No 1884
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 octobre 1999
D É C L A R A T I O N
D U G O U V E R N E M E N T
sur la préparation
de la
conférence ministérielle de l'OMC à Seattle,
par M. François HUWART,
secrétaire d'État au commerce extérieur,
et par M. Pierre MOSCOVICI,
ministre délégué chargé des affaires européennes

Organisations internationales.

DÉCLARATION DE M. FRANÇOIS HUWART,
secrétaire d'État au commerce extérieur

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Le Gouvernement vous présente aujourd'hui, après le débat de juin, ses orientations sur les prochaines négociations de l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce. L'occasion est particulièrement opportune parce qu'elle se situe au moment où l'Europe a fixé sa position commune et où commencent à Genève les discussions sur le projet de déclaration ministérielle qui devra être adopté à Seattle.
Permettez-moi de revenir en introduction sur les caractéristiques fondamentales de l'OMC, qui restent souvent méconnues.
L'OMC ne doit être ni diabolisée, ni idéalisée.
L'OMC n'est pas un organe supranational qui imposerait mécaniquement ses lois aux États et aux peuples. L'OMC n'édicte pas de règles, elle fournit le cadre où les États décident des règles. L'OMC est donc une organisation internationale constituée sur un mode démocratique : chaque gouvernement peut faire entendre sa propre voix et dispose en quelque sorte d'un droit de veto puisque toutes les décisions sont prises par consensus. Le modèle de l'OMC n'est pas celui de la domination des forts sur les faibles, mais davantage celui, cher à notre tradition politique, du contrat social, d'un contrat social international entre partenaires libres et égaux.
En deuxième lieu, l'OMC ne met pas en place des contraintes irréversibles qui, pour issues qu'elles soient de la libre volonté des États, les enfermeraient ensuite dans un carcan. Un État membre dispose toujours de l'option de se soustraire à l'application d'un engagement qu'il a préalablement souscrit à l'OMC, s'il propose une compensation. Le système multilatéral prévoit aussi qu'un État puisse prendre des mesures de protection s'il se trouve dans une situation grave : il peut à ce titre bénéficier de sauvegardes ou de dérogations.
L'OMC serait aussi pour certains une organisation marquée irrévocablement par une idéologie particulière, le libre-échange. Je crois la réalité plus complexe. D'abord, l'OMC est une enceinte de discussions où l'on traite d'autres sujets que les tarifs douaniers. Mais plus fondamentalement, le principe de base de l'OMC n'est pas l'ouverture commerciale en tant que telle, mais plutôt l'égalité de traitement. Si un pays impose des normes sanitaires à une certaine catégorie de produits importés, il doit aussi y soumettre ses producteurs locaux. Si un État décide d'accorder des facilités commerciales à un autre État, parce qu'il y trouve des avantages directs ou indirects, il doit les accorder à tous les membres de l'OMC.
On dit parfois que, dans l'OMC, coexistent potentiellement un volet d'« ouverture commerciale » et un volet de « régulation », avec en particulier les nouveaux sujets : concurrence, investissement, normes sociales, environnement. Il me semble que l'ouverture commerciale et la baisse des tarifs, telles qu'elles sont négociées, organisées, dosées en fonction des capacités de chacun, enfin contrôlées par l'OMC, sont déjà pleinement de la régulation. De la régulation, dont aux niveaux national, européen et international, l'économie a besoin, ainsi que le Premier ministre l'a affirmé avec force àStrasbourg.
Enfin, dernière observation sur les principes fondamentaux de l'OMC, sa méthode de règlement des conflits. Qui dit en effet régulation, dit règles, mais aussi conflit de règles, interprétation de règles, application de règles. C'est donc tout à fait logiquement que l'OMC dispose d'un tribunal qui permet de faire vivre, de rendre effective la règle de droit.
Le système de règlement des différends de l'OMC représente l'un des grands acquis du cycle d'Uruguay, pour l'Union européenne comme pour ses partenaires, parce qu'il interdit l'unilatéralisme comme mode de résolution des conflits commerciaux internationaux. Il faut se rappeler les guerres commerciales des années 70 - soja, acier, aéronautique - et leurs escalades permanentes où la loi du plus fort l'emportait à coup sûr.
Au total, depuis la création de l'Organe de règlement des différends, l'ORD, l'Union européenne a remporté plus de panels qu'elle n'en a perdu et les sanctions subies sur la banane ou les hormones n'ont pas un caractère définitif. De plus, sur l'acier vis-à-vis des États-Unis, sur l'automobile à l'égard du Canada, ou sur les aides fiscales à l'exportation américaines, les perspectives nous sont très favorables.
Je vois néanmoins plusieurs directions dans lesquelles nous devons travailler pour améliorer l'ORD.
La première est l'accès au droit. Les pays pauvres, disons-le franchement, n'ont pas toujours les moyens d'argumenter dans un panel. Nous devons améliorer les choses si nous voulons que l'ORD soit vraiment un instrument juridictionnel mondial.
Deuxième orientation : la transparence. Surtout quand les sujets traités ont une dimension extra-économique, en matière d'environnement par exemple, il faut que la société civile puisse faire entendre son point de vue. Les modalités ne sont pas toujours simples, mais nous devrons trouver le bon équilibre entre transparence et respect de la confidentialité de certaines informations.
Enfin, il y a le problème des sanctions. Le bon sens, et je dirai même le sens inné de la justice qui est en chacun de nous, comprend mal que souffrent des décisions de l'ORD des secteurs, des entreprises et, en dernier ressort, des hommes et des femmes qui n'étaient pas partie au litige. C'est un sujet très complexe sur le plan juridique, mais où l'OMC joue en partie sa crédibilité : l'objectif d'une meilleure régulation internationale est trop important pour qu'on puisse le fragiliser pour des raisons, peut-être techniquement justifiées, mais politiquement et moralement peu explicables. Je le répète, l'OMC est une institution démocratique. Si l'on change ou si l'on fait évoluer le système des sanctions, il faudra le faire d'un commun accord. Cela ne nous dispense pas de formuler des propositions.
Mais, au-delà de ces améliorations souhaitables de l'ORD, nous devons considérer que tous les problèmes nouveaux auxquels la communauté internationale se trouve confrontée dans le domaine commercial ne peuvent être résolus par les juges. Certains voudraient que le droit de l'OMC s'adapte à l'évolution des besoins de l'économie ou des préoccupations de la société civile selon une voie seulement jurisprudentielle. Tel n'est pas le point de vue de la France, ni de l'Union européenne.
Pour des raisons d'efficacité et de légitimité, il est nécessaire que les États réexaminent ensemble, périodiquement, au-delà de la jurisprudence, le cadre normatif sur lequel celle-ci doit s'appuyer. Créer de nouvelles règles, modifier les règles existantes ou en préciser la portée, ne peut incomber à des juges, mais relève de la volonté des membres de l'OMC, des États souverains. C'est un des enjeux du prochain cycle.
Au-delà des principes qu'il était, je crois, utile de rappeler, il y a la réalité qui correspond à ce que l'on appelle parfois le bilan de l'OMC.
Dresser ce bilan est un exercice extrêmement difficile, car la vie économique internationale dépend de facteurs monétaires, financiers et politiques qui dépassent largement la capacité de régulation de l'OMC. En particulier, il me semble inexact d'attribuer aux accords de l'OMC une responsabilité dans la crise asiatique de 1997-1998 ; celle-ci est également issue de l'inadaptation de certains cadres juridiques internes des pays qui en furent victimes, en particulier sur le plan des droits bancaire et boursier. J'ajoute que les nations frappées par cette crise sont souvent loin de s'être engagées dans des politiques d'ouverture commerciale accélérée, mais ont conclu à Marrakech des baisses de tarifs limitées, assorties de périodes de transition importantes.
Le bilan de l'OMC me semble plutôt positif ; en tout cas il l'est certainement pour la France. Notre pays, grâce aux efforts de nos concitoyens, a en effet renoué avec une suite spectaculaire d'excédents commerciaux depuis 1993. Aujourd'hui, près de la moitié de notre production industrielle est exportée. Dans le domaine agroalimentaire, notre balance commerciale est excédentaire depuis trente ans, avec une progression régulière de 4,5 % par an depuis 1986. L'économie française a donc prouvé sa compétitivité au niveau international et n'a pas à craindre de nouvelles négociations commerciales, d'autant que les perspectives de croissance de l'économie mondiale sont très favorablement orientées.
L'enjeu du nouveau cycle n'est pas le partage de la rareté mais, bien au contraire, l'accompagnement et le renforcement de la croissance par des mesures contrôlées d'ouverture et des disciplines appropriées.
Je n'ignore pas que certains pays en développement ont le sentiment de ne pas avoir tiré les bénéfices escomptés de l'accord de Marrakech.
N'oublions pas, tout d'abord, qu'un certain nombre d'accords signés à Marrakech ne sont toujours pas entrés en vigueur. Les pays en développement ont bénéficié de périodes de transition qui s'appliquent jusqu'aux années 2000 ou 2005.
Les pays en développement considèrent néanmoins que de nombreuses dispositions des accords qui formaient l'équilibre du cycle d'Uruguay n'ont pas été respectées. Ils mettent en avant l'accès au marché pour l'agriculture et le textile, le recours par les pays industrialisés à l'antidumping. Ils considèrent en outre que les pays industrialisés n'ont pas mis en _uvre leurs engagements en matière decoopération et de transfert de technologie, qui devaient leur permettre de disposer des capacités de mise en _uvre des accords.
Certains de ces reproches sont fondés, mais ce n'est pas la polémique qui fera évoluer le débat : c'est au sein de l'OMC que les pays en développement doivent présenter leurs propositions pour améliorer la mise en _uvre des accords : c'est un autre enjeu du prochain cycle.
Permettez-moi de conclure sur cette question difficile par une simple observation : aujourd'hui une trentaine de pays, aussi différents que le Vietnam ou l'Algérie, ont engagé des négociations d'accession à l'OMC. C'est un signe qui plaide sûrement en faveur de cette organisation.
Parce que l'existence et le fonctionnement de l'OMC constituent un atout pour notre pays, nous devons envisager les futures négociations avec beaucoup de résolution.
D'abord à cause nos intérêts économiques, que je viens derappeler.
Ensuite parce que les objectifs que nous poursuivons nous semblent partagés par la très grande majorité des Français, comme viennent de le rappeler la résolution adoptée par votre assemblée et la déclaration commune des cinq grandes centrales syndicales.
Le Gouvernement a abordé la préparation de Seattle dans la transparence, non pas seulement a posteriori en informant la société civile de positions déjà arrêtées, mais a priori en consultant les organisations professionnelles et syndicales ainsi que les associations pour élaborer ses positions. Mme Marre mentionne dans son rapport, et je l'en remercie, ces différentes consultations, qui se sont tenues souvent à Bercy, mais toujours dans une dimension interministérielle et en association avec les parlementaires. Je n'y insiste pas, mais vous constaterez que cette démarche est tout à fait inverse de celle de l'AMI.
Enfin, notre résolution est confortée par l'unité de vues qui est celle de l'Union européenne. Aujourd'hui, à Bruxelles, seront adoptées formellement les conclusions du Conseil qui serviront de cadre à la Commission pour préparer Seattle. Les difficultés qui, comme c'est normal dans un texte important et précis, subsisteraient encore à la fin du travail intracommunautaire ont été rapidement aplanies. Au total, l'Europe n'est jamais apparue aussi soudée à l'approche de négociations commerciales.
Je crois que cet accord européen et ce consensus au sein de l'opinion française reposent sur une double conviction : si le développement des échanges est un gage de croissance, il est vrai aussi que l'économie n'est pas une fin en soi mais un moyen au service de valeurs supérieures au simple commerce.
Ainsi, dans l'exemple de la culture, l'Union européenne a réaffirmé que les biens et services culturels n'étaient pas des produits comme les autres. A Marrakech, l'Union européenne a utilisé les deux possibilités inscrites dans l'accord de l'OMC sur les services : celle de ne faire aucune offre de libéralisation en matière audiovisuelle, celle de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée pour développer ses instruments de soutien au secteur culturel et audiovisuel. Les conclusions du Conseil adoptées aujourd'hui réaffirment clairement cette orientation.
On dit parfois que la France est le dernier bastion de la spécificité culturelle. Permettez-moi de rappeler que, sur 134 membres de l'OMC, 19 seulement ont pris des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel. C'est dire qu'une écrasante majorité de pays - et je l'ai constaté encore très récemment en m'entretenant avec mes homologues africains réunis à Abidjan - partagent notre souci de maintenir leurs souveraineté culturelle.
Au niveau international, ne l'oublions jamais, c'est l'exception culturelle qui est la règle et la libéralisation qui est l'exception.
Ce qui est vrai de la culture, l'est aussi d'autres domaines du secteur des services. Parce qu'ils ont une vision fausse de l'OMC, qu'ils considèrent comme une organisation supranationale et sans contrôle, certains craignent que nos services publics soient mis en péril par les nouvelles négociations, en particulier dans le domaine de l'éducation et de la santé. Je rappelle que selon l'accord de l'OMC sur les services, on ne libéralise que ce que l'on veut libéraliser, ce que l'on offre volontairement à ses partenaires dont on attend la réciprocité.
Permettez-moi d'affirmer ici avec une certaine solennité qu'il n'est pas question pour la France de s'engager dans un processus de négociation sur l'éducation ou la santé et que, par conséquent, nos services publics ne sont en rien menacés par l'OMC.
J'aborde maintenant les perspectives et les enjeux du prochain cycle de négociation.
Lors de la signature des accords de Marrakech, tous les membres de l'OMC se sont entendus pour reprendre, à partir de l'an 2000, un certain nombre de négociations, en particulier dans les domaines des services et de l'agriculture. C'est ce que l'on appelle le « programme intégré » de l'OMC. En se rapprochant de l'échéance de l'an 2000, plusieurs membres de l'OMC, dont l'Union Européenne, le Japon, les États-Unis, le Canada et certains pays en développement, ont pris position pour compléter ce programme ; si l'on doit négocier dans les secteurs primaire : l'agriculture, et tertiaire : les services, pourquoi ne pas aussi négocier dans le secteur secondaire : l'industrie ? Mais ne peut-on pas également mettre à profit cette opportunité pour développer de nouvelles règles commerciales dont le besoin se fait aujourd'hui sentir ?
La France et l'Europe partagent cette conviction et c'est pourquoi elles se sont engagées dans la voie d'un cycle large, assorti d'un accord unique. Comme l'a dit le Premier ministre, « rien ne sera acquis, quand tout ne sera pas acquis ». C'est ce principe qui doit permettre de trouver le bon équilibre entre les priorités de chacun des participants. C'est pourquoi un cycle trop court ou des récoltes précoces ne permettraient pas de répondre à notre objectif d'un cycle global et équilibré.
Le rapport de la délégation pour l'Union européenne vous a présenté de manière précise les différents thèmes de négociation. Permettez-moi d'en rappeler seulement quelques-uns.
Dans le domaine de l'agriculture, l'Union, souvent accusée de protectionnisme, est en fait importatrice nette car ses exportations ne couvrent que 85 % de ses importations. Elle absorbe 20 % des exportations mondiales de produits agroalimentaires, soit autant que les États-Unis. Pour l'Union européenne, les prochaines négociations recouvrent trois objectifs majeurs.
Premier objectif, la réduction des protections tarifaires devra être gérée avec fermeté pour assurer sa compatibilité avec la réforme de la PAC, qui constituera le socle permanent de la position européenne. Dans le même temps, l'Union devra rechercher une amélioration de l'accès aux marchés des pays tiers.
La négociation devra également porter sur certaines pratiques de nos partenaires, comme les monopoles d'importation ou la gestion des contingents d'importation.
Deuxième objectif, les soutiens à l'exportation. Certes, l'Europe devra faire face à la pression conjuguée des États-Unis et des pays du groupe de Cairns pour la suppression de ces soutiens. Mais cette négociation devra aussi être l'objet d'une attitude offensive de l'Europe contre des pratiques comme les crédits à l'exportation, l'aide alimentaire ou les monopoles d'exportation, qui ont les mêmes effets que les restitutions européennes.
L'Europe devra aussi veiller à ce que progressent les travaux décidés à Marrakech sur la protection des appellations d'origine.
Troisième objectif, les soutiens internes donneront lieu à des négociations dans lesquels le partenaire américain, qui a accru massivement les aides à ses agriculteurs dans la période récente, devra lui aussi justifier de ses propres soutiens.
Mais ces trois objectifs sont englobés dans une perspective plus large qui va au-delà de l'approche classique de l'agriculture à l'OMC. L'Union souhaite en effet élargir le champ de la négociation en prenant en compte les véritables enjeux de l'agriculture, ses implications majeures sur l'environnement, l'aménagement du territoire, la qualité de l'alimentation et la santé.
La multifonctionnalité de l'agriculture, maintenant reconnue par tous nos partenaires européens, doit être prise en compte par tous les pays dans leur propre intérêt, celui de la santé des consommateurs ou du maintien des populations rurales dans leur cadre de vie. A défaut, les agriculteurs du monde entier, de moins en moins nombreux, s'épuiseront dans une guerre des prix qui ne favorisera que quelques multinationales de l'agro-industrie.
Dans le domaine des services, nous devons adopter une attitude ambitieuse car nos intérêts y sont importants, la France étant le troisième exportateur mondial de services.
Sur le plan des règles, l'accord sur les services devra être complété par des dispositions sur les marchés publics, les subventions et les sauvegardes.
Sur celui de l'ouverture des marchés, les télécommunications et les services financiers, qui ont fait l'objet d'accords en 1997, figurent au premier rang des intérêts offensifs de l'Union européenne. La distribution devrait constituer pour la France un secteur d'intérêt prioritaire, en raison d'une implantation à l'étranger déjà très diversifiée et de son impact sur le domaine des marchandises. Le secteur de la construction, du tourisme et surtout des services environnementaux constituent également des objectifs majeurs pour notre pays.
Un autre enjeu pour notre économie est celui des tarifs industriels, qu'il est de notre intérêt de voir figurer dans le prochain cycle.
Les tarifs industriels de l'Union européenne sont faibles, comparés à ceux de ses principaux partenaires. La moyenne du tarif extérieur de l'Union européenne est de 3 %, à comparer aux moyennes du Japon, 1,7 %, et des États-Unis, 1,5 %. Dès à présent, 40 % des droits du tarif extérieur commun de l'Union européenne sont en franchise.
L'Union européenne présente également une structure tarifaire relativement harmonisée. Dans le secteur sensible des textiles et de l'habillement, les droits européens sont inférieurs à ceux de ses principaux partenaires. Par contraste, les États-Unis maintiennent 650 lignes tarifaires supérieures à 15 %. Des pics tarifaires importants subsistent dans la plupart des secteurs sensibles des pays les plus développés.
Dans les pays en développement, la moyenne des tarifs est de quatre à cinq fois supérieure à celle des tarifs de l'Union. Les tarifs sur des secteurs clés tels que l'automobile ou les spiritueux peuvent atteindre 50 %, et de nombreux secteurs tels que les équipements mécaniques, la chimie, la pharmacie ou l'acier atteignent fréquemment des taux de l'ordre de 15 à 20 %.
La France, avec l'Union européenne, a donc un réel intérêt à reprendre la négociation sur les tarifs industriels. Les États-Unis, le Canada, le Japon, et plus généralement les membres de l'APEC, abordent la question tarifaire sous l'angle d'une libéralisation sectorielle consistant à réduire ou à supprimer des droits de douane dans huit secteurs prioritaires. L'Union européenne se prononce pour un traitement des tarifs industriels dans tous les secteurs, ce qui permettrait à chacun des partenaires d'obtenir des ouvertures en fonction de ses intérêts propres.
Dans la prochaine négociation, nos intérêts ne se limitent pas uniquement aux sujets classiques que je viens d'évoquer, malgré leur importance pour nos entreprises, pour la croissance de notre économie et pour l'emploi. Ils concernent également des thèmes nouveaux, qui doivent renforcer la régulation de l'économie internationale et répondre aux exigences de nos concitoyens pour une mondialisation au service du développement durable.
En ce qui concerne l'investissement, l'accord sur les « mesures d'investissement liées au commerce » reste d'une portée très limitée. La France et l'Union européenne sont favorables à l'élaboration de règles dans l'enceinte de l'OMC, des règles qui sécuriseraient les investissements directs, qui seraient déterminées en accord avec les pays en développement et permettraient à chaque État de garder la maîtrise de ce qu'il entend négocier.
Dans chaque pays, des règles de concurrence devraient permettre un accès équilibré et égal aux marchés pour tous les opérateurs et surtout la mise en place d'un système de contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales - cartels mondiaux, positions dominantes - qui, à l'heure actuelle, fait défaut, aux dépens des pays les plus faibles.
Dans le domaine des marchés publics, la France et l'Union soutiennent l'objectif d'un accord à l'OMC sur la transparence et l'ouverture qui doivent permettre de lutter contre les pratiques de corruption.
S'agissant de l'environnement, il n'existe pas aujourd'hui de règles pour régir les possibles conflits entre objectifs de développement du commerce international et protection de l'environnement.
Il faut donc que le prochain cycle permette des avancées sur l'articulation entre les règles de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement, sur la réglementation des démarches « d'éco-étiquetage » des produits, sur la clarification des relations entre l'OMC et les principes environnementaux fondamentaux, et sur la coopération entre l'OMC et les institutions internationales qui traitent d'environnement, notamment la Banque mondiale, la CNUCED et les secrétariats des AME.
Je dirai seulement quelques mots sur le principe de précaution qui est au c_ur des préoccupations de nos opinions publiques. Consacré par le droit international de l'environnement, ce principe est intégré dans le droit français et le droit communautaire. Il figure, de manière implicite, dans les accords de l'OMC, en particulier celui sur les mesures sanitaires et phytosanitaires.
Mais le contentieux sur les hormones a montré que sa mise en _uvre pouvait se révéler difficile, en l'absence d'évaluation scientifique du risque. L'appel au jugement des scientifiques et le renvoi par l'OMC à des normes édictées dans des enceintes spécialisées - accords environnementaux, Codex alimentarius - n'épuisent pas le débat en cours sur le principe de précaution. Ils offrent en revanche des garanties contre des mesures arbitraires, unilatérales et discriminatoires de la part de nos partenaires à l'encontre de nos produits.
L'Union européenne propose donc de renforcer, à l'occasion du prochain cycle, la manière dont l'OMC intègre le principe de précaution.
Par ailleurs, l'essor du commerce international met indirectement en cause les divergences entre les organisations sociales des différents pays.
C'est particulièrement le cas en matière de réglementation du travail. Ainsi, les pays qui interdisent sur leur territoire certaines pratiques, comme le travail des enfants, pour des motifs d'ordre public, ne veulent pas accepter l'entrée sur leur territoire de biens produits ailleurs avec le recours à ces pratiques ; simultanément, ils ne peuvent imposer leurs propres réglementations à d'autres États souverains. Il y a donc matière à clarifier les liens entre normes sociales et commerce international.
L'Organisation internationale du travail, l'OIT, est l'enceinte chargée de l'élaboration des principes fondamentaux devant régir l'activité de l'homme au travail. Si l'OMC n'a pas vocation à s'y substituer, elle pourrait, en revanche, avoir vocation à traiter de l'articulation de ces normes avec les disciplines du commerce international. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne et les États-Unis ont proposé en 1996 la création à l'OMC d'un groupe de travail spécialisé sur ce thème.
Cette proposition n'a pu aboutir en raison de l'opposition de nombreux pays, notamment du monde en développement. Ceux-ci redoutent l'institution de nouvelles barrières protectionnistes, car ils considèrent que le progrès de leurs normes sociales ne peut résulter que du progrès de leur développement économique, alors que le développement social peut paraître au contraire comme une des conditions fondamentales du progrès économique.
L'Union européenne, notamment à l'initiative de la France et de l'Allemagne, propose donc pour Seattle une enceinte permanente de travail associant l'OMC et l'OIT, sur le lien entre développement social et commerce. C'est une proposition équilibrée qui tient compte de la sensibilité des pays en développement et des responsabilités respectives des deux organisations.
Le travail de préparation de la déclaration ministérielle a, vous le savez, commencé à Genève, et comme il est naturel au début d'un processus de discussion, les positions restent assez divergentes. L'Union européenne n'est pas pour autant isolée : d'autres pays européens, les pays de l'Est, le Canada également, ont des positions similaires. Le Japon n'en est pas très éloigné.
La position américaine revêt une importance particulière. A ce stade, comme je l'ai indiqué lors de ma visite à Washington, les États-Unis abordent la réunion de Seattle plus en simple participant, avec leurs intérêts propres, qu'en pays hôte, assumant la présidence de la conférence ministérielle et ayant pour devoir, à ce titre, de faciliter le compromis. Comme l'a souligné le Premier ministre « le souhait des États-Unis de limiter l'agenda de Seattle aux quelques sujets qui ont leur préférence est irréaliste ».
Certes, il ne faut pas sous-estimer les difficultés internes de l'administration américaine. Cependant, des déclarations hostiles et partielles à l'encontre de la politique agricole européenne, la volonté de réduire les « nouveaux sujets » à de simples conversations séparées du cycle proprement dit ne correspondent, à ce stade, ni aux responsabilités que les États-Unis ont acceptées en accueillant la prochaine conférence ministérielle, ni aux enjeux d'une meilleure organisation économique internationale, ni aux interrogations légitimes des opinions publiques, de part et d'autre de l'Atlantique, sur les conséquences de la mondialisation.
L'Europe et ses alliés ont quelques semaines pour convaincre leurs partenaires de l'intérêt commun à se rallier à un cycle global. Les États-Unis, avec lesquels nous partageons certaines préoccupations, peuvent encore se rapprocher de nos thèses. Les pays en développement et les pays les moins avancés n'ont pas forcément intérêt à différer les avantages qu'ils pourraient tirer d'un nouveau cycle de négociations.
Bien entendu, le Gouvernement tiendra informé régulièrement le Parlement de l'avancée des discussions de Genève que, plus que jamais, l'Europe devra mener avec fermeté.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous ai rappelé les positions françaises et européennes pour un cycle large qui corresponde à nos intérêts, mais aussi à ceux de toutes les nations en faveur d'une régulation équilibrée de la mondialisation.
Notre ambition, comme l'a indiqué Dominique Strauss-Kahn, le 11 octobre dernier, est de construire une Organisation mondiale de commerce plus légitime, plus régulatrice, plus généreuse et au service de la croissance. Le développement économique et social, la diversité culturelle, la protection de l'environnement, le renforcement du droit sont des valeurs qui font partie de notre modèle de civilisation.
Nous devons donc aborder ces négociations dans un esprit offensif nouveau, car ces valeurs, nous souhaitons non seulement les défendre, mais aussi les propager en faveur d'un monde plus prospère et plus juste.

DÉCLARATION DE M. PIERRE MOSCOVICI
ministre délégué chargé des affaires européennes
Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs les députés,
Le débat de ce matin sur l'OMC a été de haute tenue politique et je ne m'étonne pas, compte tenu du sujet, qu'il ait été à la fois passionnant et passionné. En effet, nous traitons ici de questions anciennes, qu'il s'agisse d'économie politique - sommes-nous pour le libre-échange ou pour le protectionnisme ? - ou de préoccupations qui remontent au début de l'Union européenne - comment assurer l'articulation entre la nation et l'Europe ? -, et aussi de sujets très actuels : comment aller vers la régulation de la mondialisation, comment contrôler et maîtriser cette régulation ?
Ce débat de grande qualité a servi à éclairer, confirmer, enrichir le propos que François Huwart a tenu au nom du Gouvernement.
Avant de passer aux réponses et aux commentaires, je voudrais revenir sur un aspect de forme mais qui a son importance : pourquoi la discussion de ce matin n'a-t-elle pas été suivie d'un vote ? Ce point a été soulevé par plusieurs d'entre vous, M. Sarre, M. Gaillard, M. Luca et M. Barrau a déjà répondu. Je préciserai simplement que cela n'est pas de la responsabilité du Gouvernement. Je rappellerai aussi qu'il y a eu déjà deux votes qui ont porté sur l'OMC : le 30 septembre sur la proposition de résolution de Béatrice Marre, et je salue la qualité de son rapport, qui a été adoptée à l'unanimité avec une abstention par la délégation pour l'Union européenne, puis, le 6 octobre, en commission de la production et des échanges, avec l'adoption à l'unanimité de la proposition de résolution - M. Jean-Claude Daniel y a fait allusion.
Cela a permis au Gouvernement de disposer, avant le conseil affaires générales du 11 octobre, de la position du Parlement exprimée par ces commissions et même en l'occurrence, et je m'en réjouis, de son soutien.
Si, aujourd'hui, nous ne pouvons pas aller plus loin, c'est que le recours, disons peut-être un peu excessif - cela a été rappelé -, à certaines motions de procédure, nous a conduits à prévoir ce matin une déclaration du Gouvernement plutôt que la discussion d'une résolution. Croyez que, pour ce qui nous concerne, nous étions prêts pour cette discussion. L'unanimité dégagée à deux reprises démontre amplement que le Gouvernement n'avait rien à craindre d'un vote, au contraire. Il s'agissait avant tout de faire en sorte que ce débat ait lieu.
Je rappellerai encore que le texte qui a permis l'adoption d'une résolution, c'est-à-dire la communication de la Commission sur le mandat de négociation, a été transmis volontairement par le Gouvernement au titre de la clause facultative de l'article 88-4 de la Constitution. En outre, au nom du Gouvernement, je vous indique que nous serons bien sûr à la disposition du Parlement pour nous expliquer continûment sur les dispositions de l'OMC.
Il est clair, monsieur Dominati, que, même sans vote en séance publique, la résolution adoptée par la commission de la production et des échanges et par la délégation constitue un point d'appui essentiel pour le Gouvernement vis-à-vis des Quinze, et à Seattle. J'ajoute, pour ceux, nombreux, qui se sont préoccupés ce matin de l'association du Parlement, que M. Strauss-Kahn a indiqué ici même la semaine dernière que la délégation française à Seattle comprendrait des parlementaires représentant l'ensemble des familles politiques.
Peu de pays de l'Union européenne ont d'ailleurs organisé des débats parlementaires. La France en est à son deuxième. Nous respectons donc pleinement la démocratie.
J'en viens au fond de mon propos et à notre attitude par rapport à ce nouveau cycle de négociations multilatérales auquel nous sommes favorables pour au moins trois raisons essentielles. Je m'inscrirai là dans le cadre des questions soulevées par Mme Marre : quelle régulation pour quelle mondialisation ?
En la matière, nous n'avons pas de double langage, monsieur Dominati.
Nous voulons la régulation pour freiner les aspects négatifs de la mondialisation qui comporte aussi des aspects plus positifs avec le développement de l'échange international. Notre ligne politique est claire et équilibrée. Nous faisons le choix du développement du commerce international, mais nous voulons que celui-ci soit régi par des règles. Dans cette négociation, nous souhaitons aussi défendre nos intérêts internationaux et nous allons le faire ensemble.
Alors, faut-il aller à Seattle ? A votre position, monsieur Luca, j'ai tendance à préférer, n'y voyez aucune malice, celle de M. Gaymard. Je pense en effet qu'il faut aller à Seattle. Je suis persuadé qu'en la matière la politique de la chaise vide à l'OMC ne mènerait à rien. Au contraire, elle desservirait nos intérêts nationaux.
Il faut se rendre à Seattle pour négocier avec vigilance et fermeté, mais en aucun cas se dérober à cette grande confrontationinternationale.
Première raison pour laquelle nous sommes favorables à ce nouveau cycle de négociations, c'est que l'ouverture du commerce international, et nous le savons tous ici, est porteuse d'opportunités de croissance. L'histoire de l'économie mondiale le prouve. Depuis le premier grand cycle de négociations à la fin des années 50 - le Dillon round - jusqu'à l'Uruguay round, tous les cycles de négociations se sont traduits par une intensification des échanges qui a permis à son tour d'alimenter la croissance mondiale, dont nous voyons qu'elle est la condition de la reprise de l'emploi.
Pour l'Uruguay round, sur les cinq dernières années, la richesse mondiale a augmenté de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce international, proche de 8 % par an.
La France, quatrième puissance commerciale mondiale et troisième exportateur mondial de services, a évidemment un parti important à tirer de ce vaste mouvement d'ouverture des échanges puisque, je le rappelle, il s'agit là d'un facteur essentiel de création d'emplois. Aujourd'hui, dans notre pays, un emploi sur quatre dépend directement ou indirectement du commerce extérieur.
Deuxième raison pour laquelle nous sommes favorables à la négociation, c'est qu'il faut organiser la mondialisation en l'encadrant par des règles qui soient reconnues internationalement. Je veux préciser ici que, pour ce qui nous concerne, nous ne sommes pas comme vous, monsieur Dominati, favorables à une mondialisation qui ne connaîtrait ni contrepoids, ni règles.
Monsieur Sarre, nous sommes opposés à une mondialisation libérale. Il s'agit pour nous d'encadrer la mondialisation par des règles. Tâchons de préciser de quoi nous parlons.
Nous sommes passés en dix ans de l'internationalisation à la mondialisation, c'est-à-dire à une imbrication si poussée de nos économies que l'ensemble des comportements de nos concitoyens, qu'ils soient consommateurs, salariés, épargnants ou investisseurs, sont tributaires, en très grande partie, d'évolutions qui se situent en dehors du territoire national et bien souvent en dehors du territoire européen. Cette mondialisation est une réalité, avec ses conséquences néfastes - je ne le contesterai pas - mais aussi ses potentialités.
Nous ne devons donc pas la nier. Nous devons au contraire l'appréhender dans toutes ses dimensions pour exiger que les discussions sur le commerce international s'accompagnent d'une volonté de bâtir de nouvelles régulations qui remettent de l'ordre dans l'économie mondiale. C'est pourquoi nous sommes partisans d'une mondialisation régulée.
Troisième raison, nous sommes convaincus, comme tant d'orateurs sur ces bancs, qu'il faut offrir des perspectives nouvelles aux pays en développement. Le commerce international a soutenu la croissance mondiale depuis cinquante ans, et tout particulièrement depuis dix ans. Mais nous le savons, et M. Lefort l'a montré avec éloquence, tout comme M. Lajoinie, et Julien Dray y a insisté également, la mondialisation est créatrice d'injustices et d'inégalités. On voit ainsi se développer à l'échelle de la planète des politiques de firmes entièrement tournées vers le bénéfice des actionnaires. C'est ce qu'on appelle la création de valeur, avec des conséquences parfois néfastes sur l'emploi, mais aussi la constitution de fortunes colossales. Comme vous l'avez rappelé, cela donne des chiffres extrêmement choquants : les deux cents plus grosses fortunes du monde représentent à peu près l'équivalent des ressources de 41 % de la population mondiale. A l'évidence, cela doit être maîtrisé. J'en profite d'ailleurs pour saluer le rapport sur l'OMC de M. Lefort devant la délégation pour l'Union européenne : voilà un an, il posait déjà les bonnes questions.
Ces inégalités sont malheureusement un des traits caractéristiques du phénomène de mondialisation. La richesse tend de plus en plus à s'ordonner autour de quelques lieux, de quelques centres de production qui accumulent les facteurs clés du succès - haut niveau d'éducation, effort de formation important, avance scientifique et technologique. En sens inverse, de vastes ensembles démographiques, majoritairement situés au sud, se trouvent de plus en plus à l'écart des circuits de l'échange marchand contemporain.
Mais en même temps, et je m'adresse là au président Lajoinie, je ne crois pas qu'on puisse dire que l'OMC est le théâtre de la domination des petits par les grands. J'aurais même tendance à dire le contraire. Le fait qu'il s'agisse d'un cénacle dans lequel chaque pays représente une voix et où la règle de décision est celle du consensus, permet, au contraire, de faire entendre toutes les exigences.
Notre responsabilité, et aussi notre intérêt, est de réintégrer les pays en développement dans l'OMC. J'ajoute, pour faire écho à ce que disait M. Daniel, qu'il est important que l'OMC gagne son universalité, notamment que de grands pays comme la Chine et la Russie puissent y adhérer. C'est clair, le nouveau cycle doit être l'occasion d'une meilleure prise en compte des attentes des pays en développement, et singulièrement des pays les moins avancés, vis-à-vis de l'OMC.
Je veux le dire avec force, le développement inégal doit céder la place au codéveloppement. Comme Béatrice Marre, comme Chantal Robin-Rodrigo, j'ai la conviction que le commerce international doit accompagner le développement et non aller contre le développement. Ce sera une des stratégies que nous poursuivrons dans cette négociation.
Voilà les raisons pour lesquelles nous devons aller à Seattle et l'esprit dans lequel nous devons y aller. Ne nous trompons pas de débat, en effet, nous devons mener une bonne négociation. Nous devons être ferme mais pas refuser le débat, ni contester le cadre. Il faut, au contraire, essayer de l'élargir et de l'utiliser au mieux.
C'est pour cela que, contrairement à Julien Dray, qui a dit par ailleurs beaucoup de choses que je partage, je ne crois pas que l'OMC soit un acteur de la mondialisation libérale ou la préfiguration d'un gouvernement occulte du monde. C'est aussi le cadre de la régulation. D'une certaine façon, je trouve un peu paradoxal de refuser, au nom de la critique du libéralisme, le cadre où l'on pourrait précisément organiser ou maîtriser ce libéralisme.
Cette vision claire du cahier des charges du prochain cycle nous a conduits à la formaliser à travers des conclusions du Conseil de l'Union européenne. Sachez que l'Union européenne veut et va jouer tout son rôle dans la négociation de l'OMC. En outre, elle est, selon moi, plus unie que par le passé sur la conception du cycle et la position qu'elle défendra à Seattle et c'est très important. Je crois aussi, comme M. Gaillard, que l'Union européenne est aujourd'hui davantage préparée que les États-Unis.
Ceux-ci, en effet, sont aujourd'hui confrontés à des difficultés politiques : fin de la présidence de M. Clinton, absence de fast track, tentations unilatéralistes ou protectionnistes de certains membres du Congrès.
Sachez, monsieur Guillaume que, dans cette négociation, nous ne serons pas isolés. Et nous ne sommes, en rien, dépourvus de stratégie.
Le cadre européen est désormais fixé. Il l'a été par le Conseil « Affaires générales » du 11 octobre dernier pour la plus grande partie du texte et, depuis vendredi dernier - et de façon satisfaisante, me semble-t-il - pour les dernières questions en discussion. L'Union doit aborder le prochain cycle de manière unie et déterminée. Elle doit être capable - nous agirons en ce sens - de peser comme puissance politique dans ces négociations.
Je ne peux que m'inscrire dans le cadre défini fort justement par François Huwart et rejoindre les conceptions du rapport de Béatrice Marre. Nous voulons, d'abord, un cycle large. L'accord de Marrakech de 1994 prévoit la réouverture des discussions sur l'agriculture et les services le 1er janvier 2000. Nous respecterons cette échéance, même si nous n'acceptons pas, contrairement à ce que souhaitent certains aux États-Unis, que l'on s'en tienne là, c'est-à-dire à un agenda intégré. En effet, lors de la dernière conférence ministérielle de Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne souhaite précisément que ces nouveaux sujets dits de Singapour soient maintenant traités. Je veux en citer quatre, pour expliciter notre position.
Premier sujet, les règles relatives aux investissements internationaux, sur lesquels sont intervenus notamment M. Georges Sarre et Mme Robin-Rodrigo. Vous le savez puisque cela a été dit ici même par le Premier ministre, nous avons refusé de discuter en 1998 de l'AMI - ce faux-ami selon Jack Lang. Nous avions alors dit que l'harmonisation des règles relatives aux investissements internationaux était une nécessité - Lionel Jospin ne l'a jamais niée - mais qu'elle devait avoir lieu dans le cadre légitime et plus large de l'OMC qui compte 134 pays membres et non pas dans celui plus restreint de l'OCDE qui regroupe uniquement les pays les plus riches de la planète.
Nous voulons aussi changer le contexte et le thème même de cette négociation. Il faudra, comme nous y invite M. Lefort, prendre en compte la dimension Nord-Sud, celle du développement durable aussi. Le passage à l'OMC devrait le permettre.
Le moment est donc venu pour la France et l'Union européenne d'expliquer très concrètement aux pays en développement qu'ils peuvent trouver dans l'élaboration de règles communes un élément favorable à leur développement. Pour attirer chez eux des investissements directs extérieurs, voire pour aller vers un accès plus important à la technologie et aux marchés internationaux, ces pays ont besoin d'un cadre sûr, prévisible, internationalement reconnu, qui offre une sécurité minimale à l'investisseur étranger qu'il vienne de l'OCDE ou des pays émergents eux-mêmes. Bref, oui, nous sommes d'accord pour négocier sur l'investissement mais pas du tout comme on voulait le faire à l'occasion de l'AMI.
Deuxième sujet, les règles de concurrence. Les pratiques anticoncurrentielles constituent une atteinte manifeste aux droits des consommateurs, qui acquittent parfois un prix trop élevé, faute d'une offre diversifiée. Elles doivent être combattues et elles le sont au plan national et au plan européen.
Mais, et c'est là un des effets de la mondialisation, les grands groupes internationaux ont aujourd'hui un champ d'action mondial. Il faut donc envisager un niveau de régulation de la concurrence au niveau mondial pour assurer le caractère équitable du jeu concurrentiel.
Qu'on ne se méprenne pas sur mon propos. Il ne s'agit évidemment pas de transformer l'OMC en une sorte d'autorité mondiale de la concurrence, elle n'en a ni les moyens ni la vocation. Nous souhaitons dans un premier temps que le prochain cycle de négociations fournisse l'occasion de fixer en quelque sorte un corps de principes et de procédures visant à promouvoir la mise en _uvre de politiques internes de concurrence et à les rendre compatibles entre elles.
Troisième sujet, les normes sociales fondamentales. On pourrait débattre longuement, cela a été fait d'ailleurs en d'autres circonstances, de la question des délocalisations. En cette matière, l'Union européenne n'a pas à redouter à l'excès une plus grande perméabilité ou ouverture aux échanges avec des pays où les salaires et les droits sociaux des travailleurs sont moins importants qu'en Europe. En effet, l'Union européenne a d'autres atouts. Elle a les moyens de préserver son modèle social, le coût du travail n'étant qu'un élément parmi bien d'autres de la compétitivité globale d'un pays ou d'un espace intégré comme l'espace européen.
Il demeure que nous ne pouvons pas accepter, pour des raisons morales, philosophiques mais aussi économiques, de voir des pays exporter librement des produits fabriqués par des enfants ou par des populations carcérales, par exemple. C'est la raison qui nous a conduits à demander la création d'un forum permanent de travail conjoint entre l'OIT et l'OMC qui devra permettre de dégager les voies d'une meilleure prise en compte par l'OMC des normes sociales fondamentales justement élaborées dans le cadre de l'OIT.
Enfin, quatrième sujet, les normes environnementales. Nous devons faire en sorte que les règles de l'OMC tiennent mieux compte des accords multilatéraux sur l'environnement qui existent déjà ou qui sont en cours de préparation. Je pense à tout ce qui concerne la biodiversité ou le changement climatique. Là aussi, l'échange international doit être resitué dans la perspective plus vaste du développement durable qui est le nôtre. L'échange international doit être régulé pour éviter qu'il ne vienne ajouter à la dégradation des biens publics que sont l'eau, l'air ou la couche d'ozone.
Comme vous, monsieur Cochet, nous souhaitons que l'OMC permette d'accroître les normes sociales et environnementales. Nous y serons vigilants. François Huwart a commencé à répondre aux questions que vous avez posées, monsieur le député.
Nous voulons un cycle large ; nous souhaitons aussi un cycle global. C'est le principe, fondamental pour nous, de l'engagement unique, ce qui signifie que rien ne pourra être décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des sujets en discussion.
Nous sommes donc totalement opposés, comme l'a dit François Huwart, à l'idée de « récoltes précoces » selon laquelle il pourrait être possible de constater en cours de cycle des accords partiels sur certains sujets, quand bien même leur validation définitive serait renvoyée à une synthèse générale en fin de processus. Entre ces deux démarches fondamentalement différentes, voire opposées, nous nous en tiendrons, je puis vous l'assurer, au principe de l'engagement unique et de la globalité des dicussions.
J'en termine en évoquant les attentes de la société française à l'égard du cycle, à tous égards parfaitement légitimes. Exigence de qualité pour l'amélioration, défense de notre identité culturelle, préférence accordée au non-marchand dans certaines activités comme la santé ou l'éducation : autant de sujets de notre point de vue non négociables. Tout comme M. Gaillard - j'espère qu'il sera d'accord avec moi, car je suis d'accord avec lui -, je crois que la place du politique doit être ici réhabilitée. Sur tous ces sujets, nous entendons appliquer un principe particulièrement cher à certains de nos partenaires de l'OMC : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce qui signifie que nous n'accepterons pas que les discussions sur le commerce international aient une quelconque incidence sur les fondements mêmes de notre vie collective. Sur ce point également, M. Luca et M. Gaymard diffèrent dans la manière de dire non ; une fois de plus, c'est votre façon que je préfère, monsieur le député Gaymard.
Un mot également sur ce qui se déroule au sein de l'Union européenne. Après un long débat au sein des Quinze, qui s'est prolongé jusqu'à vendredi dernier, nous avons obtenu que la Commission se rende à Seattle avec un mandat précis tout à la fois sur la culture et sur l'agriculture. M. Gaymard m'a paru quelque peu dubitatif ; je veux lui expliquer pourquoi et comment nous avons choisi de procéder ainsi.
Pour commencer, il faut bien à la Commission un mandat de l'Union européenne. Comme vous avez été plusieurs à le souligner, c'est elle qui négocie au nom de l'Union européenne ; dès lors, autant qu'elle soit en contact avec le Conseil des ministres, mais également que celui-ci lui fixe des orientations précises. Faute de quoi, elle pourrait négocier librement, sans aucune ligne politique, au risque de céder au tropisme libéral.
C'est pour éviter ce danger que le Gouvernement et le Président de la République ont souhaité l'élaboration d'un mandat précis donné par le Conseil à la Commission.
Il est sans aucun doute utile à la France, monsieur Guillaume, et peut-être aussi dans notre débat.
Les propositions que nous avons faites à chaque étape, c'est-à-dire avant, puis après le 11 octobre, vont jusqu'à prévoir une adoption du mandat par le COREPER. Rappelons que le COREPER ne travaille que sur instruction ; ce n'est pas une vague association de fonctionnaires technocrates totalement déconnectés du politique. Tout cela, monsieur Gaymard, a été fait non seulement en coordination, mais en parfait accord avec le Président de la République. Du reste, François Huwart peut en porter témoignage, l'accord finalement retenu nous satisfait d'autant plus qu'il ressemble beaucoup, avouons-le, à ce que nous avions proposé le 11 octobre. En effet, l'Union s'engagera à respecter la diversité culturelle, puisqu'elle s'est déclarée attachée aux acquis de Marrakech et qu'elle veillera, dans la discussion extrêmement serrée qui s'engagera à Seattle, à garantir la libre mise en _uvre des politiques culturelles et audiovisuelles auxquelles l'Europe comme la France tiennent particulièrement.
Nous avons, c'est vrai, bâti un compromis. Parce que l'Union européenne est une réalité, M. Sarre le sait bien, parce que nous ne pouvons en changer les règles, parce que nous sommes dans un ensemble à quinze, parce que les traités ont prévu que c'est la Commission qui discutera, mais nous avons su tirer ce compromis vers des thèses satisfaisantes et qui répondent à notre exigence ; comme l'a très bien dit François Huwart, en matière culturelle, c'est l'exception qui est la règle et la libéralisation l'exception.
Pour ce qui est de l'agriculture, nous nous appuierons surl'excellent texte des ministres de l'agriculture qui doit beaucoup à l'action de Jean Glavany et auquel les conclusions du Conseil font intégralement référence.
Epargnons-nous en la matière les complexes déplacés. Quand les Américains nous traitent de protectionnistes ou se livrent à une attaque en règle, en des termes peu acceptables tels ceux de Mme Barshefsky, contre notre politique agricole commune, il est bon de rappeler qu'ils dépensent 60 milliards de dollars pour les agriculteurs américains pendant que les Européens n'en dépensent que 40 milliards de dollars pour les leurs, et avec une population supérieure.
Nous partageons totalement les préoccupations exprimées par M. Leyzour de protéger le modèle agricole européen dans ses dimensions traditionnelles, mais également dans celles plus nouvelles, telle la sécurité alimentaire que j'ai citée comme lui. Nous entendons bien y faire valoir le principe de précaution et je veux l'assurer de la totale vigilance du Gouvernement dans cette affaire.
Les grands axes qui structurent le mandat de négociations de l'Union européenne ont été rappelés jeudi dernier par le Premier ministre, à l'occasion de la table ronde réunissant les organisations professionnelles : défense d'un modèle européen fondé sur une agriculture multifonctionnelle, prise en compte dans le nouveau cycle des questions non commerciales, telles la sécurité et la qualité des aliments, référence enfin aux accords de Berlin et au renforcement de la politique agricole commune en tant que socle permanent de la position européenne. Sur ce dernier point, je tiens à rassurer M. Gaillard. Je crois très sincèrement que, dans le domaine agricole, nous avons un bon texte pour aller à l'OMC. Cela avait du reste été reconnu dès le 11 octobre.
Je conclus sur cet ensemble de préoccupations fondamentales à nos yeux pour ce prochain cycle en rappelant que la question des DOM et de la coopération régionale dans la Caraïbe reste à nos yeux un sujet essentiel pour le développement de ces régions. Le Premier ministre aura l'occasion de l'aborder lors de son voyage aux Antilles à la fin de cette semaine, sans oublier le fait qu'il sera traité dans le projet de loi d'orientation sur les DOM en cours de préparation.
Nous sommes profondément attachés à notre mode de vie, au moins autant que les Américains le sont à leur american way of life, qu'ils n'envisagent d'ailleurs pas un instant de remettre en cause. Soyons clairs : dans la discussion qui s'engage, nous n'envisageons pas de négocier notre modèle européen de société, pas plus qu'ils n'envisagent de renoncer au leur. Nous entendons bien nous rendre à l'OMC en restant intransigeants sur ce que nous croyons, mais en tâchant de l'être intelligemment. En d'autres termes, non seulement nous y défendrons nos intérêts, mais nous comptons bien nous montrer offensifs, comme plusieurs d'entre vous nous y ont invités. Car si nous devons protéger nos spécificités, nous devons aussi affirmer notre modèle dans le monde. C'est justement parce que l'Europe a cette double capacité, défensive et offensive, parce qu'elle a vocation à se poser en puissance capable d'organiser la mondialisation que je crois à l'Europe. Et l'Europe et la France en son sein ont tout leur rôle à jouer dans le débat de l'OMC.

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