Accueil > Travaux en commission > Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Mercredi 25 mai 2016

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 81

Présidence de Mme Marie-Christine Dalloz, Secrétaire

–  Audition de M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques et Premier président de la Cour des comptes, sur l’avis du Haut Conseil relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2015, ainsi que sur le rapport de la Cour relatif aux résultats à la gestion budgétaire de l’exercice 2015 et sur la certification des comptes de l’État – exercice 2015

–  Présences en réunion

La commission entend M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques et Premier président de la Cour des comptes sur l’avis du Haut Conseil relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2015, ainsi que sur le rapport de la Cour relatif aux résultats à la gestion budgétaire de l’exercice 2015 et sur la certification des comptes de l’État – exercice 2015.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Nous entendons aujourd’hui M. Didier Migaud à un double titre, comme président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et comme Premier président de la Cour des comptes. Nous l’avions déjà reçu le 13 avril dernier, sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2016 à 2019. Il nous présente aujourd’hui l’avis, adopté le 20 mai par le Haut Conseil, relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2015.

Ensuite, comme Premier président de la Cour des comptes, vous ouvrirez comme de coutume nos travaux sur le projet de loi de règlement qui sera adopté ce matin en Conseil des ministres, en nous présentant l’acte de certification des comptes de l’État ainsi que votre rapport relatif aux résultats à la gestion budgétaire de l’exercice 2015, tous deux adoptés le 18 mai dernier.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques et Premier président de la Cour des comptes. Comme chaque année, je suis très heureux de venir devant votre commission, afin de vous présenter les travaux que la Cour des comptes et que le Haut Conseil des finances publiques produisent à la demande du législateur organique.

Ces travaux, qui ont vocation à éclairer le Parlement en amont de la discussion du projet de loi de règlement, sont au nombre de trois : l’avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2015 ; l’acte de certification des comptes de l’État de 2015 ; le rapport sur le budget de l’État en 2015.

Il est important de souligner la différence de champ entre ces trois documents : l’avis du Haut Conseil porte sur l’ensemble des finances publiques, alors que les deux rapports de la Cour concernent la situation et les comptes de l’État, et seulement de l’État.

Afin de simplifier la présentation de ces travaux, il a paru judicieux de coupler mes interventions en tant que président du HCFP et en tant que Premier président de la Cour. Je commencerai comme président du HCFP. Pour vous présenter son avis, je suis accompagné de François Monier, rapporteur général du Haut Conseil, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint, et Paul Bérard, rapporteur.

Cet avis est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit comparer l’exécution constatée en 2015 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation pour les années 2014 à 2019. C’est la loi de programmation en vigueur, qui constituait déjà notre référence l’an dernier.

Quant au solde structurel, je rappelle qu’il s’agit du solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.

Le solde effectif, s’établit, d’après les données des comptes nationaux publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) le 17 mai 2015, à – 3,6 %, contre – 4,1 % prévu dans la loi de programmation. Cet écart de 0,5 point de PIB est pour l’essentiel un écart sur la composante conjoncturelle du déficit. La révision à la hausse par l’INSEE de la croissance de 2015 conduit à réduire la composante conjoncturelle du déficit, désormais estimée à -1,6 % au lieu de -2,0 % dans la loi de programmation. C’est la conséquence d’une croissance du PIB meilleure que prévu en 2014 et 2015, à la suite de révisions intervenues sur les comptes nationaux. L’estimation des mesures ponctuelles et temporaires (0 % point de PIB) est inchangée.

En 2015, le déficit structurel s’établit ainsi à 1,9 % du PIB. Le Haut Conseil constate que le déficit structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement est inférieur de 0,2 point de PIB à ce qui était prévu par la loi de programmation en vigueur.

Cependant, le Haut Conseil ne peut se contenter de ce constat, pour au moins deux raisons.

La première est que la trajectoire de solde structurel figurant dans la loi de programmation de 2014 était peu exigeante. Le Haut Conseil avait jugé à l’époque qu’elle n’était pas cohérente avec les engagements européens de la France. Il a relevé qu’après plusieurs échanges avec la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne, cette trajectoire a été en quelque sorte « corrigée » par le Gouvernement dans les programmes de stabilité qui ont suivi, en avril 2015 et en avril 2016. Ces documents représentent mieux les engagements européens de notre pays que la loi de programmation à laquelle le HCFP se réfère en application de la loi organique.

La seconde raison est que les résultats de 2015 mettent une nouvelle fois en évidence la sensibilité de l’indicateur de solde structurel aux révisions de la croissance du PIB. Les révisions à la hausse des chiffres de la croissance tout récemment annoncées par l’INSEE, dont la principale porte sur l’année 2014, ont eu pour effet d’augmenter le déficit structurel de 0,3 point de PIB par rapport aux estimations dont on disposait jusqu’ici. La nouvelle estimation est ainsi de -1,9 % au lieu de -1,6 %. Nous l’avions déjà constaté dans le passé : l’estimation du solde structurel peut être révisée pour des raisons indépendantes de la politique budgétaire.

Pour ces deux raisons, le Haut Conseil suggère que l’appréciation soit complétée par l’examen d’un indicateur traduisant mieux l’action des pouvoirs publics en matière de recettes et de dépenses, à savoir l’effort structurel.

À cet égard, le Haut Conseil constate que l’effort structurel réalisé en 2015, qui représente 0,4 point de PIB selon les dernières estimations, est moindre que celui prévu dans la loi de programmation (0,6 point de PIB).

Il est sensiblement inférieur aux objectifs des deux derniers programmes de stabilité (respectivement 0,8 et 0,7 point de PIB). Le constat est le même sur l’ensemble des années 2014-2015. Ces écarts aux programmes de stabilité s’expliquent pour l’essentiel par une révision à la hausse des dépenses en volume, du fait d’une inflation plus faible que prévu. Ils résultent, pour le reste, des mesures de prélèvements obligatoires un peu plus importantes que programmé.

Ces différents points feront l’objet d’analyses détaillées dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques publié par la Cour en juin.

Je conclurai mon propos sur l’avis du Haut Conseil en rappelant ses trois principales conclusions. Premièrement, le déficit structurel estimé pour 2015 est inférieur de 0,2 point à celui de la loi de programmation, s’établissant à 1,9 point de PIB au lieu de 2,1 points. Deuxièmement, ce déficit structurel, recalculé en 2015 avec les nouvelles données de la comptabilité nationale, est toutefois plus creusé que dans les programmes de stabilité d’avril 2015 et même d’avril 2016, s’établissant à 1,9 % du PIB au lieu de 1,6 %, ce qui signifie que l’effort à réaliser pour revenir à l’objectif d’équilibre structurel de moyen terme sera plus élevé. Troisièmement, l’effort structurel réalisé en 2014 et 2015 a été moins important que prévu dans les deux derniers programmes de stabilité.

À ce stade de mon propos, je m’exprime comme Premier président de la Cour des comptes pour présenter l’acte de certification des comptes de l’État et le rapport sur le budget de l’État. En préalable, je veux à nouveau attirer votre attention sur le fait que ces travaux, prévus par les dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, sont consacrés uniquement au budget de l’État et au dernier exercice clos, à savoir l’année 2015. Ils ne portent pas sur les autres administrations publiques. Ils constituent, je le souhaite, une source de données, d’informations utile pour l’analyse du budget et des comptes de l’État.

La vision d’ensemble « toutes administrations publiques » vous sera apportée dans le rapport annuel que la Cour publiera en juin sur la situation et les perspectives des finances publiques.

Pour vous présenter ces rapports, à mes côtés se trouvent Raoul Briet, président de chambre, qui préside la formation interchambres chargée de leur préparation, et Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public et des programmes.

Les travaux sur lesquels s’appuient ces documents ont été réalisés par des équipes animées respectivement par Emmanuel Belluteau, conseiller maître, Lionel Vareille, conseiller référendaire, et Laurent Zérah, expert, pour l’acte de certification, par les équipes animées par Guilhem Blondy et Vianney Bourquard, conseillers référendaires, ainsi que Louis-Paul Pelé, rapporteur, pour le rapport sur le budget de l’État en 2015. Les contre-rapporteurs étaient respectivement Jean-Pierre Laboureix et Christian Charpy, conseillers maîtres.

J’aborderai successivement et de façon aussi concise que possible le contenu de ces deux documents, qui synthétisent chacun un travail très riche, avant de répondre à vos questions.

Depuis 2006, en application des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la Cour a procédé à dix reprises à un examen approfondi des comptes de l’État. Ces comptes sont arrêtés par le ministre des finances et des comptes publics. Ils sont intégrés dans le projet de loi de règlement qui vous est soumis par le Gouvernement.

Dans l’acte qui est porté à votre connaissance aujourd’hui, la Cour vous apporte une opinion motivée sur la régularité, sur la sincérité et sur la fidélité de l’image que donnent les documents produits par l’État de sa situation comptable et financière. Elle porte sur la comptabilité générale de l’État. Il ne s’agit pas, en revanche, d’une appréciation quant à la sincérité de la comptabilité budgétaire de l’État.

Je vous rappelle les trois chiffres-clés, aisés à retenir, qui vous permettront d’appréhender synthétiquement le bilan de l’État au 31 décembre 2015. D’une part, le passif total s’élève à environ 2 100 milliards d’euros. D’autre part, le total des actifs atteint presque 1 000 milliards d’euros, à un niveau globalement stable par rapport à fin 2014. Ainsi, la situation nette de l’État est négative, d’environ 1 100 milliards d’euros. Enfin, les engagements hors bilan de l’État atteignent 3 300 milliards d’euros, soit un montant stable par rapport à fin 2014, la moitié de ces 3 300 milliards d’euros étant au titre des retraites civiles et militaires et le quart au titre de garanties accordées par l’État.

Au titre de l’exercice 2015, la Cour certifie que les comptes de l’État donnent une image fidèle de son patrimoine et de sa situation comptable et financière. Elle assortit cette certification de réserves en formulant, comme l’an dernier, cinq réserves substantielles, les mêmes que l’an dernier.

Trois d’entre elles présentent un caractère quasi systémique.

Premièrement, la Cour estime toujours que le système d’information financière et comptable de l’État reste complexe, coûteux, peu sûr et exposé à des risques d’erreur. Je rappelle qu’il est constitué de Chorus et de plus de 300 autres applications informatiques.

Deuxièmement, les dispositifs ministériels de contrôle interne et d’audit interne ne sont pas encore organisés et pilotés de manière satisfaisante. La Cour a néanmoins constaté cette année des progrès. Certains ministères sont désormais dotés de dispositifs d’audit conformes aux attentes. Je pense en particulier au ministère de la justice.

Troisièmement, la comptabilisation en droits constatés des produits régaliens, autrement dit du produit des impôts, des créances et des dettes fiscales, continue de pâtir des insuffisances des données fiscales et des contrôles qui leur sont appliqués.

Les deux autres réserves concernent à nouveau, d’une part, les immobilisations et les stocks du ministère de la défense et, d’autre part, les immobilisations financières de l’État.

Pour ce qui est des immobilisations et des stocks du ministère de la défense, des incertitudes continuent de peser sur les inventaires de stocks et de matériels militaires, sur leur évaluation, et sur le recensement et l’évaluation par le ministère de ses biens immobiliers.

En ce qui concerne les immobilisations financières de l’État, la Cour ne peut toujours pas se prononcer sur la fiabilité de l’évaluation d’un grand nombre de participations financières.

Un tableau retraçant l’évolution des réserves dans le temps vous a été communiqué dans la synthèse. Il met en évidence le fait que depuis 2006, premier exercice soumis à la certification, l’administration a consenti des efforts qui ont permis la levée progressive de réserves substantielles.

Même si les cinq réserves substantielles sont inchangées depuis 2013, cela ne veut pas dire qu’aucun progrès n’a été enregistré dans cette période. Cela ne veut pas dire non plus que rien n’a changé sur le fond ni davantage qu’aucun constat d’audit nouveau n’est apparu. Et l’année 2015 en donne une illustration claire.

Comme l’an dernier, en effet, la dynamique d’amélioration se poursuit, malgré la stabilité globale apparente. De multiples évolutions, dans le bon sens, ont été relevées : 43 parties de réserves font l’objet d’une levée dans l’acte ; toutes les réserves sont concernées par ces levées, y compris celles dites systémiques, qui concernent le système d’information et le contrôle interne ; des levées interviennent sur des sujets récurrents, comme les immobilisations anciennes du ministère de la défense ou le classement comptable des établissements publics de santé.

Je le disais : l’administration continue de consentir des efforts en matière de gestion comptable et financière. Ces efforts sont importants et utiles parce qu’ils accroissent la fiabilité des comptes, sous le regard attentif du certificateur et parce qu’ils agissent comme un levier décisif de modernisation des administrations.

Dans un rapport récemment publié, la Cour a dressé le bilan de la tenue par l’État d’une comptabilité générale, dix ans après son entrée en vigueur. Elle a pu en mesurer les apports, notamment dans la connaissance de sa situation patrimoniale et la modernisation de ses services. Elle a mis en évidence les progrès importants réalisés grâce au dialogue soutenu entre certificateur et certifié. Mais elle a aussi relevé une utilisation limitée de la comptabilité générale par l’administration, en particulier les gestionnaires, et par les parlementaires eux-mêmes, qui avaient souhaité la réforme comptable il y a dix ans. La Cour regrette d’autant plus cet état de fait que la bonne utilisation de la comptabilité générale devrait permettre d’identifier des leviers d’amélioration de la gestion des organismes publics – les familiers de ces sujets parlent de « chaînage vertueux ».

À cet égard, l’effort prioritaire doit être porté sur l’amélioration des conditions d’établissement des comptes et sur leur meilleure utilisation. Le souci constant doit être de proportionner les travaux à l’objectif de fournir une information comptable fiable et répondant aux besoins de ses destinataires, qu’ils soient institutionnels, financiers ou citoyens.

Il importe à cette fin de tirer davantage parti des possibilités d’automatisation et de dématérialisation, d’enrichir l’information comptable à la disposition des gestionnaires et de développer la comptabilité analytique. C’est une nouvelle étape à engager, guidée par le souci de faire de la comptabilité générale un outil utile aux décideurs et gestionnaires publics.

Afin de prolonger la réflexion, la Cour organisera le 30 juin prochain, conjointement avec le Sénat, un colloque sur ce sujet.

Ce travail apporte un éclairage sur les finances de l’État, en analysant l’exécution budgétaire de l’année 2015. Il permet de l’apprécier au regard des prévisions budgétaires initiales, mais aussi de la comparer avec l’exercice budgétaire précédent.

Pour la première fois cette année, il comporte en outre un chapitre consacré à une problématique de gestion budgétaire : le thème retenu cette année, central pour la politique budgétaire, est celui des normes de dépenses de l’État. Ces normes constituent les dispositifs d’encadrement de l’évolution de ces dépenses d’une année sur l’autre. Le chapitre s’efforce de dresser un bilan de leur mise en œuvre depuis leur instauration en 1996.

Ce rapport est livré avec 58 analyses de la gestion des missions budgétaires et cinq analyses spécifiques : deux sur l’exécution des recettes, fiscales et non fiscales ; une sur les dépenses fiscales ; et, pour la première fois aussi cette année, deux sur les prélèvements sur recettes, au profit respectivement des collectivités territoriales et de l’Union européenne. Au total, ce sont plus de 2 500 pages, 2 586 pages précisément, qui sont mises à votre disposition.

Je le disais dans mon introduction générale : ce travail ne traite que du seul budget de l’État en 2015 et non de l’ensemble des finances publiques. C’est en juin que la Cour livrera ses constats sur la situation et les perspectives des finances publiques, dans un rapport qui couvrira le périmètre « toutes administrations publiques ».

Dans son rapport sur le budget de l’État en 2015, la Cour a dressé six constats. Premièrement, le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions mais en faible amélioration par rapport à 2014, hors éléments exceptionnels. Il reste à un niveau élevé. Deuxièmement, le ralentissement de la croissance de la dette par rapport aux années précédentes est lié principalement à la politique d’émission. Troisièmement, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions. Quatrièmement, la maîtrise des dépenses est partielle et ses résultats restent fragiles. Cinquièmement, le périmètre des normes de dépenses doit être clarifié puis stabilisé et leur suivi rendu plus transparent. Enfin, le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l’effort en faveur d’une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d’efficacité et d’efficience, et si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques qu’ils ont arrêtée.

Le déficit budgétaire est inférieur aux prévisions, mais en faible amélioration par rapport à 2014, hors éléments exceptionnels, de sorte qu’il reste à un niveau élevé. Le déficit budgétaire de 70,5 milliards d’euros est inférieur de 15,1 milliards d’euros à celui de 2014 et de 3,9 milliards d’euros à celui prévu en loi de finances initiale (LFI).

Par rapport au déficit enregistré en 2014, on pourrait avoir l’impression d’une forte amélioration. Mais, comme la Cour le fait remarquer chaque année, l’appréciation du niveau de déficit doit se faire après l’avoir retraité des éléments exceptionnels intervenus. Pour 2015, il s’agit notamment, d’une part, du deuxième programme d’investissements d’avenir (PIA) et, d’autre part, du versement au mécanisme européen de stabilité (MES). Une fois ce retraitement opéré, le déficit budgétaire ne s’améliore plus, en réalité, que de 0,3 milliard d’euros, ce qui est relativement faible. Il faut toutefois relever que cette faible amélioration a été obtenue alors que la montée en charge du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et la compensation à la sécurité sociale du pacte de responsabilité et de solidarité ont pesé sur le budget de l’État à hauteur respectivement de 5,4 et 5,1 milliards d’euros. Au sein des administrations publiques, c’est en effet le budget de l’État qui a supporté la totalité de la politique d’amélioration de la compétitivité des entreprises décidée par le Gouvernement et mise en œuvre depuis trois ans.

Au total, le déficit reste à un niveau toujours élevé en valeur absolue, puisqu’il s’élève à 70,5 milliards d’euros. Il représente près de trois mois de dépenses du budget général, ce qui est équivalent au budget de l’enseignement scolaire ou au produit de l’impôt sur le revenu.

En deuxième lieu, la Cour observe que le ralentissement de la croissance de la dette est lié principalement à la politique d’émission. Fin 2015, la dette financière négociable de l’État atteignait 1 576 milliards d’euros. Cette augmentation de 48 milliards d’euros est conséquente mais inférieure à celle enregistrée en 2014. Elle est surtout inférieure au déficit de l’année 2015.

Ce ralentissement s’explique par les spécificités de la politique d’émission de l’Agence France Trésor (AFT) dans l’environnement actuel de taux bas. La politique d’émission d’obligations par l’État a été telle que l’Agence France Trésor a encaissé en 2015 des primes à l’émission à hauteur de près de 23 milliards d’euros. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur le mécanisme qui l’explique.

En tout état de cause, une grande partie de ce montant a été mobilisé pour réduire l’encours de la dette à court terme. Cette politique d’émission a permis une déconnexion entre la croissance de la dette et le niveau du déficit. Mais cette déconnexion n’est que temporaire. La dette rattrapera progressivement le niveau qu’elle aurait atteint en l’absence de cette politique. Et les primes à l’émission encaissées en 2015 auront leur contrepartie dans le paiement de coupons plus élevés dans les prochaines années.

Selon l’AFT, cette particularité de la politique d’émission, relevée en 2015 et qui semble se prolonger, à un degré moindre, sur 2016, vise à répondre à la demande des investisseurs et aux évolutions de cette demande provoquées par la politique d’achats de la Banque centrale européenne (BCE). Elle a permis en 2015 de protéger la dette française du risque de remontée des taux en réduisant la part de dette à court terme dans la dette totale, celle-ci s’étant fortement accrue après la crise de 2008. Ces objectifs sont prudents : vouloir optimiser la charge budgétaire de la dette à n’importe quel risque serait contre-productif. En revanche, il serait erroné d’interpréter le ralentissement temporaire de la croissance de la dette observé en 2015 comme une amélioration structurelle des finances de l’État.

À cet égard, comme je le rappelais tout à l’heure, la situation nette de l’État est négative d’environ 1 100 milliards d’euros en 2015, soit quatre mois de produits régaliens, contre seulement deux en 2008.

Troisième constat de la Cour : en 2015, contrairement aux années précédentes, les recettes ont été proches des prévisions.

Les recettes fiscales nettes se sont élevées à 280,1 milliards d’euros, soit 1 milliard d’euros au-dessus des prévisions de la LFI. L’évolution spontanée, c’est-à-dire à législation constante, des recettes fiscales a été conforme aux évaluations initiales pour plusieurs raisons : grâce à des prévisions macroéconomiques réalistes, à des prévisions prudentes d’élasticité des recettes, et grâce à un bon rendement du contrôle fiscal. Le léger surcroît de recettes fiscales par rapport à la LFI s’explique par des recettes 2014 un peu plus élevées que prévu, de 1,9 milliard d’euros. L’amélioration de la qualité et de la sincérité des prévisions de recettes fiscales est indéniable. C’est un progrès à saluer.

L’impact des mesures fiscales a été inférieur à celui estimé en LFI, à savoir une baisse de 0,8 milliard d’euros, en raison d’une montée en charge plus rapide du CICE. Son coût s’est élevé à 12 milliards d’euros en 2015. Cette sous-évaluation du CICE a été en partie compensée par des événements favorables non reconductibles en 2016 : régularisation versée par EDF au titre des années antérieures ; moindres remboursements dans le cadre des contentieux communautaires ; et rendement élevé de la réforme des délais de paiement des droits de succession.

L’augmentation plus rapide que prévu du coût du CICE a conduit à dépasser les plafonds annuels de dépenses fiscales et de crédits d’impôt prévus par la loi de programmation, en l’absence de mesure visant à réguler le niveau des autres dépenses fiscales. Dans ce contexte, un renforcement des dispositifs de maîtrise des dépenses fiscales est indispensable pour concentrer les moyens sur des dispositifs ciblés, cohérents avec les objectifs de politiques publiques. Les évaluations de dépenses fiscales sont trop rares pour alimenter des propositions de réformes argumentées. Et les conférences fiscales encore dépourvues de résultats concrets.

J’en viens au quatrième constat de la Cour : la maîtrise des dépenses de l’État est partielle et ses résultats sont fragiles.

D’une part, la maîtrise des dépenses est partielle. Les dépenses nettes du budget général de l’État en 2015 se sont élevées à 296,5 milliards d’euros, soit un niveau très proche de la LFI. Des redéploiements importants ont eu lieu en cours d’année. Des mesures nouvelles ont modifié la répartition des dépenses. Je pense notamment à l’augmentation des contrats aidés, aux mesures rendues nécessaires par les sous-budgétisations concernant notamment les opérations militaires extérieures, par les refus d’apurement communautaire au titre de la politique agricole commune, à l’allocation aux adultes handicapés ou encore à l’hébergement d’urgence des migrants. Les dépenses supportées par le budget général ont été aussi accrues par le transfert de dépenses d’investissement militaire qui devaient initialement être financées sur un compte d’affectation spéciale. Certains mouvements de rebudgétisation ont permis d’aller dans le sens d’un meilleur respect du principe de l’unité budgétaire. Ce principe vise à garantir au Parlement un contrôle sur le périmètre de dépenses publiques le plus étendu possible.

En revanche, le premier plan de lutte anti-terroriste a eu un impact encore limité sur 2015 en raison de recrutements concentrés sur la fin de l’année. Les conséquences sur l’équilibre global de ces dépenses supplémentaires ont été limitées. Cela est dû à une charge de la dette plus faible que prévu de 2,2 milliards d’euros et à une forte sollicitation de la réserve de précaution.

Par rapport à 2014, après prise en compte de ces éléments exceptionnels et de ces effets de périmètre, les dépenses 2015 ressortent à 299,2 milliards d’euros, en augmentation de 2,6 milliards d’euros.

Ce diagnostic mitigé sur la maîtrise des dépenses est conforté si on examine les deux autres objectifs figurant dans l’exposé des motifs de la LFI 2015, concernant les économies et les normes de dépenses.

L’objectif d’économies sur les dépenses de l’État et de ses opérateurs, hors charge de la dette, hors pensions et hors PIA, s’élevait à 7,3 milliards d’euros par rapport à la LFI 2014. Les économies sur l’État et les opérateurs imputables à l’exercice 2015 ne représentent finalement selon la Cour que 1,7 milliard d’euros. Elles correspondent à hauteur de 60 % à des prélèvements sur le fonds de roulement d’organismes publics qui ne sont pas reconductibles en 2016.

Sur le périmètre de la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions, les dépenses sont inférieures à l’exécution 2014 de 1,4 milliard d’euros, mais supérieures à l’objectif de la LFI de 1,3 milliard d’euros.

La révision à la baisse de l’inflation a permis de faciliter la tenue de la norme de dépenses de l’État. Elle a conduit mécaniquement à diminuer la charge d’intérêts, une partie de la dette étant indexée sur l’inflation. Par ailleurs, initialement fixée à 282,6 milliards d’euros, la norme de dépenses hors charge de la dette et pensions a été assouplie en fin d’année. Elle a été portée à 284 milliards d’euros, notamment pour prendre en compte le transfert sur le budget général de dépenses d’investissement militaire initialement financées sur un compte d’affectation spéciale. Les dépenses dans le périmètre de la norme ainsi révisée se sont élevées selon le Gouvernement à 283,9 milliards d’euros.

La Cour constate que des contournements de la charte de budgétisation ont permis de minorer ce montant d’environ 3 milliards d’euros. Ces contournements ont notamment pris la forme d’une substitution de recettes affectées à des crédits budgétaires, notamment pour le financement des infrastructures de transport à hauteur de 1,1 milliard d’euros, le remboursement de la dette à la sécurité sociale pour 0,6 milliard d’euros ou la réforme du financement de l’apprentissage et de la formation professionnelle, pour 0,5 milliard d’euros.

D’autre part, la maîtrise des dépenses, partielle, repose sur des bases fragiles. Ces bases ne sont pas toutes reconductibles les années suivantes. L’évolution est en effet contrastée selon la nature des dépenses.

Les transferts de l’État aux collectivités territoriales et ses concours aux opérateurs sont stabilisés après des années d’augmentation rapide. Des économies de constatation sur la charge de la dette mais aussi le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne ont offert des marges de manœuvre en gestion.

En revanche, l’effort est faible sur le périmètre propre de l’État. Les dépenses de personnel ont augmenté pour la deuxième année consécutive passant à 121,1 milliards d’euros en 2015, après 120,2 milliards d’euros en 2014 et 119,6 milliards d’euros en 2013. L’État a créé des emplois publics, à savoir 2 625 équivalents temps plein travaillé pour la première fois depuis 2002. Ses dépenses de fonctionnement et d’investissement ont aussi fortement progressé.

Le cinquième constat de la Cour est d’une nature un peu différente, car il ne porte pas seulement sur l’exécution 2015. Le bilan de vingt ans d’utilisation des normes de dépenses en France conduit la Cour à recommander que le périmètre des normes de dépenses soit clarifié puis stabilisé. Leur suivi devrait être rendu plus transparent.

La norme de dépenses est une règle d’évolution à périmètre constant des dépenses que l’État s’impose depuis 1996. Au fil du temps, les fonctions de la norme se sont diversifiées. Elle ne constitue plus seulement un outil de pilotage interne des gestionnaires, mais aussi un moyen d’expression externe de la stratégie budgétaire du Gouvernement. Elle est approuvée par le Parlement dans la loi de programmation pluriannuelle depuis 2009. Il est désormais indispensable de clarifier les périmètres de deux normes et d’assurer un meilleur suivi. La Cour propose de renforcer la distinction entre une norme de gestion comprenant les dépenses maîtrisables annuellement par l’administration et une norme globale, plus large et plus directement cohérente avec les objectifs généraux de finances publiques. Elle recommande en outre que le Gouvernement rende publique régulièrement en cours d’année une prévision d’exécution des dépenses sur le périmètre des deux normes.

J’en viens à ma sixième et dernière observation. Il s’agit aussi d’une transition vers les constats que je serai amené à partager avec vous le mois prochain dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Le contexte économique ne doit pas conduire à relâcher l’effort en faveur d’une gestion plus rigoureuse des dépenses, compte tenu des marges d’efficacité et d’efficience qui apparaissent à l’analyse, et si les pouvoirs publics veulent respecter la trajectoire de finances publiques qu’ils ont arrêtée.

Les risques budgétaires sont significatifs pour l’État à moyen terme. La montée en charge du CICE et celle du pacte de responsabilité et de solidarité devront être financées dans la durée. En dépenses, des engagements juridiques importants ont été pris en 2015 concernant notamment le fonds de soutien des collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts toxiques, le plan France très haut débit ou les grands programmes d’armement. S’y ajoutent les décisions concernant la politique de recrutement de l’État, sa politique salariale, la programmation militaire ou le deuxième plan de lutte anti-terroriste, qui auront des conséquences sur la programmation pluriannuelle 2017-2019. Ces conséquences ne sont pas encore complètement mesurées.

Bien que la BCE ait prolongé au moins jusqu’en mars 2017 sa politique monétaire non conventionnelle, l’État est toujours exposé au risque de taux : une remontée des taux de 1 % sur l’ensemble de la courbe des taux conduirait à augmenter la charge de la dette de 2,1 milliards d’euros la première année, de 4,8 milliards d’euros la deuxième année et de 16,5 milliards d’euros au bout de dix ans.

Pour financer ses politiques prioritaires et faire face à la remontée inéluctable à terme de la charge de la dette, des économies structurelles sont nécessaires. Celles-ci n’apparaissent pas clairement dans l’exécution 2015. En 2016, le contexte économique et financier plus favorable doit pouvoir être utilisé pour mettre en œuvre, par des choix explicites reposant sur une évaluation de l’efficacité des dépenses, des réformes nécessaires au rétablissement durable des finances de l’État.

Dans quelques jours, vous examinerez le projet de loi de règlement. C’est une incitation à regarder les résultats de l’action publique – ce texte de loi gagnerait sûrement à reprendre ce terme dans son intitulé. En effet, c’est l’occasion pour vous de mesurer très directement l’écart entre les annonces, l’action du Gouvernement et les résultats obtenus. C’est aussi l’occasion pour vous de constater ce décalage entre les moyens consacrés et les résultats obtenus, que j’évoque régulièrement quand je présente les travaux des juridictions financières.

C’est enfin l’occasion pour vous d’en tirer les conséquences, au regard des priorités que vous avez fixées pour l’action publique et pour la maîtrise de nos finances publiques. Les constats, les observations et les recommandations de la Cour des comptes sont à votre disposition. Ils sont là pour vous éclairer.

Mme Marie-Christine Dalloz, présidente. Il faut saluer le travail important de la Cour des comptes et de vos équipes. C’est un éclairage essentiel que vous nous apportez aujourd’hui. J’estime que nous devons prendre l’habitude de nous appuyer davantage sur vos travaux et sur vos commentaires.

S’agissant de la loi de programmation, l’effort structurel aura été moins fort que prévu, comme vous l’avez souligné. Cela a des conséquences sur le déficit structurel. Nous devons attirer l’attention du Gouvernement sur ce point. Outre la dégradation du solde, un déséquilibre s’opère.

S’agissant de la loi d’exécution, vous avez noté un faible mieux du déficit, une fois retraités la contribution au MES et les programmes d’investissements d’avenir. Mais ce mieux n’est que de 300 millions d’euros. Avec la baisse de la charge de la dette, l’on aurait pu imaginer un meilleur résultat. Vous avez dit que la maîtrise des dépenses reste partielle et fragile. En fait, l’on a mis à contribution les collectivités, les opérateurs de l’État et l’Union européenne : sur le périmètre de l’État, les efforts ne sont ni suffisants ni prégnants.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Par le passé, les recettes et les dépenses n’ont pas toujours été proches des prévisions. Il faut saluer le progrès du Gouvernement dans sa capacité à faire voter le budget sur la base de chiffres cohérents.

Monsieur le président du Haut Conseil, vous savez sans doute qu’une quarantaine de parlementaires européens et nationaux, ainsi que huit ministres des finances, dont le ministre des finances italiennes, M. Tommaso Padoa-Schioppa dont la réputation d’économiste n’est plus à faire, ont écrit une lettre au commissaire européen Pierre Moscovici pour attirer son attention sur le fait que cette question d’effort structurel s’appuie sur une croissance potentielle mesurée sur deux ans, alors que tous les instituts économiques du monde reconnaissent qu’il faut prendre en compte une période plus large. Même le Fonds monétaire international (FMI) a opéré son mea culpa sur ce sujet en 2013. Je constate avec satisfaction que le Haut Conseil est maintenant plus en ligne avec les instituts économiques et avec le FMI pour mesurer l’écart entre la progression réelle du PIB et la croissance potentielle de l’économie. Il me paraît en effet primordial de s’appuyer sur les bons indicateurs. Nous attendons encore à cette date la réponse du commissaire sur ce sujet.

Dans votre rapport sur l’exécution du budget de l’État, vous montrez dans un tableau que les transferts de l’État vers les collectivités locales sont stables. Cela va assurément à l’encontre de ce que nous pouvons entendre. Ces transferts seraient même passés de 101,9 milliards d’euros en 2013 à 102,8 milliards d’euros en 2015. Quelle est en définitive votre appréciation ? Cette stabilité vous semble-t-elle nécessaire ? Alors que vous avez dit que l’ensemble des efforts de réduction de la dépense sont essentiellement portés par les collectivités locales plutôt que par l’État, ce tableau paraît en tout cas dire le contraire.

Vous avez peu parlé en revanche du solde des comptes spéciaux. Ils présentent pourtant un excédent de 1,6 milliard d’euros. Cela vous paraît-il s’inscrire dans une tendance durable ?

Vous avez contesté le relèvement des normes de dépenses en cours de gestion. Quelle serait cependant la préconisation de la Cour des comptes alors que les crédits Défense ont dû être relevés au cours de l’année 2015 ?

M. Marc Le Fur. Je ferai trois remarques avant de poser quatre questions.

J’observe d’abord que cinq réserves substantielles subsistent, malgré la progression observée. Ensuite, la différence entre l’actif et le passif de l’État m’inquiète, car 1 115 milliards d’euros représentent un montant considérable. Enfin, j’observe que, pour la première fois depuis 2002, l’État recommence de créer des emplois.

Qu’en serait-il si le prix du pétrole n’était pas si faible, de même que l’inflation, et les taux d’intérêt très favorables ? S’agissant de la gestion de la dette, les primes à l’émission encaissées par l’État ne reviennent-elles pas à reporter le coût de la dette sur les années ultérieures ? Puisque vous avez dit que le rendement du contrôle fiscal s’est accru, pourriez-vous nous fournir des chiffres et tracer des prévisions ? Alors que l’État paraît faire des efforts, en va-t-il toujours de même de ses opérateurs ? Comme rapporteurs spéciaux de la commission des finances, nous essayons de les mettre eux aussi sur le chemin de l’effort collectif.

M. Dominique Lefebvre. L’appréciation que vous portez sur la certification des comptes de l’État montre que des progrès sont là. À une époque où le doute s’installe parfois chez nos concitoyens, il est particulièrement important que la sincérité des comptes soit aussi bien assurée. Nous en débattons malheureusement trop peu en séance publique ou même au niveau de notre commission.

C’est une bonne chose de disposer d’une comptabilité générale de l’État. Elle met en perspective des éléments qui n’apparaissent pas dans une approche purement budgétaire de la situation. Dans une vie professionnelle antérieure, je fus le contre-rapporteur de cet acte de certification. Je regrette qu’il en soit fait si peu usage, en termes d’analyse et d’éclairage des choix d’avenir.

Depuis que cette démarche a été adoptée, en 2006, un certain nombre d’obstacles ont été levés. Nous assistons à des levées de réserve régulières. Son produit doit être plus utilisé. Je participerai à un colloque organisé fin juin par le Sénat sur ce sujet.

Quant au reste, nous sommes d’accord sur les chiffres, même si nous en faisons une analyse divergente. La Cour des comptes joue son rôle en signalant les problèmes pour l’avenir, mais nous devons rappeler aussi ce qui a déjà été réalisé, ne serait-ce que pour encourager encore à des efforts futurs.

Par exemple, le ratio recettes/dépenses adopté en loi de finances initiale a été respecté. Le niveau de recettes prévu a bien été atteint. C’est une bonne nouvelle, alors que, dans les années antérieures, les prévisions ont souvent été trop optimistes.

En 2015, nous progressons, tandis que la situation économique s’améliore. Votre présentation pourrait pourtant laisser accroire que l’État ne fait pas d’effort. Alors que le solde, même déficitaire, s’améliore toutefois de 15 milliards d’euros en 2015, vous l’attribuez seulement à des éléments exceptionnels. Depuis 2012, le déficit a en vérité été réduit chaque année. Cette année, la baisse du déficit va de pair avec une baisse des prélèvements obligatoires.

Hors dépenses exceptionnelles, le déficit s’établit au même niveau que l’an dernier, alors que sont entre-temps intervenus le CICE, le pacte de responsabilité et de solidarité et la baisse des impôts, qui représente tout de même à elle seule de 12 à 13 milliards d’euros de recettes en moins. Il y a donc forcément eu des économies !

S’agissant de la question des normes de dépenses, elle nous occupera encore longtemps. J’observe que les ministères se démarquent, dans les réponses qu’ils ont données, des positions de la Cour. Elle estime que les ministères auraient dû financer un certain nombre de dépenses nouvelles par autre chose que par des économies de constatation. Mais l’argument est réversible : les années précédentes, le prélèvement de l’Union européenne, lorsqu’il connaissait des évolutions positives, était financé sur la masse. Je ne connais qu’une exception partielle constatée en 2014 et qui se justifiait par une facture de 1,8 milliard d’euros née sous de précédentes législatures et n’ayant pas été considérée à ce titre comme entrant dans la norme de dépense.

Quant aux dépenses fiscales, combien de temps encore devrons-nous faire référence à une loi de programmation des finances publiques qui est obsolète ? Une nouvelle loi de programmation a en effet été adoptée fin 2014, prenant acte d’une situation conjoncturelle difficile en 2013 et 2014. Selon moi, nous sommes « dans les clous » de la programmation de fin 2014.

Par ailleurs, selon vous, les dépenses fiscales ont augmenté à cause du CICE. Pourtant, hors CICE, elles sont stables : la Cour des comptes aurait-elle préféré que ce soutien passe par des réductions d’impôt ? Ce n’est qu’une question de présentation. En fait, les dépenses fiscales sont stables. Voilà encore une bonne nouvelle.

M. Charles de Courson. Vous avez mis en perspective la notion de solde structurel du budget de l’État et le taux de croissance potentiel de notre économie. Au sujet de ce dernier, votre avis mentionne, que, pour le Haut Conseil, cet écart entre le potentiel de production et la production réelle reste probablement surestimé. Je le pense également. Mais pourriez-vous préciser votre analyse ?

S’agissant du ralentissement de la croissance de la dette, j’ai posé une question au ministre à ce sujet en séance publique. Comment notre dette peut-elle s’accroître de seulement 48 milliards d’euros quand notre déficit s’établit pour la même année à 71 milliards d’euros ? Il faut en trouver l’explication dans le rachat de dettes à court terme et dans les primes à l’émission versées à l’État parce que la valeur de remboursement sera inférieure à la valeur nominal du bon émis. À mon sens, cela revient à réduire la dette temporairement, mais en plombant les charges financières de l’État pour les années suivantes. Et le tout porte sur plus de 20 milliards d’euros… S’agit-il d’une pratique courante ? J’ai posé la question à la direction du Trésor. Pour moi, c’est du jamais vu !

Cette incroyable nouveauté est-elle une stratégie définie par le Gouvernement qui donnerait à l’Agence France Trésor des instructions pour qu’elle émette au-dessus du taux de marché pour réduire nominalement la dette ? Cela permet de tenir à distance le taux fatidique d’endettement de l’État à hauteur de 100 % du PIB, puisque les opérations portent sur un montant représentant 1 % du PIB.

J’en viens aux crédits d’impôt. Nous avions entendu que l’engagement était pris de les abaisser de 50 %. En fait, ils ont augmenté. Comment se fait-il que les dépenses fiscales, hors CICE représentant tout de même 12,5 milliards d’euros en 2015, aient néanmoins pu rester stables ou quasiment, puisqu’elles s’établissaient à 71,9 milliards d’euros en 2014 comme en 2015 ?

Dans votre présentation, vous soulignez par ailleurs que les économies réalisées portent surtout sur les collectivités locales, les opérateurs de l’État et le prélèvement européen. Si l’on ne prend pas ces éléments en compte, la dépense progresse en vérité de 2 %. La baisse de 3,9 milliards d’euros des transferts de l’État aux collectivités territoriales, principalement par une réduction de la dotation globale de fonctionnement, est-elle vraiment une économie ? Correspond-elle vraiment à une baisse des dépenses alors que, selon mes informations, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales augmentent et que seuls leurs investissements ont baissé, de 10 % ? L’amélioration du solde n’est liée qu’à un effondrement des investissements, à l’encontre des objectifs poursuivis par le Gouvernement. De même chez les opérateurs, la baisse de 0,8 % des taxes qui leur sont affectées se répercute-t-elle vraiment par des économies dans leur chef ?

M. Alain Fauré. Depuis 2012, la baisse des dépenses se poursuit régulièrement. Pourtant, vous estimez qu’elle n’est pas suffisante. Pourriez-vous alors nous citer des niches d’économies potentielles ? Vous avez du moins rappelé à juste titre qu’il revient aux élus de fixer le cap politique, et que nous sommes en l’occurrence partisans du maintien d’un système social à la française. D’autres orateurs l’ont dit, nous sommes tous dans le même bateau et il importe de ne pas le faire trop tanguer.

La présidente a mis en cause la baisse des transferts aux collectivités locales, mais je vois mal comment nous pouvons alors faire des économies supplémentaires en ce domaine si nous allons déjà trop loin.

L’exercice 2015 prouve que cette manière de faire des économies est entièrement compatible avec une gestion publique de qualité. La dépense de l’État a été réduite de 1,4 milliard d’euros, tandis que la dette de l’État envers la sécurité sociale était apurée sans report de charge supplémentaire et que la progression des dépenses d’assurance maladie était inférieure à 2 %, rythme de progression historiquement bas. Même si le rapport que nous examinons aujourd’hui porte sur le budget de l’État, ces éléments méritent d’être mentionnés.

M. Laurent Wauquiez. Quelle est l’intensité des efforts fournis par l’État ? Corrigée des éléments exceptionnels, la réduction du déficit n’est-elle vraiment que de 300 millions d’euros sur 70 milliards d’euros ?

S’agissant des facteurs d’amélioration du solde, quelle est la part de l’augmentation des prélèvements obligatoires et de l’inflation et quelle est la part des vraies économies ? Pour ma part, je constate une hausse des dépenses de l’État de 2,6 milliards d’euros alors que les élus locaux se serrent la ceinture.

Mme Christine Pires Beaune. Vous avez mesuré le degré d’amélioration du solde en vous référant à une loi de programmation plus ancienne que celle que nous avons votée à l’automne 2014, ce qui le fait apparaître sous un jour moins favorable. C’est ne pas tenir compte de la décision que nous avons prise d’adopter un rythme de redressement des comptes publics moins ambitieux, mais plus raisonnable.

Vous n’avez pas non plus souligné que la baisse concomitante des prélèvements obligatoires, ce qui constitue une première depuis l’an 2000. Au titre du retraitement, il me semble qu’on devrait pouvoir retenir également les opérations extérieures et les apurements des sujets liés à l’Union européenne comme n’entrant pas dans les dépenses encadrées par les critères de Maastricht.

S’agissant des charges de personnel, la hausse des effectifs dans les services de sécurité n’est que la réponse à la situation exceptionnelle que connaît le pays. Il n’aurait pas été envisageable d’y supprimer 7 500 emplois comme c’était prévu. Dans d’autres ministères, comme à Bercy, les réductions d’effectifs sont réelles. Nous en faisons l’expérience, au niveau local, dans nos trésoreries.

Enfin, même si les transferts de l’État aux collectivités locales ont diminué entre 2014 et 2015, les recettes de ces dernières ont néanmoins augmenté, car elles ont profité à hauteur de 4,5 milliards d’euros d’une hausse des droits de mutation qu’elles ont perçus. Voilà encore une bonne nouvelle.

M. Éric Alauzet. Je voudrais revenir à mon tour sur la politique d’émission de l’Agence France Trésor. Nous avons en ce moment beaucoup de chance, car les taux d’intérêt sont très bas. Dans le même temps, il apparaît difficile de faire des économies. En revanche, si l’économie repartait, les recettes repartiraient aussi. Comme peut-on jauger l’imbrication de ces divers paramètres ?

Je note par ailleurs un mieux dans la lutte contre la fraude fiscale. À cet égard, je regrette que la Cour analyse de manière dissymétrique dépenses et recettes, comme si l’État n’était pas vraiment maître de ces dernières. La fraude sociale est pourtant estimée à 20 milliards d’euros par an et l’évasion fiscale à 50 milliards d’euros. Il me semble que la Cour pourrait donc avoir en ce domaine un discours plus offensif vis-à-vis du Gouvernement.

Mme Véronique Louwagie. J’ai retenu de votre présentation que le passif de l’État s’élève à 2 068 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 3 300 milliards d’euros d’engagements hors bilan, soit un total d’environ 5 400 milliards d’euros. Sait-on comment ces engagements vont évoluer dans le temps ?

Je m’inquiète aussi des réserves que vous formulez. Si les comptes avaient été modifiés en conséquence sur le précédent exercice, le solde se serait dégradé de 1 milliard d’euros supplémentaire. Pour l’année 2015, la situation nette serait plus dégradée de 2,8 milliards d’euros. Nous confirmez-vous cette augmentation par rapport à 2014 ?

J’en termine par la mission Défense. Le rapport de la Cour fait état d’une montée des reports de charge de presque 2 milliards d’euros sur cette mission. Des incertitudes pèsent également sur les stocks : il s’agit pourtant d’un sujet majeur pour une mission de cette nature. À mon sens, cela fait courir un vrai risque à la sécurité de notre pays.

Mme Karine Berger. La Cour des comptes serait-elle devenue eurosceptique ? Ce qu’elle écrit sur le partage entre solde structurel et solde conjoncturel me paraît en effet contredire la règle d’or voulue par le traité budgétaire européen. Le Haut Conseil relève que le solde structurel s’est amélioré de 0,4 %, grâce à une amélioration pour 0,5 % au titre des dépenses, compensant la dégradation des recettes de 0,1 %. En comptabilité nationale, cela correspond à une amélioration de 15 milliards d’euros du solde effectif, valeur qui focalise à juste titre l’attention de la plupart d’entre nous.

En revanche, la notion que vous inventez de solde corrigé des éléments exceptionnels n’existe pas dans les traités européens. La Commission européenne dit elle-même que le solde structurel s’améliore de 0,25 point et le solde effectif de 0,4 point. Pourquoi vous éloignez-vous alors du consensus européen ? Il ne me semble pas que vous fassiez référence à aucune grille de lecture établie. Cela jette le trouble sur le suivi des finances publiques de notre pays.

À la fin de votre rapport, vous présentez le passage du solde d’exécution des lois de finances au besoin de financement de l’État en comptabilité nationale, seule valeur de référence pour les instances européennes. Vous précisez au passage qu’il s’établit non à 70 milliards d’euros, mais à 71 milliards d’euros. Dont acte. Les crédits d’impôt tels que le CICE entrant dans la comptabilité au titre des critères de Maastricht, il apparaît aussi que le CICE est déjà intégré dans l’amélioration de 15 milliards d’euros. C’est une bonne nouvelle, car dès 2016 et 2017, il n’aura plus le même impact sur les comptes. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Enfin, quelle est selon vous la bonne évaluation de la croissance potentielle en France ?

M. Jacques Pélissard. Je vous remercie de ce rapport équilibré. J’en veux pour preuve que vous savez corriger une première appréciation du déficit budgétaire, inférieure à la loi de finances initiale de 3,9 milliards, pour la ramener à seulement 300 millions d’euros une fois effectués les retraitements nécessaires. Ailleurs, vous reconnaissez que l’augmentation de la dette a été plus faible qu’en 2014, mais en soulignant que sa soutenabilité se dégrade.

En revanche, vous exposez que les gains réalisés portent sur l’Union européenne, les opérateurs de l’État et les collectivités territoriales, ces dernières étant mises à contribution pour 3,9 milliards d’euros. En revanche, vous écrivez que les gains réalisés par l’État sur son périmètre sont faibles. C’est un euphémisme ! En vérité, ils sont nuls. Hors dette et hors pensions, les dépenses nettes du budget général passent de 204 milliards d’euros à 208 milliards d’euros. Me confirmez-vous que l’État ne baisse pas ses dépenses ?

M. Michel Vergnier. Si je voulais porter une appréciation globale, je dirais que vos travaux font apparaître qu’il n’y a finalement pas d’écart important entre la prévision et la réalisation. Cela n’a pas toujours été le cas. Certes, ce n’est jamais assez, ni jamais assez bien, mais vos travaux font bien ressortir cette réalité.

J’ai entendu dire que la faible inflation, voire la déflation, constitue un atout. À mes yeux, c’est exactement l’inverse ! Pour ce qui est du calcul du respect des critères de Maastricht, je regrette que les dépenses liées à la sécurité intérieure ou extérieure doivent être intégralement prises en compte. Cela fausse les choses.

Enfin, s’agissant des collectivités territoriales, l’on s’étonne que les investissements diminuent. Mais c’est normal, puisque les moyens diminuent et que les dépenses de fonctionnement stagnent ou augmentent, car elles constituent des dépenses obligatoires, représentant d’ailleurs 85 % du budget des collectivités territoriales. Aussi trouverais-je bon que nous examinions non seulement le budget de l’État et le budget de la sécurité sociale, mais aussi celui des collectivités territoriales, trop souvent accusées à tort.

M. le Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques. L’avis du Haut Conseil des finances publiques a ouvert un débat sur la croissance potentielle et le solde structurel. Les estimations de cet écart de production sont en effet différentes selon qu’elles émanent du Gouvernement ou de la Commission européenne : un point tout de même, c’est considérable. Sur cette base, il n’est pas possible d’avoir un débat transparent et clair sur ces notions.

Il est utile de pouvoir raisonner indépendamment de la conjoncture. Par ailleurs, j’ai vu l’initiative des parlementaires à destination de la Commission européenne. Le Haut Conseil apportera sa contribution au débat, qu’il en soit saisi ou qu’il s’autosaisisse. Nous avons dit que la croissance potentielle et l’évolution tendancielle du rythme de la dépense sont des notions qui méritent d’être précisées. Est-ce faire preuve d’euroscepticisme, comme vous nous le reprochez, madame Berger ? Ce n’est pas la question, il s’agit surtout d’être le plus clair possible.

S’agissant de la loi de programmation, le Haut Conseil n’a fait référence qu’une seule fois à celle de 2012, car nous raisonnons par rapport à la loi de programmation de 2014, comme nous y oblige la loi organique. Qu’est-ce qui représente au fond, de la manière la plus honnête, les engagements du Gouvernement français, des programmes de stabilité ou de la loi de programmation ? Cette dernière a été corrigée après les observations du Conseil et de la Commission européens. Nous estimons que nous sommes en ligne avec la programmation de 2014, mais que nous restons en-deçà des engagements pris dans les programmes de stabilité pour 2015 et 2016.

Mécaniquement, compte tenu des corrections apportées et révisions opérées par l’INSEE, les efforts structurels à fournir seront plus grands si le Gouvernement s’en tient à la trajectoire négociée avec la Commission européenne. Or le Gouvernement veut que cet effort repose seulement sur la dépense. Le constat s’impose, même s’il appartient aux politiques d’en tirer les conséquences.

Le débat sur le solde structurel, la croissance potentielle et le déficit nominal ou structurel recouvre des enjeux importants. Car la surestimation de la croissance potentielle conduit à sous-estimer le déficit structurel, minorant l’effort à fournir pour atteindre l’objectif d’équilibre structurel à moyen terme. Il est bon qu’il y ait un approfondissement de la réflexion au niveau européen, quoiqu’il puisse demander du temps. Les estimations varient en effet selon qu’elles viennent du Gouvernement, de la Commission européenne, de la Banque de France, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ou même du Centre d’observation économique et de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (COE-REXECODE).

J’en viens à la certification des comptes. Des progrès ont été constatés, malgré le maintien de cinq réserves substantielles. Des interrogations subsistent aussi sur la mission Défense. Mais nous constatons que des efforts importants ont été réalisés, quoique ces progrès aient été sous-utilisés, tant par les gestionnaires que par vous-mêmes. L’on utilise encore trop peu la comptabilité nationale et la comptabilité générale pour faire en sorte qu’elles puissent fournir de meilleurs leviers d’amélioration de la gestion publique. Le chaînage n’est pas encore suffisant entre ces travaux de certification et l’amélioration de la gestion publique.

Quant à l’évolution de la dette et au fait que son augmentation ne corresponde pas à la totalité du déficit, il faut en effet tenir compte de la politique d’émission. Une telle politique a déjà été pratiquée et elle s’observe aussi dans d’autres pays. Mais elle a été pratiquée de manière particulièrement forte chez nous en 2015. L’objectif de réduire le stock de la dette à court terme peut être tout à fait louable, mais cela conduit à un simple report de la charge de la dette. Cela se traduira donc dans l’avenir, même si l’effet en sera étalé. Évitons donc une illusion d’optique : le ralentissement de l’endettement n’est que temporaire.

À la page 83 de notre rapport, ce sont l’ensemble des transferts de l’État vers les collectivités territoriales qui sont évoqués. Le prélèvement sur recettes (PSR) n’en constitue qu’un parmi d’autres. Si une certaine stabilité des transferts s’observe au niveau global, la réduction du PSR n’en est pas moins réalité. Elle ne correspond pas forcément à des économies dans le budget de l’État, n’ayant d’ailleurs pas cet objectif, mais celui de pousser plutôt les collectivités territoriales à faire des économies. Ces dernières peuvent cependant tout aussi bien emprunter davantage ou augmenter les impôts locaux, de sorte que les dépenses ne sont pas chez elles la seule variable d’ajustement.

J’y reviendrai dans ma présentation sur les administrations publiques, fin juin, ainsi que dans le rapport que nous publions fin octobre sur les finances des collectivités territoriales. Leurs dépenses augmentent davantage que celles de l’État, même si le rythme de cette progression baisse, tout comme ralentit la progression des dépenses de l’État. Nous ne constatons pas de maîtrise réelle des dépenses, mais nous convenons d’un mieux par rapport au début des années 2000, et même par rapport à l’ensemble de cette décennie, puisque les dépenses ne progressent plus aujourd’hui qu’au rythme de 0,9 % par an. Si c’est mieux qu’avant, nous avons encore des marges de progression, compte tenu des marges d’efficacité et d’efficience que nous nous efforçons de faire apparaître.

C’est pourquoi nous vous invitons à entrer, comme rapporteurs spéciaux, dans le détail de l’exécution des dépenses par mission. Pour cela, il faut prendre en compte le plafond d’emplois et les crédits votés par vous. Il est rare que les crédits votés par vous permettent de financer les missions à hauteur de ce plafond d’emplois, comme cela s’observe sur la mission Justice ou sur la mission Défense. Malgré les créations d’emplois annoncées, l’on s’y trouve encore sous le plafond d’emplois. De temps en temps, les crédits supplémentaires sont votés alors que les crédits initiaux n’ont pas encore été consommés… Cela montre que le travail sur l’exécution budgétaire est un travail essentiel. Seule la France fonctionne ainsi, à partir de la loi de finances initiale et des annonces ultérieures, alors que les autres pays s’appuient sur la comptabilité d’exécution.

Certes, l’État réalise des efforts, mais pas à la hauteur qu’il le dit et certainement pas à la hauteur des objectifs affichés dans les programmes de stabilité. À cet égard, je signale que nous avons toujours pratiqué le retraitement sur le plan budgétaire pour éviter que des événements exceptionnels ne faussent les comparaisons. Nous raisonnons aussi en comptabilité nationale, même si la comptabilité budgétaire importe aussi, car il est toujours utile de mesurer les écarts avec la loi de finances initiale.

J’en viens à la question des normes de dépense. J’ai entendu que la Cour conteste ou dénonce… Non, elle se borne à constater des écarts. Et nous pouvons voir une réduction du budget qui est moins importante que ce qui avait été annoncé, comme le confirme la comptabilité nationale. De même, nous produisons aussi des travaux sur l’insuffisance des contrôles, qui portent sur la fraude aux cotisations sociales et aux prestations sociales ou sur la fraude fiscale.

Je mettrai finalement en garde contre le raisonnement qui consiste à dire qu’une croissance accrue pourrait apporter prochainement plus d’inflation et une hausse des recettes. Nous pouvons tout aussi bien rester longtemps sur une croissance molle, tandis que les taux d’intérêt remonteraient et avec eux la charge de la dette. Vous connaissez la sensibilité de la France sur ce point. Dans le même temps, d’autres pays avancent, progressent et respectent leurs engagements.

M. Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes. S’agissant de la dette, nous connaissons une situation exceptionnelle en matière de taux d’intérêt. Elle va en 2015 jusqu’à brouiller l’analyse du niveau de la dette et de son évolution d’une année sur l’autre. L’Agence France Trésor (AFT) a reçu des demandes d’investisseurs qui voulaient souscrire sur des souches anciennes avec des coupons élevés. La BCE ayant procédé à de nombreux rachats sur le marché secondaire, ces titres souffraient d’un manque de liquidité. C’est pour recréer de la liquidité sur ce marché que l’AFT a émis sur des souches anciennes avec des primes à l’émission. C’est un effet indirect, mais certain, de la politique d’assouplissement monétaire de la BCE.

Mme Karine Berger. À qui a-t-on vendu ?

M. le président de la première chambre de la Cour des comptes. L’Agence France Trésor le sait. Nous l’avons entendue. Il s’agit d’une pratique ancienne, même si les primes encaissées en 2015, qui dépendent de l’écart entre les taux d’intérêt anciens et les taux actuels, sont d’une ampleur nouvelle : 4 milliards d’euros en 2009, 8 milliards d’euros en 2012 et 22 milliards d’euros en 2015… D’autres États, tels l’Espagne ou le Royaume-Uni, suivent la même politique d’émission. La dette augmente à due proportion.

Incontestablement, cette politique d’émission se paiera dans les années à venir, en s’étalant en fonction de la date d’émission des souches anciennes. Ces primes auront une contrepartie en termes d’évolution de la dette dans la comptabilité nationale, mais non en charges d’intérêt, évitant ainsi d’en détériorer les soldes.

J’en viens à la comparaison entre comptabilité budgétaire, comptabilité générale et comptabilité nationale. Pour qu’elle puisse avoir lieu, il faut nécessairement opérer des retraitements, sachant que la comptabilité budgétaire est la plus plastique. À défaut, un dispositif tel que le PIA peut déformer le solde budgétaire, alors qu’il est neutre en comptabilité nationale. Inversement, en capital, le MES ne constitue pas une charge de l’exercice au regard de la comptabilité nationale. Les retraitements que nous avons opérés visent à rendre possible une comparaison.

Si la comptabilité nationale s’était améliorée de 15 milliards d’euros en 2015, les soldes publics se seraient améliorés non de 0,4 %, mais de bien davantage. En comptabilité nationale, l’État ne connaît pas d’amélioration, car l’amélioration de 0,4 % vient des collectivités locales et de la sécurité sociale. Les retraitements que nous avons effectués sont ainsi totalement cohérents et compatibles avec la lecture des soldes de la comptabilité nationale que nous vous livrerons fin juin.

Quant aux normes de dépense, nous soulignons qu’elles constituent une donnée relativement récente dans l’appareil législatif, puisque c’est la dernière loi de programmation qui en a fixé le montant. Nous les considérons comme des outils de pilotage de la dépense. Mais elles doivent gagner en précision, en rigueur et en stabilité. Il faut que le Gouvernement rende compte plus régulièrement au Parlement de l’exécution budgétaire.

En ce qui concerne les contrôles fiscaux, le rendement s’en est accru, mais le même produit ne sera pas retrouvé à tout coup en 2016. S’agissant des dépenses fiscales, leur montant reste stable hors CICE, mais leur gouvernance reste déficiente, puisque le dépassement du plafond fixé paraît n’avoir eu aucune conséquence.

Et je confirme qu’il y a eu création nette d’emplois.

M. le Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques. Sans la baisse des prix du pétrole, les résultats auraient sans doute été plus mauvais. Nous y reviendrons en juin. Mais la Cour des comptes n’est pas Madame Soleil… Il est évident que le pétrole peu cher, la politique d’assouplissement monétaire de la BCE et les taux d’intérêt bas ont joué de manière massive et très positive dans la maîtrise des dépenses. Mais tout le reste relève de la macroéconomie.

*

* *

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 25 mai 2016 à 9 heures

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Guillaume Bachelay, M. Laurent Baumel, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Christophe Castaner, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jean-Louis Dumont, M. Alain Fauré, M. Olivier Faure, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Joël Giraud, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, M. Laurent Grandguillaume, M. David Habib, M. Patrick Hetzel, M. Yves Jégo, M. Régis Juanico, M. Jérôme Lambert, M. Jean Lassalle, M. Dominique Lefebvre, M. Marc Le Fur, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Patrick Ollier, M. Michel Pajon, M. Jacques Pélissard, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Camille de Rocca Serra, M. Alain Rodet, Mme Eva Sas, M. Michel Vergnier, M. François-Xavier Villain, M. Laurent Wauquiez

Excusés. - M. Dominique Baert, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Jérôme Chartier, M. Alain Chrétien, M. Alain Claeys, M. Olivier Dassault, M. Henri Emmanuelli, M. Jean-Claude Fruteau, M. Victorin Lurel, M. Philippe Vigier

Assistaient également à la réunion. - M. Charles de Courson, Mme Christine Pires Beaune, M. Lionel Tardy, Mme Catherine Vautrin

——fpfp——