification du travailleur.

Mme Eva Sas. Je pense qu’il serait pertinent d’intégrer le cas de ces travailleurs aux négociations sur le télétravail.

L’amendement AS521 est retiré.

La Commission adopte les amendements AS904 et AS686.

L’amendement AS428 de M. Christophe Caresche est retiré.

TITRE IV
Favoriser l’emploi

Chapitre Ier
Faciliter la vie des TPE et des PME et favoriser l’embauche

Avant l’article 28

La Commission adopte l’amendement rédactionnel AS953 du rapporteur.

Article 28 : Droit à l’information des employeurs des entreprises de moins de 300 salariés

La Commission adopte les amendements rédactionnels identiques AS954 du rapporteur et AS947 de la commission des affaires économiques.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements AS656 de M. Kader Arif et AS698 de M. Alain Fauré.

M. Kader Arif. Il est prévu à l’article 28 que tout employeur d’une TPE ou d’une PME puisse adresser une question relative à l’application du droit du travail à l’administration, qui dispose d’un délai raisonnable pour lui répondre. Craignant que le temps économique, le temps social et le temps administratif n’aient pas les mêmes horloges, je propose, pour accroître la sécurité juridique, de déterminer un délai précis de deux mois, ce qui correspond au délai de droit commun prévu dans la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens.

Mme Isabelle Le Callennec. L’article 28 me laisse sceptique. Il existe déjà beaucoup trop de structures à disposition des entreprises pour leur fournir des informations. Mieux vaudrait s’atteler à rendre le droit du travail moins complexe, alors que, à l’issue de nos travaux sur ce projet de loi, il le sera davantage. C’est ubuesque.

M. Michel Issindou. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle structure, mais de faire obligation à l’administration de répondre dans un certain délai. Je pense, cela étant, qu’un délai raisonnable ne signifie pas grand-chose, et que poser un délai de deux mois est plus pertinent. En effet, les entreprises se plaignent souvent du manque de réactivité des administrations. Il existe d’ailleurs déjà des règles similaires dans l’administration fiscale, où l’absence de réponse dans les deux mois vaut souvent acceptation. Il s’agit donc d’une mesure de bon sens.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Un délai de deux mois ne me paraît pas non plus adapté. Selon les demandes – une question touchant au licenciement, par exemple –, l’employeur peut avoir besoin d’une réponse dans un délai de quelques jours. Un délai « raisonnable » a au moins le mérite de la souplesse.

M. Bernard Accoyer. Cet amendement fixe à deux mois le délai de réponse par l’administration, mais, si l’administration ne s’y conforme pas, il ne se passe rien. Je propose donc de le sous-amender avec l’ajout suivant : « En cas de manquement, la responsabilité de l’employeur est dégagée. »

Mme Isabelle Le Callennec. Lorsque les entreprises ont besoin d’informations, elles ont à leur disposition toute une gamme de structures pour y répondre. Lorsqu’elles s’adressent à l’administration, c’est dans l’idée que celle-ci leur fournira une réponse exacte. Or il arrive que certains services soient dans l’incapacité de répondre précisément, tant les textes peuvent être interprétés de diverses manières. Ce que demandent les entreprises, c’est une trace écrite, ce qui n’est pas précisé dans le texte.

Il est par ailleurs indiqué que l’administration peut associer aux services d’information des représentants des collectivités territoriales, des organisations syndicales et professionnelles. Or les entreprises souhaiteraient qu’on leur facilite la vie avec un guichet unique.

M. Francis Vercamer. Je conteste à mon tour la pertinence du délai « raisonnable » et notre amendement AS555 définit avec précision plusieurs délais selon les cas. Si ces précisions relèvent davantage du règlement, peut-être le rapporteur pourrait-il sous-amender l’amendement pour en renvoyer les modalités d’application à un décret.

Nous allons par ailleurs examiner, après l’article 28, un amendement proposant l’établissement d’un rescrit social. Pour un employeur, en effet, le problème n’est pas uniquement d’obtenir une réponse, mais de pouvoir se protéger juridiquement.

M. Gérard Cherpion. C’est en effet le problème du rescrit social qui se pose ici et non celui du délai qui, comme l’a fait remarquer la présidente, peut être très variable selon le type de problème. La mise en place de ce rescrit simplifierait évidemment la vie des entreprises.

Mme Monique Iborra. Cet amendement a le mérite de définir un délai, avec toutes les difficultés que cela comporte et qui ont été évoquées. En revanche, il n’y est pas indiqué que, passé ce délai, la demande est réputée acceptée. Il conviendrait de le préciser.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Peut-être M. Accoyer peut-il rédiger un amendement en ce sens pour la séance.

M. le rapporteur. Je suis conscient que la notion de délai raisonnable est une notion floue, mais le qualifier plus précisément ne tiendrait pas compte de la diversité des situations.

En ce qui concerne le rescrit social, je trouve fort de café qu’on puisse demander son instauration quand, pendant des années, on s’est évertué à diminuer les moyens de l’administration !

M. Bernard Accoyer. Ce n’est pas le sujet !

M. le rapporteur. Mais si, monsieur Accoyer, car, en fixant un délai, votre idée est de légitimer les agissements de l’employeur en cas de non-réponse dans les temps. Nous devons faire preuve de réalisme…

Après avoir travaillé de manière approfondie sur le rescrit social, j’ai préféré, dans un souci de pragmatisme, présenter un autre amendement pour améliorer l’information des employeurs, considérant que les moyens actuels ne permettaient pas de mettre en place cette procédure. Je proposerai également un amendement pour remédier à l’éparpillement des intervenants dans ce domaine.

Ceux qui veulent imposer un délai semblent parier sur l’incapacité de l’administration à respecter les délais et sur la validation systématique de la demande de l’employeur qui en résulterait. Je vous concède que la notion de délai raisonnable est floue, mais il ne faut pas l’interpréter comme un encouragement à allonger les délais.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le principe selon lequel le silence de l’administration vaut accord est pertinent sur une question fermée. En revanche, ce principe ne peut pas s’appliquer sur une question ouverte, qui n’appelle pas de réponse par oui ou par non.

Imposer un délai ne correspond pas à la réalité des besoins des entreprises.

M. Kader Arif. La langue française est riche, mais parfois imparfaite. Le mot raisonnable ne répond pas aux attentes des entreprises et des citoyens à l’égard de l’administration. On pourrait compléter mon amendement en précisant que la durée de deux mois est un maximum. Ce serait une erreur que de refuser de fixer un délai. La formulation actuelle n’est pas acceptable.

Mme Bernadette Laclais. L’amendement AS698 procède de la même philosophie que celui de M. Arif, mais il propose un délai plus court. Après le débat qui vient d’avoir lieu, je le retire, sans pour autant être convaincue du bien-fondé du délai raisonnable.

Pour la séance, nous devrions présenter un amendement qui distingue les demandes d’information pour lesquelles un délai de réponse de deux mois maximum serait fixé et les demandes susceptibles de créer du droit, pour lesquelles le principe « le silence vaut accord » s’appliquerait.

C’est faire honneur aux hommes et aux femmes qui travaillent dans l’administration que de penser qu’ils sont capables d’apporter une réponse à la question qui leur est posée dans le délai convenu.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Les plateformes interactives des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) ont suscité beaucoup de doutes et d’interrogations. Or il s’avère qu’elles fonctionnent très bien. J’en ai fait l’expérience personnellement. Le site ameli.fr apporte une réponse rapide et personnalisée. L’interaction avec les agents est très efficace. Il n’a pas été nécessaire de fixer un délai pour que ce service donne globalement satisfaction. Des ajustements seront sans doute nécessaires, mais faisons confiance aux agents du service public.

Je regrette que les chambres consulaires n’accomplissent pas le travail d’information des TPE. Il est parfois difficile d’y trouver le bon interlocuteur et d’obtenir des réponses dans un délai satisfaisant.

Mme Isabelle Le Callennec. Les chambres consulaires reprochent au législateur les changements constants de la réglementation.

Je rends hommage à certains services publics. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), qui sont très sollicitées, ont fait d’énormes efforts pour être accessibles aux entreprises. Les agents ont pris conscience de l’appui qu’ils doivent aux entreprises dans la situation actuelle. Cette disponibilité doit être la marque de fabrique des services publics. Des progrès sérieux ont été accomplis en ce sens.

Mme Monique Iborra. Madame la présidente, la CPAM n’est pas la DIRECCTE. Cette dernière est très sollicitée et ne dispose pas des mêmes moyens que la CPAM.

Fixer un délai, sans sanctionner son non-respect, permet peut-être d’adresser un signal aux entreprises, mais, dans les faits, c’est complètement inutile.

M. Bernard Accoyer. Ce débat est la conséquence des dérapages de la commission dans laquelle nous siégeons.

Le rapporteur a présenté comme rédactionnel un amendement avant l’article 28 qui modifie le titre du chapitre Ier du titre IV en substituant aux mots : « Faciliter la vie », les mots : « Améliorer l’accès au droit ». Tout est dit.

Notre droit du travail est devenu au fil du temps excessivement complexe, avec un code de plus de 3 000 pages. Or que faisons-nous depuis trois jours, si ce n’est en ajouter ? Nous sommes responsables du problème devenu insoluble auquel les fonctionnaires des services publics se trouvent confrontés.

En refusant le rescrit social, vous rejetez sur les TPE et les PME l’impossible mission de trouver leur chemin dans le maquis du droit social. La complexité du code du travail est devenue ingérable pour celles qui n’ont pas de services spécialisés à leur disposition. La faute n’en revient pas aux fonctionnaires, mais au législateur et à l’exécutif.

Il faut adopter ces amendements pour nous obliger à simplifier le code du travail.

L’amendement AS698 est retiré.

La Commission rejette l’amendement AS656.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS948 de la commission des affaires économiques.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques AS963 du rapporteur et AS950 de la commission des affaires économiques.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. L’amendement AS950 dispose que le droit à l’information de l’employeur « peut porter sur les démarches et procédures légales à suivre face à une situation de fait. Si cette demande est suffisamment précise et complète, le document formalisant la prise de position de l’administration peut être produit par l’entreprise en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi. »

Outre la sécurité juridique qu’il apporte aux entreprises, cet amendement vise à inciter le tribunal à se prononcer au fond, puisque la bonne foi de l’employeur dans le respect des procédures est reconnue.

M. Bernard Accoyer. Cet amendement paraît frappé au coin du bon sens. Il s’inscrit dans la logique que nous avons défendue précédemment, peut-être de manière un peu caricaturale. Convenez que, avec 10 000 articles et 3 500 pages, le code du travail est devenu difficile à interpréter. En 1973, le code du travail comptait 600 pages. En Suisse, où le taux de chômage est inférieur à 5 %, il comporte aujourd’hui 54 pages.

Mme Isabelle Le Callennec. L’expression « suffisamment précise et complète » pour qualifier la demande de l’employeur me semble sujette à interprétation.

M. le rapporteur. Mon amendement est identique à celui de la commission des affaires économiques, qui est l’auteur original de cette proposition pragmatique. La reconnaissance de la notion de bonne foi dans la démarche de l’employeur, sans pour autant créer un droit opposable, représente une avancée significative.

La Commission adopte les amendements.

L’amendement AS949 de la commission des affaires économiques est retiré.

La Commission examine l’amendement AS955 du rapporteur.

M. le rapporteur. Pour résoudre le problème de la dispersion des intervenants, évoqué par Mme Le Callennec, cet amendement prévoit la mise en place d’un service public de l’accès au droit pour les employeurs, réunissant l’ensemble des acteurs qui proposent un service d’information aux petites et moyennes entreprises.

Aujourd’hui, les interlocuteurs ne manquent pas : services de renseignement des DIRECCTE, inspection du travail, « correspondants PME », chambres consulaires, conseils départementaux de l’accès au droit, et bientôt commissions paritaires régionales interprofessionnelles. Bref, une clarification s’impose. Avec cet amendement, les services d’information spécialisés créés par l’article 28 seraient rebaptisés service public de l’accès au droit et pourraient fournir une information sur toute question relative au droit du travail, mais également aider les entreprises de moins de 300 salariés dans leurs démarches. Y seraient explicitement associés les chambres consulaires – je considère que l’accompagnement des entreprises, en particulier les PME, fait partie de leurs missions –, les futures commissions paritaires interprofessionnelles ou les conseils départementaux de l’accès au droit. Ces différents acteurs remplissent déjà des missions d’aide et de soutien envers les entreprises. Mais il s’agit de mettre en place une porte d’entrée unique pour simplifier l’accès au droit et garantir l’accompagnement des entreprises.

Mme Isabelle Le Callennec. Comment ce service public de l’accès au droit va-t-il s’organiser sur le terrain alors que ces structures sont parfois en concurrence ? Sera-t-il uniquement virtuel ou accompagné d’une plateforme téléphonique ?

Compte tenu de la multiplication des acteurs, ce dispositif risque de ne pas être simple à mettre œuvre. Votre intention est louable – tout le monde aspire à la création d’un guichet unique, même virtuel –, mais qui répondra au téléphone ? Y aura-t-il un numéro vert ?

On nous reproche sans cesse de ne pas nous préoccuper de la mise en œuvre sur le terrain des mesures que nous votons. Nous sommes ici pour améliorer la vie des gens, pas pour la leur compliquer. Pardonnez-moi de poser ces questions concrètes.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous êtes toujours négative alors que nous vous citons des exemples concrets de réussites, la dernière en date étant celle de la prime d’activité pour laquelle un dispositif numérique permettant de connaître ses droits et de faire des simulations a été mis en place.

Mme Isabelle Le Callennec. Et le régime social des indépendants (RSI) ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous ne sommes pas responsables des dysfonctionnements du RSI. Nous avons dû les gérer. Nous aurions certainement procédé différemment si nous avions eu à le mettre en place.

M. André Chassaigne. Nous ne pouvons que nous réjouir chaque fois que nous faisons un pas vers un guichet unique.

Je m’interroge sur le périmètre du service public d’accès au droit que vous instaurez. Est-il réservé aux entreprises ? Les salariés et leurs représentants pourront-ils également avoir accès à ces nouvelles protections ?

M. le rapporteur. L’instauration d’un service public d’accès au droit pose inévitablement la question d’une plateforme réunissant l’ensemble des acteurs. Mais d’autres étapes doivent encore être franchies avant d’y parvenir. Dans le même esprit, nous avons débattu hier de l’idée d’une plateforme sur les droits sociaux dans le cadre du compte personnel d’activité.

La prime d’activité est un bon exemple de ce qu’il est possible de faire. Outre le simulateur de la caisse d’allocations familiales, je tiens également à citer le site mes-aides.gouv.fr qui permet de connaître l’ensemble des aides – pas seulement la prime d’activité – auxquelles une personne a droit. Tous ces supports numériques procèdent de la même logique.

Aujourd’hui, les différents intervenants offrent du conseil, souvent gratuit, et des services, qui peuvent être payants. Mais ils restent des acteurs du service public. J’insiste, les chambres consulaires exercent une mission de service public.

Pour répondre à M. Chassaigne, je précise que le service public d’accès au droit est placé dans le chapitre relatif aux TPE-PME. Il est donc focalisé sur les réponses aux demandes des chefs d’entreprise. Mais il me semble que l’idée d’un point d’entrée unique pour les salariés pourrait être très pertinente. Toutefois, je l’avoue, cela ne figure pas dans mon amendement.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AS350 et AS351 de M. Christophe Cavard tombent.

La commission examine, en discussion commune, les amendements AS514 de M. Jean-Louis Costes et AS555 de M. Arnaud Richard.

M. Gilles Lurton. L’amendement AS514 est défendu.

M. Francis Vercamer. L’amendement AS555 s’inspire de la charte Marianne adoptée en 2005 pour l’ensemble des administrations.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette successivement les amendements.

La Commission en vient à l’amendement AS554 de M. Arnaud Richard.

M. Francis Vercamer. Il paraît important de s’assurer que les entreprises obtiennent les informations qu’elles sollicitent de l’administration dans un délai raisonnable. À cet effet, le Gouvernement remet un rapport mesurant la satisfaction des entreprises.

M. le rapporteur. Je ne tiens pas à créer un dangereux précédent en acceptant d’inscrire dans la loi les enquêtes de satisfaction. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 28 modifié.

Après l’article 28

La Commission examine, en discussion commune, les amendements AS223 de M. Patrick Hetzel et AS535 de M. Arnaud Richard.

M. Élie Aboud. J’ai cru comprendre que le rapporteur était ouvert à l’idée du rescrit social. L’amendement propose d’expérimenter cette procédure pendant une durée de deux ans.

M. Francis Vercamer. Nous déposons cet amendement sur le rescrit social depuis plusieurs années, dans le dessein de sécuriser les PME.

Les grandes entreprises possèdent tous les outils juridiques pour se défendre contre l’administration et obtenir les informations nécessaires à leur bon fonctionnement. Ce n’est pas le cas des PME qui doivent donc pouvoir être protégées.

Le rescrit social existe dans certains domaines – les exonérations de cotisations sociales par exemple –, mais il ne couvre pas l’ensemble des sujets abordés par le code du travail. Or, compte tenu de sa complexité, les litiges sont de plus en plus importants. Il faut garantir aux PME la sécurité des informations qui leur sont délivrées.

M. le rapporteur. Ces amendements sont en partie satisfaits par l’ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015, que l’article 31 du projet de loi propose de ratifier et qui prévoit un mécanisme de rescrit social sur deux sujets : le respect de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, d’une part, et l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, d’autre part. Vos amendements vont au-delà : ils visent à étendre le rescrit social à l’ensemble des points relevant du code du travail, ce qui est un objectif souhaitable à terme.

En l’état actuel, il ne peut toutefois être atteint. Dans son rapport, Jean-Denis Combrexelle écarte cette piste qui serait constitutive d’une charge de travail pour les DIRECCTE que leurs moyens actuels ne leur permettent pas de remplir.

Les moyens des administrations de l’État ont été réduits de manière drastique. Il ne leur est tout simplement pas possible de procéder dans des délais satisfaisants à l’étude que suppose le rescrit social, lequel, rappelons-le, n’est pas une simple information, mais consiste en un engagement de l’administration qui vaut droit opposable. Je trouve qu’il y a une forte incohérence de la part de certains à réclamer, à l’approche des élections, une réduction des moyens des administrations et, dans le même temps, à proposer d’instaurer ce type de mesure.

Nous ne pouvons inscrire dans la loi cette disposition en étant conscients qu’il n’est pas matériellement possible de la mettre en œuvre. Elle fait en outre courir le risque d’usages détournés : en l’absence de réponse, les employeurs pourraient considérer qu’il y a accord et s’exonérer de se conformer aux diverses réglementations.

Avis défavorable à ces deux amendements.

Mme Isabelle Le Callennec. Si nous devons tendre vers cet objectif, monsieur le rapporteur, il faut se demander de quelle manière. Vous parlez des annonces concernant la réduction des emplois publics sans évoquer le pendant de ces propositions : l’augmentation du temps de travail, qui pourra être une solution dans le cas qui nous occupe. Le rescrit suppose en effet que les administrations y consacrent du temps. Et je ne crois pas que vous fassiez en sorte qu’elles en disposent – le ministre du budget lui-même se targue de faire des économies de dépenses publiques.

Les services publics doivent être au service du public. Les entreprises ont besoin d’une information rapide et juste. Il nous faut progresser. Sachons donc nous attaquer à la racine du mal : cessons de trop légiférer et mettons en place des dispositifs plus simples et plus lisibles – ce que nous ne sommes pas forcément en train de faire ce matin.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Si l’on suit votre logique, pourquoi ne pas proposer une généralisation des plateformes qui permettraient de faire l’économie des services d’avocats spécialistes du droit du travail ?

M. Francis Vercamer. Monsieur le rapporteur, j’aimerais préciser que je n’ai jamais appelé à la contraction des services administratifs et que l’Union des démocrates et indépendants ne prône pas une réduction de l’emploi public.

Le rescrit s’inscrit pour moi dans une logique de prévention et non de répression : il permet aux entreprises de se protéger grâce à une réponse opposable de l’administration. Je préfère que le personnel administratif se consacre à aider les entreprises plutôt qu’à les sanctionner en cas de contrôle révélant des pratiques non conformes.

M. le rapporteur. Je souris, monsieur Vercamer, à l’évocation de votre position sur l’emploi public. Je n’ai pas souvenir que vous vous soyez particulièrement démarqué lors des votes des budgets de la majorité précédente.

Le rescrit social ne joue pas seulement un rôle préventif. En tant que droit opposable, il sert aux entreprises pour des procédures ultérieures. Il engage la responsabilité de l’administration sur le long terme et nécessite donc que la réponse fournie soit parfaitement étayée. Compte tenu des moyens dont disposent actuellement nos administrations, l’extension que vous proposez, et au principe de laquelle j’adhère, est hors de notre portée.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement AS154 de M. Élie Aboud.

M. Élie Aboud. Voici un amendement susceptible de mettre tout le monde d’accord. Nous le savons, les PME et les TPE se heurtent au mépris des banques. Nous entendons ici poser le principe que les établissements de crédit sont tenus d’examiner favorablement les demandes de crédits, sous réserve d’un apport substantiel.

M. le rapporteur. Comme j’aimerais pouvoir répondre favorablement à cet amendement, monsieur Aboud. Malheureusement, plusieurs raisons m’en empêchent.

D’abord, il y a cette formulation : « les établissements de crédit sont tenus d’examiner favorablement les demandes de crédits des personnes morales en situation de fragilité financière qui en font la demande ».

Ensuite, sa portée normative est extrêmement fragile : il ne prévoit ni sanction ni contrôle.

Enfin, ce sujet relève du code monétaire et financier.

M. Michel Issindou. Monsieur Aboud, je dois vous dire ma stupeur : comment avez-vous pu penser insérer une telle disposition dans le code du travail qui régit les relations entre salariés et employeurs ? Ne vous trompez pas de débat !

M. Gérard Cherpion. Je ne suis pas certain que M. Aboud se trompe de débat dans la mesure où nous nous situons dans le chapitre Ier du titre IV qui s’intitule « Faciliter la vie des TPE et des PME et favoriser l’embauche ».

Il s’agit de toute façon d’un amendement d’appel qui vise à souligner les difficultés de financement que rencontrent beaucoup d’entreprises. Très souvent, les banques examinent trop rapidement les dossiers, tardent à donner des réponses ou changent d’avis.

M. Élie Aboud. Je conçois que le terme « favorablement » vous choque et je peux le modifier, mais je ne sais pas si vous avez pris en compte tous les éléments de mon amendement. Cet avis favorable ne peut être exigé que si l’entreprise n’est pas dans le rouge.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Aboud, je tiens à souligner que, depuis 2008, les gouvernements successifs ont tous veillé à ce que les banques examinent avec la plus grande attention les dossiers des petites entreprises pour les prêts de trésorerie.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AS12 de M. Jean-Charles Taugourdeau et AS119 de M. Élie Aboud.

Mme Isabelle Le Callennec. L’amendement AS12 vise à obliger l’établissement bancaire à recevoir, dans un délai de quarante-huit heures, l’entreprise à laquelle il aurait refusé un prêt afin de lui expliquer les raisons de sa décision.

M. Élie Aboud. Les entreprises, comme je le disais, sont trop souvent en butte au mépris des banques. Elles essuient des refus sans aucune argumentation de fond. Il serait utile d’inscrire cet entretien dans la loi.

M. le rapporteur. Je ne crois pas que cette mesure, qui relève du code monétaire et financier, ait sa place dans une loi sur le travail.

Par ailleurs, pour les petites entreprises, la difficulté principale me semble être moins l’obtention d’un rendez-vous que le refus de prêt. Votre solution ne me paraît pas à la hauteur des problèmes qui se posent à elles.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Une telle disposition serait une atteinte à la liberté d’entreprendre et je suis étonnée qu’elle émane de vos rangs, vous qui êtes des défenseurs de l’entreprise privée.

M. Gérard Cherpion. Il n’est pas question de s’immiscer dans l’organisation de la banque. Nous savons tous que les entreprises ont des difficultés pour obtenir des crédits bancaires, même pour se développer. Si le financement participatif a tant de succès, c’est que le crédit bancaire ne répond pas aux besoins. Les plateformes de crowdfunding se substituent en quelque sorte aux banques.

Instaurer une obligation de réponse me paraît nécessaire : les banques doivent expliquer pourquoi elles ont refusé un prêt.

M. André Chassaigne. N’oublions pas le rôle que joue le médiateur du crédit, qui est souvent le représentant de la Banque de France et qui a la possibilité de travailler main dans la main avec la Banque publique d’investissement.

Mme Isabelle Le Callennec. Notre amendement ne concerne pas seulement les entreprises souffrant de difficultés financières. Il couvre aussi celles qui sollicitent les banques pour financer leur développement. Elles aimeraient pouvoir défendre leur projet devant les membres du comité de crédit qui, aujourd’hui, prennent leur décision après l’examen d’un simple dossier.

M. André Chassaigne. Je suis très sensible aux arguments que viennent d’exposer nos collègues de droite : développons donc dans notre pays un pôle public bancaire !

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement AS691 de M. Alain Fauré, qui fait l’objet des sous-amendements AS1051 à AS1053 du rapporteur.

M. Christophe Caresche. L’amendement est défendu.

M. le rapporteur. Je suis favorable à cet amendement, sous réserve de l’adoption de trois sous-amendements.

Sa rédaction actuelle me paraît en effet poser deux difficultés.

Premièrement, il prévoit que l’exonération de cotisations n’excède pas 61 euros par salarié et par an. Je rappelle que ce même plafond est appliqué pour chacun des sept types d’événements mentionnés au III : naissance, adoption ; mariage, pacs ; départ à la retraite ; fête des mères ou des pères ; Sainte-Catherine ou Saint-Nicolas ; Noël ; rentrée scolaire. Si l’on considère que quatre de ces sept événements ont une récurrence annuelle – fête des mères ou des pères, Sainte-Catherine ou Saint-Nicolas, Noël, rentrée scolaire –, on aboutit à une exonération de 804 euros par salarié et par an, soit un montant assez substantiel. En outre, la mention de tous ces événements dans la loi ne me paraît pas opportune.

Deuxièmement, le V pose problème, car il prévoit que l’achat de biens culturels est exonéré de cotisation sans aucune limitation.

Pour répondre à la première difficulté, je propose de simplifier la rédaction en supprimant les alinéas 3 à 14 et de prévoir que l’exonération de cotisation ne peut excéder, au cours d’une année civile, 10 % du plafond mensuel de la sécurité sociale par bénéficiaire, soit 322 euros.

Pour répondre à la deuxième difficulté, le sous-amendement AS1053 prévoit, pour les biens culturels, une exonération allant jusqu’à 20 % du plafond mensuel de la sécurité sociale, soit 644 euros.

Mme Bernadette Laclais. Nous sommes favorables à ces sous-amendements.

M. Arnaud Richard. Cet amendement n’est pas neutre, cela n’aura échappé à personne. Je comprends dans quel esprit ses auteurs l’ont déposé, mais il faut bien voir qu’il concerne une activité économique extrêmement puissante liée aux comités d’entreprise. J’aimerais savoir comment le rapporteur envisage les conséquences de cette évolution de la législation qui va grandement contenter les entreprises de chèques-cadeaux.

M. le rapporteur. Il s’agit d’une pratique déjà tolérée par l’URSSAF : nous nous contentons de l’inscrire dans la loi.

La Commission adopte successivement les sous-amendements AS1051 à AS1053.

Puis elle adopte l’amendement AS691 sous-amendé.

Elle en vient à l’amendement AS19 de M. Jean-Charles Taugourdeau.

Mme Isabelle Le Callennec. Cet amendement est ainsi rédigé : « Lorsqu’une demande de mise aux normes comporte des risques affectant significativement le niveau de production, l’emploi des salariés ou l’équilibre financier de l’entreprise, l’exécution de celle-ci est suspendue sous réserve d’une atteinte grave aux conditions d’hygiène et de sécurité. La mise en conformité avec les normes fait alors l’objet d’un dialogue entre l’entreprise et les pouvoirs publics permettant d’établir un calendrier prévisionnel qui assure la pérennité de l’activité. »

Les chefs d’entreprise évoquent constamment devant nous le poids des charges et des normes. Par cet amendement, nous souhaitons encourager un dialogue entre les entreprises et les pouvoirs publics pour mettre au point la meilleure application possible des normes.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Voici un amendement pour le moins surprenant.

M. le rapporteur. Cet amendement inscrit dans la loi la possibilité pour les entreprises de se soustraire aux mises aux normes lorsqu’elles affectent significativement le niveau de production ou l’emploi, ce qui est pour moi une énormité. Avis très défavorable.

M. Bernard Accoyer. Il s’agit d’un amendement d’appel destiné à souligner que, avec 500 000 normes, notre pays ne s’en sort plus. Celles qui pèsent sur les entreprises rendent leur vie souvent impossible, notamment lorsqu’elles exigent d’elles des travaux hors de leur portée financière. Vous ne pouvez pas balayer d’un revers de main, monsieur le rapporteur, la question extrêmement grave ici soulevée.

M. Gérard Sebaoun. Pour que vous preniez la mesure de l’énormité de votre proposition, madame Le Callennec, citons l’exemple de la loi de 2005 : parce que l’installation d’un ascenseur menacerait l’équilibre financier d’une entreprise, elle pourrait s’exonérer de ses obligations en matière de mise aux normes pour l’accessibilité des personnes handicapées.

Mieux vaudrait que vous retiriez cet amendement.

Mme Isabelle Le Callennec. À mon tour de citer un exemple : des chantiers ont dû être arrêtés dans l’instant parce que des inspecteurs du travail avaient constaté qu’ils ne comportaient pas de toilettes séparées pour les hommes et pour les femmes !

Notre amendement vise à éviter ce genre de situations qui pourrissent la vie des entreprises et créent bêtement des dissensions avec l’inspection du travail. Les inspecteurs du travail exigent une application immédiate des normes ; les entreprises, elles, ont parfois besoin d’un peu de temps. Nous militons pour une application des lois et des normes empreinte de tact et de mesure.

La Commission rejette l’amendement.

Article 29 : Accords types de branche

La Commission examine l’amendement AS657 de M. Kader Arif.

M. Michel Liebgott. L’amendement est défendu.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à étendre, par un accord de branche, le bénéfice des comités d’entreprise aux salariés des entreprises employant moins de cinquante salariés. Je rappelle que, dans ces entreprises, les délégués du personnel peuvent déjà exercer les attributions du comité d’entreprise. Par ailleurs, il est déjà possible, par accord collectif, de prévoir pour elles la mise en place d’un comité d’entreprise.

Enfin, il n’est pas techniquement envisageable de prévoir une affiliation par accord de branche des entreprises de cinquante salariés et plus, car il y a une impossibilité de faire participer les salariés des entreprises de moins de cinquante salariés à l’élection des membres du comité d’entreprise. L’employeur de l’entreprise disposant d’un comité d’entreprise ne saurait être tenu de payer pour les salariés d’autres entreprises. En outre, se pose un problème en termes d’attributions économiques des comités d’entreprise, qui concernent par définition une entreprise en particulier.

Argument supplémentaire, s’il en était besoin, cet amendement est en partie satisfait par la création, par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), destinées à représenter les salariés et les employeurs des entreprises de moins de cinquante salariés relevant des branches n’ayant pas mis en place de commission paritaire régionale. Ces CPRI ont en effet des attributions proches, par certains aspects, de celles d’un comité d’entreprise.

Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement AS696 de M. Alain Fauré.

Mme Bernadette Laclais. Cet amendement vise à renforcer la place des mesures spécifiques aux TPE et PME de moins de cinquante salariés dans les accords types de branche prévus à l’article 29 du projet de loi.

M. le rapporteur. C’est plus qu’un amendement rédactionnel : vous suggérez que, dans tous les accords de branche étendus, figurent des stipulations spécifiques pour les entreprises de moins de cinquante salariés. Cela me paraît excessif. Avis défavorable.

M. Bernard Accoyer. Cet amendement souligne deux problèmes spécifiques à notre code du travail et qui pèsent lourdement sur l’emploi : les difficultés de s’y retrouver dans les dispositifs, ce qui fait l’objet de l’amendement ; le problème des seuils – celui de cinquante salariés comme les autres – qui sont autant de barrières à l’embauche. Cet amendement rehausserait encore la marche des cinquante salariés, trop rarement franchie par les entreprises.

Mme Bernadette Laclais. Je maintiens mon amendement. Contrairement à ce que dit M. Accoyer, la situation des TPE et PME de moins de cinquante salariés ne serait pas aggravée, bien au contraire, par ces mesures spécifiques les concernant.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je ne suis pas sûre, madame Laclais, que l’Union professionnelle artisanale (UPA) demande une telle disposition : elle n’a pas envie que l’on impose des choses dans chaque entreprise et préfère qu’un accord de branche couvre les TPE. Elle estime trop contraignant pour ses adhérents d’avoir à prendre des dispositions spécifiques. Il faut leur laisser cette liberté.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS956 et AS957 du rapporteur.

Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement AS951 de la commission des affaires économiques et l’amendement AS370 de M. Christophe Cavard.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. C’est un amendement rédactionnel.

Mme Véronique Massonneau. Le texte n’incite pas suffisamment à la négociation en laissant trop de place au pouvoir unilatéral de l’employeur, puisqu’il est le seul, dans la rédaction initiale, à choisir la disposition qui s’appliquera dans son entreprise lorsque l’accord type prévoit des options. Le texte doit donc favoriser la négociation, y compris avec les salariés mandatés lorsqu’il n’existe pas de délégué du personnel. En outre, pour les TPE, le texte doit favoriser l’accès à l’information des salariés des quelques 800 000 entreprises de moins de onze salariés.

M. le rapporteur. Je demande à mes deux collègues de bien vouloir retirer leur amendement au profit de l’un des miens qui couvre leur demande et va même au-delà. À l’avis des salariés que vous mentionnez, j’ajoute notamment celui des CPRI. Je propose que nous cosignions cet amendement AS964.

Les amendements AS951 et AS370 sont retirés.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS958 et AS959 puis l’amendement AS964 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 29 modifié.

Après l’article 29

La Commission examine l’amendement AS952 de la commission des affaires économiques.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Cet amendement concerne les entreprises de moins de cinquante salariés. Le plafonnement des indemnités de licenciement n’a pas été retenu dans le texte ; les montants resteront indicatifs comme prévu dans la loi Macron. Le plafonnement avait été envisagé pour sécuriser les petites entreprises qui peuvent se retrouver en difficulté après avoir été condamnées par les tribunaux prud’homaux à verser de lourdes indemnités à l’issue d’un conflit social.

Cet amendement propose d’autoriser les entreprises de moins de cinquante salariés à constituer des provisions à titre préventif, même si aucune procédure n’est effectivement engagée. Actuellement, la loi permet de provisionner quand un salarié engage une procédure et que le commissaire aux comptes évalue le dol potentiel pour l’entreprise. Avec cet amendement, les entreprises de moins de cinquante salariés pourraient anticiper ce risque en passant une provision d’un montant ne pouvant excéder un mois de masse salariale. Un tel dispositif est rassurant à la fois pour le salarié et pour le chef d’entreprise : le premier est assuré que l’entreprise ne sera pas défaillante ; le second peut profiter d’un moment où son entreprise est en bonne santé pour provisionner cette charge et en déduire le montant de ses bénéfices.

M. Bernard Accoyer. Nous aurions voté des deux mains l’article du projet initial qui prévoyait un plafonnement des indemnités prud'homales. Le Gouvernement a reculé, c’est bien dommage. Cet amendement va dans le bon sens. Il prend acte du fait que la vie des entreprises dépend souvent du niveau des indemnités qu’elles doivent verser. Dans mon département, la Haute-Savoie, plus de 50 % des dépôts de bilan sont liés à l’incapacité des entreprises à payer des indemnités. C’est malheureux pour tout le monde : pour les salariés concernés par le licenciement économique initial et pour tous les autres. Il est dommageable que le Gouvernement ait reculé sur une disposition centrale du texte. Nous voterons pour le présent amendement qui indique la bonne voie.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je soutiens cet amendement qui propose une mesure très attendue par les chefs d’entreprise : le dispositif leur permettra d’anticiper les difficultés et de traverser les périodes délicates.

Mme Isabelle Le Callennec. La ministre nous a expliqué qu’elle avait supprimé, dans le projet de loi, le plafonnement des indemnités prud’homales au profit d’un dispositif contenu dans la loi Macron, qui permet d’établir un barème indicatif des indemnités par décret. Monsieur le rapporteur, savez-vous si ce décret très attendu va paraître dans les semaines ou les mois à venir ? Entre les deux versions du projet de loi, le sujet des indemnités a provoqué de nombreux débats. Cet amendement est un pis-aller, mais il permet d’aller dans le bon sens.

M. Alain Calmette. Je ne crois pas qu’il faille absolument et systématiquement faire un lien entre le plafonnement abandonné et cet amendement. Néanmoins, je pense aussi que cet amendement va dans le bon sens. Il contribue à l’appui aux PME que visent nombre des mesures que nous examinons ce matin. Petit à petit, nous modifions le texte dans un sens favorable aux PME qui pouvaient – sans doute légitimement – se sentir exclues. Avec cette mesure, nous les mettons vraiment au cœur de nos préoccupations.

M. Gérard Cherpion. Cet amendement répond vraiment au titre du chapitre : il cherche à améliorer l’accès au droit et à faciliter la vie des TPE. Nous n’avons tous que trop d’exemples d’entreprises confrontées à de graves difficultés, et dont la pérennité – avec la totalité des emplois – peut être compromise à cause d’indemnités à verser. Cet amendement va dans le bon sens, en permettant au chef d’entreprise de passer une provision pour accident – car, sans préjuger de la légitimité des raisons invoquées par les uns ou les autres, et tout en respectant l’avis des conseils de prud’hommes, on peut considérer cela comme un accident. L’entreprise pourra ainsi surmonter le problème sans connaître de difficultés bancaires : on le sait, dans de tels cas, les banques n’apportent guère leur soutien.

M. Gérard Sebaoun. Cette idée est intéressante, mais elle pose un problème, étant donné la différence de taille – et donc de masse salariale et de provisions potentielles – des entreprises auxquelles la mesure s’appliquerait. Dans une entreprise de trois salariés, la provision ne couvrira à peu près rien de ce que pourrait obtenir en indemnités un salarié licencié pour cause réelle et sérieuse ; dans une entreprise de quarante-neuf salariés, le risque sera très largement couvert.

Mme la présidente Catherine Lemorton. J’approuve cet amendement, mais voudrais apporter une précision. Pour une entreprise, un licenciement se traduit le mois suivant par un effet bénéfique sur la trésorerie : en attendant l’avis des prud’hommes, il peut s’écouler douze ou quinze mois durant lesquels l’entreprise n’a plus les salaires et les cotisations afférentes à payer. Une entreprise, qui licencie trois ou quatre salariés pour raison économique, va utiliser cette trésorerie supplémentaire pour pallier ses difficultés. Dans le cadre d’un licenciement pour une raison autre qu’économique, l’entreprise provisionne en attendant la décision des prud’hommes. N’oublions pas que c’est ce qui se passe en cas de licenciement donnant lieu à des indemnités pour préjudice.

M. le rapporteur. Je voulais remercier Yves Blein et la commission des affaires économiques pour cet amendement, qui nous permet de sortir de la logique actuelle du provisionnement pour contentieux avéré, afin d’autoriser le passage de provisions pour contentieux potentiel. Gérard Sebaoun a raison d’émettre une réserve à propos de la différence de taille des entreprises concernées. Cela étant, j’espère qu’une entreprise n’est pas confrontée à de nouvelles procédures tous les ans. Même une entreprise de trois salariés peut accumuler un montant de provisions qui lui permette de répondre au versement d’indemnités. S’agissant des entreprises de quarante-neuf salariés, peut-être devrons-nous revoir la mesure pour éviter qu’elles n’accumulent des provisions excessives. Cela étant, il ne faut pas amoindrir l’intérêt d’un dispositif qui répond à un réel souci des PME. Au passage, je précise que cette question de provisions n’a rien à voir avec le plafonnement des indemnités. Avis favorable.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vais compléter mon propos pour être en phase avec le code du travail existant – il a beau être complexe, nous le connaissons quand même. Quand il n’y a pas de raison économique au licenciement, l’employeur doit remplacer le salarié licencié dès le lendemain de son départ. Le code du travail l’impose. Les employeurs ne le savent pas assez et perdent souvent aux prud’hommes pour une question de forme, parce qu’ils ont attendu deux ou trois jours avant d’embaucher. Dans ce cas, mon argument sur la trésorerie tombe un peu à l’eau, je vous l’accorde, monsieur Cherpion, puisqu’un nouveau salarié entre dans l’entreprise.

M. Gérard Cherpion. Je partage votre analyse sur la manière dont les choses peuvent se dérouler et aboutir à un allégement des charges quand il n’y a plus de salaire à verser. Cependant, l’amendement va au-delà de cette provision de gestion que vous décrivez : il s’agit d’une provision fiscale, déductible des bénéfices.

M. Gilles Lurton. Je suis tout à fait d’accord avec cet amendement, mais je voudrais revenir sur vos propos, madame la présidente. Quand un employeur licencie pour des raisons économiques, c’est souvent parce qu’il est en phase de baisse d’activité et donc de ressources. Il ne trouve pas forcément de nouvelles ressources au lendemain du licenciement.

Mme Kheira Bouziane-Laroussi. J’approuve cet amendement. Lors des auditions, j’avais interrogé les représentants patronaux sur ce risque qui induirait une peur de l’embauche. Pour moi, la notion de risque renvoie à celle d’assurance. Le représentant de la CGPME avait d’ailleurs indiqué que son organisation étudiait le problème sous cet angle. Le sujet mérite d’être approfondi afin que nous trouvions la bonne solution pour l’entreprise, mais aussi pour les salariés.

M. Michel Issindou. Si elle est sécurisante pour l’entreprise et les salariés, cette mesure est essentiellement fiscale. Nous l’examinons d’ailleurs après l’article 29, ce qui tend à indiquer que nous sommes à la frontière du code du travail et du code des impôts. Combien cette mesure gagée va-t-elle coûter ? Chaque entreprise de moins de cinquante salariés aura, de manière évidente, intérêt à provisionner systématiquement pour réduire son montant d’impôts. Quel est le niveau du manque à gagner pour l’État, qui sera compensé selon les règles prévues à l’article 575 du code général des impôts ? L’étude d’impact donne-t-elle une idée de ce coût qui peut d’ailleurs être considéré comme une politique utile en faveur des PME ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. La mesure étant proposée par voie d’amendement, elle ne fait pas l’objet d’une étude d’impact.

M. le rapporteur. Je rappelle que les provisions ne peuvent excéder un mois de la masse salariale de l’entreprise. Nous avons arrêté ce dispositif avec l’accord du Gouvernement et après discussion avec Bercy. Je ne connais pas le coût précis de la mesure. Il vous sera possible d’interroger la ministre sur ce point lors de l’examen du texte dans l’hémicycle.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Nous pouvons faire un calcul de probabilité en retenant des données moyennes. Pour une entreprise de vingt-cinq salariés, l’indemnité équivaut à deux ans de salaire pour un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. La fourchette de provisions est acceptable. La défiscalisation de cette provision ne dure d’ailleurs qu’un temps : le jour où elle est reprise, elle figure au compte de résultat de l’entreprise.

Mme Chaynesse Khirouni. Je voulais compléter l’intervention de ma collègue Kheira Bouziane-Laroussi en proposant d’élargir le débat à l’assurance et à la création d’un fonds de garantie. Aux PME et TPE, il faut d’ailleurs ajouter les associations qui peuvent aussi être confrontées à de vraies difficultés en raison de coûts liés à des licenciements. Notre réflexion d’aujourd’hui est une première étape, mais, lors d’auditions avec des représentants d’employeurs, j’avais évoqué les possibilités d’assurance et la création d’un fonds de garantie. Un tel fonds pourrait être mobilisé à n’importe quel moment, ce qui permettait d’échapper à la difficulté soulevée par Gérard Sebaoun. Ce pourrait aussi être un moyen pour l’employeur de sécuriser la procédure puisque, dans le cadre de la mise en œuvre d’un fonds de garantie, on ne fait pas n’importe quoi.

M. le rapporteur. Cette piste avait été envisagée lors de l’audition de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL) et de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES). Ces organisations suggéraient la mise en place d’un tel fonds obéissant au principe de la mutualisation du risque. C’est une très bonne idée, mais nous craignons que sa mise en pratique ne prenne trop de temps. Il faut garder cet objectif, qui est le bon, ce qui n’empêche pas d’adopter le dispositif proposé par l’amendement.

Mme la présidente Catherine Lemorton. L’UNAPL et l’UDES se sont montrées clairement favorables à la mutualisation puisque embaucher ou être embauché est un risque, même si la formule est un peu violente.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS405 de M. Denys Robiliard.

M. Gérard Sebaoun. Le premier signataire de cet amendement est Denys Robiliard, à qui, en votre nom à tous, j’adresse un signe d’amitié.

La France est présentée comme le leader européen de la franchise, secteur qui compte 350 000 salariés, 70 000 points de vente, 2 800 réseaux différents, et qui réalise 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Or les salariés de ce réseau ne sont pas représentés.

Cet amendement vise à la création d’une instance de représentation du personnel, commune à l’ensemble du réseau de franchisés, qui permettrait l’instauration d’un dialogue entre représentants des entreprises et des salariés. Il est prévu que les salariés puissent accéder à des activités sociales et culturelles. Un recensement des offres d’emploi disponibles au sein du réseau permettrait aussi de leur offrir une perspective d’évolution ou de mobilité professionnelle. Enfin, la possibilité de négocier au niveau du réseau permettrait la conclusion d’accords et d’ouvrir ainsi la voie à des avantages pour l’ensemble des salariés des entreprises franchisées.

M. le rapporteur. Cet amendement propose une réforme extrêmement lourde, représentant une réelle avancée pour les salariés des réseaux de franchisés, qui en ont bien besoin. Néanmoins, en l’état actuel des éléments dont je dispose, il soulève plusieurs questions, notamment juridiques. L’une d’elles tient au choix de l’instance suggérée. Pourquoi ne pas avoir plutôt opté pour la reconnaissance d’une unité économique et sociale (UES) ? Pourquoi avoir choisi une instance de droit commun et non pas une négociation conventionnelle au sein du réseau des franchisés ? Certains éléments techniques nécessiteraient sans doute une concertation avec les entreprises concernées.

Sans nier les qualités de Gérard Sebaoun, je sais que Denys Robiliard est le fin connaisseur de ce dossier. Je plaide pour que l’amendement soit retiré afin que nous l’examinions en séance. Quoi qu’il en soit, c’est un sujet très important.

M. Gérard Sebaoun. Ce texte était considéré comme un amendement d’appel, destiné à susciter un débat que nous aurons certainement en séance.

L’amendement est retiré.

Article 30 : Motif économique de licenciement

Mme Monique Iborra. Avant que nous n’abordions la discussion sur l’article 30 relatif au motif économique de licenciement, je voudrais apporter quelques éléments de contexte. Nombre de nos concitoyens qui sont aujourd’hui dans la rue prétendent que le projet de loi va faciliter les licenciements économiques. Il n’en est rien, tout au contraire. On dit aussi que les grandes multinationales seront favorisées, alors que, pour licencier, elles invoquent l’absence de compétitivité plutôt que le motif économique.

L’article est en fait conçu à l’intention des TPE et PME. Le rapporteur va encore rééquilibrer le texte. Mais, en tout état de cause, la communication qui a été faite au sujet de ce dernier jusqu’à ce jour était souvent erronée.

M. Bernard Accoyer. Nous sommes ici au cœur d’un texte qui représente un rendez-vous manqué. L’article précise les causes du licenciement économique. Mais, à la moindre protestation, le Gouvernement rétropédale et fait machine arrière. Nous dénonçons ce manque de courage. Alors que les pouvoirs publics avaient enfin compris que le code du travail provoque des difficultés qui créent du chômage et inspirent la peur d’embaucher, ils sont pris en flagrant délit de renoncement. C’est inquiétant pour l’avenir du pays et désolant pour les salariés qui paieront de leur emploi cette reculade.

La Commission examine les amendements identiques AS338 de M. Gérard Sebaoun et AS746 Mme Eva Sas.

M. Gérard Sebaoun. Certains pensent que l’article 30 constitue la base nécessaire pour régler la question de la compétitivité et créer de l’emploi. À mes yeux, il marque seulement un recul de la protection des salariés.

La flexibilité existe depuis bien longtemps dans notre pays, avec l’intérim, le contrat à durée déterminée, utilisé à 90 % pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail, des contrats de plus en plus courts, des ruptures conventionnelles, des dérogations aux 35 heures, des accords d’entreprise, des forfaits jours… Le recours aux juges serait la terreur des chefs d’entreprise en cas de licenciement économique : pourtant, moins de 2 % des litiges sont portés devant les prud’hommes, et les licenciements économiques ne représentent que 2,6 % des inscriptions à Pôle emploi. On cite l’Allemagne en exemple, mais les pouvoirs publics reviennent sur les mesures prises en matière de droit du travail, car la pauvreté y a explosé. En Espagne et en Italie, les emplois précaires sont nombreux ; la reprise y est moins due aux réformes sur le marché du travail qu’à une reprise de la conjoncture, à laquelle ces pays sont particulièrement sensibles en raison de l’élévation des taux d’intérêt sur la dette publique qu’ils avaient connue. La France suit une tendance différente.

La supposée rigidité du marché du travail n’est donc pas l’objet essentiel qui doit nous occuper. Nous faisons un mauvais diagnostic, sur la base duquel nous donnons un mauvais traitement : ce n’est pas comme cela que nous soignerons le malade.

Mme Eva Sas. L’amendement AS746 est défendu.

M. le rapporteur. L’important article 30 a donné lieu à de nombreux commentaires. En ma qualité de rapporteur, j’ai estimé que des évolutions étaient nécessaires, car il ne serait pas satisfaisant de s’en tenir à la législation actuelle. Aussi ai-je déposé des amendements à cet article. Mais le statu quo, tel qu’il subsisterait après l’adoption d’amendements de suppression, ne saurait lui non plus répondre aux difficultés que nous rencontrons. Dans la loi actuelle, en effet, le motif économique résulte « notamment de difficultés économiques ou de mutations technologiques ». Or la jurisprudence a dégagé au moins deux critères supplémentaires : la cessation d’activité et la réorganisation de l’entreprise destinée à sauvegarder sa compétitivité. Elle a aussi interprété de manière large la notion de difficultés économiques. Nous avons donc préféré récapituler les indicateurs fixés par le juge, en cherchant à savoir comment caractériser la situation économique d’une entreprise.

Il importe aussi de savoir comment tenir compte des différences de taille entre les entreprises, car la situation d’un artisan ne s’analyse pas de la même manière que celle d’une entreprise de 1 000 salariés. La notion de trimestre ne correspond pas à la même réalité pour l’un ou pour l’autre.

La démarche engagée par le projet de loi me semble de bon aloi. Le législateur doit travailler sur l’évolution de la jurisprudence. Je ne suis pas favorable au statu quo : j’émets donc un avis défavorable aux amendements de suppression de l’article 30.

Mme Isabelle Le Callennec. Il s’agit en effet d’un article très important, car il est effectivement nécessaire de préciser ce que sont les difficultés économiques ouvrant droit à licenciement. Les entreprises nous le demandent. Quand le contentieux est porté devant les prud’hommes, en effet, la notion n’est pas interprétée partout de la même manière.

En revanche, il faut remettre les choses en perspective. Comme l’a dit Gérard Sebaoun, les licenciements économiques concernent moins de 2 % des litiges portés devant les prud’hommes, tandis qu’ils ne représentent que 2,6 % des inscriptions à Pôle emploi. Il faut donc relativiser l’importance du débat. À mes yeux, il s’agit avant tout de sécuriser la situation des PME vis-à-vis des prud’hommes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne partage pas l’avis du rapporteur, selon lequel les juges ne pourraient apprécier toute forme de difficultés économiques, parce que la formulation actuelle le leur interdirait, alors que le recours à l’adverbe « notamment » dans l’énumération des causes possibles signifie nettement l’absence d’exclusive dans le code du travail actuel.

En outre, le rapporteur entend faire de ces motifs d’appréciation du juge des dispositions d’ordre public. Mais les motifs économiques du licenciement entrent-ils vraiment au nombre des dispositions qui garantissent la sécurité générale de notre droit ? Doit-on vraiment aller aussi loin ?

Certes, j’entends bien que toute forme artificielle de montage comptable ne saurait être reconnue comme susceptible d’établir l’existence de vraies difficultés économiques. Mais je ne crois pas que les juges tombent jamais dans un tel panneau.

En revanche, je ne suis pas sûr qu’on atteigne le but de sécuriser le droit en imposant aux procédures un cadre législatif. Retenir comme critère de difficultés économiques la simple baisse de chiffre d’affaires sur plusieurs trimestres me semble ouvrir un spectre très large qui rompt l’équilibre entre les droits du salarié et les intérêts de l’entreprise.

Bref, il y a à la fois trop de flou et trop de rigidité dans cet article. Bien que, n’étant pas membre de cette commission, je ne puisse pas participer au vote, je suis favorable à sa suppression.

M. Gérard Cherpion. Monsieur le rapporteur, je déplore quant à moi un problème de méthode. Nous trouvons dans la liasse trois de vos amendements, qui ont fait l’objet d’un dépôt tardif. Les deux premiers éclairent d’un jour particulier le sens de vos propos précédents.

Sur le fond, je suis effectivement opposé à la suppression de l’article. Mais vous en modifiez complètement la substance par un amendement dont l’adoption ferait habilement tomber tous les autres amendements déposés sur cet article. Vous proposez en effet de faire remonter au niveau des dispositions d’ordre public des normes qui n’en faisaient pas partie. Je ne conteste pas les critères que vous proposez, notamment dans la mesure où ils témoignent d’une attention particulière à la taille des entreprises. Mais la présentation est néanmoins étonnante. Vous vous substituez à la ministre du travail pour réécrire l’article sur le licenciement économique. Nous arrivons à une nouvelle modification de ce texte qui ne constitue pas, pour une fois, une reculade, mais conduit néanmoins à quelque chose de totalement différent. Il y a là un problème de méthode.

Vous caractérisez les difficultés économiques en fonction de la taille des entreprises : baisse des commandes ou du chiffre d’affaires d’un trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés, de deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés, de trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés, de quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.

Il me semble qu’il serait plus pertinent de différencier en fonction de la situation économique de l’entreprise. Votre amendement finirait presque par me faire croire que l’amendement de suppression se justifie.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le rapporteur jouit du privilège de déposer des amendements quand il le souhaite, n’étant pas soumis au délai de dépôt. Monsieur Cherpion, je me rends compte, vu votre argumentation, que vous avez pu en l’occurrence étudier ceux de notre rapporteur.

En tout état de cause, il ne sera pas dit que j’ai empêché la discussion sur les points chauds du texte. Je laisserai de même la parole aux auteurs des amendements qui tomberaient du fait de l’éventuelle adoption des amendements du rapporteur.

M. Gérard Sebaoun. Je rejoins notre collègue Jean-Frédéric Poisson. Outre tous les éléments de définition expressément cités, je suis étonné de voir que peut être invoqué « tout élément de nature à justifier » un licenciement économique. Cela ne saurait guère que compliquer l’accomplissement de la mission du juge.

M. Michel Liebgott. Le licenciement économique constitue l’un des traumatismes les plus violents que puisse vivre un salarié. Il est sans conteste une cause majeure de malaise. Il paraît important que nous ne nous référions pas seulement aux exemples étrangers, et le rapporteur a rappelé que sa réflexion portait sur une amélioration des critères, en tenant compte de la jurisprudence. Il ne s’agit pas d’empêcher le juge de juger : nous voulons au contraire l’aider.

Prenons l’exemple des inégalités entre les entreprises de différentes tailles. Les grandes entreprises n’ont pas de problème pour licencier : leurs politiques des ressources humaines leur permettent d’organiser le reclassement de 600 salariés sur d’autres sites. Dans ma commune, j’ai vu un établissement supprimé pour mieux en voir renaître un autre. Une grande entreprise avait pu supporter plusieurs centaines de milliers d’euros de déficit sur un site pendant des années, car elle ne voulait pas quitter la ville pour y préserver sa marque.

À Florange, on a pu rattraper des entreprises sous-traitantes, les pressions politiques ayant permis d’assimiler leurs salariés à ceux de la sidérurgie. Si on ne l’avait pas fait, ils auraient été victimes d’un jugement qui n’était pas porté par le juge intuitu personæ, mais qui était malheureusement l’une des conséquences du fait que ces entreprises étaient petites, car leurs salariés sont souvent les moins bien protégés.

Le licenciement économique dans les TPE et PME doit être notre première préoccupation. Ne pas traiter cette question serait une grave erreur. Devant la multiplication des dépôts de bilan, nous ne pouvons rester spectateurs. La réforme doit nous permettre d’en finir avec des licenciements économiques qui peuvent être abusifs, faute de définition législative pertinente.

M. le rapporteur. Nos travaux sur cet article sont marqués par la volonté de stabiliser la jurisprudence. Elle ne me semble pas incompatible avec notre fonction de législateur. Lorsqu’on constate les inégalités marquantes qui existent entre les tribunaux, il n’est pas choquant d’imaginer que le législateur veuille améliorer la compréhension du droit.

Monsieur Cherpion, vous êtes bien le seul à être surpris. Je me suis exprimé sur la question de l’article 30. J’assume en cela non seulement ma fonction de député, mais de rapporteur, car je tiens compte des discussions conduites avec tous les partenaires sociaux. Sur certains points, que je vous exposerai, je dépose des amendements ; sur d’autres, je réfléchis encore. Et vous me reprochez de remplacer la ministre ? Mais depuis quand le Gouvernement vote-t-il la loi ?

M. Gérard Cherpion. Il s’agit tout de même d’un projet de loi, non d’une proposition de loi.

M. le rapporteur. Vous avez en tout cas pu prendre connaissance des amendements que j’ai déposés et qui portent sur la distinction entre les entreprises selon la taille, sur les différents critères applicables à la notion de difficultés économiques et sur la suppression des alinéas qui renvoient à la négociation et au droit supplétif, pour en réserver le contenu aux dispositions d’ordre public.

En tout état de cause, je considère que la suppression de l’article 30 ne serait pas à la hauteur de notre fonction de législateur.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement AS1049 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit seulement de supprimer le chapeau.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AS1050 du rapporteur, AS966 de la commission des affaires économiques et AS690 de Mme Audrey Linkenheld.

M. le rapporteur. L’amendement AS1050 énonce, au niveau des dispositions d’ordre public, les critères et indicateurs pouvant être retenus pour caractériser les difficultés économiques. La définition des difficultés économiques me paraît en effet devoir être d’ordre public, sans possibilité d’y déroger par voie d’accord.

Pour ce qui est des critères, je propose d’y intégrer la dégradation de l’excédent brut d’exploitation, qui me paraît constituer un bon indicateur de la situation économique de l’entreprise. L’amendement maintient le caractère alternatif des critères caractérisant les difficultés économiques afin de répondre à une exigence constitutionnelle : une liste fermée serait considérée comme portant atteinte à la liberté d’entreprendre.

L’amendement prévoit qu’un critère au moins doit être rempli pour que les difficultés économiques soient considérées comme matérialisées, étant précisé que je souhaite introduire la notion d’ampleur des difficultés, qui me semble extrêmement importante. En effet, enregistrer de légères pertes d’exploitation pendant un semestre, par exemple, n’est pas forcément le signe d’une situation justifiant un licenciement économique. En tout état de cause, il me paraît essentiel que le juge puisse continuer à apprécier l’ampleur des difficultés rencontrées, sans s’arrêter à de simples critères de durée : c’est pourquoi l’amendement précise que l’évolution des indicateurs doit être significative.

Par ailleurs, en ce qui concerne les critères de durée, l’amendement propose de ne maintenir que ceux relatifs à la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, seul cet indicateur conservant un caractère mécanique. L’amendement exclut en effet les critères mécaniques de durée pour les pertes d’exploitation. Dès lors que l’on conserve un caractère mécanique à la durée de la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pour apprécier les difficultés économiques, il me paraît nécessaire de tenir également compte des spécificités des entreprises en fonction de leur taille, ce que le projet de loi ne prévoit pas. Il s’agit pourtant là d’une nécessité, comme l’ont mis en évidence les travaux de la commission des affaires économiques : par l’amendement AS966, celle-ci prévoit ainsi une distinction en fonction des seuils d’effectifs.

L’amendement que je vous propose intègre la baisse des commandes ou du chiffre d’affaires en comparaison avec la même période de l’année précédente. Cette période est d’au moins un trimestre pour les entreprises de moins de 11 salariés, d’au moins deux trimestres consécutifs pour celles de 11 à 49 salariés, d’au moins trois trimestres pour celles de 50 à 299 salariés, et d’au moins quatre trimestres pour celles de plus de 300 salariés – cette dernière durée correspondant au plancher fixé par le projet de loi dans le cadre des dispositions supplétives.

Cette construction répond à une préoccupation exprimée par nombre de nos collègues, selon laquelle il paraissait insuffisant de se référer uniquement à des trimestres, mais aussi de ne pas tenir compte de la taille de l’entreprise ou de ne pas permettre de qualifier la situation économique. Ma proposition a pour objet de répondre à toutes ces interrogations légitimes. Il m’a semblé excessif d’exiger, comme le prévoyait le projet de loi, une année entière de diminution des commandes ou du chiffre d’affaires pour une TPE ou une PME, compte tenu de la fragilité particulière des petites entreprises, qui ne disposent pas de la même trésorerie ni du même accompagnement bancaire que les entreprises de plus grande taille.

Contrairement à ce qu’affirme M. Cherpion, je ne pense pas que cet amendement ait pour effet de vider l’article 30 de tout son sens.

M. Gérard Cherpion. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. le rapporteur. J’estime au contraire qu’il donne du sens à l’article 30, en permettant de flécher de manière beaucoup plus précise les enjeux auxquels nous sommes confrontés.

M. Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. La question que nous abordons a longuement retenu l’attention de la commission des affaires économiques, qui y a répondu en déposant l’amendement AS966, très proche de celui que vient de présenter M. le rapporteur – auquel nous sommes tout disposés à nous rallier en retirant le nôtre.

Définir précisément le licenciement économique procure une plus grande visibilité aux salariés, en leur permettant de mieux comprendre l’environnement économique dans lequel évolue leur entreprise, mais aussi au chef d’entreprise – de la même manière, en autorisant tout à l’heure, grâce à l’amendement CE145, les entreprises de moins de cinquante salariés à constituer une provision pour risques sociaux, nous avons fourni aux TPE et aux PME un moyen supplémentaire de se sécuriser.

La commission des affaires économiques a également souhaité enrichir les critères, en particulier y en ajoutant celui de la dégradation de l’excédent brut d’exploitation. La seule baisse du chiffre d’affaires n’est pas forcément significative, dans la mesure où elle peut être voulue afin d’améliorer la rentabilité de l’entreprise.

Enfin, nous avons souhaité fixer des seuils, car, dès lors que l’on est en présence d’un signal d’alerte, il est justifié de réagir beaucoup plus vite pour une entreprise de dix salariés que pour une grande entreprise. De ce point de vue, la durée d’un trimestre pour les entreprises de moins de onze salariés me paraît tout à fait adaptée. À l’inverse, plus la surface économique d’une entreprise est étendue, en chiffre d’affaires comme en diversité de la clientèle, plus grande est sa capacité à gérer par anticipation une évolution de son activité, ce qui justifie que l’on prenne en compte un plus grand nombre de trimestres pour apprécier l’existence de difficultés économiques, et la nécessité éventuelle de procéder à un licenciement économique.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir été à l’écoute de nos propositions. Nous sommes tout à fait d’accord avec le contenu de votre amendement, à une réserve près : la comparaison du chiffre d’affaires avec celui de l’année précédente ne nous semble pas forcément significative, car une entreprise peut diminuer son chiffre d’affaires tout en augmentant sa rentabilité, donc sa compétitivité.

M. Gérard Sebaoun. L’amendement AS1050 définit les difficultés économiques « soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation, une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ». En raison de cette dernière partie de la phrase, il me semble que, en dépit de la grande vigilance dont a fait preuve le rapporteur, la rédaction de son amendement ne modifie pas substantiellement le texte.

Mme Isabelle Le Callennec. L’objectif de l’article 30 est de sécuriser juridiquement le licenciement économique, qui ouvre des droits aux salariés concernés, et de l’harmoniser sur l’ensemble du territoire. À la notion de baisse des commandes et du chiffre d’affaires, vous en avez ajouté d’autres telles que la dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, et « tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ». Pouvez-vous nous préciser de quoi il s’agit ?

Par ailleurs, lorsque vous introduisez la notion de taille de l’entreprise, je ne comprends pas que vous le fassiez uniquement par association aux critères constitués par une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, en excluant de fait la dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation.

Enfin, vous savez notre aversion pour les seuils et comprendrez donc notre effarement en découvrant qu’on appliquera le critère de comparaison sur deux trimestres consécutifs pour une entreprise de quarante-neuf salariés, et sur trois trimestres pour une entreprise de cinquante salariés. Alors que, pour ce qui est des indemnités prud’homales pour licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, on devra se référer à un barème indicatif, vous imposez un barème impératif pour la définition du licenciement économique. Je vous avoue avoir un peu de mal à suivre votre logique.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le rapporteur, vous nous avez expliqué avoir l’ambition de stabiliser la jurisprudence. Est-ce à dire que vous pensez être en mesure d’homogénéiser les décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation ? Si vous y parvenez, vous aurez bien mérité qu’on pose une plaque à votre nom dans cette salle, la chambre sociale de la Cour de cassation étant connue pour rendre des décisions diamétralement opposées sur tous les sujets !

Nous ne devons pas perdre de vue que, l’amendement AS1049 ayant été adopté, les dispositions que vous nous proposez sont désormais fixées dans un cadre situé hors du champ de la négociation collective, et ne peuvent relever de dispositions supplétives : elles sont d’ordre public. Si l’amendement AS1050 est adopté, les seuls critères de caractérisation des difficultés économiques seront les seuils et les durées énoncés, sans que les entreprises aient la possibilité de prendre d’autres dispositions par la voie conventionnelle. Or le texte du Gouvernement prévoyait que des dispositions conventionnelles puissent adapter ou moduler les règles de droit commun figurant dans la première partie de l’article 30. Votre amendement a pour effet de rigidifier le dispositif et je ne suis pas certain que les partenaires sociaux soient d’accord avec cette évolution.

Un trimestre représente une très longue durée dans la vie d’une entreprise : il est des entreprises de 300 salariés qui ne supporteraient pas plus de la moitié d’un trimestre de dégradation de certains de leurs indicateurs. Quant à l’idée d’établir une corrélation entre la taille des entreprises et les difficultés auxquelles elles sont confrontées – en ajoutant de nouveaux seuils à un monde économique qui en compte déjà beaucoup trop –, elle ne me paraît pas pertinente : une très grosse entreprise peut connaître des difficultés qui la mettront à genoux en quelques semaines, et il ne sera pas nécessaire d’attendre trois trimestres pour exiger que soient prises des dispositions importantes en matière de réorganisation et éventuellement d’ajustement des effectifs.

Pour l’ensemble de ces raisons, votre amendement ne me paraît pas constituer une solution satisfaisante.

M. Bernard Accoyer. Une période de référence d’une année constitue à la fois une exigence et une faiblesse. En effet, il peut arriver qu’une situation se dégrade progressivement sur plusieurs années, ce qui oblige à prendre des décisions à un moment donné.

Par ailleurs, les cinq derniers paragraphes de votre amendement multiplient les seuils, donc les rigidités, alors qu’il suffirait, pour stabiliser la jurisprudence comme vous le souhaitez, de retenir la durée d’un trimestre : si, comme vous le reconnaissez, la baisse d’un certain nombre d’indicateurs au cours d’un trimestre menace une entreprise de onze salariés, elle peut tout autant menacer une entreprise de 5 000 salariés.

Mme Monique Iborra. S’il est difficile de prévoir toutes les raisons pouvant constituer le signe de difficultés économiques et justifier éventuellement de procéder à des licenciements, pour les PME et les TPE, le législateur que nous sommes doit-il renoncer à apporter une meilleure définition que celle du code du travail ? Je ne le pense pas.

Pour ce qui est de la jurisprudence, les magistrats que nous avons auditionnés nous ont expliqué envisager de mettre en place des formations qui leur seraient destinées, afin de leur permettre de rendre des jugements éclairés. Il ne faut donc pas penser non plus que le fait de s’en remettre au juge règle tous les problèmes.

Donner plus de visibilité aux PME et TPE, ce n’est pas seulement leur permettre de détecter les dangers, c’est aussi leur ouvrir des perspectives en leur montrant qu’elles peuvent embaucher et prendre de l’ampleur. Nous pouvons et devons le faire, même si cette démarche ne résoudra pas tous les problèmes.

Mme Chaynesse Khirouni. Monsieur le rapporteur, avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour vous, je dois vous dire que votre amendement confirme la difficulté d’intégrer dans la loi des critères clarifiant les difficultés économiques de l’entreprise, de nature à justifier un éventuel licenciement économique. Pour ma part, je considère que, pour les TPE et PME, le dispositif que vous proposez accroît l’insécurité juridique pour les employeurs et pour les salariés. Je m’interroge notamment sur les périodes retenues pour l’évaluation des difficultés économiques, notamment la durée d’un trimestre pour les entreprises de moins de onze salariés – sur ce point, M. Poisson a exposé des arguments tout à fait convaincants.

Je m’interroge également sur le fait d’associer le chiffre d’affaires au nombre de salariés. Une entreprise de cinq salariés – une start-up, par exemple – peut réaliser un chiffre d’affaires bien plus important qu’une entreprise de quinze salariés : tout dépend de l’activité économique. Je ne vois pas comment le fait de redéfinir les critères de difficultés économiques pourrait aider les juges à prendre une décision éclairée au sujet d’une procédure de licenciement : comme l’a dit Mme Iborra, des formations leur seraient sans doute bien plus utiles. Les licenciements pour motif économique représenteraient 2 % des licenciements. Si cela peut sembler peu, les employeurs y voient cependant une importante source d’insécurité juridique, à laquelle ni le projet de loi ni votre amendement ne me semblent apporter de réponse.

Par ailleurs, les associations sont aussi des entreprises et se trouvent, à ce titre, soumises au code du travail : tout un pan de l’économie sociale et solidaire se trouve donc concerné par les dispositions relatives aux licenciements pour motif économique. Or les critères énumérés par l’article 30 et votre amendement ne répondent pas à la situation particulière des associations, le seul critère de la dégradation de la trésorerie n’étant pas suffisant.

Pour les employeurs, la vraie difficulté réside dans la justification du licenciement pour insuffisance professionnelle : cela implique une procédure, un suivi, des comptes rendus, des entretiens, un accompagnement, toutes choses qu’un petit chef d’entreprise a du mal à assumer. À mon avis, cela constitue au quotidien un problème bien plus important que celui du licenciement économique. Environ 27 000 ruptures conventionnelles sont actuellement conclues chaque mois. C’est le signe d’un assouplissement de notre droit, qui permet aux entreprises et aux salariés en désaccord de rompre le contrat qui les unissait.

M. Gérard Bapt. Le réquisitoire de Mme Le Callennec et M. Poisson contre les seuils m’a paru un peu paradoxal, car les seuils, qui sont présents partout dans notre législation, posent toujours des difficultés, que ce soit en matière sociale ou dans le domaine budgétaire.

L’amendement de notre rapporteur répond à une préoccupation importante pour nos territoires et les entreprises qui les font vivre : je pense notamment aux petites entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics qui, lorsqu’elles perdent un marché, doivent pouvoir compenser en bénéficiant l’année suivante d’une autre commande, émanant souvent d’une collectivité locale, si elles veulent assurer leur pérennité.

Pour ce qui est des problèmes suscités par le licenciement pour insuffisance professionnelle, Mme Khirouni est libre de faire des propositions, mais c’est un autre problème que celui qui nous occupe.

Mme Chaynesse Khirouni. J’ai simplement voulu évoquer tous les sujets relatifs au licenciement !

M. Gérard Bapt. En tout état de cause, cela n’a rien à voir avec l’amendement du rapporteur, qui répond à une importante préoccupation des petites entreprises qui font vivre les zones rurales.

M. Michel Issindou. Le travail effectué par le rapporteur et qui consiste à établir des critères et des seuils sera utile au juge. Il me paraît justifié d’introduire de la souplesse dans le dispositif en ajoutant la mention de « tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés », car il ne faut jamais perdre de vue que l’on ne peut prévoir toutes les situations.

Les acteurs de terrain nous disent souvent qu’ils éprouvent la nécessité de s’adapter en temps réel à l’activité économique, dans le dessein de sauver des emplois, et non l’inverse : je ne connais pas de PME qui se soit donnée pour objectif de se débarrasser de ses salariés. Cela dit, les entrepreneurs n’ont plus confiance dans le système actuel et n’embauchent quasiment plus pour une durée indéterminée : 85 ou 90 % des contrats proposés sont des CDD ou de l’intérim, avec toutes les dérives que cela entraîne. Je connais même de grandes sociétés qui n’embauchent plus d’ingénieurs en direct : elles font appel pour cela à des sociétés d’intérim spécialisées.

C’est un fait : la difficulté à qualifier les licenciements pour motif économique aboutit à une situation aux antipodes de la situation idéale, celle où tous les salariés seraient embauchés pour une durée indéterminée. Parmi les solutions « bricolées » pour contourner les difficultés entourant le contrat de travail, la rupture conventionnelle a connu le plus grand succès, mais je ne suis pas certain qu’elle soit de nature à réduire le climat d’insécurité où se trouvent les personnes entrant actuellement dans l’emploi.

Dans certaines situations, il peut être préférable de se séparer d’une partie des salariés plutôt que de vouloir garder tout le monde et de laisser l’entreprise s’enfoncer dans les difficultés, ce qui finira par entraîner encore plus de personnes vers le chômage. Avec son amendement, le rapporteur poursuit avant tout l’objectif de lutter contre le chômage, ce que nous ne devons pas perdre de vue, même si cela peut donner aux salariés le sentiment d’une certaine insécurité. Le compte personnel d’activité (CPA) que nous avons voté hier peut avoir vocation à permettre aux salariés de passer plus facilement d’un emploi à un autre. Certes, cela relève encore d’une vision idéale, pour ne pas dire utopique, du monde du travail, mais la flexisécurité est bien l’objectif vers lequel nous devons tendre. Nous devons pour cela faire confiance aux entrepreneurs, qui sont les seuls à créer vraiment de l’emploi, sans désespérer les salariés. C’est tout l’enjeu de ce texte et, en l’occurrence, de cet amendement.

M. Alain Calmette. Le vote de l’amendement AS1049 a eu pour conséquence importante de remonter au niveau de l’ordre public les critères définis par l’amendement AS1050. Compte tenu de l’objectif que nous nous sommes fixé et qui consiste à stabiliser la jurisprudence et à uniformiser les caractéristiques du licenciement économique, nous devons être le plus précis possible, car, faute de pouvoir renvoyer certains aspects du dispositif à la négociation collective, il nous faut quasiment tout prévoir. Dans ce contexte, je m’interroge sur la fin du premier paragraphe de l’amendement, à savoir « tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés » : peut-il y avoir un « élément de nature à justifier de ces difficultés » qui n’entraîne pas obligatoirement une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, une perte d’exploitation, une dégradation de trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ? Si cela existe, il faut le prendre en compte ; sinon, il me semble que cette dernière proposition ne va avoir pour effet que de susciter des incertitudes allant à l’encontre de la logique que nous cherchons à mettre en œuvre.

Mme Eva Sas. Après avoir, à mon tour, salué, sincèrement, la qualité du rapporteur, permettez-moi de m’étonner qu’il nous présente un tel amendement.

D’abord, aucune solution n’est n’apportée au problème du périmètre, qui reste national et non européen.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Ce n’est pas l’objet de l’amendement !

Mme Eva Sas. Ensuite, en introduisant de nouveaux seuils selon la taille de l’entreprise, cet amendement rend la situation plus complexe alors que le projet de loi prétend simplifier le code du travail. De plus, comme mon collègue Jean-Frédéric Poisson, je considère qu’il n’existe pas de corrélation entre la taille d’une entreprise et sa capacité à résister à des difficultés économiques – le niveau de trésorerie de l’entreprise est en revanche véritablement déterminant. Avec ces seuils, l’amendement introduit une inéquité forte en défaveur des salariés des petites entreprises qui pourront être licenciés plus facilement.

Par ailleurs, Chaynesse Khirouni a raison de considérer que cet amendement n’éclaire pas du tout le juge : il introduit au contraire des éléments qui vont perturber son appréciation sans permettre l’analyse de la réalité de la situation économique d’une entreprise, car les choses sont bien plus complexes que ce qu’il laisse entendre. En effet, le chiffre d’affaires constitue parfois un critère inopérant : une entreprise dont le chiffre d’affaires baisse peut parfaitement enregistrer une progression de son bénéfice.

Enfin, les critères introduits par l’amendement sont beaucoup trop larges. Les difficultés économiques sont en particulier caractérisées par « l’évolution d’au moins un des indicateurs économiques » énumérés. D’une part, qu’en est-il si les critères évoluent de façons totalement divergentes ? D’autre part, l’évolution négative d’un seul indicateur suffit pour licencier. Quant à la mention de « tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés », elle est extrêmement large et, à notre sens, beaucoup trop vague pour que nous puissions adopter un texte qui ouvrirait la porte à des licenciements économiques sans qu’une entreprise ait à justifier de réelles difficultés économiques.

M. Gérard Cherpion. L’article 30 nous avait donné de grands espoirs sur l’évolution possible et raisonnable du licenciement économique, mais le fait que les dispositions présentées par l’amendement revêtent un caractère d’ordre public conduit à supprimer toute une partie du dialogue social initialement prévu. Il est étonnant que ceux-là mêmes qui prônent le dialogue social en permanence parviennent à en supprimer une phase entière au niveau de l’entreprise.

Cet amendement met en place des critères limitatifs contestables : les interventions que nous venons d’entendre, exprimées depuis tous les bancs de la Commission, en témoignent. La réintroduction de seuils rend la situation plus complexe. Nous ne gagnons rien en lisibilité et la vie des PME n’est pas facilitée, contrairement à ce qui a été annoncé.

En espérant que cet article, qui allait initialement dans le bon sens, évoluera positivement d’ici à la séance publique, nous nous abstiendrons sur cet amendement.

M. le rapporteur. Je remercie les collègues qui ont eu des mots sympathiques à mon égard. Je suis bien convaincu de leur sincérité.

Certains me font cependant un procès en « rigidité ». Ils oublient que je propose de modifier la rédaction du projet de loi présenté par le Gouvernement. Si nous n’introduisons pas de distinctions entre les entreprises selon leur taille, la durée requise de baisse significative du chiffre d’affaires ou des commandes s’établirait indifféremment à quatre trimestres, en application des dispositions supplétives prévues par le texte. Je ne propose donc pas d’introduire une rigidité, mais, bien au contraire, d’adopter des dispositions d’ordre public qui permettent d’établir une distinction entre les entreprises sur le fondement de seuils dont j’ai bien constaté l’existence durant les auditions. Nous verrons d’ailleurs que ceux qui me critiquent à ce sujet ont eux-mêmes présenté des amendements visant à établir des seuils.

Personne ne prétend qu’il n’y aurait pas de différence entre un artisan et une entreprise de 400 salariés. Pour autant, fallait-il qu’il y ait autant de seuils ? J’avoue que, dans un premier temps, je n’avais défini que trois catégories, avec des seuils à 10 et à 50 salariés. Divers échanges m’ont amené à prendre en considération la profonde différence qui sépare une entreprise de 55 salariés d’une autre qui en compte 1 000. J’ai donc ajouté un seuil à 300 salariés. Il me semble erroné de parler de rigidité, s’agissant d’un élément d’adaptation à la réalité économique !

Quant aux critères choisis, comme la commission des affaires économiques, nous avons retenu ceux qui reviennent le plus souvent dans la jurisprudence. La mention de « tout élément de nature à justifier ces difficultés » soulève des interrogations. Nous sommes pourtant dans l’obligation de l’inclure en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui considérerait que, si elle ne figurait pas dans le texte, nous porterions atteinte à la liberté d’entreprise.

Au-delà de cette obligation constitutionnelle, cette mention permet de laisser au juge une capacité d’appréciation. La jurisprudence montre qu’il prend position en tenant compte, par exemple, de la concurrence, d’une crise conjoncturelle ou d’un problème de productivité. Certes, les critères stricts de baisse du chiffre d’affaires ou de tels indicateurs ne peuvent pas suffire à caractériser des difficultés économiques. Mais, madame Khirouni, cette rédaction permet d’inclure les problématiques spécifiques aux associations. Nous n’ouvrons pas un fourre-tout qui permettrait de justifier des licenciements économiques par n’importe quel argument : au contraire, nous permettons au juge de développer une argumentation et d’apprécier la situation.

Après les nombreuses auditions que nous avons menées, à l’occasion desquelles les acteurs de terrain nous ont fait passer des messages, le renvoi à la négociation collective de la définition des critères du licenciement économique me paraît être quelque chose de fou. Cette disposition était dans le projet de loi, mais, parce que je ne partage pas ce choix, je présente un amendement qui introduit des critères qui sont strictement d’ordre public pour définir le licenciement économique : ils ne relèvent donc ni de la négociation ni de dispositions supplétives, et ils s’imposent partout. Certes, ces éléments, proposés en accord avec Yves Blein, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, apportent aux chefs d’entreprise des précisions sur les conditions d’un licenciement économique, mais ils fournissent aussi des éléments au juge pour qu’il s’oppose à ce que l’on en vienne à faire n’importe quoi.

Ainsi, nous parvenons à un certain équilibre. Il s’agit de s’adapter à une réalité caractérisée par une disparité des situations qui tient à la fois à la géographie, à la diversité de la jurisprudence, à la taille des entreprises, aux difficultés des divers marchés, à la crise économique. Le législateur ne peut pas ne pas en tenir compte et ne pas donner d’orientations nouvelles.

L’amendement AS966 est retiré.

La Commission adopte l’amendement AS1050.

En conséquence, l’amendement AS690 tombe, de même que les amendements AS309 de M. Daniel Goldberg, AS419 de Mme Jacqueline Fraysse, AS372 de M. Christophe Cavard, AS477 de Mme Jeanine Dubié, AS339 et AS406 de M. Gérard Sebaoun et AS252 de Mme Marie-Lou Marcel.

M. Gérard Sebaoun. Nous avons déjà évoqué les difficultés des plus petites entreprises à trouver un financement auprès des banques. J’ai retrouvé à ce sujet les chiffres d’une enquête régulièrement effectuée par un syndicat représentant environ 30 000 petites entreprises – je rappelle que les TPE constituent 97 % des entreprises : 62 % d’entre elles annoncent des dégradations de leur trésorerie. Je pense que nous devons conserver cette donnée à l’esprit.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements AS700 de Mme Audrey Linkenheld, AS374 de M. Christophe Cavard, AS747 de Mme Eva Sas et AS654 de M. Kader Arif.

L’amendement AS700 est retiré.

Mme Véronique Massonneau. L’amendement AS374 vise à substituer aux mots « sur le territoire national » les mots « dans l’espace économique européen ». Les difficultés économiques d’une entreprise appartenant à un groupe doivent être estimées en relation avec la situation économique des autres entreprises appartenant au groupe et se trouvant dans l’Union européenne et en Suisse. La seule situation nationale ne peut servir à rendre compte de la situation d’entreprises européennes et multinationales dont la capacité à jouer des transferts d’écritures est avérée par ailleurs.

Mme Eva Sas. L’amendement AS747 va dans le même sens. Il vise à élargir au périmètre européen l’examen des difficultés économiques d’une entreprise susceptible de recourir à des licenciements pour motifs économiques. Il est en effet malheureusement trop courant que des entreprises ou des groupes transfèrent artificiellement des pertes sur une entreprise nationale pour justifier des licenciements économiques auxquels ils veulent procéder dans un cadre légal. L’appréciation du « motif économique » au niveau européen permettra d’éviter que les présentations artificielles des comptes ou les orientations des commandes européennes vers des entreprises ou établissements qui se trouvent dans des pays étrangers ne masquent la situation économique réelle d’un groupe.

L’amendement AS654 est retiré.

M. Gérard Sebaoun. Ces amendements tentent de proposer un périmètre européen pour l’appréciation du licenciement économique. Pour ma part, je suis partisan d’un maintien du statu quo : lorsqu’il y a des licenciements, il faut que l’on puisse appeler à la rescousse une grande entreprise qui a des filiales dans le monde entier et qui produit son cash flow à l’autre bout de la planète.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cette question constitue l’un des motifs de mes réserves à l’égard de l’article 30 : la séparation des niveaux de responsabilité est à mon sens contraire à l’esprit même de la responsabilité d’un investisseur et d’un chef d’entreprise. C’est pourquoi il faut qu’une seule référence demeure : celle du groupe. Les groupes bénéficient de législations qui intègrent vers le haut à peu près tous les éléments nécessaires ; je ne comprends pas que, sur ce point particulier relatif à la santé économique, nous distinguions entre le groupe et ses établissements. Au nom de la liberté d’entreprendre et de la responsabilité qui est liée à cette dernière, je ne comprends pas cette logique.

J’en profite, madame la présidente, pour répondre aux arguments avancés par le rapporteur en défense de son amendement AS1050. Je ne lui fais pas de procès en « rigidité », mais j’insiste sur le fait que les seuils que nous avons adoptés s’apprécient a contrario : le vote de la Commission signifie très clairement qu’une entreprise de onze salariés qui se trouve dans l’impossibilité de démontrer qu’elle a subi deux trimestres consécutifs de dégradation de son chiffre d’affaires ou de ses commandes ne peut pas recourir au licenciement économique. Pourtant, une telle entreprise qui subit une sévère dégradation durant cinq mois a largement de quoi fermer plusieurs fois. La rédaction retenue met les entreprises en danger.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Poisson, notre commission respecte une règle : je demande que l’on ne profite pas de la discussion sur un sujet pour revenir sur un autre précédemment réglé.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la présidente, j’ignorais que cette règle était aussi formelle, sans quoi je l’eusse respectée. Je n’abuse pas du temps de parole que vous voulez bien m’accorder.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous laisse tout le temps de parole que vous souhaitez avoir. Vous aviez l’amendement sous les yeux lors du débat qui lui était consacré ; vous pouviez présenter tous vos arguments à ce moment. Je ne coupe pas la parole.

M. Jean-Frédéric Poisson. Une fois que le rapporteur a répondu, il ne me semble pas anormal de demander à réagir à ses propos.

M. le rapporteur. Je suis défavorable à une extension au niveau européen du périmètre à prendre en compte pour apprécier les difficultés économiques d’une entreprise. La question n’est pas de savoir si ce périmètre doit être communautaire ou comprendre la Suisse, mais à faire en sorte que les groupes ne s’exonèrent pas de leur responsabilité – sur ce point, je rejoins M. Poisson.

Je n’ai pas déposé d’amendement sur cet aspect du texte qui, pourtant, je l’ai dit, ne me convient pas. En l’état, il ne répond pas à mes inquiétudes et à mes interrogations sur la responsabilité des groupes. Je négocie actuellement avec le Gouvernement sur ce sujet et présenterai des amendements en séance publique.

La Commission rejette successivement les amendements AS374 et AS747.

Puis elle est saisie de l’amendement AS375 de M. Christophe Cavard.

Mme Véronique Massonneau. Il s’agit de proposer une nouvelle rédaction de l’alinéa 12 visant à prévenir les abus rendus possibles par un texte initial trop imprécis. Il faut que la situation donnant lieu à une modification du contrat de travail ou de l’emploi résulte d’une cause réelle et sérieuse dont la justification doit pouvoir être demandée par voie judiciaire.

M. le rapporteur. Je demande le retrait de l’amendement. Madame Massonneau, je ne suis pas certain que votre rédaction soit beaucoup plus claire que celle du projet de loi. Est-il vraiment préférable d’évoquer une « situation économique artificielle » plutôt que des « difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emplois » ?

Par ailleurs, je m’interroge aussi sur le « doute raisonnable ». Le juge peut examiner la situation du secteur d’activité commun aux entreprises d’un groupe, ce qui lui permet d’avoir des doutes. S’il ne disposait plus d’informations sur l’ensemble du groupe, comment parviendrait-il à formuler un avis sur la réalité des difficultés économiques alléguées ? Sur cette question, je réfléchis également avec le Gouvernement à la façon de mieux couvrir les situations que vise l’alinéa 12, sans parvenir, dans sa rédaction actuelle, à les traiter vraiment.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement AS1048 du rapporteur.

M. le rapporteur. Puisque nous avons introduit des règles d’ordre public en matière de licenciement économique, l’amendement vise à supprimer le renvoi à la négociation collective et, par voie de conséquence, à des dispositions supplétives applicables en l’absence d’accord collectif.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AS970 de la commission des affaires économiques, AS172 de M. Lionel Tardy, AS283 de M. Yves Censi, AS431 de M. Christophe Caresche, AS553 de M. Arnaud Richard, AS168 de M. Gérard Cherpion, AS388 de M. Arnaud Viala, AS169 de M. Gérard Cherpion, AS389 de M. Arnaud Viala et AS432 de M. Christophe Caresche tombent.

La Commission adopte l’article 30 modifié.

La séance est levée à treize heures trente-cinq.

Présences en réunion

Réunion du jeudi 7 avril 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Gérard Bapt, Mme Kheira Bouziane-Laroussi, M. Alain Calmette, Mme Martine Carrillon-Couvreur, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Philip Cordery, Mme Joëlle Huillier, Mme Monique Iborra, M. Michel Issindou, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Bernadette Laclais, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, Mme Marie-Thérèse Le Roy, M. Michel Liebgott, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, Mme Dominique Orliac, M. Arnaud Richard, M. Christophe Sirugue, M. Francis Vercamer

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, M. Stéphane Claireaux, M. Dominique Dord, M. Denys Robiliard, M. Jean-Sébastien Vialatte

Assistaient également à la réunion. – M. Kader Arif, M. Yves Blein, M. Christophe Caresche, M. André Chassaigne, Mme Catherine Coutelle, Mme Corinne Erhel, M. Régis Juanico, M. Jean-Frédéric Poisson, Mme Eva Sas