No 1884
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 octobre
1999
D É C L A R A T I O N
D U G O U V E R N E M E N T
sur la préparation
de la conférence ministérielle de l'OMC à Seattle,
par M. François HUWART,
secrétaire d'État au commerce extérieur,
et par M. Pierre MOSCOVICI,
ministre délégué chargé des affaires européennes
Organisations internationales.
DÉCLARATION DE M. FRANÇOIS HUWART,
secrétaire d'État au commerce extérieur
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le Gouvernement vous présente aujourd'hui, après le débat de juin,
ses orientations sur les prochaines négociations de l'OMC,
l'Organisation mondiale du commerce. L'occasion est particulièrement
opportune parce qu'elle se situe au moment où l'Europe a fixé sa
position commune et où commencent à Genève les discussions sur le
projet de déclaration ministérielle qui devra être adopté à
Seattle.
Permettez-moi de revenir en introduction sur les caractéristiques
fondamentales de l'OMC, qui restent souvent méconnues.
L'OMC ne doit être ni diabolisée, ni idéalisée.
L'OMC n'est pas un organe supranational qui imposerait mécaniquement
ses lois aux États et aux peuples. L'OMC n'édicte pas de règles, elle
fournit le cadre où les États décident des règles. L'OMC est donc une
organisation internationale constituée sur un mode démocratique :
chaque gouvernement peut faire entendre sa propre voix et dispose en
quelque sorte d'un droit de veto puisque toutes les décisions sont
prises par consensus. Le modèle de l'OMC n'est pas celui de la
domination des forts sur les faibles, mais davantage celui, cher à
notre tradition politique, du contrat social, d'un contrat social
international entre partenaires libres et égaux.
En deuxième lieu, l'OMC ne met pas en place des contraintes
irréversibles qui, pour issues qu'elles soient de la libre volonté des
États, les enfermeraient ensuite dans un carcan. Un État membre dispose
toujours de l'option de se soustraire à l'application d'un engagement
qu'il a préalablement souscrit à l'OMC, s'il propose une compensation.
Le système multilatéral prévoit aussi qu'un État puisse prendre des
mesures de protection s'il se trouve dans une situation grave : il peut
à ce titre bénéficier de sauvegardes ou de dérogations.
L'OMC serait aussi pour certains une organisation marquée
irrévocablement par une idéologie particulière, le libre-échange. Je
crois la réalité plus complexe. D'abord, l'OMC est une enceinte de
discussions où l'on traite d'autres sujets que les tarifs douaniers.
Mais plus fondamentalement, le principe de base de l'OMC n'est pas
l'ouverture commerciale en tant que telle, mais plutôt l'égalité de
traitement. Si un pays impose des normes sanitaires à une certaine
catégorie de produits importés, il doit aussi y soumettre ses
producteurs locaux. Si un État décide d'accorder des facilités
commerciales à un autre État, parce qu'il y trouve des avantages
directs ou indirects, il doit les accorder à tous les membres de l'OMC.
On dit parfois que, dans l'OMC, coexistent potentiellement un volet
d'« ouverture commerciale » et un volet de
« régulation », avec en particulier les nouveaux
sujets : concurrence, investissement, normes sociales, environnement. Il
me semble que l'ouverture commerciale et la baisse des tarifs, telles
qu'elles sont négociées, organisées, dosées en fonction des
capacités de chacun, enfin contrôlées par l'OMC, sont déjà
pleinement de la régulation. De la régulation, dont aux niveaux
national, européen et international, l'économie a besoin, ainsi que le
Premier ministre l'a affirmé avec force àStrasbourg.
Enfin, dernière observation sur les principes fondamentaux de l'OMC, sa
méthode de règlement des conflits. Qui dit en effet régulation, dit
règles, mais aussi conflit de règles, interprétation de règles,
application de règles. C'est donc tout à fait logiquement que l'OMC
dispose d'un tribunal qui permet de faire vivre, de rendre effective la
règle de droit.
Le système de règlement des différends de l'OMC représente l'un des
grands acquis du cycle d'Uruguay, pour l'Union européenne comme pour
ses partenaires, parce qu'il interdit l'unilatéralisme comme mode de
résolution des conflits commerciaux internationaux. Il faut se rappeler
les guerres commerciales des années 70 - soja, acier, aéronautique -
et leurs escalades permanentes où la loi du plus fort l'emportait à
coup sûr.
Au total, depuis la création de l'Organe de règlement des différends,
l'ORD, l'Union européenne a remporté plus de panels qu'elle n'en a
perdu et les sanctions subies sur la banane ou les hormones n'ont pas un
caractère définitif. De plus, sur l'acier vis-à-vis des États-Unis,
sur l'automobile à l'égard du Canada, ou sur les aides fiscales à
l'exportation américaines, les perspectives nous sont très favorables.
Je vois néanmoins plusieurs directions dans lesquelles nous devons
travailler pour améliorer l'ORD.
La première est l'accès au droit. Les pays pauvres, disons-le
franchement, n'ont pas toujours les moyens d'argumenter dans un panel.
Nous devons améliorer les choses si nous voulons que l'ORD soit
vraiment un instrument juridictionnel mondial.
Deuxième orientation : la transparence. Surtout quand les sujets
traités ont une dimension extra-économique, en matière
d'environnement par exemple, il faut que la société civile puisse
faire entendre son point de vue. Les modalités ne sont pas toujours
simples, mais nous devrons trouver le bon équilibre entre transparence
et respect de la confidentialité de certaines informations.
Enfin, il y a le problème des sanctions. Le bon sens, et je dirai même
le sens inné de la justice qui est en chacun de nous, comprend mal que
souffrent des décisions de l'ORD des secteurs, des entreprises et, en
dernier ressort, des hommes et des femmes qui n'étaient pas partie au
litige. C'est un sujet très complexe sur le plan juridique, mais où
l'OMC joue en partie sa crédibilité : l'objectif d'une meilleure
régulation internationale est trop important pour qu'on puisse le
fragiliser pour des raisons, peut-être techniquement justifiées, mais
politiquement et moralement peu explicables. Je le répète, l'OMC est
une institution démocratique. Si l'on change ou si l'on fait évoluer
le système des sanctions, il faudra le faire d'un commun accord. Cela
ne nous dispense pas de formuler des propositions.
Mais, au-delà de ces améliorations souhaitables de l'ORD, nous devons
considérer que tous les problèmes nouveaux auxquels la communauté
internationale se trouve confrontée dans le domaine commercial ne
peuvent être résolus par les juges. Certains voudraient que le droit
de l'OMC s'adapte à l'évolution des besoins de l'économie ou des
préoccupations de la société civile selon une voie seulement
jurisprudentielle. Tel n'est pas le point de vue de la France, ni de
l'Union européenne.
Pour des raisons d'efficacité et de légitimité, il est nécessaire
que les États réexaminent ensemble, périodiquement, au-delà de la
jurisprudence, le cadre normatif sur lequel celle-ci doit s'appuyer.
Créer de nouvelles règles, modifier les règles existantes ou en
préciser la portée, ne peut incomber à des juges, mais relève de la
volonté des membres de l'OMC, des États souverains. C'est un des enjeux
du prochain cycle.
Au-delà des principes qu'il était, je crois, utile de rappeler, il y a
la réalité qui correspond à ce que l'on appelle parfois le bilan de
l'OMC.
Dresser ce bilan est un exercice extrêmement difficile, car la vie
économique internationale dépend de facteurs monétaires, financiers
et politiques qui dépassent largement la capacité de régulation de
l'OMC. En particulier, il me semble inexact d'attribuer aux accords de
l'OMC une responsabilité dans la crise asiatique de 1997-1998 ;
celle-ci est également issue de l'inadaptation de certains cadres
juridiques internes des pays qui en furent victimes, en particulier sur
le plan des droits bancaire et boursier. J'ajoute que les nations
frappées par cette crise sont souvent loin de s'être engagées dans
des politiques d'ouverture commerciale accélérée, mais ont conclu à
Marrakech des baisses de tarifs limitées, assorties de périodes de
transition importantes.
Le bilan de l'OMC me semble plutôt positif ; en tout cas il l'est
certainement pour la France. Notre pays, grâce aux efforts de nos
concitoyens, a en effet renoué avec une suite spectaculaire
d'excédents commerciaux depuis 1993. Aujourd'hui, près de la moitié
de notre production industrielle est exportée. Dans le domaine
agroalimentaire, notre balance commerciale est excédentaire depuis
trente ans, avec une progression régulière de 4,5 % par an depuis
1986. L'économie française a donc prouvé sa compétitivité au niveau
international et n'a pas à craindre de nouvelles négociations
commerciales, d'autant que les perspectives de croissance de l'économie
mondiale sont très favorablement orientées.
L'enjeu du nouveau cycle n'est pas le partage de la rareté mais, bien
au contraire, l'accompagnement et le renforcement de la croissance par
des mesures contrôlées d'ouverture et des disciplines appropriées.
Je n'ignore pas que certains pays en développement ont le sentiment de
ne pas avoir tiré les bénéfices escomptés de l'accord de Marrakech.
N'oublions pas, tout d'abord, qu'un certain nombre d'accords signés à
Marrakech ne sont toujours pas entrés en vigueur. Les pays en
développement ont bénéficié de périodes de transition qui
s'appliquent jusqu'aux années 2000 ou 2005.
Les pays en développement considèrent néanmoins que de nombreuses
dispositions des accords qui formaient l'équilibre du cycle d'Uruguay
n'ont pas été respectées. Ils mettent en avant l'accès au marché
pour l'agriculture et le textile, le recours par les pays
industrialisés à l'antidumping. Ils considèrent en outre que les pays
industrialisés n'ont pas mis en _uvre leurs engagements en matière
decoopération et de transfert de technologie, qui devaient leur
permettre de disposer des capacités de mise en _uvre des accords.
Certains de ces reproches sont fondés, mais ce n'est pas la polémique
qui fera évoluer le débat : c'est au sein de l'OMC que les pays en
développement doivent présenter leurs propositions pour améliorer la
mise en _uvre des accords : c'est un autre enjeu du prochain cycle.
Permettez-moi de conclure sur cette question difficile par une simple
observation : aujourd'hui une trentaine de pays, aussi différents que
le Vietnam ou l'Algérie, ont engagé des négociations d'accession à
l'OMC. C'est un signe qui plaide sûrement en faveur de cette
organisation.
Parce que l'existence et le fonctionnement de l'OMC constituent un atout
pour notre pays, nous devons envisager les futures négociations avec
beaucoup de résolution.
D'abord à cause nos intérêts économiques, que je viens derappeler.
Ensuite parce que les objectifs que nous poursuivons nous semblent
partagés par la très grande majorité des Français, comme viennent de
le rappeler la résolution adoptée par votre assemblée et la
déclaration commune des cinq grandes centrales syndicales.
Le Gouvernement a abordé la préparation de Seattle dans la
transparence, non pas seulement a posteriori en informant la
société civile de positions déjà arrêtées, mais a priori en
consultant les organisations professionnelles et syndicales ainsi que
les associations pour élaborer ses positions. Mme Marre mentionne dans
son rapport, et je l'en remercie, ces différentes consultations, qui se
sont tenues souvent à Bercy, mais toujours dans une dimension
interministérielle et en association avec les parlementaires. Je n'y
insiste pas, mais vous constaterez que cette démarche est tout à fait
inverse de celle de l'AMI.
Enfin, notre résolution est confortée par l'unité de vues qui est
celle de l'Union européenne. Aujourd'hui, à Bruxelles, seront
adoptées formellement les conclusions du Conseil qui serviront de cadre
à la Commission pour préparer Seattle. Les difficultés qui, comme
c'est normal dans un texte important et précis, subsisteraient encore
à la fin du travail intracommunautaire ont été rapidement aplanies.
Au total, l'Europe n'est jamais apparue aussi soudée à l'approche de
négociations commerciales.
Je crois que cet accord européen et ce consensus au sein de l'opinion
française reposent sur une double conviction : si le développement des
échanges est un gage de croissance, il est vrai aussi que l'économie
n'est pas une fin en soi mais un moyen au service de valeurs
supérieures au simple commerce.
Ainsi, dans l'exemple de la culture, l'Union européenne a réaffirmé
que les biens et services culturels n'étaient pas des produits comme
les autres. A Marrakech, l'Union européenne a utilisé les deux
possibilités inscrites dans l'accord de l'OMC sur les services : celle
de ne faire aucune offre de libéralisation en matière audiovisuelle,
celle de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus
favorisée pour développer ses instruments de soutien au secteur
culturel et audiovisuel. Les conclusions du Conseil adoptées
aujourd'hui réaffirment clairement cette orientation.
On dit parfois que la France est le dernier bastion de la spécificité
culturelle. Permettez-moi de rappeler que, sur 134 membres de l'OMC, 19
seulement ont pris des engagements de libéralisation dans le secteur
audiovisuel. C'est dire qu'une écrasante majorité de pays - et je l'ai
constaté encore très récemment en m'entretenant avec mes homologues
africains réunis à Abidjan - partagent notre souci de maintenir leurs
souveraineté culturelle.
Au niveau international, ne l'oublions jamais, c'est l'exception
culturelle qui est la règle et la libéralisation qui est l'exception.
Ce qui est vrai de la culture, l'est aussi d'autres domaines du secteur
des services. Parce qu'ils ont une vision fausse de l'OMC, qu'ils
considèrent comme une organisation supranationale et sans contrôle,
certains craignent que nos services publics soient mis en péril par les
nouvelles négociations, en particulier dans le domaine de l'éducation
et de la santé. Je rappelle que selon l'accord de l'OMC sur les
services, on ne libéralise que ce que l'on veut libéraliser, ce que
l'on offre volontairement à ses partenaires dont on attend la
réciprocité.
Permettez-moi d'affirmer ici avec une certaine solennité qu'il n'est
pas question pour la France de s'engager dans un processus de
négociation sur l'éducation ou la santé et que, par conséquent, nos
services publics ne sont en rien menacés par l'OMC.
J'aborde maintenant les perspectives et les enjeux du prochain cycle de
négociation.
Lors de la signature des accords de Marrakech, tous les membres de l'OMC
se sont entendus pour reprendre, à partir de l'an 2000, un certain
nombre de négociations, en particulier dans les domaines des services
et de l'agriculture. C'est ce que l'on appelle le « programme
intégré » de l'OMC. En se rapprochant de l'échéance de
l'an 2000, plusieurs membres de l'OMC, dont l'Union Européenne, le
Japon, les États-Unis, le Canada et certains pays en développement, ont
pris position pour compléter ce programme ; si l'on doit négocier dans
les secteurs primaire : l'agriculture, et tertiaire : les services,
pourquoi ne pas aussi négocier dans le secteur secondaire : l'industrie
? Mais ne peut-on pas également mettre à profit cette opportunité
pour développer de nouvelles règles commerciales dont le besoin se
fait aujourd'hui sentir ?
La France et l'Europe partagent cette conviction et c'est pourquoi elles
se sont engagées dans la voie d'un cycle large, assorti d'un accord
unique. Comme l'a dit le Premier ministre, « rien ne sera
acquis, quand tout ne sera pas acquis ». C'est ce principe qui
doit permettre de trouver le bon équilibre entre les priorités de
chacun des participants. C'est pourquoi un cycle trop court ou des
récoltes précoces ne permettraient pas de répondre à notre objectif
d'un cycle global et équilibré.
Le rapport de la délégation pour l'Union européenne vous a présenté
de manière précise les différents thèmes de négociation.
Permettez-moi d'en rappeler seulement quelques-uns.
Dans le domaine de l'agriculture, l'Union, souvent accusée de
protectionnisme, est en fait importatrice nette car ses exportations ne
couvrent que 85 % de ses importations. Elle absorbe 20 % des
exportations mondiales de produits agroalimentaires, soit autant que les
États-Unis. Pour l'Union européenne, les prochaines négociations
recouvrent trois objectifs majeurs.
Premier objectif, la réduction des protections tarifaires devra être
gérée avec fermeté pour assurer sa compatibilité avec la réforme de
la PAC, qui constituera le socle permanent de la position européenne.
Dans le même temps, l'Union devra rechercher une amélioration de
l'accès aux marchés des pays tiers.
La négociation devra également porter sur certaines pratiques de nos
partenaires, comme les monopoles d'importation ou la gestion des
contingents d'importation.
Deuxième objectif, les soutiens à l'exportation. Certes, l'Europe
devra faire face à la pression conjuguée des États-Unis et des pays du
groupe de Cairns pour la suppression de ces soutiens. Mais cette
négociation devra aussi être l'objet d'une attitude offensive de
l'Europe contre des pratiques comme les crédits à l'exportation,
l'aide alimentaire ou les monopoles d'exportation, qui ont les mêmes
effets que les restitutions européennes.
L'Europe devra aussi veiller à ce que progressent les travaux décidés
à Marrakech sur la protection des appellations d'origine.
Troisième objectif, les soutiens internes donneront lieu à des
négociations dans lesquels le partenaire américain, qui a accru
massivement les aides à ses agriculteurs dans la période récente,
devra lui aussi justifier de ses propres soutiens.
Mais ces trois objectifs sont englobés dans une perspective plus large
qui va au-delà de l'approche classique de l'agriculture à l'OMC.
L'Union souhaite en effet élargir le champ de la négociation en
prenant en compte les véritables enjeux de l'agriculture, ses
implications majeures sur l'environnement, l'aménagement du territoire,
la qualité de l'alimentation et la santé.
La multifonctionnalité de l'agriculture, maintenant reconnue par tous
nos partenaires européens, doit être prise en compte par tous les pays
dans leur propre intérêt, celui de la santé des consommateurs ou du
maintien des populations rurales dans leur cadre de vie. A défaut, les
agriculteurs du monde entier, de moins en moins nombreux, s'épuiseront
dans une guerre des prix qui ne favorisera que quelques multinationales
de l'agro-industrie.
Dans le domaine des services, nous devons adopter une attitude
ambitieuse car nos intérêts y sont importants, la France étant le
troisième exportateur mondial de services.
Sur le plan des règles, l'accord sur les services devra être
complété par des dispositions sur les marchés publics, les
subventions et les sauvegardes.
Sur celui de l'ouverture des marchés, les télécommunications et les
services financiers, qui ont fait l'objet d'accords en 1997, figurent au
premier rang des intérêts offensifs de l'Union européenne. La
distribution devrait constituer pour la France un secteur d'intérêt
prioritaire, en raison d'une implantation à l'étranger déjà très
diversifiée et de son impact sur le domaine des marchandises. Le
secteur de la construction, du tourisme et surtout des services
environnementaux constituent également des objectifs majeurs pour notre
pays.
Un autre enjeu pour notre économie est celui des tarifs industriels,
qu'il est de notre intérêt de voir figurer dans le prochain cycle.
Les tarifs industriels de l'Union européenne sont faibles, comparés à
ceux de ses principaux partenaires. La moyenne du tarif extérieur de
l'Union européenne est de 3 %, à comparer aux moyennes du Japon, 1,7
%, et des États-Unis, 1,5 %. Dès à présent, 40 % des droits du tarif
extérieur commun de l'Union européenne sont en franchise.
L'Union européenne présente également une structure tarifaire
relativement harmonisée. Dans le secteur sensible des textiles et de
l'habillement, les droits européens sont inférieurs à ceux de ses
principaux partenaires. Par contraste, les États-Unis maintiennent 650
lignes tarifaires supérieures à 15 %. Des pics tarifaires importants
subsistent dans la plupart des secteurs sensibles des pays les plus
développés.
Dans les pays en développement, la moyenne des tarifs est de quatre à
cinq fois supérieure à celle des tarifs de l'Union. Les tarifs sur des
secteurs clés tels que l'automobile ou les spiritueux peuvent atteindre
50 %, et de nombreux secteurs tels que les équipements mécaniques, la
chimie, la pharmacie ou l'acier atteignent fréquemment des taux de
l'ordre de 15 à 20 %.
La France, avec l'Union européenne, a donc un réel intérêt à
reprendre la négociation sur les tarifs industriels. Les États-Unis, le
Canada, le Japon, et plus généralement les membres de l'APEC, abordent
la question tarifaire sous l'angle d'une libéralisation sectorielle
consistant à réduire ou à supprimer des droits de douane dans huit
secteurs prioritaires. L'Union européenne se prononce pour un
traitement des tarifs industriels dans tous les secteurs, ce qui
permettrait à chacun des partenaires d'obtenir des ouvertures en
fonction de ses intérêts propres.
Dans la prochaine négociation, nos intérêts ne se limitent pas
uniquement aux sujets classiques que je viens d'évoquer, malgré leur
importance pour nos entreprises, pour la croissance de notre économie
et pour l'emploi. Ils concernent également des thèmes nouveaux, qui
doivent renforcer la régulation de l'économie internationale et
répondre aux exigences de nos concitoyens pour une mondialisation au
service du développement durable.
En ce qui concerne l'investissement, l'accord sur les «
mesures d'investissement liées au commerce » reste d'une
portée très limitée. La France et l'Union européenne sont favorables
à l'élaboration de règles dans l'enceinte de l'OMC, des règles qui
sécuriseraient les investissements directs, qui seraient déterminées
en accord avec les pays en développement et permettraient à chaque État de garder la maîtrise de ce qu'il entend négocier.
Dans chaque pays, des règles de concurrence devraient permettre un
accès équilibré et égal aux marchés pour tous les opérateurs et
surtout la mise en place d'un système de contrôle des pratiques
anticoncurrentielles internationales - cartels mondiaux, positions
dominantes - qui, à l'heure actuelle, fait défaut, aux dépens des
pays les plus faibles.
Dans le domaine des marchés publics, la France et l'Union soutiennent
l'objectif d'un accord à l'OMC sur la transparence et l'ouverture qui
doivent permettre de lutter contre les pratiques de corruption.
S'agissant de l'environnement, il n'existe pas aujourd'hui de règles
pour régir les possibles conflits entre objectifs de développement du
commerce international et protection de l'environnement.
Il faut donc que le prochain cycle permette des avancées sur
l'articulation entre les règles de l'OMC et les accords multilatéraux
sur l'environnement, sur la réglementation des démarches «
d'éco-étiquetage » des produits, sur la clarification des
relations entre l'OMC et les principes environnementaux fondamentaux, et
sur la coopération entre l'OMC et les institutions internationales qui
traitent d'environnement, notamment la Banque mondiale, la CNUCED et les
secrétariats des AME.
Je dirai seulement quelques mots sur le principe de précaution qui est
au c_ur des préoccupations de nos opinions publiques. Consacré par le
droit international de l'environnement, ce principe est intégré dans
le droit français et le droit communautaire. Il figure, de manière
implicite, dans les accords de l'OMC, en particulier celui sur les
mesures sanitaires et phytosanitaires.
Mais le contentieux sur les hormones a montré que sa mise en _uvre
pouvait se révéler difficile, en l'absence d'évaluation scientifique
du risque. L'appel au jugement des scientifiques et le renvoi par l'OMC
à des normes édictées dans des enceintes spécialisées - accords
environnementaux, Codex alimentarius - n'épuisent pas le débat
en cours sur le principe de précaution. Ils offrent en revanche des
garanties contre des mesures arbitraires, unilatérales et
discriminatoires de la part de nos partenaires à l'encontre de nos
produits.
L'Union européenne propose donc de renforcer, à l'occasion du prochain
cycle, la manière dont l'OMC intègre le principe de précaution.
Par ailleurs, l'essor du commerce international met indirectement en
cause les divergences entre les organisations sociales des différents
pays.
C'est particulièrement le cas en matière de réglementation du
travail. Ainsi, les pays qui interdisent sur leur territoire certaines
pratiques, comme le travail des enfants, pour des motifs d'ordre public,
ne veulent pas accepter l'entrée sur leur territoire de biens produits
ailleurs avec le recours à ces pratiques ; simultanément, ils ne
peuvent imposer leurs propres réglementations à d'autres États
souverains. Il y a donc matière à clarifier les liens entre normes
sociales et commerce international.
L'Organisation internationale du travail, l'OIT, est l'enceinte chargée
de l'élaboration des principes fondamentaux devant régir l'activité
de l'homme au travail. Si l'OMC n'a pas vocation à s'y substituer, elle
pourrait, en revanche, avoir vocation à traiter de l'articulation de
ces normes avec les disciplines du commerce international. C'est la
raison pour laquelle l'Union européenne et les États-Unis ont proposé
en 1996 la création à l'OMC d'un groupe de travail spécialisé sur ce
thème.
Cette proposition n'a pu aboutir en raison de l'opposition de nombreux
pays, notamment du monde en développement. Ceux-ci redoutent
l'institution de nouvelles barrières protectionnistes, car ils
considèrent que le progrès de leurs normes sociales ne peut résulter
que du progrès de leur développement économique, alors que le
développement social peut paraître au contraire comme une des
conditions fondamentales du progrès économique.
L'Union européenne, notamment à l'initiative de la France et de
l'Allemagne, propose donc pour Seattle une enceinte permanente de
travail associant l'OMC et l'OIT, sur le lien entre développement
social et commerce. C'est une proposition équilibrée qui tient compte
de la sensibilité des pays en développement et des responsabilités
respectives des deux organisations.
Le travail de préparation de la déclaration ministérielle a, vous le
savez, commencé à Genève, et comme il est naturel au début d'un
processus de discussion, les positions restent assez divergentes.
L'Union européenne n'est pas pour autant isolée : d'autres pays
européens, les pays de l'Est, le Canada également, ont des positions
similaires. Le Japon n'en est pas très éloigné.
La position américaine revêt une importance particulière. A ce stade,
comme je l'ai indiqué lors de ma visite à Washington, les États-Unis
abordent la réunion de Seattle plus en simple participant, avec leurs
intérêts propres, qu'en pays hôte, assumant la présidence de la
conférence ministérielle et ayant pour devoir, à ce titre, de
faciliter le compromis. Comme l'a souligné le Premier ministre
« le souhait des États-Unis de limiter l'agenda de Seattle aux
quelques sujets qui ont leur préférence est irréaliste ».
Certes, il ne faut pas sous-estimer les difficultés internes de
l'administration américaine. Cependant, des déclarations hostiles et
partielles à l'encontre de la politique agricole européenne, la
volonté de réduire les « nouveaux sujets » à de
simples conversations séparées du cycle proprement dit ne
correspondent, à ce stade, ni aux responsabilités que les États-Unis
ont acceptées en accueillant la prochaine conférence ministérielle,
ni aux enjeux d'une meilleure organisation économique internationale,
ni aux interrogations légitimes des opinions publiques, de part et
d'autre de l'Atlantique, sur les conséquences de la mondialisation.
L'Europe et ses alliés ont quelques semaines pour convaincre leurs
partenaires de l'intérêt commun à se rallier à un cycle global. Les
États-Unis, avec lesquels nous partageons certaines préoccupations,
peuvent encore se rapprocher de nos thèses. Les pays en développement
et les pays les moins avancés n'ont pas forcément intérêt à
différer les avantages qu'ils pourraient tirer d'un nouveau cycle de
négociations.
Bien entendu, le Gouvernement tiendra informé régulièrement le
Parlement de l'avancée des discussions de Genève que, plus que jamais,
l'Europe devra mener avec fermeté.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous ai
rappelé les positions françaises et européennes pour un cycle large
qui corresponde à nos intérêts, mais aussi à ceux de toutes les
nations en faveur d'une régulation équilibrée de la mondialisation.
Notre ambition, comme l'a indiqué Dominique Strauss-Kahn, le 11 octobre
dernier, est de construire une Organisation mondiale de commerce plus
légitime, plus régulatrice, plus généreuse et au service de la
croissance. Le développement économique et social, la diversité
culturelle, la protection de l'environnement, le renforcement du droit
sont des valeurs qui font partie de notre modèle de civilisation.
Nous devons donc aborder ces négociations dans un esprit offensif
nouveau, car ces valeurs, nous souhaitons non seulement les défendre,
mais aussi les propager en faveur d'un monde plus prospère et plus
juste.
DÉCLARATION DE M. PIERRE MOSCOVICI
ministre délégué chargé des affaires européennes
Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les députés,
Le débat de ce matin sur l'OMC a été de haute tenue politique et je
ne m'étonne pas, compte tenu du sujet, qu'il ait été à la fois
passionnant et passionné. En effet, nous traitons ici de questions
anciennes, qu'il s'agisse d'économie politique - sommes-nous pour le
libre-échange ou pour le protectionnisme ? - ou de préoccupations qui
remontent au début de l'Union européenne - comment assurer
l'articulation entre la nation et l'Europe ? -, et aussi de sujets très
actuels : comment aller vers la régulation de la mondialisation,
comment contrôler et maîtriser cette régulation ?
Ce débat de grande qualité a servi à éclairer, confirmer, enrichir
le propos que François Huwart a tenu au nom du Gouvernement.
Avant de passer aux réponses et aux commentaires, je voudrais revenir
sur un aspect de forme mais qui a son importance : pourquoi la
discussion de ce matin n'a-t-elle pas été suivie d'un vote ? Ce point
a été soulevé par plusieurs d'entre vous, M. Sarre, M. Gaillard, M.
Luca et M. Barrau a déjà répondu. Je préciserai simplement que cela
n'est pas de la responsabilité du Gouvernement. Je rappellerai aussi
qu'il y a eu déjà deux votes qui ont porté sur l'OMC : le 30
septembre sur la proposition de résolution de Béatrice Marre, et je
salue la qualité de son rapport, qui a été adoptée à l'unanimité
avec une abstention par la délégation pour l'Union européenne, puis,
le 6 octobre, en commission de la production et des échanges, avec
l'adoption à l'unanimité de la proposition de résolution - M.
Jean-Claude Daniel y a fait allusion.
Cela a permis au Gouvernement de disposer, avant le conseil affaires
générales du 11 octobre, de la position du Parlement exprimée par ces
commissions et même en l'occurrence, et je m'en réjouis, de son
soutien.
Si, aujourd'hui, nous ne pouvons pas aller plus loin, c'est que le
recours, disons peut-être un peu excessif - cela a été rappelé -, à
certaines motions de procédure, nous a conduits à prévoir ce matin
une déclaration du Gouvernement plutôt que la discussion d'une
résolution. Croyez que, pour ce qui nous concerne, nous étions prêts
pour cette discussion. L'unanimité dégagée à deux reprises démontre
amplement que le Gouvernement n'avait rien à craindre d'un vote, au
contraire. Il s'agissait avant tout de faire en sorte que ce débat ait
lieu.
Je rappellerai encore que le texte qui a permis l'adoption d'une
résolution, c'est-à-dire la communication de la Commission sur le
mandat de négociation, a été transmis volontairement par le
Gouvernement au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la
Constitution. En outre, au nom du Gouvernement, je vous indique que nous
serons bien sûr à la disposition du Parlement pour nous expliquer
continûment sur les dispositions de l'OMC.
Il est clair, monsieur Dominati, que, même sans vote en séance
publique, la résolution adoptée par la commission de la production et
des échanges et par la délégation constitue un point d'appui
essentiel pour le Gouvernement vis-à-vis des Quinze, et à Seattle.
J'ajoute, pour ceux, nombreux, qui se sont préoccupés ce matin de
l'association du Parlement, que M. Strauss-Kahn a indiqué ici même la
semaine dernière que la délégation française à Seattle comprendrait
des parlementaires représentant l'ensemble des familles politiques.
Peu de pays de l'Union européenne ont d'ailleurs organisé des débats
parlementaires. La France en est à son deuxième. Nous respectons donc
pleinement la démocratie.
J'en viens au fond de mon propos et à notre attitude par rapport à ce
nouveau cycle de négociations multilatérales auquel nous sommes
favorables pour au moins trois raisons essentielles. Je m'inscrirai là
dans le cadre des questions soulevées par Mme Marre : quelle
régulation pour quelle mondialisation ?
En la matière, nous n'avons pas de double langage, monsieur Dominati.
Nous voulons la régulation pour freiner les aspects négatifs de la
mondialisation qui comporte aussi des aspects plus positifs avec le
développement de l'échange international. Notre ligne politique est
claire et équilibrée. Nous faisons le choix du développement du
commerce international, mais nous voulons que celui-ci soit régi par
des règles. Dans cette négociation, nous souhaitons aussi défendre
nos intérêts internationaux et nous allons le faire ensemble.
Alors, faut-il aller à Seattle ? A votre position, monsieur Luca, j'ai
tendance à préférer, n'y voyez aucune malice, celle de M. Gaymard. Je
pense en effet qu'il faut aller à Seattle. Je suis persuadé qu'en la
matière la politique de la chaise vide à l'OMC ne mènerait à rien.
Au contraire, elle desservirait nos intérêts nationaux.
Il faut se rendre à Seattle pour négocier avec vigilance et fermeté,
mais en aucun cas se dérober à cette grande
confrontationinternationale.
Première raison pour laquelle nous sommes favorables à ce nouveau
cycle de négociations, c'est que l'ouverture du commerce international,
et nous le savons tous ici, est porteuse d'opportunités de croissance.
L'histoire de l'économie mondiale le prouve. Depuis le premier grand
cycle de négociations à la fin des années 50 - le Dillon round
- jusqu'à l'Uruguay round, tous les cycles de négociations se
sont traduits par une intensification des échanges qui a permis à son
tour d'alimenter la croissance mondiale, dont nous voyons qu'elle est la
condition de la reprise de l'emploi.
Pour l'Uruguay round, sur les cinq dernières années, la
richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à
une croissance du commerce international, proche de 8 % par an.
La France, quatrième puissance commerciale mondiale et troisième
exportateur mondial de services, a évidemment un parti important à
tirer de ce vaste mouvement d'ouverture des échanges puisque, je le
rappelle, il s'agit là d'un facteur essentiel de création d'emplois.
Aujourd'hui, dans notre pays, un emploi sur quatre dépend directement
ou indirectement du commerce extérieur.
Deuxième raison pour laquelle nous sommes favorables à la
négociation, c'est qu'il faut organiser la mondialisation en
l'encadrant par des règles qui soient reconnues internationalement. Je
veux préciser ici que, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas
comme vous, monsieur Dominati, favorables à une mondialisation qui ne
connaîtrait ni contrepoids, ni règles.
Monsieur Sarre, nous sommes opposés à une mondialisation libérale. Il
s'agit pour nous d'encadrer la mondialisation par des règles. Tâchons
de préciser de quoi nous parlons.
Nous sommes passés en dix ans de l'internationalisation à la
mondialisation, c'est-à-dire à une imbrication si poussée de nos
économies que l'ensemble des comportements de nos concitoyens, qu'ils
soient consommateurs, salariés, épargnants ou investisseurs, sont
tributaires, en très grande partie, d'évolutions qui se situent en
dehors du territoire national et bien souvent en dehors du territoire
européen. Cette mondialisation est une réalité, avec ses
conséquences néfastes - je ne le contesterai pas - mais aussi ses
potentialités.
Nous ne devons donc pas la nier. Nous devons au contraire l'appréhender
dans toutes ses dimensions pour exiger que les discussions sur le
commerce international s'accompagnent d'une volonté de bâtir de
nouvelles régulations qui remettent de l'ordre dans l'économie
mondiale. C'est pourquoi nous sommes partisans d'une mondialisation
régulée.
Troisième raison, nous sommes convaincus, comme tant d'orateurs sur ces
bancs, qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en
développement. Le commerce international a soutenu la croissance
mondiale depuis cinquante ans, et tout particulièrement depuis dix ans.
Mais nous le savons, et M. Lefort l'a montré avec éloquence, tout
comme M. Lajoinie, et Julien Dray y a insisté également, la
mondialisation est créatrice d'injustices et d'inégalités. On voit
ainsi se développer à l'échelle de la planète des politiques de
firmes entièrement tournées vers le bénéfice des actionnaires. C'est
ce qu'on appelle la création de valeur, avec des conséquences parfois
néfastes sur l'emploi, mais aussi la constitution de fortunes
colossales. Comme vous l'avez rappelé, cela donne des chiffres
extrêmement choquants : les deux cents plus grosses fortunes du monde
représentent à peu près l'équivalent des ressources de 41 % de la
population mondiale. A l'évidence, cela doit être maîtrisé. J'en
profite d'ailleurs pour saluer le rapport sur l'OMC de M. Lefort devant
la délégation pour l'Union européenne : voilà un an, il posait
déjà les bonnes questions.
Ces inégalités sont malheureusement un des traits caractéristiques du
phénomène de mondialisation. La richesse tend de plus en plus à
s'ordonner autour de quelques lieux, de quelques centres de production
qui accumulent les facteurs clés du succès - haut niveau d'éducation,
effort de formation important, avance scientifique et technologique. En
sens inverse, de vastes ensembles démographiques, majoritairement
situés au sud, se trouvent de plus en plus à l'écart des circuits de
l'échange marchand contemporain.
Mais en même temps, et je m'adresse là au président Lajoinie, je ne
crois pas qu'on puisse dire que l'OMC est le théâtre de la domination
des petits par les grands. J'aurais même tendance à dire le contraire.
Le fait qu'il s'agisse d'un cénacle dans lequel chaque pays représente
une voix et où la règle de décision est celle du consensus, permet,
au contraire, de faire entendre toutes les exigences.
Notre responsabilité, et aussi notre intérêt, est de réintégrer les
pays en développement dans l'OMC. J'ajoute, pour faire écho à ce que
disait M. Daniel, qu'il est important que l'OMC gagne son universalité,
notamment que de grands pays comme la Chine et la Russie puissent y
adhérer. C'est clair, le nouveau cycle doit être l'occasion d'une
meilleure prise en compte des attentes des pays en développement, et
singulièrement des pays les moins avancés, vis-à-vis de l'OMC.
Je veux le dire avec force, le développement inégal doit céder la
place au codéveloppement. Comme Béatrice Marre, comme Chantal
Robin-Rodrigo, j'ai la conviction que le commerce international doit
accompagner le développement et non aller contre le développement. Ce
sera une des stratégies que nous poursuivrons dans cette négociation.
Voilà les raisons pour lesquelles nous devons aller à Seattle et
l'esprit dans lequel nous devons y aller. Ne nous trompons pas de
débat, en effet, nous devons mener une bonne négociation. Nous devons
être ferme mais pas refuser le débat, ni contester le cadre. Il faut,
au contraire, essayer de l'élargir et de l'utiliser au mieux.
C'est pour cela que, contrairement à Julien Dray, qui a dit par
ailleurs beaucoup de choses que je partage, je ne crois pas que l'OMC
soit un acteur de la mondialisation libérale ou la préfiguration d'un
gouvernement occulte du monde. C'est aussi le cadre de la régulation.
D'une certaine façon, je trouve un peu paradoxal de refuser, au nom de
la critique du libéralisme, le cadre où l'on pourrait précisément
organiser ou maîtriser ce libéralisme.
Cette vision claire du cahier des charges du prochain cycle nous a
conduits à la formaliser à travers des conclusions du Conseil de
l'Union européenne. Sachez que l'Union européenne veut et va jouer
tout son rôle dans la négociation de l'OMC. En outre, elle est, selon
moi, plus unie que par le passé sur la conception du cycle et la
position qu'elle défendra à Seattle et c'est très important. Je crois
aussi, comme M. Gaillard, que l'Union européenne est aujourd'hui
davantage préparée que les États-Unis.
Ceux-ci, en effet, sont aujourd'hui confrontés à des difficultés
politiques : fin de la présidence de M. Clinton, absence de fast
track, tentations unilatéralistes ou protectionnistes de certains
membres du Congrès.
Sachez, monsieur Guillaume que, dans cette négociation, nous ne serons
pas isolés. Et nous ne sommes, en rien, dépourvus de stratégie.
Le cadre européen est désormais fixé. Il l'a été par le Conseil
« Affaires générales » du 11 octobre dernier pour
la plus grande partie du texte et, depuis vendredi dernier - et de
façon satisfaisante, me semble-t-il - pour les dernières questions en
discussion. L'Union doit aborder le prochain cycle de manière unie et
déterminée. Elle doit être capable - nous agirons en ce sens - de
peser comme puissance politique dans ces négociations.
Je ne peux que m'inscrire dans le cadre défini fort justement par
François Huwart et rejoindre les conceptions du rapport de Béatrice
Marre. Nous voulons, d'abord, un cycle large. L'accord de Marrakech de
1994 prévoit la réouverture des discussions sur l'agriculture et les
services le 1er janvier 2000. Nous respecterons cette
échéance, même si nous n'acceptons pas, contrairement à ce que
souhaitent certains aux États-Unis, que l'on s'en tienne là,
c'est-à-dire à un agenda intégré. En effet, lors de la dernière
conférence ministérielle de Singapour, de nombreux pays ont souhaité
l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle et
l'Union européenne souhaite précisément que ces nouveaux sujets dits
de Singapour soient maintenant traités. Je veux en citer quatre, pour
expliciter notre position.
Premier sujet, les règles relatives aux investissements internationaux,
sur lesquels sont intervenus notamment M. Georges Sarre et Mme
Robin-Rodrigo. Vous le savez puisque cela a été dit ici même par le
Premier ministre, nous avons refusé de discuter en 1998 de l'AMI - ce
faux-ami selon Jack Lang. Nous avions alors dit que l'harmonisation des
règles relatives aux investissements internationaux était une
nécessité - Lionel Jospin ne l'a jamais niée - mais qu'elle devait
avoir lieu dans le cadre légitime et plus large de l'OMC qui compte 134
pays membres et non pas dans celui plus restreint de l'OCDE qui regroupe
uniquement les pays les plus riches de la planète.
Nous voulons aussi changer le contexte et le thème même de cette
négociation. Il faudra, comme nous y invite M. Lefort, prendre en
compte la dimension Nord-Sud, celle du développement durable aussi. Le
passage à l'OMC devrait le permettre.
Le moment est donc venu pour la France et l'Union européenne
d'expliquer très concrètement aux pays en développement qu'ils
peuvent trouver dans l'élaboration de règles communes un élément
favorable à leur développement. Pour attirer chez eux des
investissements directs extérieurs, voire pour aller vers un accès
plus important à la technologie et aux marchés internationaux, ces
pays ont besoin d'un cadre sûr, prévisible, internationalement
reconnu, qui offre une sécurité minimale à l'investisseur étranger
qu'il vienne de l'OCDE ou des pays émergents eux-mêmes. Bref, oui,
nous sommes d'accord pour négocier sur l'investissement mais pas du
tout comme on voulait le faire à l'occasion de l'AMI.
Deuxième sujet, les règles de concurrence. Les pratiques
anticoncurrentielles constituent une atteinte manifeste aux droits des
consommateurs, qui acquittent parfois un prix trop élevé, faute d'une
offre diversifiée. Elles doivent être combattues et elles le sont au
plan national et au plan européen.
Mais, et c'est là un des effets de la mondialisation, les grands
groupes internationaux ont aujourd'hui un champ d'action mondial. Il
faut donc envisager un niveau de régulation de la concurrence au niveau
mondial pour assurer le caractère équitable du jeu concurrentiel.
Qu'on ne se méprenne pas sur mon propos. Il ne s'agit évidemment pas
de transformer l'OMC en une sorte d'autorité mondiale de la
concurrence, elle n'en a ni les moyens ni la vocation. Nous souhaitons
dans un premier temps que le prochain cycle de négociations fournisse
l'occasion de fixer en quelque sorte un corps de principes et de
procédures visant à promouvoir la mise en _uvre de politiques internes
de concurrence et à les rendre compatibles entre elles.
Troisième sujet, les normes sociales fondamentales. On pourrait
débattre longuement, cela a été fait d'ailleurs en d'autres
circonstances, de la question des délocalisations. En cette matière,
l'Union européenne n'a pas à redouter à l'excès une plus grande
perméabilité ou ouverture aux échanges avec des pays où les salaires
et les droits sociaux des travailleurs sont moins importants qu'en
Europe. En effet, l'Union européenne a d'autres atouts. Elle a les
moyens de préserver son modèle social, le coût du travail n'étant
qu'un élément parmi bien d'autres de la compétitivité globale d'un
pays ou d'un espace intégré comme l'espace européen.
Il demeure que nous ne pouvons pas accepter, pour des raisons morales,
philosophiques mais aussi économiques, de voir des pays exporter
librement des produits fabriqués par des enfants ou par des populations
carcérales, par exemple. C'est la raison qui nous a conduits à
demander la création d'un forum permanent de travail conjoint entre
l'OIT et l'OMC qui devra permettre de dégager les voies d'une meilleure
prise en compte par l'OMC des normes sociales fondamentales justement
élaborées dans le cadre de l'OIT.
Enfin, quatrième sujet, les normes environnementales. Nous devons faire
en sorte que les règles de l'OMC tiennent mieux compte des accords
multilatéraux sur l'environnement qui existent déjà ou qui sont en
cours de préparation. Je pense à tout ce qui concerne la biodiversité
ou le changement climatique. Là aussi, l'échange international doit
être resitué dans la perspective plus vaste du développement durable
qui est le nôtre. L'échange international doit être régulé pour
éviter qu'il ne vienne ajouter à la dégradation des biens publics que
sont l'eau, l'air ou la couche d'ozone.
Comme vous, monsieur Cochet, nous souhaitons que l'OMC permette
d'accroître les normes sociales et environnementales. Nous y serons
vigilants. François Huwart a commencé à répondre aux questions que
vous avez posées, monsieur le député.
Nous voulons un cycle large ; nous souhaitons aussi un cycle global.
C'est le principe, fondamental pour nous, de l'engagement unique, ce qui
signifie que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas
d'accord sur l'ensemble des sujets en discussion.
Nous sommes donc totalement opposés, comme l'a dit François Huwart, à
l'idée de « récoltes précoces » selon laquelle il
pourrait être possible de constater en cours de cycle des accords
partiels sur certains sujets, quand bien même leur validation
définitive serait renvoyée à une synthèse générale en fin de
processus. Entre ces deux démarches fondamentalement différentes,
voire opposées, nous nous en tiendrons, je puis vous l'assurer, au
principe de l'engagement unique et de la globalité des dicussions.
J'en termine en évoquant les attentes de la société française à
l'égard du cycle, à tous égards parfaitement légitimes. Exigence de
qualité pour l'amélioration, défense de notre identité culturelle,
préférence accordée au non-marchand dans certaines activités comme
la santé ou l'éducation : autant de sujets de notre point de vue non
négociables. Tout comme M. Gaillard - j'espère qu'il sera d'accord
avec moi, car je suis d'accord avec lui -, je crois que la place du
politique doit être ici réhabilitée. Sur tous ces sujets, nous
entendons appliquer un principe particulièrement cher à certains de
nos partenaires de l'OMC : le droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes. Ce qui signifie que nous n'accepterons pas que les
discussions sur le commerce international aient une quelconque incidence
sur les fondements mêmes de notre vie collective. Sur ce point
également, M. Luca et M. Gaymard diffèrent dans la manière de dire
non ; une fois de plus, c'est votre façon que je préfère, monsieur le
député Gaymard.
Un mot également sur ce qui se déroule au sein de l'Union européenne.
Après un long débat au sein des Quinze, qui s'est prolongé jusqu'à
vendredi dernier, nous avons obtenu que la Commission se rende à
Seattle avec un mandat précis tout à la fois sur la culture et sur
l'agriculture. M. Gaymard m'a paru quelque peu dubitatif ; je veux lui
expliquer pourquoi et comment nous avons choisi de procéder ainsi.
Pour commencer, il faut bien à la Commission un mandat de l'Union
européenne. Comme vous avez été plusieurs à le souligner, c'est elle
qui négocie au nom de l'Union européenne ; dès lors, autant qu'elle
soit en contact avec le Conseil des ministres, mais également que
celui-ci lui fixe des orientations précises. Faute de quoi, elle
pourrait négocier librement, sans aucune ligne politique, au risque de
céder au tropisme libéral.
C'est pour éviter ce danger que le Gouvernement et le Président de la
République ont souhaité l'élaboration d'un mandat précis donné par
le Conseil à la Commission.
Il est sans aucun doute utile à la France, monsieur Guillaume, et
peut-être aussi dans notre débat.
Les propositions que nous avons faites à chaque étape, c'est-à-dire
avant, puis après le 11 octobre, vont jusqu'à prévoir une adoption du
mandat par le COREPER. Rappelons que le COREPER ne travaille que sur
instruction ; ce n'est pas une vague association de fonctionnaires
technocrates totalement déconnectés du politique. Tout cela, monsieur
Gaymard, a été fait non seulement en coordination, mais en parfait
accord avec le Président de la République. Du reste, François Huwart
peut en porter témoignage, l'accord finalement retenu nous satisfait
d'autant plus qu'il ressemble beaucoup, avouons-le, à ce que nous
avions proposé le 11 octobre. En effet, l'Union s'engagera à respecter
la diversité culturelle, puisqu'elle s'est déclarée attachée aux
acquis de Marrakech et qu'elle veillera, dans la discussion extrêmement
serrée qui s'engagera à Seattle, à garantir la libre mise en _uvre
des politiques culturelles et audiovisuelles auxquelles l'Europe comme
la France tiennent particulièrement.
Nous avons, c'est vrai, bâti un compromis. Parce que l'Union
européenne est une réalité, M. Sarre le sait bien, parce que nous ne
pouvons en changer les règles, parce que nous sommes dans un ensemble
à quinze, parce que les traités ont prévu que c'est la Commission qui
discutera, mais nous avons su tirer ce compromis vers des thèses
satisfaisantes et qui répondent à notre exigence ; comme l'a très
bien dit François Huwart, en matière culturelle, c'est l'exception qui
est la règle et la libéralisation l'exception.
Pour ce qui est de l'agriculture, nous nous appuierons surl'excellent
texte des ministres de l'agriculture qui doit beaucoup à l'action de
Jean Glavany et auquel les conclusions du Conseil font intégralement
référence.
Epargnons-nous en la matière les complexes déplacés. Quand les
Américains nous traitent de protectionnistes ou se livrent à une
attaque en règle, en des termes peu acceptables tels ceux de Mme
Barshefsky, contre notre politique agricole commune, il est bon de
rappeler qu'ils dépensent 60 milliards de dollars pour les agriculteurs
américains pendant que les Européens n'en dépensent que 40 milliards
de dollars pour les leurs, et avec une population supérieure.
Nous partageons totalement les préoccupations exprimées par M. Leyzour
de protéger le modèle agricole européen dans ses dimensions
traditionnelles, mais également dans celles plus nouvelles, telle la
sécurité alimentaire que j'ai citée comme lui. Nous entendons bien y
faire valoir le principe de précaution et je veux l'assurer de la
totale vigilance du Gouvernement dans cette affaire.
Les grands axes qui structurent le mandat de négociations de l'Union
européenne ont été rappelés jeudi dernier par le Premier ministre,
à l'occasion de la table ronde réunissant les organisations
professionnelles : défense d'un modèle européen fondé sur une
agriculture multifonctionnelle, prise en compte dans le nouveau cycle
des questions non commerciales, telles la sécurité et la qualité des
aliments, référence enfin aux accords de Berlin et au renforcement de
la politique agricole commune en tant que socle permanent de la position
européenne. Sur ce dernier point, je tiens à rassurer M. Gaillard. Je
crois très sincèrement que, dans le domaine agricole, nous avons un
bon texte pour aller à l'OMC. Cela avait du reste été reconnu dès le
11 octobre.
Je conclus sur cet ensemble de préoccupations fondamentales à nos yeux
pour ce prochain cycle en rappelant que la question des DOM et de la
coopération régionale dans la Caraïbe reste à nos yeux un sujet
essentiel pour le développement de ces régions. Le Premier ministre
aura l'occasion de l'aborder lors de son voyage aux Antilles à la fin
de cette semaine, sans oublier le fait qu'il sera traité dans le projet
de loi d'orientation sur les DOM en cours de préparation.
Nous sommes profondément attachés à notre mode de vie, au moins
autant que les Américains le sont à leur american way of life,
qu'ils n'envisagent d'ailleurs pas un instant de remettre en cause.
Soyons clairs : dans la discussion qui s'engage, nous n'envisageons pas
de négocier notre modèle européen de société, pas plus qu'ils
n'envisagent de renoncer au leur. Nous entendons bien nous rendre à
l'OMC en restant intransigeants sur ce que nous croyons, mais en
tâchant de l'être intelligemment. En d'autres termes, non seulement
nous y défendrons nos intérêts, mais nous comptons bien nous montrer
offensifs, comme plusieurs d'entre vous nous y ont invités. Car si nous
devons protéger nos spécificités, nous devons aussi affirmer notre
modèle dans le monde. C'est justement parce que l'Europe a cette double
capacité, défensive et offensive, parce qu'elle a vocation à se poser
en puissance capable d'organiser la mondialisation que je crois à
l'Europe. Et l'Europe et la France en son sein ont tout leur rôle à
jouer dans le débat de l'OMC.
Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide-Briand - 75007 Paris
. - Assemblée nationale .
Imprimé par la Direction des Journaux officiels,
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