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Traité de droit politique, électoral et parlementaire d’Eugène Pierre
La Bibliothèque de l’Assemblée nationale a conclu un accord de partenariat avec le GEVIPAR (Groupe d’études sur la vie et les institutions parlementaires), centre de recherches relevant de la Fondation nationale des Sciences Politiques, en vue de l’édition numérique du Traité de droit politique, électoral et parlementaire d’Eugène Pierre, Secrétaire général de la Présidence de la Chambre des députés de 1885 à 1925.
L’idée prévalant pour ce partenariat était de pouvoir fournir aux chercheurs et aux praticiens du droit, de manière aisée, en cliquant simplement sur le web, l’ensemble complet des différents volumes constituant ce Traité, un ouvrage qui reste la référence absolue pour l’analyse de la vie politique et institutionnelle de la IIIe République.
Les éditions de 1878, avec les suppléments de 1879, 1880, 1893, 1902, 1906, 1910, 1914, 1919 et 1924 sont désormais accessibles en cliquant sur les adresses suivantes :
La numérisation a été réalisée par la Bibliothèque nationale de France avec laquelle l’Assemblée nationale a conclu un accord de « pôle associé » dans le cadre d’un programme de coopération entre les deux institutions.
C’est également la BnF qui héberge les fichiers numérisés correspondant aux différents volumes du Traité sur son site Gallica, le moteur de recherche de Gallica permettant une interopérabilité avec le site de l’Union européenne : Europeana.
C’est ainsi, au total, plus de 15 000 pages qui sont directement accessibles, c’est-à-dire, en fait, comme le notait Jean Lyon, Secrétaire général de l’Assemblée nationale et de la Présidence de 1971 à 1978, « le reflet de la vie politique française, vécue jour après jour, séance après séance, heure après heure (…) de 1875 à 1924 » (in Préface aux Nouveaux suppléments au Traité d’Eugène Pierre, 1984, La documentation française, p. 8).
Cette présentation du Traité d’Eugène Pierre ne saurait être complète sans une courte biographie de l’auteur.
Eugène Adolphe Marie Pierre est né à Paris, le 16 novembre 1848. Son grand-père était agent du Corps législatif (on disait alors « commis »). Son père, Emile Pierre, était journaliste et écrivain, un ami d’un auteur littéraire proche des mouvements du symbolisme et du dandysme : Villiers de l’Isle-Adam. Emile Pierre finit sa carrière en étant fonctionnaire à la Bibliothèque de la Chambre des députés. 1
Eugène Pierre fut élève au lycée Saint-Louis. Après son baccalauréat, il fut admis, toujours dans ce lycée, dans une classe de Lettres supérieures (hypokhâgne), puis dans une classe de Première supérieure (khâgne).
Cependant, le décès prématuré de son père l’obligea à interrompre ses études qui le destinaient, en principe, à présenter le concours de l’Ecole Normale Supérieure. Le fait que son père ait appartenu à l’administration du Corps législatif l’incita à se tourner vers cette Assemblée.
Il commença sa carrière, en 1866, comme attaché à la Présidence, le Président du Corps législatif de l’époque étant Alexandre Walewski, Président de l’Assemblée de 1865 à 1867 et qui succéda au Duc de Morny à la mort de celui-ci (donc en 1865).
Ce qui est très intéressant à observer, c’est qu’Eugène Pierre entre à l’Assemblée au moment où vient d’être promulguée la réforme constitutionnelle de 1860 et 1861 (décret du 24 novembre 1860 complété par les sénatus-consultes des 2 et 3 février et du 31 décembre 1861) qui donne naissance à ce que l’on a appelé « l’Empire libéral ». Cette modification de la Constitution de 1852 souhaite en effet donner plus de pouvoirs aux organes délibérants de l’Etat : le Corps législatif et le Sénat. Ainsi, le texte introduit, pour les deux chambres, comme dans les monarchies constitutionnelles, un droit d’adresse, pour les parlementaires, en réponse au discours du trône ; le droit d’amendement est élargi, ainsi que les modalités de discussion des projets de loi ; le budget est désormais voté par sections et non plus par grandes masses ; enfin, un compte-rendu sténographique des débats est instauré, alors que la presse reçoit le droit de rapporter les débats parlementaires.
Eugène Pierre, dès son arrivée à l’Assemblée, a pu ainsi observer les premiers pas d’un Parlement qui commençait, dans une certaine mesure, à devenir plus démocratique et plus moderne. Il a pu s’imprégner de son fonctionnement tout nouveau et voir se dessiner les prémisses des grandes règles qui permettent d’organiser la séance publique, en respectant les droits de chaque élu, et en particulier les droits de l’opposition. Ce fut certainement là le début de sa vocation qui fut de se passionner pour les règles de la procédure parlementaire.
En 1875, Eugène Pierre passe le concours des secrétaires-rédacteurs. Ce corps est l’ancêtre du corps des administrateurs.
Il est également intéressant d’observer que la date à laquelle Eugène Pierre devient secrétaire-rédacteur, c’est-à-dire 1875, coïncide avec l’année d’adoption de l’amendement Wallon et correspond donc au tout début du régime républicain. Les débuts de sa carrière de fonctionnaire parlementaire s’identifient donc tout de suite aux débuts de la République. En fait, à partir de 1875, toute la carrière et toute la vie d’Eugène Pierre vont se confondre avec le développement et les travaux de la Chambre de la IIIe République.
Sitôt entré dans les cadres, Eugène Pierre est placé aux côtés du Secrétaire général de la Présidence : Jules Poudra.
Celui-ci se réjouit de l’appétence du jeune rédacteur pour le droit parlementaire. En effet, la République a besoin que l’on codifie le fonctionnement de son parlement et le Secrétaire général le fait immédiatement travailler sur l’ouvrage de droit parlementaire dont il avait le projet.
Cet ouvrage paraît en 1878 et il est co-signé par les deux fonctionnaires : Jules Poudra et Eugène Pierre. C’est le « Poudra-Pierre », l’un des premiers traités complets de droit parlementaire à voir le jour en France.
Parallèlement, Eugène Pierre fait aussi paraître, en 1877, sous sa seule signature, le tome I d’un livre intitulé Histoire des Assemblées politiques en France du 5 mai 1789 au 8 mars 1876. Le tome premier couvre la période 1789-1831. Il n’y aura malheureusement jamais de tome II ; l’ouvrage est resté inachevé.
Les suppléments du « Poudra-Pierre » paraissent en 1879 et 1880. En récompense pour tous ses travaux, Jules Poudra nomme Eugène Pierre « chargé du service des travaux législatifs » en 1879 (l’équivalent aujourd’hui de Chef de division ou de Directeur-adjoint au service de la Séance). En 1880, Eugène Pierre poursuit son activité littéraire et il fait paraître, toujours sous sa seule signature, le Code manuel du Conseiller général.
En 1885 paraissent, sous la signature conjointe de Jules Poudra et d’Eugène Pierre, Les lois constitutionnelles de la République française annotées et mises au courant de la dernière révision et Les lois organiques concernant l’élection du Sénat mises au courant de la législation de 1884 et annotées.
Jules Poudra ne verra cependant pas ces deux volumes édités. Il décède, en activité, dans les derniers jours de l’année 1884.
Le 1er janvier 1885, le Bureau de la Chambre des députés se réunit pour statuer sur le remplacement du Secrétaire général. Sur proposition d’Henri Brisson, Président de l’Assemblée, le Bureau, à l’unanimité, décide de nommer Eugène Pierre comme Secrétaire général de la Présidence.
Eugène Pierre sera ainsi Secrétaire général de la Présidence de la Chambre des députés du 1er janvier 1885 jusqu’à sa mort survenue le 7 juillet 1925, à l’âge de 77 ans. Il sera ainsi resté exactement 40 ans Secrétaire général. Pendant cette longévité, inégalée et inégalable, il verra se succéder 10 législatures et 53 ministères.
Les deux photos que l’on trouvera ci-dessous montrent Eugène Pierre en 1894 et 1898.
La première photo est tirée de la Revue illustrée (1er semestre 1894). Elle montre Eugène Pierre dans son bureau près du Plateau, à côté des livres reliés correspondant aux précédents de la séance publique. L’article de la revue fait suite à la seconde édition du Traité de droit politique, électoral et parlementaire en 1893.
La seconde photo date de 1898 et est tirée des Biographies et portraits des députés de la législature 1893-1898. En effet, à l’époque, il y avait une photographie du Secrétaire général de la Présidence à la suite de celle des élus, à la fin du « trombinoscope ».
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Source : Assemblée nationale |
Au moment de son accession au Secrétariat général, en 1885, les idées d’Eugène Pierre sur son rôle sont très précises. Son sentiment est que la République, déclarée en 1875 mais toujours attaquée lorsqu’il devient Secrétaire général, doit être consolidée (la tentative de coup d’Etat de Mac Mahon date de 1877, l’affaire Boulanger commence précisément en 1885, le sommet de la crise étant atteint en 1889). Il en va de même pour le parlementarisme qui doit sans cesse assurer la liberté des membres des assemblées, protéger la minorité, éviter la précipitation, les aléas, la violence, la fraude… Pour cela, le régime doit pouvoir bénéficier d’un corpus de règles constitutionnelles et parlementaires très sûr, afin d’éviter toute crise, tout glissement et tout aventurisme pouvant conduire, sinon à la remise en cause impromptue, au cours d’un débat mal maîtrisé, de la forme républicaine du gouvernement, du moins, plus simplement, à celle des principes élémentaires de la démocratie.
Comme il le dit lui-même :
« ...Les coups dirigés contre le régime parlementaire ont servi à le consolider en obligeant les Assemblées à mettre chaque jour plus d’ordre, plus de méthode dans les règles qui protègent la liberté des discussions et la sincérité des votes, qui dissipent les sophismes et préviennent les surprises…Le Parlement a besoin de routes larges et bien frayées, car il n’a point de loisirs à perdre en bagatelles ».
Eugène Pierre poursuit donc inlassablement son travail de recensement, d’analyse et d’édition. Il fait ainsi paraître, successivement, à partir de 1885 :
Maurice Barrès, Jean Jaurès, Léon Daudet, Léon Blum ont éprouvé une grande considération et une vive sympathie pour cet homme modeste et secret qui eut pour métier sa passion.
Dans la photo que l’on peut voir ci-dessous, on peut ainsi reconnaître Eugène Pierre à côté du Bureau du Président, alors que l’orateur n’est autre que Jean Jaurès qui fait une intervention, en 1913, à l’occasion de la discussion de la loi des trois ans et contre ce projet de loi.
Source : Musée Jean Jaurès à Castres. Tous droits réservés.
Jean Jaurès à la tribune des orateurs en juin 1913 contre la loi des trois ans.
Photo de Jules-Louis Breton, député du Cher.
On reconnaît, au bureau du Président,
Gustave Dron, Vice-président de la Chambre, député du Nord.
A côté de lui, Eugène Pierre.
Eugène Pierre est mort le 7 juillet 1925. Quoique malade, il était resté en poste et avait assisté à la séance publique jusqu’au bout, ne s’alitant qu’une dizaine de jours avant son décès.
Edouard Herriot, Président de la Chambre des députés en 1925 et auteur de son éloge funèbre, indique que le Secrétaire général est resté préoccupé de l’évolution des navettes parlementaires jusqu’à son dernier souffle. L’un de ses tout derniers jours, le Président rapporte que, comme le médecin d’Eugène Pierre lui demandait s’il souffrait moins, ce dernier lui aurait répondu : « Oui…puisque je sais que la Chambre ne siège pas aujourd’hui » (Annales de la Chambre des députés, séance du 7 juillet 1925, p. 742).
Dans le même éloge, Herriot déclare : « Si la France a pu malgré tant de secousses maintenir intacte depuis 1870 la souveraineté de la loi, elle le lui doit pour une part ».
Eugène Pierre fut nommé, à la demande de l’Assemblée, au grade de Grand Officier de la Légion d’Honneur à titre posthume. Il laisse le souvenir d’un grand commis de l’Etat et d’un grand constitutionnaliste.
En conclusion, on dira encore quelques mots sur les différentes éditions du Traité, dont la logique peut paraître parfois complexe pour les chercheurs.
Le système des Suppléments était dicté par le souci de suivre la pratique parlementaire et d’en rendre compte sans avoir à refondre totalement le Traité lui-même, travail tout à fait considérable. Il était également particulièrement adapté à la méthode employée par Eugène Pierre consistant à illustrer le droit parlementaire par les précédents soigneusement recueillis par le service de la Séance. Ce procédé fut d’ailleurs utilisé ensuite par un successeur d’Eugène Pierre, Jean Lyon, qui fut Secrétaire général de l’Assemblée nationale et de la Présidence de 1971 à 1978. Ainsi parurent, en 1984, 1990 et 2002, trois suppléments au « Pierre » qui couvrent la fin de la IIIe République, la IVe et la Ve République (le tome III de 2002 couvre les cinq premières législatures de la Ve République, soit la période 1958 – 1978).
Ces derniers parleront, à propos de la lecture du « Pierre », d’une « jubilation intellectuelle alliant la concision du style à la richesse de l’analyse ».
Voir aussi :