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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mercredi 23 novembre 2016

Séance de 19 heures 30

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Dominique Raimbourg, Président

– Audition de M. Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, sur le projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain (n° 4212) (MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Patrick Mennucci, rapporteurs)

La réunion débute à 19 heures 50.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, président.

La commission auditionne M. Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, sur le projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain (n° 4212) (MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Patrick Mennucci, rapporteurs).

M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur le préfet de région nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation et de bien vouloir nous exposer votre point de vue sur ce projet de loi. Vous intervenez après la maire de Paris, Mme Anne Hidalgo, et le préfet de police, M. Michel Cadot. Nos débats sont retransmis en direct sur le site de l’Assemblée nationale car nous souhaitons que les discussions sur ce sujet difficile et passionné soient totalement transparentes.

M. Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris. Le projet de loi comporte deux parties, la première étant consacrée au statut de Paris et la seconde au Grand Paris. Je ne me prononcerai pas sur le statut, qui renvoie au découpage des arrondissements et à la répartition des compétences ; à la préfecture de la région, dont les compétences diffèrent de celles de la préfecture de police, le maintien de deux collectivités semble une survivance du passé qu’il importe d’abandonner. On a procédé à la même rationalisation outre-mer, même si Paris ne ressemble pas aux territoires ultramarins. C’est au Parlement de trouver les bons équilibres dans les transferts de compétences, en l’occurrence entre la préfecture de police et la mairie de Paris, et, pour ma part, je considère que, Paris étant la capitale du pays, nous devons raison garder – vous reconnaîtrez là mon côté jacobin.

La seconde partie du projet de loi contient des dispositions qui peuvent apparaître disparates, mais qui forment en fait une véritable unité. En outre, le Gouvernement déposera plusieurs amendements concernant cette partie du texte. L’objectif est de faire de Paris une vraie métropole dans un monde en transformation. On passe d’un monde A à un monde B, qu’on ne connaît pas mais qu’on sait différent du premier ; on a quitté le monde A le jour du début de la crise pétrolière en 1973 et on atteindra le monde B lorsque le dernier réacteur pressurisé européen (EPR) sera fermé – le premier n’étant pas encore entré en fonction –, c’est-à-dire lorsque l’énergie ne sera plus le moteur de l’Histoire car les maisons et les voitures généreront leur propre énergie.

Le monde change complètement : on ne produit plus, on numérise ; on ne vend plus, on « plateformise » ; on vous change le cœur quand il ne marche plus bien ; on discute dans la même pièce, mais vous pourriez être à Chicago, moi en Chine, et nous serions aussi proches. Dans ce monde à la « topologie sans mesure », pour reprendre la formule de Michel Serres, il nous faut tout réinventer : nos modes de production, d’enseignement, de gouvernement et d’écoute. Comme certains d’entre vous, j’ai appris à programmer en langage BASIC, puis j’ai cru être avancé en comprenant les « exaflops » et les « pétaflops », mais on me dit maintenant qu’il existe des ordinateurs quantiques réalisant une infinité d’opérations à la seconde.

Tout change et, comme le disait Franz Schubert, « le vrai fou n’a que des certitudes et l’intelligent que des doutes ». Face à cela, on peut se replier sur soi – en disant qu’hier, avant-hier, avant-avant-hier et l’entre-soi sont préférables – et craindre le futur, ce qui alimente le développement de communautés, du communautarisme et éventuellement du djihadisme ; on peut ne pas prêter d’attention à ce phénomène, et la médiocrité triomphera. Au contraire, d’autres souhaitent reconstruire le monde : comme au Quattrocento, on peut agir ! L’outil technologique est tellement magique que l’on doit pouvoir faire des choses et se saisir du monde pour le construire, en suivant l’orientation démocratiquement choisie.

Ce monde nouveau s’invente dans des territoires denses, peuplés de citoyens éclairés, éduqués, tolérants et rassemblés : un tel espace se nomme métropole, et nous avons besoin d’une loi pour l’organiser. Dans cette aire, nous créons de la valeur, de la connaissance, de l’émotion culturelle et du lien social ; les institutions viendront plus tard ! En attendant, on travaille dans un esprit de rassemblement. À Paris, quels que soient les tendances politiques et les statuts des personnes – fonctionnaires, acteurs du secteur privé, élus ou membres d’une association –, on travaille ensemble. Comment en est-on arrivé à construire 80 000 logements par an ? Les parties prenantes ont arrêté de se déchirer ! Plus personne n’affirme « avoir créé des logements », cette phrase absurde ! Les logements se bâtissent ensemble.

Grâce à ce travail en commun, il se crée 200 kilomètres de métro, 80 000 logements par an, le plus beau campus européen en sciences sociales, nommé Condorcet, de nouvelles découvertes à Saclay, un incubateur de start-up de 30 000 mètres carrés grâce à M. Xavier Niel, et de nouveaux chantiers incarnés par le retour des grues en région parisienne. Et on n’entend pas parler de tout cela !

La fermeture des voies sur berges est peu de chose par rapport aux travaux d’Éole, qui doivent commencer le mois prochain après quinze ans d’attente. Regardez ce qu’il se passe à la porte Maillot ou en matière culturelle – par exemple, à l’île Seguin où je me réjouis que des promoteurs privés s’intéressent enfin à la culture !

J’ai estimé de ma responsabilité de proposer au Gouvernement, qui m’avait confié une tâche de coordination de ce texte, des amendements permettant d’accélérer cette construction collective de la métropole.

Sera-t-on capable, à Paris et en région parisienne, de développer une métropole rayonnante, mais pas trop absorbante ? Ce défi vaut pour Lyon comme pour Paris. Il faut prendre garde à ne pas asphyxier les environs, qui meurent de toute façon si la métropole n’existe pas – quoique plus lentement. L’avenir du monde se joue là, dans la création de richesses au sein des métropoles.

La compétition entre les métropoles est grande. Je me bats pour que notre métropole s’appelle le Grand Paris, car les Chinois et les Américains ne me parlent pas de Sarcelles, de Longjumeau, d’Évry ou de Saint-Denis. Nous ne sommes pas bons sur l’attractivité ; tout le monde lutte sur ce terrain, et je conseille de laisser passer un peu de temps car la sagesse reviendra. On doit se battre ensemble, comme on le fait avec M. Jean-Yves Le Bouillonnec au sein de la Société du Grand Paris (SGP), où toutes les tendances politiques sont représentées et où tout se passe bien car on construit ensemble.

Le texte propose de lever les petits blocages qui entravent le travail commun. Les longues procédures françaises freinent le regain de constructions, si bien que certaines zones d’aménagement différé deviennent la proie d’une spéculation foncière et immobilière – petit sujet qui pourrait tout de même coûter 40 millions d’euros à l’établissement public de Saclay.

Une disposition vise à simplifier la création de filiales des établissements publics administratifs (EPA), de Grand Paris Aménagement (GPA) et des établissements publics fonciers (EPF), ce qui est positif car l’État doit s’adapter au monde moderne et simplifier les procédures. Nos partenaires sont désormais des promoteurs, des entreprises et des syndicats, car il convient de délester la puissance publique pour qu’elle puisse agir. Quand je discute avec un promoteur, je ne peux pas lui dire qu’une année est nécessaire pour monter une opération, sous peine de le voir partir à Londres ou ailleurs.

Le débat opposant les collectivités locales à l’État central est devenu ringard dans une perspective d’aménagement et de construction du monde – j’exempte de ce constat la question financière, qui constitue un sujet à part. Nos concurrents sont Shanghai, Singapour et Londres, et nous devons favoriser les coopérations entre les établissements publics d’aménagement pour les affronter. Les articles 35 et 36 du projet de loi prévoient ainsi la création des sociétés publiques locales d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) : il est normal que le maire veuille aménager sa ville, mais il n’y arrivera pas tout seul. M. Patrick Jarry, maire de Nanterre, n’a pas les moyens de s’occuper de la zone d’aménagement concerté (ZAC) des Groues avec sa petite société d’économie mixte (SEM), mais il a toute légitimité pour peser sur son aménagement. Les SPLA-IN lui permettront d’agir en réunissant l’État et les aménageurs, c’est-à-dire les SEM publiques des communes. Il s’agit bien d’un outil de rassemblement.

L’article 37 permet d’intégrer des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans la gouvernance de GPA. Ne pas avoir peur de s’ouvrir, tel est le leitmotiv de ce texte !

L’article 38 concerne le quartier de la Défense, qui a suscité quelques débats dans les Hauts-de-Seine et en région parisienne. Cet EPA de l’État a été dirigé par de bons directeurs, nommés à ce poste parce qu’on ne voulait pas les placer ailleurs, mais il n’a pas pu agir car on lui a interdit d’emprunter. Il y a 350 millions d’euros de travaux à faire, mais on ne peut pas les réaliser, alors que la richesse des communes voisines fait même envie au maire du 16e arrondissement de Paris – n’est-ce pas monsieur Goasguen ? Là aussi, il convient de réunir les élus, les acteurs économiques et l’État. Il faut savoir arrêter une opération d’intérêt national (OIN) et il faut savoir en initier. Seul l’État intervient dans certaines OIN comme dans les établissements publics d’aménagement de Marne-la-Vallée, Epamarne et Epafrance ; dans d’autres, il agit avec les collectivités, comme dans l’établissement public d’aménagement du Mantois Seine-Aval (EPAMSA) avec la nouvelle communauté urbaine du Mantois Val-de-Seine ; enfin, il peut déléguer totalement certaines OIN. Nous inventons un nouvel outil, tâche complexe, et le déployons dans le premier quartier européen d’affaires ; nous n’avons pas intérêt à nous tromper et nous devons nous rassembler. Dans cette construction, M. Patrick Devedjian n’est pas un partenaire facile, mais telle est la règle du jeu, et on travaille avec lui. L’article 38 habilite le Gouvernement à prendre une ordonnance, et nous préparons le décret d’application pour que le dispositif soit prêt le plus rapidement possible.

L’article 39 a trait aux transports ; s’agissant de l’extension des lignes de métro, le Gouvernement défendait l’idée d’une autorisation unique pour les questions d’environnement et d’aménagement, mais on ne peut appliquer ce système à trente gares à la fois qui ne seront pas prêtes au même moment.

L’article 40 vise à permettre à la SGP d’exploiter des réseaux de chaleur. Elle pourra assurer la production d’énergies renouvelables ou de récupération à partir des sources d’énergie calorique situées dans l’emprise des infrastructures du réseau de transport public du Grand Paris ou des infrastructures de transport public réalisées sous sa maîtrise d’ouvrage. Ce sont ces petites mesures qui simplifient la vie et qui permettent aux élus et aux acteurs de la région parisienne de réaliser ce qu’ils veulent accomplir ensemble. J’essaie d’inciter au dépôt d’amendements qui vont dans ce sens, et j’espère que le Gouvernement les reprendra.

Il est très important que l’ensemble des acteurs de la création de cette capitale se rassemblent. Ce discours commence à se traduire dans la réalité : les promoteurs sont très heureux de cette nouvelle situation, de même que les opérateurs de transports. Tout cela fonctionne, et il s’agit d’améliorer notre système par de petites dispositions – je ne propose pas la révolution. Ces mesures ne visent pas simplement à faire un peu plus vite ou un peu mieux, mais cherchent à garantir une réussite inscrite dans la durée. Il y aurait lieu de présenter chaque année un petit texte balai levant tous les blocages rencontrés par la métropole. Une métropole de ce type, si on la définit comme je viens de le faire, ne doit pas être envisagée sous l’angle de la taille. Vous allez définir des métropoles institutionnelles, mais si ces villes veulent devenir des métropoles, elles doivent vouloir créer le monde en rassemblant toutes leurs forces.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Monsieur le préfet, je me réjouis de vous entendre, car vos propos permettent de mesurer la place de la préfecture de la région Île-de-France dans la grande démarche de renouveau, de réaménagement et d’aggiornamento des stratégies de développement de la région parisienne. Nous sommes un certain nombre à travailler avec vous quotidiennement, et vous avez parfaitement retranscrit l’esprit de ce texte. Vous avez porté, à la demande du Gouvernement, une partie de ce projet de loi, qui vise à lever les blocages que l’on connaît depuis plusieurs années. Les deux rapporteurs tenteront de pousser encore plus loin la logique de ce texte.

Le problème de la circulation concerne l’ensemble de la région, et l’on parle des voies sur berges jusqu’au fin fond des grands départements de notre belle région. Certains prétendent que c’est à la région de régler ce problème ; si la région d’Île-de-France avait des responsabilités d’organisation de la circulation, le préfet de région recevrait forcément une compétence liée à ce transfert. Qu’en pensez-vous ?

La préfecture de police aura compétence sur les aéroports de la région, mais pas sur celui d’Orly, et les sénateurs souhaitent, comme les députés apparemment, supprimer cette exception. Quelle est votre opinion sur cette question ?

Le Sénat, à l’article 35 ter, a créé, à titre expérimental, en Île-de-France, un droit de préemption de petites parcelles forestières au profit des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Un tel droit serait inédit, me semble-t-il. Pourquoi prévoir cette particularité pour la plus grande et la plus agricole région de notre pays ? L’ensemble des députés non franciliens se demandent pourquoi une SAFER agissant dans le périmètre forestier d’Île-de-France aurait des compétences que les autres n’ont pas.

M. Pierre Lellouche. Je soutiens les propos du rapporteur : si le préfet de région avait la main sur les transports, on pourrait mettre en place un schéma cohérent et éviter des aberrations idéologiques comme celle que nous subissons sur les voies sur berges. On se fait plaisir localement et on désorganise tous les transports de la région. Il faut prendre appui sur ce projet de loi pour poser ce type de questions.

Monsieur le préfet, je me réjouis que, pour une fois, un grand commis de l’État en charge de dossiers arides et techniques ait une vision de l’intérêt et de l’objectif d’un projet. Il y a une cohérence dans votre esprit, et j’espère que le texte voté y sera fidèle.

À quoi sert la métropole ? Comment arrive-t-on à bâtir une métropole en simplifiant les structures ? J’ai posé ces questions à la maire de Paris et c’est à vous que je les pose maintenant.

M. Claude Goasguen. Monsieur le préfet, vous nous avez présenté un exposé passionnant, clair et, surtout, rare.

La voirie est bien notre première préoccupation. On ne peut pas continuer comme cela ! On ne peut pas laisser la commune de Paris, ou n’importe quelle autre, provoquer un blocage institutionnel qui paralyse ses voisins et crée des handicaps insurmontables – même si la loi est incontestablement respectée. Il faudrait assurer une forme de cohérence, et, à mon sens, cela devrait se faire au niveau de l’État. À défaut, nous devrions la chercher au niveau du conseil régional, de la métropole, ou de n’importe quel échelon. En tout cas, la situation n’est pas tenable.

J’ai une autre question qui est générale et pas seulement institutionnelle : comment voyez-vous l’harmonisation entre le conseil régional, Paris, avec le problème de son statut, et la métropole ?

M. Christophe Caresche. En vous écoutant, monsieur le préfet, on a le sentiment que la concorde règne. S’agissant de La Défense, j’ai bien compris que le président du conseil départemental des Hauts-de-Seine accompagnait les projets en cours, mais quelle est la position des communes concernées ? Sont-elles aussi allantes que M. Devedjian ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je reprends la parole pour préciser que je demandais à M. le préfet si, en matière de circulation, les compétences pouvaient remonter à la région. Le Sénat a délibéré sur ce sujet, il nous appartiendra de décider si nous maintenons ou non le dispositif qu’il a adopté.

Pour vous dire le fond de ma pensée, je rappelle qu’il existe une structure entre la région et Paris. La Métropole du Grand Paris comprend une grande partie des territoires directement concernés par les enjeux de circulation. On pourrait donc rechercher des solutions de cohérence à une échelle supérieure – je parle de la cohérence et non du fonctionnement intra-muros parisien. Le président de la Métropole a entamé une démarche en ce sens.

M. Pierre Lellouche. Nous disons la même chose : c’est de bon augure pour la suite !

M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur le préfet, lorsque vous parlez de « circulation », vous évoquez uniquement l’automobile ?

M. Jean-François Carenco. C’est bien cela ! Encore que, pour les transports aussi, les choses ne soient pas aussi simples que ce qu’on croit. Je rappelle que le Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) est financé à 49 % en dehors du conseil régional.

Fallait-il créer la Métropole ? J’ai participé à la création de la métropole lyonnaise par Michel Mercier – c’est lui qui s’est engagé dans ce projet, en sachant tout de même qu’il démissionnerait ensuite. Le Gouvernement voulait que le maire, président de la communauté urbaine – structure qui présentait l’avantage d’avoir cinquante ans d’expérience et d’habitude de travail en syndicat –, le président du conseil général et le représentant de l’État se mettent d’accord. Nous avons inventé une solution simple : le département disparaissait au profit d’une « métropole » qui recouvrait la communauté urbaine existante – la métropole bénéficiait donc d’une capacité du travail en commun des élus qui n’existe pas en région parisienne. Nous avons créé la Métropole de Lyon, à la fois communauté urbaine et département, par ordonnance.

Je crois que lorsque l’on traite un petit problème dans une grande assemblée, l’ordonnance est parfois une solution qui facilite les choses. Cela dit, parce que nous sommes républicains et démocrates, je pense aussi que nous n’avons pas le droit de procéder par ordonnance pour Paris. Ce qui est possible à Lyon ne l’est pas pour la capitale, même si ce serait beaucoup plus simple car nous parviendrions parfaitement à nous mettre tous d’accord. Ce serait cependant contraire à toute l’imagerie de notre République. Nous avons donc choisi de faire une loi, mais, dans cette loi, fallait-il inventer la métropole ?

J’ai eu la conviction qu’il fallait le faire en considérant qu’il s’agissait d’une version zéro. Il me semblait impossible de construire du premier coup un système pertinent et durable, mais attendre n’aurait fait que retarder les choses, tout cela pour qu’on se retrouve, à terme, avec une loi et un système qui ne seraient ni plus durables ni plus pertinents. Pourquoi fallait-il y aller ? Parce que la construction que j’ai présentée est à mon sens mieux portée si elle s’incarne dans un élu entouré d’un conseil démocratique. Pour ce qui me concerne, je pense que ma place est provisoire. Ces territoires doivent être incarnés et, dans notre système républicain, ce rôle revient plutôt à un élu qu’à un haut fonctionnaire. Il faut en tout cas créer quelque chose qui sera naturellement imparfait. Lyon est petit dans sa grande région et subit la concurrence de plusieurs métropoles comme Grenoble. Le débat entre la Métropole de Lyon et la région lyonnaise n'a rien à voir avec le cas de la région parisienne – la situation aurait été complètement différente si nous avions inclus les départements situés en périphérie de la région Île-de-France.

Comme vous, je pense qu’il y a une structure de trop. Je me souviens de toutes les critiques qui ont été formulées lorsque j’ai proposé de mettre en place les établissements publics territoriaux (EPT)... À l’arrivée, on sent cependant que ça prend, même si c’est plus ou moins rapide. Je pense que cette solution sera durable, et que des communes fusionneront au sein des EPT. Dans cinquante ans, on peut imaginer qu’il n’y ait plus que douze communes en région Île-de France. Alors, que faire des départements ? Honnêtement, si on vous laissait faire, on recréerait la Seine-et-Oise. Je suis en tout cas de ceux qui pensent que la métropole ne doit pas être absorbée par la région, parce que j’ai besoin que l’on défende un espace non construit au moment où l’on va construire partout.

C’est au peuple, c'est-à-dire à vous, de décider, mais, pour ma part, je ne suis pas favorable à des Länder à l’allemande. Si l’on devait décider de confondre la métropole et la région, j’estime qu’il faudrait absolument diminuer les pouvoirs de ce nouvel ensemble, sans quoi on entrerait dans un système fédéral. Après tout, c’est un choix qui ne m’appartient pas, même si, à titre personnel, je suis opposé à un système fédéral qui aurait l’inconvénient de permettre que toute la région soit bétonnée.

M. Pierre Lellouche. On aurait à la fois le fédéral et le féodal !

M. Jean-François Carenco. Je ne me permettrais pas d’insulter les élus du peuple !

Il était indispensable d’inventer quelque chose, même si, en 2020, il faudra proposer une « version 2 ». Il faut cependant prendre le temps de voir évoluer l’expérience en cours, et ne pas tout remettre à plat dès la prochaine législature. Cela me paraîtrait un peu précipité.

J’en viens à la question relative aux SAFER. Nous construisons une métropole dont j’ai dit qu’elle n’était pas nécessairement une extension de la conurbation, mais qui n’en est pas moins dense. Le choix a été fait de densifier fortement et fermement la construction. Mais le complément de la densification, c’est la préservation de la beauté architecturale et des espaces verts. Vous constaterez qu’en petite couronne, on n’a jamais autant inscrit de monuments historiques. J’ai aussi lancé la création d’un service territorial de l'architecture et du patrimoine (STAP) métropolitain avec des architectes des bâtiments de France (ABF). Il faut également préserver les espaces verts : nous avons réussi à protéger l’arc boisé. Je me bats pour la forêt de Bondy, et je regarde ce que nous pouvons faire pour la forêt de Saint-Germain qui est en train de disparaître. Il faut se battre pour la préserver, en prenant des mesures de police contre les gens qui veulent acheter un morceau de forêt pour abattre et construire. Nous pouvons restituer de petits espaces à la forêt grâce aux SAFER. « Ce n’est pas dans leurs habitudes », me dit-on. Peut-être, mais elles sont l’outil le plus simple pour agir, et ses représentants sont des gens biens. L’idée est tout simplement d’éviter que les forêts disparaissent. Il faut nous donner tous les moyens, quels qu’ils soient, pour lutter contre l’étalement urbain.

Je n’ai pas vocation à répondre à la question relative à Orly, mais je pense qu’il faut rester logique : on fait tout, ou on ne fait rien !

J’en viens aux compétences en matière de circulation. Le problème est posé en raison de la décision de la maire de Paris de piétonniser les voies sur berges. Je me souviens de leur ouverture à l’époque du président Pompidou : on peut dire que ça râlait ! La situation s’est ensuite inversée. En vertu des textes, la décision du maire relève bien de sa compétence et de sa seule compétence. Sur le fond, le mouvement de la piétonisation est enclenché dans les autres grandes capitales européennes, et l’on va vers un changement des modes de circulation. Je l’ai dit à la maire, je pense profondément qu’elle a raison, mais il reste la question de savoir si elle n’a pas été trop rapide et si elle n’est pas allée trop loin. À partir du moment où elle est compétente, et si le préfet de police donne un avis favorable, il n’y a rien à dire. De toute façon, tout le monde sait bien que, dans dix ans, ce sera une évidence. Peut-on prendre ce type de mesure progressivement ? Je n’en sais rien, je n’y ai pas réfléchi. Parfois, je me demande pourquoi on n’a pas plutôt piétonnisé le haut des quais. Il y a des élus ; ils décident souverainement. C’est leur fonction. Et puis, même si je trouve parfois que c’est une évolution un peu rapide, sur le fond, c’est bien dans cette direction que nous irons, quoi qu’il arrive.

Faut-il conclure de cette expérience qu’il est nécessaire de considérer la circulation d’un point de vue plus « large » ? Vraisemblablement, et je pense que ce serait plutôt du niveau métropolitain que régional. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la république, dite « loi NOTRe », permet d’ailleurs à la région de manifester son intérêt, mais c’est uniquement pour accorder des subventions.

À quoi sert la métropole ? C’est une assemblée de maires, et Patrick Ollier, le président de la métropole, fait tout pour que cela reste ainsi. C’est aussi un lieu de convergence. Le bureau de la métropole est une construction de la métropolisation : les élus ont su se rassembler. La métropole sert donc à rassembler, et elle constitue un élément de la version zéro de quelque chose qui reste à construire.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Monsieur le préfet, je ne suis pas élue à Paris, mais d’une circonscription située à huit cents kilomètres, au bord de la Méditerranée. Il n’en demeure pas moins que la question de la métropolisation de Paris est essentielle pour l’ensemble de la nation, et pas uniquement pour les habitants de la capitale ni même de sa conurbation élargie.

Il y a une douzaine d’années, j’ai voulu utiliser ma carte de famille nombreuse SNCF pour acheter un carnet de tickets du métro parisien. On m’a expliqué que cela n’était pas possible au motif que cette carte avait été délivrée à Montpellier. Les choses ont changé depuis cette époque, mais la question de l’équilibre entre les moyens affectés à la capitale et à la province reste posée à l’occasion de la métropolisation de Paris.

Alors que les questions de sécurité sont essentielles, pourquoi la ville de Paris ne se paie-t-elle pas une police municipale comme le font la plupart des métropoles de province ? La puissance financière des foyers fiscaux parisiens est nettement plus élevée que celle des foyers fiscaux de province, mais ces derniers paient des impôts locaux pour entretenir une police municipale. À Paris, le stationnement et la régulation du trafic pourraient relever, comme ailleurs, d’une police municipale qui serait également compétente dans les transports en commun. Je rappelle que pendant plus de vingt ans, les provinciaux ont payé les transports en commun de Paris et de l’Île-de-France alors qu’ils devaient déjà payer les leurs.

Mme George Pau-Langevin. C’est excessif !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Pas du tout : le transfert total du financement de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) et du réseau express régional (RER) vers les impôts des Franciliens est assez récent. Pendant vingt ans, les nouvelles lignes ont été payées par toute la France.

Le financement par les Parisiens de leur police municipale permettrait aux policiers nationaux d’être plus nombreux sur le territoire des métropoles de province. Nous manquons de policiers nationaux dans nos provinces.

Mme George Pau-Langevin. La région Île-de-France apporte plus à la richesse nationale que ce qu’elle reçoit !

M. le président Dominique Raimbourg. Le préfet de police a abordé cette question devant nous tout à l’heure en arguant de la spécificité de la situation de Paris et de l’impossibilité qu’il y aurait, selon lui, à mettre en place une expérimentation de police municipale dans un contexte de menace terroriste. Il a rappelé que des transferts partiels existaient s’agissant de polices particulières.

M. Jean-François Carenco. La question relève en effet du préfet de police. Cela dit, en tant que citoyen averti, je suis par principe opposé au fait que les capitales disposent d’une police municipale.

Je rappelle que les « pervenches » placées sous l’autorité de la préfecture de police étaient déjà payées par la ville de Paris.

L’aide de l’État au système de transport public de la région Île-de-France est massive. Nous savons que 70 % du trafic de la SNCF se fait en région Île-de-France, et que le RER A transporte 1,2 million de voyageurs par jour, alors que l’ensemble des TER de France en transportent 800 000. L’effet de concentration est donc gigantesque. La ponction de solidarité sur les collectivités locales de la région Île-de-France est considérable. Sur Paris, le prélèvement cumulé pour la ville et le département, en 2013, 2014, et 2015 s’élève à plus de 900 millions d’euros. Vous avez même décidé d’opérer un prélèvement sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) communale quand ce n’était plus possible sur la DGF départementale. Les collectivités de la région Île-de-France se trouvent en grande difficulté avec les fonds de péréquation, qu’il s’agisse de péréquation verticale ou horizontale. Cet aspect doit être pris en compte.

M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur le préfet, nous vous remercions pour votre intervention particulièrement brillante et votre approche prospective.

La réunion s’achève à 20 heures 45.

——fpfp——

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Luc Belot, Mme Françoise Descamps-Crosnier, M. Olivier Dussopt, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, M. Guillaume Larrivé, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Anne-Yvonne Le Dain, Mme Sandrine Mazetier, M. Patrick Mennucci, Mme Elisabeth Pochon, M. Dominique Raimbourg, M. Daniel Vaillant

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Jean-Paul Bacquet, Mme Huguette Bello, M. Dominique Bussereau, M. Sergio Coronado, M. Marc Dolez, Mme Laurence Dumont, M. Joaquim Pueyo, Mme Maina Sage, M. Roger-Gérard Schwartzenberg

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Caresche, M. Claude Goasguen, Mme Anne-Christine Lang, M. Pierre Lellouche, Mme George Pau-Langevin