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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 04 décembre 2014

SOMMAIRE

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Principe d’innovation responsable

Présentation

M. Éric Woerth, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports

M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

Mme Sabine Buis, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

M. Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Discussion générale

M. Damien Abad

M. Bertrand Pancher

M. Denis Baupin

M. Ary Chalus

M. Christian Assaf

M. Jean-Charles Taugourdeau

Mme Suzanne Tallard

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet

M. Patrice Prat

Mme Geneviève Gaillard

M. Arnaud Leroy

M. Éric Woerth, rapporteur

Discussion des articles

Article unique

M. Guillaume Chevrollier

M. Julien Aubert

M. Nicolas Dhuicq

Amendement no 1

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Amendement no 6

Après l’article unique

Amendements nos 2 , 3 , 5

Suspension et reprise de la séance

2. Lutte contre la gestation pour autrui

Présentation

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Discussion générale

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Jean-Christophe Fromantin

Mme Véronique Massonneau

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Principe d’innovation responsable

Discussion d’une proposition de loi constitutionnelle

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d’innovation responsable (nos 2293, 2404, 2393, 2394).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Woerth, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Éric Woerth, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, madame la rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, la commission des lois a rejeté cette proposition de loi constitutionnelle. Cependant, en tant que co-auteur du texte, avec Damien Abad, je m’emploierai à vous faire changer d’avis.

Il est plus que jamais temps de remettre notre pays sur la voie du progrès. Malheureusement, le progrès ne se décrète pas. Il ne se commande pas, mais il peut être encouragé et soutenu. Il s’obtient par l’innovation, résultat de la recherche, qui demeure, par essence, incertaine. Il s’obtient par de l’audace, par la prise de risques et, bien entendu, corollaire indispensable, par la prévention. Ce sujet nous intéresse tous, générations d’aujourd’hui comme générations futures.

Mes chers collègues, si l’innovation doit inclure la gestion des risques et donner lieu à des mesures de précaution, nous devons, dans le même temps, reconnaître la supériorité du principe d’innovation sur celui de précaution. Comme l’affirmait François Ewald en juin dernier lors d’une audition publique à l’Assemblée nationale, c’est dans le cadre de l’innovation et de la recherche que nous devons gérer les risques associés.

Ainsi, nous proposons, avec Damien Abad et le groupe UMP, d’inscrire le principe d’innovation dans la Constitution, à la place du principe de précaution, qu’il ne s’agit pas de supprimer puisqu’il demeure solidement établi et inscrit dans notre ordre juridique.

L’inscription du principe de précaution au sommet de la hiérarchie des normes, alors qu’il était déjà présent dans notre ordre juridique au niveau européen depuis le traité de Maastricht, et en droit interne depuis la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, répondait incontestablement à un objectif louable : mieux délimiter sa portée normative et encadrer sa mise en œuvre par les autorités publiques.

Je rappelle que, selon l’article 5 de la Charte de l’environnement introduite dans notre Constitution en mars 2005, trois conditions doivent être réunies pour que le principe de précaution s’applique : premièrement, un risque incertain doit exister, en l’état des connaissances scientifiques – si le risque est certain, c’est en effet le principe de prévention qui doit s’appliquer ;…

M. Jean-François Lamour. Eh oui !

M. Éric Woerth, rapporteur. …deuxièmement, un tel risque doit porter sur un dommage à l’environnement ; troisièmement, ce dommage doit lui-même être grave et irréversible.

Les autorités publiques ont alors deux obligations : veiller à mettre en œuvre des procédures d’évaluation des risques, permettant de lever les incertitudes existantes, d’une part, adopter des mesures, qui doivent être provisoires en raison de ces incertitudes, et proportionnées aux risques éventuels, d’autre part.

L’application jurisprudentielle du principe de précaution a, dans l’ensemble, été mesurée, exception faite de quelques décisions de la jurisprudence judiciaire, dans lesquelles il a été interprété de manière extensive.

Même si le risque de voir des tribunaux s’en saisir de plus en plus souvent est réel, les difficultés liées au principe de précaution tiennent moins à sa définition juridique qu’à son application par les pouvoirs publics et, surtout, à son interprétation dans l’opinion.

Le principe de précaution souffre, au fond, d’une usure prématurée. En effet, son usage, à tort et à travers, l’a transformé en principe d’émotion. Il a ainsi conduit les autorités publiques à prendre des décisions irrationnelles pour se protéger ou répondre à la pression de l’opinion publique. À la suite d’affaires dramatiques, de traumatismes aussi lourds que l’affaire de l’amiante, la France est devenue, dans d’autres domaines, la championne du monde des tabous : gaz de schiste, OGM, bisphénol A.

Je ne suis pas un scientifique, contrairement à de nombreux députés ; mon intention n’est donc pas de me prononcer sur ces sujets. Cependant, on ne peut pas faire de toute innovation scientifique un épouvantail. Or, la France a le don d’en cultiver un nombre particulièrement important, à l’opposé de très nombreux pays, qui ne sont pas pour autant des inconscients.

Chaque piste d’innovation devrait avoir le droit de ne pas être considérée comme suspecte. Chacune devrait bénéficier de la présomption d’innocence. Nous ne pouvons pas accepter de laisser l’inaction devenir un état d’esprit et gouverner notre société.

Dans le domaine des organismes génétiquement modifiés, les OGM, le choix de Limagrain de délocaliser sa recherche aux États-Unis constitue un exemple, me semble-t-il, inacceptable pour l’intérêt général de notre pays. Par ailleurs, il s’en est fallu de très peu que Carmat ne transplante son premier cœur à l’étranger, à cause du principe de précaution. Dans d’autres secteurs, et pour les mêmes raisons, la recherche se trouve affaiblie par la baisse des financements et leur manque, c’est le cas aujourd’hui pour les biotechnologies.

Puisque, au-delà du juridique, c’est l’émotion qui gouverne, nous devons apporter une réponse politique. Nous devons redonner la priorité à l’innovation.

La force de notre pays réside dans son incroyable capacité à innover et à créer. La force de notre pays n’est pas son incomparable propension à se protéger. Si nous ne nous engageons pas clairement pour l’innovation, nous soutenons alors la dérive qu’a connue l’interprétation du principe de précaution, devenant un principe flou et incapacitant, vecteur d’inhibition, et contribuant à créer un environnement hostile à la recherche.

M. Jean-François Lamour. Eh oui !

M. Éric Woerth, rapporteur. De nombreuses personnes se sont inquiétées de cette dimension culturelle qui s’installait insidieusement dans notre société. C’est notamment le cas de Louis Gallois qui déclarait à la presse voici peu : « maintenant, quand il y a une avancée scientifique ou technique, au lieu de se demander ce qu’elle peut nous apporter, on se pose d’abord la question de la menace qu’elle engendre ! ».

De tels propos peuvent être rapprochés de ceux d’autres dirigeants qui, lors de leur audition à l’Assemblée nationale, notamment dans le cadre de l’Observatoire parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques – l’OPECST –, décrivaient le principe de précaution comme « un renoncement de l’État, un renoncement des politiques à assurer ce qui est leur rôle, la protection de l’ensemble de la population, parce qu’un individu, ou un groupe d’individus, veulent s’élever contre telle ou telle idée. »

L’inquiétude de voir l’hostilité augmenter vis-à-vis de la recherche a également conduit les chercheurs à exprimer leur ras-le-bol dans une tribune cosignée par douze dirigeants d’organismes publics tels que le Centre national de la recherche scientifique – CNRS –, la Conférence des présidents d’universités, ou l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM. Ils manifestent de la sorte leur solidarité envers l’Institut national de la recherche agronomique – INRA – après la décision de la cour d’appel de Colmar de relaxer 54 faucheurs volontaires qui, en 2010, avaient détruit un essai de pieds de vigne transgéniques en plein champ. Ils déclarent ainsi que « la protection juridique des installations de recherche dédiées à l’expérimentation dans des conditions encadrées n’est plus assurée ».

D’autres personnes se sont ensuite exprimées, pour nous inciter à corriger le tir. Ainsi, en 2008, Jacques Attali nous invitait à repenser ce principe, en déclarant : « Cette référence instaure un contexte préjudiciable à l’innovation et à la croissance, en raison des risques de contentieux en responsabilité à l’encontre des entreprises les plus innovantes ».

Le principe de précaution a vu son interprétation dériver vers la recherche vaine du risque zéro, au lieu d’impliquer un véritable système de gestion des risques et des mesures proportionnées. L’innovation et le risque zéro étant incompatibles, notre recherche s’en est trouvée affaiblie de fait. La prudence – terme préférable, à mon sens, à celui de précaution – qui s’impose aux autorités publiques ne doit pas faire obstacle au développement des connaissances scientifiques. En faisant de la précaution une obsession, on a mis le ver dans le fruit du progrès.

M. Damien Abad. Très bien !

M. Éric Woerth, rapporteur. Plus encore, un jeune think tank, la Boîte à idées, montrait récemment l’impact négatif du principe de précaution sur des secteurs aussi importants que l’agroalimentaire, la santé, le médicament, le bâtiment et les travaux publics ou l’énergie. La précaution doit trouver sa place dans un système plus global de gestion des risques, qui doit accompagner toute innovation. Nous devrions ainsi analyser de façon équilibrée autant les opportunités que les risques, afin d’être en mesure de prendre des décisions rationnelles et proportionnées.

La précaution ne peut pas se réduire à ne rien faire. Elle a elle-même besoin de l’innovation, car elle seule peut permettre de trouver des molécules ou des produits alternatifs à ceux que nous déclarons dangereux. Elle seule peut nous permettre de faire face à des risques nouveaux qui menacent notre société. Autant vous dire que jamais nous n’aurions accepté le principe même du vaccin, avec le principe de précaution.

M. Damien Abad. Tout à fait !

M. Éric Woerth, rapporteur. Mes chers collègues, il est temps d’inscrire l’innovation dans la Constitution de notre pays. À cette innovation, Damien Abad et moi-même voulons associer l’adjectif « responsable », afin d’exprimer, notamment, la nécessaire conciliation entre protection de l’environnement et innovation. Cette proposition repose également sur l’idée que protection de l’environnement et développement économique doivent être conciliés.

J’ai bien conscience que cette proposition de loi ne fait pas l’unanimité au sein de notre assemblée.

M. Denis Baupin. Heureusement !

M. Éric Woerth, rapporteur. Elle ne fait pas non plus, même, l’unanimité au sein de notre groupe. Mais je crois qu’il est essentiel que nous ne tombions pas dans un débat caricatural : le monde ne se divise pas entre précautionnistes et progressistes. Nous devons avant tout ramener du bon sens et de l’équilibre dans ce débat.

Mes chers collègues, en remplaçant les termes de « principe de précaution » par ceux de « principe d’innovation responsable », la proposition de loi que notre collègue Damien Abad et moi-même vous demandons d’adopter – ce que vous ferez probablement – constitue un symbole fort, qui dépasse son contenu juridique. Ce message important, adressé à l’opinion et aux autorités publiques, affirme plus clairement que la précaution et l’innovation ne sont pas opposées.

Elle adresse le message que nous voulons une civilisation de progrès, et que le progrès vient de l’innovation. Si l’innovation ne va pas sans précaution, l’innovation, ce n’est pas, d’abord, la précaution.

Notre pays est comme une voiture, qui dispose d’un moteur et de freins : nous devons d’abord faire marcher notre moteur avant d’utiliser nos freins. Nous ne parviendrons pas à faire avancer notre pays autrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Damien Abad. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des sports.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports. Madame la présidente, madame et messieurs les rapporteurs, monsieur le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, mesdames et messieurs les députés, cette proposition de loi constitutionnelle vise à remplacer les termes « principe de précaution » figurant à l’article 5 de la Charte de l’environnement par ceux de « principe d’innovation responsable ».

Pour justifier cette révision, les signataires indiquent que le principe de précaution serait une source de blocage dans la mesure où, en se fondant sur ce principe, un grand nombre de réglementations, parfois lourdes, voire contestables, ont été prises dans différents domaines, tels que le secteur agricole ou industriel.

Ils estiment en outre que le principe de précaution seul, peut être un principe d’inaction, d’interdiction et d’immobilisme et que, ainsi, il freinerait l’innovation et serait un adversaire du progrès.

Ils estiment enfin que remplacer le principe de précaution par celui d’innovation responsable encouragerait la recherche à prendre en compte autant les opportunités que les risques.

Pour eux, le principe de précaution ne serait pas supprimé, car à leurs yeux, le principe d’innovation responsable constitue un principe plus large qui inclurait, entre autres, le principe de précaution.

En réalité, cette proposition de loi constitutionnelle a seulement pour effet d’introduire un changement sémantique, terminologique sans que le contenu juridique du principe soit modifié.

Le 27 mai 2014, le Sénat a adopté une proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la Charte de l’environnement pour préciser la portée du principe de précaution, afin d’intégrer, ainsi que le préconise la présente proposition de loi, le principe d’innovation. Cette proposition de loi a été transmise à l’Assemblée nationale le 28 mai 2014.

Permettez-moi de rappeler l’état du droit. En l’état, l’article 5 de la Charte de l’environnement prévoit que : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

On rappellera que le principe de précaution a été affirmé pour la première fois par la loi dite « Barnier » du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l’environnement. Il est défini comme le principe « selon lequel l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable ».

Il convient également de se référer à l’article 1er de la Charte de l’environnement selon lequel « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Le champ d’application de l’article 5 de la Charte de l’environnement est limité aux dommages graves et irréversibles causés à l’environnement.

Le Conseil d’État a délimité ce champ de manière extensive en interprétant le principe de précaution à la lumière de l’article 1er de la Charte de l’environnement. Il a ainsi jugé que les articles 1er et 5 de la Charte de l’environnement ainsi que l’article L. 110-1 du code de l’environnement impliquent que « le principe de précaution s’applique aux activités qui affectent l’environnement dans des conditions susceptibles de nuire à la santé des populations concernées ».

Le champ du principe de précaution tel qu’il résulte de l’article 5 de la Charte de l’environnement est en tout état de cause plus restreint qu’en droit de l’Union.

En effet, le traité de Maastricht a introduit le principe de précaution en matière environnementale et sanitaire, qui fait aujourd’hui l’objet de l’article 191, paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

L’application explicite de ce principe a été faite lorsque la Cour de justice des communautés européennes a validé une décision prise par la Commission d’interdire les expéditions de bovins, viandes bovines, des produits dérivés et de farines animales en provenance du Royaume-Uni, afin d’éviter la propagation de la maladie de la vache folle. Puis, le juge communautaire a élevé ce principe en principe général du droit de l’Union et l’a étendu au domaine de la sécurité des consommateurs.

En premier lieu, la mise en œuvre de ce principe incombe seulement aux autorités publiques et non aux personnes privées, entreprises en particulier. Ainsi, si ces dernières doivent respecter les mesures prises par les autorités publiques, elles ne doivent pas elles-mêmes mettre en œuvre les exigences constitutionnelles fixées par l’article 5. Le respect du principe de précaution ne donne donc pas de nouvelle compétence aux autorités publiques, mais contraint l’exercice de leurs compétences.

En second lieu, le juge contrôle le respect du principe de précaution par les autorités publiques. C’est le cas du Conseil constitutionnel.

À ce jour, le juge constitutionnel n’a eu à appliquer l’article 5 qu’une seule fois, lorsqu’il a été amené à contrôler la constitutionnalité de la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés.

Parallèlement, cette loi a institué un Haut conseil des biotechnologies chargé d’éclairer le Gouvernement sur toute question intéressant les OGM ou toute autre biotechnologie et de formuler des avis en matière d’évaluation des risques pour l’environnement et la santé publique que peut présenter le recours aux OGM.

Le Conseil constitutionnel a estimé que ces dispositions n’avaient pas violé l’article 5 de la Charte de l’environnement. Pour conclure en ce sens, le juge a effectué un double contrôle : un contrôle restreint sur l’existence du risque, un contrôle entier sur les obligations procédurales permettant le respect et la mise en œuvre du principe de précaution.

Le juge administratif s’est également prononcé. Le Conseil d’État, dans l’affaire concernant la société Orange France, a reconnu l’invocabilité de l’article 5 de la Charte de l’environnement et a exercé un contrôle normal sur les mesures d’urbanisme prises par l’administration en application du principe de précaution. Il s’agissait de l’opposition à l’installation d’antennes.

Enfin, et même s’il n’est pas possible d’en tirer des conclusions générales, il peut être souligné que ce contrôle du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État a donné lieu, dans les jurisprudences citées, à la remise en cause d’une application trop « précautionneuse » du principe de précaution.

En effet, dans la décision du 19 juin 2008, le Conseil constitutionnel a rejeté le grief tiré de ce que l’autorité publique aurait dû interdire la culture d’OGM au nom du principe de précaution, ce qui montre bien que ce principe ne doit pas être interprété comme impliquant une règle d’abstention faisant obstacle à l’activité et à l’innovation des entreprises.

En outre, dans l’arrêt Société Orange France, le Conseil d’État a annulé l’arrêté municipal s’opposant à l’installation des antennes-relais.

L’article 5 introduit dans notre droit un principe d’action et non d’abstention, contrairement aux critiques qui sont souvent adressées à son encontre. En effet, le principe de précaution est parfois présenté comme impliquant qu’en l’absence de certitude sur l’absence de risque, il convient de s’abstenir d’agir afin d’éviter la réalisation d’un dommage irréversible. En ce sens, ce principe aurait pour effet l’inaction face au risque, selon l’interprétation de M. le rapporteur. Tel n’est toutefois pas le sens de l’article 5.

Au contraire, le principe de précaution doit s’entendre comme un principe d’action, mais sa spécificité est de prévoir que, dans certains cas, l’action devra être précédée du respect d’exigences de nature procédurale afin d’évaluer les risques encourus compte tenu de la nature des dommages qui pourraient survenir. Il prévoit, pour toute activité susceptible de causer un dommage incertain à l’environnement en l’état des connaissances scientifiques, la mise en place de procédure de contrôle et d’évaluation continue des risques encourus.

En outre, ce principe permet l’édiction de mesures qui ne sont pas précisées par la Constitution. En revanche, ces mesures – autorisation sous condition ou interdiction, par exemple – doivent être proportionnées et provisoires, donc révocables à tout moment. Quel que soit le résultat de ces contrôles et évaluations, la décision finale d’autorisation ou d’interdiction relève de l’autorité publique qui doit s’appuyer sur des expertises scientifiques.

Comme je l’ai indiqué en introduction, la proposition de loi n’a pour objet que d’introduire un changement sémantique à l’article 5 de la Charte, sans que soit modifié le principe. En réalité, la portée de cette proposition de loi, comme celle adoptée par le Sénat, est plus « psychologique » que juridique.

Si le principe de précaution a bien été appréhendé par le juge, il a peut-être été mal interprété par quelques médias. Face à la gravité de certains risques environnementaux, les médias et certains responsables publics ont pris peur et se sont emparés du principe de précaution pour s’opposer à toute innovation scientifique. Une confusion a notamment été introduite entre le principe de précaution et le principe de prévention.

Le premier principe porte sur des risques incertains, qui ne sont pas connus, alors que le second porte sur des risques identifiés et connus. Cette peur a eu un impact sur le secteur de la recherche dans la mesure où, sous la pression médiatique, certains champs de recherche ont été abandonnés en France, je pense au secteur de la biotechnologie. Lorsqu’il s’est agi de voter sur le principe de la recherche sur les cellules-souches embryonnaires – je me permets de dire au rapporteur de la proposition de loi qu’il devrait s’en souvenir – son groupe avait mis en avant le principe de précaution alors qu’il s’agissait d’une avancée technologique majeure.

M. Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Très juste ! Il fallait le rappeler.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. C’est dire qu’il vaut mieux éviter les discours au gré du vent.

M. Jacques Myard. Excellent ! Il faudra vous en souvenir ! Nous vous le rappellerons à l’occasion.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Un jour on se targue du principe de précaution pour s’opposer à toute avancée, un autre jour on se fait les chantres de la défense du progrès. Le progrès n’appartient à personne en particulier, il appartient à tout le monde.

M. Denis Baupin. Très bien !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le Gouvernement n’est pas favorable à ce changement terminologique qui n’apporte rien de nouveau et qui est sans effet sur le plan juridique ainsi que je viens de le démontrer.

L’on peut s’interroger sur la cohérence de notre droit dès lors que la loi Barnier – Michel Barnier –…

M. Damien Abad. Excellente loi.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. …continuera de définir comme « principe de précaution » un principe très proche de celui fixé dans la Charte de l’environnement dont le nom serait changé.

En revanche, nous devons tous œuvrer à une meilleure compréhension et intelligibilité du principe de précaution dans l’opinion publique. C’est notre devoir et notre responsabilité si l’on veut créer un climat plus favorable à l’innovation scientifique dans l’espace public. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et UDI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle que nous discutons propose de déconstitutionnaliser le principe de précaution au bénéfice d’un principe d’innovation responsable.

La commission des affaires économiques, que je représente, appelle à rejeter cette proposition de loi. Plusieurs raisons guident ce choix.

Tout d’abord, il faut rappeler que si la France est toujours la cinquième puissance économique mondiale, c’est grâce à sa capacité à innover. Elle sait former les meilleurs scientifiques et les meilleurs ingénieurs qui permettent à son secteur industriel de rester à la pointe des évolutions technologiques. Cette capacité à rechercher est un facteur déterminant de son attractivité vis-à-vis des capitaux étrangers.

L’innovation, bien public et collectif, jusqu’à son appropriation pour une mise en valeur marchande, ne semble pas être freinée ainsi que le sous-entend le texte.

En second lieu, il convient de mettre en avant les lacunes importantes du « principe d’innovation responsable », qui n’a pas vraiment de pertinence juridique. Ce serait confier à un unique principe deux objectifs différents : d’une part, promouvoir l’innovation qui a besoin de la liberté totale, d’autre part, assurer sa responsabilité sociale, environnementale, politique, ce qui conduit à une inévitable confusion sur sa portée juridique, son application concrète, son sens pour les acteurs publics et économiques et, plus largement, pour les citoyens.

Il est donc évident que la disposition préconisée par cette proposition de loi n’est pas opportune. Il faut au contraire réaffirmer l’attachement au principe de précaution et à son inscription dans la Constitution. Dans le cas contraire, les usages de la recherche pourraient avoir des conséquences néfastes pour l’homme.

Le principe de précaution doit cependant éviter la paralysie de l’action publique face à l’incertitude scientifique.

M. Damien Abad. Oui.

M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis. Il doit permettre de laisser libre cours aux perspectives d’innovation les plus prometteuses sans quoi, d’un principe d’action, il deviendrait un principe d’interdiction sous le poids de jugements sociétaux hâtifs.

M. Damien Abad. Exactement.

M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis. Innovation et précaution sont complémentaires, à condition que le principe de précaution ne soit pas dévoyé. Une économie innovante a en effet besoin d’une réglementation propice à la liberté et la réactivité, ce qui suppose de ne pas entraver les initiatives les plus créatives : le temps de l’application du principe de précaution ne vient pas au moment où l’innovation est encore au stade de l’idée, mais au moment où elle est mise en œuvre et où elle peut effectivement comporter des risques.

Pourtant, dans la pratique, nous avons pu assister à des dérives dans l’utilisation du principe de précaution. Afin d’éviter ces dérives, les responsables politiques ont le devoir de conduire un vrai exercice de pédagogie.

C’est notre rôle de cerner avec justesse le principe de précaution, et de dénoncer ceux qui essaient de l’accaparer à des fins partisanes ou intéressées. C’est notre rôle de rappeler que le principe de précaution, lorsqu’il est correctement appliqué, est compatible avec l’innovation, et contribue à la développer.

C’est par exemple le cas de la transition énergétique, où d’importants financements publics et privés sont venus encourager le développement de technologies innovantes, comme la voiture propre, l’efficacité énergétique des bâtiments et les énergies renouvelables, en vue de réduire les risques liés au réchauffement climatique.

Je m’oppose donc aux discours qui avancent que le principe de précaution entrave l’innovation.

Néanmoins, il ne faut pas rester sourd aux freins que l’innovation peut rencontrer en France et il faut adresser un signal fort aux entrepreneurs, aux investisseurs et aux citoyens, sur l’importance que doit prendre l’innovation dans la conduite de l’action publique. Pour ce faire, il faudrait définir une doctrine plus dynamique, dans laquelle l’innovation ne s’affranchirait pas des règles de précaution, et où la précaution s’appliquerait en respectant la liberté et la créativité de l’innovation.

C’est pourquoi nous envisageons, avec le président de la commission des affaires économiques, M. François Brottes, la création d’un groupe de réflexion sur les freins à l’innovation en France, qui pourrait poursuivre les travaux engagés par l’OPECST sur les freins à la recherche et à l’innovation. Voilà la ligne que nous proposons. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Buis, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Mme Sabine Buis, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur proposition de sa rapporteure, la commission du développement durable, saisie pour avis de la proposition de loi constitutionnelle de certains de nos collègues du groupe UMP, visant à introduire à l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004 un « principe d’innovation responsable », a dit « non » à la remise en cause du principe de précaution – un « non » clair et franc, des bancs de la majorité à plusieurs sièges individuels de l’opposition.

C’est la quatrième fois depuis le début de la présente législature que l’opposition dépose une proposition de loi constitutionnelle tendant à supprimer, à encadrer ou à débaptiser le principe de précaution. Selon les auteurs de celle dont nous débattons aujourd’hui, ce principe serait parfois un principe d’inaction, d’interdiction et d’immobilisme. Sur le fondement de ce qui n’est qu’un postulat, il est proposé de marier les concepts d’innovation et de responsabilité dans un même principe qui ne se substituerait pas au principe de précaution, mais en serait le nouveau nom.

Permettez-moi tout rapport de rappeler quelques réalités et quelques vérités souvent malmenées, par ignorance ou par malice.

Premier constat : le principe de précaution n’a pas vocation à orienter l’action des personnes privées, mais celle des personnes publiques. Il n’impose directement aucune obligation de faire ou de ne pas faire à des entreprises ou à des chercheurs.

Deuxième constat : le principe de précaution ne s’applique que dans une situation précise et rare, caractérisée par « l’absence de certitude » et par un risque de dommages « graves et irréversibles » à l’environnement.

Troisième constat : le principe de précaution ne précise jamais que la réponse à l’incertitude scientifique doit être l’inaction ou l’interdiction. Au contraire, l’esprit du code de l’environnement est bien que le principe de précaution constitue une invitation à l’action, à l’intelligence, à la réflexion et à la recherche, afin de mettre en œuvre, face aux risques identifiés, des réponses effectives et proportionnées.

Je ne suis naturellement pas, par principe, opposée à ce que le sens d’une règle de droit puisse être précisé lorsque sa portée est incertaine. Tel n’est cependant pas le cas aujourd’hui et je vois au moins quatre raisons pour s’opposer à la remise en cause du principe de précaution ici proposée.

D’une part, le principe de précaution n’est pas contraire à l’innovation, qu’il intègre déjà. Au contraire, il fait obligation à l’État d’encourager la recherche pour en savoir plus sur les risques encore mal identifiés, pour lesquels nous ne disposons pas de recul, de précédent ou d’accord entre experts. Clairement, concrètement, le principe de précaution est un appel à la science, à l’intelligence, au rationnel.

Il faut par ailleurs lire la Charte de l’environnement en entier, et non par morceaux. Son article 9 dispose ainsi que « la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement ». Comme le précisent les travaux préparatoires de cette charte, l’article 5 sur le principe de précaution ne peut être lu qu’en correspondance avec cet article 9. La recherche et l’innovation sont donc bien déjà, au cœur de la Charte de l’environnement et seule une lecture biaisée peut laisser accroire le contraire.

Ensuite, accoler le mot « responsable » au mot « innovation » n’a pas de sens. Le principe de précaution est en effet un principe de procédure, de décision, et non pas une cause nouvelle d’engagement de la responsabilité civile ou pénale d’une personne privée. Il s’adresse à l’État et aux autorités publiques, pas aux citoyens ou aux acteurs économiques. Que serait d’ailleurs, dans la logique même des auteurs de la proposition de loi, une innovation « responsable » par opposition à une innovation « irresponsable » ? Et pourquoi pas une « bonne » et une « mauvaise » science ? Est-ce à l’État de dire par avance ce en quoi doit consister l’innovation, la création ou l’invention ? Je ne le crois pas et suis au contraire convaincue qu’il s’agit ici d’un chemin très dangereux sur lequel on voudrait nous engager.

En troisième lieu, remplacer l’expression de « principe de précaution » par celle de « principe d’innovation responsable » serait source de confusion. Concrètement, un même contenu s’appellerait en effet « principe de précaution » en droit international, en droit de l’Union européenne et dans la loi française mais, curieusement, « principe d’innovation responsable » dans la Charte de l’environnement adossée à la Constitution française. Outre les risques de débats interminables, dans notre hémicycle ou devant le juge, pour savoir si ce changement de nom induit un changement de sens, qu’y aurait-il de plus contraire au « choc de simplification » – auquel j’imagine que nous aspirons tous – que d’appeler une même règle de droit par plusieurs noms ?

En dernier lieu, il est faux de prétendre que ce changement de nom permettrait de clarifier l’interprétation du principe de précaution. La lecture attentive de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation et des décisions du Conseil constitutionnel permet de se convaincre qu’un tel risque n’existe pas.

Mes chers collègues, ne nous y trompons pas : dès lors que les motifs de cette proposition de loi ne résistent pas à une analyse politique ou juridique, même sommaire, du principe de précaution, c’est que ses objectifs réels sont ailleurs. Depuis la Charte et le Grenelle de l’environnement, en effet, il est devenu beaucoup plus difficile de s’en prendre directement au droit de l’environnement et il est donc plus commode de s’attaquer à un principe qui pâtit d’une forme de surexposition médiatique et d’emplois malencontreux. Mais la guerre d’usure menée par certains intérêts contre le principe de précaution est bien une critique de l’environnement, de cet environnement qui, pour certains, « commence à bien faire ».

Enfin, de vous à moi : tout ce temps et toute cette énergie consacrés à caricaturer le principe de précaution ne seraient-ils pas plus utilement mis à profit pour discuter de la transition écologique ou énergétique ? Ne devrions-nous pas consacrer nos travaux à faire plutôt qu’à défaire, à construire plutôt qu’à déconstruire ? Pour toutes ces raisons, je vous invite résolument à vous opposer à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur les bancs du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

M. Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, les travaux en commission sur cette proposition de loi ont montré d’une part, que la précaution ne conduit pas systématiquement à l’inaction et que la prévention s’impose si le risque est connu, d’autre part que l’innovation ne doit pas être freinée. Ces freins à l’innovation ont été mis en évidence dans de nombreux travaux de l’OPECST portant tant sur des sujets controversés que vient d’évoquer M. le ministre, comme les OGM et les ondes électromagnétiques, que sur l’innovation et l’équilibre à trouver entre les principes de précaution et d’innovation.

Le sujet est complexe. Les réflexions de l’Office parlementaire ont montré qu’une démarche constitutionnelle, qui fait l’objet de la proposition que nous examinons, serait maladroite car, sur un tel sujet, il serait difficile d’obtenir un accord politique assez large.

Le principe de précaution, inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement, a une valeur constitutionnelle et doit être maintenu. L’innovation est, quant à elle, citée dans l’article 9 de cette Charte, mais cette mention ne constitue aucunement la reconnaissance d’un principe d’innovation généraliste, car l’innovation ne concerne pas seulement l’environnement. C’est là un point sur lequel l’Office parlementaire insiste.

M. Damien Abad. Eh oui ! Il a raison.

M. Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques. Il existe donc entre précaution et innovation un déséquilibre, qui ne serait pas forcément grave si certains tribunaux n’avaient pas fondé leurs jugements sur une interprétation du principe de précaution qui ne correspond ni à sa lettre ni à son esprit. C’est ainsi que le jugement déjà évoqué de la Cour d’appel de Colmar ne suivait pas la législation, car il revenait à la Commission de génie biomoléculaire, devenue Haut conseil des biotechnologies, de se prononcer à ce propos. De même, dans le cas des ondes électromagnétiques, le tribunal de Nanterre a demandé le démontage d’antennes en se référant au principe de précaution et en faisant état de risques de troubles.

La jurisprudence a cependant évolué, grâce au Conseil d’État, et indique que le principe de précaution ne permet pas à une autorité publique de dépasser son champ de compétence ni d’invoquer ce principe indépendamment des évaluations réalisées par les autorités compétentes. Le Conseil d’État a d’ailleurs indiqué qu’en matière d’urbanisme, le principe de précaution est inopposable et il a remis de l’ordre dans des jugements qui allaient un peu dans tous les sens.

Cependant, quand on examine avec attention ces sujets, on s’aperçoit que ce n’est pas toujours le principe de précaution qui doit être invoqué. Dans certains cas liés à l’environnement, comme dans celui de l’amiante, il ne s’agit pas de précaution, mais de prévention, car on en connaissait depuis longtemps les risques.

Il faut donc trouver, de manière consensuelle ou quasi consensuelle, un nouvel équilibre entre précaution et innovation. C’est le sens des propositions que vient de faire l’OPECST en tirant les conclusions de son audition publique du 5 juin dernier sur le principe de précaution. À une très large majorité, monsieur Baupin,…

M. Denis Baupin. Mais certes pas à l’unanimité…

M. Jean-Yves Le Déaut, président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques. …nous proposons une démarche progressive, en commençant à modifier le code de la recherche et le code des marchés publics, par la voie législative et réglementaire. Nous proposons ainsi de définir un principe d’innovation, sans toucher aucunement au principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement. Je suis personnellement favorable à ce que le principe de précaution soit inscrit dans un futur texte et que, comme vient de le proposer le rapporteur, M. Kemel, un groupe de travail soit créé sur ce sujet à l’initiative de la commission des affaires économiques.

Pour assurer la cohérence des jugements fondés sur le principe de précaution, nous souhaitons que le Conseil d’État soit compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des litiges fondés sur l’article 5 de la Charte de l’environnement mettant en jeu une innovation.

Pour promouvoir l’innovation, nous proposons enfin de commencer à élaborer un « Small Business Act » à la française, en réservant 3 % des marchés publics à des solutions ou à des entreprises innovantes. La rédaction que nous préconisons consiste à instituer une discrimination positive en faveur des petites et moyennes entreprises développant des activités innovantes.

Ces propositions sont sur la table et je suis favorable à ce qu’elles soient largement discutées. C’est pourquoi je me félicite de la proposition de créer ce groupe de travail. C’est ce qui me fait dire que, même si l’OPECST partage certaines des préoccupations des auteurs de la proposition de loi que nous examinons, l’adoption de cette proposition contribuerait à nous diviser, alors que nous souhaitons concilier à la fois précaution, prévention et innovation.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Damien Abad.

M. Damien Abad. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, selon Albert Einstein, « une personne qui n’a jamais commis d’erreur n’a jamais tenté d’innover ».

M. Denis Baupin. Vous devez beaucoup innover…

M. Jacques Myard. M. Baupin est expert en la matière !

M. Damien Abad. Toute recherche comporte des risques, comme on a pu le voir de l’invention de l’électricité aux nanotechnologies, en passant par les biotechnologies, les organismes génétiquement modifiés et l’énergie nucléaire.

Pour innover, il faut oser, il faut risquer, il faut évaluer les coûts et les bénéfices. C’est exactement l’objectif de la proposition de loi constitutionnelle par laquelle, avec M. Éric Woerth et mes collègues cosignataires, nous voulons inscrire dans le bloc de constitutionnalité un principe d’action équilibré, favorable à la recherche, à l’innovation et au progrès, tout en ayant conscience de certaines limites, des conséquences et des risques avérés.

Ce texte a été élaboré après mûre réflexion. La Charte de l’environnement de 2005 a bien été adoptée par la majorité UMP de l’époque et nous ne remettons pas en cause ce texte.

Je voudrais ici relever un certain nombre d’idées reçues. Tout d’abord, nous souhaitons faire évoluer ce texte en fonction des évolutions mêmes de la société. C’est le fruit d’une longue réflexion : rappelons que M. Jacques Attali lui-même, dans son rapport de 2008, évoquait ce thème. L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a dressé le bilan du principe de précaution en octobre 2009. Mme Anne Lauvergeon, dans son rapport de la commission Innovation 2030, a lancé cette réflexion. On voit que cette réflexion se prolonge, et je salue d’ailleurs l’initiative prise par la commission des affaires économiques de constituer un groupe de travail sur les freins à l’innovation : c’est insuffisant, mais c’est déjà une première étape.

Nous nous sommes donc rendu compte qu’il était préférable aujourd’hui d’instaurer un principe d’innovation responsable, compromis issu de plusieurs propositions de loi. En effet, ce principe d’innovation responsable englobe le principe de précaution, tout en prenant en considération une nouvelle dynamique économique et sociale instaurée par ce principe d’innovation. En effet, l’innovation responsable permet un développement économique et social efficace, réfléchi et pondéré face aux grands risques environnementaux.

Il y a, je vous l’ai dit, beaucoup d’idées reçues, notamment dans nos débats en commission des affaires économiques, d’abord sur le principe de précaution lui-même.

Les critères du principe de précaution se trouvent à l’article 5 de la Charte. Ce principe est également mentionné à l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; il est d’ailleurs beaucoup mieux encadré et défini que dans la Charte. Enfin, il est reconnu par la loi Barnier de 1995.

Vous avez affirmé tout à l’heure, madame la rapporteure pour avis, que la création d’un principe d’innovation responsable en France entrerait en contradiction avec le droit européen. Or, vous savez déjà que le contenu du principe de précaution n’est pas le même dans la Charte de l’environnement français et dans le droit européen. Votre argument ne tient donc pas puisque le contenu n’est pas le même sur le principe de précaution en tant que tel.

Notons qu’il faut bien faire la différence avec le principe de prévention, qui vise à réduire ou à empêcher les dommages liés aux risques avérés d’atteinte à l’environnement ou à la santé humaine : il s’agit en l’occurrence d’éviter la création de nuisances plutôt que de combattre ultérieurement leurs effets. En revanche, le principe de précaution s’applique dans l’hypothèse d’un risque potentiel. L’absence de certitude scientifique ne doit en effet pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir, à un coût social et économique acceptable, la dégradation de l’environnement ou de la santé humaine.

Nous avons eu un débat en commission sur le bisphénol A. Mme Delphine Batho, dont je regrette qu’elle ne soit pas présente aujourd’hui, nous avait alors dit que le bisphénol A avait été pris en exemple comme application du principe de prévention. Force est de constater que cela est faux : il a été interdit en France sur le fondement d’un risque potentiel pour tout conditionnement à vocation alimentaire, à la différence de ce que préconisait la Commission européenne Il a donc bien été interdit au nom du principe de précaution.

Deuxième idée reçue : le principe d’innovation responsable vaudrait suppression pure et simple du principe de précaution. Il s’agit là encore d’une vision caricaturale car le principe d’innovation responsable est une conception plus large de la responsabilité, qui englobe à la fois le principe de précaution, le principe de prévention, le principe de réparation ainsi que les droits d’information et de participation ; tous ces principes se trouvent d’ailleurs dans la Charte de l’environnement. Le principe de précaution est donc maintenu dans l’ordre juridique, qu’il soit ou non inscrit dans la Charte et qu’il soit ou non remplacé par le principe d’innovation responsable. Sa valeur juridique est ainsi contraignante, grâce aux traités européens et à la loi Barnier.

Remettre en cause l’idée de la juridicité de ce principe, s’il n’est plus inscrit tel quel dans la Charte, reviendrait à remettre en cause la hiérarchie des normes et notre obligation à faire appliquer le droit européen primaire.

Soulevons encore une autre idée reçue, voire un paradoxe, lorsque nos contradicteurs soutiennent la nécessité du principe de précaution, tout en déclarant par la suite qu’il est en réalité inefficace juridiquement. Il a été dit pendant la discussion en commission qu’aucune instance judiciaire n’a rendu une décision de justice en se fondant sur le principe de précaution.

Toutefois, à plusieurs reprises, le Conseil d’État a visé le principe de précaution pour rendre ses décisions. Pour ne prendre qu’un seul exemple, dans un arrêt 19 juillet 2010, le Conseil d’État a considéré que le principe de précaution, tel qu’énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement, s’appliquait même sans texte d’application, que le principe de précaution était directement applicable à une autorisation délivrée en droit de l’urbanisme et enfin que le tribunal administratif qui avait rendu la décision préalable avait commis une erreur de droit. La non-application juridique du principe de précaution par les juridictions est là encore une idée reçue. Il n’y a qu’un pas à faire pour le parallélisme avec l’application du principe d’innovation responsable.

Enfin, on nous a dit qu’instaurer un principe d’innovation responsable serait, je cite encore une fois Mme Batho, une « régression intellectuelle ». Certains ont voulu nous faire entrer dans un débat caricatural en affirmant que cela constituerait un retour en arrière, alors qu’il s’agit en fait d’une marche avant vers le progrès.

M. Denis Baupin. Vraiment ?

M. Damien Abad. Eh oui, monsieur Baupin, et vous le savez !

Il existe plusieurs limites à l’application du principe de précaution. Tout d’abord, sa définition pose problème : qu’est-ce qu’un risque ? Quelle est la limite entre les dommages sérieux et bénins, entre les dommages irréversibles et réversibles ? La jurisprudence est loin d’être claire sur ces points. Ensuite, le principe de précaution sert à interdire la commercialisation de certains produits même s’il n’existe pas de véritable preuve de leur danger.

L’Office parlementaire des choix scientifiques a soulevé le risque de dérive dans la mise en œuvre du principe de précaution, soulignant qu’une utilisation abusive du principe de précaution aboutit à une déconnexion du jugement politique par rapport au jugement scientifique.

À l’inverse, avec le principe d’innovation responsable, que nous défendons avec mon collègue Éric Woerth, nous cherchons à faire évoluer le principe de précaution, qui est trop souvent un principe d’inaction et d’immobilisme. En proposant ce principe d’innovation responsable, nous voulons bien entendu un principe de prudence et de responsabilité, mais également un principe d’action et de croyance dans le progrès et dans l’innovation.

Nous pensons à l’UMP qu’il faut développer dans notre pays l’esprit d’entrepreunariat et la valorisation du risque. Notre pays a perdu la culture du risque : nous n’avons plus le droit de prendre des risques, d’échouer ni même de réussir ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Bruno Le Maire. Très bien !

M. Damien Abad. Il faut faire à nouveau confiance à la science et à la technologie et dépasser l’illusion dangereuse du risque zéro. Je veux citer un chirurgien, Guy Vallancien, professeur à l’université Descartes.

M. Bruno Le Maire. Excellent chirurgien !

M. Damien Abad. Il rappelle que les malades sont les premiers à accepter de tester des protocoles pour pouvoir guérir alors que les citoyens refusent et s’opposent à cette théorie à cause des risques potentiels. On ne peut pas d’un côté se réjouir et applaudir quand la société Carmat réalise une évolution médicale majeure et, de l’autre, ne pas vouloir encourager le progrès et l’innovation ni consacrer de manière constitutionnelle le principe d’innovation responsable.

M. Christian Assaf. Vous êtes hors sujet, monsieur Abad !

M. Damien Abad. Mais non ! Ce n’est pas parce que cela ne vous fait pas plaisir que c’est forcément hors sujet. Vous n’avez pas le monopole de la science, ni même celui de la vérité ;…

M. Christian Assaf. Mais vous celui de la bêtise !

M. Damien Abad. …les Français vous l’ont rappelé à plusieurs reprises et continueront à le faire, parce que votre arrogance apparaîtra forcément coupable dans l’avenir !

Je voudrais saluer celles et ceux qui ont vraiment travaillé sur le fond, comme M. le rapporteur pour avis Philippe Kemel, qui a au moins le courage et le mérite de dire que nous devons évoluer sur un certain nombre de points, qu’il existe des freins à l’innovation et que la précaution peut constituer l’un de ces freins.

M. Julien Aubert. « Et pourtant, elle tourne ! »

M. Damien Abad. Nous considérons que l’innovation responsable, qui permet un développement économique et social efficace, est un signal politique fort pour la recherche.

C’est également un signal politique fort pour les entrepreneurs – je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler que nos chefs d’entreprise défilaient hier dans la rue ! – car nous avons aujourd’hui besoin d’inspirer de la confiance. Nous avons besoin de croire à nouveau au progrès, tout comme nous avons besoin de sortir de cette société de la contrainte permanente, de la norme à tout va et de la suradministration qui paralyse notre activité économique.

M. Denis Baupin. Pierre Gattaz, sors de ce corps ! (Sourires.)

M. Damien Abad. Le principe d’innovation responsable aurait forcément un impact, même indirect, sur la sphère privée et non simplement la sphère publique à travers les entreprises ou les chercheurs, en fonction des politiques publiques menées.

En outre, le principe d’innovation responsable pousserait à l’élaboration de nouvelles idées, de nouveaux concepts. Certains dénoncent son caractère flou et peu compréhensible ; mais l’objectif d’un nouveau concept consiste justement à avancer, à explorer des idées nouvelles, à prendre des risques, en y consacrant des investissements et en encourageant l’entrepreunariat.

Aujourd’hui, 97 % des jeunes estiment que la création d’entreprise est beaucoup trop complexe en France ; 25 % des étudiants sont prêts à s’engager dans l’entrepreunariat mais seuls 3 % le font. Nous espérons simplement donner un nouveau souffle, une nouvelle impulsion dans la vie politique française, considérant que ce principe n’engendrera aucune complexité juridique supplémentaire puisqu’il englobe à la fois le principe d’innovation de l’article 9 et les autres principes de la Charte, et que le juge a l’habitude de concilier ces différents principes, comme la liberté d’aller et venir et le principe de sécurité.

C’est dans cet esprit que nous avons déposé cette proposition de loi constitutionnelle avec Éric Woerth, pour promouvoir l’innovation responsable et pour que la France retrouve enfin son rang et sa vocation : celle d’un grand pays industriel. Ce pays croit dans le progrès, dans l’innovation et dans une société responsable, et ne recule pas toujours devant les risques que la société encourt. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, devons-nous revenir sur le principe de précaution ? Le groupe UDI s’est évidemment posé cette question, puisque ce texte nous y invite.

« Le principe de précaution est un principe de vigilance et de transparence, qui doit être interprété comme un principe de responsabilité ». Ces mots, pleins de bon sens, sont tirés du discours de l’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, lors des conclusions du Grenelle de l’environnement, qui avait notamment permis à la France de disposer d’un crédit de confiance non négligeable sur la scène européenne et internationale, en matière environnementale.

Nous avions réussi le pari difficile de rassembler au-delà des partis politiques, afin de tendre vers un développement plus équilibré, respectueux de nos ressources et de la biodiversité.

Alors que les récentes prévisions du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, n’ont jamais été aussi alarmantes, que la biodiversité disparaît à une vitesse jamais connue dans notre histoire…

Mme Geneviève Gaillard. Eh oui !

M. Bertrand Pancher. …et que les bonds scientifiques peuvent, s’ils ne sont pas maîtrisés rendre l’homme et la nature méconnaissables et tout retour en arrière impossible, il est absolument indispensable de rester plus que jamais vigilant.

Chers collègues, si le principe de précaution a été défendu par tous et a fait l’objet de très longues réflexions, aboutissant à un consensus patiemment construit en 2004 lors de l’examen de la Charte de l’environnement, il n’en reste pas moins vrai qu’il est bon d’en tirer un bilan et de nous interroger sur son application.

M. Bruno Le Maire. Bravo !

M. Bertrand Pancher. Certes bien ancré, depuis de nombreuses années, dans les textes nationaux, européens et internationaux, le principe de précaution reste, encore aujourd’hui, difficile à appréhender et à définir.

Dès 1992, le Traité de Maastricht permet enfin à l’Union européenne d’intervenir pour protéger à la fois l’environnement et la santé des Européens. Il distingue alors trois grands principes : le principe du pollueur-payeur, celui de correction des atteintes à l’environnement et enfin le principe de précaution et d’action préventive.

Bien entendu, ce principe de précaution n’est pas appliqué de la même manière dans tous les pays européens, ce qui ne permet pas d’avoir une harmonisation européenne. Est-ce d’ailleurs possible et même souhaitable ? Est-ce possible ? Sommes-nous favorables à l’harmonisation de nos cultures ? Je pense que non.

Si le principe de précaution reste une notion encore très vague sur le plan international, il est néanmoins présent dans nombre de textes ou de déclarations. En 1972 – il y a déjà plus de 40 ans –, la Déclaration de Stockholm rappelait que « l’Homme a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ».

Vingt ans après, en 1992, le principe n15 de la Déclaration de Rio affirme que pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les États et que l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures.

En France, c’est la loi Barnier de 1995 qui définit, pour la première fois, le principe de précaution ; vous le savez tous. Dix ans après, en 2005, l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution, soutenue par la même majorité, a marqué un véritable tournant politique.

M. Denis Baupin. Très bien !

M. Bertrand Pancher. En effet, notre pays a alors fait le choix de prendre davantage en compte les grands risques environnementaux auxquels nous sommes et serons confrontés. C’est l’article 5 de cette même Charte qui érige le principe de précaution au rang le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques.

Afin d’éviter tout amalgame, j’aimerais préciser un point : le principe de précaution concerne exclusivement l’environnement et ne s’applique en matière sanitaire qu’en cas de combinaison des risques pour la santé et pour l’environnement.

Trop souvent, l’opinion publique, les médias et, pourquoi ne pas l’avouer, certains élus confondent prévention et principe de précaution, ce qui entretient la confusion et pose de réels problèmes d’interprétation excessive.

Par ce bref rappel historique et sémantique, j’ai souhaité démontrer que le principe de précaution est très nettement inscrit, voire gravé, dans de nombreux textes, qu’ils soient nationaux, européens ou internationaux.

Pour autant, le groupe UDI écoute et entend les inquiétudes qui peuvent subsister. En effet, nombreux sont ceux qui pensent, et même affirment, que ce principe pourrait ralentir la recherche.

Ces craintes sont d’autant plus compréhensibles que l’application du principe de précaution reste encore incertaine.

Il est évident que la définition particulièrement imprécise de ce principe pose des problèmes de signification comme d’interprétation.

Nous pensons qu’il est nécessaire – et sans doute urgent – d’ouvrir un véritable débat de fond afin de définir ce que devrait recouvrir ce principe, mais aussi de l’encadrer et de lui permettre de s’appliquer dans un contexte rationnel et compris par tous. Et, pourquoi pas, par nous tous ! C’est d’ailleurs le vœu que vous formuliez il y a quelques instants.

Il est d’abord nécessaire de structurer la concertation : c’est de cette façon, chers collègues, que les pays anglo-saxons ont abordé les grandes controverses scientifiques. Il est souhaitable de se poser la question des moyens dévolus aux expertises indépendantes et pluridisciplinaires. Il faut aussi déterminer les acteurs et les interlocuteurs qui interviennent dans l’application de ce principe. En effet, qui peut, mais surtout qui doit prendre, aujourd’hui, la décision de mettre en œuvre des procédures d’évaluation des risques et d’adoption de mesures proportionnées ? Est-ce la justice, l’expertise, la décision publique ou encore l’opinion publique ?

Il convient, par ailleurs, de trouver enfin de véritables critères d’application pour éviter une utilisation irrationnelle du principe de précaution.

Faute de dispositions légales suffisantes, nous ne pouvons malheureusement pas, aujourd’hui, avoir d’évaluation précise des décisions publiques prises en matière de gestion des risques.

Il est grand temps de réfléchir à l’organisation d’un grand débat public autour du principe de précaution. Nous pensons qu’il s’agit d’une première étape, nécessaire avant de remettre en cause, comme vous avez l’intention de le faire, chers collègues, l’inscription même de ce principe dans notre Constitution.

Lors de l’examen de la proposition de résolution sur la mise en œuvre du principe de précaution, votée à la quasi-unanimité en février 2012, nos collègues Alain Gest et Philippe Tourtelier, députés UMP et socialiste, avaient à plusieurs reprises rappelé qu’aucun des interlocuteurs qu’ils avaient pu rencontrer n’avait proposé de faire marche arrière et d’effacer ce principe de la Constitution. Ils derniers souhaitaient même étendre ce principe à d’autres domaines : pourquoi pas la santé ? Et les pratiques folles des banquiers ayant provoqué en 2008 l’évaporation de milliards de dollars, n’auraient-elles pas dû être encadrées plus solidement ?

À première vue, l’intérêt de la proposition de loi présentée aujourd’hui nous paraît difficilement compréhensible, puisque ce texte semble aller à contre-courant de l’opinion majoritaire et, surtout, de l’étude menée par ces deux députés, il y a seulement deux ans.

Supprimer le principe de précaution pourrait constituer un terrible signal pour nos concitoyens, davantage conscients des risques environnementaux et sanitaires qui les entourent et particulièrement actifs dans le débat public. En effet, les Français se montrent de plus en plus méfiants vis-à-vis des décisions publiques qui peuvent être prises. Cette défiance s’explique par une élévation de leur niveau de formation et aussi par une meilleure information des populations sur les risques encourus en matière d’environnement et de santé. Nous nous en réjouissons.

Malheureusement, un certain nombre d’événements récents ont confirmé qu’ils avaient raison de s’alarmer. Amiante, sang contaminé, hormone de croissance, pluies acides, Fukushima, Médiator, Distilbène, Chlordécone, mercure dentaire, plomb : la liste est longue…

Au vu des récentes catastrophes que nous avons connues et de leurs terribles conséquences pour notre société, il est tout à fait normal que nos concitoyens remettent de plus en plus facilement en cause la bonne gestion de certains risques.

La population mérite donc une transparence absolue de la part des pouvoirs publics sur ces questions. Nous, les représentants de la nation, devons tenir compte de ces aspirations.

L’opinion publique met de plus en plus en doute les positions des décideurs politiques, suspectés de préférer les intérêts économiques, voire leurs propres intérêts, à la préservation de l’environnement et à la santé de leurs concitoyens.

Vouloir supprimer tout bonnement et sans détour le principe de précaution, c’est creuser encore un peu plus le fossé entre les décideurs publics et les citoyens, c’est briser encore davantage la confiance, ciment de notre démocratie.

La suppression pure et simple, sans aucune réflexion d’ampleur, du principe de précaution donnerait finalement raison à ceux qui voient dans le progrès un mal absolu.

Je reste intimement persuadé que nous ne pouvons pas parler, aujourd’hui comme hier d’ailleurs, de progrès lorsqu’il n’est pas responsable. Au XVIe siècle, François Rabelais disait déjà : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Myard. Lagarde et Michard !

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin.

M. Denis Baupin. Cela a été dit par plusieurs orateurs, cette offensive fait partie d’une longue série d’initiatives, dans différentes institutions de la République, y compris au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour tenter de remettre en question le principe de précaution.

M. Jean-Yves Le Déaut. J’ai dit le contraire !

M. Denis Baupin. Il suffit d’entendre les arguments pour comprendre qu’il y a des intérêts mercantiles qui essaient de passer avant l’intérêt général.

M. Julien Aubert. Mercantile toi-même !

M. Damien Abad. Les Khmers verts sont de sortie !

M. Denis Baupin. J’aurais tendance à dire, après le rappel chronologique sur l’adoption de la révision constitutionnelle : « Jacques Chirac, réveille-toi, ils sont devenus fous ! » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)

Ce principe a été inscrit dans la constitution française sous une majorité que vous souteniez, mais il est vrai que depuis, il y a eu : « L’environnement, ça commence à bien faire ! » C’est ce qui guide vos réflexions, visiblement.

M. Julien Aubert. Ce sont les Verts qui commencent à bien faire !

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est l’anarchie qui commence à bien faire !

M. Denis Baupin. Nous mesurons chaque jour combien les coûts humains et financiers de techniques de développement non durables pèsent sur la qualité de vie des victimes et grèvent les budgets publics qui devront réparer les conséquences de choix non judicieux, aux externalités négatives. C’est l’absence de tout principe de précaution qui a causé l’inaction sur l’hormone de croissance, sur les rejets de polychlorobiphényles dans les fleuves ou sur l’amiante.

On pourrait ajouter à cette liste le diesel, même si cette question relève davantage du principe de précaution, puisque l’Organisation mondiale de la santé a déclaré que les particules fines étaient cancérigènes. C’est donc le principe de prévention qui doit maintenant jouer.

Cette vision scientiste, vous la défendez dans différents textes. Ce matin, nous examinons la proposition tendant à remplacer le principe de précaution par un principe d’innovation responsable, mais vous auriez pu aussi nous présenter la proposition n2033 qui tend tout simplement à supprimer le principe de précaution.

On ne sait pas très bien pourquoi vous signez des textes contradictoires…

M. Éric Woerth, rapporteur. Vous êtes spécialistes, dans ce domaine !

M. Denis Baupin. …mais au fond l’idée est toujours la même : haro sur le principe de précaution !

Je vais donc vous donner quatre éléments pour lesquels, évidemment, nous ne pourrons pas voter ce texte.

En premier lieu, nous considérons que le principe de précaution n’est pas un principe d’inaction mais, au contraire, un principe d’innovation.

M. Damien Abad. Prouvez-le !

M. Denis Baupin. Le principe de précaution est un principe directeur du droit de l’environnement. C’est l’article 5 de la Charte de l’environnement qui l’établit. Je me permets d’en rappeler le texte, car il est important et tout le monde ne semble pas l’avoir en tête : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

Il s’agit donc d’un principe de responsabilisation et non d’inaction : un principe qui conduit à faire avancer la connaissance, la recherche scientifique, pour réduire les risques et éviter des dommages irréversibles à l’environnement.

Deuxième raison de le défendre : contrairement à ce qui a pu être affirmé ici ou là, le principe de précaution n’est pas un frein à l’action. Jean-Yves Le Déaut évoquait le texte approuvé par la majorité de l’OPECST, malgré le vote négatif des élus écologistes, mais il y a des choses intéressantes dans le compte rendu des auditions : « Les constitutionnalistes présents ont toutefois fait remarquer que ce principe de précaution n’avait conduit ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d’État, ni la Cour de cassation, à prendre des dispositions conduisant à l’inaction. »

Cette remarque conforte la conviction des promoteurs de l’innovation, qui estiment que le principe de précaution est d’abord un principe d’action. C’est l’Office parlementaire qui le dit, dans un texte qui vise pourtant à défendre d’autres principes.

Je pourrais aussi me référer au très instructif rapport rendu fin 2013 par le Conseil économique, social et environnemental sur le thème « Principe de précaution et dynamique d’innovation ».

Selon ce rapport, « la juste application du principe de précaution favorise un effort accru de recherche pour améliorer les connaissances sur les risques potentiels. Il ne s’agit pas d’un principe d’abstention, exigeant la preuve de l’innocuité au préalable. » Et le CESE conclut : « Le principe de précaution peut être considéré comme un élément moteur de l’innovation au service des hommes et des générations futures, lorsque les conditions de sa juste application sont réunies. »

L’OPECST devrait peut-être se souvenir que, selon sa propre plaquette de présentation, il est né de l’idée que l’évaluation des technologies apparaissait indispensable aux milieux scientifiques et politiques. Il s’agissait de mettre en place un mécanisme permettant de maîtriser le cours du progrès technique en anticipant ses conséquences : le principe de précaution s’inscrit pleinement dans cette logique.

Le troisième élément tient à l’absurdité juridique à laquelle conduirait l’adoption de cette proposition. Aujourd’hui, le principe de précaution est défini en droit international ; il est défini en droit européen ; il est défini dans la loi française, dans la loi Barnier qui provient de vos propres rangs.

Tout à coup, on inscrirait dans la constitution française un principe d’innovation responsable qui viendrait remplacer le principe de précaution ! Au moment où tout le monde en appelle à la simplification, bonjour la complexité du droit : on voit celle que vous introduiriez dans la jurisprudence, avec les contentieux opposant différents textes sans qu’on sache quel principe doit s’appliquer.

Enfin, qu’il est stupide…

M. Damien Abad. Quelle arrogance !

M. Denis Baupin. …qu’il est stupide de vouloir inscrire dans la constitution française un encadrement de l’innovation ! D’ailleurs, monsieur Abad, vous l’avez reconnu vous-même. Devant la commission des affaires économiques, vous nous avez dit qu’il n’était pas certain que la rédaction actuelle soit totalement pertinente…

S’agissant d’un texte que vous présentez aujourd’hui devant l’Assemblée nationale et que vous voulez inscrire dans la Constitution, vous-même, deuxième signataire de cette proposition et orateur de votre groupe, n’êtes pas convaincu que ce que vous proposez soit totalement pertinent ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)

Allez voir les innovateurs, allez voir les entrepreneurs ! Allez leur dire que la Constitution va encadrer l’innovation !

Nous ne sommes pas favorables au texte rétrograde, obscurantiste, idéologique que vous nous proposez. Nous voterons donc contre.

M. Jacques Myard. Sans blague !

M. Denis Baupin. Le principe de précaution est un principe progressiste, qui fait passer l’intérêt général avant les intérêts mercantiles.

M. Julien Aubert. Zéro !

M. Denis Baupin. Il est un appel à l’intelligence, il est un appel à l’éthique.

Je voulais citer en conclusion – et je suis fâché que Bertrand Pancher m’ait devancé – cette phrase de Rabelais que nous voulons faire nôtre : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. Fessenheim !

M. Julien Aubert. Même Batho est meilleure !

Mme la présidente. La parole est à M. Ary Chalus.

M. Ary Chalus. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce n’est pas une proposition de loi banale que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui : c’est une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un principe d’innovation responsable pour remplacer le principe de précaution.

Ce sujet fait écho à un débat très intéressant sur le progrès scientifique, technique et aussi humain, un débat sur l’innovation et les risques qu’elle comporte, et sur notre méfiance contemporaine vis-à-vis de la science.

Si l’exposé des motifs de la présente proposition de loi commence par une citation de Victor Hugo – « Oser, le progrès est à ce prix » – ce n’est pas un hasard car le débat que nous connaissons aujourd’hui est directement issu des discussions intenses sur la question du progrès au XIXsiècle.

Électricité, chimie, physique, biologie, photographie, transports – avec le train et le bateau à vapeur, l’acier, dont le meilleur exemple de réalisation reste la Tour Eiffel – le télégraphe, le cinématographe des frères Lumières, le radium, les vaccins, les exemples sont légions. Pour un homme du XIXsiècle, le progrès est un fait irréductible, une évidence incontestable.

Dans notre Palais Bourbon, une belle illustration de ce siècle du progrès se trouve sur le plafond de la salle des pas perdus qui jouxte notre hémicycle, peint par Horace Vernet. On peut y voir un exemple parfait de l’allégresse des hommes à l’endroit du progrès technique censé apporter avec lui le progrès humain.

En ce sens, Victor Hugo est un homme de son siècle, par lequel sa pensée est conditionnée. Il affirmait ainsi dans Les Misérables que la vie générale du genre humain s’appelle le progrès, que le pas collectif du genre humain s’appelle le progrès ou qu’en ouvrant une école, on fermerait une prison.

C’est là tout l’esprit du XIXsiècle prométhéen, fasciné par le progrès technique et imprégné de positivisme.

Mais le XXsiècle a apporté quelques bémols à cette croyance aveugle et bien naïve dans un progrès scientifique portant indissociablement avec lui le progrès humain. Les liens sont en effet plus complexes, n’oublions pas le châtiment de Prométhée…

N’oublions pas non plus que les pires atrocités ont été commises par le pays le plus avancé scientifiquement, le pays des prix Nobels, le pays de la connaissance et du progrès technique, le pays des Herr Docktor et Herr Professor.

Le XXsiècle dresse ainsi un constat sans ambiguïté : la connaissance et la science modernes ne se contentent plus d’être simplement contemplatives.

Fidèles à la tradition radicale, les députés du groupe Radical, Républicain, Démocrate et Progressiste n’en sont pas moins des défenseurs de la science et du progrès. Nous portons l’ambition politique d’améliorer la vulgarisation, la diffusion et l’attractivité de la science en termes sociaux et professionnels.

Les disciplines scientifiques sont progressivement devenues très spécialisées et sont cloisonnées, y compris vis-à-vis du grand public. La montée récente des croyances irrationnelles et la méfiance envers la science sont des écueils à combattre.

Mais, dans le même temps, nous sommes tous convaincus que le progrès scientifique doit être encadré juridiquement.

Il est devenu envahissant, il peut paraître incontrôlé, il bouleverse les structures sociales et il pourrait, au final, se retourner contre l’humanité qui lui donne naissance, comme sa créature se retourne contre le docteur Frankenstein.

Dans l’exposé sommaire de la proposition de loi, les auteurs citent Hans Jonas et son ouvrage de référence, Le Principe de responsabilité.

À juste titre, Jonas considère que nous devons intégrer dans nos raisonnements la préoccupation des générations futures et recommande d’entretenir une logique de prudence afin de protéger l’homme et l’environnement.

Ce sont ses travaux – qu’il serait vain de prétendre résumer en quelques phrases – qui ont inspiré en grande partie la création du principe de précaution et son intégration dans notre droit positif.

Dans notre droit constitutionnel français, c’est en février 2005 que le principe de précaution fut inscrit, à l’article 5 de la Charte de l’environnement mentionnée par le préambule de notre Constitution.

Les débats qui ont eu lieu il y a maintenant bientôt dix ans sont assez proches de ceux que nous connaissons d’aujourd’hui.

Le principe de précaution et son application par les autorités publiques peuvent-ils être des freins au développement de la recherche ou à l’innovation, que nous soutenons tous dans cet hémicycle ?

Pour répondre à cette question et éclairer les enjeux du débat, nous devons examiner le parcours du principe de précaution – qui n’est pas une création ex nihilo mais qui a une histoire.

Dans son acception actuelle, ce principe est né après la Seconde guerre mondiale et, plus précisément, en Allemagne, dans les années soixante-dix, sous un nom « heideggérien » que l’on pourrait traduire par «principe de souci ».

Ce principe contenait une vision de développement durable, c’est-à-dire d’une gestion durable des ressources naturelles, en particulier des forêts. Il impliquait également certaines considérations s’agissant des risques pesant sur l’environnement.

Si l’on est certain que les mécanismes qui sous-tendent ce risque permettent de constater une dégradation, il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Autrement dit, il convient d’anticiper une réponse, même en cas d’incertitude scientifique.

Ensuite, ce principe a été consacré par de nombreux textes internationaux. Il figure notamment dans la Déclaration de Rio de 1992 publiée après la deuxième conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, même s’il n’avait alors à ce stade aucune normativité.

Il a été introduit en droit communautaire par le traité de Maastricht, notamment, parmi les principes devant fonder la politique de l’Union européenne dans le domaine de l’environnement. Il devint alors un principe opposable à des politiques publiques, un principe qui doit les guider et qui s’impose à la France.

C’est la loi dite Barnier de 1995 qui l’a introduit en droit français avant sa consécration dans le bloc de constitutionnalité et son inscription dans la Charte de l’environnement.

Sa définition est claire, à l’article 5 : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

Principe d’action, principe d’inaction, blocages, contrainte juridique universelle… Le principe a-t-il été détourné de sa définition originelle ?

Personne ne défend le risque zéro et nous sommes conscients qu’une part de risque est toujours présente.

Si les dérives d’une interprétation trop extensive du principe de précaution avaient donné lieu à des prudences excessives, si cela avait nui à notre compétitivité ou à notre performance économique, nous devrions évidemment veiller à ne pas limiter inutilement l’innovation et à tendre vers une interprétation plus équilibrée de ce principe.

Mais, lors des travaux en commission, M. le rapporteur lui-même a reconnu, je cite, que « ni la définition juridique du principe de précaution, ni son application par les juges ne sont principalement en cause dans les dérives constatées. »

La présente proposition de loi constitutionnelle serait donc de l’ordre du symbole. Nous vous accordons que les symboles sont importants mais nous ne devrions peut-être pas aller jusqu’à modifier la Constitution si cela ne change strictement rien juridiquement.

De plus, compte tenu de son inscription dans l’ensemble du droit international, européen et national, il ne serait peut-être pas très prudent de se priver d’un principe de précaution inscrit tel quel dans notre bloc de constitutionnalité.

Si nous devons veiller à encadrer son application, le risque d’insécurité juridique existe bel et bien dès lors que nous nous engageons dans la voie d’un changement de nom. Or, s’opposer au principe de précaution uniquement d’un point de vue nominal, c’est se tromper de combat.

Ne nous le cachons pas : les progrès scientifiques nous exposent irrémédiablement à un certain nombre de menaces et de dérives. Nous ne pouvons plus continuer à vouloir poursuivre des objectifs de développement du progrès sans nous poser des questions sur ses conséquences sur l’environnement, sur la santé et, même, sur notre équilibre social.

Un principe juridique comme le principe de précaution, même constitutionnel, s’il n’est pas entendu comme un principe d’action, est une arme probablement faible pour canaliser le torrent du progrès.

C’est pour cette raison même que ce principe, en tant que principe d’action qui intègre l’innovation, doit être défendu comme moyen conférant à l’autorité publique un rôle actif dans l’évaluation scientifique des risques.

Dans ces conditions, vous l’aurez compris, les députés du groupe RRDP ne soutiendront pas cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Assaf.

M. Christian Assaf. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous sommes invités à débattre de la place du principe de précaution dans le droit français et au sein de notre Constitution.

Depuis l’alternance de 2012, il s’agit de la quatrième fois. Vous me permettrez de trouver une telle récurrence étrange lorsque, régulièrement, ceux qui veulent défaire ce principe nous reprochent de nous attarder sur des réformes ou des textes qui feraient prendre du retard à la France quand celle-ci se bat face à la crise.

M. Julien Aubert. Les trente-cinq heures !

M. Christian Assaf. Mardi encore, ce reproche a été formulé. Jeudi, prise d’amnésie, l’opposition revient sur un débat déjà tranché. Mais nous ne sommes pas de nature à refuser le débat. Nous savons pertinemment que, pour réformer la France, le Parlement doit jouer pleinement son rôle et discuter.

Alors, s’agissant de ce texte, je vous inviterai à avoir une question à l’esprit.

M. Julien Aubert. Ah ?

M. Christian Assaf. Quelle image la France donne-t-elle à l’Europe et au monde elle qui, l’année prochaine, accueillera la conférence Climat ?

Si je pose cette question, c’est que le principe de précaution n’est pas une création ex nihilo du droit français ou un carcan que nous serions le seul pays à nous imposer. Il résulte en effet d’un long processus accompli parallèlement à l’importance croissante que nous accordons à l’environnement.

Apparu dans le droit allemand à la fin des années soixante, cela a été dit, ce principe est un paradigme inspiré du droit international qui l’a consacré dès 1972 à la convention de Londres et l’a confirmé en 1992 à celle de Rio.

La même année, le traité de Maastricht, approuvé par le peuple français par référendum…

M. Julien Aubert. D’une courte tête !

M. Christian Assaf. …le faisait entrer dans le droit européen. Il constitue donc désormais une composante de la jurisprudence de la Cour de justice européenne.

M. Jacques Myard. Le gouvernement des juges ne passera pas !

M. Christian Assaf. La France, en ratifiant des traités internationaux et européens, a contribué à l’émergence et à la concrétisation de ce principe. C’est ainsi que, sous la présidence de Jacques Chirac, la majorité gouvernementale de l’époque l’a inscrit dans le droit français.

M. Jacques Myard. Pas moi !

M. Christian Assaf. Aujourd’hui dans l’opposition, il est pour le moins cocasse qu’elle en propose la suppression.

En 1995, c’est la loi portée par Michel Barnier qui a consacré ce principe de précaution et l’a introduit dans le code de l’environnement.

En 2004, le choix a été fait de le mentionner dans la Charte de l’environnement et de lui donner une valeur constitutionnelle – la Charte définit d’ailleurs tant le principe de précaution que ses modalités d’application.

Elle précise même, dans son article 6, la nécessaire conciliation à opérer entre la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social de même que, dans son article 9, elle encourage la recherche et l’innovation.

C’est l’équilibre et les acquis de cette Charte qu’il nous est proposé de remettre en question aujourd’hui.

Ainsi, nous renierions les engagements de la France au niveau international et créerions un flou juridique puisque, pour un même principe, il y aurait des mots différents à l’échelon national, européen et international.

Une telle décision est-elle judicieuse alors que la proposition de loi, qui est de portée constitutionnelle, ne propose qu’un changement sémantique ?

Modifier notre Constitution n’est en rien un acte anodin. L’UMP, d’ailleurs, depuis le début de cette législature, s’y est toujours opposée pour des droits tout aussi fondamentaux, voire plus, préférant défendre des considérations politiques plutôt que la possibilité de faire évoluer ensemble notre patrimoine constitutionnel.

Une modification sémantique suffirait-elle à relancer la recherche, l’innovation, l’investissement et la croissance ?

M. Damien Abad. Ce n’est pas une modification sémantique !

M. Christian Assaf. C’est sur cette argumentation que repose la proposition de loi défendue par l’opposition.

Après la « main invisible » d’Adam Smith supposée réguler à elle seule le marché, la droite française invente le « mot de plomb » qui paralyserait l’économie française. Il suffirait alors de le remplacer pour libérer les énergies créatrices… Substituer des mots à d’autres changerait-il le droit et son application ?

Cela serait contraire au « choc de simplification » que nous voulons et à la nécessaire stabilité des normes qui donne sa force à notre droit.

M. Damien Abad. Vous avez fait tout le contraire.

M. Christian Assaf. Cela ne changerait non plus en rien les perceptions de l’opinion publique, tout comme il est difficilement envisageable que cette substitution de mots fasse évoluer la jurisprudence.

En effet, les juges judiciaires, administratifs et constitutionnels demeureront des interprètes de la Charte de l’environnement, de la conciliation entre les définitions qu’elle comporte et les principes de portée constitutionnelle.

Et si l’idée que le principe de précaution s’opposerait au développement économique de la France est présente en filigrane dans le rapport, rien n’en démontre la véracité.

Il est alors évident que ce principe n’obère en rien l’innovation et le développement économique. Au contraire, il en est une composante, d’autant plus qu’il s’adresse aux personnes publiques et qu’il s’applique en absence de certitude sans inviter à l’inaction et sans imposer une interdiction.

Si, comme le texte semble le supposer, le principe de précaution est néfaste à notre pays, pourquoi ne pas l’avoir modifié entre 2007 et 2012 ?

Nous pensons donc qu’il n’est ni judicieux, ni justifié d’opter pour ce glissement sémantique mais que nous devons prendre la Charte de l’environnement dans sa rédaction actuelle pour en réexpliquer le sens et faire œuvre de pédagogie afin que la vocation première du principe de précaution soit réaffirmée.

Le Groupe Socialiste, Citoyen et Républicain ne votera donc pas cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Patrick Mennucci. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau.

M. Julien Aubert. La voix de la raison !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, il existe un principe de base selon lequel il est nécessaire de protéger l’environnement. Cela doit néanmoins se faire par l’homme, pour l’homme, et l’homme a besoin de travailler pour vivre.

La France ne refera pas, seule, notre planète à neuf.

Un très bel environnement sans travail, et nous y perdrons tous la santé car il est malheureusement tellement vrai que lorsque l’on perd son travail, on perd généralement aussi la santé.

Tout le monde est donc bien conscient de la nécessité de protéger l’environnement, et tous ceux qui se trouvent à la tête d’une collectivité locale savent qu’aucun projet, aujourd’hui, ne peut voir le jour s’il n’est pas jugé « écologiquement correct » par une préfecture, une Direction générale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, une DIRECCTE, ou par une direction départementale du territoire, une DDT.

Oui, nous avons mis le principe de précaution, avec la Charte de l’environnement, dans le préambule de la Constitution en 2004. Mais l’esprit de cette démarche était clair : il s’agissait d’expérimenter avec précaution ! Cet esprit, depuis lors, a été dévoyé. Son principe a été inversé et, à l’usage, il a fini par signifier que s’il y a risque, précaution vaut interdiction d’expérimenter, interdiction d’entreprendre. Et c’est parce que nous avons tous pu prendre la mesure, ou plutôt mesurer l’ampleur, des dégâts – en termes de non-création de travail et de non-création d’emplois – causés par les blocages multiples, les abandons de projets et de chantiers en tout genre, c’est parce que nous y avons réfléchi que nous préférons aujourd’hui parler du droit à l’innovation responsable.

Il s’agissait de prendre toutes les précautions nécessaires pour agir, non d’interdire l’action. Aujourd’hui, la précaution a tué le travail : c’est aussi ce qui explique, en partie, que nous ayons plus de 5 millions de précaires et de sans-travail. (« C’est vrai ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Geneviève Gaillard. Mais non !

M. Jean-Charles Taugourdeau. En partie, ai-je dit, parce que le coût du travail est très élevé et y contribue aussi. Et si d’autres pays s’en sortent avec un coût du travail presque équivalent au nôtre, c’est parce qu’ils n’ont pas le même code du travail que nous.

Mme Danielle Auroi. À Berlin, 20 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Tout le monde sait et reconnaît, y compris à gauche, que ce code est un peu lourd, mais personne n’ose y toucher.

Mme Geneviève Gaillard. Assez !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Du reste, il n’y aura bientôt plus grand-chose à craindre du code du travail, car, avec le code de l’environnement et nos normes environnementales franco-françaises excessives, des permis de construire d’usines en zone industrielle sont annulés, parce qu’on est obligé d’aller négocier des hectares de biodiversité dans des zones pourtant classées zones industrielles ! (Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.) Aujourd’hui, avec nos règles environnementales, les quais de la Seine n’existeraient pas, la levée de la Loire non plus, ni les châteaux au bord de ce fleuve…

M. Bruno Le Maire. Exactement !

M. Jean-Charles Taugourdeau. …et l’on ne pourrait construire le château de Versailles, parce qu’il est en pleine forêt. Et ne parlons pas de la Tour Eiffel ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Je vois que ce que je vous dis vous dérange !

Avec nos règles environnementales, qui peut me dire où l’on pourrait aujourd’hui reconstruire l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois ?

M. Julien Aubert. Très bien !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pourrait-on exploiter les mines ? Et je ne vous parle pas du gaz de schiste !

M. Christophe Borgel. Vous avez raison : n’en parlez pas !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pourrait-on construire les barrages hydroélectriques ? Les centrales nucléaires ? Et avant cela, aurait-on eu le droit d’inventer la radiothérapie, la chimiothérapie ?

M. Nicolas Dhuicq. Et l’aspirine !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Aurait-on osé la greffe du cœur ? Aurait-on osé la chimie pharmaceutique ? Aurait-on inventé la téléphonie mobile, par crainte des ondes, internet, la radio le chemin de fer – que n’a-t-on dit du chemin de fer ! – les tunnels, le métro ? Et rappelez-vous ce que l’on disait de l’automobile, à ses débuts !

M. Jacques Myard. Il a raison !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je me souviens, monsieur le secrétaire d’État, d’un dîner à l’Hôtel de Lassay, auquel un certain nombre de députés avaient été invités par le président Accoyer pour rencontrer des scientifiques, parmi lesquels le prix Nobel de médecine. Je me trouvais à côté de Mme Fioraso, alors députée de l’opposition. Elle prit la parole pour s’opposer au principe de précaution, faisant valoir que son inscription dans la Constitution conduisait l’État à renoncer à sa recherche scientifique et à s’engager dans la voie de la décadence et de la décroissance économique. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Fioraso est aujourd’hui secrétaire d’État chargée, notamment, de la recherche…

M. Jacques Myard. Où est-elle, d’ailleurs ?

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est dommage, en effet, qu’elle ne soit pas là ! Mais c’est bien grâce à Nicolas Sarkozy et au Grenelle de l’environnement que la nécessité de protéger l’environnement est dans toutes les têtes, et c’est bien ainsi. Cela aurait dû apaiser tout le monde et faire que chacun se rapproche des conditions optimales de protection de l’environnement – j’ai bien dit « optimales ». Le problème c’est que les dogmatiques de l’écologie – comme M. Baupin – sont restés dogmatiques.

M. Jacques Myard. Baupin, c’est Jurassic Park !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Certains sont même démasqués, puisqu’ils sont clairement pour la décroissance, sous couvert de démocratie horizontale, où la recherche de consensus est la règle. Mais pour eux, le consensus consiste à être d’accord avec la minorité, qui n’est d’accord avec personne !

Personne ne se rend compte, en France, qu’il sera toujours lourd, trop lourd, voire impossible économiquement, de construire une usine, tant que l’administration pensera qu’elle n’est pas là pour aider, mais pour contrôler ! Remarquez qu’en continuant comme cela, il n’y aura plus rien à contrôler ! L’excès de normes produit du chômage en détruisant le travail. L’excès de dogmes suscite l’intégrisme social, en opposant les salariés aux patrons, et l’intégrisme vert, en empêchant les salariés et les patrons de travailler.

Mme Danielle Auroi. Votre discours fera plaisir à M. Barnier !

M. Jean-Charles Taugourdeau. En fait, le principe de précaution vous permet d’avancer masqués : vous n’aimez pas l’entreprise, les entrepreneurs, et le travail… (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christophe Borgel. C’est reparti !

M. Jean-Charles Taugourdeau. …qui créent pourtant la richesse nécessaire à nos solidarités sociales nationales.

Si toutefois vous votez contre cette proposition de loi constitutionnelle et si vous maintenez le principe de précaution, alors, mes chers collègues socialistes, appliquez le principe de précaution jusqu’au bout. Et empressez-vous de voter une proposition de résolution pour demander au Président de la République d’arrêter de faire mal à la France. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à Mme Suzanne Tallard.

Mme Suzanne Tallard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais souligner l’étrangeté de la démarche de nos collègues de l’UMP.

En 2004, c’est sous le gouvernement Raffarin que l’UMP a inscrit, dans l’article 5 de la Charte de l’environnement, le principe de précaution, qui existe dans le droit international depuis plusieurs décennies, cela a été rappelé. La Convention de Rio de 1992 propose la généralisation de son application ; le traité de Maastricht mentionne explicitement ce principe et le fait figurer aux côtés des principes de prévention, de pollueur-payeur et de participation ; la loi Barnier de 1995, enfin, l’introduit dans le droit français.

Il faut reconnaître à nos collègues de l’UMP une constance dans leur volonté de faire disparaître le principe de précaution de la Charte, puisque cela doit être leur quatrième tentative en deux ans !

Le principe de précaution est-il l’ennemi de l’innovation ? Les cosignataires de cette proposition de loi constitutionnelle semblent le croire, puisque, selon l’exposé des motifs, ce principe aurait pour conséquence l’inaction, l’interdiction et l’immobilisme ; plus grave, le principe de précaution conduirait au « principe d’inaction, d’interdiction et d’immobilisme ». Voilà donc que les conséquences redoutées du principe de précaution sont elles-mêmes érigées en principe ! C’est là un glissement sémantique qui condamne le principe de précaution : tel était le but recherché.

Afin d’éviter toute confusion et tout excès, il est nécessaire de rappeler les éléments constitutifs du principe de précaution, tels qu’ils figurent explicitement dans la Charte de l’environnement. Leur lecture in extenso ayant déjà été faite, je me contenterai ici d’un résumé. La possibilité de la réalisation d’un dommage, en l’état des connaissances scientifiques, ayant des conséquences graves et irréversibles sur l’environnement, appelle une évaluation des risques et l’adoption de mesures provisoires et proportionnées pour parer à la réalisation du dommage. Rappelons que le principe de précaution s’impose aux pouvoirs publics, et non aux acteurs économiques : cela a été dit.

Je vois par ailleurs, dans l’introduction de l’expression « innovation responsable » un problème de cohérence dans la hiérarchie des normes. En effet, vous introduiriez dans la Constitution, mesdames et messieurs les députés de l’UMP, des termes différents de ceux qui figurent dans les textes internationaux, européens, ainsi que dans notre propre loi. Cette incohérence produirait de longs débats inutiles sur la définition et la portée des termes employés, revenant sur une patiente construction légale et jurisprudentielle. Mais ne serait-ce pas là votre objectif ?

Plus surprenant, on peut déceler une contradiction manifeste entre votre objectif, qui est de lutter contre l’immobilisme, et le risque réel de pétrifier la recherche, en faisant peser une responsabilité civile nouvelle sur l’innovation. Contrairement à ce que vous laissez entendre, le principe de précaution s’appuie sur la recherche scientifique et tend à la favoriser, la décision publique devant se fonder sur l’état des connaissances et leur évolution. Ainsi, ce principe impose l’évaluation des conséquences des innovations dans le temps. Mieux encore, il suppose l’anticipation et non l’immobilisme. Au final, l’application du principe de précaution renforce avant tout la qualité de la décision publique. Il nous impose l’évaluation des bénéfices attendus pour la société, et des risques encourus, pour assurer une prise de décision transparente et en connaissance de cause.

D’ailleurs, le Conseil économique social et environnemental, dans son avis rendu en 2013, souligne que : « Le principe de précaution peut être considéré comme un élément moteur d’une innovation au service de l’homme et des générations futures. »

Je vous invite donc, mes chers collègues, à ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 28 février 2005, le Parlement, réuni en Congrès, adoptait la Charte de l’environnement et inscrivait dans la Constitution le principe de précaution. Un texte que j’ai eu l’honneur de défendre devant cette assemblée lorsque j’étais rapporteure du projet de loi constitutionnelle. Un texte que j’ai défendu parce que je le croyais utile et juste, et je n’ai pas changé d’avis.

M. Arnaud Leroy et M. Bertrand Pancher. Très bien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Alors que la présente proposition de loi constitutionnelle vise à substituer la notion d’innovation responsable à celle de principe de précaution, vous ne serez pas donc étonnés que je ne la soutienne pas.

M. Julien Aubert. Bravo ! Vive le courage !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Le principe de précaution n’est pas la négation de celui d’innovation responsable. Ils sont liés, forcément liés, intimement liés, car le doute, qu’il soit méthodique ou hyperbolique, mais aussi l’éthique, font partie intégrante de la démarche scientifique.

Nos sociétés, mes chers collègues, ont une relation complexe avec la science, c’est une évidence. Cette relation est faite de fascination, mais aussi parfois de défiance et de mise à distance. On en trouve un premier écho à l’Assemblée nationale, et jusqu’au sein de cet hémicycle, puisque les scientifiques y sont très peu nombreux.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il y en a !

M. Bruno Le Maire. Mais il y a des littéraires !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. On mesure régulièrement ce problème à travers le choix des jeunes à l’issue de leur scolarité. Et l’on constate tous les jours le statut dégradé des scientifiques, chercheurs, techniciens, dans l’échelle des salaires et l’échelle des représentations. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bruno Le Maire. Et cela est vrai aussi de tous les enseignants !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Le divorce entre la société et la science devrait tous nous mobiliser, tant il représente une menace pour notre prospérité, et pour notre vision collective de l’avenir. Mes chers collègues c’est une raison forte, c’est une raison supplémentaire, pour que nous ne nous perdions pas dans de vaines luttes. Car s’opposer au principe de précaution au profit de la notion d’innovation responsable, et vouloir ainsi les opposer, c’est se tromper de combat.

M. Denis Baupin. Très bien !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. C’est une erreur que de penser que le principe de précaution est responsable de la défiance à l’encontre de la science et qu’il serait un frein à la recherche et à l’innovation. C’est confondre l’œuf et la poule.

Oui, les mots « principe de précaution » sont souvent utilisés n’importe comment – certains de nos collègues l’ont dit. Ils sont parfois utilisés pour justifier des attitudes de défiance à l’égard de la science, c’est vrai.

Oui, le principe de précaution est souvent invoqué à contretemps. Mais vouloir le supprimer, c’est justement tomber dans le piège de ceux qui utilisent cette expression à tous propos, et très souvent hors de propos. J’avais déjà eu de tels débats, lorsque j’étais rapporteure de la discussion sur la Charte de l’environnement, avec une frange qui traverse d’ailleurs tout l’échiquier politique. Certains voudraient faire du principe de précaution un totem, et d’autres, tels certains signataires du présent texte, un tabou. Cela revient à se placer sur le même terrain, et c’est un mauvais terrain. C’est une mauvaise bataille. Ni totem, ni tabou, le principe de précaution a sa place dans la Charte de l’environnement et doit la garder.

Le principe d’innovation y a aussi sa place, mais il y est déjà bien présent. La modification sémantique qui consisterait à reformuler le principe de précaution en innovation, dans le seul but de faire apparaître ce mot, est inutile, puisque l’article 9 dispose déjà que : « La recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement. »

Par ailleurs, l’innovation est présente au cœur même de la précaution. L’article 5, s’il ne mentionne pas lui-même le mot d’innovation, le suppose. Le principe de précaution est un chemin, non pas pour casser l’industrie ou interdire la recherche, mais au contraire pour inventer une nouvelle économie, pour trouver des avantages concurrentiels dans de nouveaux secteurs, ceux de l’environnement, ceux des énergies renouvelables, et tous ceux qui permettent d’inventer une nouvelle croissance et une nouvelle compétitivité. Mes chers collèges vous l’aurez compris, je trouve que cette bataille de mots est vaine. Le principe de précaution est un principe de responsabilité vis-à-vis des générations futures. Il ne bloque pas le progrès, bien au contraire.

Il a permis à la France de reprendre l’initiative et de constituer de nouvelles références dans le monde, face aux événements d’une dimension inattendue qui menacent aujourd’hui la nature. Nos sociétés ne peuvent, ni ne doivent, se résoudre à renoncer au progrès, et le principe de précaution a déjà donné l’occasion de renouer avec la vocation universelle de la France, qui est d’aller au-devant des défis du siècle. Pour que la France reste un pays d’innovation, de progrès technique, de technologies de pointe, il faut qu’elle soit un pays dans lequel la science est crédible, parce qu’elle sait anticiper.

Enfin, pour mener ce mauvais combat, monsieur le rapporteur, vous choisissez un chemin étrange : garder le texte, tout en en changeant les notions. Ou bien l’application de l’article 5 de la Charte pose un problème et il faut tout supprimer, ou bien, comme je le crois, ce n’est pas le cas. Dès lors, pourquoi en changer les termes, à supposer d’ailleurs que cela change quoi que ce soit ?

Je voterai donc contre cette proposition de loi constitutionnelle, et j’appelle nos collègues à faire de même. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

M. Bertrand Pancher. Très bien ! Voilà un discours cohérent !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Prat.

M. Patrice Prat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, parler aujourd’hui d’innovation dans cet hémicycle a une saveur particulière, une dimension symbolique même, quelque temps après que fut confirmé, par une récente étude, le troisième rang mondial de notre pays en matière d’innovation. Pour une fois, faisons mentir le grand Flaubert qui notait ironiquement : « Innovation ? Toujours dangereuse ».

Non, l’innovation n’est pas un gros mot.

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Patrice Prat. Ce n’est pas un mot qui doit faire peur, et encore moins cristalliser nos divergences.

M. Julien Aubert. Parfait !

M. Patrice Prat. Elle est, pour nous, au service de la croissance. Elle est une condition de la création de richesses. Elle est un catalyseur de compétences formidable. Elle est enfin le vecteur de notre croyance dans le progrès.

Innover, c’est s’inscrire dans une dynamique individuelle et collective. C’est élargir notre champ des possibles. C’est prendre un risque et faire un pari sur l’avenir, un pari raisonné et raisonnable car le risque zéro n’existe pas, mais peut être maîtrisé.

Mais il ne faut pas se tromper de combat, mes chers collègues. Le problème français, actuellement, n’est pas un problème d’innovation ; c’est un problème de valorisation économique de la recherche, cette fameuse « vallée de la Mort », pour reprendre les termes des chercheurs.

Alors on nous propose aujourd’hui, de manière un peu abrupte, de remplacer purement et simplement notre principe de précaution par un principe d’innovation responsable. J’entends les reproches adressés au principe de précaution : les excès de la réglementation, la simplicité du concept, les freins qu’il mettrait à l’investissement. Ces reproches peuvent être en partie justifiés.

Mais on remarquera d’abord qu’il est pour le moins étonnant et paradoxal de voir la droite défaire aujourd’hui ce qu’elle a construit hier, lorsqu’elle avait sacralisé le principe de précaution dans la Charte de l’environnement pour en faire un principe à valeur constitutionnelle.

M. Julien Aubert. C’est cela le courage ! On vous donne l’exemple pour les 35 heures !

Mme Arlette Grosskost. On peut toujours se tromper !

M. Patrice Prat. On agite ainsi aujourd’hui l’épouvantail du principe de précaution à des fins politiciennes. Ce débat, utile, mérite mieux que ce mauvais coup porté au principe de précaution !

On reprochera ensuite deux défauts majeurs à cette proposition de loi.

Le premier est que, simpliste dans sa forme et ses objectifs, cette proposition dénature totalement ce qui fait la force du principe de précaution.

Celui-ci a, il est vrai, été dévoyé au fil du temps dans le langage commun par des intégristes de la pensée, souvent antagonistes. Rappelons qu’il est d’abord un principe d’action et de gestion des risques ; un principe de responsabilisation des porteurs de projets dans une multitude de domaines : chimie, ingénierie, agriculture, santé.

On remarquera également que la jurisprudence pénale et administrative a progressivement circonscrit l’application directe du principe de précaution afin de ne pas inhiber l’action des pouvoirs publics. Le principe de précaution n’est donc pas un principe de prévention !

Le second défaut de cette proposition est qu’elle oppose frontalement principe de précaution et principe d’innovation là où il faudrait, au contraire, les rapprocher et chercher de la complémentarité entre eux. On veut supprimer et effacer du champ lexical un principe qui ressort aujourd’hui de notre patrimoine politique et qui est accepté comme tel.

À notre sens, ces deux principes peuvent et doivent s’équilibrer et coexister dans notre Constitution. À leur manière et sans empiéter l’un sur l’autre, ils s’inscrivent dans une démarche de recherche, de développement et de mise en œuvre industrielle qui marche sur deux jambes : innovation et précaution font cause commune. À l’extrême, notre intelligence collective commanderait d’inscrire ces deux principes dans notre Constitution, et peut-être que les travaux du futur groupe de réflexion déboucheront sur cette solution.

Arrêtons d’opposer les pro-sciences d’un côté et les obscurantistes de l’autre, les modernes et les archaïques. Ni société aseptisée, ni précautionnisme, ni productivisme acharné : nous devons permettre à tous de réunir les conditions d’une croissance responsable. Ne soyons pas piégés et pris en otage par les idéologies. Par définition, le principe de précaution est aussi un principe d’innovation car il a pour corollaire le renforcement de la recherche scientifique. Faisons ainsi fonctionner ce cercle vertueux.

Mes chers collègues, cette proposition de loi – que je ne voterai pas – a au moins une vertu : elle nous invite à rouvrir un débat, à préciser la définition du principe de précaution et à réfléchir collectivement à la société que nous voulons construire car, à travers le progrès technologique, se dessine en creux le progrès humain et social.

En conclusion, Paul Valéry l’a dit avant nous et nous le dirons après lui : « À l’idole du Progrès répondit l’idole de la malédiction du Progrès ». Soyons dignes de cette mise en garde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Geneviève Gaillard.

Mme Geneviève Gaillard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la cinquième fois en deux ans, certains parlementaires ont déposé une proposition de loi tendant à supprimer la référence au principe de précaution de notre Constitution. Je rappelle que nous avons voté la charte constitutionnelle de l’environnement à l’initiative d’une majorité de droite.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et alors ?

Mme Geneviève Gaillard. J’avais alors, et j’en suis fière, voté ce texte, désireuse que j’étais de faire avancer les choses plutôt que de cliver. Ayant aussi participé à la commission Coppens, j’étais en effet tout à fait convaincue de la nécessité de reconnaître, au niveau constitutionnel, et au travers de plusieurs grands principes fondamentaux, un droit de l’homme à l’environnement, de même que j’étais éclairée sur les fondements, les enjeux et les réels effets d’une telle reconnaissance.

Aujourd’hui, sous la pression de lobbies, la droite présente une proposition de loi constitutionnelle qui a pour but de vider de sa substance le seul principe à valeur directement constitutionnelle de la charte de l’environnement, le principe de précaution.

Gardez-le à l’esprit tout au long de notre débat : l’objectif poursuivi par les auteurs est d’ôter de la force à ce qui est désormais ni plus ni moins que l’un des droits de l’homme garantis par notre Constitution ! Je suis effrayée en le disant. Et le plus impensable, mes chers collègues, c’est que ce qui motiverait cette proposition, c’est le progrès ! Comment un progrès, qu’il soit scientifique, technique, économique ou social pourrait-il impliquer et justifier une atteinte aux droits de l’homme ?

Dans son exposé des motifs, cette proposition se gargarise de considérants voulant convaincre, sinon de la nécessité, du moins de l’intérêt de reformuler le principe de précaution, profitant de l’occasion pour l’amoindrir, le caricaturer, le vider de son sens et de son effectivité.

On nous vante la formulation suivante : « principe d’innovation responsable ». À première vue, c’est justement l’objet du principe de précaution. On pourrait aussi décliner de nombreuses autres définitions comme, par exemple, la mise en application clairvoyante et prudente des progrès scientifiques et techniques. Mais quel serait l’intérêt de reformuler à l’infini ce qui a déjà été acté ? Il faut cesser de vouloir sans cesse réinventer l’eau chaude, de vouloir changer de vocable au risque de ne plus pouvoir échanger avec le reste de la communauté internationale en refusant la normalisation des concepts.

Le principe de précaution jouit d’un contenu validé au niveau international lors de la déclaration de Rio puis du Traité de Maastricht, qui fonde dans son article 130 R toute la politique de la Communauté en matière d’environnement sur les principes de précaution et d’action préventive. Il a aussi une définition précise, issue de la loi Barnier de 1995.

Même la jurisprudence a reconnu et étendu le champ d’application du principe de précaution au domaine de la santé publique. Ainsi, ce principe a été légitimement invoqué devant nos juridictions pour suspendre l’autorisation de mise en culture de maïs transgénique.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Il a été dévoyé !

Mme Geneviève Gaillard. Que pèserait, en face, le principe d’innovation responsable, à peine sorti du moule de la contestation ? La responsabilité, en droit, a aussi un contenu précis. Celui qui est responsable juridiquement est celui qui agit en connaissance de cause, avec toutes ses facultés, après avoir évalué, pesé en conscience le pour et le contre. Or précisément, dans l’hypothèse de l’application du principe de précaution on ne sait pas l’ampleur, ni les contours exacts du contre, du négatif, des risques potentiellement encourus.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Eh bien voilà, elle vient de le dire !

M. Nicolas Dhuicq. Supprimez Heisenberg !

Mme Geneviève Gaillard. On ne voit pas en quoi la proposition de substituer au principe de précaution celui d’innovation responsable pourrait permettre de mieux affronter la notion d’incertitude scientifique. Ce principe flou n’apporte aucune solution pratique.

Il se pourrait alors que l’inspiration qui le sous-tende soit toute autre que celle visant à améliorer l’application d’une éthique décisionnelle, mais qu’elle vise, en fait, à libéraliser le process industriel et technique de toute considération philosophique, morale et éthique.

En fait les détracteurs du principe de précaution n’ont eu de cesse, pour le discréditer, de l’invoquer à tort, la plupart du temps en lieu et place du principe de prévention qui, lui, sert à gérer un risque avéré bien délimité et connu.

Ayant renoncé à abroger un principe constitutionnel, les opposants à ce principe se sont aujourd’hui mis en tête de le redéfinir avec moins de force, moins de portée, moins d’exigence et d’ambition, le tout au profit de ce qui est avancé comme la croissance et la compétitivité de nos entreprises. Comprenez plutôt : le profit à court terme et la courte vue !

Sous couvert d’une volonté affichée de responsabilisation, cette proposition relève au mieux d’un quiproquo, au pire de la mauvaise foi caractérisée, car le principe de précaution n’a jamais signifié le blocage ou l’interdiction de la recherche. Au contraire, il pousse à développer la recherche pour faire diminuer l’incertitude scientifique. Simplement, il impose le temps de la vérification et de l’évaluation. Il impose une éthique de la décision politique, une procédure qui certes prend du temps, celui de la réflexion. Cela s’oppose au profit rapide et à court terme, voilà pourquoi le principe de précaution ne plaira jamais à certains.

Hans Jonas, qui est convoqué dans l’exposé des motifs, se retournerait dans sa tombe s’il savait comment il est utilisé aujourd’hui pour pourfendre le principe de précaution, pourtant la meilleure traduction moderne de son « principe de responsabilité ». Je le rappelle d’ailleurs aux auteurs du texte que nous examinons : c’est justement en Allemagne qu’est apparue pour la première fois, à la fin des années soixante, la notion de principe de précaution.

On ne peut être responsable que de ce que l’on connaît. Or le principe de précaution est le seul outil pour anticiper l’inconnu à moindre impact. L’entreprise recherchée par cette proposition, si elle était couronnée de succès, nous amènerait sur les pentes du laxisme et de l’inconséquence. Bien gouverner ce n’est pas juste voir de manière responsable, c’est aussi pré-voir.

Ce principe d’innovation qu’on essaye de nous vendre aujourd’hui est tout à fait irresponsable de mon point de vue, et je l’ai considéré avec la plus grande précaution. J’appelle donc à ne pas le valider ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy.

M. Arnaud Leroy. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame et messieurs les rapporteurs, chers collègues, il faut savoir faire preuve d’humilité, et je n’irai pas au terme du temps de parole qui m’est attribué car je pense que tout a été dit, …

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Arnaud Leroy. ...et très bien, par notre collègue Nathalie Kosciusko-Morizet.

M. Julien Aubert. Ah non !

M. Arnaud Leroy. Monsieur Woerth, comme mes collègues du parti socialiste, je voterai contre votre proposition, mais je lui trouve un mérite malgré tout.

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Arnaud Leroy. Tous, et surtout ceux qui travaillent sur la question du développement durable, nous nous interrogeons sur ces questions de transition écologique de notre modèle, particulièrement à la veille de partir pour la conférence de Lima sur le climat, et alors que nous nous préparons à accueillir la COP 21 à Paris.

Un député du groupe UMP. Cent quatre-vingt millions !

M. Arnaud Leroy. Vous soulevez un débat intéressant, celui de notre rapport au progrès. Ce qui est dommage, c’est que vous avez tendance à le limiter au progrès technique, voire industriel, alors que l’on peut lui trouver beaucoup d’autres dimensions.

Vous qui vous faites les défenseurs du monde de l’entreprise, j’appelle votre attention sur le fait qu’avec cette nouvelle notion, vous plongez l’intégralité de notre appareil productif dans une zone d’incertitude et de turbulence. Ce que veulent aujourd’hui les entreprises, ce n’est pas défiler, mais de la visibilité et de la stabilité.

Remettre en cause le socle juridique constitutionnel, mais aussi européen et international du principe de précaution est dangereux pour l’objectif que vous recherchez. Il faut savoir s’interroger sur la modernité, la technicité, le côté irréversible de certains choix technologiques. On a cité Hans Jonas, nous pourrions également citer Ulrich Beck. Ces philosophies nous intéressent. Plus proche de nous, Michel Serres et son éthique de la nature nous amène à nous demander quelle terre nous allons léguer. Ces questions méritent d’être discutées dans cet hémicycle, et pour cela, je vous remercie de votre proposition de loi constitutionnelle, même si ce faisant je vais à l’encontre du flot de mes collègues.

Vous le savez, notre planète est une espèce menacée, et nous le sommes également. Il faut donc que l’on puisse prendre toutes les mesures nécessaires. Comme Bertrand Pancher, je suis pour l’élargissement du principe de précaution. J’espère que les travaux qui seront peut-être menés sous l’égide de l’OPECST et de la commission des affaires économiques s’intéresseront à ce sujet.

Je ne vous rejoins pas du tout sur le fait que le principe de précaution constituerait un frein à la recherche et à l’innovation. Au contraire, les débats que nous avons eus sur la transition énergétique ont montré qu’il était le moteur d’une recherche approfondie.

Nous devons aussi être capables de nous interroger au sujet d’un contrat social dont on ne parle jamais, celui que l’on passe avec nos descendants et les générations futures. Je me fais ici le porte-parole des plus jeunes d’entre nous, au regard de mon jeune âge…

Mme Claudine Schmid. Cela dépend par rapport à qui ! (Sourires.)

M. Arnaud Leroy. Mes chers collègues, j’ai tout de même le droit de me faire quelques compliments !

M. Nicolas Dhuicq. Il en faut de temps en temps !

M. Arnaud Leroy. Nous devons veiller à l’état de la planète que nous léguerons aux générations futures.

M. Julien Aubert. À l’état de la France, aussi !

M. Arnaud Leroy. La France, c’est un territoire, une terre, des eaux, des rivières, des forêts…

M. Julien Aubert. C’est aussi un président de la République !

M. Arnaud Leroy. Monsieur Aubert, ne tombez pas dans la petitesse et la bassesse politicienne ! Le débat d’aujourd’hui mérite autre chose : abordons-le avec sérieux. Ce week-end, vous avez avancé dans vos affaires internes. Les Français attendent de nous autre chose que des querelles au sujet de François Hollande.

Mme Arlette Grosskost. Ils attendent la croissance !

M. Arnaud Leroy. La vraie question est : quelle planète léguerons-nous aux générations futures au-delà de 2017 et de 2022 ? C’est ce qui m’importe, et c’est pour cela que je voterai contre la proposition de loi constitutionnelle de M. Woerth. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’était courageux !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Woerth, rapporteur. Comme M. Leroy vient de le dire, ce sujet vaut la peine d’être débattu ! Il peut y avoir de mauvaises solutions, mais il n’y a pas de mauvais débat. Le débat que nous avons voulu engager, avec Damien Abad et mes collègues du groupe UMP, vaut la peine d’être mené.

M. Jacques Myard. En effet, il n’est pas inutile !

M. Éric Woerth, rapporteur. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas changé d’avis qu’on ne se trompe pas. On peut se tromper pendant longtemps ! À mon sens, l’inscription du principe de précaution dans la Constitution était une erreur, et ce n’est pas parce que ce sont des hommes et des femmes de ma famille politique qui l’on faite que je ne peux pas l’admettre, quelques années plus tard, notamment lorsque je constate l’évolution actuelle de la France.

La transformation du principe de précaution en un principe d’innovation responsable est un progrès dont on peut mesurer le caractère à la fois éthique et compatible avec la défense de l’environnement. Ce n’est pas parce qu’on déconstitutionnalise le principe de précaution qu’il disparaîtra, par un coup de baguette magique, de notre corpus juridique. Il y demeurera évidemment, puisqu’il existe en même temps dans le droit européen et dans le droit français : son caractère juridique persiste donc.

Même si ce débat constitue une nouvelle étape, il y a beaucoup de naïveté dans les propos que j’ai entendus. Bien sûr, le principe de précaution est un frein à l’innovation.

M. Denis Baupin. Ah bon ? Démontrez-le !

M. Éric Woerth, rapporteur. Bien sûr, le principe de précaution entrave la recherche et l’expérimentation.

M. Denis Baupin. Démontrez-le !

M. Jacques Myard. C’est démontré !

M. Éric Woerth, rapporteur. Bien sûr, le principe de précaution commence à inspirer la jurisprudence. Or c’est ici que nous faisons la loi !

M. Damien Abad. C’est vrai !

M. Éric Woerth, rapporteur. Ce n’est pas aux juges, dans les tribunaux, de décider du contenu de la loi !

M. Jacques Myard. Absolument !

M. Éric Woerth, rapporteur. C’est aux parlementaires de le faire, de la manière la plus précise possible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Le Parlement agit souvent comme s’il était incapable, incompétent, impuissant.

M. Jacques Myard. Non au gouvernement des juges !

M. Éric Woerth, rapporteur. Bien sûr, le principe de précaution a pris aujourd’hui une dimension culturelle. Il ne s’agit pas uniquement d’un débat de conseillers d’État, mais bien d’un débat de société. Il est évident que ce principe comporte une dimension culturelle. On le voit bien ! Aujourd’hui, les premiers à considérer qu’il ne faut pas installer des antennes de téléphonie mobile à proximité des écoles sont souvent les mêmes parents d’élèves qui utilisent leur téléphone portable sans vergogne à l’entrée de ces écoles.

M. Denis Baupin. Eh oui ! Il faut les protéger !

M. Éric Woerth, rapporteur. Ce principe comporte bien une dimension culturelle totalement paradoxale.

La précaution est nécessaire, mais la France a surtout besoin d’innovation. Elle a besoin de créer.

Mme Claudine Schmid. Très bien !

M. Éric Woerth, rapporteur. Sans innovation, il n’y aura plus d’emplois en France.

Chers collègues de la majorité, vous dites que la possibilité d’innover et le principe de précaution doivent s’inscrire dans la hiérarchie des normes. Dans cette hiérarchie, l’innovation doit primer,…

M. Christian Assaf. Non, il faut un équilibre !

M. Éric Woerth, rapporteur. …dans un environnement, un biotope de prudence et de précaution, bien évidemment.

Il ne faut pas toujours remettre les débats au lendemain. J’entends un certain nombre de nos collègues dire qu’il s’agit d’un bon sujet, et qu’il faudra avoir un jour le débat. Le débat est là !

M. Bruno Le Maire. Le débat, c’est maintenant !

M. Éric Woerth, rapporteur. Arrêtez de dire sans arrêt qu’il faut des débats, des groupes de travail… À un moment, il faut choisir ! Nous sommes des hommes et des femmes politiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Nos amis et partenaires du groupe UDI affirment qu’ils sont favorables au principe de précaution, à un groupe de travail, à un débat… À un moment, il faut décider, il faut choisir !

M. Denis Baupin. Là, c’est mal parti !

M. Éric Woerth, rapporteur. C’est ce qui est important dans la vie politique.

Je terminerai en évoquant Rabelais, qui a été cité deux ou trois fois et que j’ai relu.

M. François Loncle. Quand vous lisez Rabelais, il faut tout lire !

M. Éric Woerth, rapporteur. Rabelais écrivait en réalité : « Précaution sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)

Mme Danielle Auroi. Vous ne citez pas Rabelais, vous interprétez ses écrits !

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi, dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement, puisque la commission n’a pas adopté de texte.

Article unique

Mme la présidente. Plusieurs orateurs sont inscrits sur cet article unique.

La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, le texte qui nous réunit ce matin crée un débat utile pour notre pays, en vue de changer des mentalités qui sont aujourd’hui, à mon avis, le principal obstacle au redressement de notre pays.

Cette proposition de loi constitutionnelle vise à favoriser l’innovation responsable dans notre pays. Elle soulève la question des conséquences du principe de précaution, inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement intégrée en février 2005 dans la Constitution. Il ne s’agit pas d’abolir ce principe, comme certains voudraient le faire croire sur certains bancs de cette assemblée, mais de prévoir un « indispensable contrepoids au principe de précaution », selon la très juste formule du rapporteur.

Il n’est donc pas question de remettre en cause le principe de précaution, essentiel pour l’anticipation des risques liés à certaines avancées technologiques. Il s’agit de redonner à l’innovation la place qui doit être la sienne. Il faut éviter que le principe de précaution se révèle facteur d’inaction, d’interdiction et d’immobilisme.

Dans un monde concurrentiel, il faut donner à notre pays toutes les chances d’être compétitif.

M. Denis Baupin. Ah ! Les masques tombent !

M. Guillaume Chevrollier. Dans les territoires, nos entrepreneurs nous le demandent tous les jours. II faut donc encourager la recherche, à la base de tout développement économique, tout en prenant en compte les opportunités et les risques – mais les risques avérés, et non seulement potentiels.

Doit-on rappeler que la commission « Innovation 2030 », présidée par Anne Lauvergeon, propose sept mesures qui s’inscrivent dans le principe d’innovation :…

M. Damien Abad. Eh oui !

M. Guillaume Chevrollier. …accorder un accueil favorable à la nouveauté, simplifier les procédures, encourager l’expérimentation, alléger les normes, consacrer une part significative des commandes publiques à des propositions innovantes, faire preuve de constance dans les politiques publiques, valoriser la prise de risque.

M. Denis Baupin. Elle propose aussi de continuer de signer à la main ! (Sourires.)

M. Guillaume Chevrollier. Voilà une feuille de route toute trouvée pour le Gouvernement s’il veut redonner à la France le secteur industriel et la croissance qu’elle mérite.

M. Christophe Borgel. C’est ce que nous faisons !

M. Guillaume Chevrollier. C’est la voie à suivre pour le redressement de notre nation. Ce redressement passera par un sursaut mental. C’est bien le sens de cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Julien Aubert et Mme Claudine Schmid. Très bien !

M. Jacques Myard. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Le premier mouvement a été de transformer un principe philosophique du Sommet de la terre en principe juridique.

M. Arnaud Leroy. On a retrouvé Pierre Bellemarre ! (Sourires.)

M. Julien Aubert. Ensuite, on a posé un principe juridique d’action, que l’on a progressivement transformé en principe juridique relativement frileux. À l’origine, la déclaration de Rio stipulait : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. » Dans sa définition originelle, le principe de précaution était donc un principe d’action : il signifiait que le risque ne justifiait pas l’inaction.

On retrouve ce même principe dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui considère que le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives « lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait ». En d’autres termes, le principe de précaution est encore un principe d’action.

Pourtant, on a transformé ce principe juridique, que nous avons inscrit dans la Charte de l’environnement, en un principe politique d’inaction.

La précaution n’est pas la prudence. Lorsqu’il neige, la précaution consiste à rester à la maison, tandis que la prudence consiste à prendre sa voiture en roulant moins rapidement pour ne pas avoir d’accident.

Mme Danielle Auroi. Le ski, c’est bien aussi ! (Sourires.)

M. Christian Assaf. Il neige dans le Vaucluse, mais pas ailleurs ! (Sourires.)

M. Julien Aubert. Le problème, aujourd’hui, mes chers collègues, c’est que la France reste à la maison lorsqu’il neige. Politiquement, nous avons gelé tout le processus d’innovation dans ce pays.

Ce qui est plus grave et ce qu’a révélé notre débat, c’est qu’il y a dans notre hémicycle des personnes opposées au progrès (Exclamations sur divers bancs),…

M. Denis Baupin. Les opposants au progrès sont autour de vous, monsieur Aubert ! Ils sont à droite !

M. Julien Aubert. …qui considèrent que le principe de progrès, le principe productif, le principe de base du capitalisme et de la création de richesse…

M. Denis Baupin. Les opposants au progrès sont à l’UMP !

M. Julien Aubert. Monsieur Baupin, vous vous êtes senti visé : c’est bien de vous que je parle. Vous êtes opposé au progrès, vous voulez basculer dans un monde d’économie circulaire,…

M. Erwann Binet. Vive l’économie circulaire !

M. Julien Aubert. …un monde de science-fiction, un monde de recyclage, un monde où la croissance est terminée…

M. Arnaud Leroy. Allez dire cela à Veolia !

Mme la présidente. Merci, monsieur Aubert.

M. Julien Aubert. Nous l’avons même entendu en commission : la croissance ne reviendra pas.

M. Erwann Binet. Caricature !

M. Julien Aubert. Mes chers collègues, si les Mésopotamiens avaient su qu’un jour, Coluche se tuerait à moto, ils n’auraient pas inventé la roue ! (Rires et exclamations sur divers bancs.)

M. Arnaud Leroy. Vous avez raison de parler de Coluche !

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. Beaucoup de choses ont été dites ce matin. Je veux modestement saluer le courage de notre collègue Éric Woerth qui, à l’inverse de certains membres de sa propre famille politique, parle de bon sens et fait en sorte de donner un espoir aux jeunes de notre pays.

M. Denis Baupin. On passe de Coluche à Éric Woerth !

Mme Danielle Auroi. Le rapprochement n’est pas très gentil pour Coluche !

M. Nicolas Dhuicq. La France a perdu son élan vital. Elle se pétrifie. Elle ne bouge plus. (Sourires sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.) Vous pouvez rire, mais il suffit de voir le nombre de jeunes Françaises et de jeunes Français qui quittent le pays pour aller vivre, parfois jusqu’au bout et pour des motifs pervers, une vie de liberté, faite d’expériences, qui leur donne ce sens profond que vous avez perdu (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC),…

M. Christophe Borgel. C’est limite, ce que vous dites !

M. Nicolas Dhuicq. …tant vous êtes confits dans la condescendance, tant vous refusez de prendre des risques. Or la prise de risque est l’essence même de la vie.

Je compléterai les remarques de mon excellent collègue Julien Aubert par quelques réflexions.

Vos familles comptent certainement un grand nombre de personnes dont les vies ont été sauvées ou qui sont maintenues en vie parce que nous avons extrait des feuilles du saule un excellent principe, l’acide acétylsalicylique. Si nous appliquions aujourd’hui l’ensemble de nos normes, de nos lois et ce principe de précaution, nous ne pourrions plus prescrire aux patients de l’acide acétylsalicylique,…

M. Jean-Charles Taugourdeau. Exactement !

M. Nicolas Dhuicq. …parce que le taux de saignements bénins causés par ce produit est si important que les lois actuelles empêcheraient sa mise sur le marché.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Voilà !

Mme Claudine Schmid. Très bien !

M. Nicolas Dhuicq. Par ailleurs, en défendant le principe de précaution, vous cédez une fois de plus à un esprit de toute puissance et de maîtrise absolue. Or je pense à Heisenberg, découvreur du principe d’incertitude et fondateur de cette mécanique incompréhensible par le sens commun qu’est la mécanique quantique. On ne peut connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule. Ce phénomène devrait vous faire réfléchir et vous inciter à voter en faveur de cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Nous en venons aux amendements à l’article unique.

Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 1 et 6, tendant à la suppression de cet article.

La parole est à M. Christian Assaf, pour soutenir l’amendement n1.

M. Christian Assaf. En cohérence avec les arguments que nous avons eu l’occasion de développer lors de la discussion générale avec les collègues de mon groupe, cet amendement vise à supprimer l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle. En plus de ne proposer qu’un changement sémantique stérile, ce texte fragilise les engagements internationaux de la France en matière de développement durable. Il me paraît donc logique de maintenir l’actuel principe de précaution tout en poursuivant nos efforts pour honorer pleinement ses ambitions.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Éric Woerth, rapporteur. Il est évidemment favorable. Cependant, à titre personnel, je donne un avis défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, pour donner l’avis du Gouvernement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Favorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je remercie mon collègue Éric Woerth d’avoir engagé ce débat devant l’Assemblée nationale. En effet, il y a un moment où il faut essayer de se poser les questions de fond relatives à l’avenir de notre pays, calmement et sans anathème. Je m’opposerai bien entendu à l’amendement défendu par notre collègue Christian Assaf.

Je veux vous faire part de deux témoignages personnels tirés de mon expérience dans cette assemblée. J’ai pleinement conscience que c’est de nos rangs qu’est partie l’idée du principe de précaution, sous la présidence de Jacques Chirac, dont j’ai longtemps été le conseiller.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. M. Chirac est un grand homme d’État !

M. Pierre Lellouche. En 2003, M. Chirac m’avait demandé de piloter, pour notre pays, la négociation sur l’implantation d’un réacteur à fusion thermonucléaire à Cadarache. Cette négociation a été extrêmement dure. Pendant deux années, nous avons successivement battu les Espagnols et les Japonais pour installer en France, à Cadarache, le plus grand projet de coopération scientifique au monde…

M. Julien Aubert. Absolument !

M. Pierre Lellouche. …visant à construire un réacteur expérimental qui, à partir du thorium issu de l’eau de mer, permettra peut-être de produire demain une énergie pure. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.)

Je vois que M. Baupin considère que c’est de l’argent et du temps perdus.

M. Denis Baupin. C’est sûr !

M. Julien Aubert. Vous voulez revenir à l’âge de pierre !

M. Pierre Lellouche. Il s’agit pourtant d’un programme de coopération scientifique plus important que la station spatiale, et qui regroupe toutes les grandes puissances scientifiques de cette planète. Nous nous sommes battus comme des beaux diables pour l’avoir en France. Si on avait appliqué le principe de précaution,…

M. Denis Baupin. On ne ferait rien, bien sûr !

M. Pierre Lellouche. …on n’aurait jamais pensé construire la fusion thermonucléaire à Cadarache, en France.

M. Denis Baupin. On l’a pourtant fait !

M. Pierre Lellouche. Et pourtant, ce sont des milliers d’emplois de scientifiques du monde entier qui se trouvent sur le territoire français grâce à ce projet.

Mme la présidente. Merci, monsieur le député…

M. Pierre Lellouche. Deuxième exemple, madame la présidente : nous avons exporté pendant ces dernières années des technologies de gaz de schiste parfaitement maîtrisées par les entreprises françaises, tout en nous interdisant nous-mêmes à l’avance d’explorer cette voie. Or, celle-ci a permis aux États-Unis de jouir d’un taux de croissance de 3 %, d’une indépendance énergétique et d’une remontée du niveau d’emploi.

M. Christophe Borgel. Une usine à gaz !

M. Pierre Lellouche. C’est pourquoi je remercie M. Woerth d’avoir ouvert ce débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin, pour soutenir l’amendement n6, identique au précédent. Je vous prie de bien vouloir m’excuser, monsieur le député : j’aurais dû vous proposer de le défendre avant de demander l’avis de la commission et du rapporteur.

M. Denis Baupin. Ce débat était très utile car il a fait tomber les masques. On nous a parlé, au début, de grands principes et on évoque finalement les seuls intérêts des multinationales dans le secteur de la téléphonie mobile, des organismes génétiquement modifiés – OGM –, du gaz de schiste, etc.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Parlons-en ! Vous détestez l’entreprise, c’est tout !

M. Denis Baupin. Il n’est pas du tout question ici de recherche ! Il s’agit uniquement de faire des profits mercantiles en détruisant le principe de précaution. Monsieur Aubert, il existe effectivement dans cette assemblée des députés opposés au progrès : ceux qui refusent que le principe de précaution soit un vecteur de progrès.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et l’acide que vous balancez sur les gendarmes, il est bio, aussi ?

M. Denis Baupin. Monsieur Woerth, je suis, pour ma part, en faveur de la téléphonie mobile, que j’utilise tous les jours, mais à condition que ma santé et celle de mes enfants soient protégées. La loi doit donc encadrer ces industries pour les obliger à protéger la santé publique.

M. Nicolas Dhuicq. C’est une pensée magique !

M. Denis Baupin. Un certain nombre d’entre vous, mes chers collègues de l’opposition, voulaient retirer le droit à l’interruption volontaire de grossesse du bilan de Valéry Giscard d’Estaing (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

Mme Claudine Schmid. Ce n’est pas la question !

M. Denis Baupin. …et aujourd’hui, vous voulez retirer du bilan de Jacques Chirac le principe de précaution. Pour notre part, nous défendons les éléments positifs du bilan de ces présidents de la République. Aussi, nous appelons à voter pour ces amendements identiques.

(Les amendements identiques nos 1 et 6 sont adoptés et l’article unique est supprimé.)

Après l’article unique

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Abad, pour soutenir l’amendement n2.

M. Damien Abad. Défendre un amendement de suppression revient à refuser le débat. Les membres du groupe socialiste ne peuvent pas, d’un côté, être favorables à un groupe de travail sur les freins à l’innovation et à l’affirmation d’un principe d’innovation qui équilibrerait le principe de précaution dans la Charte de l’environnement, et, de l’autre, proposer un amendement de suppression visant à clore le débat. « Circulez, il n’y a rien à voir ! » C’est vraiment dommage.

J’en viens au présent amendement. Il vise à introduire le principe d’innovation dans la Charte de l’environnement. On le sait, celui-ci figure déjà à l’article 9 de la Charte, mais, à l’instar du principe de prévention, il paraît nécessaire de le réaffirmer afin de donner un signal politique fort en faveur de la revalorisation de la place de la science, de la technologie et de la recherche.

Le principe d’innovation responsable permet de dissiper l’illusion dangereuse du risque zéro. S’il ne faut pas, bien entendu, sombrer dans le fanatisme scientifique des positivistes, nous ne devons pas non plus céder à l’irrationalisme et à l’obscurantisme. L’objet de cet amendement est donc de reconnaître clairement le principe d’innovation dans la Charte de l’environnement. Je suis certain que nous pourrions nous retrouver sur ce sujet.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Éric Woerth, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement, mais j’y suis évidemment favorable, à titre personnel. On ne peut pas entrer dans le XXIsiècle avec autant de précaution. On doit le faire en montrant que notre pays a tout son rôle à jouer dans le domaine de l’innovation.

M. Christophe Borgel. C’est ce que nous faisons !

M. Éric Woerth, rapporteur. Le progrès économique, scientifique et social doit certes être appréhendé avec prudence, c’est une question de bon sens absolu, mais il doit surtout être valorisé. Nous devons savoir oser. Tel est l’objet de l’amendement n2.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je n’ai jusqu’à présent pas pris la parole plus que de besoin, mais, si tous les débats sont légitimes – y compris celui-ci, selon certains parlementaires –, nous ne faisons pas du bien à notre pays lorsque nous faisons croire, en caricaturant nos interrogations et nos hésitations, que rien n’est possible aujourd’hui dans ce pays, en raison du principe de précaution.

J’admets tout à fait l’idée que les représentants de l’opposition tiennent absolument à revenir sur une disposition adoptée il y a quelques années à l’initiative de leur propre formation politique. Cependant il s’agit d’une disposition constitutionnelle, et non législative. Cela signifie que, à l’époque, non seulement vous avez estimé nécessaire d’agir en ce sens, mais vous avez également voulu le faire avec toute la solennité attachée à la Constitution.

M. Jacques Myard. Et alors ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Aujourd’hui, avec un allant absolument extraordinaire, vous nous dites que vous vous êtes trompés.

Mme Claudine Schmid. Il est possible de se tromper !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Comment, juger, dès lors, le ton péremptoire que vous adoptez sur bien d’autres sujets ? Après avoir mobilisé le Parlement et même appelé à une révision de la Constitution, il est complètement surréaliste de vous entendre aujourd’hui tenir tous ces discours sur l’état de notre pays !

Au demeurant, j’ai retrouvé la citation suivante, non pas de Jacques Chirac ou de Jean-Pierre Raffarin, mais de Nicolas Sarkozy en 2007 : « proposer la suppression du principe de précaution […] repose sur une profonde incompréhension. Au contraire, c’est un principe d’action et d’expertise, […] de vigilance et de transparence ».

M. Jean-Charles Taugourdeau. Pour une fois que cela vous arrange, de citer Nicolas Sarkozy !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Deux ans après l’introduction du principe de précaution dans la Constitution, l’ancien président de la République, aujourd’hui président de votre formation politique, réaffirmait la pertinence d’une telle démarche. Et vous nous expliquez à présent de façon péremptoire ce qu’il faut faire, tout en dénaturant complètement la réalité de la situation industrielle et scientifique de la France ! S’il est toujours intéressant de débattre, votre attitude ne fait vraiment pas avancer notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.)

M. Christophe Borgel. Absolument !

Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez cité Nicolas Sarkozy, mais j’appelle votre attention sur la position de l’UMP sur le gaz de schiste, présentée tout à l’heure par M. Lellouche. L’honneur d’un groupe politique, c’est aussi de prendre conscience des conséquences de ses actions, de dresser un inventaire et de corriger ses erreurs. Le sujet du gaz de schiste est un exemple typique de débat que nous n’arrivons pas à ouvrir.

M. François Loncle. C’est à cause de la loi Jacob !

M. Julien Aubert. Sans même discuter de l’exploitation, qui peut effectivement avoir un impact sur l’environnement, nous refusons d’explorer – c’est la politique d’une autruche qui ne regarderait même pas ce qu’il y a sous la terre –, et chercher des techniques alternatives, ce que recommandait pourtant M. Gallois – qui n’est pas un homme de droite – dans son rapport remis à M. Hollande – qui n’est pas un président de droite.

M. Arnaud Leroy. Menteur ! C’est faux !

M. Julien Aubert. Nous ne voulons même pas savoir si d’autres méthodes écologiques d’exploration sont possibles.

M. Christophe Borgel. Ce n’est pas vrai !

M. Julien Aubert. Voilà le problème ! Voilà ce que vous faites du principe de précaution !

À monsieur Baupin, qui nous accuse de défendre les profits mercantiles, je réponds que ce sont précisément eux qui créent de la richesse dans ce pays. On a l’impression que c’est mal de vouloir créer de la richesse ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Christian Assaf. Les élections à l’UMP, c’est terminé !

M. Julien Aubert. Arrêtez de faire systématiquement le procès du progrès ! Vous n’avez que la notion de progrès social à la bouche ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Monsieur Baupin, où serez-vous, lorsqu’on fera du sang un médicament, ce qui sera source de profits ? Où serez-vous, lorsque nous débattrons, cet après-midi, de la gestation pour autrui, qui fait du corps humain un moyen de générer des profits mercantiles ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Patrick Mennucci. Ne vous fatiguez pas : Marion n’est pas encore là !

M. Julien Aubert. Nous verrons si vous serez alors du côté du progrès !

(L’amendement n2 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Abad, pour soutenir l’amendement n3.

M. Damien Abad. Monsieur Le Guen, quels propos caricaturaux et réducteurs ! Vous nous dites que notre seul objectif est de supprimer le principe de précaution, mais je vous invite simplement à prendre la précaution de relire le texte de notre proposition de loi, ce qui vous permettra de comprendre ce qu’est le principe d’innovation responsable. Si vous étiez présent dès le début de la discussion générale, vous auriez entendu que celui-ci englobe tout à la fois la précaution et l’innovation. Nous avons voulu proposer un concept qui, plutôt que de justifier l’immobilisme ou l’inaction, soit, au contraire, synonyme d’action, de responsabilité et d’efficacité.

M. Arnaud Leroy. Le principe de précaution, en somme !

M. Damien Abad. J’en viens au présent amendement, qui vise à introduire la notion de progrès dans la Constitution. Nous pourrons alors distinguer ceux qui sont favorables à l’idée de progrès et d’innovation de ceux qui, au contraire, préfèrent en rester là.

Le progrès, c’est la mise en œuvre du principe d’innovation responsable. Étymologiquement, le terme de progrès provient du latin « progressus », qui signifie : « action d’avancer ». Il désigne le déplacement, l’action d’aller vers l’avant, de s’accroître, voire d’être meilleur, et, pour une société, le progrès et l’évolution dans le sens d’une amélioration, la transformation progressive vers plus de connaissance et de mieux-être. C’est une idée moderne, qui s’oppose à celle de stabilité, qui dominait dans le passé. Il est donc nécessaire d’introduire ce concept de progrès dans la Constitution.

Au-delà de cet amendement, je regrette que le débat soit caricatural et les positions dogmatiques.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. À qui la faute ?

M. Damien Abad. Monsieur le secrétaire d’État, mettez-vous d’accord avec les membres de la majorité. Vous êtes dans la caricature, mais les rapporteurs qui, eux, connaissent le sujet, ont dit qu’ils étaient prêts à lancer un groupe de travail sur les freins à l’innovation.

Mme Sabine Buis, rapporteure pour avis. Je n’ai pas dit ça !

M. Damien Abad. Ils ont même reconnu que le principe de précaution pourrait, d’une certaine façon, être l’un de ces freins. Vous feriez donc mieux d’accorder vos violons et de comprendre enfin que l’idéologie et le sectarisme conduisent toujours la France dans l’obscurantisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Éric Woerth, rapporteur. La commission a rejeté cet amendement, alors même qu’il est justifié. En effet, considérer que le progrès a sa place dans la Constitution n’a rien de caricatural, puisque d’autres sujets y figurent déjà.

Vos propos, monsieur le secrétaire d’État sont eux-mêmes extrêmement caricaturaux. Alors que vous n’avez pas lu le texte, que vous ne savez pas de quoi il s’agit (Exclamations sur les bancs du groupe SRC),…

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Permettez ! En matière de précaution, j’en sais plus que vous !

M. Éric Woerth, rapporteur. …vous tirez à boulets rouges sur les propositions de l’opposition, usant d’arguments politiciens. Ce Gouvernement est extraordinaire, dites-vous ; il fait beaucoup de choses. Il n’est pourtant pas un Français pour vous croire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Julien Aubert. Peut-être13 % d’entre eux !

M. Éric Woerth, rapporteur. Tout cela est hallucinant. Je vous rappelle que M. Gallois, qui est l’auteur de pacte de responsabilité et qui n’est pas un illuminé, a écrit dans un rapport qu’il fallait en finir avec le principe de précaution,…

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Éric Woerth, rapporteur. …non pas sur le plan juridique, car il figure évidemment dans notre droit, mais sur le plan culturel ; il faut en finir avec une France culturellement asservie au principe de précaution. Il faut faire le contraire.

M. Arnaud Leroy. Ce n’est pas votre proposition de loi qui va changer cela !

M. Éric Woerth, rapporteur. S’il ne figurait pas dans la Constitution, il n’y aurait pas de débat !

M. Arnaud Leroy. Les choses changeront quand on fera preuve d’un peu d’optimisme. Arrêtez vos discours déclinistes !

M. Éric Woerth, rapporteur. Les années ont passé et on a pris conscience que la France souffrait d’une crise structurelle et structurante. Tout doit concourir à nous sortir de la crise, y compris l’état d’esprit des Français, des entrepreneurs et des acteurs publics. Or, mettre en avant le principe de précaution ne met pas la France en état de sortir durablement de la crise.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Dans la même intervention, monsieur le rapporteur, vous dites vouloir en finir avec le principe de précaution et le compléter, reprenant sur ce dernier point les propos, qui méritent d’être entendus, de M. Abad. Mais tel n’est pas le sens des arguments, et même des attaques, de l’ensemble de votre groupe.

La réflexion sur le progrès dans la société est intéressante et tout à fait légitime. Au cours des quarante dernières années, le progrès a été appréhendé à la fois en termes philosophiques et sur le plan de l’innovation ; nul ne peut ignorer qu’il a conduit à un certain nombre de problèmes industriels majeurs, y compris dans ce pays.

Il faut accepter, même quand on est favorable à la philosophie du progrès ainsi qu’à l’innovation industrielle, qu’on ne peut plus défendre le progrès et l’innovation comme on le faisait il y a soixante ou soixante-dix ans. Persister dans cette attitude revient à ne rien comprendre à la société actuelle.

Je conviens qu’il faut placer le progrès et l’innovation au cœur des politiques publiques comme de la réflexion collective dans notre société. Mais je refuse les polémiques que je considère comme des régressions outrancières.

L’avis du Gouvernement sera donc défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le ministre, je vous invite, en ce qui concerne le procès du progrès, à relire certains textes fondateurs publiés au moment de l’invention du chemin de fer. En 1830, certains auteurs prédisaient ainsi que rouler à la vitesse de 50 kilomètres-heure occasionnerait, pour les voyageurs, des maux tels que l’explosion du cœur ou la dilatation de la rate…

Nous sommes en plein délire. L’ensemble de la proposition de loi vise à remettre en cause le dogmatisme. Son objet, de bon sens, n’est pas de remettre en cause la prudence et la précaution. C’est un procès d’intention !

Il s’agit de corriger un principe que les juges eux-mêmes ont rééquilibré. Voilà bien la preuve, d’ailleurs, qu’ils n’ont pas suivi le pouvoir constituant. On peut se poser la question : est-il normal de permettre aux juges ce que le constituant et le législateur s’interdisent, par peur, de faire ? De quelle nature est donc notre État de droit ?

Parler de progrès et d’innovation – lesquels s’opposent au dogmatisme primaire que vous défendez –, c’est faire preuve de bon sens, monsieur le secrétaire d’État. Pour cette raison, il faut adopter cet amendement.

Au passage, je vous signale que je n’ai pas voté la réforme de la Constitution voulue par le président que, pourtant, je soutenais : je me suis abstenu, considérant que nous allions trop loin. Vous, en revanche, avez voté contre. Soyez un peu logique !

M. Julien Aubert. L’UMP et le secrétaire d’État, même combat ! (Sourires.)

M. Jacques Myard. J’obéis, en ce qui me concerne, à une logique personnelle : celle du bon sens pour la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Tout a, véritablement, été dit. Mais, en entendant les propos qui viennent d’être tenus à propos des chemins de fer, des tunnels, de l’écorce de saule et de l’aspirine, je me demande pourquoi vous avez voulu substituer l’innovation responsable à la précaution. Pourquoi ne pas les associer ? Cela aurait été tellement plus simple – quoique beaucoup plus contrariant, politiquement, pour notre majorité.

Innover de façon responsable n’empêche pas, en effet, de prendre des précautions.

M. Jacques Myard. En effet.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Mais ce n’est pas ce que vous dites.

M. Jacques Myard. C’est ce qui figure dans la Constitution !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Ce n’est pas ce pour quoi vous plaidez.

Les sociétés deviennent de plus en plus complexes, et la science, de plus en sophistiquée. Les possibilités offertes à l’homme sont devenues considérables. Il faut construire une société qui promeut légalement, c’est-à-dire dans le cadre de la loi, une attitude de responsabilité innovante.

M. Jacques Myard. Relisez le Faust de Goethe !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Une telle proposition eût été, à mon sens, plus astucieuse. Mais substituer une notion à une autre ne me paraît pas raisonnable.

(L’amendement n3 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Damien Abad, pour soutenir l’amendement n5.

M. Damien Abad. Nous avions le choix entre deux stratégies. La première consistait à conserver tel quel le principe de précaution et à l’équilibrer grâce au principe d’innovation. Une telle proposition avait d’ailleurs été formulée par mes collègues membres du groupe des « cadets-Bourbon ».

M. Patrick Mennucci. Qu’est-ce que c’est ? Un bar ?

M. Damien Abad. La seconde stratégie, que nous avons définie avec Éric Woerth, consistait à trouver un concept susceptible d’englober ces deux principes dans un souci de simplification.

Associer, comme vous nous le proposez, madame, le principe de précaution à celui d’innovation responsable serait redondant, car le second inclut le premier.

J’en viens à l’amendement. Je me dois de reconnaître la force du groupe socialiste, et plus généralement de la majorité, dans un domaine précis de l’innovation, celui de l’innovation fiscale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

Mme Émilienne Poumirol. Vous avez su montrer l’exemple !

M. Damien Abad. Dans ce domaine, vous n’avez pas besoin de la Constitution pour rafler tous les prix : vous avez le sens de l’innovation, mais pas de la responsabilité.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est un principe sans précaution du tout !

M. Damien Abad. Vous faites preuve d’innovation, mais pas de responsabilité.

Nous avons voulu inscrire la notion d’innovation dans la Constitution. Mais afin qu’elle ne vous permette pas de justifier vos initiatives en matière d’impôt, il convient d’y ajouter celle de stabilité fiscale.

M. Christophe Borgel. Nous nous éloignons de l’objet du texte !

M. Damien Abad. Ce que vous proposez est l’exact contraire : vous refusez l’innovation tout en la pratiquant quotidiennement dans le domaine fiscal.

M. Julien Aubert. Et oui.

Plusieurs députés du groupe SRC. Hors-sujet !

M. Damien Abad. Notre proposition est simple : inscrire dans le marbre de la Constitution la non-rétroactivité absolue des dispositions fiscales et garantir ainsi la stabilité dans ce domaine. Nous faisons, là aussi, preuve de bon sens. Nous vous encourageons à faire de même.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Éric Woerth, rapporteur. La commission des lois a rejeté cet amendement. Il est vrai qu’il est lui-même assez innovant : on peut en effet chercher quel lien le lie à la proposition de loi. Au fond, ce lien réside dans la stabilité des normes. En effet, la stabilité de la norme fiscale constitue, évidemment, un environnement nécessaire à tout progrès.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Dhuicq.

M. Nicolas Dhuicq. On voit bien que la vie invente en permanence : en effet, des disciples d’un certain Léon Trotski se font les alliés objectifs du grand capital.

M. Patrick Mennucci. Des noms !

M. Nicolas Dhuicq. Il s’agit d’une évolution tout à fait intéressante lorsqu’on voit le déroulement des dernières affaires et lorsqu’on anticipe celui de celles à venir.

Je pense que notre camarade Éric Woerth a tout à fait raison de continuer à se battre. (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Camarade ?

M. Nicolas Dhuicq. Vous n’avez, justement, ni le monopole du cœur, ni celui des couleurs, ni celui des appellations. Je suis scandalisé de voir l’un de nos collègues, sachant que les réserves d’uranium se trouvent en quantité finie sur notre planète, refuser de comprendre que notre avenir à tous, et celui de nos enfants et de nos petits-enfants, se joue à Cadarache.

D’autant que ce ne sont pas les multinationales qui soutiennent ces projets, mais de grands États-nations, s’appuyant sur de vrais gouvernements, de vrais visionnaires et de vrais scientifiques porteurs de progrès.

Alors, au nom des enfants qui nous regardent, reconnaissez votre erreur ! Reconnaissons nos péchés et nos erreurs passés, et adoptons cette proposition de loi.

Plusieurs députés du groupe UMP. Bravo !

(L’amendement n5 n’est pas adopté.)

M. Damien Abad. Le conservatisme est à gauche !

Mme la présidente. Nous avons achevé la discussion des articles de la proposition de loi. L’Assemblée ayant rejeté l’article unique ainsi que l’article additionnel de la proposition de loi, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à douze heures vingt.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Lutte contre la gestation pour autrui

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les démarches engagées par des Français pour obtenir une gestation pour autrui (nos 2277, 2405).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, qu’est-ce qu’une gestation pour autrui – GPA – ? Derrière ce vocable et cette formulation positive et teintée d’altruisme, se cachent en fait la location du ventre d’une femme, l’abandon d’un enfant et le fait de considérer un enfant comme un objet commandé et payé.

Parce que les corps ne sont pas à louer, parce que les enfants ne sont pas à vendre et parce que les personnes ne sont pas des choses, parce que cette pratique est contraire à la dignité de la personne et à l’indisponibilité du corps humain, elle doit être interdite et même empêchée.

Or notre droit, dans ce domaine, est devenu fragile.

Même avant la loi de bioéthique de 1994, l’interdiction était une constante du droit français. Cette position a été confirmée par le Conseil d’État et le Comité consultatif national d’éthique en 2010, par la loi de bioéthique de 2011 – nous avions eu un débat à l’époque pour savoir s’il fallait alourdir les sanctions, mais l’absence de transcription à l’état civil français des enfants nés à l’étranger nous avait alors semblé être un élément suffisamment dissuasif –, et par la Cour de cassation en 2013, qui a considéré que la GPA représentait un trouble à l’ordre public. Pourtant, des brèches ont fragilisé cet édifice juridique.

Il y a d’abord eu la circulaire Taubira, d’ailleurs citée sur les réseaux des mères porteuses ukrainiennes comme un élément positif permettant de faciliter la gestation pour autrui, puis l’arrêt « Mennesson contre France » rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui permet la transcription des actes d’état civil d’enfants nés à l’étranger de GPA.

Nous avons eu un espoir lorsque le Premier ministre a déclaré qu’une telle pratique était intolérable car elle commercialisait des êtres humains et « marchandisait » le corps des femmes, mais il a été déçu en l’absence d’initiative de la part du Gouvernement. Pire, la France n’a pas fait appel de la décision de la Cour européenne. La transcription des actes étrangers sera donc automatique, puisque la décision de cette dernière est définitive depuis le 26 septembre 2014.

L’inquiétude face à cette situation est largement partagée puisque, dans une tribune publiée par le journal Libération, des personnalités comme Lionel Jospin ou Jacques Delors expliquent que, « si la France plie, si les filiations des enfants issus de contrats de mères porteuses faites à l’étranger sont inscrites à l’état civil français, alors le marché des bébés devient de fait efficace ». Il l’est de fait depuis le 26 septembre 2014 – parce que la France a plié.

Puisque notre droit civil est inefficace, reste le droit pénal. C’est la raison pour laquelle nous proposons aujourd’hui d’alourdir les sanctions et de les rendre plus efficaces.

Ainsi, l’article 1er durcit les peines encourues pour les délits de provocation à l’abandon d’enfant et d’entremise en vue d’une gestation pour le compte d’autrui, sanctionnant aussi bien les personnes que les agences pratiquant ce trafic.

Je rappelle à ceux qui l’ont peut-être oublié que notre proposition de loi n’a pas inventé les peines de prison et qu’elles existent déjà dans notre droit. Elles ne sont certes jamais appliquées.

À ceux qui reprochent de punir les parents sans penser aux enfants, je donnerai la réponse de M. le Premier ministre, Manuel Valls : « il est incohérent de désigner comme parents des personnes ayant eu recours à une technique clairement prohibée, tout en affirmant qu’ils sont responsables de l’éducation des enfants, c’est-à-dire chargés de la transmission de nos droits et de nos devoirs » – et de nos valeurs, ajouterai-je à titre personnel.

M. Philippe Gosselin. Eh oui !

M. Jean Leonetti, rapporteur. À ceux qui trouvent qu’un an de prison est une peine trop lourde, je rappellerai que le vol simple dans le droit pénal français est puni de trois ans et le harcèlement moral de deux ans, sans que l’on se préoccupe de savoir si l’auteur est parent ou non.

M. Philippe Gosselin. Tout à fait !

M. Jean Leonetti, rapporteur. Être condamné à un an de prison, ce n’est d’ailleurs pas faire un an de prison, nous le savons tous. C’est donc un élément dissuasif, le caractère infamant de la peine pouvant dissuader un certain nombre de personnes d’avoir recours à de telles pratiques.

L’article 2 est destiné à dissuader de recourir à la GPA, quel que soit le lieu où elle est pratiquée.

Enfin, pour que la loi française soit réellement applicable, il faut faire évoluer ses règles d’application territoriale, en écartant les conditions de réciprocité et de dénonciation qui sont impossibles à mettre en œuvre compte tenu de l’extrême diversité du droit en ce domaine, en Europe et dans le monde.

J’insiste sur le fait que, si le Gouvernement voulait envoyer un signal, même sans alourdir les peines ou créer une incrimination, il pourrait se saisir de cette opportunité pour prouver sa réelle intention d’agir.

Pour faire des comparaisons, rappelons par exemple que le recours à la prostitution des jeunes entre seize et dix-huit ans est autorisé dans certains pays et même dans des pays voisins. Jusqu’en 2014, il l’était en Suisse. La France a pris la décision d’internationaliser la sanction des personnes ayant recours à la prostitution dans ces pays,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !

M. Jean Leonetti, rapporteur. …parce qu’elle considère que son droit doit être appliqué aux Français et aux personnes résidant habituellement en France même lorsqu’ils commettent des actes délictueux majeurs à l’extérieur de leur territoire.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes à l’heure de vérité.

Certains dans cet hémicycle, et ils ont fait valoir leur opinion en 2011, sont pour la pratique des mères porteuses et son autorisation. Il est donc logique et cohérent qu’ils rejettent toute idée de sanction. Je m’étonne même, d’ailleurs, qu’ils ne déposent pas un amendement pour supprimer les sanctions prévues par notre droit pénal et accélérer ainsi l’autorisation, qui avance à petits pas.

Mais la majorité d’entre nous, je l’espère, rejettent cette pratique parce qu’elle remet en cause le principe de la dignité de la personne et de l’indisponibilité du corps, qui sont les deux bases de toutes les lois de bioéthique. Ensemble, avec vous, peut-être, monsieur le secrétaire d’État, nous devons réagir pour en finir avec cette attitude insupportable et hypocrite qui consiste à condamner dans les paroles et jamais dans les faits les auteurs de tels délits et ceux qui les organisent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Double langage !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

Plusieurs députés du groupe UMP. Mme Rossignol n’est pas là ?

M. Pierre Lellouche. Mme Taubira non plus ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi qui vous est soumise vise à renforcer le dispositif répressif existant à l’encontre des personnes qui facilitent la pratique de la gestation pour le compte d’autrui et à punir les personnes qui y ont recours ou effectuent des démarches en vue d’y avoir recours.

L’interdiction de la gestation pour le compte d’autrui existe déjà en droit français. Elle est même double puisqu’elle fait l’objet de dispositions à la fois civiles, prévues par l’article 16-7 du code civil, et pénales, aux articles 227-12 à 227-14 du code pénal. Ainsi, le droit civil sanctionne d’une nullité d’ordre public les contrats portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui. Le droit pénal punit quant à lui de peines d’emprisonnement d’une durée pouvant aller de six mois à deux ans les faits de provocation à l’abandon, d’entremise entre une personne désireuse d’adopter un enfant et une personne désireuse d’abandonner son enfant né ou à naître, d’entremise entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre.

La proposition de loi envisage d’aggraver le quantum des peines en doublant les durées d’emprisonnement, qui seraient portées de un à quatre ans.

Ce projet, qui figure à l’article 1er de la proposition de loi, apparaît inutile autant que contraire au principe de nécessité de la loi pénale. En effet, aggraver le régime des peines pour les infractions commises sur le territoire français est vain, dès lors que la gestation pour autrui est, dans l’immense majorité des cas, pratiquée à l’étranger. Le nombre des condamnations le montre. Depuis 2001, aucune condamnation n’a été prononcée pour des faits d’entremise entre une personne désireuse d’adopter un enfant et une personne désireuse d’abandonner son enfant ou d’entremise entre un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant d’être mère porteuse.

De 2010 à 2012, le délit de provocation à l’abandon d’enfant prévu par l’alinéa 1er de l’article 227-12 du code pénal a donné lieu à une seule condamnation inscrite au casier judiciaire en 2011. Ce très faible nombre de condamnations démontre que l’augmentation des peines n’aurait aucun effet dans la lutte contre la gestation pour autrui.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est faux !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. S’il s’agit de renforcer les poursuites, le Gouvernement a d’autres moyens d’action plus efficaces.

M. Philippe Gosselin. Eh bien, mettez-les en œuvre !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le second article de la proposition de loi vise à créer deux nouvelles incriminations, dans un nouvel article 511-14 du code pénal. Ces deux délits ont pour objectif de réprimer les personnes souhaitant recourir à la pratique de la gestation pour autrui pour accueillir un enfant, et non pas les intermédiaires ou les établissements proposant un service de gestation pour autrui, ni les mères porteuses. Il est proposé d’incriminer dans un premier temps les seules « démarches auprès d’organismes proposant la gestation pour le compte d’autrui », et dans un second temps, plus sévèrement, la concrétisation de cette démarche par le « fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la naissance d’un enfant par la pratique de la gestation pour le compte d’autrui. »

L’incrimination du seul fait d’effectuer des démarches auprès d’organismes permettant ou facilitant, contre paiement, la pratique de la gestation pour le compte d’autrui paraît imprécise, disproportionnée et inutile. Les contours du délit proposé sont particulièrement vagues. À partir de quand une démarche est-elle susceptible d’être incriminée ? N’est-il pas disproportionné de vouloir poursuivre et condamner des personnes qui ont consulté un site internet ? Ne serait-ce pas contraire au principe de la liberté d’information ?

M. Erwann Binet. En effet !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Que faire des personnes qui, après s’être renseignées, peuvent interrompre spontanément leurs recherches et renoncer à poursuivre un tel projet ?

En outre, l’engagement dans un processus de gestation pour autrui qui ne serait pas suivi de la naissance d’un enfant, pour des raisons indépendantes de la volonté des parents, est déjà incriminé sous le prisme de la tentative.

S’agissant du délit visant à réprimer le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la naissance d’un enfant par la pratique de la gestation pour le compte d’autrui, il semble totalement inutile au vu du droit existant. Le code pénal permet déjà de couvrir l’ensemble des comportements que l’auteur de la proposition de loi souhaite réprimer. En effet, il sanctionne déjà la substitution volontaire, la simulation ou la dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant, mais également le fait de provoquer, soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître.

De plus, la volonté de réprimer les Français qui ont eu recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne peut que susciter un avis défavorable du Gouvernement.

M. Jean Leonetti, rapporteur. Et voilà !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Elle exigerait de créer une exception au principe de double incrimination aux termes duquel ne peut être poursuivi en France qu’un acte commis par un ressortissant français dans un pays étranger sur le territoire duquel les faits sont également punissables. Une telle exception existe déjà en matière de tourisme sexuel ou de terrorisme, mais elle est cependant réservée aux comportements dont la répression est consensuelle sur le plan international, notamment aux infractions régies par des conventions internationales ou européennes,…

M. Erwann Binet. Exactement ! CQFD !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. …ce qui n’est pas le cas de la répression de la gestation pour autrui.

M. Philippe Gosselin. C’est une forme de terrorisme !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Vous l’aurez compris, le Gouvernement n’est pas favorable à cette proposition de loi qu’il ne juge ni utile ni opportune.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas très glorieux !

M. Pierre Lellouche. Quelle hypocrisie !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Elle répond à une crainte librement évoquée dans l’exposé des motifs, celle d’« un risque de faciliter le recours à la pratique de la gestation pour autrui ». À l’origine de cette crainte, il y a deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 juin 2014 qui constatent que la France méconnaît le droit au respect de la vie privée des enfants issus d’une gestation pour autrui, en refusant de reconnaître et d’établir leur lien de filiation avec leurs parents d’intention.

Ces arrêts ne contraignent nullement l’État français à lever l’interdiction de la gestation pour autrui. Leur objet est d’améliorer la situation juridique des enfants issus d’une gestation pour autrui.

M. Pierre Lellouche. Cela revient au même !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Il ne faut pas tout mélanger, mais tâcher d’apporter une réponse sereine à deux décisions de justice, dans le respect des engagements internationaux de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, selon le cardinal de Retz, en amour comme en politique, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. J’ai l’impression, monsieur le ministre, que pour vous éviter ce détriment, vous avez voulu rester ce matin dans l’ambiguïté. J’aurais aimé entendre, en plus du rappel de la loi, le détail des actions conduites par le Gouvernement pour s’assurer que rien ne favorise la pratique de la GPA, mais que tout est fait pour l’entraver. J’aurais aimé avoir le détail des procédures engagées contre les sites internet qui sévissent en France.

M. Philippe Gosselin. Exactement !

M. Jean-Frédéric Poisson. J’aurais aimé savoir comment vous avez l’intention de traiter, même si cela semble trop tard, le recours contre la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, dont vous avez cité le contenu tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.

En réalité, lorsque vous avez évoqué la loi et la manière dont le Gouvernement entend l’appliquer, j’ai bien entendu le rappel de l’interdiction du recours aux mères porteuses –la loi –, mais rien sur la manière dont le Gouvernement veut la faire respecter. En fin de compte, la question est simple : cette pratique est-elle ou non ignoble ? Devons-nous ou non consacrer toutes nos forces à l’interdiction, au découragement, à la « désincitation », en quelque sorte, de cette pratique qui est une manifestation barbare ? Le fait de recourir aux services d’autrui considéré comme un objet ou un instrument est-il ou non radicalement contraire à notre conception française de la dignité, quelles que soient par ailleurs les nuances que les uns ou les autres voudraient y apporter ?

Si l’on répond « oui » à ces trois questions, il faut voter notre proposition de loi. Si l’on ne répond pas « oui » d’une manière claire et ferme, on reste alors dans une espèce de marigot, où tout est interdit, mais où on laisse tout faire.

M. Philippe Gosselin. C’est le cas !

M. Jean-Frédéric Poisson. Telle est aujourd’hui la position du Gouvernement et de la majorité. J’entends que cela pose des problèmes de droit et qu’il existe des conventions internationales. Qu’à cela ne tienne, passons une nouvelle convention ! Vous dites que la France ne devrait réprimer ces crimes que dans la mesure où ils font consensus, en tant que crimes, dans le pays où ils sont commis. Nous ne sommes pas obligés de nous aligner systématiquement sur le moins-disant éthique ! La France a-t-elle ou non une responsabilité sur le plan international pour rappeler, avec la mesure et la modestie nécessaires, que certaines choses ne sont pas possibles, conventions ou pas ? Après tout, s’il faut aménager le droit international, faisons-le ! Laisser en l’état une pratique comme celle des mères porteuses, laisser perdurer les outils qui la permettent et n’envoyer aucun signal d’interdiction ni même de découragement, c’est donner une caution implicite au recours aux mères porteuses.

M. Philippe Gosselin. Bien sûr !

M. Jean-Frédéric Poisson. Si une telle situation satisfait le Gouvernement et sa majorité, quant à moi, elle ne peut pas me satisfaire !

Je comprends que vous soyez gênés, même si les motifs de cette gêne m’échappent. Je comprends que l’irruption de la question des mères porteuses dans le débat public, à l’occasion du texte sur le mariage pour tous, ait mêlé ces deux sujets au point que vous considériez comme brûlant de traiter avec toute la rigueur nécessaire l’interdiction de la GPA. Pourtant, comme cela l’a été dit, éclairé par un exemple saisissant de notre collègue Binet en commission, le sujet n’a rien à voir avec la question de l’homosexualité en tant que telle.

M. Erwann Binet. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous parlons bien de l’instrumentation d’une femme à des fins individuelles et, partant, d’une atteinte radicale, fondamentale et sans concession à la dignité humaine. Pouvons-nous accepter cela ? La réponse, de mon point de vue, est évidemment négative.

J’ai été un peu surpris, pour ne pas dire choqué, par l’exemple, donné par Erwann Binet en commission, de ce couple parti en Inde, qui a dû aménager ses conditions de vie personnelle pour pouvoir y rester un an.

M. Philippe Gosselin. On va les plaindre parce qu’ils ont passé un an là-bas !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le désir et la douleur des couples sont indicibles et personne ne peut s’en faire ni le juge. Cela étant, le fait que l’on éprouve du mal à accomplir un acte fondamentalement contraire à la dignité humaine ne le rend ni bon, ni juste, ni justifiable pour autant. À la fin du compte, vous êtes encore, monsieur le secrétaire d’État, dans la même logique que d’habitude : afin de satisfaire les droits de quelques-uns, vous vous apprêtez à remettre en cause une part importante de l’ordre symbolique du droit en refusant de réagir fermement contre des attaques de principe portées, par la pratique, à ce qui est au fondement même de notre droit et du droit des personnes.

Pour ces raisons, j’apporterai avec joie mon soutien à la proposition de loi de notre collègue Leonetti. Je lui ai tout de même fait savoir que je proposerai dans un amendement de retirer, pour la sanction, la précision sur le caractère onéreux de l’acte, car, de mon point de vue, considérer quelqu’un comme un instrument, à titre onéreux ou non, constitue une atteinte extrêmement grave à la dignité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Bien sûr.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin.

M. Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UDI a décidé à l’unanimité de soutenir la proposition de loi de notre collègue Leonetti, que nous remercions pour avoir mis ce sujet en débat.

Il y a deux manières de l’aborder : comme un sujet politique, de responsabilité et d’éthique, un sujet lié au principe fondamental de la dignité humaine ; ou sous un angle juridique, en renvoyant à des conventions, à des articles, à des attentes, à des lois plus générales ou à toute une série de dispositions. Choisir la manière de l’aborder, c’est de fait choisir de traiter ou de ne pas traiter le sujet. Notre responsabilité de législateur n’est pas de s’arrêter simplement à la porte de ce qui est dans l’air du temps, mais de s’attaquer aux sources d’un problème tel que celui-là.

Ce sujet prospère dans le monde, dans un marché que les acteurs de l’internet se sont approprié. Devons-nous rester impuissants face à ce marché et, devant la complexité de la situation, que vous avez soulignée, monsieur le secrétaire d’État, en rappelant la difficulté qu’il y aurait à prendre certaines dispositions, devons-nous nous coucher et nous dire que c’est trop compliqué et donc impossible ? Les valeurs et l’héritage de notre pays ne nous incitent-ils pas à défendre l’idée que l’on ne peut pas tolérer la marchandisation du corps humain ?

La question fondamentale est, en fait, celle que se posera demain l’enfant né d’une GPA : qui sont mes parents ? De fait, qui sont-ils ? Est-ce que c’est la mère porteuse, qui peut se revendiquer mère de l’enfant ? Est-ce que ce sont les parents qui ont acheté un enfant sur un marché, en négociant un prix, et qui disent aujourd’hui que, parce qu’ils l’ont acheté, ils peuvent revendiquer le fait d’en être les propriétaires ? Est-ce que c’est la transcription dans l’état civil français qui vaut reconnaissance de propriété ? Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la gravité de l’enjeu. Un enfant nous demande qui sont ses parents : nous n’avons pas le droit de tergiverser sur une telle question, ni d’être hésitants.

M. Daniel Fasquelle. Exactement !

M. Jean-Christophe Fromantin. « Qui sont mes parents ? », demandera cet enfant. Est-ce la mère qui m’a porté ? Est-ce que ce sont les parents qui m’ont acheté ? Est-ce que ce sont ceux que l’État français a reconnus par une transcription à l’état civil ? La question est grave et nous ne pouvons pas la contourner.

M. Daniel Fasquelle. Tout à fait !

M. Jean-Christophe Fromantin. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai eu la satisfaction d’entendre le Premier ministre donner des réponses apparemment fermes à toutes ces questions, en annonçant que la GPA serait interdite en France et en estimant qu’il s’agissait d’une pratique intolérable.

M. Daniel Fasquelle. Double langage !

M. Jean-Christophe Fromantin. Les mots étaient forts, mais où sont les actes ?

« Les enfants ne sont pas responsables de la situation dans laquelle ils se trouvent, poursuivait le Premier ministre. Il y a donc trois questions qui se posent : celle de leur protection, celle de leur droit à hériter, celle de leur nationalité. » Et le Premier ministre de trancher : « Ces questions sont trop graves pour être envisagées dans l’urgence ». Mais ce n’est pas une réponse !

Bien sûr, nous devons veiller à l’intérêt de l’enfant ; mais si l’on ne fait rien, cela ne va-t-il pas se retourner contre lui ? On prend les choses à l’envers, on ne veut pas les regarder en face ; est-ce avoir le sens des responsabilités que mettre en avant les difficultés pour s’affranchir de toute décision ?

Le Premier ministre estime qu’il faut nous laisser le temps de la réflexion, dans l’intérêt des enfants et des familles. Mais de quelle famille parle-t-on ? Celle dont la mère a porté un enfant ou celle qui a acheté l’enfant sur un site internet ? Le fait que l’on n’arrive pas à répondre à cette simple question montre bien la confusion qui règne !

« En tout état de cause, ajoutait le Premier ministre, le Gouvernement exclut totalement d’autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA. J’ajoute qu’il est incohérent de désigner comme parents des personnes ayant eu recours à une technique clairement prohibée… tout en affirmant qu’ils sont responsables de l’éducation des enfants, c’est-à-dire chargés de la transmission de nos droits et de nos devoirs. »

M. Xavier Breton. Très bien !

M. Jean-Christophe Fromantin. Très bien, en effet : c’est bien de souligner cette incohérence. Nous ne pouvons qu’être d’accord : ce que le Premier ministre a dit, chacun d’entre nous pourrait le dire. Mais pourquoi ne met-il pas lui-même en cohérence ses paroles et ses actes ? Qu’il assume ces mots si importants !

Tous les jours, dans cet hémicycle, on débat et légifère durant des heures sur des sujets bien plus futiles.

M. Philippe Gosselin. Oh, que oui !

M. Jean-Christophe Fromantin. Or sur un sujet aussi fondamental que dire clairement à un enfant qui sont ses parents, on n’est pas capable de débattre et de légiférer, et l’on fuit ses responsabilités, en renvoyant à des conventions, des lois, des textes ou je ne sais quoi encore !

Mme Arlette Grosskost. Quel manque de courage !

M. Jean-Christophe Fromantin. Mais où est donc notre sens des responsabilités, chers collègues ?

On pourrait épiloguer, il reste que c’est une question qui se pose directement à nos consciences. Et notre collègue Leonetti a eu bien raison de remettre l’ouvrage sur le métier et de nous interpeller sur les dispositions à prendre !

Pour notre part, au groupe UDI, nous sommes favorables à ce texte et nous le soutiendrons.

M. Daniel Fasquelle. Très bien !

M. Jean-Christophe Fromantin. Nous regrettons qu’une motion de rejet ait été déposée.

M. Philippe Gosselin. Ah ça, c’est révélateur !

M. Daniel Fasquelle. On escamote le débat !

M. Jean-Christophe Fromantin. Une telle motion va d’ailleurs à l’encontre du principe même des niches parlementaires, qui est d’ouvrir un débat. Avec la motion de rejet, on dit : « Circulez, y’a rien à voir, le sujet n’est pas important ! »

Hélas, je crains que cette motion ne soit adoptée !

M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Ça, c’est sûr !

M. Jean-Christophe Fromantin. C’est une manière de fuir le débat.

M. Philippe Gosselin. Une fuite en avant !

M. Daniel Fasquelle. Tout cela n’est que double langage et hypocrisie !

M. Jean-Christophe Fromantin. C’est en tout cas le choix de la facilité, alors que la complexité nous interpelle. Ne serait-il pas tout à notre honneur, chers collègues, d’affronter la complexité à travers un texte comme celui-ci ?

La réponse pénale nous semble nécessaire, et c’est pourquoi, chers collègues de l’UMP, le groupe UDI vous soutiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Philippe Gosselin. Merci !

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau.

Mme Véronique Massonneau. Et maintenant, la GPA !

Il n’existe aucun projet gouvernemental visant à reconnaître la gestation pour autrui ; le Président de la République a réaffirmé qu’au cours de son mandat, il n’en serait rien ; aucune étude, aucune statistique n’indique une quelconque augmentation du recours à la GPA. Et pourtant, une partie de la classe politique a choisi de faire de ce phénomène social, dont l’acronyme était inconnu de nos concitoyens il y a quelques mois encore, un sujet central, justifiant des manifestations de rue et, aujourd’hui, le dépôt d’une proposition de loi.

M. Philippe Gosselin. Eh oui : c’est de la responsabilité du Parlement !

Mme Véronique Massonneau. Avant d’en venir au contenu de ce texte, permettez-moi de dire quelques mots des raisons de la mise à l’agenda politique d’une question jusqu’ici peu médiatisée.

M. Philippe Gosselin. Cela fait plus de deux ans qu’on en parle !

M. Xavier Breton. Et ce n’est pas sa médiatisation qui fait l’importance d’un sujet !

Mme Véronique Massonneau. Peu médiatisée, mais pas pour autant ignorée… Revenons quelques années en arrière : en 2008, une pétition nationale en faveur de la GPA recueillait des milliers de signatures, dont celles d’élus de tous bords, parmi lesquels certains collègues siégeant actuellement sur les bancs de la gauche.

La même année, une mission d’information parlementaire menée par trois sénateurs – une socialiste, un UMP et un centriste – se penchait sur la question.

M. Philippe Gosselin. Leur rapport n’engageait qu’eux !

Mme Véronique Massonneau. Évoquant une pratique vieille comme le monde, rappelant l’épisode de la Bible où Sarah, stérile, demande à Abraham de lui donner un enfant grâce à une servante,…

M. Jean Leonetti, rapporteur. La Bible serait donc devenue votre référence ?

M. Philippe Gosselin. Ici, ce n’est pas la Bible, mais la loi que nous écrivons !

Mme Véronique Massonneau. …constatant les difficultés juridiques et les problèmes éthiques liés au respect de la femme soulevés par les GPA pratiquées à l’étranger, nos collègues jugeaient dans leur rapport « préférable d’encadrer [la GPA] par la loi en France ».

S’agissait-il des divagations de quelques sénateurs en mal de publicité ou gagnés par la prétendue « idéologie consumériste post-soixante-huitarde » ?

M. Philippe Gosselin. Vraisemblablement – ou bien il s’agissait d’un moment d’égarement !

Mme Véronique Massonneau. Il faut croire que non, puisqu’en 2010, le groupe socialiste au Sénat déposait une proposition de loi visant à autoriser la GPA.

S’agissait-il cette fois de l’expression d’une minorité issue de la « gauche bien-pensante » ? Non plus, puisque des sénateurs UMP indiquèrent qu’ils soutiendraient cette proposition.

M. Philippe Gosselin. C’était bien un moment d’égarement !

Mme Véronique Massonneau. Mme Morano a déclaré en avril 2009 : « Je me suis clairement exprimée lorsque j’étais députée et membre de la mission parlementaire sur le droit de l’enfant et de la famille : je suis favorable à la légalisation de la gestation pour autrui, très encadrée, dans une démarche altruiste et non marchande ».

M. Xavier Breton. C’est l’exception qui confirme la règle !

M. Philippe Gosselin. Voulez-vous qu’on vous rappelle les prises de position de Lionel Jospin, Sylviane Agacinski, Yvette Roudy, Nicole Notat ou Jacques Delors ?

Mme Véronique Massonneau. Comment donc expliquer que la pratique de la GPA, qui soulève des questions éthiques et sociales ne pouvant accepter de réponses abruptes ou simplistes, soit devenue un tel tabou ? Comment expliquer qu’aujourd’hui, la majorité des grandes familles politiques de notre pays la considèrent par principe comme inacceptable et que vous ressentiez le besoin de déposer cette proposition de loi ?

Mes chers collègues, ne soyons pas dupes ; les propositions de légalisation ou d’encadrement de la GPA formulées, y compris à droite, avant la loi sur le mariage pour tous avaient un point commun : se fondant sur les règles alors en vigueur en matière de mariage et d’adoption, elles concernaient exclusivement des couples hétérosexuels. C’est parce que le mariage pour tous a reconnu les familles homoparentales que la question est devenue scandaleuse pour une frange de l’opinion – à laquelle vous emboîtez le pas. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

M. Jean Leonetti, rapporteur. Pas du tout !

M. Philippe Gosselin. Vous mélangez tout !

M. Xavier Breton. Relisez les comptes rendus des débats sur les lois relatives à la bioéthique !

Mme Véronique Massonneau. Les questions que vous feignez de soulever pour en faire des objections absolues, voire des préalables à toute discussion sur la GPA, sont, encore une fois, de vraies questions, qui mériteraient discussion. Mais qu’il s’agisse de la marchandisation, du droit des femmes ou du droit de l’enfant à connaître ses origines, toutes ces questions se posaient déjà hier !

Du reste, la présente proposition de loi ne peut pas ne pas être mise en relation avec d’autres, elles aussi déposées par des membres du groupe de l’UMP ; je pense en particulier à la proposition de loi de notre collègue Fasquelle, qui ne propose rien de moins que d’enlever du mariage, pour les couples de même sexe, toute référence à la filiation et de criminaliser les PMA réalisées à l’étranger par des couples de femmes.

Ce qui motive ces propositions, ce n’est pas la GPA ni la PMA – procréation médicale assistée – en soi, ni même le droit des enfants à voir reconnues leurs origines biologiques – ces questions se posent tout autant dans les familles hétéroparentales.

M. Philippe Gosselin. En effet !

Mme Véronique Massonneau. Non, ce qui motive ces propositions, c’est le refus de reconnaître la réalité des familles homoparentales !

M. Xavier Breton. C’est faux ! Cela fait longtemps que nous sommes contre la GPA !

Mme Véronique Massonneau. Pour parvenir à vos fins, vous proposez dans ce texte, comme d’ailleurs dans celui de votre collègue Fasquelle, la pire des solutions, la pire des armes : une sanction pénale aggravée et une peine d’emprisonnement allongée pour les parents ayant eu recours à une gestation pour autrui.

M. Philippe Gosselin. Eh oui : il faut bien punir pour dissuader !

Mme Véronique Massonneau. Ces peines existent déjà, mais elles ne sont pas appliquées.

M. Philippe Gosselin. C’est bien là le problème !

Mme Véronique Massonneau. Et pour cause : qui pourrait légitimement et sincèrement affirmer que, dans l’intérêt de l’enfant – c’est l’argument qui est avancé –, la société doit mettre ses parents en prison ? Cette réponse pénale, qui ne marche pas, vous nous proposez de la doubler ; ce serait tout aussi inefficace !

M. Philippe Gosselin. Que le Gouvernement fasse des propositions ! Et vous aussi !

Mme Véronique Massonneau. Laissez-moi vous donner ma conviction, une conviction qui n’est pas simplement assise sur des valeurs personnelles ou un système de croyances – chacun en a, et c’est légitime dès lors que cela n’obstrue pas notre faculté de jugement. Cette conviction puise ses racines dans notre droit, et plus précisément dans les droits de l’enfant et de la famille tels qu’ils sont définis par les conventions internationales que notre pays s’est engagé à respecter.

Aucune mesure destinée à combattre la GPA ou les PMA réalisées à l’étranger dans des conditions non prévues par notre code de santé publique n’est possible dès lors qu’elle remet en cause le droit des enfants concernés, parce que nul enfant ne peut être tenu responsable des conditions dans lesquelles il a été conçu.

C’est pourquoi la France a eu raison de ne pas tenter de contester la décision de la Cour européenne des droits de l’homme,…

M. Philippe Gosselin. C’était un aveu de faiblesse !

Mme Véronique Massonneau. …qui se borne à reconnaître et réaffirmer la primauté de l’égalité de traitement entre les enfants, en refusant de faire des enfants nés par GPA les victimes sur le plan administratif ou légal d’un choix auquel ils sont étrangers.

M. Philippe Gosselin. C’est trop facile !

M. Xavier Breton. Vous prenez les enfants en otage !

Mme Véronique Massonneau. C’est pourquoi la garde des sceaux a eu raison de publier une circulaire enjoignant ses services à reconnaître et transcrire les actes de nationalité des enfants concernés.

M. Philippe Gosselin. C’était un aveu du Gouvernement !

Mme Véronique Massonneau. Et c’est pourquoi il faut refuser la présente proposition de loi, qui aurait pour conséquence, non seulement de priver des parents de leur liberté, mais surtout de priver des enfants de la présence de leurs parents, pour des faits liés à leur propre existence.

Quelles que soient les positions exprimées dans mon groupe politique, qui vont d’une grande prudence, pour ne pas dire une opposition à la GPA, à la volonté d’en encadrer la pratique, deux principes font l’unanimité parmi nous.

Le premier est qu’en aucun cas nous ne saurions, par nos votes ou nos prises de position, contribuer à rendre des enfants apatrides ou étrangers au pays de leur famille, ou faire en sorte que des enfants soient privés de la présence de leurs parents.

M. Jean Leonetti, rapporteur. N’importe quoi !

M. Philippe Gosselin. Ce ne sont pas des « fantômes de la République » !

Mme Véronique Massonneau. Le second principe est qu’il n’est jamais sain de refuser d’engager une réflexion,…

M. Philippe Gosselin. Alors ne votez pas la motion de rejet !

Mme Véronique Massonneau. …même si l’on prend la précaution de préciser qu’elle n’a pas vocation à aboutir, à court terme, à une modification législative.

M. Xavier Breton. Quid du principe de dignité humaine ?

Mme Véronique Massonneau. La force des projets parentaux fait que tous les moyens sont envisagés par le couple qui forme un tel projet et ne peut, quelle qu’en soit la raison, le concrétiser. Nous ne pouvons pas refuser cette réalité et affirmer de grands principes tout en sachant pertinemment que les faits sociaux et le capital financier ou relationnel permettront de contourner ces derniers. Dès lors, ouvrons le débat, sans anathème, mais également sans arrière-pensée.

Ouvrons la porte, non pas à la légalisation de la GPA, mais au débat sur la GPA – car c’est aussi à cela que doivent servir les parlementaires. Or ce que vous nous proposez aujourd’hui, c’est de claquer la porte au débat, tout en sachant pertinemment que cela ne changera rien à la réalité.

M. Xavier Breton. Ah bon ? Et qui a déposé une motion de rejet ?

Mme Véronique Massonneau. Parce que nous refusons de fragiliser les familles concernées – qui suivent nos débats – et parce que, par principe, nous pensons que le débat est préférable à l’affirmation de grands principes inapplicables et détournés, nous déposerons des amendements de suppression des articles de votre proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Xavier Breton. Quelle logique !

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Suite de la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les démarches engagées par des Français pour obtenir une gestation pour autrui ;

Discussion de la proposition de loi visant à déchoir de la nationalité française tout individu portant les armes contre les forces armées françaises et de police.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly