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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2014-2015

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 07 mai 2015

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Dette souveraine des États de la zone euro

Discussion d’une proposition de résolution européenne

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution européenne de M. Nicolas Sansu et plusieurs de ses collègues relative à la dette souveraine des États de la zone euro (nos 2689, 2723, 2738).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, 2 000 milliards d’euros, c’est le montant du stock de la dette de la France, mais c’est aussi l’ordre de grandeur du patrimoine mobilier et immobilier des 1 % les plus riches de notre pays.

Si je souhaite rapprocher ces deux nombres, c’est que je pense que la corrélation de leur progression est loin d’être un hasard. La dette, l’endettement, la structure et l’objet de la dette sont intimement liés aux politiques économiques, monétaires et budgétaires qui sont menées. C’est donc un sujet éminemment politique, qui ne peut être approché par le seul prisme financier.

Or l’explosion de la dette souveraine dans les États de la zone euro est concomitante à la montée en puissance des dogmes néolibéraux, des recettes conservatrices, qui ont eu pour conséquence un accroissement massif des inégalités. La dette est un instrument puissant pour imposer des contre-réformes sur le marché du travail, la protection sociale, le service public. Une note fameuse du FMI, du 22 novembre 2010, l’expliquait sans ambages, et la dette fonctionne comme un « épouvantail idéologique », selon le bon mot de Benjamin Lemoine dans sa thèse citée dans le rapport.

C’est au nom de cette dette que les espoirs d’un gouvernement qui s’attaque au fameux ennemi sans nom, sans visage, la finance, se sont éteints.

C’est au nom de cette dette que la politique exclusive de l’offre a été mise en œuvre dans notre pays, le crédit d’impôt compétitivité emploi – CICE – venant suppléer une TVA sociale par un changement de pied effectué en moins de six mois.

C’est au nom de cette dette que les collectivités territoriales, les hôpitaux, la protection sociale, l’État sont appelés à opérer des coupes drastiques dans des politiques publiques, avec des conséquences sur l’emploi, une dégradation de l’accès aux soins ou une diminution des initiatives culturelles.

C’est au nom de cette dette que nos voisins européens de  Grèce, d’Espagne, du Portugal, d’Irlande se sont vu imposer un régime d’austérité aussi dangereux pour les droits humains qu’inefficace pour l’économie.

C’est parce que nous refusons la culpabilisation permanente, orchestrée par une petite caste de privilégiés, que les députés du Front de gauche et du groupe GDR ont décidé de déposer cette proposition de résolution européenne afin que le débat ait lieu et que la paresse de la pensée unique n’entoure pas cette question de la dette.

Ce faisant, nous partageons et appuyons la volonté du Parlement grec et du gouvernement Tsìpras de mettre sur pied une commission de la vérité de la dette publique grecque, tout comme nous partageons et appuyons la démarche et les travaux du collectif pour un audit citoyen de la dette française, véritable outil d’éducation populaire contre la bien-pensance.

Notre proposition de résolution pour sortir du piège de la dette décline six grands axes.

Le premier, c’est l’invitation à la tenue d’une grande conférence européenne sur la dette appuyant la volonté exprimée par la Grèce et son Parlement. Il s’agirait là de dresser un état des lieux des facteurs de constitution de la dette.

Dans le rapport, sont décrites les origines de la dette contemporaine de la France, dont les ressorts sont identiques dans nombre de pays européens. Dans les années 1980-1990, les taux d’intérêt excessifs des titres de la dette publique ont eu ce que l’on appelle un effet boule de neige. Dans les années 2000, sous l’effet des politiques néolibérales triomphantes, on a assisté à un véritable désarmement fiscal, avec une diminution des prélèvements sur les plus aisés excellemment mise en lumière par le rapport Cotis-Champsaur ou celui de Gilles Carrez en 2010. C’est ce qui explique que la dette et le patrimoine des plus riches, les fameux 1 %, aient progressé de manière concomitante. À partir de la crise de 2007-2008, la dette a connu un nouveau pic sous l’effet de la prise en charge par les déficits publics soit des dettes privées, notamment pour les pays englués dans le mécanisme des subprimes, soit des plans de soutien à une activité déprimée, notamment par la fragilisation des banques.

En tout état de cause, cette grande conférence européenne sur la dette permettrait d’avancer sur le principe d’une mutualisation mais aussi d’une éventuelle restructuration ou annulation partielle de la dette.

Il fut un temps, pas si lointain puisque c’était en 2011, où le FMI, dans une note éphémère, qui a disparu en moins d’une semaine, avait préconisé de ponctionner 10 % de tous les patrimoines pour alléger les stocks de dette publique. Ce n’est pas l’option que nous proposons car elle toucherait les détenteurs aussi bien de petits patrimoines que de gros patrimoines, mais pourquoi ne pas imaginer un prélèvement exceptionnel sur les très gros patrimoines pour alléger la charge supportée par tous ? Ce ne serait que justice face à l’explosion des inégalités de patrimoine, comme en atteste par exemple la progression reconnue de 20 % des 500 plus grandes fortunes françaises en 2014.

Une telle conférence européenne, associant gouvernements des États de la zone euro, institutions et citoyens par le biais de collectifs tel que celui sur l’audit citoyen de la dette, serait de nature à démystifier la dette, en mettant la lumière non seulement sur le stock, que l’on appelle la dette brute, mais aussi sur les actifs de l’État et des collectivités publiques. Ainsi, il serait aisé de montrer la fausseté du raisonnement qui consiste à dire que chaque enfant naît avec 30 800 euros de dette à porter comme un fardeau, car, dans le même temps, celui-ci est allégé par les 37 000 euros d’actifs publics qui lui sont attachés.

Le deuxième axe de cette proposition de résolution s’attache à améliorer la transparence des détenteurs finaux de la dette. Un échange, succinct, avec l’agence France Trésor – merci, monsieur le secrétaire d’État, de l’avoir permis – m’a conforté dans l’idée qu’il fallait exiger une information plus claire sur nos créanciers. Sous forme de boutade – mais en était-ce une ? – j’ai interrogé l’AFT pour savoir qui des princes qataris ou du parti communiste chinois était le créancier principal. Nous avons besoin d’une véritable traçabilité des titres de dette publique, et pourquoi pas d’une sorte de cadastre de la dette. Ce sujet devrait connaître un prolongement en 2016 par le biais d’un travail spécifique dans le cadre de la Mission d’évaluation et de contrôle de notre assemblée, ce dont je me réjouis.

Le troisième axe vise à soustraire pour partie la dette publique à la tutelle des marchés financiers. L’explosion de la dette a été concomitante avec la fin du plancher du Trésor et de ce que l’on appelait le circuit du Trésor. Par touches successives dès l’après-guerre et jusque dans le milieu des années 70, nous sommes sortis du système de réserves obligatoires. Lors de son audition, Henri Sterdyniak, directeur du département Économie de l’OFCE, nous a indiqué qu’il serait tout à fait judicieux de créer un titre assis sur les principes de l’épargne réglementée, une sorte d’emprunt européen afin de lancer de grands travaux d’avenir.

Il est, en effet, plus qu’urgent d’abonder un fonds social et de transition écologique permettant un programme d’investissements publics européens, comprenant la réalisation d’infrastructures de transports dans le ferroviaire ou les voies navigables, la rénovation énergétique du patrimoine bâti et un plan de développement des énergies renouvelables. C’est ainsi que, dans le cadre d’une activité créatrice d’emplois et économe en ressources naturelles, nous réussirons la nécessaire transition écologique. Ce fonds, fondé sur un endettement utile et contrôlé, pourrait être une proposition concrète de la France pour la conférence climat à venir.

Le quatrième axe consiste à désensibiliser notre économie du court-termisme des marchés financiers. À chaque crise, nos gouvernants multiplient les déclarations plus rassurantes et péremptoires les unes que les autres, qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy en son temps ou du Président Hollande, qui devait réaliser une véritable séparation bancaire et défendre le projet d’une taxe sur les transactions financières pour contrer la folie des marchés.

Force est de constater que pour l’instant, les lobbies bancaires et financiers ont gagné. Le risque est pourtant très présent, avec une hypertrophie du secteur financier représentant plus de trois fois et demie le produit intérieur brut de l’Union, atteignant 43 000 milliards d’euros, sans parler des risques inhérents au système bancaire parallèle, le shadow banking system, qui reste peu et mal régulé, en dépit des annonces et rapports qui fleurissent aussi bien au Parlement européen que dans les parlements nationaux. Nous sommes très loin des efforts nécessaires en matière de régulation et de dissuasion, monsieur le secrétaire d’État.

Le cinquième axe de notre proposition de résolution aurait pu faire l’objet d’une proposition de résolution à lui seul puisqu’il s’agit de provoquer un débat sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne et ses effets sur l’économie réelle. L’ordo-libéralisme de la BCE, avec comme seul horizon la lutte contre l’inflation, a vécu. Le choix de la politique d’assouplissement quantitatif, s’il soulage certains États dans le refinancement de leur dette et apporte des liquidités pour le rachat de titres privés, est tout de même assorti de conditions très drastiques.

Ces conditions sont d’ailleurs très dures pour la Grèce, et la nouvelle doctrine de la Banque centrale européenne ne lâche rien quant à l’austérité exigée. Cette nouvelle doctrine, qui se traduira par le rachat de 60 milliards d’euros de titres publics et privés par mois pendant dix-huit mois, oublie la dimension redistributive de la politique monétaire, en lien avec la politique budgétaire. Et je ne parle pas ici des conditions d’exercice de cette nouvelle doctrine, lequel exigerait un contrôle démocratique renforcé et une modification des traités, avec, à notre sens, un véritable pilotage politique assumé de la Banque centrale européenne.

Soulignons également à l’intention des chantres des marchés financiers qui se pâment devant le bas niveau des taux d’intérêt actuels que cette situation ne saurait durer et que le retour au réel risque d’être douloureux, comme le pensent certains experts. Même le ministre Michel Sapin l’a affirmé en commission il y a peu. Ne sous-estimons pas non plus la constitution de bulles spéculatives extrêmement préoccupantes. Les valeurs des entreprises du CAC 40 ont pris près de 20 % en trois mois. Vous conviendrez que cela est déconnecté de la réalité économique.

Le dernier axe de la proposition que j’ai l’honneur de vous présenter invite le Gouvernement à agir pour faire cesser les politiques d’austérité en Europe.

Je le disais au début de mon propos, au nom de la dette, des politiques récessives, parfois très dures, ont été imposées aux différents peuples d’Europe. En Grèce, ce sont des retraites amputées de 25 %, en Espagne, des drames autour de propriétés immobilières saisies, en Allemagne, des emplois sous-payés, en France, c’est par exemple la perte de 8 % du pouvoir d’achat des fonctionnaires du fait du gel du point d’indice.

Toutes ces politiques, plus ou moins dures, j’en conviens, ont été menées prétendument pour ne pas dépendre des marchés financiers. C’est l’argument de la peur qui a été brandi, avec la dictature des agences de notation. Et pour quel résultat, au final ? Les inégalités ont explosé, un chômage endémique a continué de sévir et la dette n’a cessé de croître. En clair, nous avons le tiercé dans l’ordre, mais le tiercé de l’échec ! C’est pour cela que les députés du Front de gauche soutiennent ardemment le gouvernement et le peuple grecs dans la recherche de solutions alternatives.

Dans notre pays, il est urgent d’engager une vraie réforme fiscale, une vraie bataille européenne contre l’évasion et la fraude fiscales, bataille d’autant plus difficile que le président de la Commission européenne a été l’un des hommes-orchestres de l’évasion fiscale à grande échelle vers le Luxembourg. N’est pas Vidocq qui veut !

Mes chers collègues, par cette proposition de résolution européenne sur la dette souveraine des États de la zone euro, avec les députés du Front de gauche et les quatorze signataires du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous souhaitons lancer le débat pour sortir du piège de la dette, de cette antienne consistant à expliquer que la dette est due exclusivement à l’excès de dépenses sociales et publiques. Cette liturgie, nous ne la goûtons guère, car, s’il est légitime de s’astreindre à une gestion rigoureuse des deniers publics, il est insupportable que l’argument de la dette, dette pour une part illégitime, serve de paravent aux contre-réformes conservatrices. Le risque est grand, par cette pensée unique, de jeter les peuples européens les uns contre les autres, de faire grandir les haines et les divisions pendant qu’une petite caste fait bombance.

Non, il n’y a pas qu’une seule politique possible. Non, il n’y a pas qu’une seule manière de résoudre la question de la dette. C’est l’objet de cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, la proposition de résolution que vous examinez ce matin pose une question qui nous revient à intervalles réguliers, généralement au moment des lois de finances. Cette question, les membres de la commission des finances la connaissent bien, c’est celle de la dette publique et des moyens d’y faire face.

Ce texte est riche et vaste et, comme nous avons eu hier un débat sur le projet économique et social européen de la France, je concentrerai mon intervention sur la question, purement budgétaire, de notre dette publique.

À cette question centrale pour nos concitoyens, Nicolas Sansu et le groupe GDR apportent une réponse dont je reconnais qu’elle est construite et réfléchie mais que le Gouvernement ne partage pas, et je voudrais en expliquer les raisons.

Il existe une multitude de facteurs qui expliquent le niveau actuel de notre dette publique. Il y a la crise financière de 2008 et les décisions d’allégement des prélèvements prises pendant des décennies, comme le rapporteur vient de l’exposer, mais ce ne sont pas les seules causes.

Je pourrais ainsi évoquer les récessions précédentes, en particulier celle de 1993 qui a conduit la dette publique au-delà de 60 % du PIB, ou encore notre penchant à vouloir régler tous nos problèmes par de l’argent public. En effet, le niveau élevé de notre dette publique n’a pas été atteint du jour au lendemain : il résulte de l’accumulation des déficits pendant plus de trente ans. C’est un phénomène de long terme qu’il nous faut aujourd’hui enrayer, et le Gouvernement s’y emploie.

Une cause profonde et durable explique cette hausse continue. Elle est à rechercher dans notre manière de penser parce que dans notre pays, quels que soient les gouvernements et les majorités, dès qu’un problème se pose et que l’État doit agir, notre premier réflexe est de dépenser de l’argent public. Augmenter une dépense ou diminuer un prélèvement peut parfois être une solution, mais ce n’est pas une solution miracle. Au contraire même, croire que l’on peut résoudre tous nos problèmes avec de l’argent public revient à nous mentir collectivement, et en raisonnant ainsi, non seulement nous nous mentons, mais de surcroît nous n’apportons pas de solution. Bien souvent, les problèmes sont complexes et ne peuvent être résolus par des réponses simplistes. Il est donc vain de rejeter nos difficultés budgétaires sur l’Union européenne, sur les marchés financiers ou sur nos créanciers étrangers car elles résultent de nos décisions antérieures.

J’en viens aux solutions. Nous sommes habitués aux débats techniques des lois de finances, mais aujourd’hui, je voudrais exprimer plusieurs réflexions dans ce débat éminemment politique.

L’essentiel est de savoir quelle société nous voulons et sur quelles valeurs nous voulons la fonder. Une fois qu’on le sait, on connaît alors la réponse à la question de la dette. Ainsi, le Gouvernement et la majorité veulent une société plus juste, plus égalitaire, une société prospère dans laquelle chacun puisse trouver un travail et en vivre. Cela posé, les solutions sont claires : chacun doit contribuer à l’effort en fonction de ses moyens. C’est pourquoi nous avons demandé une contribution plus importante aux ménages les plus aisés, à travers, par exemple, le rétablissement de l’ISF et l’imposition des revenus du capital à hauteur de celle des revenus du travail. Et parce que nous voulons une société dans laquelle chacun puisse travailler et vivre des fruits de son travail, nous avons mené de front l’assainissement des comptes publics et une politique de soutien sans précédent à l’emploi. Car ce sont les travailleurs modestes, peu qualifiés, qui pâtissent les premiers du chômage, et lorsque nous dégageons des moyens pour l’emploi, lorsque nous mettons en œuvre le pacte de responsabilité et de solidarité ou encore la nouvelle prime d’activité, ce sont les ouvriers, les employés, tous les travailleurs modestes que nous aidons.

Nous avons aujourd’hui un problème à régler : celui de notre endettement. Depuis 2012, nous avons fait plusieurs pas en avant : au niveau européen, il y a eu l’instauration du Mécanisme européen de stabilité et, demain, la taxe sur les transactions financières européennes permettra de réguler les échanges financiers spéculatifs ; au niveau national, nous avons obtenu des résultats puisque le déficit diminue régulièrement, passant de 7,1 % en 2011 à 4 % l’an dernier, et la dette sera stabilisée en 2016 avant de diminuer en 2017.

Le Gouvernement mène cette tâche d’assainissement de nos comptes avec constance et sérieux. Il a défini un rythme de réduction du déficit, et il s’y tient car il estime que c’est le bon, ni trop lent, ni trop rapide. Nous menons aussi cette tâche en étant fidèles à nos valeurs et à nos priorités : nous maîtrisons la dépense publique à un niveau historiquement bas mais, dans le même temps, nous prenons des mesures concrètes pour améliorer la vie des Français, particulièrement des plus modestes. Ainsi, depuis 2012, nous avons permis à ceux qui ont commencé à travailler tôt de partir en retraite plus tôt, augmenté les minima sociaux et les bourses étudiantes, revalorisé le minimum vieillesse et, dans la dernière loi de finances, allégé l’impôt des classes moyennes et des ménages modestes puisque avec la suppression de la première tranche du barème, neuf millions de ménages bénéficieront d’un allégement de 3,2 milliards d’euros. En 2016, nous renforcerons notre soutien aux travailleurs les plus modestes, aux ouvriers et aux employés, à ceux qui travaillent à temps partiel, avec les 2 milliards d’euros mobilisés pour la prime pour l’emploi afin d’améliorer leurs conditions de vie.

Le rapporteur évoque dans son rapport une « sidération de la dette ». Il n’y a pourtant aucune sidération, mais un constat lucide sur le niveau de la dette, un chemin clair d’assainissement des comptes et une mise en œuvre progressive, au bon rythme parce qu’il faudra du temps pour apurer des déficits accumulés depuis trente ans.

Cette proposition de résolution soulève une bonne question, mais lui apporte une mauvaise réponse. C’est pourquoi le Gouvernement demande à l’Assemblée d’adopter les conclusions de la commission, ce qui conduira au rejet de la proposition de résolution.

M. Gaby Charroux. Je suis sidéré !

M. le président. La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que le bras de fer entre l’Eurogroupe et la Grèce alimente quotidiennement la chronique, et surtout que la situation économique et sociale ne cesse de se dégrader dans ce pays, berceau de la démocratie, pays dont la population se sent tous les jours un peu plus punie par l’Europe – tout comme d’ailleurs les Espagnols et les Portugais –, le débat sur le traitement des dettes souveraines au sein de la zone euro, suscité par la proposition de résolution européenne qui nous est aujourd’hui présentée, est nécessaire. Je dirais même qu’il est vital et pour nos populations, et pour notre union monétaire.

En effet, le gouvernement économique de l’Union européenne montre ses limites du fait des règles qui prévalent aujourd’hui au sein de la zone euro, en particulier l’obsession du plafond des 3 % de déficit public et des 60 % d’endettement public, règles qui sont, je le rappelle, dénuées de tout fondement, selon le FMI lui-même. Les politiques d’austérité qui en découlent conduisent l’économie européenne et les peuples européens dans le mur. Bien que la Commission européenne, présidée par Jean-Claude Juncker, ait affirmé vouloir infléchir les politiques économiques menées au sein de la zone euro et leur logique d’ensemble – il faut saluer à cet égard le plan Juncker, qui constitue un pas dans la bonne direction –, force est de constater que les grandes orientations de politique économique qu’elle a proposées en novembre dernier restent dans la droite ligne de celles de la commission précédente. Elles conservent en effet, parmi les objectifs principaux, celui de l’application du dogme de l’assainissement budgétaire.

On voit pourtant les dégâts causés par ces politiques au sein de la zone euro : taux de chômage de 11,5 % en moyenne, avec des pics à 24,4 % en Espagne et à 26,5 % en Grèce ; risque de pauvreté et d’exclusion sociale, qui a explosé depuis 2008 pour concerner jusqu’à plus de 25 % de la population aujourd’hui, avec des sommets dans les pays ayant fait l’objet des remèdes de cheval de la Troïka ; accroissement considérable des inégalités, le revenu des plus riches étant ainsi six fois supérieur à celui des plus pauvres au Portugal, en Grèce et en Espagne. Le constat est donc accablant. L’Europe de l’égalité n’est pas sur le chemin, c’est le moins que l’on puisse dire.

La solution pour sauver l’Europe de cette situation inacceptable n’est pas celle d’un repli nationaliste dont chacun sent aujourd’hui la menace. Elle doit au contraire résulter d’un approfondissement de la solidarité au sein de la zone euro et, plus largement, de l’Union. C’était d’ailleurs la logique même de la monnaie unique, qui impliquait une solidarité budgétaire plus étroite et des politiques économiques mieux coordonnées. Mais c’est ce manque de solidarité qui a constitué le défaut majeur originel de la monnaie unique. Aussi, je soutiens l’initiative d’une grande conférence européenne sur la dette. Elle doit permettre aux citoyens européens de se réapproprier le débat sur la dette et, plus globalement, sur la politique économique. Il est nécessaire d’appréhender la dette de manière nouvelle. Cessons en effet de considérer l’endettement comme toujours nuisible. En effet, c’est un moyen d’investir dans l’éducation, dans la recherche et dans la transition énergétique, transition si urgente à la veille de la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, la COP21. C’est un moyen d’investir dans l’avenir. Stoppons par ailleurs la défiance qui sévit au sein de la zone euro en fondant notre union monétaire sur une solidarité sans faille.

Cette solidarité doit en premier lieu s’exprimer à travers une approche différente des dettes publiques. La monnaie unique doit en effet trouver un prolongement dans la possibilité d’émettre de la dette en commun, ainsi que dans la création d’un Trésor européen pour financer des projets européens.

La monnaie unique doit également s’accompagner d’une autre manifestation de solidarité essentielle au sein de la zone euro : celle de la mutualisation progressive des dettes souveraines. On ne peut accepter la situation actuelle où certains pays bénéficient de l’éclatement des taux et de la fuite vers des marchés considérés comme des valeurs refuges, tirant ainsi parti des difficultés de leurs partenaires. Cela heurte le principe de solidarité sur lequel repose notre union. Il nous revient, au contraire, de procéder à une mutualisation des dettes souveraines. À cet effet, approfondissons le projet, lancé par les experts économiques allemands en 2011, d’un fonds de rédemption de la dette, grâce auquel la fraction des dettes supérieures à 60 % du PIB serait mutualisée et ferait l’objet d’une émission commune.

La solidarité au sein de la zone euro doit enfin s’exprimer au travers de la mise en place d’un budget commun, celui-ci étant à même de jouer un rôle contracyclique.

Sans nouvelle forme de solidarité, la zone euro risque de se disloquer et ses citoyens de perdre définitivement tout espoir dans le projet européen. À nous d’agir au plus vite pour sortir notre continent du marasme, renouer avec l’esprit d’union et une espérance partagée au service des peuples européens.

Les autres sujets abordés par cette proposition de résolution me paraissant différents, je vous propose, mes chers collègues, de nous abstenir sur l’ensemble du texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. François Asensi, premier orateur inscrit.

M. François Asensi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, pour les députés du Front de gauche, réduire la dépendance à cette dette érigée en mythe est la mère des batailles. C’est un enjeu majeur pour que notre pays recouvre sa souveraineté face aux marchés financiers, une question vitale pour que les peuples européens retrouvent enfin la voie du progrès social.

À travers cette proposition de résolution européenne et l’excellent rapport de mon collègue Nicolas Sansu, les députés du Front de gauche veulent briser certains tabous et contribuer activement à une sortie de crise. Ils veulent aussi soutenir ainsi le peuple grec et son gouvernement dans leur combat courageux.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en dépit d’un affichage frénétique et anxiogène sur son essor, les pouvoirs publics européens ont dramatiquement échoué à réduire la dépendance à la dette. Les gouvernements conservateurs et socio-libéraux en avaient-ils véritablement la volonté ? La question mérite d’être posée. La dette a été imposée dans l’agenda médiatique et politique comme problème numéro un, éclipsant la lutte contre le chômage ou la pauvreté ! Elle est devenue une sorte de nouveau récit national, d’une désolante pauvreté, pour masquer l’absence de projet émancipateur pour les peuples européens.

Comme l’a parfaitement démontré notre rapporteur, l’endettement des États n’est ni un problème nouveau, ni une fatalité. Notre proposition de résolution européenne propose à cet égard plusieurs mesures fortes. Mais ce qui est nouveau, c’est le refus obstiné des dirigeants d’utiliser tous les outils efficaces pour sortir de cette spirale.

Au tournant des années 2000, en Europe, la question de la dette publique a quitté le rang du débat économique pour être érigée en mythe moral et politique. Au nom du remboursement de cette dette, des sacrifices terribles ont été infligés aux peuples européens. Ainsi, en Grèce, la Troïka a imposé huit plans d’austérité dévastateurs : la mortalité infantile a augmenté de 40 %, le chômage a été multiplié par quatre, et la pauvreté frappe un quart des Grecs tandis que la richesse nationale a chuté d’un quart. L’accès aux droits fondamentaux a été bafoué. Pour quel résultat ? La dette publique grecque s’est envolée.

Un tel aveuglement économique touche toute l’Europe, il n’épargne pas la France. Au nom de la dette, le gouvernement français a enfourché le cheval de l’austérité : les dotations aux collectivités territoriales sont amputées comme jamais, les moyens des services publics, des hôpitaux, des universités et de l’audiovisuel sont sabrés. Là encore, le résultat est désastreux : une croissance économique atone et un chômage qui dépasse désormais les cinq millions de personnes. On souhaite imposer dans toute l’Europe le modèle allemand, mais celui-ci est-il vraiment enviable ? C’est le modèle de la précarité généralisée, avec des millions de travailleurs pauvres, des jobs à un euro. Du fait de sa démographie déclinante, l’Allemagne a besoin de la dette et de la spéculation des fonds de pension pour faire vivre ses retraités. En réalité, l’Allemagne est un colosse aux pieds d’argile.

Contrairement au refrain fréquemment entonné, l’essor des dettes souveraines n’est en rien un accident de l’Histoire. Notre rapporteur a parfaitement démontré les mécanismes et les décisions qui ont, à partir de la fin des années 1970, progressivement placé les États sous le joug des marchés financiers. Les gouvernements successifs ont délibérément fait le choix d’accroître l’endettement auprès – et au profit – des marchés financiers, d’une part, en empruntant à des taux d’intérêt élevés, d’autre part, en s’asseyant sur de formidables recettes en faisant des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux plus riches.

L’essor des dettes publiques n’est donc pas un hasard. Il est devenu une stratégie pour imposer des régressions jamais vues sur notre continent. De même que le haut niveau de chômage permet d’imposer aux salariés le gel des salaires, le haut niveau de la dette publique permet d’imposer aux citoyens la réduction des prestations fournies par l’État providence.

Cette stratégie n’a rien de novateur : déjà dans les années 1990, le FMI l’avait expérimentée dans les pays en voie de développement. Grâce au chantage sur la dette, il avait imposé des potions ultralibérales à l’Afrique et à l’Amérique latine, anéantissant les économies locales, creusant les inégalités et démantelant des États encore chancelants. Ce qui est en revanche nouveau, c’est que l’Europe ait succombé aux mêmes sirènes et que la social-démocratie européenne, privée d’un projet de société alternatif, se soit ralliée à une politique de l’offre qui était jusqu’alors l’apanage des gouvernements les plus réactionnaires et droitiers, comme ceux de Thatcher ou de Reagan.

Enfin, si l’explosion de la dette publique a ses causes, elle a aussi ses bénéficiaires. Les banques ont réalisé le « casse du siècle », en se finançant à bas taux et en prêtant ensuite aux États à des taux très élevés. Selon le magazine américain The Banker, leurs profits ont battu un nouveau record en 2014, avec 920 milliards de dollars. L’oligarchie financière est gagnante sur tous les tableaux : elle encaisse les intérêts de la dette et augmente ses profits grâce aux politiques de déréglementation mises en œuvre au nom de la dette. Les plus riches ont tout intérêt au maintien d’un haut niveau de dette publique !

Partant de là, nous disons avec force que les peuples ne sont pas responsables de ce fardeau et qu’ils n’ont pas à en payer le prix. Une partie de la dette n’ayant aucunement servi à financer des politiques publiques au service des besoins élémentaires de la population, je souscris totalement à la notion de « dette illégitime ».

À travers la dette, c’est aujourd’hui la souveraineté des peuples qui est en jeu.

Au lieu de favoriser le recours direct à l’épargne des citoyens, abondante et garante de notre indépendance, les États sont devenus les otages des banques et autres fonds spéculatifs, ainsi que des agences de notations, qui peuvent à tout moment les mettre à genoux.

Grâce à ce meccano financier infernal, les ultralibéraux sont passés à l’offensive. La Troïka, instance illégitime et néocoloniale, a voulu mettre la Grèce sous tutelle. L’oligarchie financière souhaitait en faire le laboratoire des politiques néolibérales, fondées sur la privatisation de pans entiers des services publics, sur la liquidation de biens fondamentaux, bref, sur l’anéantissement du rôle de l’État. Aujourd’hui encore, « l’Europe allemande », pour reprendre le terme du sociologue Ulrich Beck, veut dicter son avenir au peuple grec, qui est désespéré de ne pouvoir compter sur l’appui du gouvernement français.

Dans toute l’Europe, les choix démocratiques sont contestés par un pouvoir bis, celui des marchés financiers, dont Bruxelles est le porte-étendard.

L’architecture institutionnelle européenne a gravé dans le marbre la perte de souveraineté des peuples en matière monétaire et en matière budgétaire. La Commission européenne, « chien de garde de l’austérité », surveille les budgets nationaux via le semestre européen, au point que le philosophe allemand Jürgen Habermas n’a pas hésité à parler d’une « Europe post-démocratique ».

En France, au moment du référendum constitutionnel de 2005, le choix souverain des électeurs a été foulé aux pieds par la droite. Hélas, par la suite, les dirigeants socialistes n’ont pas fait mieux ! Leur abstention lors du Congrès réuni à Versailles en 2008 a permis l’adoption du traité de Lisbonne, qui n’était qu’un succédané du précédent – et l’on sait ce qu’il est advenu de la promesse du candidat François Hollande de renégocier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance : elle est passée sous les fourches caudines d’Angela Merkel.

Mais si les gouvernements conservateurs et socio-libéraux se sont entendus pour faire perdre aux peuples leur souveraineté, leur bilan est désormais rejeté.

La face obscure de cette contestation, c’est bien évidement la montée des mouvements xénophobes et nationalistes en Europe. Les politiques ultralibérales l’ont largement nourrie, au point de menacer la paix et la cohésion européennes.

Sa face lumineuse, c’est la contestation qui a surgi dans la plupart des pays européens pour réclamer la fin de l’austérité. En Grèce, hier, avec nos amis de Syriza, demain peut-être, en Espagne, avec Podemos, le peuple réclame de reprendre en mains son destin. Il est temps d’écouter sa voix, notamment pour la gauche européenne.

Chers collègues, notre texte avance plusieurs propositions sur lesquelles une majorité de gauche devrait pouvoir se retrouver de manière à éviter un nouveau naufrage.

Oui, il faut convoquer en urgence une conférence européenne afin de restructurer les dettes publiques insoutenables. Lorsque nous affirmons que la dette grecque et d’autres dettes doivent être renégociées, restructurées et en partie effacées, comme cela s’est toujours fait par le passé, nous sommes du côté du réalisme économique. Dois-je rappeler que l’Allemagne a fait trois fois défaut au cours du XXsiècle ?

Oui, nous devons obtenir la transparence des détenteurs de la dette, car la France ne peut demeurer à la merci de fonds souverains.

Oui, il faut une taxation des transactions financières pour juguler la spéculation folle.

Oui, nous avons besoin d’une politique fiscale européenne redistributive et d’une véritable lutte contre l’évasion fiscale.

Oui, nous avons besoin d’une autre politique monétaire, au service du développement social, écologique et économique de l’Europe.

Contre ceux qui veulent faire croire que le capitalisme financier marquerait la fin de l’histoire, les députés du Front de gauche affirment qu’il existe une alternative, qui ne réclame que courage et lucidité. Écoutons enfin le message des peuples et avançons vers un new deal européen, un new deal monétaire, budgétaire et démocratique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, la présente proposition de résolution européenne embrasse très largement le sujet, et je trouve que c’est une bonne chose, car la question de la dette mérite assurément un débat. Je limiterai toutefois mon intervention à deux points.

La question européenne, d’abord. Parmi les facteurs qui expliquent la situation actuelle d’endettement des États membres et des pays de la zone euro, je pense qu’il faut retenir l’euro ; celui-ci a en effet favorisé, dans un certain nombre de pays, notamment ceux du sud de l’Europe, un fort endettement tant public que privé. Si cet endettement a permis d’améliorer de manière tout à fait sensible les conditions de vie des populations, il a aussi eu un effet pervers, puisqu’il a été à l’origine soit d’un surendettement public, soit de la constitution de bulles spéculatives, notamment immobilières, en particulier en Espagne. La crise venue, ces pays se sont trouvés en grande difficulté.

La proposition de résolution ne proposant pas une sortie de l’euro et s’inscrivant la perspective d’un maintien de la monnaie unique, la question est de savoir comment résoudre ces difficultés.

Il me semble que le contexte européen a quand même un peu changé ; je suis de ceux qui pensent que l’action du Président de la République n’est pas totalement étrangère à ce résultat. Je crois que le discours tenu par la France depuis 2012 a contribué à faire changer les choses, notamment en matière budgétaire : la croissance a désormais la priorité sur la réduction des déficits, y compris à l ’échelon européen ; peut-être faudrait-il aller encore plus loin, mais cette orientation me semble la bonne. Durant la crise qu’a connue la zone euro, la Banque centrale européenne, dont beaucoup avaient critiqué l’autonomie, l’indépendance et le fait qu’elle soit étroitement liée à une politique dite « monétariste », a joué un rôle majeur et tout à fait positif – elle l’a fait peut-être un peu tardivement, mais elle l’a fait, et elle continue à le faire avec beaucoup d’ambition.

Sans doute y aura-t-il d’autres étapes à franchir ; on sent bien que tout cela reste extrêmement fragile et ne suffira pas. L’idée d’aller vers une plus grande mutualisation peut donc être soutenue – quoique, ne nous y trompons pas, elle soit encore très peu partagée au plan européen. Toutefois, elle ne pourra prospérer que si la confiance revient. Or, pour ce qui est de la question grecque, il y a un problème de confiance. Il faut réussir à trouver, dans le dialogue qui s’est noué entre la Grèce et les autres pays européens – qui sont aujourd’hui ses créditeurs et ont chacun leurs propres difficultés –, le moyen de rétablir cette confiance. Je pense que là est l’enjeu des débats actuels : sans confiance, on n’y arrivera pas.

Un mot aussi sur la France. Je rejoins votre constat, monsieur le rapporteur : la France a mené des politiques assez critiquables à partir des années 2000, notamment en affaiblissant les recettes de l’État par la distribution inconsidérée de cadeaux fiscaux, ce qui fut en partie à l’origine des difficultés que nous connaissons. Il y eut aussi la décision de Jacques Chirac en 2004 de ne pas respecter les engagements de la France vis-à-vis du Pacte de stabilité, décision que Nicolas Sarkozy a réitérée en 2007 et qui a fait que la France est entrée dans la crise avec un problème de finances publiques – ce qui ne fut pas le cas de l’Allemagne qui avait réalisé le travail nécessaire auparavant.

Du coup, le problème est aujourd’hui beaucoup plus difficile à régler. Comment le Gouvernement procède-t-il ? De manière intelligente, en maintenant le cap de la réduction des déficits, mais en adaptant le rythme des ajustements budgétaires de manière à ne pas tuer la croissance, mais, au contraire, à l’accompagner. De ce point de vue, la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement et la majorité me semble aller dans le bon sens.

Voilà les points que je souhaitais souligner. J’ajoute qu’il nous sera difficile de voter en faveur de ce texte, qui comporte des allusions très claires à une politique d’austérité qui serait aujourd’hui menée en France. Honnêtement, une telle affirmation serait incompréhensible à l’échelon européen, où l’on reprocherait plutôt à la France de ne pas mener une politique suffisamment récessive et de ne pas aller assez vite en matière de réduction des déficits ! Cette critique, souvent formulée, me semble donc injuste. Pour cette raison, nous ne voterons pas la présente proposition de résolution européenne.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, depuis le début de la crise financière certains pays européens ont connu une très forte progression de leur dette publique, liée notamment à l’augmentation de leurs dépenses destinées à soutenir leur économie et leur système bancaire.

La crise de la dette éclate en Europe en 2010, lorsque le déficit et la dette publique grecs inquiètent les marchés, qui se mettent à exiger de la Grèce, pour son refinancement, des taux si élevés que son économie ne peut les assumer. Le risque est alors celui d’un défaut de paiement grec, d’un éclatement de la zone euro et d’une propagation de la tempête financière aux autres économies de la périphérie de la zone euro.

Le débat sur la dette souveraine des États de la zone euro, déjà ancien, renvoie à une question majeure en matière de solidarité européenne : comment éviter que les États non vertueux trouvent dans la mutualisation de la dette une soupape, au détriment de leurs homologues vertueux ? Je rappellerai que l’encours de dette publique affichant des taux négatifs dans la zone euro s’élève à ce jour à 2 500 milliards d’euros.

La crise de la dette souveraine a conduit l’Union européenne à mettre en place un dispositif pour protéger la zone euro. Malgré les premiers signes de reprise, le poids de la dette reste aujourd’hui un facteur de risque pour nombre de pays occidentaux.

La proposition de résolution européenne du groupe GDR que nous examinons aujourd’hui prévoit des mesures de lutte contre la crise de la dette publique des États de la zone euro. L’article unique du texte examiné comporte six mesures.

Certaines sont acceptables. Nous pouvons tous tomber d’accord sur la nécessité d’organiser un débat : la crise de la dette souveraine a conduit l’Union européenne à mettre en place un dispositif pour protéger la zone euro, mais, malgré les premiers signes de reprise, le poids de la dette reste relativement important. Nous pouvons également nous rejoindre sur l’exigence de transparence et sur celle d’une information régulière. Enfin, nous avons tous réfléchi à la mise en place d’outils de financement de l’action publique autres que le recours aux marchés financiers.

D’autres mesures sont en revanche idéologiques et totalement déconnectées des réalités économiques : la proposition de séparation des activités bancaires, la mise en place d’une taxation européenne des transactions financières à l’assiette large, la fin des politiques de sérieux budgétaire et la remise en cause de la politique monétaire de la BCE. Je souhaite m’attarder sur ces trois dernières propositions.

Premièrement, je tiens à rappeler que le chantier de la régulation du secteur bancaire avait déjà été lancé par l’ancienne majorité. En effet, le Président Sarkozy a été le premier chef d’État à mettre à l’ordre du jour du G20 la taxe sur les transactions financières en Europe. Aujourd’hui, il reste encore des questions à résoudre, concernant notamment l’assiette de la future taxe, et nous ne disposons pas d’éléments chiffrés quant à son produit et son impact.

Deuxièmement, la fin du sérieux budgétaire, défendue dans la proposition de résolution, est, me semble-t-il, déconnectée des réalités économiques et européennes. Notre pays a des obligations vis-à-vis de Bruxelles, qui doivent être respectées : la signature de la France l’engage. Pourtant, mois après mois, la majorité socialiste décrédibilise la parole de la France par ses échecs et ses promesses non tenues. Force est de constater qu’aucune action décisive sur les réformes structurelles ou sur la dépense publique n’a été engagée depuis 2012. La dépense publique a continué d’augmenter : elle a progressé de 1,6 % en 2014, pour atteindre un montant total de 1 226,5 milliards d’euros, ce qui représente 57,2 % du PIB, record malheureusement historique ! Après des promesses toujours plus nombreuses, nos partenaires européens sont excédés par tant de désinvolture. Et, monsieur le secrétaire d’État, contrairement aux promesses d’il y a trois ans, la France n’arrive plus à être moteur de proposition sur la scène européenne : nous avons perdu notre socle de crédibilité.

Pour que la France retrouve un rôle moteur, il nous faut d’abord restaurer cette crédibilité. La maîtrise durable de la dette ne peut passer que par une réduction des déficits publics et le rétablissement contrôlé des comptes publics. Cela implique des réformes structurelles courageuses qui permettront de renouer avec la croissance, de réduire le chômage et de corriger durablement nos déséquilibres économiques et financiers.

Troisièmement, la critique de la politique monétaire de la BCE formulée dans ce texte doit être relativisée. Le récent programme de rachat de dette publique de la BCE a ainsi permis de redonner confiance au marché. Cette nouvelle politique monétaire de la BCE doit permettre de faire repartir la croissance et d’éviter que la zone euro ne tombe en déflation. Les premiers rachats de dettes souveraines ont déjà permis de faire baisser les coûts d’emprunt des États. En achetant massivement des titres souverains, la BCE a fait baisser le loyer de l’argent. Les taux italiens à dix ans sont ainsi passés de 4 % au début de l’année 2014 à 1,3 % aujourd’hui,…

M. Jacques Myard. Ça remonte !

Mme Marie-Christine Dalloz. …les taux espagnols de 4,1 à 1,2 %, les taux portugais de 5,5 à 1,6 % et les taux français de 2,5 à 0,5 %. L’intérêt est double car, en assurant des coûts de financement très bas à ces États, la BCE contribue à garantir la soutenabilité de leur dette et, en achetant leurs titres, la BCE limite le risque de contagion de la crise grecque aux autres États périphériques. Certains analystes jugent même qu’en la matière, les mesures de la BCE fonctionnent presque trop bien ! De fait, les taux ont tellement baissé que, désormais, un tiers des dettes souveraines déjà émises s’échangent à des taux négatifs – c’est notamment le cas de la dette souveraine allemande.

M. Jacques Myard. Ça ne peut pas durer !

Mme Marie-Christine Dalloz. Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre cette proposition de résolution qui a d’ailleurs été rejetée en commission des finances.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, l’Europe a connu, ces dernières années, une succession de crises particulièrement violentes. En 2008, la crise des subprimes, en provenance des États-Unis, a durablement ébranlé l’équilibre européen. Une intervention massive des États a alors été nécessaire, afin d’éviter, il faut le dire, un effondrement du système financier mondial. Pour atténuer la propagation de la crise financière à l’économie réelle, les États ont mis en place d’importants plans de relance, ce qui eut pour conséquence une augmentation sans précédent de l’endettement public. Les craintes suscitées par les dettes souveraines, en premier lieu celle de l’État grec, ont provoqué une panique sur les marchés financiers, aggravée par la spéculation de certains investisseurs. La crise financière a alors laissé place à la crise des dettes souveraines, et mis en lumière les profondes failles de l’organisation européenne en matière économique et financière.

M. Jacques Myard. C’est foutu !

M. Arnaud Richard. De nombreux sommets européens, toujours très commentés par notre collègue Jacques Myard,…

M. Jacques Myard. Heureusement !

M. Arnaud Richard. …se sont tenus et ont débouché sur un acte essentiel, auquel, à l’époque, il a souscrit : le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance.

M. Jacques Myard. J’ai voté contre !

M. Arnaud Richard. Je voulais vous l’entendre dire, cher collègue.

Ce traité a mis en place des règles contraignantes afin que les États membres redressent leurs finances publiques, notamment en réduisant le poids de leur dette et leur déficit. Il était nécessaire de renforcer la coordination européenne et de revenir à une politique de sérieux budgétaire qui avait, à tort, été mise à mal pendant les décennies précédant la crise. En France, par exemple, aucun gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, n’a fait voter un budget à l’équilibre depuis 1980 !

Nous devions donc tirer des leçons de ces crises et mettre en œuvre des dispositions afin que les erreurs passées ne se reproduisent pas. Cependant, aucune réforme ne doit être menée à l’aveugle, dans le seul but de respecter les objectifs fixés dans les traités.

Cinq ans après la mise en place des premiers plans d’aide, il est donc légitime de s’interroger sur les conséquences des réformes drastiques imposées aux États en difficulté. La Grèce, en particulier, a connu des suppressions massives de postes dans la fonction publique, une privatisation des entreprises et des infrastructures publiques, une hausse brutale de la fiscalité et une baisse de 22 % du salaire minimum en 2012.

Les conséquences de ces politiques se sont révélées dramatiques, socialement et politiquement. Le taux de chômage a explosé, jusqu’à 40 % chez les jeunes, les dépenses de protection sociale, notamment de santé, ont souffert de coupes budgétaires massives, le taux de pauvreté a augmenté de manière très importante, tout comme le risque d’exclusion sociale chez les enfants. Des maladies disparues depuis des décennies ont fait leur retour, sans parler du taux de suicide ni des évolutions concernant le VIH.

L’Espagne a connu une situation similaire. Un jeune de moins de vingt-cinq ans sur deux n’y a pas d’emploi et la hausse de la TVA, combinée à la réduction des indemnités de chômage, a asphyxié la population.

Les marches et grèves générales se sont multipliées dans ces pays, et l’exaspération des citoyens s’est manifestée dans les urnes, conduisant à la montée des extrêmes.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. « Les extrêmes », non…

M. Arnaud Richard. Le FMI a finalement admis, en 2012, avoir « sous-estimé les effets négatifs de l’austérité sur l’emploi et l’économie ».

Oui, mes chers collègues, ce débat est crucial, et nous ne devons pas l’écarter d’un revers de main. Deux des six propositions que vous formulez dans ce texte, monsieur le rapporteur, ne peuvent d’ailleurs que recueillir, cela a été dit, l’assentiment général En effet, la transparence est essentielle en ce qui concerne la dette française et ses détenteurs. Nous sommes déjà en possession d’indications globales, mais nous soutenons la demande du groupe GDR pour une information régulière du Parlement. En outre, nous ne pouvons pas faire l’économie d’un débat sur les effets de la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne ces dernières années.

M. Jacques Myard. C’est la quadrature du cercle !

M. Arnaud Richard. Toutefois, cher collègue Jacques Myard, cette proposition de résolution soulève des problèmes de fond, et nous ne pouvons qu’être en désaccord avec la façon dont le groupe GDR pose les termes de ce débat. En effet, nos collègues souhaitent « libérer la puissance publique de la tutelle des marchés financiers ».

M. Gaby Charroux. En effet.

M. Arnaud Richard. Il est vrai que la dépendance de notre pays vis-à-vis des marchés menace notre souveraineté.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Eh oui !

M. Arnaud Richard. Il n’existe toutefois qu’une seule solution pour en sortir, et c’est bien de réduire notre niveau d’endettement. Je ne vois pas d’option alternative. Nous devons réaliser des économies sur nos dépenses publiques, afin de rééquilibrer nos comptes publics.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Ça avait bien commencé, ça finit mal !

M. Arnaud Richard. À nos yeux, l’exigence est en effet simple : nous n’avons pas le droit de faire peser le poids de la dette sur les générations futures. Je pense qu’en cette matière, cher collègue rapporteur, vous serez d’accord avec nous.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Arguties !

M. Arnaud Richard. Cette exigence, c’est la règle d’or que nous avons toujours défendue, une règle qui doit être inscrite dans la Constitution afin que les gouvernements, quelles que soient les alternances politiques, soient engagés par l’objectif intangible de mettre fin, véritablement et pas à la marge, à la spirale de l’endettement. Il s’agit d’un préalable qui permettrait à notre pays de retrouver le chemin de la croissance et de préserver sa souveraineté.

La France doit donc, selon nous, agir sans plus attendre, et conduire les réformes structurelles dont elle a besoin. La réforme de l’État, celles des collectivités territoriales, de la protection sociale et de la santé, la rénovation de la démocratie sociale, la transition écologique ou encore la valorisation de la ressource humaine de la nation sont six chantiers essentiels que le Gouvernement, malheureusement, n’a pas pris à bras-le-corps.

En refusant de les engager, le Gouvernement se voit contraint de faire des choix de court terme ne permettant nullement de maîtriser efficacement les dépenses publiques. Je vois, monsieur le secrétaire d’État, que ces propos de bon sens vous font réagir.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Je répondrai !

M. Arnaud Richard. Cette politique n’enraye pas le déclin de notre pays mais elle contribue sans nul doute à rendre toujours plus vulnérable notre modèle social : des mesures telles que le gel des salaires dans la fonction publique, le gel de certaines prestations sociales ou encore la suppression des avantages liés aux heures supplémentaires se sont révélés non seulement inefficaces sur le plan économique mais également injustes sur le plan social. Cette politique court-termiste fait de la France le mauvais élève de la zone euro : alors que l’Allemagne a fait revenir son budget à l’équilibre dès 2013, notre pays a été placé sous la surveillance renforcée de la Commission européenne en raison du non-respect de ses engagements, dois-je vous le rappeler, cher collègue Christophe Caresche ?

Mes chers collègues, je souhaite réaffirmer ici le profond engagement européen du groupe UDI. L’avenir est un long passé. Oui, une Europe plus forte est nécessaire : nous n’avons pas le droit de tergiverser, car la crise n’est pas derrière nous. Nous le voyons tous les jours avec l’explosion du chômage et la multiplication des plans sociaux. Plutôt que de faire de l’Europe le bouc émissaire de tous nos maux, nous devons nous interroger sur la meilleure manière pour les États membres de mettre en œuvre les réformes structurelles qui leur permettront d’allier justice sociale et redressement budgétaire.

M. Jacques Myard. Des mots, toujours des mots !

M. Arnaud Richard. Il est évident que l’Union européenne doit évoluer, cher Jacques Myard. Elle ne doit pas rester figée au modèle sur lequel elle a été créée, et qui était d’ailleurs, dès le départ, appelé à se perfectionner. Nous devons au contraire faire le choix courageux du fédéralisme budgétaire…

M. Jacques Myard. Parlez-en à Mme Merkel !

M. Arnaud Richard. …car nous avons besoin de règles communes, sans lesquelles l’Union économique à laquelle nous appartenons ne pourra pas fonctionner durablement. C’est ce qui nous permettra de sortir de cette crise mondiale et de préparer la croissance de demain. En conséquence, le groupe UDI votera contre cette proposition de résolution.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Quelle surprise ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, je remercie tout d’abord M. le rapporteur de cette initiative importante, sur un sujet crucial, qui appelle un débat éclairé et approfondi, qui devra se prolonger encore au-delà de cette séance. C’est d’ailleurs la première des propositions que vous faites, cher collègue, dans le texte que nous examinons aujourd’hui.

La nécessité pour les États de réduire le déficit constitue sans aucun doute un impératif, tant la dette asphyxie les pays et mine l’action publique. C’est bien la dette qui génère l’austérité, même si l’austérité peut aggraver la dette.

La baisse et le contrôle de la dépense ainsi que la réalisation d’économies sont incontournables. Cependant, il faut mener cette politique en évitant les excès qu’ont connus les pays du sud de l’Europe et en mettant en œuvre des moyens complémentaires pour équilibrer les comptes publics et réduire les déficits. Je veux évidemment parler de l’amélioration des recettes de l’État – j’y reviendrai. Il convient d’éviter les excès pour ne pas paralyser l’action publique, ce qui aurait de graves conséquences sur l’activité économique, la transition écologique, l’inclusion sociale et le chômage.

En France, la part de la dette dans le PIB est passée de 20 % à la fin des années soixante-dix à 67 % en 2005 et 77 % en 2009. Elle devrait atteindre 96 % cette année. C’est le résultat d’un aveuglement de trente-cinq ans, de trop longues années au cours desquelles la croissance s’est inexorablement contractée alors que les politiques de relance par la consommation ou l’investissement se sont succédé sans succès. Depuis la fin des années soixante-dix, nous avons connu quatre épisodes de relance importants, sous différents gouvernements. Chacun s’y est employé. Or, à chaque fois, les dépenses ont augmenté sensiblement, de fait, sans que les recettes ne suivent : il a donc fallu compenser le décalage entre dépenses et recettes par le recours à l’emprunt, qui est devenu la norme pour équilibrer les budgets. Inexorablement, la dette s’est creusée toujours plus.

Cela dit, je n’oublie pas le problème de la répartition inéquitable des richesses causée par des politiques fiscales qui ont amputé les recettes des États. L’un n’empêche pas l’autre.

II ne fait aucun doute que nous devons sortir de cette spirale infernale qui revient à transférer à nos enfants le règlement de nos dépenses actuelles. Plus on agit tard – et malheureusement, nous agissons tard –, plus il y a urgence. C’est cela qui est terrible ! D’où la tentation des remèdes de cheval et du remède universel, à savoir la baisse univoque, entière, complète et excessive des dépenses publiques, parce que c’est la solution la plus rapide et que les autres démarches, comme l’amélioration de la recette fiscale que j’évoquais tout à l’heure, se caractérisent par une certaine incertitude et par l’inertie – leurs effets ne se produisent qu’un, deux ou trois ans plus tard.

La Grèce en fait les frais actuellement : en proposant à l’Union européenne des alternatives à l’unique baisse de la dépense publique pour équilibrer son budget, en faisant valoir un certain nombre de recettes fiscales potentielles nouvelles, en luttant notamment contre la fraude, elle se voit reprocher son incapacité à évaluer ces recettes et le temps nécessaire pour les percevoir. Même si je suis convaincu que c’est par là qu’il faut passer, je suis bien conscient des problèmes posés par ces propositions de recettes fiscales complémentaires à la baisse de la dépense publique, caractérisées par l’inertie et l’incertitude.

Les écologistes partagent en grande partie les propositions que vous faites, monsieur le rapporteur, dans cette proposition de résolution. Toutefois, il faut lever une ambiguïté sur la notion d’austérité – comme vous le savez, mes chers collègues, je le fais régulièrement et je viens encore d’évoquer cette question à l’instant. Admettez d’abord que les difficultés de nombreux ménages, qui se sont notamment exprimées dans les résultats électoraux en France ces derniers mois, sont davantage liées aux augmentations d’impôts, que nous avons tous votées, à gauche de cet hémicycle, qu’à la baisse de la dépense publique. En outre, nous ne pourrons pas nous dispenser de réaliser des économies en nous contentant d’affirmer que la dette serait illégitime.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Éric Alauzet. Nous sommes bien d’accord, monsieur le rapporteur : vous avez dit que seule une partie de la dette était illégitime.

Il nous semble qu’un élément important manque dans votre analyse de la situation : la nécessité de prendre en compte le fait que, malgré les dépenses publiques et les épisodes de relance, une croissance forte n’existera plus.

Nous soutenons la proposition d’organisation d’une conférence européenne sur la dette rassemblant décideurs politiques et représentants de la société civile. Votre suggestion est une bonne idée : ce sujet crucial doit pouvoir être débattu en dehors de cette assemblée, très largement dans la société, pour mieux démonter les mécanismes de la dette, en analyser les différentes composantes et partager nos analyses.

La proposition de mise en place d’une taxe sur les transactions financières reposant sur une assiette élargie recueille également notre soutien total. Il est nécessaire de prendre en compte la transformation de nos économies et la place prépondérante prise par la finance. Aussi les flux financiers doivent-ils contribuer au pot commun national, mais aussi européen. Instaurer une taxe sur les transactions financières élargie, c’est assurer à l’Europe de nouvelles recettes, pour conjurer la dette, entre autres. C’est aussi garantir des moyens privilégiés pour les programmes européens étudiants, la « garantie jeunes », le Fonds européen de développement économique et régional, mais aussi de nouveaux plans d’investissement dont nous avons tant besoin, notamment dans le cadre de la transition écologique.

Pour résorber la dette en période de croissance faible, il n’y a pas de solution magique.

On peut tout d’abord reconnaître, comme le fait cette proposition de résolution, que les réductions drastiques des dépenses publiques ont souvent été très violentes, trop violentes, et n’ont pas permis aux États d’assainir leur situation économique ; en revanche, elles ont parfois provoqué une dégradation terrible du niveau de vie des citoyens européens dans ces pays. Dans le cas de la Grèce, un ajustement budgétaire équivalant à 17 points de PIB en l’espace de cinq ans n’a pas empêché la dette publique de passer de 130 % du PIB en 2009 à 175 % en 2014. Le risque de déflation, qui peut être conjuré aujourd’hui, a fait planer une menace d’aggravation de la dette sur de nombreux pays.

Ensuite, il apparaît nécessaire de soutenir, voire d’amplifier, les plans d’investissement tels que le plan Juncker, non pas pour retomber dans le travers d’une fuite en avant en alimentant un plan de relance aveugle, mais pour soutenir les milliers de projets qui peuvent émerger sur nos territoires, en privilégiant les critères d’emploi, d’empreinte carbone et de développement des territoires.

Toutefois, pour les écologistes, cette proposition de résolution aborde insuffisamment un certain nombre de solutions possibles pour résorber la dette.

La première est le renforcement de la solidarité au sein de l’Union européenne.

M. Jacques Myard. Ah bon ? Vaste programme !

M. Éric Alauzet. Ma collègue Danielle Auroi l’a évoqué précédemment. S’il est sain que chaque État soit garant de l’équilibre de ses comptes, la mutualisation partielle des dettes peut être discutée sans tabou. Nous ne le rappelons pas suffisamment, mais la zone euro dans son ensemble est excédentaire, et cet excédent ne cesse de croître, atteignant 300 milliards d’euros en 2014, soit 3 % du PIB de la zone euro. L’Europe est donc assez solide pour renforcer la solidarité.

La deuxième solution rejoint la question de l’illégitimité de la dette, dans la mesure où certains créanciers ont tiré profit de taux d’intérêt élevés, parfois usuraires, bénéficiant ainsi de revenus considérables. En conséquence, il n’est pas choquant qu’une partie de cette dette soit mise en discussion. Je parle bien des intérêts de la dette et non du capital, car chacun doit rester responsable de ses actes – d’autres questions peuvent être abordées dans le cadre d’autres débats sur la justice sociale. On ne doit pas dissuader de nouveaux prêteurs d’alimenter le marché. Cependant, les créanciers doivent reconnaître leur part de responsabilité dans la constitution de la dette et être ouverts à une discussion autour de son montant et de sa restructuration.

La troisième piste est celle du renforcement des recettes des États. En effet, jusqu’à ce jour, les pays européens se sont concentrés sur la maîtrise et la réduction des dépenses publiques en négligeant d’agir pour consolider les recettes des États. Nous le savons, la fraude et l’optimisation fiscales font perdre des milliards d’euros qui s’évaporent vers les paradis fiscaux. Au niveau international, le G20 s’est engagé à mettre en œuvre dès cette année les premières propositions du programme BEPS élaboré par l’OCDE, concernant notamment l’encadrement des prix de transfert ou la transparence des activités des entreprises multinationales afin de restaurer l’assiette fiscale de ces dernières.

L’Union européenne prépare deux directives, relatives à la transparence sur les tax rulings et aux droits des actionnaires, devant permettre de transcrire certaines de ces propositions et de lutter contre les montages hybrides. Nous espérons donc que des mesures ambitieuses seront prises dans le cadre de ces directives.

Il est également nécessaire de réformer l’assiette d’imposition des bénéfices des entreprises en Europe afin d’empêcher les multinationales de tirer profit de la concurrence fiscale existante entre les pays européens. Nous devons consolider les bénéfices des multinationales au niveau européen puis les répartir par pays en fonction de critères objectifs permettant d’apprécier les activités réelles de ces entreprises dans chaque pays, tels que le chiffre d’affaires, le nombre de personnes employées ou les investissements réalisés.

Pour conclure, mes chers collègues, le groupe écologiste s’abstiendra sur cette proposition de résolution. Si nous en partageons une grande partie des propositions, elle nous paraît incomplète et, par certains aspects, ambiguë. Notre assemblée doit appeler à une solidarité européenne renforcée et à une véritable réflexion sur la résorption de la dette et le fonctionnement de l’économie dans une société à faible croissance.

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat est nécessaire. Lorsque j’ai appris que le groupe GDR voulait l’engager en inscrivant cette proposition de résolution à l’ordre du jour, je m’en suis réjoui. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le secrétaire d’État, que la Diète fédérale allemande débat à longueur de temps des questions relatives à la dette, aux créances et à la monnaie unique, du Fonds européen de stabilité financière et du nouveau Mécanisme européen de stabilité. Je ne peux donc que me réjouir que nous abordions ce débat, car nous savons bien que la question est complexe et qu’il ne faut pas simplement s’en remettre à la Commission de Bruxelles, à la Banque centrale européenne et à la technocratie bruxelloise.

Cependant, je reste un peu sur ma faim lorsque je lis avec attention cette proposition de résolution. Regardons les choses en face. Il existe aujourd’hui des causes internes et externes à la dette souveraine.

Pour illustrer les causes internes, je citerai d’abord quelques chiffres publiés sur le site internet du Premier ministre. En 1960, les prestations sociales représentaient à peine 16 % du PIB de notre pays ; aujourd’hui, elles en représentent plus de 33 %. Je ne critique pas l’existence de ces prestations sociales, dont beaucoup sont tout à fait légitimes, mais il est clair que nous avons vécu quelque peu au-dessus de nos moyens et à crédit.

En outre, nous avons la meilleure fiscalité au monde pour faire fuir le capital des Français – je le dis comme je le pense. Comme je le disais un jour à nos collègues du groupe GDR, vive le grand capital ! Il faut en effet que le capital soit investi en France au lieu de fuir à l’étranger, comme nous le constatons aujourd’hui. La France est le premier investisseur en Roumanie, en Bulgarie et ailleurs. Nous créons des emplois dans ces pays ; or c’est ici que doivent être créés des emplois à travers une fiscalité un peu plus intelligente dans une économie ouverte !

Nous ne pouvons pas faire l’impasse – c’est l’objet de cette proposition de résolution – sur les fautes que nous avons commises au niveau européen : absence de politique industrielle, absence de réciprocité dans les échanges internationaux, création d’une monnaie totalement inadaptée à la situation, que vous le vouliez ou non, monsieur le secrétaire d’État…

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Non, pas à moi…

M. Jacques Myard. C’est à vous que je le dis car vous représentez le Gouvernement. Assumez-le ! On ne peut pas faire vivre au sein d’une même union monétaire des marchands de canons et des marchands d’olives ! On ne peut pas faire vivre la France et l’Allemagne avec une même monnaie ! On a dit tout à l’heure que l’Allemagne avait une balance commerciale excédentaire. Comme la Chine, en effet, elle a une monnaie inadaptée, qui a été sous-évaluée pendant des années par rapport à sa force économique : c’est ainsi qu’elle a gagné des parts de marché pendant que nous en perdions.

Aujourd’hui, lorsqu’on fustige la dette souveraine, on confond en réalité les conséquences avec les causes. La cause de la dette, c’est la perte de compétitivité de nos économies, étranglées par la multitude des fautes internes et externes que nous avons commises. Je l’ai dit pendant une vingtaine d’années à mon cher ami Jean-Claude Trichet, avec lequel j’ai travaillé : la monnaie unique est parfaite pour un monde parfait qui n’existe pas. Telle est la réalité.

L’orateur du groupe écologiste qui m’a précédé a dit qu’il fallait viser à une mutualisation. La belle affaire ! Il est vrai qu’une monnaie unique partagée par des économies divergentes aboutit, qu’on le veuille ou non, à ce qu’on appelle une union de transferts. Le professeur Stiglitz, prix Nobel d’économie, nous a encore rappelé il y a quelques semaines lors d’un déjeuner à l’hôtel de Lassay que, sans modification structurelle, la zone euro mourrait. D’ailleurs, celle-ci est morte ab initio, il y a longtemps que je le dis !

Mme Marie-Christine Dalloz. Oh !

M. Jacques Myard. Je le dis comme je le pense, chère Marie-Christine Dalloz, et vous serez amenée à en faire le constat aussi, pour les raisons que je vais vous expliquer. S’agissant de l’union de transferts, les Allemands ont fait leurs comptes. Pour maintenir à flot les économies de certains États, il faut en permanence leur fournir des crédits pour vivre. C’est ce qu’a fait Paris pour la Lozère ou la Creuse, par exemple, dans une logique de solidarité nationale. Mais cette solidarité n’existe pas au niveau européen. Il faut regarder la réalité en face et cesser de croire aux mythes et aux utopies de l’époque !

Les Allemands ont fait leurs comptes et se sont aperçus qu’il leur faudrait transférer entre 8 % et 10 % de leur PIB chaque année. C’est ce qu’ils ont fait pour la RDA et cela leur a coûté 4 points de PIB chaque année pendant plus de vingt-cinq ans. Ils ne sont pas prêts à le faire de nouveau, sans compter que cela ne résoudrait d’ailleurs pas à terme le problème de compétitivité de la Grèce, du Portugal ou de l’Espagne. Je vous rappelle d’ailleurs que l’Espagne était en surplus budgétaire avant la crise ! Le problème ne tient donc pas aux conséquences de la perte de compétitivité. C’est au contraire la perte de compétitivité elle-même qui est la cause des malheurs.

La BCE a décidé de lancer, bien tardivement il est vrai, un programme d’assouplissement quantitatif, comme l’a fait la Réserve fédérale américaine ou la Banque d’Angleterre. Mais les opérations d’achat sur le marché secondaire, qu’elle réalise d’ailleurs depuis 2010 mais désormais avec beaucoup plus de moyens, n’ont pas d’effet sur les prêts des banques au secteur économique car l’économie, c’est l’investissement, et nos entreprises n’investissent pas.

Voilà longtemps que je dis qu’il aurait mieux valu consentir des avances directes aux États pour que ceux-ci investissent dans de grands projets. Dieu sait s’il existe des domaines dans lesquels investir dans ce pays, tant en matière de transports, qu’en matière de satellites ou encore de recherche ! Or, l’opposition dogmatique de l’Allemagne empêche une telle politique.

En réalité, les États sont soumis à des purges : le Grec et l’Italien, par exemple, sont sommés de se serrer la ceinture. C’est un non-sens économique absolu, dont même le FMI – c’est dire ! – a dénoncé le caractère excessif, mais on continue dans cette voie.

M. Gaby Charroux. En effet, et hélas !

M. Jacques Myard. C’est oublier qu’il existe un effet multiplicateur : diminuer de 1 % les dépenses d’un État entraîne une diminution du PIB de 1,6 %, et non pas de 0,5 %, comme on l’a cru pendant des années.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Exactement !

M. Jacques Myard. On marche donc actuellement sur la tête. C’est passion contre raison. Vous verrez qu’au lieu de reconnaître les erreurs commises, le système sera démonté dans la panique, car le problème grec ne sera pas résolu dans le système qui préside à l’économie européenne !

M. le président. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen, dernière oratrice inscrite.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, je me félicite de ce débat qui est d’autant plus utile que, sous le gouvernement Hollande, la dette publique a augmenté de 168 milliards d’euros et le déficit public continue de s’établir à 4,3 %. L’augmentation de la dette publique n’a pas cessé : elle n’a fait que ralentir, contrairement à ce qui est affirmé. Ainsi, François Hollande ne fait que marcher dans les pas de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, sous le mandat duquel le déficit a augmenté de 49,5 milliards d’euros.

Avec le quantitative easing, l’Union européenne trouve une échappatoire à l’échec de sa politique économique et de l’euro. En rachetant sur les marchés financiers des créances publiques et privées, la BCE concrétise une renationalisation des politiques monétaires en déléguant un droit de tirage aux banques centrales nationales de la zone euro. Or, les banques n’ayant pas de problème de liquidités, l’argent sera investi, non pas dans l’économie réelle, mais sur les marchés financiers. Nos entreprises et nos ménages ne verront que peu les bénéfices de cette décision.

Heureusement, l’euro a été dévalué de 25 % par rapport au dollar. Bizarrement, le cataclysme annoncé en cas de dévaluation monétaire n’a pas eu lieu et tous ceux qui, hier, vantaient les méritent de l’euro fort, à l’UMP comme à gauche, se félicitent aujourd’hui de cette décision. Nous appelons depuis longtemps à une dévaluation de l’euro. Elle sera évidemment une bouffée d’air pour la compétitivité de nos entreprises mais demeurera insuffisante car 50 % de notre commerce extérieur est réalisé au sein de la zone euro et, sur cette part, la dévaluation ne changera rien. Seule la maîtrise totale d’une monnaie nationale répondrait totalement à ce besoin. Ne pouvant s’appuyer uniquement sur la monnaie moribonde et inadaptée qu’est l’euro, la Commission s’attaque à casser les réglementations nationales, considérées comme des freins économiques. Dernier exemple en date, la loi Macron, saison 1, fossoyeuse des professions réglementées.

L’Union européenne est dangereusement aveugle sur l’inefficacité des réformes économiques qu’elle impose à ses pays membres. Il suffit pour s’en convaincre de regarder ce qui arrive à nos voisins grecs. En 2009, la dette grecque s’élevait à 113 % du PIB. En 2015, après des milliards d’euros de plans d’aide – 110 milliards d’euros en 2010, puis un second plan de 130 milliards –, la dette de la Grèce s’élève aujourd’hui à 185 % du PIB : cuisant échec qui n’arrête néanmoins pas la réflexion sur le lancement d’un troisième plan d’aide ! Et le gouvernement français continue de payer sans broncher, avec l’argent des contribuables. Seul notre mouvement a proposé de geler le versement de notre contribution européenne de l’ordre de 22 milliards d’euros, dont 9 milliards nets chaque année, en cas d’ouverture d’une procédure de sanction à l’encontre de la France. Cela mettrait enfin un terme au chantage insupportable de Bruxelles sur la gestion de notre économie et de notre dette.

Cette Europe, si exigeante, l’est beaucoup moins quand il s’agit de lutter contre le dumping social et fiscal qui bat son plein au sein de l’Union européenne. Le système des travailleurs détachés, payés en France avec le niveau de charges sociales du pays d’origine, continue de détruire des emplois sur notre territoire. Alors, pour calmer les peuples mécontents, l’Union européenne agite la perspective d’une standardisation des législations sociales et fiscales dans les différents pays membres, oubliant de leur dire que cette idée, si elle ne reste pas au stade de l’utopie, conduira nécessairement à un alignement par le bas, qui condamnera le système de protection sociale à la française.

D’ici là, de toute façon, le traité transatlantique aura supprimé les droits de douane et les quotas d’importation avec les États-Unis mais aussi écarté toutes les réglementations sociales, sanitaires et environnementales gênantes pour le marché américain. Nos agriculteurs seront menacés par un modèle agricole dix fois plus intensif, qui accélérera le processus de concentration des exploitations et de diminution des emplois agricoles. Que deviendra donc notre modèle sanitaire préventif, face à une filière qui, outre-Atlantique, n’est soumise à aucune obligation de traçabilité ? De surcroît, les États seront vraisemblablement soumis à la pression de multinationales qui pourront les attaquer devant une forme de justice privée.

Le seul moyen d’espérer un jour rembourser notre dette est d’organiser le retour à la souveraineté politique, juridique et monétaire de la France. L’esprit de cette proposition de résolution nous donne raison. Nos élus européens et moi-même avons déjà demandé certaines de ses dispositions, je pense notamment à favoriser la transparence en informant le Parlement national sur le niveau de la dette et l’identité de ses créanciers.

Elle n’est toutefois qu’une déclaration de bonnes intentions faite par les amis d’Alexis Tsìpras, toujours prompts à gonfler les muscles dans l’opposition mais soldats résignés du système quand il parvient aux affaires. Je m’abstiendrai sur cette proposition de résolution car je considère que le salut de la France ne peut passer par la Banque centrale européenne, comme le propose le paragraphe 38 du texte, et je me méfie de la restructuration dont vous parlez, qui n’est autre qu’un abandon de créances à l’égard de certains pays, car je considère que les Français ont déjà suffisamment payé pour les délires de cette Union européenne.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Je n’aurai pas la prétention de répondre à l’ensemble des interrogations et propositions tout à fait légitimes et intéressantes des différents orateurs. Je reprendrai simplement quelques points qui m’ont interpellé. Je me suis demandé à certains moments s’il s’agissait d’un plaidoyer proeuropéen ou antieuropéen et dans quel Parlement nous nous trouvions – nous sommes bien à l’Assemblée nationale, en France. Cela dit, le débat a été riche, intéressant, même si l’on y a entendu quelques caricatures, et il était légitime.

Je ne comprends pas la schizophrénie de certains orateurs, qui dénoncent l’insuffisance de la réduction des dépenses et le manque de réformes. Le mot « structurel » revient de façon sempiternelle : Mme Dalloz l’a prononcé quinze fois !

Mme Marie-Christine Dalloz. Pas quinze fois, mais au moins trois fois !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Mais j’attends des propositions ! Sur les marchés, le samedi, nos concitoyens ne me demandent pas d’engager des « réformes structurelles » : ils donnent des exemples concrets. Je vous l’accorde, madame Dalloz, vous n’êtes pas la seule à avoir prononcé à plusieurs reprises ce terme de « structurel » : M. Richard l’a également prononcé. Mais au lieu de le prononcer quinze fois, donnez quinze exemples de réforme !

Mme Marie-Christine Dalloz. On fera des propositions : l’assurance maladie, le chômage…

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Vous voulez réformer le chômage ? Voilà une bonne idée !

Mme Marie-Christine Dalloz. Oui, l’indemnisation du chômage !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Votre collègue, lui, proposait des réformes structurelles concernant les collectivités territoriales. Il me semble précisément que c’est ce que nous faisons. Il parlait également de réformes concernant l’organisation de l’État : nous en faisons également. Vous aurez d’ailleurs l’occasion, dans les toutes prochaines semaines, de montrer combien vous soutenez les réformes et êtes soucieux de réformer l’État en tant que députés de la nation plutôt que représentants de telle collectivité accrochés à tel ou tel service de l’administration territoriale.

Certains d’entre vous ont évoqué la transition énergétique. Le Parlement a déjà eu l’occasion d’examiner des textes sur le sujet, et aura encore l’occasion d’y revenir très prochainement, preuve que les réformes sont en cours ! Toujours prétendre que les réformes ne sont pas « structurelles » et n’en proposer aucune décrédibilise totalement le politique.

S’agissant du niveau de la dette, il est vrai que les causes en sont multiples : M. Myard a évoqué « des causes internes et externes ». Parmi les causes internes, on peut quand même s’accorder à dire que le vote de budgets systématiquement en déficit est l’une des causes du niveau de la dette de notre pays.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Bien sûr !

M. Jacques Myard. Le secrétaire d’État est d’accord avec moi !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Madame Dalloz, qui nous donnez des leçons de modération de la dépense publique, je ne peux que vous renvoyer aux 35 milliards d’augmentation annuelle de la dépense publique, notamment entre 2007 et 2012 – vous avez tout loisir de vérifier ces chiffres en consultant les lois de règlement. Et aujourd’hui, vous prétendez que réduire la dépense de 10 milliards seulement en une année, c’est une catastrophe et une gabegie phénoménale !

Mme Marie-Christine Dalloz. Parlons de ce gouvernement, plutôt !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Monsieur Sansu, je m’excuse de n’avoir pas dit tout à l’heure de façon suffisamment claire qu’un certain nombre de vos propositions méritent d’être prises en compte et probablement mises en œuvre. Mais si nous voulons essayer de nous mettre d’accord, ne serait-ce que sur quelques propositions concrètes, il faut arrêter les caricatures ! On sait qu’il est difficile de réduire la dépense publique, mais nul ne peut contester le fait que l’augmentation de la dépense publique est quatre fois inférieure à ce qu’elle a été entre 2007 et 2012.

Enfin, je rappelle que M. Carrez, qui nous reproche d’user du rabot, reprochait il y a quelques années au gouvernement qu’il soutenait de n’user que de la lime à ongles ! Ces quelques réflexions pourraient vous inciter à un peu plus d’humilité, madame Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Dites-nous quels ont été les effets de la modernisation de l’action publique !

Vote sur les conclusions de rejet de la commission

M. le président. La commission des finances ayant conclu au rejet de l’article unique de la proposition de résolution, l’Assemblée, conformément à l’article 151-7, alinéa 2, de son règlement, est appelée à voter sur ces conclusions de rejet. Si ces conclusions sont adoptées, la proposition de résolution sera rejetée. Si elles sont rejetées, nous examinerons l’article unique de la proposition.

Je mets aux voix les conclusions de rejet de la commission.

(Les conclusions de rejet de la commission ne sont pas adoptées.)

M. le président. Nous allons donc poursuivre l’examen du texte.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Je souhaiterais une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion des articles

M. le président. L’Assemblée s’étant prononcée contre les conclusions de rejet de la commission, j’appelle maintenant l’article unique de la proposition de résolution.

Article unique

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n1.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Le Gouvernement s’est exprimé, et l’Assemblée a eu l’occasion de débattre. Je serai donc très bref : je souhaite que l’article unique soit supprimé. En effet, même si un certain nombre de propositions contenues dans le texte peuvent faire consensus, d’autres, dans différents alinéas, ne nous paraissent pas, à la fois dans l’expression mais aussi, souvent, dans le contenu, opportunes à ce stade. Le Gouvernement propose donc de supprimer cet article unique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Monsieur le ministre, il me semble que cet amendement de suppression n’est pas opportun, et ce pour une raison simple : nous sommes certes un certain nombre à siéger aujourd’hui dans l’hémicycle, mais il serait judicieux que tous nos collègues puissent s’exprimer par le biais d’un vote solennel mardi prochain.

Si cet amendement de suppression était adopté aujourd’hui, nous n’aurions pas de vote sur l’article unique. Cela pose problème, puisqu’il contient l’ensemble d’une proposition de résolution européenne qui mérite d’être débattue. Je vous propose donc de rejeter l’amendement de suppression afin que nous ayons, mardi prochain, une explication de vote de chacun des groupes, suivie d’un vote.

M. le président. Je vais donner la parole à différents orateurs sur cet amendement. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Je rappelle à M. Sansu qu’à chaque fois qu’un jour de séance est réservé à des propositions de loi ou de résolution européenne déposées par le groupe UMP, celles-ci sont systématiquement rejetées le jour même.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Que voulez-vous que j’y fasse ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Je ne vois pas pourquoi le groupe GDR bénéficierait un traitement différent. (Sourires.) Ceci étant dit, sur le fond, même si cela est tout à fait exceptionnel, je soutiens le Gouvernement et son amendement de suppression. Je suis solidaire de sa proposition.

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard.

M. Arnaud Richard. Il est bien que l’opposition compte deux groupes différents, car nous n’avons pas exactement la même position. La mienne est elle aussi un peu paradoxale. Je pense que ce sujet est d’une grande importance et qu’un débat doit avoir lieu dans cette enceinte, Jacques Myard l’a très bien dit, sur les problématiques liées à la dette. Certes donc, je ne suis pas d’accord avec l’ensemble des dispositions proposées, mais il serait utile que ce sujet avance. Pour qu’il en soit ainsi, il serait de bon ton que nous puissions entendre, dans un hémicycle relativement plein, la position de tous nos collègues. Même si je ne partage pas cette résolution dans son ensemble, je trouve plutôt de bon aloi que nous puissions, dans un hémicycle plein, parler de la dette souveraine de l’État.

M. Nicolas Sansu, rapporteur. Bien sûr !

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Ce projet de résolution a donné lieu à un débat très riche ce matin. Je trouverais dommage que nous empêchions l’ensemble de nos collègues de prendre connaissance, dans l’hémicycle, des propositions des différents groupes lors d’un vote solennel. Cela permettrait au Gouvernement de s’exprimer à nouveau et au groupe majoritaire d’expliquer son rejet. Permettez donc à l’ensemble de l’hémicycle de se saisir d’une question aussi importante !

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Monsieur le ministre, est-il possible d’envisager une autre solution ? Le Gouvernement pourrait prendre l’engagement, sous une forme ou sous une autre, de poursuivre ce débat de façon organisée, de telle sorte que nous n’en restions effectivement pas à la décision que notre assemblée s’apprête à prendre dans quelques instants. Nous avons tous envie de poursuivre ce débat essentiel, il faut que vous nous disiez comment.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Je n’ai pas l’habitude de tourner autour du pot. Chacun sait les méthodes de travail de l’Assemblée et du Gouvernement, et il faut, à un moment donné, être cohérent : nous venons de consacrer deux heures à ce débat et il est d’usage que les propositions soient votées au moment de leur présentation, c’est-à-dire aujourd’hui.

J’entends bien que vous vouliez que le débat soit prolongé. Il le sera naturellement, monsieur le rapporteur, par exemple lors du débat d’orientation des finances publiques prévu à la mi-juillet. Il permettra, à mon sens, que chacun s’exprime aussi sur ces sujets. Le Gouvernement maintient donc sa demande de suppression de l’article unique de cette proposition de résolution européenne.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. J’appartiens à un groupe où prévaut une totale liberté d’expression, dont j’entends bien user. Si l’on en venait à me cloner, cela pourrait de ce point de vue s’avérer dangereux. (Sourires.)

Je regrette, je le dis comme je le pense, que l’initiative de débattre sur la question des dettes souveraines, c’est-à-dire du fonctionnement macro-économique de l’Europe, n’émane que d’un parti. Aujourd’hui, cette initiative devrait être unanime. Je dis bien unanime.

Nous devons avoir un débat sur les conditions de fonctionnement de l’Union européenne en matière macro-économique et macro-budgétaire, parce que la politique qui est menée nous mène droit dans le mur. C’est la raison pour laquelle je voterai contre cet amendement de suppression, afin qu’un débat ait lieu.

M. Arnaud Richard. Très bien.

M. le président. Nous allons donc procéder au vote sur l’amendement de suppression du Gouvernement, qui fait l’objet d’un avis défavorable du rapporteur.

(L’amendement n1 est adopté.)

M. Jacques Myard. La messe est dite.

M. le président. L’Assemblée ayant supprimé l’article unique de la proposition de résolution, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la conférence des présidents.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

2

Droit de préemption des salariés

Discussion d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. André Chassaigne et plusieurs de ses collègues relative au droit de préemption des salariés (nos 2688, 2720).

Présentation

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe GDR que j’ai l’honneur de rapporter a pour but de défendre nos petites et moyennes entreprises afin de maintenir l’emploi dans nos territoires. Pour cela, nous vous proposons d’octroyer un droit nouveau aux salariés : le droit de préemption.

Cet objectif est partagé par beaucoup d’entre nous, puisque cette proposition de loi a été adoptée par la commission des lois. C’est d’ailleurs pour donner suite à la discussion fructueuse que nous avons eue en commission que j’ai proposé plusieurs amendements visant à l’enrichir. Ils ont été adoptés, ce matin, par la même commission.

Entrons dans le vif du sujet. Le droit de préemption répond à un besoin, l’actualité récente en a témoigné. Rappelons-nous des salariés de l’entreprise Gaillon, qui voulaient la racheter avec l’aide du créateur de l’entreprise pour la transformer en coopérative et éviter ainsi la délocalisation voulue par le fond de pension acquéreur. Écoutons également les salariés de Goodyear à Amiens.

Cela nous a été confirmé lors des auditions : chefs d’entreprise comme syndicalistes ont souligné que le rachat des TPE comme des PME par les salariés était une des pistes à ouvrir pour pérenniser ces sociétés.

Le Conseil économique, social et environnemental – CESE – dans son avis du 22 janvier 2013 encourageait, de son coté, à moderniser le modèle coopératif pour faciliter la reprise d’entreprises par les salariés. Il affirmait que le recours à ce modèle ne devait pas être réservé aux entreprises en difficulté, puisque « Le modèle coopératif, dont les SCOP, peut apporter plus globalement une solution à l’enjeu de la transmission de PME saines ».

Nous ne disposons pas, chers collègues, de chiffres précis sur le nombre de TPE qui changent de mains chaque année. Mais pour les PME, le chiffre est de 17 000 entreprises par an, employant de cinq à cent salariés. Les emplois détruits à l’occasion de ces transmissions se comptent par milliers. En effet, un certain nombre d’entreprises cessent leurs activité faute de repreneur. D’autres sont démarchées par des acquéreurs dont la préoccupation n’est pas de développer l’entreprise mais d’accroître leur marge, au détriment des emplois, par un racket du savoir-faire ou une délocalisation. En bref, des prédateurs !

En adoptant cette proposition de loi, nous permettrons aux salariés de se substituer à ces repreneurs malveillants. Avant la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, aucun dispositif n’offrait aux salariés de véritables possibilités d’intervenir sur le choix du repreneur ou de prendre part à la vente.

La présente proposition de loi prend donc appui sur la loi Hamon, qui a été hélas malmenée par la droite au Sénat, en renforçant la possibilité pour les salariés d’agir en préemptant leur entreprise. Elle répond à la préconisation du CESE, dans son avis du 22 janvier 2013, d’appliquer « un droit de reprise préférentiel aux salariés repreneurs dans le cas spécifique de fonds "prédateurs" dont l’action se solde par des destructions massives d’emplois et de savoir-faire dans les territoires ». Cette reprise préférentielle figurait d’ailleurs dans le programme du candidat aujourd’hui Président de la République.

L’acquisition de TPE ou de PME par leurs salariés apporte, au contraire, des garanties. Ces salariés sont, bien sûr, attachés au maintien de l’emploi. Ils ne sont pas tentés de délocaliser et connaissent le fonctionnement de l’entreprise ainsi que son marché. L’enjeu est de taille, puisque cette solution favorise le maintien des entreprises et de l’emploi dans nos territoires, gage de dynamisme économique car on sait la place des TPE et PME dans le développement de l’emploi et dans la vie de nos collectivités locales.

Cette proposition de loi laisse toute latitude quant à la forme juridique sous laquelle l’entreprise sera reprise, mais nous espérons qu’elle favorisera une reprise sous forme coopérative. Les coopératives sont en effet des sociétés commerciales soumises à des règles imposant une répartition des résultats prioritairement affectés à la pérennité des emplois et du projet d’entreprise. Leur mode de gouvernance démocratique permet de faire valoir les intérêts de la majorité des coopérateurs-salariés. Le passage en coopérative permet un changement de modèle qui a bien des vertus.

Économiquement, les coopératives ont fait leurs preuves. Selon la confédération générale des sociétés coopératives et participatives – CG Scop – les SCOP sont des entreprises plus pérennes que les autres. Leur taux de pérennité à trois ans est de 77 %, contre 65 % pour l’ensemble des entreprises françaises, et ceci avec un taux de rentabilité identique, voire légèrement supérieur.

Chers collègues, le bouleversement culturel induit par la création d’un droit de préemption des salariés est évident. La formation et l’accompagnement des salariés comme du cédant sont donc décisifs. Il n’est pas facile de se séparer de son entreprise, et il est ô combien difficile pour des salariés d’envisager de gérer leur entreprise.

Les acteurs que nous avons auditionnés soulignent que l’anticipation, le temps de préparation du projet de reprise, la réalisation d’une expertise sérieuse et l’accès aux financements sont décisifs pour la prise de décision et la réussite du projet. Afin de permettre une meilleure préparation de la reprise de l’entreprise par ses salariés, cette proposition de loi prolonge la loi Hamon, notamment ses articles 18 à 20.

Son article 2 renforce la possibilité pour les salariés de discuter, de s’informer et d’étudier la faisabilité économique d’une reprise de leur entreprise. Le comité d’entreprise se fera assister d’un expert-comptable ; les travailleurs accéderont à la base de données économiques et sociales en cas d’offre de vente ; ils pourront discuter ensemble, lors de l’heure d’information syndicale, afin de construire un projet commun. Il s’agit d’organiser une transmission du savoir, du pouvoir et de la propriété en plusieurs étapes.

L’article 1er de la proposition ajoute une étape à cette procédure d’information en permettant aux salariés qui n’ont pas acheté le fonds de commerce ou les parts de l’entreprise au moment où ils ont été informés de la vente de rester prioritaires. Ainsi, lorsqu’un employeur trouve un acquéreur, il doit le notifier aux salariés, les informer du prix et des conditions de la vente et leur donner un accès aux documents comptables. Pendant deux mois, les salariés pourront se substituer au nouvel acquéreur et devenir propriétaires de l’entreprise. L’opération est sans effet sur le chef d’entreprise vendeur, puisque toutes les clauses contractuelles demeurent inchangées. En commission, certains d’entre vous ont souligné que ce délai de deux mois était court. C’est pourquoi j’ai proposé par amendement, suivie par la commission, de passer à quatre mois.

La mécanique est simple et connue en droit, puisque c’est celle d’une préemption comme il en existe beaucoup d’autres. Des questions sont venues sur sa constitutionnalité. Lors d’une question d’actualité, Mme la secrétaire d’État a d’ailleurs évoqué la « loi Florange » et la décision du Conseil constitutionnel. Des auditions ont permis de répondre à cette question. Le droit de préemption que nous proposons d’instituer ne porte atteinte ni au droit de propriété, ni à la liberté d’entreprendre.

Comme le dit le Conseil constitutionnel, « il est loisible au législateur d’apporter aux conditions d’exercice du droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et à la liberté contractuelle, qui découle de son article 4, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ». Je rappelle que notre constitution protège le droit de chacun à avoir un emploi, et que le combat contre le chômage et les délocalisations constitue un objectif d’intérêt général indiscutable. D’ailleurs, un amendement adopté par la commission va encore préciser cette notion d’intérêt général.

Nous sommes d’ailleurs très en retrait de ce qui existe, par exemple, dans le contrôle des structures en droit agricole. La loi Dutreil sur les PME autorise les communes à préempter des fonds de commerce et des baux commerciaux, en faisant diminuer leur prix par le juge. Nous ne faisons rien de tel. Nous respectons le propriétaire, qui n’est ni exproprié ni spolié de son bien, qui vend toujours parce qu’il le veut et au prix qu’il veut. En commission, des députés ont également évoqué l’avis du Conseil d’État concernant l’article 73 de la loi Macron. Mais il ne s’agit pas du tout du même contexte, puisque dans les deux cas envisagés le législateur oblige les propriétaires soit à rechercher un repreneur, soit à accepter une offre de reprise sérieuse, ce qui équivaut à une « cession forcée » ou à une « dilution forcée ». Notre proposition ne s’inscrit pas dans ce cadre, puisque le propriétaire reste libre : il n’est jamais contraint. L’atteinte aux droits du propriétaire est donc proportionnée.

En outre, ce droit de préemption est limité, car seuls les salariés de l’entreprise peuvent se porter acquéreurs, à condition qu’elle compte moins de 250 salariés. Ce droit trouve son fondement dans les alinéas 5 et 8 du préambule de la Constitution de 1946. L’intérêt général de ce projet est en effet double : il s’agit de maintenir l’emploi et donc l’activité économique sur les territoires. Comme je l’ai déjà dit, un amendement veut d’ailleurs préciser cette notion d’intérêt général.

Chers collègues, cette proposition de loi adoptée en commission peut être encore enrichie par nos débats aujourd’hui. Elle permettra demain à de nombreuses TPE ou PME de vivre et de se développer, grâce à leurs salariés. Ce serait un beau signe de confiance que nous pourrions donner en faveur du développement économique de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui prévoit pour les PME, en plus du droit d’information des salariés préalable à la cession de leur entreprise – DIPS, une obligation à la charge de l’employeur de notifier à ses salariés un projet de vente, lorsqu’il a trouvé un acquéreur, en précisant les conditions de la vente et le prix et en leur permettant de consulter les documents comptables et sociaux de l’entreprise. La vente est alors suspendue pour permettre aux salariés de présenter une offre. Par ailleurs, pour accompagner les salariés dans leur réflexion et leur démarche, la proposition de loi prévoit une heure mensuelle d’information syndicale.

Vous comprendrez évidemment qu’il est difficile, pour des raisons de fond, notamment constitutionnelles, et d’opportunité, de soutenir ce droit de préemption. En effet, dans la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet dernier, nous avons déjà mis en place une obligation d’information des salariés avant la cession de leur entreprise. Face aux questions que suscite ce droit nouveau, nous avons pris l’engagement de lui apporter les ajustements nécessaires tout en renforçant la vocation des salariés d’être une chance supplémentaire pour la reprise de leur entreprise.

S’agissant de l’article 1er, le droit de préemption qui est proposé allonge nécessairement le processus de vente pour permettre aux salariés de se positionner. Le droit d’information préalable est plus souple, car il permet au cédant de les informer plus en amont s’il le souhaite. Il nous semble être plus en adéquation avec la réalité économique et sociale des entreprises. Dans votre dispositif, la notification aux salariés devient une offre de vente imposée. On est donc loin du droit d’information préalable et cette contrainte n’apparaît pas justifiée au regard de la liberté du cédant et de la liberté contractuelle. En outre, la justification du droit de préemption serait la préservation de l’emploi. Or, il n’est pas garanti qu’en toutes circonstances les salariés soient les meilleurs repreneurs.

Il est également prévu que la sanction en cas de méconnaissance de cette notification soit la nullité de la vente, prononcée par le juge sur recours de tout salarié. Nous avons confié à l’une de vos collègues, Fanny Dombre Coste, une mission d’évaluation de ce droit, afin de pouvoir proposer les adaptations les plus pertinentes à la représentation nationale. Cette mission a mis en évidence que la nullité d’une vente d’une PME avait des effets néfastes sur l’emploi. Les conséquences de la nullité, plusieurs années après le transfert de propriété, ainsi que les répercussions du risque pendant la période d’attente du jugement ne sont pas maîtrisées. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces sujets dans quelques semaines avec des propositions concrètes.

L’enjeu ne nous semble pas consister à substituer les salariés à un repreneur dans une négociation, mais plutôt à en faire des repreneurs potentiels, qu’il existe une offre ou pas. Nous souhaitons, et je l’ai dit avec vigueur mardi soir au Sénat, que les salariés soient une chance supplémentaire pour le cédant, aux conditions établies par les salariés eux-mêmes. Seule une information pédagogique et anticipée peut le favoriser. À moyen terme, des solutions innovantes trouvées par les salariés émergeront aussi et contribueront à assurer la pérennité et l’implantation locale d’une entreprise.

Une reprise par les salariés, surtout quand elle fait suite à des tensions avec l’ancien propriétaire, requiert impérativement un travail en bonne intelligence avec tous les acteurs. Cela est déterminant pour l’ouverture des marchés et celle des crédits, sans lesquelles il n’est pas d’activité possible. Il ne faut pas imposer la reprise par les salariés, mais l’inciter. C’est l’un des enseignements des reprises Fralib et Pilpa, que nous avons soutenues. J’ai eu le plaisir de recevoir ces coopératives de salariés à Bercy voici deux semaines pour continuer à les aider.

Le Gouvernement a déjà soutenu les initiatives parlementaires en matière de protection de l’emploi dans les entreprises établies en France avec la loi Florange, qui a introduit l’obligation de rechercher un repreneur pour les entreprises de plus de 1 000 salariés et a renforcé le rôle du comité d’entreprise durant la période d’offre publique d’achat. Vous savez que nous y sommes attentifs et que nous avons montré que cet attachement est concret, puisque nous l’avons traduit en propositions législatives, que ce soit avec la loi sur l’économie sociale et solidaire ou avec celle pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances plus récemment.

S’agissant de l’article 2, selon votre dispositif, l’accès des salariés aux documents économiques et sociaux n’est pas organisé de manière à préserver les intérêts de l’entreprise. En effet, le droit d’accès à ces documents s’exerce sans les garanties offertes par le droit de discrétion qui s’applique pour le droit d’information préalable et les institutions représentatives du personnel. Ces garanties nous semblent essentielles.

L’implication des syndicats dans le processus de formation et de reprise par les salariés n’est pas une option retenue par le Gouvernement. Il existe des professionnels tels les URSCOP – unions régionales des sociétés coopératives et participatives – et des cabinets spécialisés dont le métier est d’accompagner les salariés dans leurs projets de reprise. Les syndicats sont des atouts précieux qui peuvent utilement apporter leur contribution au processus. Cela est clair et incontestable. Toutefois, il ne nous paraît pas être dans leur intérêt de prendre la responsabilité de l’accompagnement des salariés dans une reprise, ni même de la formation des salariés.

La proposition de loi entend également former les salariés avec une heure mensuelle dispensée par les syndicats. Cette question pourra être débattue dans le cadre du projet de loi sur le dialogue social et l’emploi qui va être examiné à l’Assemblée dans le courant du mois. Toutefois, cette approche ne correspond pas au dialogue direct que nous souhaitons mettre en place avec des experts qui seront le plus souvent extérieurs à l’entreprise et que les salariés doivent pouvoir librement choisir. Dans la plupart des cas, un projet de reprise demande huit mois d’élaboration, avec une forte implication des repreneurs, et suppose un travail de fond de longue haleine que ne permet pas le seul créneau d’une heure mensuelle sur huit mois.

Vous proposez également de recourir à un expert-comptable pour éclairer le comité d’entreprise sur le projet de reprise par les salariés. Cela n’est pas adapté, dans la mesure où il peut y avoir plusieurs projets de reprise par les salariés et qu’il faut respecter les choix des salariés qui s’expriment en ce sens. Par ailleurs, l’étude de la faisabilité de l’offre des salariés doit être confiée dès le début à un professionnel qui va construire le projet de reprise et se rendre compte concrètement si le projet tient la route. L’accès à la base de données économiques et sociales par les salariés est de nature à rompre l’équilibre de l’accord national interprofessionnel de janvier 2013. Cette base a été créée pour les instances représentatives du personnel, pour l’exercice de leurs attributions économiques, notamment pour qu’elles disposent de davantage d’informations sur la stratégie de l’entreprise.

En revanche, nous partageons votre volonté d’instaurer plus de transparence dans le fonctionnement d’une entreprise. C’est la raison pour laquelle le droit d’information préalable des salariés est complété par une information sur les conditions d’une reprise qui sera renforcée dans le cadre du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Gaby Charroux.

M. Gaby Charroux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous sommes très satisfaits de pouvoir débattre dans cet hémicycle de cette proposition de loi sur le droit de préemption des salariés déposée par notre groupe. Nous en sommes d’autant plus satisfaits que ce texte est né d’un travail en ateliers législatifs. Nous avons travaillé à partir de l’expérience de salariés qui ont repris leurs entreprises, de militants associatifs ou politiques qui connaissent bien ces questions et de juristes. Nous les remercions d’ailleurs pour leur investissement dans ce projet.

Le sujet dont traite notre proposition est brûlant, car les reprises de TPE et de PME par des fonds d’investissement ou d’autres actionnaires peu soucieux de l’emploi se multiplient et les dégâts sont colossaux. J’en veux pour preuve que le groupe textile américain HBI, propriétaire de la marque de sous-vêtements Dim, envisage de supprimer 265 postes sur 1 500 chez Dim, dont 165 dans les fonctions support à Autun, en Saône-et-Loire, lieu de naissance de la marque. Ce plan de licenciement est la résultante des pressions exercées par les fonds de pension et de placement qui détiennent le groupe. Le groupe Vivarte, qui possède les enseignes Kookaï, André et La Halle – des noms qui parlent à chacun d’entre nous ici – va se séparer de 1 600 salariés. Cette décision a également été prise sous la pression des représentants des fonds.

Dans ma circonscription, dans mon département des Bouches-du-Rhône, les dégâts industriels sont hélas très nombreux : fermeture de la raffinerie de Berre, alors qu’il y avait un repreneur, restructuration de Total la Mède, la raffinerie, avec à la clé 178 suppressions de postes… La société Nexcis, à Rousset, également dans les Bouches-du-Rhône, qui a encaissé d’innombrables aides publiques et qui détient un brevet de vitres productrices d’énergie, est menacée de fermeture, ce qui signifie la perte de ses 77 emplois et d’un savoir-faire exceptionnel. En cascade, ce sont des milliers d’emplois en sous-traitance, des PMI, des PME et des artisans qui sont menacés. Et je ne vous parle même pas de la SNCM, de Kem One et des dizaines d’emplois induits de PME et de TPE qui disparaissent.

Élus de droite comme de gauche, nous sommes tous confrontés à ces situations terribles et devons gérer les conséquences de fermetures d’entreprises dans nos circonscriptions. Une disparition de PME, et ce sont des salariés au chômage, une activité économique en berne, des commerces qui ferment, des habitants qui partent et des écoles qui suppriment des classes. Vous connaissez cette litanie aussi bien que moi.

L’objectif de cette proposition de loi, qui est de maintenir les entreprises et leurs emplois dans nos localités, devrait être unanimement partagé. Il me semble que la question à se poser pour savoir si cette proposition de loi doit être adoptée est la suivante : dans les situations que je viens de décrire, les choses auraient-elles été différentes si les salariés avaient eu l’occasion de reprendre l’entreprise en lieu et place d’actionnaires peu scrupuleux ? La réponse est oui, évidemment.

Les chiffres démontrent que la pérennité d’une entreprise reprise par des salariés est plus grande. En outre, les salariés ne seront pas tentés de délocaliser et voudront maintenir les emplois de l’entreprise.

Nous souhaitons que ces entreprises soient reprises en coopérative. C’est l’esprit du texte, puisqu’il faut au moins deux salariés pour reprendre l’entreprise. Nous pensons que l’intelligence collective est toujours un atout et nous ne sommes pas démentis par les chiffres de la confédération générale des SCOP, cités précédemment par la rapporteure.

L’exemple des Fralib, à Gémenos, dans les Bouches-du-Rhône, qui ont repris en coopérative leur unité de production de thé alors qu’Unilever souhaitait liquider l’entreprise, est révélateur de la capacité des salariés. Mais faut-il que ceux-là fassent à chaque fois plus de 1 000 jours de grève pour obtenir le droit de reprendre leur entreprise ?

Bien sûr, la reprise sous forme de coopérative n’est pas la solution universelle, le remède miracle. Mais elle offre des garanties, y compris en matière de gouvernance démocratique et de partage des bénéfices en faveur du maintien de l’activité, qui laissent penser que ce procédé permet de remettre l’économie au service de l’homme.

Nous avons entendu les craintes, mais aussi les peurs que l’on agite pour nous empêcher de réfléchir sereinement à la question qui nous est posée, celle de la préservation du tissu économique de nos territoires et de leur dynamisme social. Si l’on veut bien lire attentivement ce texte, on verra qu’il n’est nullement question d’expropriation, d’obligation de vente, de fixation du prix par un juge ou que sais-je encore. Il s’agit simplement de permettre aux salariés de se substituer en tout point au repreneur, c’est-à-dire de respecter l’intégralité des conditions définies entre le cédant et le futur acheteur.

Le propriétaire n’est absolument pas obligé de vendre ; il reste libre de fixer son prix. Nous ne pensons pas que, comme certains l’avancent, les repreneurs renonceront à faire des offres : dans les faits, les salariés qui font confiance à un repreneur ne feront pas jouer le droit de préemption ! La reprise d’une entreprise par ses salariés est une telle aventure qu’ils useront de ce droit uniquement lorsque le repreneur sera fortement soupçonné d’être mal intentionné.

La plupart des propriétaires de TPE ou PME ont à cœur de faire perdurer l’entreprise à laquelle, le plus souvent, ils ont consacré toute une vie, et parfois, leurs parents avant eux. L’illustration la plus édifiante est celle du créateur de l’entreprise Gaillon, qui n’a pas hésité à se joindre à ses anciens salariés pour tenter de reprendre avec eux l’entreprise, afin de mettre en échec le projet de délocalisation du fonds de pension qui la détenait. Ces propriétaires ont envie de trouver un repreneur fiable, pour poursuivre leur œuvre. Ils n’ont aucune difficulté à imaginer que ce puisse être leurs salariés.

Dans cette situation, nul besoin de la loi. Le propriétaire préparera cette transmission en toute sérénité, en communiquant son savoir et sa société, étape par étape. Ce passage de témoin se fera de la meilleure des façons pour le cédant et les salariés.

Mais le propriétaire peut aussi redouter la cession, qui signifie la fin de sa vie active. Bien souvent, il n’anticipe pas son départ. Dans ce cas, la loi Hamon sur l’économie sociale et solidaire oblige l’employeur à annoncer les événements à venir. Et nous escomptons bien, madame la secrétaire d’État, que l’ensemble de cette loi sera appliqué et surtout qu’elle sera renforcée par la présente proposition.

Des négociations pourront alors s’ouvrir avec les salariés pendant le délai d’information instauré par la loi Hamon. Si le propriétaire refuse obstinément toute discussion avec les salariés, nous proposons qu’ils puissent préempter leur entreprise, dans le cas où le repreneur ne leur conviendrait pas.

Ce droit à la préemption pour les salariés s’inscrit dans une importante lignée de droits identiques qui paraissent aller de soi. En effet, personne ici ne trouve illogique que le propriétaire qui souhaite vendre son appartement le propose prioritairement à la personne qui l’habite ! Personne n’est étonné du fait que le propriétaire qui veut céder sa terre agricole la vende en priorité à celui qui en vit, c’est-à-dire l’exploitant qui la loue !

Les salariés vivent de leur travail, la logique est la même. Il est cohérent que leur outil de travail, ce qui leur permet de gagner leur vie et de produire, de faire vivre leur savoir-faire, leur soit vendu de façon préférentielle. La propriété permet ici de vivre plus dignement et plus librement de son travail, comme le journalier qui devient propriétaire de sa terre, comme le salarié qui devient propriétaire de son outil de travail.

Ce droit de préemption est justifié par le maintien de l’emploi et d’une activité économique sur nos territoires. Il est limité et proportionné, car seuls les salariés de l’entreprise peuvent la préempter. Par ailleurs le propriétaire décide et de la cession et du prix de vente. La constitutionnalité de ce droit ne devrait pas poser de problème puisque l’intérêt général devrait l’emporter sur la très légère atteinte, si atteinte il y a, portée à la liberté contractuelle du cédant, celle de ne pouvoir choisir son acheteur.

Ce droit nouveau serait renforcé par une meilleure information des salariés, qui figure dans l’article 2 de notre proposition de loi et se matérialise par différents dispositifs. En cas d’offre de vente de leur entreprise, les salariés auraient accès à la base de données économiques et sociales et à une expertise comptable en vue de l’étude d’un projet de reprise de l’entreprise par les salariés, ceci dans les entreprises de plus de 50 salariés. Partout où une section syndicale existe, ils auraient également la possibilité, chaque mois, de discuter de ce type de sujet tous ensemble, durant l’heure d’information.

Ces droits permettent d’anticiper les événements et de favoriser une négociation sincère entre cédant et salariés au moment de l’information sur la cession, avant l’enclenchement d’une éventuelle préemption. Car sans information, il est difficile aux salariés de formuler une offre. Il s’agit de favoriser le processus de négociation avec l’employeur et d’éviter les situations où la société ne trouve pas de repreneurs.

Nous sommes convaincus, et l’actualité ne cesse de nous le rappeler, que notre pays a besoin de mesures fortes pour défendre les entreprises et les emplois face à l’attitude des actionnaires et des fonds de pension. Cela passe par la création de droits nouveaux pour les salariés.

Comme Marie-George Buffet vient de le rappeler, ce raisonnement est aussi celui du Conseil économique et social, qui s’est dit favorable, dans un avis voté en janvier 2013, au droit préférentiel des salariés lorsque des fonds prédateurs envisagent « la reprise d’entreprises dans une logique purement spéculative particulièrement dévastatrice en termes de destruction d’emplois, de perte de savoir-faire et de désindustrialisation des territoires ».

Comme vous le voyez, cette position est largement partagée. C’est pourquoi, mes chers collègues, nous n’hésiterons pas à voter cette proposition de loi et espérons que vous ferez de même. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et écologiste.)

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Selon Les Carnets de BPCE L’Observatoire, 15 000 à 20 000 entreprises sont vendues ou fermées chaque année en France, ce qui concerne 1,3 million de salariés. Parmi elles, 2 950 entreprises saines doivent fermer faute de repreneur. Ce sont autant de savoir-faire, de compétences et de cotisations qui sont perdus.

Il convient donc de prévoir un mécanisme qui puisse prévenir ces trop nombreuses fermetures faute de repreneurs, et aussi de donner une chance aux salariés face à des repreneurs peu scrupuleux, dont l’unique but est de dépecer une entreprise et n’en conserver que le carnet d’adresses afin de conforter leur propre activité.

Pour les salariés qui voient leur entreprise débitée petit à petit, l’angoisse est grande : c’est d’abord la comptabilité qui s’en va, suivie par le service des achats, puis celui des ventes ; pour finir, la production est totalement délocalisée. Pour les élus, il n’est rien de moins inquiétant que de voir les fleurons de leur territoire disparaître, rachetés par des fonds de pension dont ils subodorent que leur intérêt principal n’est pas la production industrielle. Ces industries font la vitalité de nos territoires, notamment ruraux.

M. Gaby Charroux. Bien sûr !

M. Paul Molac. Songez que dans ma circonscription, 20 % des emplois sont industriels. C’est énorme !

Visant notamment à sauvegarder l’emploi, cette proposition de loi prévoit qu’en cas de transmission d’une entreprise, le propriétaire communique aux salariés le prix et les conditions de vente et leur donne accès aux documents comptables, afin de leur permettre de formuler une offre concurrente. L’offre des salariés doit être formulée dans un délai de deux mois et elle est prioritaire. Toute cession intervenue sans respecter ces dispositions pourrait être annulée à la demande des salariés.

Les salariés disposeraient ainsi d’un véritable droit de préemption. Celui-ci se fonde sur le Préambule de la Constitution de 1946, qui énonce dans ses principes « le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » et le droit de participer « à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Il se fonde également sur les droits de préemption existants, celui qui protège par exemple le locataire d’un logement en cas de vente par son propriétaire, en lui permettant de se porter acquéreur du logement, ou qui protège l’agriculteur, puisque le propriétaire de la terre qu’il loue ne peut la récupérer que dans le seul but de l’exploiter, lui ou ses enfants.

C’est ce dernier droit – et c’est un ancien agriculteur qui vous parle – qui a permis au secteur agroalimentaire de se développer considérablement, notamment en Bretagne, dans les années 1960 et 1970. C’est du reste un ancien ministre socialiste, François Tanguy-Prigent, qui a modifié juste après la guerre le statut du fermage, qui tenait jusqu’alors le paysan sous la coupe de son propriétaire : le bail ne durait qu’un an, puisque le fermier pouvait être chassé de la terre qu’il cultivait toutes les Saint-Michel, en septembre ! Il est remarquable que, loin d’avoir affaibli l’activité économique, ce nouveau droit l’ait au contraire renforcée en Bretagne.

Jusqu’à maintenant donc, la législation ne protégeait pas le salarié en cas de vente de son entreprise. En l’absence de droit de préemption, la possibilité de reprise dépend de la simple volonté du chef d’entreprise. Le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, dans sa forme initiale, envisageait le droit de préemption et le groupe écologiste avait déposé un amendement allant dans ce sens. La disposition a finalement été retirée au bénéfice d’un simple devoir d’information des salariés sur les possibilités de reprise au moment de la cession de l’entreprise, pour les entreprises de moins de 250 salariés, et ce deux mois au plus tard avant la cession. La possibilité leur est ainsi donnée de formuler une proposition, sans que celle-ci soit prioritaire. Les décrets d’application marquant l’entrée en vigueur de cette mesure ont été publiés en novembre 2014.

Face à la mobilisation de certains chefs d’entreprise et notamment de la CGPME, le Gouvernement a chargé le 21 janvier la députée Fanny Dombre Coste d’une mission parlementaire pour évaluer l’application de cette mesure. Celle-ci a rendu ses conclusions le 18 mars. Le rapport suggère trois pistes pour assouplir cette obligation : d’abord, en cas de non-information des salariés, une simple contravention – vraisemblablement un pourcentage du prix de vente – en lieu et place de l’annulation de la vente ; ensuite, un allégement de l’obligation de s’assurer que chaque salarié a bien été mis au courant, la date de première présentation de la lettre recommandée faisant foi ; enfin, l’application du dispositif aux ventes d’entreprises stricto sensu, et non plus aux cessions partielles ou intragroupe.

Le Gouvernement a fait savoir qu’il envisageait de reprendre ces préconisations par voie d’amendements, dans le cadre de la navette parlementaire du projet de loi Macron. Mais, en examinant ce même projet, le Sénat a modifié mardi le dispositif Hamon en limitant l’information des salariés aux seuls cas de cessation d’activité sans repreneur. Benoît Hamon, de son côté, continue de défendre son texte, à juste titre ; il a fait remarquer que tous les garde-fous avaient été mis dans la loi pour que le secret des transactions soit préservé et que l’on ne fragilise pas les cessions.

Pour notre part, nous considérons que le texte de Benoît Hamon est un minimum. Il faut non seulement préserver le droit qu’il instaure, mais le renforcer afin qu’il devienne un droit de préemption à part entière. C’est ni plus ni moins l’objectif de la présente proposition de loi.

L’article 1er propose de créer pour les entreprises de moins de 250 salariés un droit de préemption des salariés lorsque le propriétaire de plus de 50 % des parts sociales d’une SARL, ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société anonyme, ou encore du fonds de commerce veut vendre.

L’article 2 autorise le conseil syndical à recourir à un expert-comptable en cas d’offre de reprise de l’entreprise à laquelle il appartient et octroie un nouveau droit : « l’heure syndicale ». Cette heure mensuelle d’information syndicale, à destination du personnel, à l’instar de ce qui existe dans la fonction publique, permettrait aux représentants syndicaux de se réunir avec les salariés de l’entreprise sur le temps de travail.

Notre groupe parlementaire salue la volonté de création de ce nouveau droit à destination des salariés, qui viendrait utilement consolider la procédure d’information afin d’accroître les chances de reprise par les salariés. Il aurait eu toute sa place dans la loi Hamon.

Un bref débat est par ailleurs né en commission quant au délai pendant lequel le droit de préemption s’applique. Le délai de deux mois actuellement prévu est en effet trop court pour que les salariés intéressés par une reprise puissent suffisamment s’organiser. La rapporteure nous proposera par amendement de le faire passer à quatre mois, ce qui nous semble judicieux au regard du temps d’information et de formation nécessaire pour une reprise réussie.

Si cette proposition de loi est adoptée, elle permettra de répondre aux besoins des territoires pour maintenir l’emploi, souvent non délocalisable et source d’innovation, car ce dispositif concernerait de nombreuses start-up et PME innovantes. Elle serait également une garantie contre les cessions spéculatives et permettrait de travailler autrement, de produire social, pérenne et écologique, et également d’affecter une partie de l’épargne salariale à la reprise d’entreprise par les salariés. En somme, elle permettrait aux salariés de mieux maîtriser leur avenir professionnel à chaque cession d’entreprise, source d’angoisses et parfois de drames sociaux.

Enfin, l’adoption d’un véritable droit de préemption aurait également pour vertu de développer la propriété collective de l’entreprise, surtout sous forme coopérative. Aujourd’hui, nous estimons que, sur les 160 000 coopératives de l’Union européenne, seules 21 000 sont françaises, ce qui représente tout de même 308 000 salariés. Il faut pouvoir encourager ce type d’entreprises, les SCOP, en particulier sur le modèle de la société Mondragon du Pays basque espagnol, véritable modèle unique au monde de coopératives intégrées. Mondragon jouit en effet d’une large reconnaissance internationale et est fréquemment citée comme exemple, prouvant la possibilité d’asseoir une mondialisation industrielle sur un réseau coopératif unifié et diversifié. Le complexe Mondragon regroupe plus de 116 structures. Deux tiers de ses 32 000 associés travaillent dans le Pays basque espagnol, qui affiche un taux de chômage de l’ordre de 3 %.

Les crises financières, économiques et sociales à répétition renforcent les aspirations à plus de démocratie. La reprise d’entreprises par les salariés en coopératives est donc appelée à se développer. Mieux : bien loin de jouer contre les chefs d’entreprise, il est primordial de maintenir l’emploi et l’activité dans les territoires en préservant les entreprises elles-mêmes d’une disparition pure et simple. C’est pourquoi nous estimons qu’il convient de renforcer le droit de préemption des salariés, et voterons cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Nous discutons aujourd’hui d’une proposition de loi due à l’initiative de Marie-George Buffet et des membres du groupe GDR et qui instaure un droit de préemption des salariés en cas de cession d’une PME. Très concrètement, comme cela a déjà été dit, dès lors que le propriétaire aura trouvé un acquéreur, il devra le notifier à ses salariés, lesquels garderont une priorité à l’acquisition de l’entreprise pendant deux mois. Toute cession ne respectant pas cette nouvelle procédure pourra être annulée à la demande d’un salarié.

L’article 1er s’inscrit volontairement dans la continuité des articles 19 et 20 de la loi relative à l’économie sociale et solidaire, dite loi Hamon. On rappellera que cette loi impose déjà aux PME de moins de 250 salariés d’informer leur personnel, au moins deux mois avant toute opération de cession, de l’intention de céder et de la possibilité de présenter une offre de rachat.

Or, le dispositif prévu par la proposition de loi du groupe GDR aggrave largement les obligations prévues par la loi relative à l’économie sociale et solidaire : non seulement il « bloque » l’opération de cession pendant deux mois dès la manifestation d’un acquéreur afin de laisser le temps aux salariés de se substituer à lui, mais en plus il prévoit la transmission de documents comptables ou relatifs au fonctionnement stratégique de l’entreprise, comme la base de données unique.

Notre groupe s’oppose à ce dispositif, ce qui ne surprendra personne, et certainement pas Mme la rapporteure. (Sourires.) Ce qui a pu surprendre en revanche, c’est le vote de la commission des lois, qui a adopté le texte. Pour mémoire, un mécanisme parent figurait dans l’avant-projet de loi relative à l’économie sociale et solidaire, avant d’en être retiré par le Gouvernement. Et pour cause ! On est aux antipodes du « choc de simplification » dont se targue ce gouvernement alors même qu’il a déjà bien du mal à donner à ce slogan une traduction concrète sur le terrain.

Dans une économie en berne, complexifier la cession des entreprises ne va pas créer de perspectives d’amélioration de l’économie. Ce n’est pas parce que l’on décide que l’acquéreur retenu par le cédant n’est pas le bon et que les salariés doivent être prioritaires…

M. Gaby Charroux. Essayez pour une fois d’avoir de l’audace, madame Dalloz !

Mme Marie-Christine Dalloz. …que l’on améliorera le carnet de commandes d’une entreprise, ses perspectives économiques et la conquête de nouveaux marchés. C’est cela, monsieur Charroux, qu’il faut bien comprendre.

Notre opposition à ce texte n’a certes pas de fondement juridique ou constitutionnel : il ne faudrait pas y voir une remise en cause du droit de préemption, qui connaît dans notre droit plusieurs applications légitimes. Mme la rapporteure a souhaité, dès l’examen en commission, préciser que son texte ne portait atteinte ni au droit de propriété ni au principe de la liberté d’entreprendre ou de la liberté contractuelle qui en découle. En effet, le propriétaire vend s’il le souhaite, au prix et dans les conditions qu’il souhaite.

Vous conviendrez cependant, mes chers collègues, que ce dispositif de préemption prive logiquement le propriétaire du choix de son acquéreur. Le propriétaire a souvent créé son entreprise, l’a fait grandir, y a mis ses économies et son énergie, comme M. Charroux l’a très bien dit. Il est donc difficile pour moi d’imaginer qu’il n’aura pas la liberté de choisir son acquéreur.

Monsieur Charroux, vous avez eu une formule très intéressante : vous avez évoqué une « très légère atteinte » à la liberté contractuelle du cédant. Jolie formule ! Mais je voudrais que l’on en mesure les conséquences sur le choix de la cession et sur l’économie…

Toutefois, le véritable problème me semble être ailleurs. Nous nous opposons à ce texte parce qu’il témoigne d’une méconnaissance totale de notre réalité économique. (Murmures sur les bancs du groupe GDR.)

Mme Jacqueline Fraysse. Oh !

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Il ne faut pas exagérer !

Mme Marie-Christine Dalloz. Sous couvert de vouloir sauver des emplois, objectif qui est bon et que nous pourrions partager, il risque au contraire de précipiter la disparition de ceux qui pourraient être sauvés, c’est-à-dire de provoquer des drames que ni vous ni nous ne souhaitons.

Premier risque identifié : celui de fragiliser encore un peu plus les processus de cession. Comme le droit d’information, ce nouveau droit impliquerait des délais supplémentaires, des risques en matière de confidentialité et la menace d’une nouvelle sanction de nullité constituant une insécurité supplémentaire pour les parties à la cession. En clair, le dispositif paralyserait systématiquement le mécanisme de cession pendant deux mois, alors que les salariés peuvent ne pas être intéressés ou ne pas disposer, même après ce délai, du financement nécessaire.

Deuxième risque identifié : celui de faire fuir les investisseurs et potentiels repreneurs. L’investissement stagne dramatiquement depuis trois ans, et ce ne sont certes pas les récentes annonces du Premier ministre qui vont changer la situation. Adopter cette proposition de loi, ce serait envoyer un nouveau signal très négatif à toutes les entreprises françaises. En donnant aux salariés l’accès aux documents stratégiques de l’entreprise, le texte lie pieds et poings le potentiel futur repreneur. Sans parler du fait qu’il retarde le processus de cession de deux mois, une éternité pour des petites entreprises qui ont besoin de gagner sans cesse des parts de marché pour survivre. Car c’est bien cela, leur réalité quotidienne, nous le constatons tous sur le terrain !

Bref, ce texte complexifie l’environnement normatif des PME. Il s’inscrit dans la lignée d’une série de décisions prises depuis 2012 qui, pardonnez-moi le terme, plombent les petites entreprises : création du droit d’information préalable en cas de cession, dont cette proposition se veut le prolongement, mais aussi création du compte pénibilité, revirements massifs et baisses des aides sur l’apprentissage, ou encore CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – mal ciblé…

Ironiquement, cette proposition de loi intervient alors que le Gouvernement prend lui-même conscience de ses erreurs et multiplie les missions pour atténuer l’effet destructeur des différentes mesures que je viens de citer. Je pense à la mission en cours sur la simplification du compte pénibilité – comment ne pas y voir l’aveu d’un défaut d’anticipation ! – dont nous attendons les conclusions avec impatience, ou aux annonces faites à la suite de la remise du rapport Dombre Coste sur le droit d’information. Nous ne disposons pas de retours concernant ces dispositions, donc l’impact sur les cessions n’a pas été mesuré. Ce serait pourtant utile, avant d’adopter un dispositif encore plus contraignant !

La cacophonie gouvernementale est telle que bienheureux celui qui pourra dire quelles suites concrètes seront données à ce rapport. J’en retiens toutefois que la mission d’évaluation envisage de revenir sur les sanctions relatives au droit d’information, notamment la sanction de nullité de la cession en cas de méconnaissance de ce droit. Or, et c’est bien là le paradoxe, la proposition de loi que nous examinons crée une nouvelle obligation dont la méconnaissance ouvre droit, encore une fois, à une action en nullité de la cession. C’est quand même extraordinaire !

Ces considérations rendent d’autant plus incompréhensible le vote de nos collègues en commission des lois. Malgré les bonnes intentions de Mme la rapporteure, je tiens à le souligner car je ne doute pas de ses convictions, ce texte risque réellement de contrevenir à ses objectifs. N’aggravons pas une situation déjà difficile pour les salariés de ces entreprises. Faisons plutôt confiance aux cédants, qui ont comme principale ambition la survie de leur entreprise. Eux sauront mieux que quiconque, et certainement mieux que le législateur, se tourner soit vers leurs salariés, soit vers un acquéreur extérieur, pour le bien et la pérennité de leur entreprise. Plutôt que de régenter la vie des entreprises, laissons-leur le peu de liberté qui leur reste encore.

Mme Arlette Grosskost. Bravo !

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Depuis plusieurs années, dans notre pays, nous assistons à l’émergence d’une véritable fibre entrepreneuriale, à la fois innovante et prometteuse. Alors que les reprises de sociétés ont toujours été considérées comme moins risquées, nous constatons que les entrepreneurs se tournent de plus en plus vers la création d’entreprises, pourtant réputée plus dangereuse.

Si ce phénomène peut paraître étonnant dans un contexte de french bashing quasi permanent, il ne fait finalement que confirmer l’incroyable potentiel économique dont dispose notre pays. Les entrepreneurs n’attendent plus que des signaux encourageants de la part des pouvoirs publics, des signaux qui les convaincront de rester en France et d’y prospérer durablement.

Si nous devons mettre en place des mesures à la hauteur de cet éveil entrepreneurial, nous devons aussi encadrer plus efficacement les cessions d’entreprises, qui constituent un enjeu majeur en termes d’emplois. Selon le Gouvernement en effet, 37 000 emplois auraient été supprimés en 2011 à l’occasion de la fermeture de 2 383 PME considérées comme saines. Ces chiffres particulièrement alarmants montrent bien le challenge économique et social que représente aujourd’hui une reprise de société.

La proposition de loi de Marie-George Buffet participe justement à cet objectif, en cherchant à trouver une issue favorable à toute reprise, plus particulièrement à la reprise d’entreprises saines. Alors que notre pays ne parvient pas à sortir d’une crise économique désastreuse, le groupe UDI ne peut que rejoindre les préoccupations exprimées par Mme la rapporteure.

Si le Premier ministre a su rappeler, dans toutes les langues, son attachement au monde de l’entreprise, nous pensons qu’il est désormais temps d’agir si nous voulons retrouver notre compétitivité. En effet, est-il nécessaire de rappeler que le taux de marge de nos entreprises est désormais le plus faible de la zone euro ? Face à un tel constat, le Gouvernement doit, plus que jamais, accompagner les entreprises sur le chemin de la croissance.

Or, les différentes annonces faites jusqu’à présent n’ont pas permis le redressement économique tant attendu. Entre matraquage fiscal et mise en place de dispositifs complexes comme le CICE, les entreprises n’ont malheureusement pas été gâtées par un Gouvernement déconnecté des réalités du terrain. Pire, alors qu’on nous annonçait l’arrivée d’un « choc de simplification » sans précédent, nous ne pouvons que constater la schizophrénie gouvernementale sur ce point.

L’adoption en juillet 2014 de la loi relative à l’économie sociale et solidaire est un exemple révélateur des errements d’une majorité peu lucide face aux difficultés déjà subies par les entreprises. Je pense par exemple à l’instauration d’un droit d’information préalable des salariés en cas de cession d’entreprise. Ce nouveau droit ne peut que fragiliser le processus de cession car il risque d’effrayer à la fois les salariés de l’entreprise et les potentiels repreneurs extérieurs.

Faute de pouvoir supprimer ce dispositif, le groupe UDI avait proposé de le sécuriser en prévoyant une véritable obligation de confidentialité de la part des salariés, en supprimant le délai de deux mois, ou encore en limitant le droit d’information aux seuls cas d’absence de repreneurs. Tout au long des débats, nous avions mis en garde le Gouvernement sur les risques qu’il y avait à ajouter un peu plus de complexité à un monde de l’entreprise déjà submergé – et vous le savez bien, madame la secrétaire d’État – par le poids des normes.

Preuve de notre clairvoyance, la députée socialiste Fanny Dombre Coste a récemment publié un rapport qui propose précisément d’alléger les contraintes imposées par le nouveau droit d’information préalable des salariés.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Hélas ! C’est un recul !

M. Yannick Favennec. Parmi les pistes étudiées, elle propose notamment d’assouplir l’obligation de s’assurer que chaque salarié a bien été informé. Cela évitera de pénaliser un chef d’entreprise qui n’aurait pas pu prévenir à temps un salarié en déplacement, en vacances ou en congé maladie. Notre collègue préconise également une contravention en cas de non-information des salariés plutôt que l’annulation pure et simple de la vente.

Les conclusions de ce rapport vont donc dans le bon sens, surtout lorsque l’on sait que les dirigeants de TPE et PME passent, en moyenne, près d’un tiers de leur temps de travail à gérer des tâches administratives au lieu de faire croître l’activité de leur entreprise.

Dans un tel contexte, il nous semble donc tout à fait irréaliste de vouloir imposer un droit de préemption comme le propose le groupe GDR. La présente proposition de loi ne ferait que renforcer le principe d’information préalable des salariés, qui est déjà largement discutable.

L’adoption de ce texte pourrait avoir des conséquences pour le moins ubuesques. En effet, tout employeur ayant trouvé un acquéreur se verrait dans l’obligation de notifier les conditions de la vente à ses salariés. Ces derniers pourraient alors se substituer au nouvel acquéreur en reprenant l’offre à leur compte et en devenant, de fait, propriétaires de l’entreprise. Ce droit de préemption ne peut que décourager les éventuels repreneurs qui ne chercheront certainement pas à faire une offre qui a des chances d’être reprise par les salariés.

Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau délai de deux mois nous semble tout à fait irréaliste, et risque même de dissuader les potentiels acquéreurs. En effet, ils devront dans un premier temps attendre deux mois pour savoir si des salariés souhaitent reprendre l’entreprise dans le cadre du droit d’information préalable. Puis, si un acquéreur décide de faire une offre de rachat, il devra patienter à nouveau deux mois pour savoir si ces mêmes salariés souhaitent désormais exercer leur droit de préemption.

Le processus de cession s’apparentera à un véritable parcours du combattant, et il est à craindre que de nombreux entrepreneurs jettent l’éponge bien avant. En outre, il paraît difficilement concevable qu’un acquéreur proposant une offre raisonnable de rachat soit débouté au profit des salariés qui reprendront la même offre à leur compte.

Cette mesure remet dès lors directement en cause le droit constitutionnel de propriété, ce qui est tout à fait inquiétant. Les députés du groupe GDR ne cachent d’ailleurs pas leur volonté de généraliser ce principe à l’ensemble des situations dans lesquelles les salariés peuvent racheter leur outil de production.

Outre sa fragilité juridique, cette proposition de loi repose sur un postulat contestable visant à affirmer que les salariés sont toujours les mieux à même de reprendre leur entreprise. Si une étude du Trésor a récemment constaté une meilleure longévité pour les entreprises reprises par les salariés, il ne nous semble cependant pas nécessaire d’imposer des mesures aussi radicales, qui risqueraient d’inquiéter les acquéreurs extérieurs. La fuite de ces repreneurs constituera, indéniablement, l’un des effets pervers de ce texte. Or est-il préférable de laisser disparaître une société plutôt que de lui trouver un acquéreur extérieur fiable ? Enfin, la possibilité pour un salarié d’annuler une cession si aucune notification ne lui a été faite est une mesure beaucoup trop extrême qui finira de décourager les entrepreneurs.

Par ailleurs, reprendre une entreprise n’est pas une chose aisée. Il faut avoir des compétences managériales reconnues pour espérer réussir la transition. Si ce texte vise précisément à préparer davantage les salariés à la reprise, il manque néanmoins de réalisme. L’objectif peut paraître louable, mais le groupe UDI exprime de grandes réserves quant à l’idée d’autoriser les sections syndicales à tenir, pendant les heures de travail, des réunions mensuelles d’information. La mise en place de ces réunions risque de représenter une nouvelle source de complexification, notamment en termes d’organisation.

Mes chers collègues, nous comprenons que l’idée d’imposer un droit de préemption puisse paraître, de prime abord, intéressante. Malheureusement, une telle obligation ne fera qu’imposer des contraintes supplémentaires à des chefs d’entreprise déjà submergés par l’empilement des normes.

Mme Marie-Christine Dalloz. Exactement !

M. Yannick Favennec. Cependant, le groupe UDI est prêt à travailler sur des solutions pour améliorer le processus de cession d’entreprise. Le rapport remis par notre collègue Francis Vercamer en avril 2010 évoquait déjà la possibilité de développer les SCOP pour la reprise d’entreprises saines ayant un potentiel d’activité et de développement avéré. S’il est intéressant de privilégier cette alternative, il n’est en revanche pas nécessaire de créer un droit d’information préalable et encore moins un droit de préemption. C’est pourquoi le groupe UDI s’opposera à cette proposition de loi.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. Gaby Charroux. Quel dommage ! Allez au bout de l’idée !

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. La proposition de loi que nous examinons ce jour se propose d’instituer un droit de préemption au bénéfice des salariés des TPE et PME, c’est-à-dire des entreprises de moins de 250 salariés, en cas de vente ou de changement de majorité de la société qui les emploie. Elle se propose aussi d’améliorer l’information des personnels sur l’initiative des sections syndicales.

Une fois qu’on a lu l’exposé des motifs, cette proposition de loi inspire des sentiments partagés. On est tout d’abord en accord total avec l’idée même de permettre aux personnes qui ont participé à la réussite et au développement de l’entreprise d’en être un jour, plus qu’un simple salarié, un propriétaire. Quoi de plus légitime en effet que d’être aussi maître de son destin professionnel ? Puis ressort l’incrédulité face à la nécessité de devoir imaginer un droit de préemption pour donner corps à une telle aspiration. Il y a derrière l’idée de préemption comme un malaise, car elle traduit en quelque sorte l’absence de confiance d’un dirigeant envers ses salariés.

Ces derniers, qui ont permis à l’entreprise d’être aussi ce qu’elle est, peuvent tout à fait légitimement espérer en être également les repreneurs. On doit alors s’interroger sur ce qui pousse à envisager l’exercice d’un droit de préemption, alors même que tout le monde s’accorde à dire que l’acte de gestion le plus difficile à réussir pour un chef d’entreprise est le dernier, c’est-à-dire celui qui consiste à réussir sa transmission.

Mme Marie-George Buffet. Exactement !

M. Jean-Michel Clément. Cette difficulté vaut donc également pour les repreneurs.

La transmission est, nous le savons tous, un phénomène complexe. Si l’on s’attarde un instant sur ce processus, on constate que sa réussite repose, en règle générale, sur la succession de trois phases qui se complètent ; vous les avez évoquées, madame la rapporteure.

La première est celle de la transmission du savoir. C’est la phase de collaboration au cours de laquelle se transmettent en même temps le savoir-faire et le savoir-être. Elle est plus ou moins longue selon le secteur d’activité, le processus de production, l’état de la concurrence et l’évolution technologique.

La deuxième phase est celle de la transmission du pouvoir. C’est la phase d’accès aux responsabilités en qualité de chef d’équipe, de cadre, voire de dirigeant dans les PME. Le lien de subordination subsiste, mais l’exercice de responsabilités fait du salarié un dirigeant en puissance.

La troisième, enfin, est celle du transfert de propriété. C’est la phase où s’accomplit la transmission définitive permettant ainsi aux salariés d’accéder à cette double qualité de travailleurs et de détenteurs du capital de l’entreprise ou de la société.

Ces considérations montrent à quel point il peut être difficile de réussir une transmission dont la préemption serait le moyen juridique, en particulier si ce droit est encadré dans un délai court de deux mois. Pour autant, on peut aussi se dire que la fin justifie les moyens lorsqu’on observe des cessionnaires sans scrupule racheter des entreprises dans le seul but de les faire disparaître pour éviter la concurrence, ou encore pour mieux les déplacer en cédant celles-ci par éléments successifs.

Reconnaissons qu’entre ces deux écueils, voir réussir la transmission au profit des salariés ou éviter que l’entreprise ne disparaisse ultérieurement, le choix est vite fait. Mais une transmission réalisée aussi rapidement peut-elle être réussie ?

L’exposé des motifs met en évidence que les entreprises sous statut coopératif ont une plus grande pérennité que les entreprises classiques. C’est certes un fait statistique, mais cette réussite est avant tout le fruit d’un travail collectif réalisé en amont de la reprise par les salariés, réunis autour du même projet et dans un délai bien supérieur aux deux mois prévus par cette proposition de loi. Pour avoir participé moi-même à de tels montages, je puis en témoigner. J’ajoute même que lorsqu’il s’est agi d’organiser une reprise par des salariés à la suite du dépôt de bilan de leur entreprise, la période d’observation, qui est en général plus longue que celle de deux mois ici prévue, s’est avérée souvent trop juste pour proposer un plan de reprise garantissant la réussite future.

Mme Marie-Christine Dalloz. En cas de reprise, et non pas de cession !

M. Jean-Michel Clément. Dans ces cas-là, un délai est alors demandé au tribunal pour y parvenir dans de meilleures conditions.

Concernant le contexte législatif, la proposition de loi reprend un amendement parlementaire déposé lors des débats sur le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire. Celui-ci avait été repoussé par le Gouvernement au nom du risque important de contentieux, du risque d’inconstitutionnalité du dispositif et de la forte complexité des mécanismes de transmission des entreprises. A toutefois été retenue l’instauration d’un délai de deux mois permettant aux salariés de présenter une offre de rachat d’un fonds de commerce dans les entreprises de moins de 50 salariés, aujourd’hui codifié à l’article L. 141-23 du code de commerce, et un même délai de deux mois pour une offre de rachat des parts sociales, actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital dans les sociétés de moins de 50 salariés, qui figure à l’article L. 23-10-1 de ce même code. Un droit d’information a ainsi été créé dont les modalités ont été précisées par le décret du 28 octobre 2014.

Des difficultés pratiques sont rapidement apparues, et j’en avais moi-même été alerté par un certain nombre de professionnels. Madame la secrétaire d’État, vous avez commandé un rapport d’évaluation à Fanny Dombre Coste sur la mise en œuvre de ce droit d’information préalable des salariés en cas de cession de leur entreprise. Il ressort de cette étude que des améliorations répondant aux attentes de toutes les parties intéressées doivent être apportées afin de rendre le dispositif d’information plus efficace et plus sécurisé sur le plan juridique.

Il est évident que ces améliorations profiteront aux hypothèses d’acquisition et qu’il est prématuré d’aller vers un droit de préemption qui ne serait pas sécurisé.

La question de la sécurité juridique se pose également en termes constitutionnels et, sur ce plan, la comparaison avec l’existence d’autres droits de préemption ne permet pas non plus d’affirmer que le dispositif est sécurisé.

En effet, dans sa décision du 27 mars 2014, le Conseil constitutionnel, saisi de dispositions mettant en cause l’exercice du droit de propriété et la liberté d’entreprendre, eu égard aux contraintes qu’elles faisaient peser sur le choix de gestion des entreprises, a pu juger « qu’en permettant un refus de cession en cas d’offre de reprise sérieuse dans le seul cas où il est motivé par la "mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise" cessionnaire, les dispositions contestées ont pour effet de priver l’entreprise de sa capacité d’anticiper des difficultés économiques et de procéder à des arbitrages économiques à un autre niveau que celui de l’ensemble de l’activité de l’entreprise ».

Rapporté à la situation de cession qui nous occupe, il n’est pas certain que le droit de préemption exercé par seulement quelques-uns des salariés soit le gage de la pérennité de l’entreprise aux yeux du cédant et des salariés qui ne s’associeront pas à la reprise. La lecture des principes constitutionnels fait apparaître, selon moi, une différence fondamentale entre une cession voulue et une cession forcée, surtout si celle-ci est réalisée dans un délai court de deux mois. Il n’est pas certain que la sécurité de l’emploi soit mieux assurée dans ces conditions, y compris dans l’intérêt général de l’économie.

De surcroît, la question de la préemption des parts de sociétés agricoles, déjà posée lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, a été écartée pour des motifs de constitutionnalité en raison de l’atteinte à la liberté contractuelle, plus particulièrement à l’affectio societatis, dans le cadre d’un contrat de société, lorsque la préemption envisagée par la SAFER ne portait pas sur la totalité des parts sociales ou actions d’une société détenant des actifs immobiliers agricoles. Autrement dit, si la préemption ne porte que sur la majorité du capital, il y a un risque d’inconstitutionnalité pour les motifs invoqués.

C’est pourquoi, si l’idée même de l’exercice d’un droit de préemption en cas de cession d’entreprise ne doit pas être écartée de notre droit positif, je ne pense pas qu’en l’état le texte qui nous est proposé soit suffisamment sécurisé.

Il nécessite à tout le moins d’être retravaillé à l’aune des propositions du rapport de Fanny Dombre Coste et du retour d’expérience sur la mise en œuvre du droit d’information préalable tel que prévu par la loi relative à l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014.

Ce droit nouveau a du sens pour les salariés et les entreprises. Il doit être conforté et préservé, mais la traduction juridique qui découle de ces deux articles mérite d’être adaptée et améliorée. Dès lors, ce dispositif devra se concrétiser dans une priorité de rachat renforcée donnée aux salariés. Telle est la suite logique attendue : le droit d’information, pour avoir du sens, doit permettre aux salariés d’être prioritaires dans la cession qui se profile.

Quant à l’octroi de droits nouveaux pour les salariés, en particulier lors de la cession de leur entreprise, nous devons nous demander comment préserver les intérêts de cette dernière et encadrer ce droit qui doit être circonscrit aux circonstances particulières de la cession. Je pense par exemple à la détermination du prix ou aux clauses de garantie d’actif et de passif.

Toutes ces considérations se rattachent, à mon avis, au texte relatif à la modernisation du dialogue social dans l’entreprise qui viendra prochainement devant notre assemblée.

Pour toutes ces raisons, qui ne sont pas des raisons de fond mais d’opportunité dans le temps, mon groupe ne votera pas cette proposition de loi.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Je voudrais tout d’abord répondre à Mme Dalloz qui s’étonnait que la commission des lois ait adopté cette proposition. Ce fut pourtant le cas et peut-être pour une seule raison : permettre à nos TPE et PME de survivre et de se développer. Nous avons besoin d’elles pour relancer notre économie et faire vivre nos territoires. C’est pour cette raison que nous ouvrons ce nouveau droit aux salariés.

Mme Marie-Christine Dalloz. Ce ne sera pas suffisant.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Quelles sont les menaces qui pèsent aujourd’hui sur les PME et les TPE ? Tout d’abord, les charges financières. Trop souvent les petites entreprises sont étranglées lorsqu’elles ont besoin de crédits par exemple pour rénover leurs outils de production.

Par ailleurs, vous avez certainement été, comme moi, sollicités dans vos permanences par des dirigeants de petites entreprises qui ne trouvaient pas de repreneur et demandaient qu’on les accompagne dans cette démarche.

Mme Arlette Grosskost. Dans ce cas, oui.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Et surtout, un repreneur qui poursuive leur œuvre ! Souvent, les TPE sont dirigées par des hommes ou des femmes qui les ont créées ou héritées de leurs parents. Or, ils voient arriver bien souvent des entrepreneurs qui ne font aucun cas de cette œuvre humaine, qui s’intéressent aux seules marges qu’ils pourraient réaliser, au seul racket du savoir-faire de l’entreprise ou de son carnet de clients, qui veulent délocaliser pour augmenter les marges.

Cette proposition de loi offre une piste supplémentaire pour permettre une reprise saine : un droit d’information et de préemption ouvert aux salariés. C’est une possibilité, pas une obligation pour ces derniers. Dans beaucoup de petites entreprises, cela permettra un échange entre le cédant, l’« auteur » de l’entreprise et ses salariés, afin d’offrir un avenir à cette entreprise.

Concernant le droit à l’information des salariés, voyez dans les faits quel esprit de responsabilité les anime ! À chaque menace de délocalisation ou de licenciement, ils réfléchissent à des plans alternatifs, ils proposent des solutions, ils essayent de sauver leur entreprise. Leur donner les moyens de le faire en leur fournissant toutes les informations nécessaires, qu’il s’agisse de la situation comptable ou des perspectives de l’entreprise, ne peut que conforter l’entreprise elle-même.

Les chiffres que j’ai fournis relatifs à la viabilité et à la capacité des SCOP à développer des productions modernes et durables montrent que cette solution est positive pour notre économie.

J’en viens à la constitutionnalité de ce texte. Si la question était simplement de le sécuriser, comme le prétend M. Clément qui se dit d’accord sur le fond, pourquoi ne pas l’avoir amendé dans ce sens ? Il aurait ainsi pu voter cette proposition de loi comme il l’a fait en commission, ce dont je le remercie.

Je le répète, nous ne remettons pas en cause le choix ou non de vendre, ni les conditions de la vente, encore moins le droit de propriété. Nous ouvrons simplement une piste de reprise.

Pour toutes ces raisons, je vous appelle, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Discussion des articles

M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

M. le président. La parole est à Mme Arlette Grosskost sur l’article.

Mme Arlette Grosskost. Je ne peux qu’approuver les propos de Mme Dalloz et M. Favennec, fondés sur la réalité des choses, ce qui ne m’empêche pas de saluer l’intention fort louable de mes collègues du groupe GDR de préserver les emplois. Je les suis dans cet objectif, mais ce texte nous éloigne de la réalité du monde de l’économie. Les choses ne se passent pas ainsi, malheureusement et ce texte m’en rappelle un autre, proposé sous la précédente législature par le groupe GDR, pour interdire de céder une entreprise. Naturellement la proposition d’aujourd’hui n’est pas comparable mais elle ne s’en éloigne pas moins totalement de la réalité.

Certains l’ont dit, cette mesure pourrait poser problème aux repreneurs. Je vais essayer de le démontrer en restant factuelle. Une proposition de vente, madame Buffet, se conclue souvent par un protocole d’accord, lequel est généralement suivi par une convention de garantie d’actif et de passif. Ce protocole d’accord comprend plusieurs clauses qui permettent très souvent à l’acquéreur potentiel de trouver le financement nécessaire. Croyez-vous sincèrement que dans le cadre du rachat d’une entreprise, qu’elle soit individuelle ou qu’il y ait une participation majoritaire, deux mois suffiraient à des salariés pour trouver le financement nécessaire ? D’autant que très souvent, nous en avons fait l’expérience dans nos circonscriptions, il est fait appel à des financements publics, ce qui d’ailleurs fait tomber quelque peu le devoir de confidentialité.

Financement public d’une part, financement auprès d’un organisme bancaire d’autre part : deux mois ne suffiraient pas à des salariés qui ne pourraient pas faire face à cet investissement. Et pendant ces deux mois, en vertu du droit d’information, que nous n’approuvons pas pour les mêmes motifs, la confidentialité ne serait pas respectée. Voilà le problème ! Certains salariés, angoissés par la perspective de perdre leur emploi et en désaccord avec le principe d’une reprise, pourraient descendre manifester dans la rue et ne pas respecter toutes les clauses du protocole d’accord, ce qui causerait forcément des difficultés. Durant ces deux mois, que d’aucuns veulent porter à quatre, l’entreprise sera fermée ipso facto parce que le chiffre d’affaires sera bloqué. Les fournisseurs perdront confiance et il est fort probable que l’entreprise soit amenée à fermer définitivement ses portes. Nous devons réindustrialiser notre pays, c’est vrai, mais ce n’est pas ainsi que nous y parviendrons.

Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !

M. le président. Nous en venons aux amendements.

La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n° 18.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Dans un souci de constitutionnalité, cet amendement vise à préciser la notion d’intérêt général en indiquant que le droit de préemption s’exerce dans les zones d’emploi sinistrées. La commission a rendu un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Carole Delga, secrétaire d’État. Avis défavorable si cet amendement n’est pas retiré.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. Si nous pouvons tous nous accorder sur la réalité des problèmes et sur le fait que le chômage est source de difficultés sociales majeures, nous ne pouvons pour autant approuver votre démarche. Vous ouvrez un nouveau droit aux salariés, mais allez-vous changer le contexte économique ? Je n’y crois pas.

Quand un carnet de commandes est atone, et vous connaissez ce genre de cas comme moi, comment régler le problème ? La reprise par les salariés engendrera-t-elle subitement des perspectives de commandes et un environnement favorable ?

Notre opposition n’est pas frontale, mais cette disposition n’apportera rien au contexte économique difficile que connaissent nos entreprises. Et une fois que les salariés auront repris l’entreprise et que le carnet de commandes restera aussi atone qu’avant, ils n’auront plus aucun droit, aucune perspective, et se retrouveront dans une situation encore plus difficile ! Nous avons la responsabilité d’en prendre la mesure.

(L’amendement n18 n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 4 et 5, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour les soutenir.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Ils sont rédactionnels, monsieur le président.

(Les amendements nos 4 et 5, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement n12.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Parce que les salariés ont besoin de temps pour exercer leur droit de préemption et relever ce défi extraordinaire, comme cela a été largement souligné, cet amendement vise à porter le délai pour exercer le droit de préemption de deux à quatre mois. Ils ont besoin d’être accompagnés par le cédant pour construire un projet commun et en mesurer toutes les responsabilités.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Carole Delga, secrétaire d’État. Je souhaite le retrait de cet amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable. En effet, le rapport de Mme Dombre Coste a indiqué clairement qu’une procédure de reprise par les salariés devait durer six à huit mois au moins. Porter le délai à quatre mois demeurerait donc insuffisant. Ainsi, non seulement cet amendement n’apporterait aucun avantage, mais en plus il ferait peser un risque juridique disproportionné sur le processus de vente.

(L’amendement n12 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement n6.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de précision.

(L’amendement n6, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour soutenir l’amendement n15.

M. Gaby Charroux. Si nous partageons une commune préoccupation, notre différence tient à ce que la moindre modification des normes vous trouble, chers collègues. Je peux le comprendre : vous êtes animés par une certaine logique – c’est légitime. Je souhaite néanmoins que nous fassions preuve de quelque audace : il s’agit là d’une véritable réforme dans l’intérêt général de notre pays, une réforme d’ordre éthique.

L’amendement n15 ainsi que le n16 qui suivra vise à préciser que le cédant bénéficie de garanties procédurales. En effet, si les salariés n’appliquaient pas le droit de préemption conformément à la loi, voire s’ils le détournaient par hasard de sa finalité, il serait alors tout à fait normal que le cédant puisse agir en justice. C’est pourquoi nous souhaitons rappeler que tous les recours de droit commun sont naturellement ouverts au cédant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Avis favorable. Cet amendement prouve que nous nous préoccupons non seulement des salariés et de l’avenir de leurs emplois, mais aussi des cédants.

(L’amendement n15, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement n17.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Je l’ai déjà défendu. Avis favorable de la commission.

(L’amendement n17, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 7, 8 et 9, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour les soutenir.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Ils sont rédactionnels.

(Les amendements nos 7, 8 et 9, repoussés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement n13.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Il est défendu.

(L’amendement n13, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour soutenir l’amendement n14.

M. Gaby Charroux. Il est défendu.

(L’amendement n14, accepté par la commission, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement n10.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de précision.

(L’amendement n10, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Gaby Charroux, pour soutenir l’amendement n16.

M. Gaby Charroux. Je l’ai défendu.

(L’amendement n16, accepté par la commission, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 1er n’est pas adopté.)

Article 2

M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement n11.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Il est rédactionnel.

(L’amendement n11, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 2 n’est pas adopté.)

M. Nicolas Sansu. Les commissaires aux lois ont été désavoués !

M. le président. Nous avons achevé la discussion des articles de la proposition de loi.

L’Assemblée ayant rejeté tous les articles de cette proposition, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des présidents.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Discussion de la proposition de loi relative à l’entretien et au renouvellement du réseau des lignes téléphoniques.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures cinquante.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly