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Commission des affaires sociales

Mercredi 18 mai 2016

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 52

Présidence de Mme Catherine Lemorton, Présidente

– Examen de la proposition de loi de M. Gaby Charroux visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises (n° 3680) (M. Guy Charroux, rapporteur)

– Présences en réunion

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 18 mai 2016

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)

La commission des affaires sociales examine la proposition de loi de M. Gaby Charroux visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises (n° 3680) (M. Gaby Charroux, rapporteur).

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je souhaite la bienvenue à M. Gaby Charroux qui a rejoint notre commission afin de rapporter la proposition de loi visant à encadrer les rémunérations dans les entreprises.

Le groupe Gauche démocrate et républicaine a souhaité faire usage des dispositions des alinéas 5 et 9 de l’article 48 de notre Règlement ; en conséquence, cette proposition de loi sera examinée en séance publique le jeudi 26 mai prochain à neuf heures trente. Il est prévu que notre commission tienne juste avant une réunion au titre de l’article 88 afin d’examiner les amendements déposés en vue de la séance publique.

M. Gaby Charroux, rapporteur. J’évoquerai pour commencer la progression des inégalités et les problèmes politiques et sociaux qu’elle peut poser. Je comparerai la progression de la rémunération et du pouvoir d’achat des salariés à celle des dirigeants. J’étudierai encore la justification qui est donnée de ces inégalités, et l’opinion des citoyens, que nous connaissons à travers les médias et les sondages.

Je rappellerai ensuite les mesures d’encadrement qui ont déjà été mises en place dans plusieurs pays, dont la France, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, et j’exposerai leurs limites. J’évoquerai par ailleurs l’échec de l’autorégulation qu’avaient promis de mettre en place les organisations patronales.

Au cours de nos travaux, nous avons rencontré diverses personnalités qu’il nous semblait important d’entendre.

Pour les représentants des entreprises, nous avons entendu le directeur général, M. Michel Guilbaud, et Mme Ophélie Dujarric, la directrice des affaires publiques du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ainsi que M. Pascal Durand-Barthez, secrétaire général du Haut Comité du gouvernement d’entreprise (HCGE) chargé du suivi du code de gouvernance de l’Association française des entreprises privées et du MEDEF, dit code AFEP-MEDEF. Ces auditions très instructives m’ont permis de mesurer les avancées et les limites de ce fameux code.

Au cours d’une deuxième table ronde, nous avons reçu les représentants de certaines organisations syndicales représentatives des salariés : Mme Marylise Léon, secrétaire nationale, et M. Nicolas Fourmont, secrétaire permanent de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale, et son assistante, Mme Valérie Pontif, de Force Ouvrière (FO) ; M. Alain Giffard, secrétaire national à l’économie et à l’industrie, et Mme Francine Didier, chargée d’études économiques et fiscales de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Trois syndicats ont donc répondu à notre invitation, et les échanges ont été particulièrement enrichissants.

Une dernière table ronde a regroupé un certain nombre d’économistes : M. Frédéric Fréry, professeur à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP) ; M. Gaël Giraud, économiste et Mme Cécile Renouard, professeure, coauteurs de l’ouvrage Le Facteur 12 : pourquoi il faut plafonner les rémunérations ; Mme Claudia Senik, professeure, et M. Loïc Dessaint, directeur général de Proxinvest. Les analyses de ces experts nous ont été précieuses.

Les inégalités de revenus sont devenues aujourd’hui dans notre pays un problème politique aussi bien qu’un problème social. La stagnation du niveau de vie des salariés depuis plusieurs années va de pair avec une hausse continue des rémunérations les plus élevées, comme si les dirigeants des grandes entreprises et certains salariés qui se voient attribuer des bonus ne vivaient plus dans la même société que leurs compatriotes.

Au Ve siècle avant notre ère, Platon estimait déjà que « le législateur doit établir quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté », et proposait alors un rapport de un à quatre.

De même qu’il lui revient d’exiger la fixation d’un salaire minimum, afin de garantir que les travailleurs puissent vivre dignement, le législateur doit encadrer les écarts de rémunération entre les membres d’une même communauté de travail. Il ne s’agit nullement de plafonner les rémunérations ou de porter atteinte aux droits de l’entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise : il s’agit de s’assurer que les résultats de l’entreprise, et donc du travail de tous, soient répartis selon un écart qui ne soit pas indécent.

Longtemps, les dirigeants ont eu conscience de cet écart et modéraient leurs prétentions, mais l’évolution récente des pratiques nous oblige aujourd’hui à réagir. Une échelle des rémunérations de l’ordre de un à vingt a bien existé, il n’y a pas si longtemps. Cependant, en France, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont perçu l’année dernière en moyenne 4,2 millions d’euros, soit l’équivalent de 238 fois le SMIC annuel.

Preuve que ce problème éthique est désormais un problème politique, mais aussi un motif d’inquiétude économique pour les investisseurs, ceux-ci commencent à se préoccuper de cette inflation du montant des rémunérations des dirigeants : rien, et surtout pas les prétendues performances de certains managers, ne justifie ces écarts. Le principe du « say on pay », voulant que les actionnaires se prononcent sur les rémunérations des mandataires sociaux des entreprises, les encourage à s’interroger sur l’intérêt économique de ces rémunérations. Le fonds souverain norvégien a décidé, le 3 mai dernier, d’édicter des principes sur le niveau des rémunérations.

Face à ce constat, les mesures destinées à encadrer les écarts de rémunération, en fixant un plafond dans le secteur public ou en faisant appel à l’autorégulation, ont montré leurs limites.

C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à mettre fin aux écarts indécents de rémunération au sein de chaque entreprise en les limitant à un écart de un à vingt et à restreindre l’entre soi et la cooptation qui favorisent la fixation de rémunérations indécentes en limitant le cumul par les mêmes personnes des mandats d’administrateur de sociétés anonymes.

L’augmentation des inégalités de revenus en France représente aujourd’hui un problème politique aussi bien que social, car elles ont singulièrement progressé au cours des dernières années. Selon un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publié le 13 novembre 2015 et intitulé Tous concernés : Pourquoi moins d’inégalité profite à tous, la situation de la France vis-à-vis des inégalités ne cesse de s’aggraver. Si les inégalités en France sont proches de la moyenne de l’OCDE, entre 2007 et 2011, elles y ont augmenté plus nettement que dans les autres pays de l’OCDE.

Concrètement, pendant la crise, les inégalités en termes de « revenus marchands », c’est-à-dire avant impôts et prestations sociales, ont augmenté de 2,9 %. Il s’agit de la cinquième hausse la plus importante parmi les trente-six pays de l’OCDE. Le système de redistribution à la française, en particulier les hausses de prestations sociales déployées dès 2009, a toutefois atténué cette hausse. Aussi, en termes de revenu disponible des ménages, les inégalités ont augmenté de 1,6 %. La France se situe toujours parmi les plus fortes hausses. Les 10 % de personnes ayant les revenus les plus faibles ont plus sévèrement subi la crise, relève l’OCDE. Leur revenu a baissé de 1 % par an en moyenne. À l’inverse, les 10 % de personnes ayant les revenus les plus élevés ont vu leur revenu augmenter de 2 % par an en moyenne entre 2007 et 2011, soit une cadence deux fois plus rapide que dans l’ensemble de l’OCDE.

Les inégalités de patrimoine renforcent les inégalités de revenus. Les 10 % les plus aisés en termes de patrimoine détiennent la moitié du patrimoine net des ménages, ce qui coïncide avec la moyenne au sein de l’OCDE. Les 40 % les plus pauvres détiennent moins de 2 % du patrimoine, ce qui est inférieur à la moyenne dans l’OCDE, qui est de 3,3 %.

Durant la crise, avec l’émergence des « emplois non standards », c’est-à-dire des contrats temporaires, du temps partiel et des travailleurs indépendants, le marché du travail s’est totalement redessiné. D’après le rapport, un tiers de la population disposant d’un emploi en France était dans l’une de ces situations en 2013. Ces personnes, ajoute l’OCDE, « sont pénalisées en termes de rémunération par rapport aux personnes occupant des emplois standards ». Ces formes d’emploi atypiques, et plus particulièrement l’emploi temporaire, présentent en France la particularité d’être plus rarement un tremplin vers un emploi standard, et la chance de sortir de cette forme de précarité est assez restreinte. Ainsi, 20 % des employés en intérim ou contrat à durée déterminée en 2008 avaient évolué vers un emploi à durée indéterminée en 2011, alors que ce taux atteint 30 % en Autriche et 48 % en Grande-Bretagne.

Parallèlement, le pouvoir d’achat des salariés a stagné durant les dernières années. Selon une étude de l’INSEE, le revenu disponible brut des ménages a augmenté de 1,1 % en valeur en 2014, après 0,5 % en 2012 et 0,7 % en 2013. Sur l’ensemble de l’année 2015, en revanche, le pouvoir d’achat a bénéficié d’une légère augmentation de 1,8 %. Mesuré par unité de consommation pour le ramener à un niveau individuel, il croît de 1,3 % en 2015, après 0,7 % en 2014.

Les économistes de l’INSEE rappellent toutefois que tous les Français ne sont pas logés à la même enseigne. Les catégories socioprofessionnelles les plus élevées, dont les salaires augmentent plus rapidement que ceux des travailleurs les plus pauvres depuis la crise, en profiteront davantage.

Parallèlement, les rémunérations des dirigeants d’entreprise ont connu une progression bien supérieure, pour atteindre aujourd’hui des niveaux indécents. Dans son rapport sur la rémunération des dirigeants de sociétés cotées, publié en septembre 2015, le cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest a ainsi déterminé que « la rémunération totale moyenne des présidents exécutifs du CAC 40 repasse la barre des 4 millions d’euros pour atteindre 4,2 millions en 2014, soit une hausse de 6 % ».

Alors que ces dirigeants mettent en avant les performances de leurs entreprises pour justifier ces montants, il apparaît que la part des éléments liés à la performance économique reste limitée : « 40 % des présidents exécutifs n’ont pas de rémunération à long terme. » Votre rapporteur observe que les trois plus hautes rémunérations parmi les plus grandes entreprises françaises ont été attribuées sans que les indicateurs de performance de ces dirigeants d’entreprises soient particulièrement bien définis.

Selon Proxinvest, le président-directeur général de Renault-Nissan est en tête du classement pour 2014 avec 15,2 millions d’euros, soit une hausse de 56 %. Il bénéficie d’une double rémunération puisqu’il préside Renault et Nissan, dont Renault détient 43 %. Au titre de 2015, le conseil d’administration de Renault a décidé de lui verser 7,2 millions d’euros, soit une part fixe de 1,23 million, une part variable attribuée sur des critères décrits par Proxinvest comme « des conditions de performance peu exigeantes ». Dans le même temps, un accord de compétitivité signé en 2013 au sein du groupe a abouti à un gel des salaires des salariés de Renault.

Économiquement, mais également socialement, rien ne justifie que ces dirigeants soient payés l’équivalent de 600 à 860 fois le montant du SMIC annuel. Certains économistes ont tenté de justifier la progression et le montant de ces rémunérations en montrant que la hausse de la capitalisation boursière des entreprises fait mécaniquement augmenter les salaires des dirigeants. Lorsque la capitalisation boursière augmente, les enjeux financiers des décisions de gestion sont d’autant plus importants ; dans ces conditions, des différences minimes de compétences entre dirigeants provoquent des écarts de rémunération énormes, car même une toute petite différence de compétence peut avoir un effet se chiffrant en millions de dollars dans une entreprise à très forte capitalisation boursière.

Cependant, si l’on admet que la hausse des salaires des dirigeants provient de la capitalisation boursière, pourquoi les salaires des autres employés des entreprises n’ont-ils pas fait de même ?

L’encadrement des rémunérations présente des vertus économiques incontestables, notamment en termes de soutien à la consommation. Les origines de la crise financière de 2007-2008 appellent la mise en place de cet encadrement au sein des entreprises. En effet, la crise des subprimes est aussi le fruit de la richesse excessive des riches, en quête de rendements élevés pour leur énorme épargne disponible, et de la pauvreté des conditions de vie de millions de ménages qui avaient facilité la mise au point de produits financiers à très haut risque.

Les citoyens sont favorables à une limitation des écarts de revenus, et les jugements des Français sur les salaires « justes » ne sont pas loin de la norme de un à quatre avancée par Platon il y a vingt-cinq siècles. Dans une enquête menée en 1998 par Thomas Piketty, on demandait aux personnes interrogées quels devraient être, selon eux, les revenus mensuels respectifs d’un cadre supérieur d’une grande entreprise et d’une caissière de supermarché : les réponses moyennes étaient un rapport de 1 à 3,6, alors que l’écart réel des salaires moyens de ces deux catégories était au moins de 1 à 9. Contre toute attente, cet écart variait assez peu selon le revenu du répondant. Il n’existe donc pas de « fracture morale » en France sur cette question.

Je souhaite maintenant montrer que les mesures destinées à encadrer les écarts de rémunération ont atteint leurs limites.

Le plafonnement des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques ou sauvées par l’État n’est pas suffisant. Les États-Unis n’ont pas hésité à plafonner les rémunérations dans les entreprises sauvées par l’État fédéral. Ainsi, l’administration Obama a imposé à partir de 2009 un plafond de rémunération globale maximale de 500 000 dollars, soit 384 000 euros, aux patrons et aux équipes de direction des établissements renfloués par l’État fédéral, c’est-à-dire, en premier lieu, à des banques et à des constructeurs automobiles. Dans ce cadre, les dirigeants concernés ont dû renoncer à tout bonus et à tout élément de rémunération variable autre que les dividendes de leurs actions, et à tout parachute doré représentant plus d’un an de rémunération.

Par ailleurs, un principe de comparaison des rémunérations a été établi afin de tenter de dissuader les conseils d’administration d’avaliser des montants établis en dehors de tout référent. Ainsi, à partir de 2017, les sommes accordées aux patrons des 3 800 plus grosses entreprises américaines cotées devront être publiées et mises en regard avec le salaire médian de leurs salariés.

De son côté, la France a mis en place un encadrement des rémunérations des dirigeants qui n’est applicable qu’aux entreprises publiques. Mettant en œuvre un engagement du Président de la République d’imposer « aux dirigeants des entreprises publiques un écart maximal de rémunérations de un à vingt », le conseil des ministres a approuvé le 26 juillet 2012 un décret sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques, les plafonnant à 450 000 euros. Ce plafond n’est pas strictement ce qui avait été promis, puisque le montant fixé est l’équivalent de vingt-cinq SMIC.

Dans le secteur privé, le recours à l’autorégulation a échoué. En 2013, le Gouvernement a renoncé à légiférer pour le secteur privé au profit de la taxe de 75 %, dont on connaît le destin, d’« un renforcement ambitieux du code de gouvernance » et « d’une autorégulation exigeante ». L’engagement des représentants du patronat a reposé essentiellement sur la mise en place du principe inspiré du droit des sociétés anglo-saxonnes du « say on pay ». Il consiste à demander aux actionnaires réunis lors de leur assemblée générale de se prononcer par un vote, le plus souvent uniquement consultatif, sur le mécanisme de rémunération des dirigeants de leur entreprise. Le code de commerce prévoit actuellement que, si l’assemblée générale d’une société anonyme vote le montant global des jetons de présence que le conseil d’administration répartit entre ses membres, la rémunération des mandataires sociaux – président, directeur général et directeurs généraux délégués – est déterminée librement par le conseil d’administration.

En 2016, ces dispositions ont été volontairement appliquées par la plupart des grandes entreprises françaises pour la seconde fois. Force est de constater que cela n’a pas eu pour conséquence une autolimitation du montant des rémunérations proposées aux actionnaires par le conseil d’administration.

Dans le cas récent de la rémunération du président-directeur général de Renault, ce système consultatif a montré ses limites : le 29 avril dernier, quelques heures après le vote de l’assemblée générale ayant rejeté à 54,12 % les éléments de rémunérations dus ou attribués à M. Carlos Ghosn, le conseil d’administration de Renault a « approuvé le maintien de la rémunération décidée pour le président-directeur général pour l’année 2015. »

Devant cette attitude pourtant conforme à la lettre du code de l’AFEP-MEDEF, le président du MEDEF s’est déclaré publiquement « un peu choqué » et le Haut Comité de gouvernement d’entreprise, chargé du suivi de l’application du code AFEP-MEDEF, a publié un communiqué de presse pour indiquer s’être saisi de cette situation. Le 3 mai dernier, devant l’Assemblée nationale, le ministre de l’économie a menacé de légiférer si le conseil d’administration de Renault, qui a maintenu la rémunération du PDG du groupe, malgré l’opposition de la majorité des actionnaires, dont l’État, ne « tirait pas les conséquences » de cette décision.

Cette menace de recourir à la loi, et donc à une norme impérative s’appliquant à tous, montre bien que les promesses et les codes de bonne conduite ne sauraient à eux seuls constituer une réponse utile à ce problème de société que sont les écarts de rémunération. Cela justifie une proposition de loi ayant pour objet de mettre fin aux écarts indécents de rémunération au sein de chaque entreprise. C’est pourquoi le texte présenté prévoit un dispositif simple d’encadrement des rémunérations au sein de l’entreprise.

L’article 1er propose d’encadrer les écarts de rémunération au sein d’une même entreprise par un rapport allant de un à vingt. Cet écart maximal reprend celui proposé il y a plus d’un siècle par le milliardaire John Pierpont Morgan Senior, fondateur de la banque portant son nom, qui avait pour règle de ne pas prêter d’argent à une société dont le dirigeant était payé plus de vingt fois le salaire de ses ouvriers.

Dans chaque entreprise, quel que soit son statut juridique – société privée ou toute autre forme de personne morale, mais également établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) –, le salaire annuel le moins élevé ne pourrait être plus de vingt fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée, que celle-ci soit versée à un salarié ou à un dirigeant mandataire social non salarié. À titre d’exemple, dans les entreprises où le salaire minimal correspondrait au SMIC annuel, soit 17 599 euros bruts, la rémunération maximale annuelle ne pourrait dépasser 351 989 euros bruts.

Si cette rémunération globale la plus élevée venait à dépasser ce montant, les décisions et contrats fixant cette rémunération maximale seraient nuls de plein droit. Ce mécanisme ne constitue cependant pas un plafonnement des rémunérations : le cas échéant, il permet à l’entreprise d’augmenter le salaire annuel le moins élevé pour rendre légale une rémunération maximale qui se retrouverait au-delà du plafond fixé, notamment du fait des modalités de calcul des éléments variables. Ainsi, lorsque la bonne santé et les performances de l’entreprise justifieraient le versement de bonus aux personnes les mieux payées, cette proposition de loi permettrait aux salariés de voir leur salaire augmenter à due concurrence, garantissant ainsi une meilleure répartition des richesses produites dans l’entreprise au profit du travail et donc, indirectement, de notre système de protection sociale.

Afin de permettre le contrôle de la bonne application de cette mesure, un décret en Conseil d’État déterminera les conditions d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les écarts de rémunération pratiqués dans l’entreprise, dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Par ailleurs, afin de limiter les connivences entre dirigeants d’entreprise, notamment dans la détermination de leurs rémunérations, l’article 2 limite à deux, au lieu de cinq actuellement, le nombre de postes d’administrateur de société anonyme pouvant être exercé par une même personne physique. La pratique française de mandats d’administrateur croisés, et de cooptation entre membres des mêmes sphères et réseaux d’influence, favorise les échanges de bons procédés, chacun approuvant la rémunération proposée pour son président.

Enfin, je défendrai un amendement posant le principe d’un vote contraignant de l’assemblée générale des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants des entreprises, comme cela existe notamment au Royaume-Uni ou en Suisse. Cela permettrait que les rémunérations indécentes et ne reposant pas sur des critères de réussite satisfaits puissent être refusées par les actionnaires.

Mme Marie-Thérèse Le Roy. La question de la rémunération des dirigeants d’entreprise constitue un sujet majeur qui provoque souvent l’émoi de nos concitoyens : le patron le moins bien payé du CAC 40 perçoit 1,32 million d’euros par an, ce qui représente 76 SMIC. Les fortes réactions à l’augmentation de la rémunération d’un patron du CAC 40 démontrent qu’il est temps d’agir.

La proposition de loi présentée par notre collègue Gaby Charroux veut légiférer en réponse aux dérives constatées en matière de rémunération des dirigeants de sociétés. À cette fin, le texte propose que, dans toutes les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques, sous quelque forme qu’elles soient constituées, le salaire annuel le moins élevé ne puisse être plus de vingt fois inférieur à la rémunération annuelle globale la plus élevée dans la même entreprise.

Il est aussi prévu de limiter à deux le nombre de conseils d’administration dans lesquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq aujourd’hui, alors qu’il était de huit auparavant.

Avant de revenir sur les dispositions proposées par notre collègue, je voudrais rappeler les progrès importants introduits depuis 2012 par notre majorité, qui lutte contre ces dérives. Dès 2012, les revenus des dirigeants d’entreprises publiques ont été plafonnés, les dispositions du code de gouvernance des entreprises privées AFEP-MEDEF ont été renforcées. À l’échelon européen, les bonus ne peuvent plus excéder les salaires annuels fixes dans le secteur bancaire ; et le système des retraites chapeau des mandataires sociaux a été encadré.

Bien loin des déclarations d’intention, notre majorité n’est donc pas restée les bras croisés et elle agit pour un juste encadrement des rémunérations ; hier, le Président de la République a d’ailleurs évoqué le sujet lors d’un entretien radiophonique en indiquant que le Gouvernement serait prêt à intervenir si le code AFEP-MEDEF n’était pas respecté.

L’article 1er de la proposition de loi encadre les écarts de rémunération ; il comporte toutefois un important risque d’atteinte au principe de la liberté d’entreprendre permettant à chacun d’exercer l’activité souhaitée, ainsi qu’au principe de liberté contractuelle. En effet, aux termes de la Constitution et de la jurisprudence constitutionnelle, ces libertés ne sauraient être limitées que dans l’intérêt général et à condition qu’il n’en résulte pas d’atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi.

Or la réduction des inégalités comme seul motif d’intérêt général invoqué ne me semble pas suffisante au regard du contrôle de proportionnalité de l’atteinte constatée par le juge constitutionnel. Je veux également souligner le fait que cet article 1er ne s’appliquerait qu’aux contrats conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, en vertu du droit constitutionnel au maintien de l’économie des conventions légalement conclues.

L’article 2 prévoit de limiter à deux le nombre de conseils d’administration au sein desquels une personne peut siéger, au lieu de cinq aujourd’hui, afin de lutter contre la consanguinité des conseils de surveillance et des conseils d’administration. La loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques avait déjà abaissé de huit à cinq le nombre maximal de mandats d’administrateur et de membre du conseil de surveillance qu’une personne physique peut exercer.

Nous partageons l’objectif poursuivi par cet article, qui va dans le sens d’une plus grande transparence et d’un meilleur équilibre. Nous partageons aussi le souci d’encadrer plus strictement les écarts de rémunération dans les entreprises. Cependant, en l’état, la rédaction proposée ne nous paraît pas satisfaisante, notamment sur le plan de la constitutionnalité.

C’est pourquoi le groupe socialiste, républicain et citoyen ne soutiendra pas l’article premier dans sa rédaction actuelle, mais votera l’article 2, ainsi que l’amendement du rapporteur tendant à introduire un article additionnel après l’article 2.

M. Arnaud Viala. Les récents débats relatifs à la loi sur le travail, même tronqués et amputés de l’essentiel de leur substance par le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, ont souligné une nouvelle fois qu’on ne peut pas parler travail sans parler rémunération ; ce qui renvoie à l’adage voulant que tout travail mérite salaire. Il convient donc de se poser la question de la juste rémunération des tâches effectuées et des responsabilités exercées dans le cadre de l’exercice de toute activité professionnelle.

Par ailleurs, de récentes polémiques ont défrayé la chronique au sujet de la rémunération des patrons de PSA, de Renault ou de Sanofi. De très grands dirigeants d’entreprise semblent avoir perdu pied avec la réalité en s’octroyant, ou en se faisant octroyer, des émoluments qui dépassent l’entendement et qui, à juste titre, choquent.

Toutefois, il nous semble que ces éléments de contexte méritent d’être considérablement nuancés. En premier lieu, il va de soi que ces quelques exemples répondent sans aucun doute à la redoutable loi de la rumeur publique : on ne parle que des trains qui sont en retard. Personne ne conteste que des rémunérations de plusieurs millions, parfois plusieurs dizaines de millions d’euros par an, sont anormales et doivent être bannies. En revanche, personne ne parle des centaines de milliers de patrons en France qui ne se rémunèrent pas, qui sont moins bien payés que le moins payé de leurs salariés, souvent pendant plusieurs années, afin de garantir la pérennité de leur entreprise. Ceux-là n’ont pas besoin qu’une loi soit votée pour encadrer leurs rémunérations et sont largement majoritaires dans notre pays.

Cela pose d’ailleurs la question fondamentale soulevée par ce texte : faut-il encore légiférer pour encadrer les rémunérations ? Beaucoup de dispositions existent déjà, notamment dans le secteur public. N’est-il pas préférable de donner plus de pouvoir en la matière aux actionnaires des grands groupes, de régler définitivement la question des indemnités de départ et de s’appuyer ensuite sur l’autorégulation au sein des entreprises, plutôt que d’alourdir le stock législatif ? C’est ce que nous pensons.

En second lieu – les récents débats et, surtout, le mécontentement exprimé partout dans notre pays le soulignent avec force –, les entreprises ont besoin de souplesse pour s’adapter à la réalité de leur activité, de leur marché, de leur environnement socio-économique.

L’essentiel de votre proposition, monsieur le rapporteur, repose sur un rapport d’échelle : l’écart de rémunération au sein d’une entreprise, quelle qu’elle soit, ne doit pas être supérieur à un rapport de 1 sur 20. Nous ne doutons pas qu’il puisse se trouver quelques entreprises pour lesquelles ce texte corresponde à la réalité, mais, en l’espèce, votre proposition est inapplicable de manière uniforme. Elle ne conduirait d’ailleurs qu’à accentuer le clivage entre salariés et patrons, dont chacun sait qu’il est délétère. Notre pays doit revenir à une considération simple : il ne peut pas y avoir de salarié sans patron ; 99,99 % des patrons se soucient naturellement du bien-être et des conditions les plus justes pour leurs salariés, sans avoir besoin de cadre législatif contraignant. La même proportion de patrons prend des risques financiers, professionnels, personnels et de santé afin de réussir dans leur activité, que leur rémunération ne compensera jamais.

Enfin, ce texte pose à nos yeux la question de l’orientation que nous souhaitons donner à notre société. Hasard du calendrier peut-être, fleurissent en ce moment, en marge du texte de Mme El Khomri, quantité de propositions concourant toutes au même résultat : la déresponsabilisation totale de l’individu dans notre fonctionnement collectif. J’assistais hier, avec certains de nos collègues, à une audition de la commission spéciale sur la citoyenneté et la laïcité où l’on nous demandait de légiférer afin de rétribuer les activités bénévoles. Ici même, il y a quelques semaines, a été examinée une proposition de loi visant à étendre les droits de la femme enceinte au père géniteur. Je me permets de le dire sans excès et sans aucune volonté de provocation : ces mesures, dont le périmètre peut paraître anodin parce que très circonscrit, font évoluer les mentalités dans le mauvais sens, car elles poussent à l’abandon de toute notion de responsabilité individuelle, de conscience même. Concernant les rémunérations, nous sommes favorables à des dispositifs empêchant les excès manifestes et régulant les montants des indemnités de départ, mais nous considérons que l’autorégulation est tout à fait à même de prévenir l’immense majorité des excès, et qu’elle le fait déjà. C’est pour ces raisons que nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi.

Mme Dominique Orliac. La proposition de loi présentée aujourd’hui par nos collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine s’inscrit dans le contexte de situations parfois intolérables qui font les gros titres de la presse. Il s’agit des rémunérations très élevées de dirigeants d’entreprise, qui, comme l’explique clairement l’exposé des motifs, jouissent parfois d’un revenu pouvant être considéré comme exorbitant au regard de la pénibilité du travail et des salaires des autres personnes employées par la même société.

Alors que l’exposé des motifs cite également l’interdiction des parachutes dorés, qui ne sont toutefois pas concernés par cette proposition de loi, nous sommes en présence d’un texte allant vers plus de justice sociale et qui vise à lutter contre les inégalités et l’accroissement des écarts de salaire. Ce phénomène aggrave, chez une large partie de nos concitoyens, un sentiment d’injustice sociale.

L’idée d’imposer un écart maximal de rémunération entre le plus haut et le plus bas salaire dans une même entreprise n’est pas nouvelle. À ce titre, nous pouvons évoquer cette votation populaire qui a eu lieu en Suisse en 2013 et qui portait sur la création d’un article constitutionnel fixant à douze fois l’écart entre le plus haut et le plus bas salaire d’une entreprise. Cette initiative, qui émanait de la Jeunesse socialiste suisse, a été rejetée par 65,3 % du corps électoral, mais une autre, qui interdisait les parachutes dorés, avait été acceptée. Ainsi, rien n’est utopique et tout peut se concevoir, même au sein d’États paraissant très libéraux.

Le Président de la République avait formulé un engagement de campagne, le vingt-sixième, consistant à imposer aux dirigeants d’entreprises publiques un écart maximal de rémunération de un à vingt. En 2011 déjà, un sondage réalisé par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) donnait 75 % d’avis favorables à un encadrement des hauts salaires ; deux ans après, en 2013, un sondage effectué par l’Institut BVA donnait un chiffre de 76 % d’avis favorables. Il s’agit donc d’une idée qui convainc vraiment les Français.

Si, depuis 2012, la majorité actuelle a plafonné la rémunération fixe et variable annuelle des dirigeants mandataires sociaux du secteur public à 450 000 euros, ce qui équivaut à vingt-cinq SMIC, la présente proposition de loi vise à réduire ce point de 25 à 20, tout en imposant ce plafonnement dans les entreprises publiques et privées.

L’article 2 de la proposition de loi tend à limiter à deux au lieu de cinq le nombre de conseils d’administration au sein desquels une personne peut siéger.

J’ai bien noté que le rapporteur a déposé une dizaine d’amendements. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste attendra par conséquent de voir quelle sera la rédaction issue des travaux de la Commission avant de prendre une décision au sujet de ce texte. Mais, de prime abord, l’idée nous paraît très intéressante.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Les parachutes dorés sont souvent évoqués, mais on oublie trop les « golden hellos », ces primes de bienvenue attribuées avant même que les intéressés n’aient atteint le moindre objectif, et dont les montants, que révèle parfois la presse, sont assez insupportables.

Mme Jacqueline Fraysse. Ce texte se trouve au cœur de l’actualité. Vous avez peut-être entendu ce matin que le PDG du groupe Capgemini a augmenté son salaire de 18 %, ce qui suscite un mouvement de protestation de la part des salariés.

Nous constatons d’indécentes inégalités de rémunérations, incompatibles avec une quelconque cohésion sociale, et qui suscitent la colère légitime de salariés dont les rémunérations sont bloquées depuis de nombreuses années. On imagine l’effet que peut produire sur ces salariés et leurs familles la publication dans la presse du montant des rémunérations des dirigeants, alors que la précarité gagne du terrain et que le chômage augmente.

M. Charroux a fort bien évoqué les justifications apportées à ces revenus exorbitants. Si ces performances sont réalisées par les entreprises, c’est sans doute parce que le PDG est compétent, mais c’est surtout parce que des salariés travaillent. Dès lors, lorsque des bénéfices sont enregistrés par l’entreprise, ceux-ci devraient aussi aller aux salariés.

On peut comprendre que nos concitoyens soient choqués par ces excès, et nous constatons tous que les tentatives d’encadrement actuelles n’ont pas produit leurs effets. C’est pourquoi je considère que cette proposition de loi visant à limiter l’écart entre les salaires les plus élevés et les plus bas – dans un rapport de un à vingt –, et à lier la progression de la rémunération des dirigeants à celle des salariés est de nature à introduire un peu d’équité ainsi qu’à assainir les modes de réflexion, particulièrement celle des syndicats.

Naïvement, je pensais que tout un chacun pouvait partager les objectifs de cette proposition de loi et la soutenir, mais je constate que cela n’est pas le cas. J’entends expliquer que certains patrons connaissent des situations difficiles. Je le concède volontiers, mais ce n’est pas de ceux-là que nous parlons. La proposition de loi concerne les excès, pas les hommes et les femmes qui sont dans la normalité, ce qui est le cas de l’immense majorité de nos concitoyens.

L’autorégulation a été évoquée, et certains chefs d’entreprise s’y astreignent, mais, nous le voyons bien, il y a encore des excès : ce sont leurs auteurs, et eux seuls, qui sont concernés par ce texte.

J’entends aussi le raisonnement portant sur l’augmentation du volume législatif : il vous faut affûter vos arguments si vous souhaitez vraiment soutenir des inégalités aussi criantes, mes chers collègues. Pour ma part, je considère que la loi pourrait nous aider dans notre démarche.

Nos collègues du groupe Socialiste, républicain et citoyen semblent considérer que la réduction des inégalités ne constitue pas un argument suffisant : cela m’étonne, certes, mais, au regard du projet de loi sur le travail ainsi que du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, je suis de moins en moins surprise. Il va donc falloir que je m’habitue à cet état de fait.

J’espère toutefois que le débat permettra à nos concitoyens de constater que, dans cette assemblée, des députés essaient d’organiser la société avec un minimum d’équité et d’efficacité. Chacun pourra alors être jugé en fonction de ses prises de position, étant entendu que nos concitoyens nous regardent et que tous sont choqués par certains excès.

M. Arnaud Richard. La rémunération des dirigeants constitue un sujet de débat récurrent dans l’opinion publique. La question est éminemment politique et médiatique, mais nous estimons que la réponse ne peut être seulement législative. Force est de constater que, malgré la crise que traverse notre pays, la rémunération moyenne des dirigeants des sociétés cotées françaises a considérablement augmenté ces quinze dernières années. Dans le même temps, on a pu observer une décorrélation entre la rémunération de ces dirigeants et la performance à moyen et long terme de leurs entreprises.

En réponse à la publication des montants de rémunérations particulièrement élevés de certains dirigeants ces derniers mois, la proposition de loi du groupe Gauche démocrate et républicaine prévoit d’encadrer les rétributions dans les entreprises afin que la plus haute ne soit pas supérieure à vingt fois le salaire le plus bas.

Si nous pouvons entendre les raisons qui ont conduit le groupe Gauche démocrate et républicaine à déposer un tel texte, nous estimons que légiférer n’est pas la solution à privilégier aujourd’hui. Bien que ces excès en matière de rémunération soient dommageables tant pour l’image des entreprises que pour la paix sociale interne de notre pays, il nous apparaît préférable de laisser sa place au droit souple – « soft law » –, dans la mesure où la rémunération des dirigeants obéit à des règles de marché, ainsi qu’à des principes de gouvernance.

De même, si la limitation du cumul des mandats va dans le sens d’un rééquilibrage des pouvoirs, il ne nous semble pas nécessaire d’en limiter le nombre ; nous suggérons plutôt la mise en place d’outils qui permettront aux administrateurs de jouer pleinement leur rôle.

Par ailleurs, l’expérience étrangère nous apprend qu’il n’est pas pertinent de réglementer à l’excès les entreprises, mais qu’il faut plutôt agir sur plusieurs plans en imposant à la fois des règles générales et en favorisant les bonnes pratiques. Nous sommes bien conscients que les attentes et l’environnement évoluent sous l’influence de grands investisseurs et de sociétés spécialisées qui les conseillent sur ces questions. Aussi, un code de bonne pratique a l’avantage d’être plus souple que la loi.

Aujourd’hui, l’enjeu se situe pour nous autour d’un encadrement plus rigoureux de l’application du code AFEP-MEDEF via un renforcement du rôle du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, l’autorégulation, étant la condition de sa crédibilité et de son maintien.

M. Michel Liebgott. Contrairement au représentant du groupe Les Républicains, je ne crois pas un instant à l’autorégulation : cela renverrait à une question de vertu ; or, comme le rapporteur l’a rappelé, la nature humaine n’a guère progressé depuis Platon.

Il faut donc des règles, et la première à mettre en œuvre, comme cela se pratique dans les pays scandinaves, consiste à exiger une plus grande transparence ainsi que la publicité des rémunérations. Je suis persuadé que Philippe Varin et Michel Combes n’auraient pas renoncé aux montants pharaoniques qu’ils devaient percevoir au titre de leurs retraites chapeau et de leurs primes de départ, si ces sommes n’avaient pas été rendues publiques. Ce qui fait scandale, ce sont ces montants et les effets qu’ils produisent sur ceux qui sont pris dans des difficultés quotidiennes.

Évoquer le sujet constitue une première publicité. Mais les membres des conseils d’administration étant astreints au silence, personne n’ose en parler, ce qui est particulièrement grave. Trop rares sont d’ailleurs les administrateurs salariés siégeant dans ces cénacles ainsi qu’au sein de l’entreprise – la CFE-CGC les estime à 56 % – pour pouvoir influer sur ces rémunérations.

Ce phénomène n’est pas nouveau. Originaire d’une région de sidérurgie, je sais que les maîtres de forges ont longtemps perçu des rémunérations dont les montants sont difficiles à concevoir, y compris quand on les compare avec ce que perçoivent aujourd’hui certains grands patrons. Certes, il n’y a rien de nouveau sous le soleil, mais, si nous voulons que l’égalité progresse dans notre société, nous devons agir. Il faut donc plus de publicité, plus d’interventions des administrateurs salariés, et il faut également vérifier si des situations similaires ne prévalent pas dans les professions libérales, chez les footballeurs et chez les artistes, car le monde de l’entreprise n’a pas l’apanage de ces excès. Nous devons donc poursuivre ce débat utile et réguler ce qui doit l’être.

M. Dominique Dord. Je suis quelque peu choqué par le caractère tardif de cette proposition de loi, qui, au mieux, sera applicable en 2017 : nous aurons donc connu cinq années de majorité de gauche sans aucune réglementation, à part, comme vous l’avez indiqué dans votre propre rapport, des vœux pieux. Nos concitoyens découvrent d’ailleurs qu’après cinq ans d’une majorité de gauche, le patron de Renault continue de percevoir des rémunérations pharaoniques.

Comme vous, je suis choqué par le niveau de rétributions qui dépassent l’entendement. Toutefois, à l’instar de M. Liebgott, je me demande s’il n’y a pas en France plus de footballeurs milliardaires que de patrons du CAC 40, mais, comme par hasard, c’est sur ces patrons que vous insistez, alors que nous devrions pouvoir nous interroger au sujet des professions libérales.

À mes yeux, cette proposition de loi ne pourra que manquer sa cible parce qu’elle est prisonnière de vos propres contradictions : vous détestez le capitalisme familial que vous taxez de toutes parts ; par là, vous favorisez le capitalisme financier. Or la rémunération de ces patrons n’est que la conséquence des pratiques du capitalisme financier que, d’une certaine manière, vous encouragez au détriment du capitalisme familial.

M. Christophe Sirugue. Chacun a bien conscience qu’une entreprise est constituée de salariés et d’un employeur. Tout ce qui participe de l’éloignement de ces deux composantes est nuisible au bon fonctionnement de l’entreprise. La question de la rémunération excessive qui émaille régulièrement le débat public et politique mérite que nous la prenions en considération.

Cette proposition de loi a pour objet de limiter ces excès, et elle est la bienvenue, car elle souligne que des engagements avaient été pris par le MEDEF et les organisations patronales. À M. Dord, je rappellerai qu’il nous avait été expliqué qu’il ne fallait pas légiférer, car le patronat allait adopter une sorte de code de bonne conduite. Nous sommes habilités aujourd’hui à vérifier comment les prescriptions de ce code ont été observées, et cela nous conduit à constater que nous sommes toujours confrontés à ces situations inacceptables.

Nous ne sommes pas placés devant une confrontation opposant l’entreprise familiale à une entreprise qui serait d’une autre nature : la réalité de la mondialisation a passé bien au-delà de celle de nos propres lois.

Comme l’a souligné l’oratrice de mon groupe, nous soutiendrons ce texte, particulièrement l’article 2 et l’article additionnel après l’article 2. Nous ne sommes pas opposés à l’article 1er, mais l’obstacle constitutionnel est réel. En outre, certains pourraient succomber à la tentation d’externaliser les bas salaires pour éviter d’être soumis à cette fourchette de rémunérations. Nos bonnes intentions ne doivent pas entraîner un contournement des règles que nous souhaitons mettre en place.

Mon groupe est par ailleurs déterminé à demander que, dans le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, nous puissions reprendre la question posée par cet article 1er et adopter une rédaction plus pertinente. Il n’y a donc pas de désaccord de fond ; nous souhaitons simplement trouver une meilleure assise juridique à cette disposition.

M. Bernard Perrut. Dans la période difficile que connaît notre pays, avec 6,5 millions de demandeurs d’emploi et beaucoup de nos concitoyens dans la difficulté, nous ne pouvons que nous interroger sur les inégalités et les écarts de rémunération qui nous choquent tous, quel que soit le degré de compétence et de responsabilité des dirigeants concernés.

On peut effectivement être choqué de voir un président de directoire totaliser un gain annuel de 5 millions d’euros, et un autre percevoir 12,5 millions d’euros, alors même que son entreprise réorganise son activité et procède à des licenciements.

Cette volonté d’encadrer les rémunérations intervient dans un contexte de défiance envers quelques patrons, mais tous ne sont pas dans cette situation : je pense à tous les dirigeants qui se battent pour faire vivre nos entreprises. Mais je pense aussi à tous ces sportifs, à tous ces artistes, adulés par les Français, et qui sont pourtant dans la même situation que ces dirigeants d’entreprise.

Si le problème soulevé par la proposition de loi est réel, la réponse proposée n’est ni totalement satisfaisante ni efficace. L’encadrement d’un écart de un à vingt de la rémunération que vous suggérez sera contourné par la stratégie des entreprises, les meilleurs dirigeants quitteront la France, et votre texte trouvera vite ses limites ; pour cela, je me demande même si je partage votre objectif.

Ne pourrions-nous pas imaginer que l’autorégulation et le code de gouvernance permettent l’application des principes de bon fonctionnement et de transparence ? Il faut effectivement mettre un terme à la surenchère aux primes d’accueil et de sortie, qui se comptent en millions et témoignent de la dérive du système. Il faut promouvoir le principe de juste rémunération, augmenter le pouvoir des actionnaires et les responsabiliser, régler la question des indemnités de départ et réfléchir à la nature des objectifs économiques – voire sociaux et environnementaux – susceptibles de conditionner la part de rémunération variable des dirigeants. Par ailleurs, il faut certes prendre en compte la performance, mais aussi la formation des salariés.

Nous devons faire de l’éthique une priorité de l’entreprise, car c’est bien là le sujet : éthique des dirigeants, éthique des pratiques financières, éthiques des marchés, des recrutements et de la formation, et, bien évidemment, éthique des rémunérations. Nous pourrions peut-être même aller plus loin dans ce dernier domaine et poser la question : ce qui est légal est-il toujours moral ?

M. Gérard Bapt. L’entreprise anglo-saxonne Exxon vient d’adopter un plan social conduisant au licenciement de 1 200 salariés dans le monde, dont 400 en France : ceux-ci ont d’ailleurs manifesté devant le siège français d’Exxon, situé en région parisienne. Le PDG, Américain résidant aux États-Unis, vient d’augmenter ses émoluments dans une proportion considérable.

Des actions législatives peuvent intervenir, telle celle qui nous est proposée aujourd’hui afin de limiter ce type de licenciements boursiers, mais des initiatives à caractère administratif peuvent aussi procéder de l’exécutif.

Puisque nous parlons d’éthique, je souhaite évoquer la question de la protection des données personnelles de santé : l’entreprise IMS Health a pour activité le traitement des données, notamment celles relatives à la santé. Il est, à mes yeux, choquant de constater que, dans le cadre du suivi des prescriptions médicales, un organisme administratif confie à cette société le chantier résultant de la charte passée avec l’industrie pharmaceutique.

La responsabilité sociale de l’entreprise ne pourrait-elle pas constituer un critère des appels d’offres de l’administration afin d’éviter que les entreprises qui adoptent de tels comportements – remettant par là en cause notre éthique, et celle de l’Europe, de la protection absolue des données personnelles de santé – puissent être retenues ?

M. Frédéric Barbier. Les rémunérations de plusieurs millions d’euros attribuées à certains patrons du CAC 40, dont la presse s’est fait l’écho ces dernières semaines, nous ont tous fait réagir. Elles sont exagérées en leur montant et souvent déconnectées des résultats des entreprises concernées, notamment quand celles-ci procèdent à des licenciements massifs. Si l’objectif tendant à instaurer un système plus éthique nous semble louable, force est de constater que la présente proposition n’est pas de nature à remettre en cause les rémunérations démesurées dont il a été question récemment, puisqu’elle ne vise qu’à plafonner la rémunération la plus élevée à un niveau vingt fois supérieur à celui du salaire minimal appliqué au sein de la même entreprise : le texte va donc concerner des entreprises dont le dirigeant percevra un salaire compris entre 25 000 euros et 30 000 euros – un montant certes élevé, mais qui n’a rien à voir avec les sommes démentielles citées dans les médias.

J’aimerais savoir ce qui a conduit à retenir un coefficient de vingt entre la rémunération la plus basse et la plus haute : est-ce le résultat d’une étude ? Avez-vous envisagé les conséquences de l’application de ce facteur pour l’économie française ? Savez-vous combien d’entreprises seront touchées ? Par ailleurs, quelles solutions pratiques devront être appliquées aux entreprises concernées : les dirigeants devront-ils diminuer leurs salaires, ou augmenter les salaires les plus bas – ce qui risque d’aboutir à de nouveaux licenciements ? S’il est évident que ce texte part d’une bonne intention, il ne me semble pas de nature à atteindre l’objectif qu’il affiche, car il s’appliquera à des salaires très inférieurs à ceux figurant dans son exposé des motifs.

M. Gérard Sebaoun. Je ne reprendrai pas les arguments exposés par Christophe Sirugue au sujet de la fragilité constitutionnelle de l’article 1er de cette proposition de loi, qui me paraissent tout à fait pertinents.

Pour ce qui est de la proposition numéro 26 du candidat François Hollande en 2012, elle consistait à imposer aux dirigeants des entreprises publiques, et non privées, un écart maximal de rémunération de un à vingt, et c’est bien ce qui a été mis en œuvre par le Gouvernement. En revanche, le programme du parti socialiste pour l’élection présidentielle proposait d’appliquer la même mesure aux grandes entreprises privées, en renvoyant à l’assemblée générale des actionnaires la possibilité d’agir sur la rémunération de leurs dirigeants. Cela implique que le principe du say on pay, appliqué dans de nombreux pays mais essentiellement consultatif, devienne obligatoire en France – c’est le sens de l’un des amendements du rapporteur –, car, en l’état actuel des choses, la charte élaborée par l’AFEP et le MEDEF peut facilement être contournée.

Par ailleurs, il me semble que nos collègues du groupe Les Républicains ont la mémoire courte. En 2008, Nicolas Sarkozy, Président de la République, s’était ému de la dérive des rémunérations des grands patrons, et si l’excellent rapport rédigé par Philippe Houillon et Jean-Luc Warsmann en 2009 a proposé différentes solutions visant à améliorer la situation, aucune n’a été mise en application. Il était ainsi suggéré de limiter la déductibilité de l’assiette de l’impôt sur les sociétés à un million d’euros ; de modifier le statut des comités de rémunération ; de limiter à trois le nombre de mandats sociaux – une mesure qui, pas plus que les deux précédentes, n’a été retenue en 2009, et que le rapporteur reprend dans l’un de ses amendements. Comme vous le voyez, le texte qui nous est soumis rejoint des préoccupations exprimées depuis des années par les parlementaires, toutes sensibilités politiques confondues.

M. Renaud Gauquelin. Alors que l’écart de rémunération entre les Français moyens et les plus démunis est de l’ordre de un à sept ou huit, les sommes versées à certains grands patrons semblent ne connaître aucune limite. Même si elle ne concerne directement qu’une infime partie de la population – cette minorité de patrons percevant des rémunérations d’un montant indécent –, la question dont nous débattons aujourd’hui intéresse une majorité de Français de droite comme de gauche, qui attendent une proposition du Parlement. Afin de préserver le vivre ensemble et la moralité dans une société où les inégalités sont déjà présentes dans nombre de domaines tels que l’accès aux soins ou au logement, il devient nécessaire de s’attaquer au problème, que ce soit au moyen du projet de loi « Sapin 2 » ou de l’article 1er de cette proposition de loi, une fois « verrouillé » pour ne plus poser de problème d’ordre constitutionnel.

Ne rien faire aurait pour conséquence de créer une distorsion de concurrence entre le service public et les entreprises privées, qui se traduirait par la fuite de certains dirigeants du public vers le privé.

Je conclurai en disant que, si le fait qu’un patron gagne vingt fois le SMIC peut se justifier par sa bonne gestion, permettant à l’entreprise qu’il dirige d’afficher d’excellents résultats, et par les énormes responsabilités qu’il doit assumer, notamment vis-à-vis de ses salariés, qui peuvent être plusieurs milliers, la présente proposition aurait à mon sens tout à fait vocation à s’appliquer également à certains avocats, architectes, experts-comptables, chirurgiens esthétiques et radiologues, qui gagnent bien plus de vingt fois le SMIC dans le secteur privé – par le biais des dépassements d’honoraires en ce qui concerne le secteur médical. Il me paraîtrait choquant de légiférer sur les dirigeants du secteur privé sans que les professions libérales, ayant à assumer des responsabilités moins importantes, soient également concernées en cas d’excès.

M. Christophe Cavard. Le groupe Écologiste considère avec bienveillance cette proposition dans l’esprit de la loi relative à l’Économie sociale et solidaire qui, adoptée en 2014, retenait un écart maximal de rémunération de un à dix au sein des entreprises du secteur concerné – avec quelques exceptions, notamment pour ce qui est des médecins travaillant pour la Croix-Rouge.

Comme nous l’avons fait dans le cadre de l’examen de la loi Travail, il importe de bien distinguer l’économie réelle de l’économie virtuelle. Dans la première, 98 % des entreprises – essentiellement des très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) – ne sont pas concernées par ce texte, car la rémunération de leurs dirigeants par rapport à celle de leurs salariés s’y inscrit dans un rapport bien plus faible que l’écart de 1 à 20 que le présent texte propose de retenir : il est même assez fréquent que, lors de la création d’une entreprise, certains dirigeants s’attribuent une rémunération moindre que celle versée aux salariés. En fait, cette proposition de loi a pour objectif principal de combattre les pratiques de l’économie virtuelle, où l’entreprise n’est utilisée que comme un moyen de se livrer à la spéculation.

Chacun s’accorde à reconnaître que certaines situations, notamment celle du PDG de Renault, ne sont plus admissibles. Le chef de l’État lui-même a affirmé hier que, si le patronat ne prenait pas les mesures qui s’imposent, il serait nécessaire de légiférer. Sans doute cette proposition de loi constituée de deux articles ne suffira-t-elle pas à régler le problème, mais elle va dans le bon sens et les propositions qu’elle contient auront vocation à être reprises dans un dispositif législatif plus important. Nous la soutenons donc pour le principe, et dans l’espoir qu’elle incite certains dirigeants à faire évoluer leurs pratiques.

M. Fernand Siré. Cette proposition de loi me semble arriver bien tard, et fait abstraction de la mondialisation de l’économie : si l’on impose en France des contraintes qui n’existent pas ailleurs, on risque de provoquer des délocalisations.

Quand vous parlez des patrons, il s’agit la plupart du temps de grands employés. Il faut rendre le pouvoir aux vrais patrons : je pense aux membres des conseils d’administration, et aux personnes qui prennent le risque d’investir leur argent dans une entreprise.

Enfin, si la situation que vous dénoncez est fréquente dans les pays socialistes ou dans les anciens pays communistes – la Chine ou la Russie, par exemple –, elle reste exceptionnelle en France. Or il me semble qu’il n’est jamais bon de légiférer en réaction à des cas particuliers, comme vous proposez de le faire.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Il est un peu choquant d’entendre dire que la majorité n’a rien fait au cours des quatre années qui viennent de s’écouler : en réalité, des avancées importantes ont été accomplies, notamment en termes de transparence de la vie publique.

Au-delà du problème d’ordre constitutionnel qu’il pose, je pense que l’article 1er de cette proposition de loi présente le risque de pouvoir être contourné. Ainsi, il sera possible de surévaluer le golden hello venant s’ajouter à la rémunération fixe perçue par les dirigeants. Récemment, le nouveau dirigeant d’un grand groupe pharmaceutique, recruté pour mener à bien la mission consistant à restructurer le groupe, c’est-à-dire procéder à des licenciements, s’est vu attribuer à son arrivée une prime de 2,1 millions d’euros et de 65 000 actions gratuites. Malheureusement, le texte qui nous est soumis aujourd’hui n’empêcherait en rien qu’une telle pratique se perpétue.

Par ailleurs, s’il ne faut pas confondre les hauts cadres dirigeants et les patrons des petites entreprises qui font le tissu économique de nos territoires – des entreprises que l’on qualifie trop facilement de « familiales », alors que ce critère n’a rien de pertinent –, je pense que notre rapporteur fait parfaitement la distinction entre ces deux situations.

M. le rapporteur. On mesure, lorsqu’on occupe cette place, à quel point le travail des rapporteurs est long et compliqué : face à la multitude de remarques et de propositions suscitées par la présentation du texte que l’on défend, on voudrait disposer de plus de temps pour pouvoir répondre dans le détail à chacun.

Vous avez eu raison de dire, madame la présidente, que je ne confondais pas les patrons de petites entreprises et les cadres dirigeants de grands groupes du CAC 40 : ce sont bien ces derniers, et eux seuls, qui sont visés par la présente proposition de loi.

Cette proposition est justifiée par un sentiment qui semble unanimement partagé : l’exaspération inspirée par une situation indécente, qui ne saurait durer davantage. De ce point de vue, je comprends mal que l’on me reproche de faire cette proposition de loi aujourd’hui : en tant que député de l’opposition, je saisis l’occasion qui m’est donnée de déposer ce texte dans le cadre d’une niche parlementaire et, si cette proposition devait être adoptée et produire ses effets dans les années à venir, j’en serais ravi. Quand on annonce que le nombre de chômeurs de catégorie A a diminué de 60 000 au mois de mars, je me réjouis à l’idée que ce sont autant de personnes qui échappent à la précarité. De même, si nous pouvons aboutir à davantage de transparence et à une réduction des inégalités sociales grâce à cette proposition, je me féliciterai d’avoir obtenu ce résultat.

Pour ce qui est du facteur 20 – en utilisant cette expression, je fais référence au livre de Gaël Giraud et Cécile Renouard, Le Facteur 12 : pourquoi il faut plafonner les revenus –, il s’agit d’une valeur d’appel : si l’on veut mettre fin à la situation actuelle en matière d’écarts de salaires, que chacun s’accorde à trouver insupportable, il faut bien formuler une proposition. J’admets que nous aurions pu retenir une autre valeur, que ce soit vingt-cinq
– comme cela a été le cas en 2012, avec le décret en conseil des ministres plafonnant la rémunération des dirigeants d’entreprises publiques à 450 000 euros – trente, ou même davantage. Ce n’est pas une question de degré, mais de nature de l’entreprise : face au comportement de certains dirigeants qui semblent agir comme s’ils n’avaient aucune conscience, il importe de se demander si l’entreprise ne doit pas être vue avant tout comme une communauté de destins au sein de laquelle le cadre dirigeant serait lié aux salariés de son entreprise.

Lors de son audition, hier, l’économiste Gaël Giraud a évoqué l’idée selon laquelle la rémunération des grands patrons constitue un bien positionnel, c’est-à-dire qu’elle n’a pas seulement une valeur absolue, mais aussi et surtout une valeur relative, celle résultant de la comparaison avec les rémunérations des autres chefs d’entreprise. De ce point de vue, ce n’est pas tant l’argent que l’on perçoit qui compte, que le fait de pouvoir obtenir autant ou plus que les autres. Ainsi un footballeur vedette – qui, en sa qualité de salarié d’un club, aurait vocation à se voir appliquer les dispositions que je propose – mettra-t-il souvent un point d’honneur à obtenir une rémunération au moins aussi importante que celle perçue par tel ou tel autre joueur, motivé en cela par des considérations d’ordre positionnel – le salaire qu’on est disposé à lui accorder constitue un témoignage de la valeur qu’on lui reconnaît en tant que joueur – plus que par le fait de toucher quelques dizaines de milliers d’euros supplémentaires, qui ne changeront pas grand-chose à son train de vie.

Une étude a été menée auprès d’étudiants de grandes écoles : quand on leur a demandé s’ils préféraient gagner 50 000 euros par mois et percevoir ainsi le salaire le plus élevé de l’entreprise, ou gagner 80 000 euros en devant accepter le fait que des salaires plus élevés soient versés à d’autres personnes dans l’entreprise, ils ont majoritairement répondu qu’ils préféraient la première offre : cela montre que c’est avant tout la position dans l’entreprise qui importe.

La question de la constitutionnalité de l’article 1er a été évoquée. Comme je l’ai indiqué dans mon rapport, l’objet de cette proposition ne consiste nullement à plafonner les rémunérations ou à porter atteinte au droit de l’entrepreneur à tirer les fruits de son entreprise. Dès lors qu’un salaire minimum a été fixé au niveau constitutionnel, conformément à l’intérêt général, pourquoi le fait de fixer un salaire maximum serait-il anticonstitutionnel, alors que cet objectif relève, à mon sens, tout autant de l’intérêt général ? En tout état de cause, peut-être est-il possible de corriger par voie d’amendement le risque d’inconstitutionnalité que certains voient dans l’article 1er : si c’est le fait de retenir un écart de un à vingt qui pose problème, je répète que là n’est pas le plus important.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Limitation de un à vingt des écarts de rémunération dans l’entreprise

La Commission est saisie de l’amendement AS1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je rappelle que l’article 1er a pour objet de limiter de un à vingt les écarts de rémunération dans l’entreprise. L’amendement AS1 vise à améliorer la rédaction de l’alinéa 3 de cet article.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS2 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à préciser que le salaire minimal de référence pour l’encadrement des rémunérations les plus hautes correspond au salaire annuel pratiqué pour un emploi à temps plein en France, que ce soit pour un contrat à durée indéterminée ou un contrat à durée déterminée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement AS3 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement étend le dispositif d’encadrement des rémunérations des dirigeants aux sociétés holding. En effet, certaines entreprises cotées en bourse, comme Renault SA, n’emploient aucun salarié directement : ceux-ci sont employés par leurs filiales – Renault SAS, Nissan Motor ou Dacia, par exemple. Aussi la rémunération des dirigeants de la société holding n’est-elle pas limitée par le dispositif d’encadrement défini par cette proposition de loi. Le présent amendement prévoit donc que le salaire minimal de référence est celui pratiqué dans l’entreprise ou dans une entreprise qu’elle contrôle au sens du code du commerce. Il répond à la crainte, exprimée tout à l’heure par M. Sirugue, d’assister à une externalisation massive des emplois les moins rémunérés – un phénomène que l’on observe déjà, notamment en matière d’emplois industriels.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS4 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement AS4 a pour objet de préciser la définition de la rémunération la plus élevée, qui doit également prendre en compte les éléments de rémunération différée attribués au titre de l’exercice comptable, tels que les retraites complémentaires. Cela permet d’inclure les golden hello dans cette définition.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS5 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’attribution d’éléments variables de rémunération – part variable en fonction des performances, rémunération exceptionnelle, attribution d’actions ou d’options d’actions, indemnité liée à la prise ou à la cessation de fonctions – peut porter le total de la rémunération la plus élevée à un niveau dépassant celui de l’encadrement proposé par le présent texte – le facteur 20 – sans que ce dépassement puisse être attribué à une décision ou à un contrat dont les clauses ont été déterminées avant le début de l’exercice comptable.

Cet amendement de précision organise une vérification du respect de l’encadrement a posteriori, après application des formules de détermination des éléments variables. Si ces formules ne prévoient pas de limites respectant le plafonnement légal, l’ensemble des décisions et contrats attribuant des éléments de rémunération seront annulés et devront être renégociés pour respecter le plafond – à moins que le salaire minimal annuel ne soit augmenté à due concurrence. Je rappelle que, pour rester dans le rapport de un à vingt, le choix est laissé de limiter le salaire le plus haut ou d’augmenter le salaire le plus bas.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS6 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement d’amélioration légistique intègre le sujet des écarts de rémunération au sein de la liste des informations à fournir par l’employeur dans le cadre de la consultation annuelle du comité d’entreprise sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi. Il va dans le sens d’une plus grande transparence vis-à-vis des membres des comités d’entreprise et des comités de rémunération.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 1er.

Article 2 : Limitation du cumul des mandats d’administrateur de sociétés anonymes

La Commission est saisie de l’amendement AS7 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent article propose de limiter à deux le nombre de conseils d’administration au sein desquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq dans le droit actuellement en vigueur.

Comme le développe l’exposé des motifs de la proposition de loi, la pratique française des mandats d’administrateur croisés favorise les échanges de bons procédés, chacun votant la rémunération proposée par le conseil dont il assure la présidence.

Le présent amendement applique le même principe aux sociétés anonymes régies par un directoire et un conseil de surveillance, en ramenant de cinq à deux le nombre de mandats pouvant être exercés au sein des conseils de surveillance.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement AS8 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le présent amendement prévoit un délai de un an à compter de la promulgation du présent texte pour que les personnes concernées par le cumul des mandats d’administrateur ou de membre de conseil de surveillance se mettent en conformité avec le texte. À l’expiration de ce délai, elles seront réputées s’être démises et devront restituer les rémunérations perçues, sans que soit remise en cause la validité des délibérations auxquelles elles ont pris part.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article additionnel après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement AS9 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le récent exemple de Renault ayant montré les limites du vote consultatif des actionnaires, le présent amendement propose de rendre décisionnel le vote de l’assemblée générale sur les rémunérations des mandataires sociaux, et fixe les éléments de la rémunération de chaque dirigeant devant faire l’objet d’une présentation à l’assemblée générale ordinaire par le conseil.

La Commission adopte l’amendement.

Enfin, la Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous avez, monsieur le rapporteur, comparé la limitation des hauts revenus à l’instauration du SMIC, mais je rappelle que la création du salaire minimum répondait à l’exigence figurant dans le préambule de la Constitution de 1946 auquel la Constitution de 1958 se réfère, selon lequel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Les dispositions que vous aviez prévues à l’article 1er méritent que l’on y revienne ultérieurement. Sans doute faudra-t-il, comme le prévoit l’article L. 1 du code du travail pour les projets du Gouvernement portant sur les relations individuelles et collectives du travail, associer les partenaires sociaux à la suite de la discussion de ce texte qui concerne les dirigeants, mais aussi les salariés, représentés ou non.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir déposé cette proposition de loi qui constitue une réelle avancée.

La séance est levée à onze heures dix.

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Présences en réunion

Réunion du mercredi 18 mai 2016 à 9 heures 30

Présents. – M. Élie Aboud, M. Bernard Accoyer, M. Pierre Aylagas, M. Alexis Bachelay, M. Alain Ballay, M. Gérard Bapt, M. Jean-Pierre Barbier, M. Christophe Cavard, M. Yves Censi, M. Gaby Charroux, M. Gérard Cherpion, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Rémi Delatte, Mme Michèle Delaunay, M. Jean-Pierre Door, M. Dominique Dord, Mme Jacqueline Fraysse, M. Renaud Gauquelin, M. Jean-Patrick Gille, M. Henri Guaino, M. Christian Hutin, M. Michel Issindou, M. Denis Jacquat, Mme Chaynesse Khirouni, Mme Conchita Lacuey, Mme Annie Le Houerou, Mme Catherine Lemorton, M. Jean Leonetti, Mme Marie-Thérèse Le Roy, M. Céleste Lett, Mme Geneviève Levy, M. Michel Liebgott, M. Gilles Lurton, Mme Véronique Massonneau, M. Pierre Morange, M. Hervé Morin, M. Robert Olive, Mme Dominique Orliac, M. Bernard Perrut, Mme Bérengère Poletti, M. Pierre Ribeaud, M. Arnaud Richard, M. Denys Robiliard, M. Jean-Louis Roumégas, M. Gérard Sebaoun, M. Fernand Siré, M. Christophe Sirugue, M. Dominique Tian, M. Jean-Louis Touraine, M. Arnaud Viala

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, M. Stéphane Claireaux, M. Philip Cordery, M. Richard Ferrand, Mme Monique Iborra, Mme Isabelle Le Callennec, Mme Gabrielle Louis-Carabin, Mme Monique Orphé, M. Arnaud Robinet, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Sébastien Vialatte, M. Jean Jacques Vlody