SOMMAIRE
Présidence de M. Claude Bartolone
1. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère
M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Revendications des chefs d’entreprise
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Avenir des professions réglementées
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication
Accueil des personnes handicapées
Suspension et reprise de la séance
3. Projet de loi de finances pour 2015
M. Roger-Gérard Schwartzenberg
Suspension et reprise de la séance
4. Délimitation des régions et modification du calendrier électoral
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation du groupe d’amitié Allemagne-France du Bundestag, conduite par son président, M. Andreas Schockenhoff. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. Nous commençons par une question du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. le président. La parole est à M. Charles de La Verpillière.
M. Charles de La Verpillière. Monsieur le Premier ministre, depuis 2012, le bilan de la gauche au pouvoir, c’est le chômage de masse et le matraquage fiscal des classes moyennes. Votre marque de fabrique, ce sont aussi les promesses non tenues et les contradictions au sein même de l’exécutif, entre le Président de la République et son gouvernement.
Qui a dit : « À partir de 2015, il n’y aura pas d’impôt supplémentaire pour qui que ce soit » ? C’est M. Hollande, le 6 novembre. Et qui a dit que le chef de l’État avait donné un cap, mais qu’il pouvait y avoir « quelques aménagements » et qu’on ne pouvait « graver dans le marbre une situation » ? C’est M. Eckert, ministre du budget, le 13 novembre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Mais alors, qui dit vrai, le Président de la République ou M. Eckert ? Eh bien, c’est M. Eckert car, en 2015, les Français vont subir une avalanche d’impôts et de ponctions en tous genres : taxe sur le diesel, redevance audiovisuelle, baisse des allocations familiales pour 600 000 familles, hausse des cotisations retraite, majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, majoration de la taxe sur le foncier non bâti dans les grandes agglomérations. En réalité, les impôts sur les ménages augmenteront donc bien de 3 milliards d’euros en 2015 et la promesse de M. Hollande ne sera pas tenue, une fois de plus !
Monsieur le Premier ministre, un peu de cohérence ! Quand comprendrez-vous que le matraquage fiscal casse la croissance, diminue les recettes et finit par augmenter le déficit que vous prétendez réduire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, la passion mise dans votre question appelle d’autant plus le Gouvernement à apporter de façon claire et responsable une réponse précise, sereine et déterminée. Ce gouvernement entend gérer une situation budgétaire dont les causes sont diverses. Premièrement, dans l’histoire budgétaire et fiscale de notre pays, bien des gouvernements ont eu trop souvent la tentation de compter sur des recettes à venir pour régler les dépenses passées et présentes. Deuxièmement, l’économie du monde, celle de l’Europe en particulier, connaît une croissance pour le moins atone et un risque fort de déflation.
Pour ces raisons, le Président de la République a clairement demandé au Gouvernement tout d’abord de maîtriser et de réduire la dépense publique, ce qu’aucun gouvernement n’a autant fait que celui qui sert aujourd’hui ce pays ; ensuite, de diminuer de façon continue le déficit public, sans pour autant obérer la possibilité d’un redémarrage de la croissance ; enfin, de s’interdire toute augmentation d’impôts ou de taxes qui n’auraient résulté de décisions antérieures du Parlement ou d’annonces faites avant la récente intervention du Président de la République à la télévision face aux Français.(Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Le projet de loi de finances élaboré sous la direction du Premier ministre et du ministre des finances, qui sera soumis dans quelques instants au vote de l’Assemblée, respecte strictement cette feuille de route. Je crois que c’est aussi la volonté des parlementaires de la majorité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Bachelay, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Guillaume Bachelay. Monsieur le Premier ministre, ce qui s’est passé le 12 novembre à 17 h 03 est historique. Mercredi dernier, pour la première fois, un engin spatial a réussi à se poser sur une comète. Au terme d’un voyage de dix ans et de six milliards et demi de kilomètres, la sonde européenne Rosetta a placé sur la comète Tchouri un mini-laboratoire nommé Philae. Jamais un tel exploit n’avait été réalisé auparavant.
C’est d’abord l’exploit des équipes qui l’ont rendu possible : scientifiques et ingénieurs, unités de recherche et entreprises et, bien sûr, décideurs de la puissance publique, tous méritent d’être salués. Félicitons tout particulièrement les femmes et les hommes du Centre national d’études spatiales, le CNES, dont le rôle a été décisif. (Applaudissements sur tous les bancs.)
C’est aussi un exploit de l’Europe. Il y a vingt ans, l’Agence spatiale européenne lançait officiellement le programme Rosetta. II y a dix ans, depuis Kourou, une fusée Ariane 5 plaçait la sonde et son atterrisseur en orbite. Depuis une semaine, malgré les aléas et les incertitudes, 80 % des expériences scientifiques programmées ont été réalisées. C’est la preuve que, quand les Européens sont unis, ils peuvent mener de grands projets et être les premiers. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Luc Laurent. L’Europe des États, non l’Europe fédérale !
M. Guillaume Bachelay. Ensuite, cet exploit, c’est celui du génie humain. La conquête de l’espace, c’est celle du savoir, qui fonde le progrès. Il y a, monsieur le Premier ministre, de nouvelles frontières pour la science, l’innovation, l’industrie et la recherche, en matière de santé, d’énergies renouvelables, de numérique, de textiles innovants, de transports du futur, et dans tant d’autres domaines où la France est d’ailleurs très bien positionnée.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous dire quelles sont les prochaines étapes de cette mission européenne et, plus largement, comment le Gouvernement soutient et encourage l’innovation, en France et en Europe – innovation qui est une raison de croire en la raison des hommes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le député, je partage totalement votre enthousiasme. La mission Rosetta a été une réussite parfaite. Elle démontre plusieurs choses : le génie humain – vous l’avez dit –, la foi dans le progrès et dans les résultats positifs que donne la coopération scientifique au plus haut niveau.
Ce petit laboratoire intelligent, Philae, nous donnera des informations sur l’origine du monde. Il permettra aux scientifiques européens et à ceux du monde entier de travailler pendant dix ans pour mieux nous éclairer sur le passé. Ainsi, comme l’a dit le Président de la République, qui a assisté à cet atterrissage, il nous permettra de mieux nous projeter ensemble dans l’avenir.
Plusieurs députés du groupe UMP. Il est grand temps que le Gouvernement atterrisse, lui aussi !
Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d’État. En effet, c’est bien d’une réussite collective qu’il s’agit. Cette mission est une prouesse scientifique absolument extraordinaire.
Je voudrais en tirer trois conclusions. Tout d’abord, l’origine du monde passionne tout le monde. C’est la science partagée et participative, que nous avons vantée ce matin avec Ségolène Royal, à un an de la réouverture du musée de l’Homme. Ensuite, la recherche fondamentale et la recherche technologique ne sont pas opposées. Elles nécessitent des efforts dans la durée – trente ans, cela a été dit. Quand elles travaillent ensemble, c’est pour le meilleur des résultats. Enfin, l’Europe, quand elle réunit les expertises scientifiques, les meilleurs industriels, les meilleurs chercheurs des laboratoires des universités, les meilleurs doctorants, devient une Europe de l’excellence, qui nous permettra de rester compétitifs et de garder notre place dans le monde.
Par ailleurs, l’Europe et, en son sein, la France, n’ont cessé d’accumuler au cours de ces dernières semaines les récompenses scientifiques. Soyons-en fiers, nous devons ensemble nous y intéresser davantage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Alain Tourret. Ma question s’adresse à madame la garde des sceaux. En mai 2013, nous avons voté la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et rendu possible, pour ces mêmes couples, l’adoption. Nous ne faisions que rétablir des droits qui n’auraient jamais dû être discutés.
Comme dans bien d’autres pays, nous avons instauré la justice pour les homosexuels. Je suis fier, et nous sommes fiers de cette avancée du genre humain. Un couple qui s’aime peut être un couple homosexuel : il peut, dès lors, décider de se marier. Des enfants peuvent être adoptés par ce même couple et élevés avec autant d’amour que par un couple hétérosexuel.
Une partie de la droite, revancharde par nature, réactionnaire par tempérament, (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) a, aiguillonnée par des factieux, décidé de remettre en cause cette loi témoignant du progrès humain.
Elle se rallie désormais à un seul slogan : abrogation, abrogation, abrogation.
M. Philippe Meunier. Occupez-vous du chômage plutôt que du mariage pour tous !
M. Alain Tourret. Cette partie de la droite ferait bien de réfléchir aux grandes lois que furent celle accordant le droit de vote aux femmes, celle relative à l’interruption volontaire de la grossesse et celle portant abolition de la peine de mort. Elle font désormais partie de notre patrimoine républicain. On ne modifie pas une loi sociétale comme on modifie un taux de taxe sur la valeur ajoutée. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RRDP et SRC.)
Au moment où la France doit se rassembler pour affronter la crise économique, des va-t-en-guerre cherchent à la diviser. Alors, madame la garde des sceaux, ma question est bien simple : peut-on abroger la loi qui a instauré le mariage pour tous ? Quelles seraient les conséquences d’une telle abrogation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, écologiste et SRC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Luc Reitzer. Il y avait longtemps !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés.
Monsieur le député Alain Tourret, la loi promulguée le 17 mai 2013, après avoir été validée par le Conseil constitutionnel, produit, depuis un an et demi, ses effets. Elle a permis, et permet encore, d’accueillir dans l’institution républicaine du mariage civil les couples qui en étaient exclus. Elle protège les enfants qui grandissent dans ces familles homoparentales.
Grâce, effectivement, à la très forte mobilisation des députés, il a été possible d’inscrire dans le code civil cette loi de progrès. Elle applique le principe constitutionnel d’égalité dans le domaine des libertés fondamentales. Il s’agit, dans la vie quotidienne, d’une loi d’égalité. Mais elle constitue aussi une avancée majeure.
Des personnalités de l’opposition républicaine, d’ailleurs, en conviennent : c’est tout à leur honneur. Comme chaque fois que la gauche a été aux responsabilités, elle fait progresser les droits et l’égalité d’une part, et la justice sociale d’autre part. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Ainsi, le Gouvernement qui vous a soumis cette réforme de société est le même qui a conçu la loi pour la refondation de l’école, augmenté la prime de rentrée scolaire, créé les contrats de génération et élaboré le projet de loi sur le vieillissement.
M. Philippe Meunier. Et créé un million de chômeurs en plus !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a également pris des mesures contre les marchands de sommeil et durci la répression contre la fraude fiscale ainsi que contre la délinquance économique et financière.
Il s’agit donc, je le disais, d’une loi d’égalité, et, également d’un acte politique majeur. Nous avons, effectivement, des raisons d’en être fiers. Nous sommes heureux que, dans l’opposition républicaine, il y ait aussi des personnalités qui la considèrent comme une loi d’égalité.
Nous avons fait de cette réforme un acte politique majeur, c’est-à-dire que nous avons respecté le sens du débat comme les opinions divergentes, et fait des efforts de pédagogie tout en ayant du courage moral et en restant fidèles à nos convictions. C’est, je crois, ce que nous attendons des hommes d’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP, écologiste et GDR.)
M. Rémi Delatte. Quel baratin !
M. le président. La parole est à M. Alfred Marie-Jeanne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alfred Marie-Jeanne. Ma question s’adresse à monsieur le Premier ministre.
Six ans après l’océanisation en Martinique du Master Endeavour, bateau qui transportait des déchets toxiques, nous sommes témoins d’une récidive. En effet, le Cosette, navire qui battait auparavant pavillon sous le nom de Zanoobia, a été, le 4 novembre dernier, immergé. Cette opération a fait grand bruit.
En effet, ce navire-poubelle, rejeté par tous les pays du fait de sa dangerosité, a été à l’origine de la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers des déchets et produits nocifs.
Le Cosette a été sabordé face à la baie de Saint-Pierre, ville d’art et d’histoire. C’est une véritable calamité, car dans cette zone de développement de la pêche se trouvent implantés des dispositifs de concentration de poissons. Entre la mise à quai de ce bateau, en 2010, par décision de justice, et l’aboutissement de la procédure de déchéance de propriété, plus de quatre ans se sont écoulés.
Il y a moins de trois mois, un décret du 22 août 2014 portant publication de la convention pour la création de la zone de tourisme durable de la Caraïbe était promulgué. La France figure officiellement parmi les parties contractantes : c’est un comble.
Après coup, les autorités de l’État ont mis à la disposition de chacun le dossier relatif à la dépollution.
En réalité, il n’existe pas, pour ce type de navire, de structure de dépollution en Martinique. Ainsi, ni désamiantage, ni élimination des déchets toxiques n’ont été opérés. Monsieur le Premier ministre, face à ce gâchis aux conséquences incalculables, la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire ne s’impose-t-elle pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, depuis le début de l’année 2010, le Cosette, navire de commerce construit en 1966, se trouvait à quai dans le port de Fort-de-France. Il y avait été abandonné par son propriétaire. Depuis lors, les procédures à l’encontre de cet armateur voyou ont été longues et les mises en demeures nombreuses.
Une procédure de saisie-vente a même été engagée, sans succès. Malgré les manœuvres dilatoires du propriétaire, l’État a, finalement, obtenu la déchéance de la propriété. Plusieurs solutions ont alors été sérieusement étudiées : la vente en vue d’une transformation, le démantèlement sur place – qui s’est avéré impossible – , ou encore un remorquage vers l’Hexagone en vue d’un démantèlement.
Ces dernières semaines, l’état de délabrement avancé du navire, ainsi que les voies d’eau de plus en plus importantes constatées sur la coque, ont fait apparaître un péril imminent. Ce bateau menaçait, à tout moment, de couler à quai. Il menaçait donc les installations portuaires.
C’est pourquoi, en urgence, le Cosette a dû être immergé par 2 700 mètres de fond, à 14 milles nautiques – soit plus de 25 kilomètres – des côtes de la Martinique. Ce navire, qui avait une activité marchande classique, ne transportait plus de déchets toxiques depuis 1988. Il avait été délesté de son carburant, de ses huiles et de ses batteries. Bien sûr, il ne transportait plus, au moment de l’opération, aucune cargaison.
Ces deux points ont été attestés par l’expert indépendant missionné par le grand port maritime de la Martinique. Bien sûr, la mise en place d’une filière structurée de démantèlement des navires n’est pas possible en Martinique. Mais elle peut constituer, à moyen terme, un objectif.
S’agissant des conventions internationales que la France a signées, elle les respectera, y compris en ce qui concerne les navires abandonnés. Mais en l’espèce, la force majeure a commandé la solution de l’immersion.
Mme Huguette Bello. Assez de langue de bois !
M. le président. La parole est à Mme Marianne Dubois, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Marianne Dubois. Monsieur le ministre de la défense, il y a un an, l’Assemblée nationale débattait de la loi de programmation militaire. Il incombait alors à la représentation nationale de fixer les grandes orientations de notre défense pour les cinq années à venir.
Cette grande loi était censée incarner le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, mais le scénario budgétaire retenu, à savoir 190 milliards d’euros de dépenses sur six ans, dont plus de 6 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, a suscité nos réserves, notamment eu égard à la fragilité des prévisions retenues.
Plusieurs grandes incertitudes pèsent sur le budget de 2015. Les recettes exceptionnelles n’atteindront jamais 2,3 milliards d’euros, ce qui va obérer nos capacités d’investissement et de renouvellement. Le matériel, qui vieillit et continue de s’user inexorablement compte tenu des OPEX en cours de nos armées, va atteindre un point de rupture. Notre armée risque ainsi de devenir une armée à plusieurs vitesses.
Plusieurs députés du groupe UMP. Très juste !
Mme Marianne Dubois. Enfin, le Gouvernement n’a toujours pas précisé comment, d’ici à la fin de cette année, il allait financer le milliard d’euros de nos opérations extérieures, qui ne bénéficient que de 450 millions d’euros de crédits.
Ainsi donc, il manque entre 5 et 7 milliards d’euros pour le budget de 2015.
Nul ne peut remettre en cause le dévouement, les prises de risque quotidiennes de nos 20 000 militaires, qui agissent pour défendre nos valeurs dans vingt-sept opérations sur quatre continents. Néanmoins, il semble désormais acquis que notre pays ne peut assumer seul cette mission. Il est plus qu’urgent que l’Europe de la défense fonctionne concrètement.
Monsieur le ministre, allez-vous assumer ces choix devant nos militaires, dont le moral est soumis à rude épreuve, et, surtout, devant le peuple français ? Allez-vous faire en sorte que notre armée ne devienne pas une armée de seconde division ? Nous ne pouvons en ce qui nous concerne nous y résoudre en silence. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Madame la députée, l’impératif pour la France de disposer d’un outil militaire efficace, élément de puissance, condition de notre sécurité, a été maintes fois affirmé par le Président de la République.
Plusieurs députés du groupe UMP. Il n’y a pas les moyens !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Il a ainsi été décidé que les crédits de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 seraient exécutés conformément à la loi. Le budget triennal pour 2015-2017 permettra d’exécuter cette loi. Les annuités sont parfaitement conformes au total des ressources. Le Parlement avait été informé, en juillet dernier, que sa composition évoluait, 500 millions d’euros de recettes exceptionnelles supplémentaires ayant été intégrés en compensation de crédits budgétaires.
Pour 2015, ces ressources exceptionnelles ont également été accrues de 100 millions d’euros, toujours en compensation de crédits budgétaires, par un amendement que vous avez adopté le 14 novembre. En définitive, 2,4 milliards de recettes exceptionnelles sont désormais prévus en projet de loi de finances initiale pour 2015 au sein d’une ressource totale de 31,4 milliards d’euros.
Un tel montant n’a rien d’irréaliste.
Plusieurs députés du groupe UMP. Si !
M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. C’est globalement ce qu’a obtenu le ministère de la défense en 2014 puisque, au montant de 1,8 milliard prévu en loi de finances initiale s’ajoutent les 500 millions d’euros ouverts en loi de finances rectificative l’été dernier et cet hiver.
L’encaissement de ces recettes exceptionnelles est la préoccupation de l’ensemble du Gouvernement. Dans le projet de loi de finances, elles sont notamment composées d’un produit de cession des fréquences 700 mégahertz. Le Premier ministre a lancé la procédure pour avancer le plus vite possible. Il a été décidé de mettre en œuvre des solutions dès 2015. Cela garantit en toute hypothèse le total des ressources, crédits budgétaires et ressources exceptionnelles, conformes à l’euro près à la loi de programmation militaire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Fourneyron, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Valérie Fourneyron. Monsieur le ministre de l’intérieur, l’horreur du terrorisme ne connaît aucune limite. Alors que l’on croyait avoir atteint le comble de la barbarie, voilà que Daech franchit un nouveau palier dans les exactions, Daech, les nouveaux maîtres de la terreur, née sur les décombres du conflit syrien, une entité monstrueuse, plus puissante, plus connectée, plus sanguinaire.
Il n’y a pas de mots pour décrire l’horreur des images du supplice abject de Peter Kassig et de soldats syriens. Ces images nous en évoquent d’autres, terribles, celles de l’exécution de notre compatriote Hervé Gourdel en Algérie il y a quelques mois, et nous tremblons d’effroi aujourd’hui pour Serge Lazarevic, le dernier otage français encore détenu dans le monde.
Ce qui est inquiétant, c’est le profil de ces nouveaux djihadistes. Des milliers de jeunes occidentaux sont engagés dans cette folie, des jeunes entre dix-huit et vingt-neuf ans pour la plupart mais aussi des mineurs, solitaires, qui ont rarement un passé criminel.
Actuellement, 375 Français seraient en Syrie et en Irak au service du djihad. C’est le plus gros contingent occidental. À 80 %, ils viennent de familles athées, se sont radicalisés seuls, à une vitesse effarante, et ont été recrutés sur internet, et c’est sur internet qu’ils deviennent des bourreaux et participent à la propagande haineuse et mortifère de Daech, comme Maxime Hauchard, identifié dans la vidéo d’exécution de Peter Kassig.
Monsieur le ministre, nous connaissons votre droiture, votre attachement à l’État de droit, aux valeurs de la République. Nous avons voté ici, il y a quelques jours, le projet de loi de lutte contre le terrorisme que vous avez présenté et les interdictions de sortie du territoire. Pouvez-vous nous rappeler quelle stratégie globale met en œuvre le Gouvernement pour lutter contre ce terrorisme d’un nouveau genre ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur quelques bancs du groupe GDR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Vous m’invitez, madame la députée, à faire un point sur l’action du Gouvernement français dans la lutte contre le terrorisme et vous évoquez ces images absolument monstrueuses, abjectes des assassinats qui ont été commis ce week-end, ces images de la décapitation non seulement de l’otage Kassig, mais également de soldats syriens.
D’abord, nous sommes déterminés à prévenir ces actes de barbarie. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place une plate-forme de signalisation qui conduit à la mobilisation, autour des préfets et des procureurs de la République, sur le territoire, de toutes les administrations françaises pour que ces jeunes ressortissants qui ont la tentation de basculer dans les groupes terroristes en Irak et en Syrie ne le fassent pas.
Nous sommes également dans la prévention lorsque nous instaurons dans la loi qui a été adoptée par une large majorité au Parlement une interdiction administrative de sortie du territoire, qui empêche nos ressortissants d’aller dans ces groupes terroristes pour commettre des crimes abjects comme ceux dont les images ont été diffusées encore récemment.
Nous sommes également dans la prévention lorsque nous proposons que, sous le contrôle du juge administratif, soient bloqués des sites, des blogs qui appellent au terrorisme, car 90 % de ceux qui rejoignent les groupes terroristes en Irak et en Syrie partent à cause de la propagande diffusée sur internet.
M. Jean-Michel Villaumé. Exact !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous voulons aussi neutraliser ceux qui reviennent en mettant en place une nouvelle incrimination, d’entreprise individuelle terroriste, pour que les juges puissent procéder à la judiciarisation de toutes les situations lorsque les terroristes reviennent.
Enfin, nous sommes dans la coopération internationale lorsque, avec les ministres de l’intérieur de l’Union européenne, nous essayons avec la mise en place du PNR, l’approfondissement de Schengen, d’assurer la surveillance de ces djihadistes lorsqu’ils reviennent sur le territoire de nos pays pour pouvoir les neutraliser.
Voilà l’action de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Gérard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Bernard Gérard. Monsieur le Premier ministre, chaque jour apporte son mouvement de mécontentement en réponse à la politique économique du Gouvernement : hier, les artisans et commerçants qui luttent pour leur survie ; aujourd’hui, les avocats ; demain, les chefs d’entreprise. Ces derniers n’ont pas attendu l’aveu d’échec du Président de la République, en direct face aux Français, pour exprimer leurs difficultés et leurs inquiétudes face à la dégradation de la situation économique, alors que les indicateurs de compétitivité reculent.
Là où le Président s’est livré à un exercice de téléréalité plus que périlleux (Exclamations sur quelques bancs du groupe SRC), en délivrant des réponses confuses et dépourvues d’ambition claire, les entreprises, elles, vivent au quotidien la réalité des contraintes fiscales, sociales et réglementaires qui freinent la compétitivité, la croissance et l’emploi.
M. Lucien Degauchy. Tout à fait !
M. Bernard Gérard. Elles disent à l’unisson leur exaspération face au double discours permanent du Gouvernement qui ne cesse depuis deux ans de prendre des mesures incohérentes, créant ainsi un climat anxiogène pour les acteurs économiques, tel le compte pénibilité qui est inapplicable et un frein à l’embauche. Cent entreprises par jour déposent le bilan et 35 000 entreprises vont disparaître en 2014, ce qui ne s’est jamais vu depuis quinze ans. Grandes ou petites, ce sont les entreprises qui financent l’économie française, en prenant des risques. Elles aspirent à travailler sereinement et à se développer pour maintenir leur activité et créer de l’emploi. C’est ce qu’a justement rappelé lors de l’émission télévisée la chef d’entreprise du Nord face au Président de la République, en mettant en avant les taxes, les charges et l’insécurité juridique qui freinent l’activité. La seule réponse du Président de la République a été une formule magique, le CICE, alors que son impact est infime et qu’il n’est pas de nature à augmenter le chiffre d’affaires et donc l’emploi.
Nos entreprises françaises sont pourtant pionnières dans de nombreux domaines. Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous faire le pari de l’emploi ? Quand allez-vous cesser les grands discours et passer aux actes ? Quand allez-vous faire confiance à nos entreprises pour redresser le pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous traduisez par vos propos une exaspération légitime depuis le premier jour, l’exaspération des chefs d’entreprise, en particulier des petites entreprises, qui vivent le difficile quotidien économique que nous connaissons toutes et tous. Notre responsabilité à toutes et à tous est précisément d’apporter des réponses à cette situation. Il y aurait une réponse facile : penser que nous pouvons nous affranchir de la situation dans laquelle nous sommes, en termes de finances publiques et de compétitivité. Ce n’est pas celle que nous avons choisie. Aussi, dès la fin de l’année 2012, le CICE a-t-il été décidé. Vous l’avez rappelé, monsieur le député, mais vous avez eu tort de le réduire à des mots. C’est un crédit d’impôt important pour nos chefs d’entreprise. Des rapports parlementaires ont été remis récemment, un autre l’a été par le comité de suivi présidé par le Premier ministre et tous montrent que cet argent a bien été touché par les chefs d’entreprise et qu’il est pour eux une réalité économique.
Il a été complété en début d’année par un pacte de responsabilité et de solidarité,…
M. Guy Geoffroy. Ah oui, parlons-en !
M. Emmanuel Macron, ministre. …afin d’aller encore plus loin et de porter, au total, à 40 milliards d’euros, sur les trois années à venir, les allégements de charges et d’impôts pour les entreprises et les entrepreneurs.
M. Julien Aubert. Vive la Macron-économie !
M. Emmanuel Macron, ministre. Dans les temps que nous connaissons, en termes de finances publiques, c’est un geste inédit, que vous n’aviez pas fait lorsque vous étiez au gouvernement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.) Vous ne pouvez pas nous reprocher aujourd’hui d’avoir pris les décisions que vous n’avez pas eu le courage de prendre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et d’avoir à régler une situation des finances publiques que vous n’avez pas eu non plus le courage de régler. Nous allons continuer notre travail et poursuivre la réforme grâce aux dispositions que nous proposerons dans les prochaines semaines, dans le cadre du projet de loi pour l’activité et la croissance, conformément à la déclaration de politique générale du Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Piron, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Michel Piron. Monsieur le ministre des affaires étrangères, depuis la suspension, en novembre 2013, des discussions sur l’accord d’association avec l’Europe, la crise politique en Ukraine a pris une nouvelle dimension et la situation ne cesse de s’aggraver. Ces dernières semaines, les combats ont encore redoublé d’intensité dans l’est séparatiste. De tels événements, qui se déroulent aux marches de l’Europe, ne sauraient nous laisser indifférents.
Alors qu’à la suite des sanglantes manifestations de la place Maïdan, les ministres des affaires étrangères du Triangle de Weimar, soit de France, d’Allemagne et de Pologne, avaient obtenu la signature, le 21 février dernier, d’un accord entre le Président lanoukovitch et son opposition, alors qu’il s’agissait de trouver une solution politique qui serve les intérêts du peuple ukrainien et préserve l’intégrité territoriale et la souveraineté du pays, on sait, hélas, ce qu’il en a été après l’entrée des troupes russes en Crimée le 7 mars dernier.
C’est donc dans ce contexte extraordinairement complexe et tendu que se pose à la France la question de livrer ou non les Mistral à la Russie, comme elle s’y est engagée en 2011. Nous sommes pleinement conscients, monsieur le ministre, des conséquences économiques, financières et sociales, mais également sur nos futurs contrats, que peut avoir la décision française d’honorer ou non sa signature. Mais nous sommes tout aussi conscients de la résonance et des conséquences politiques qu’une telle décision aura immanquablement en Europe, et plus particulièrement dans les pays de l’Est.
À l’heure où ces derniers, plus que tous les autres, s’inquiètent d’une déstabilisation générale, la France peut-elle, ou doit-elle, formuler sa réponse « en toute indépendance » comme l’a déclaré le Président de la République ou peut-elle, ou doit-elle, essayer de continuer à promouvoir une réponse européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger. Monsieur le député, permettez-moi d’abord d’excuser l’absence de M. Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères et du développement international. Vous avez rappelé avec gravité la situation et les événements. Depuis le début, la France travaille avec ses partenaires européens. Dès le 21 février, M. Fabius était avec ses homologues allemand et polonais sur la place Maïdan, à Kiev, pour appeler à l’apaisement. Le 24 octobre dernier, c’est à nouveau avec ses homologues qu’il s’est réuni à la Celle-Saint-Cloud pour tenter de trouver une solution au conflit. Le processus de Minsk avait enclenché un dialogue politique et conduit, grâce à un cessez-le-feu globalement respecté, à diminuer l’intensité des confrontations armées. De toute évidence, ce processus est aujourd’hui enrayé. La décision des séparatistes de persister à organiser le scrutin du 2 novembre, le retour à une rhétorique appelant au recours à la force, des mouvements de matériel militaire entre la Russie et l’Ukraine sont autant de sujets de préoccupation. Le G20 a montré l’isolement de la Russie. Il a rappelé le caractère inacceptable de tout ce qui peut attenter à l’intégrité et à la souveraineté de l’Ukraine.
S’agissant du Mistral, le Président de la République s’est exprimé hier et il a dit qu’il prendrait sa décision en dehors de toute pression (Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP), d’où qu’elle vienne, en fonction de deux critères : les intérêts de la France et l’appréciation qu’il a de la situation. Depuis le début, la politique de la France n’a pas changé. Elle est menée dans la fermeté et le dialogue avec nos partenaires européens pour tenter de faire taire les armes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Jacques Myard. Monsieur Macron, il ne faut pas être amnésique et oublier les mauvaises mesures que votre majorité a prises en début de quinquennat au lieu de celles qui auraient permis à l’économie française de mieux se porter ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Ma question était destinée conjointement au ministre des affaires étrangères et au ministre de l’intérieur, mais je l’adresse au Premier ministre en application du principe de l’unité du Gouvernement.
Les Français ont appris, avec horreur et colère, que l’un de nos concitoyens, un Normand de vingt-deux ans, figurait parmi les assassins de Peter Kassig et de dix-huit prisonniers syriens qui ont été décapités en Syrie. Un second Français pourrait aussi être impliqué. À l’évidence, monsieur le Premier ministre, nous sommes en guerre contre des fanatiques religieux, endoctrinés sur le modèle sectaire pour se livrer à des meurtres cruels et barbares. Nous avons voté votre loi sur la lutte contre le terrorisme. Mais il faut regarder la réalité en face : cette loi nécessaire est loin de répondre au défi que nous devons relever.
La bataille se joue sur le plan interne et externe.
Sur le plan interne, les dérives communautaristes s’accroissent sur tout le territoire. À l’éducation nationale, on ne semble pas les prendre au sérieux alors qu’il faut, dès le plus jeune âge, enseigner les principes de laïcité, de tolérance et d’esprit critique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI) Il nous faut renforcer les moyens des services dont je salue ici, au nom de tous les députés, le dévouement pour protéger les Français.
Sur le plan externe, nous devons faire pression sur le gouvernement américain pour qu’il ferme les sites qui accueillent la propagande jihadiste. Le temps n’est-il pas venu de réviser notre politique en Syrie car nous devons avant toutes choses combattre les djihadistes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Le temps n’est-il pas venu de tirer toutes les conclusions du double langage de certains États de la région ?
Monsieur le Premier ministre, combien de Français sont, selon vous, impliqués dans les activités terroristes liées au djihadisme ? Quelles mesures comptez-vous prendre, sur le plan interne et diplomatique, pour protéger nos concitoyens et éradiquer ces barbares ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur Myard, je vous rejoins tout à fait sur la nécessité de donner à nos services les moyens dont ils ont besoin pour accomplir les missions qui sont les leurs dans le contexte difficile de la lutte contre le terrorisme. C’est la raison pour laquelle, après que le gouvernement de la majorité précédente a supprimé près de 200 postes à la Direction générale de la sécurité intérieure (« Eh oui ! » sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP),…
M. Luc Chatel. C’est pathétique d’entendre ça !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … le Premier ministre a décidé d’en créer 436 d’ici à la fin du quinquennat (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jacques Myard. Il en faudrait 800 !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous avons aussi décidé d’augmenter très sensiblement les moyens dédiés à la modernisation de la Direction générale de la sécurité intérieure, à hauteur de 12 millions d’euros par an. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Je rejoins donc tout à fait votre préoccupation : là où les services ont été affaiblis, nous allons les conforter car nous avons besoin de services forts. À mon tour, je tiens à leur rendre hommage car ils accomplissent un travail remarquable qui, au cours des derniers mois, les a conduits à neutraliser près de 138 combattants revenus du théâtre des opérations en Irak ou en Syrie. Cela a été fait grâce aussi à un travail mené en très étroite liaison avec les juges.
Vous nous demandez ensuite ce que l’on fait d’autre, mais vous avez voté les dispositions que nous avons prises. Lorsque nous mettons en place une nouvelle incrimination pénale pour entreprise individuelle terroriste, nous créons les conditions pour la juridiciarisation de tous ceux qui reviennent. C’est la raison pour laquelle nous serons demain beaucoup plus efficaces qu’hier. Lorsque je mets en œuvre, avec Christiane Taubira, une action pour la déradicalisation dans les prisons, nous luttons ainsi pour que des détenus ne s’engagent pas dans des opérations. Lorsque la France intervient à l’extérieur, dans le cadre de la coalition, pour frapper ces groupes et réduire leurs moyens, c’est, là aussi, pour gagner la lutte contre le terrorisme.
Nous agissons à l’intérieur et à l’extérieur, avec détermination et avec efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Razzy Hammadi, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Razzy Hammadi. Monsieur le ministre de l’économie, les Françaises et les Français sont prêts à beaucoup d’efforts pour redresser notre nation. Ils connaissent la situation du pays, surtout celle qui nous a été laissée. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDI.) Ils se lèvent tôt, travaillent dur ou ne ménagent pas leurs efforts pour trouver un travail.
Mais lorsqu’ils ouvrent leur journal, allument leur télévision, écoutent leur radio et constatent, une fois de plus, le montant faramineux de certaines retraites chapeaux, l’injustice de tels montants, l’indécence le disputant au cynisme, peut venir à bout de leur volonté et de leurs efforts.
Monsieur le ministre, après l’épisode Varin – saluons sa décision d’abandonner de lui-même sa retraite chapeau –, voici l’épisode Lombard, avec près de 350 000 euros par an et des provisions faites par l’entreprise à hauteur de 7 millions à 8 millions d’euros ! Les Françaises et les Français ne peuvent l’accepter. Est-il utile de rappeler que celui qui se dit retraité de la fonction publique préside le conseil de surveillance de STMicroelectronics, celui de Technicolor mais aussi, cerise sur le gâteau, l’entreprise même de M. Gattaz en étant membre du conseil de surveillance de Radiall ! Cela n’est plus acceptable et n’est plus accepté par les Français.
Monsieur le ministre, demandez-vous, oui ou non, à M. Lombard d’abandonner de lui-même sa retraite chapeau ? À partir d’un certain montant, préparez-vous une réforme des retraites chapeaux ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous avez raison de poser cette question car le sujet des retraites chapeaux est particulièrement sensible aujourd’hui, compte tenu des efforts que nous demandons aux Français et de leur quotidien. Il faut toutefois rappeler quelle est la réalité : il y a retraite chapeau et retraite chapeau. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.) En effet, il y a celle des mandataires sociaux, qui atteint parfois des montants incompréhensibles et devenus indéfendables, et celle de beaucoup de salariés dans le commerce et dans certains autres secteurs. Celle-ci est défendable car elle correspond à une certaine réalité économique. Je ne veux pas tenir ici un discours simpliste qui conduirait à inquiéter certains Français.
S’agissant des montants et des cas que vous avez évoqués, il est clair que la priorité est de renvoyer à la responsabilité personnelle parce que aucune loi ne remplacera l’éthique des dirigeants. Il en est des dirigeants économiques comme des dirigeants politiques : l’éthique est primordiale. J’ai eu l’occasion de le rappeler lorsqu’il s’agissait de Gérard Mestrallet ou de M. Varin. Je n’ai pas encore reçu les informations que j’ai demandées à propos de M. Lombard. J’ai eu connaissance, comme vous, de premières informations, mais je ne veux pas, à ce stade, aller au-delà dans mes propos.
Il est sûr en tout cas que, dans ce contexte, nous devons avoir une politique plus dure : nous avons accru la fiscalité sur les retraites chapeaux, qui atteint aujourd’hui 70 % ; l’État actionnaire a voté contre toutes ces rémunérations en conseil d’administration comme en assemblée générale. Mais nous devons dorénavant aller plus loin.
J’ai donc demandé, avec Michel Sapin, qu’une mission soit confiée à l’Inspection générale des finances …
M. Patrice Carvalho. On est sauvés !
M. Emmanuel Macron, ministre. …pour que, en lien avec les services de Marisol Touraine, nous trouvions une vraie solution pour supprimer les retraites chapeaux…
M. Razzy Hammadi et M. Sébastien Denaja. Très bien !
M. Emmanuel Macron, ministre. …et les remplacer par un régime de droit commun, plus lisible pour tous les Français. Il faut à la fois rester attractifs et devenir plus clairs. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.
Mme Eva Sas. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie.
Madame la ministre, le 13 octobre dernier, M. Christian de Perthuis annonçait sa démission de la présidence du Comité pour la fiscalité écologique, après que de nombreuses interpellations du Gouvernement furent restées sans réponse et en dressant le constat suivant : « L’impression que j’ai est que le verdissement de la fiscalité n’est pas une priorité gouvernementale ».
M. Christian Jacob. Eh non !
Mme Eva Sas. Nous voulons saluer la qualité de travail de M. de Perthuis, qui a su créer du dialogue, de l’échange, voire du consensus au sein d’un comité réunissant des représentants des organisations patronales, des syndicats, des associations environnementales et des parlementaires.
La création de ce comité faisait suite à l’engagement du Président de la République de faire converger le niveau de notre fiscalité environnementale vers la moyenne européenne – la France se situant actuellement au vingt-cinquième rang européen.
Rappelons qu’il s’agit, non pas d’ajouter une nouvelle fiscalité, encore moins d’instituer une fiscalité punitive, mais de mettre en place une fiscalité incitative,…
M. Yves Fromion. Ah ! Nous sommes rassurés !
Mme Eva Sas. …qui décourage les comportements portant atteinte à l’environnement et soutienne le développement des produits, biens et services écologiques. C’est ainsi qu’un cercle vertueux d’investissements dans la transition écologique pourra s’enclencher.
Le dernier rapport de la Commission européenne souligne les vertus d’un basculement d’une fiscalité du travail vers une fiscalité écologique, qui assurerait à la France un surcroît de croissance de 1,7 % à l’horizon 2025. Le chantier est engagé, mais beaucoup reste à faire. Or, depuis plusieurs mois, force est de constater que les ministères de l’écologie et du budget ne soutiennent plus le travail du Comité pour la fiscalité écologique.
Qu’envisage le Gouvernement pour relancer ce comité, dans la continuité de la loi pour la transition énergétique que nous avons adoptée ensemble ?
L’une des pistes pourrait être…
M. Philippe Meunier. Une hausse des impôts ?
Mme Eva Sas. …d’élargir son champ de réflexion aux financements innovants de la transition écologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Madame la députée, vous posez une question très importante : celle de la fiscalité écologique.
Comme vous le savez, je ne souhaite pas que celle-ci soit punitive. Votre assemblée a pris à ce sujet une décision importante en adoptant le crédit d’impôt pour la transition énergétique, qui accompagnera la loi du même nom et qui permet d’alléger les impôts afin d’inciter aux bonnes pratiques ; en particulier, les Français qui, à partir du 1er septembre 2014, auront engagé des travaux d’économie d’énergie dans leur logement se les verront rembourser à hauteur de 30 %, dans la limite de 8 000 euros de travaux pour une personne seule et de 16 000 euros pour un couple. Vous voyez donc que les réflexions sur la fiscalité écologique débouchent sur des décisions concrètes et opérationnelles.
Autre exemple : le mécanisme de bonus/malus automobile, qui incite les Français à orienter leur choix vers des voitures non polluantes et à délaisser celles qui sont plus polluantes.
Dans le cadre de la préparation du sommet sur le climat de décembre prochain, j’ai l’intention de renforcer la réflexion sur les données économiques au sens large – avec d’ailleurs la collaboration de Christian de Perthuis, que j’ai chargé d’animer un groupe de travail rassemblant des économistes. Nous devons en effet passer à une réflexion plus globale, notamment sur le prix du carbone, l’évaluation des services que la nature rend à l’économie et le coût de la destruction de la nature – qui paie quoi et qui profite de quoi.
C’est dans le cadre de cette approche globale que nous pourrons définir clairement les droits et les devoirs de chacun, au regard de la protection des valeurs environnementales, et de la protection de la planète en général.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Mathis, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Jean-Claude Mathis. Ma question, qui s’adresse à M. le Premier ministre, a pour objet les professions réglementées.
Depuis plusieurs mois, ces dernières sont montrées du doigt par le Gouvernement.
M. Jacques Myard. C’est scandaleux !
M. Jean-Claude Mathis. Arnaud Montebourg promettait ainsi de rendre 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux Français et de lutter contre de supposées « rentes » ; c’est aujourd’hui au tour de M. Emmanuel Macron d’entreprendre de présenter un texte de loi sur le sujet. Non seulement nous regrettons que des professionnels puissent être ainsi montrés du doigt et accusés d’être à l’origine de tous les maux dont souffre notre pays, mais nous constatons que, malheureusement, votre projet de réforme pose des problèmes, tant sur le fond que sur la forme.
Sur la forme, tout d’abord, les professionnels regrettent le manque de concertation avec le Gouvernement et le flou qui entoure la préparation du projet de loi : annonces, contre-annonces, « fuites ».
Sur le fond, ensuite, le Gouvernement considère la question uniquement à travers le prisme économique et concurrentiel, afin de passer le cap de Bruxelles. Or les auditions que le groupe de l’UMP a menées nous ont montré que la réforme soulève bien d’autres questions, qui restent en suspens. Qu’en est-il du maillage territorial ? La présence de professionnels sur l’ensemble du territoire doit être garantie, notamment dans les territoires ruraux ! En libéralisant leur installation, on court le risque d’un enclavement de certains territoires et cela pose la question des conséquences en matière d’emploi. Qu’en sera-t-il de la qualité des services rendus ?
Monsieur le Premier ministre, soyez assuré que ces professionnels ne sont en aucun cas fermés à faire évoluer leur… (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
M. le président. Merci, monsieur le député.
La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, je vous remercie de l’esprit constructif et du calme avec lesquels vous posez votre question : le sujet mérite en effet que le débat soit dépassionné.
Je voudrais d’abord souligner que les informations qui ont pu paraître ces derniers jours dans la presse n’ont aucun statut, et je regrette que des éléments de ce genre puissent « fuiter ». Il n’y a qu’un texte : celui qui sera déposé au Conseil des ministres, et qui doit faire encore l’objet de discussions et d’un travail de la part du Gouvernement, en concertation avec celles et ceux, professionnels ou parlementaires, qui se sont saisis du sujet.
Je profite de cette occasion pour remercier, d’une part, Mme Cécile Untermaier, qui pilote une mission d’information parlementaire sur le sujet, d’autre part, M. Richard Ferrand, qui a remis au Premier ministre un rapport important sur les professions réglementées.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Et M. Houillon ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Ces travaux nous permettront d’alimenter notre réflexion. Le vice-président Houillon joue par ailleurs un rôle important dans la mission d’information présidée par Mme Untermaier.
M. Christian Jacob. Heureusement qu’il est là !
M. Emmanuel Macron, ministre. Je le reconnais sans difficulté, ayant moi-même été auditionné par la mission. C’est donc dans un esprit transpartisan que les débats sont conduits.
Nous continuerons à enrichir et à améliorer ce travail.
J’en viens maintenant plus précisément aux aspects que vous avez évoqués, monsieur le député.
Pour ce qui est de la méthode, nous avons, avec la garde des sceaux, engagé une concertation ; nous avons donc reçu les professionnels – que je continue à voir. Mais concertation ne signifie pas abdication ! Or nous devons faire quelque chose.
Sur le fond, j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, la réforme que nous présenterons préservera le maillage territorial. Dans l’état actuel du droit, nous manquons d’offices notariaux – il y en a moins aujourd’hui qu’en 1980 – et les déserts territoriaux existent déjà ; mais ils se trouvent en Seine-Saint-Denis, et non au fin fond de la Corrèze ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Damien Meslot. Pourquoi la Corrèze ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Enfin, la qualité des actes juridiques sera préservée, puisqu’en aucun cas nous ne reviendrons sur l’honorabilité et l’exclusivité des actes professionnels. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard, au titre des députés non inscrits.
M. Jacques Bompard. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, l’objectif évident de votre majorité est de changer l’homme et avec lui la nature de l’humanité. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Or les représentants de la nation n’ont pas été missionnés pour travailler à un nouveau modèle d’humanité. J’en connais qui rêvent pourtant d’un nouvel être humain : fabricable à sa naissance, malléable dans son identité sexuelle au cours de sa vie, puis, bientôt, déshumanisable au moment de sa vieillesse.
M. François Loncle. Appelez le SAMU !
M. Jean-Claude Perez. Il a oublié ses cachets !
M. Jacques Bompard. Dans votre esprit, ce sont les faiblesses et les doutes de l’individu qui doivent primer dans le monde et sur l’État.
Je veux dire ici que ce rêve est un cauchemar qui ne fait pas que tendre la société française, mais la dissout. Une jeune association d’étudiants en médecine, « Soigner dans la dignité », a interpellé les représentants de la nation dans des tribunes. Leur souhait ? Pratiquer la médecine qui les a fait suivre cette belle vocation : soigner, panser les plaies et sauver des vies. Nous ne pouvons pas les forcer à pratiquer une euthanasie contraire à leur morale personnelle, à l’histoire de la médecine et tout à fait étrangère à l’idée de dignité.
Pensez-vous, êtes-vous sûre que les 48 % de votants réunis au second tour de l’élection présidentielle aient comme volonté d’accentuer la détresse de notre civilisation gréco-chrétienne ? Madame le ministre, le peuple de France recherche l’harmonie que l’euthanasie brisera tout autant que l’acharnement thérapeutique. Je vous demande instamment de renoncer à perpétrer ce nouveau germe de chaos national et éthique.
Très officiellement, je vous demande si vous comptez inclure la détresse psychologique dans les motifs d’euthanasie, laissant ainsi la porte ouverte aux dérives insupportables qui ont lieu en Belgique et aux Pays-Bas.
M. François Loncle. Au fou !
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le député, je veux comprendre que votre question porte sur la fin de vie, qui est un sujet éminemment grave et éminemment sérieux, trop grave et trop sérieux pour renvoyer à des fantasmes de je-ne-sais-quel apprenti-sorcier (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP), car, au fond, la question que vous posez en dit plus sur l’état d’esprit qui est le vôtre que sur celui du Gouvernement. Moi, je voudrais simplement indiquer que nos concitoyens, sur cette question, appellent de l’apaisement, une réflexion partagée et souhaitent – ils le disent massivement – que nous puissions évoluer et faire avancer notre droit pour prendre en compte des situations qui sont souvent douloureuses et difficiles.
Plusieurs rapports ont été remis. Plusieurs missions ont été engagées, et, actuellement même, une mission est confiée à deux députés, Jean Leonetti et Alain Claeys. Ceux-ci travaillent et, dans quelques semaines, ils remettront leurs conclusions, conformément à ce qui leur a été demandé, sur trois sujets : le développement de la médecine palliative ; une meilleure organisation du recueil et de la prise en compte des directives anticipées ; la définition des conditions dans lesquelles l’apaisement des souffrances peut être proposé.
À partir de là, la réflexion s’engagera et, monsieur le député, je crois qu’il faut le faire sans volonté de stigmatisation et d’opposition, mais avec la conscience claire que nos concitoyens ne se satisfont plus du statu quo. Ils veulent que la fin de vie puisse être prise en compte de façon digne, dans le respect de leur liberté et de leurs choix. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Sirugue, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Christophe Sirugue. Madame la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, vous allez dans quelques heures rejoindre New York pour signer le troisième protocole relatif à la Convention internationale des droits de l’enfant, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de celle-ci. Cette signature intervient après celle du premier protocole sur la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et celle du deuxième protocole sur l’implication des enfants dans les conflits armés.
Cette troisième étape permettra d’instaurer une procédure de communication individuelle devant le Comité des droits de l’enfant. Un enfant estimant qu’un de ses droits fondamentaux a été violé pourra désormais déposer une plainte devant ce comité. Jusqu’à présent, la Convention internationale des droits de l’enfant était le seul instrument juridique relatif aux droits humains qui ne possédait pas de mécanisme de plainte individuelle. Cette lacune sera désormais comblée et nous ne pouvons que nous en réjouir. Les droits de l’enfant, ce sont des droits internationaux ; ce sont aussi des législations et des réglementations nationales.
Nous avons commencé à travailler. Une proposition de loi de notre collègue Michelle Meunier a été déposée au Sénat, et j’ai le privilège d’appartenir au comité de suivi sur la protection de l’enfance que vous avez vous-même mis en place, madame la secrétaire d’État. Je sais que vous êtes particulièrement engagée sur cette question. Pourriez-vous dès lors nous indiquer les progrès qui vous semblent pouvoir être accomplis dans le domaine de la protection de l’enfance et qui compléteront les engagements internationaux que nous sommes heureux de pouvoir signer et ratifier ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le député, en effet, le troisième protocole de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont vous avez fort bien décrit la portée juridique, a été adopté par l’ONU en 2011. Il a fallu attendre la décision du Président de la République François Hollande, qui a levé les réticences de la France, pour que nous rejoignions les pays qui ont choisi de faire de la parole de l’enfant un élément décisif des politiques de protection de l’enfance et de la mise en œuvre des droits de l’enfant. C’est donc, effectivement, le 20 novembre 2014, Journée internationale des droits de l’enfant et vingt-cinquième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, que j’aurai la fierté de me rendre à New York représenter la France à l’ONU.
Vous évoquez également la protection de l’enfance, et vous avez raison. La crise, parce qu’elle précarise encore davantage les familles, à la fois sur le plan matériel et sur le plan affectif, exige de nous la plus grande attention à l’égard des enfants, particulièrement des 275 000 enfants les plus fragiles, qui relèvent de la protection de l’enfance et de l’aide sociale à l’enfance. C’est pourquoi j’ai décidé, avec Marisol Touraine, de mener une grande concertation, d’abord avec des conseils généraux, parce que ce sont eux qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance, avec l’ensemble des professionnels, des travailleurs sociaux et aussi avec les enfants, qui sont devenus des adultes, passés par l’ASE, et qui, aujourd’hui, ont à nous dire comment ils ont eux-mêmes vécu ces politiques.
Le bilan de la politique de protection de l’enfance est divers sur le territoire, et il révèle des insuffisances, en particulier en matière de repérage de la maltraitance. C’est pourquoi nos travaux, dont la proposition de loi de Mmes Dini et Meunier est une première étape, s’articuleront autour de trois axes : un parcours de vie stable pour les enfants, un dispositif de repérage mieux coordonné de la maltraitance et, enfin, une homogénéisation nationale de la pratique et de la doctrine en matière de protection de l’enfance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Annie Genevard. Monsieur le Premier ministre, la France a toujours fait de la culture un facteur de rayonnement, et la gauche considère trop souvent en détenir seule le magistère. Or force est de constater que depuis deux ans, le Président de la République s’est montré assez indifférent aux questions culturelles. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Il profite de l’arrivée à maturité de projets lancés par ses prédécesseurs – c’est le cas du Musée Picasso ou, bientôt, de la Philharmonie de Paris. Il profite encore de projets privés, comme la Fondation Vuitton.
Faute de réussites économiques ou sociales, l’inauguration de grands projets culturels est un dérivatif commode pour se prévaloir à bon compte d’une politique culturelle conduite par autrui. Je sais déjà ce que vous allez me répondre. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Claude Perez. Alors ne posez pas cette question !
Mme Annie Genevard. Non, ce budget n’est pas sanctuarisé ! Tout juste est-il péniblement maintenu à un point bas après deux années de coupes budgétaires. Il n’y a ni ambition, ni imagination, et pas de résultats non plus en matière d’éducation artistique et culturelle – qui est pourtant votre grande idée.
Quant à l’aménagement culturel du territoire, il vous est largement indifférent. Plus grave, avec la saignée budgétaire que vous infligez aux collectivités territoriales,…
M. Jean Lassalle. C’est très vrai !
Mme Annie Genevard. …95 % des petites communes affirment devoir diminuer leur contribution au financement de la culture. C’est un désastre culturel annoncé. Quel crédit, alors, espérez-vous donner à l’exception culturelle, dont la France estime être le meilleur porte-parole en Europe, alors qu’elle est si malmenée sur notre propre sol ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Madame la députée, vous parlez de baisse du budget de la culture, de manque d’ambition, de sacrifice d’une politique publique… Je ne conteste pas que mon ministère ait participé à l’effort de redressement des finances publiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Un député du groupe UMP. C’est bien de le reconnaître !
Mme Fleur Pellerin, ministre. Le Gouvernement assume cette responsabilité, compte tenu de la situation dans laquelle nous avons trouvé ce pays. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Je rappelle, pour rafraîchir la mémoire des députés de l’opposition, que la dette a doublé entre 2002 et 2012, et que le déficit public atteignait presque 6 % du PIB en 2012. Nous avons donc dû assumer la responsabilité du redressement des finances publiques. Mais cet effort est désormais derrière nous, et la responsabilité n’est pas incompatible avec une grande ambition pour la culture. C’est ce qu’a indiqué le Premier ministre, en annonçant que les crédits du ministère seront préservés sur la période 2015-2017.
Le budget du ministère de la culture augmentera donc en 2015, madame Genevard. Il atteindra même en 2017 le montant de 2,77 milliards d’euros hors audiovisuel public, ce qui correspond à 1,01 % du budget de l’État – sur une longue période, la stabilité de ce budget est donc assurée.
Vous avez oublié de mentionner, madame la députée, que le budget de la culture avait déjà été mis à contribution entre 2011 et 2012 : il avait déjà commencé à baisser. La fin du mandat de Nicolas Sarkozy a été marquée par le lancement de grands chantiers pharaoniques, dont vous avez cité quelques exemples, et qui pour la plupart n’étaient pas financés – je pense en particulier au Centre national de la musique, ou au musée de l’histoire de France, dont les crédits n’avaient pas été portés au budget du ministère de la culture. Vous avez évoqué la Philharmonie de Paris : je vous rappelle que ce magnifique projet, bénéfique à l’attractivité de la France, a été notoirement sous-financé par les précédents gouvernements.
Responsabilité et ambition : c’est bien le choix de notre gouvernement. Les crédits de l’éducation artistique et culturelle augmenteront cette année de 30 % pour atteindre 50 millions d’euros. Nous avons aussi fait le choix de l’avenir, en stimulant le dynamisme des industries créatives : c’est notre ambition pour le ministère de la culture. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Benoit, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Thierry Benoit. Monsieur le président, en cette dix-huitième Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, le groupe UDI avait à cœur d’interroger le Gouvernement sur l’accueil des personnes handicapées en France, notamment dans des établissements spécialisés. Comment ne pas s’inquiéter de l’inertie de notre pays face à tous ces enfants qui, faute de places disponibles, sont accueillis à l’étranger, loin de leurs familles, loin de leurs proches ? Aujourd’hui, 5 000 Français seraient concernés par cette situation.
Chaque année, l’assurance-maladie verse 65 millions d’euros aux établissements d’accueil belges, afin de financer la prise en charge des enfants français. Ce système oublie la souffrance des familles, contraintes à un exil forcé. La France peut-elle décemment porter un regard attentif à ces personnes handicapées ?
Les gouvernements qui se succèdent annoncent régulièrement, année après année, la création de 4 000 places d’accueil pour les personnes handicapées. De quelles places parle-t-on exactement ? De services à domicile ? D’auxiliaires de vie scolaire ? Qu’en est-il exactement ?
Le problème, c’est que nous ne connaissons précisément ni l’offre, ni la demande, c’est-à-dire les besoins. C’est pourquoi nous sommes nombreux à demander la création d’un outil chargé de coordonner les travaux de la Caisse nationale de solidarité de l’autonomie, des ARS – les Agences régionales de santé – et des maisons départementales des personnes handicapées, afin de constituer une base de données unique et actualisée, qui permettrait de connaître plus précisément les demandes de placement, et de faire correspondre l’offre à la demande des familles. Cette base de données garantirait transparence et réactivité. Elle serait mise à jour de manière instantanée.
Voilà pourquoi, madame la ministre de la Santé, le groupe UDI interroge le Gouvernement à ce sujet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI, et sur plusieurs bancs des groupes RRDP et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Monsieur le député, vous avez raison de souligner que l’offre et la demande de places dans des établissements spécialisés dans l’accueil de personnes handicapées sont mal connues en France. J’ai confié à la CNSA – la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie – la mission – entre autres – de regrouper les données des maisons départementales du handicap de toute la France. Disposer de l’ensemble de ces données locales nous permettra de savoir très exactement l’état des besoins dans notre pays.
Je vais vous donner, précisément, le nombre de places en établissements d’accueil en France, à la fois pour les enfants et pour les adultes. Vous savez tous, ici, pour avoir étudié le PLFSS, que les établissements médico-sociaux pour personnes handicapées représentent un budget de 9 milliards d’euros, pour un total de 490 000 places, enfants et adultes confondus. Voici le détail de la répartition de ces places : presque 160 000 places sont prévues pour les enfants, dont 110 000 en établissement – les autres places, effectivement, relèvent du service à domicile. Pour les adultes, il s’agit de 335 000 places, dont 288 000 en établissement et 46 000 en service d’accompagnement.
M. François Rochebloine. On le sait déjà, tout cela !
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État. Vous m’avez également interrogée à propos des enfants et des adultes handicapés qui sont hébergés à l’étranger. Je sais que vous faites plus particulièrement allusion à ceux qui sont hébergés en Belgique. Sachez, monsieur le député, que depuis mars 2014 la France a conclu un accord avec la Wallonie sur cette question. Nous y travaillons activement, avec le député des Français de l’étranger Philip Cordery, qui était avec moi lors de mon dernier déplacement. Ma seule volonté, c’est que les familles puissent choisir librement l’hébergement de leur enfant, ou de la personne de leur famille concernée. C’est une priorité de ce gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Manuel Valls, Premier ministre. Très bien !
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote au nom des groupes et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2015 (nos 2234, 2260 à 2267).
M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Dominique Lefebvre, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Dominique Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre des finances et des comptes publics, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, notre assemblée va se prononcer dans quelques instants sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2015, au terme de riches débats, tant en commissions élargies que dans l’hémicycle, dont je veux saluer la tenue et la qualité.
Cette tenue et cette qualité doivent une nouvelle fois beaucoup à l’engagement, à la précision et à la clarté des interventions de Christian Eckert, qui n’a évacué aucun débat et a pleinement et totalement respecté le Parlement.
Je veux donc une nouvelle fois le remercier, au nom du groupe socialiste, pour la qualité du dialogue que nous avons pu avoir et qui nous a permis d’enrichir le texte proposé par le Gouvernement en lui gardant toute sa cohérence.
Les avancées que ce dialogue constructif entre le Gouvernement, le groupe socialiste et nos partenaires de la majorité gouvernementale a permis de réaliser sont nombreuses et significatives. Ces avancées concernent le soutien à l’investissement des collectivités locales mais également l’emploi, avec la création de 45 000 contrats aidés supplémentaires, l’aide aux communes pour la mise en place des rythmes scolaires, et enfin l’aide au développement. Les engagements pris ont aussi été tenus en ce qui concerne le financement des transports du Grand Paris ou encore la modernisation de la taxe de séjour.
Et avant même l’examen, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, de nouvelles mesures de lutte contre la fraude fiscale, notamment la fraude à la TVA, des amendements du groupe socialiste adoptés par notre Assemblée vont parfaire la panoplie des outils de lutte contre la fraude fiscale et l’abus de droit.
Ces amendements marquent notre détermination à amplifier la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et à contribuer activement à la mise en œuvre d’accords internationaux, les seuls à même de traiter efficacement ces sujets, tels ceux initiés par l’OCDE et qui ont fait l’objet de nouvelles avancées lors du G20 qui s’est tenu ce week-end en Australie. Ces avancées méritent d’être saluées.
Au total, près de 800 millions d’euros ont ainsi été mouvementés à l’initiative des parlementaires.
Pour autant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous avons respecté l’engagement que j’avais pris devant vous au nom du groupe socialiste, dès l’ouverture de notre débat parlementaire, de ne pas dégrader le solde prévisionnel de ce projet de loi de finances et de tenir la trajectoire d’évolution des dépenses de l’État.
Car il nous faut, au moment de ce vote, revenir à l’essentiel.
L’essentiel, avec l’adoption de l’ensemble de ce projet de loi de finances, est de tenir l’engagement pris devant les Français par le Président de la République de mettre en œuvre rapidement le Pacte de responsabilité et de solidarité, tout le Pacte et rien que le Pacte, pour renouer au plus vite avec la croissance et faire baisser le chômage.
Tout le Pacte, en 2015, malgré une conjoncture difficile, cela signifie un allégement significatif de 3 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu pour les familles modestes et la classe moyenne, ce qui représente plus de neuf millions de foyers fiscaux.
Tout le Pacte, c’est aussi la confirmation de la politique d’allégements fiscaux et sociaux pour nos entreprises. Certes, il n’y a pas dans ce texte de mesures supplémentaires au-delà de celles qui ont été votées en juillet dernier : il faudra attendre pour cela le projet de loi de finances pour 2016. Mais notre Assemblée a clairement écarté toute remise en cause, même partielle, des mesures que nous avons adoptées depuis décembre 2012.
Je pense bien évidemment au CICE, le crédit d’impôt compétitivité emploi, pour lequel nous avons suivi les conclusions unanimes de la mission d’information parlementaire et traduit en amendements plusieurs de ses propositions.
Je pense également au CIR, le crédit d’impôt recherche, aujourd’hui indispensable à la compétitivité de nos entreprises et à l’attractivité de notre pays, pour lequel le président de notre groupe a réaffirmé fermement, ici même, notre engagement de stabilité durant toute la durée du quinquennat.
Ce qui est essentiel, aujourd’hui, c’est la visibilité et donc la stabilité des règles fiscales et sociales, car cette visibilité et cette stabilité sont indispensables au retour de la confiance des ménages comme des entrepreneurs.
C’est le sens de l’engagement du Président de la République et du Gouvernement, que le groupe socialiste fait sien et fera respecter en 2015.
Oui, mes chers collègues, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, les prélèvements obligatoires baisseront en France en 2015, pour la première fois depuis cinq ans.
Oui, notre priorité est bien aujourd’hui de redresser nos finances publiques en faisant un effort sur la dépense, mais un effort adapté à la conjoncture économique afin d’éviter la spirale infernale de la récession et de la déflation qui menace en France et en Europe.
En 2015, comme en 2014 et en 2013, l’effort de maîtrise de la dépense publique se poursuivra avec la mise en œuvre de mesures d’économie à hauteur de 21 milliards d’euros, dont près de 8 milliards sur les dépenses de l’État et 3,7 sur celles des collectivités locales.
Cet effort est inédit, n’en déplaise à ceux qui en réclament davantage alors même qu’ils ont laissé la dépense publique et la dette dériver de façon irresponsable lorsqu’ils étaient en responsabilité !
M. Jean-Paul Bacquet. C’est juste !
M. Dominique Lefebvre. Oui, nous avons divisé par deux le rythme d’évolution de la dépense publique, qui atteignait 37 milliards d’euros par an sous la droite et qui n’est plus que de 16 milliards aujourd’hui.
Oui, les dépenses de l’État baissent en valeur absolue, de 3 milliards d’euros en 2014 par rapport à 2013, et elles baisseront également en valeur absolue en 2015 par rapport à 2014.
Alors oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous aurez aujourd’hui le soutien plein et entier de l’Assemblée nationale pour poursuivre une politique dont le seul objectif est le retour de la croissance, en France et en Europe, une croissance indispensable pour faire reculer ce cancer social qu’est le chômage.
Ce soutien clair du Parlement vous permettra de poursuivre et de conclure les discussions en cours avec nos partenaires européens pour une adaptation des politiques budgétaires européennes à la situation conjoncturelle et au risque de déflation en Europe, et pour une mise en œuvre rapide des mesures ambitieuses de relance par l’investissement public et privé à hauteur de 300 milliards d’euros sur lesquelles s’est engagée la nouvelle Commission de M. Juncker.
Le groupe socialiste, républicain et citoyen votera donc sans réserve ce projet de loi de finances pour 2015. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Hervé Mariton. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le projet de loi de finances est un constat d’échec : l’échec de l’exécution budgétaire de 2014, avec un déficit passé de 82 à 88 milliards – il était de 75 milliards en 2013 –, l’effondrement des recettes – issues de l’impôt sur le revenu comme de l’impôt sur les sociétés –, le sous-financement d’un certain nombre de dépenses, qu’elles soient salariales ou liées à l’immigration irrégulière. La dette, vous le savez, a petit à petit augmenté pour passer la barre des 2 000 milliards d’euros. Elle représentait 93 % du produit intérieur brut en 2013, elle atteindra 97 % en 2015 et, assurément, vous parviendrez à dépasser les 100 %.
Les résultats pour l’économie sont connus : une croissance de 0,4 % en 2014 et une situation de l’emploi dramatique.
Les économies provenant de la réduction des dépenses sont insuffisamment documentées et insuffisamment réalisées. C’est ce que dénonçait le groupe UMP et désormais c’est la Commission européenne elle-même qui le dit. Le Gouvernement a manqué gravement de transparence, tant dans sa relation avec la Commission qu’à l’égard de la représentation nationale et des Français.
Vous proposez des recettes supplémentaires en 2015, mais elles sont très incertaines, pour répondre aux injonctions qui vous sont adressées et à la réalité de la situation : un budget de la France mis sous tutelle de l’Union européenne.
Un constat d’échec donc, mais aussi un risque d’échec aggravé pour l’avenir.
Ce risque est dû tout d’abord à ce qu’on ne peut présenter autrement que comme le grand désordre de la fiscalité, avec un début de mandat marqué par un matraquage fiscal extrêmement lourd à l’encontre des entreprises et des ménages, les plus favorisés comme les plus modestes, en passant par les classes moyennes.
M. Jean-Paul Bacquet. N’importe quoi !
M. Hervé Mariton. Aujourd’hui, il suffit d’écouter les responsables de l’exécutif, chers collègues, pour entendre les contradictions qui existent entre eux : le Président de la République et le secrétaire d’État au budget – j’ai cité François Hollande et Christian Eckert.
Les mesures qui sont prises vont dans des sens opposés et certaines affecteront les mêmes catégories de Français, qu’il s’agisse de payer plus d’impôt ou moins d’impôt.
Comme nous l’avons déjà indiqué, aborder la réforme de l’impôt sur le revenu en supprimant la première tranche n’est pas une bonne approche. Et que dire de l’augmentation significative des impôts d’un grand nombre de nos concitoyens, y compris les plus modestes, avec l’augmentation de la fiscalité du gazole et de celle de la redevance audiovisuelle ?
S’il vous plaît, messieurs les ministres, arrêtez-vous ! Et si vous n’avez pas trouvé de boussole, puisque vous proposez à la fois des baisses et des augmentations d’impôt, le plus simple, même si ce n’est pas la raison ultime d’une politique publique, serait de cesser, dès aujourd’hui et jusqu’à 2017, de proposer toute nouvelle modification fiscale.
Vous connaissez ce sage principe de l’action publique comme de la médecine : primum non nocere – « d’abord, ne pas nuire ». Nous ne pouvons qu’implorer le Gouvernement et la majorité, dont la politique fiscale a considérablement abîmé la situation du plus grand nombre de nos concitoyens, d’arrêter de prendre quelque initiative fiscale que ce soit jusqu’en 2017.
C’est la seule manière de retrouver un peu la confiance de nos concitoyens. Or il y a urgence à rétablir la confiance, dans la situation assez pitoyable qui est celle de la majorité aujourd’hui. Rétablir la confiance, cela signifie d’abord pour le Gouvernement et la majorité de s’abstenir d’agir sur le terrain fiscal. Ne prenez pas d’initiative nouvelle, nous vous en prions : jusqu’à présent, elles ont toujours été néfastes.
Enfin, s’agissant de vos contradictions permanentes en matière de politique économique, vous paraissez aimable et rude tour à tour. En effet, tantôt vous gratifiez les entreprises de mots sympathiques, tantôt vous infligez une rebuffade, par exemple au président du MEDEF, M. Gattaz, lorsqu’il demande la suppression de l’impôt sur la fortune – une bonne proposition, même si elle n’est pas d’une grande nouveauté.
Citons aussi les débats constamment renouvelés sur le crédit d’impôt pour dépenses de recherche et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. La majorité a manifestement du mal à se convaincre des mesures qu’elle a elle-même introduites, dans le cas du CICE, ou de celles dont elle annonçait la stabilité, dans celui du crédit d’impôt recherche.
Quant aux mesures de libéralisation de l’économie, elles ont pris une grande ampleur médiatique. Je pense notamment à celles concernant les autocars et aux privatisations. Que n’entendrions-nous si nous avions nous-mêmes proposé l’ouverture du capital de Réseau de Transport d’Électricité – RTE – ou la privatisation de nouveaux aéroports ? Mais ce sont là des mesures très insuffisantes alors que d’autres sujets, tels l’évolution du temps de travail ou une véritable réforme des retraites, qui serait nécessaire à notre pays, restent tabous.
Enfin, que dire du discrédit actuel de l’État et de la dégradation de sa signature ? Il s’agit d’un des effets évidents des mesures de l’exécutif concernant l’écotaxe. C’est aussi l’accumulation des dettes implicites, du fait de la loi relative à la transition énergétique et des décisions néfastes sur le nucléaire. La charge de la dette s’est considérablement aggravée, je l’ai dit : devant s’élever à 44 milliards d’euros en 2015, elle atteindra plus de 50 milliards en 2017. De plus, l’évolution de la politique monétaire américaine entraîne un risque considérable que les taux d’intérêt augmentent, hausse qui aurait une incidence très lourde dans les années qui viennent. Cent points de base représenteront ainsi plus de 6 milliards d’euros de dépenses la première année, et 12 milliards d’euros, la deuxième.
Telle est l’impasse dans laquelle vous nous menez. C’est pourquoi le groupe UMP votera contre ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les bancs de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Charles de Courson, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Charles de Courson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France se trouve aujourd’hui à un tournant de son histoire budgétaire.
Nous devons choisir entre le courage – celui de mettre, enfin, en œuvre les réformes structurelles vitales pour notre pays, qui, seules, permettront de réduire durablement la dépense publique et de sortir de la crise – et le renoncement, qui placera inévitablement la France sous la tutelle de la Commission européenne et, surtout, des marchés financiers.
Cette dernière possibilité n’est plus une menace lointaine. Bruxelles a déjà placé la France sous surveillance renforcée en mars 2014, et le mécanisme de correction a été déclenché dès juin 2013. Dernier épisode en date : la Commission européenne a constaté que le budget de la France pour 2015 constituait un « manquement grave » à son engagement de réduire son déficit budgétaire.
C’est pourquoi, sous peine de voir Bruxelles lui opposer un avis défavorable, le Gouvernement a dû présenter en urgence, dès 2014, des mesures d’économies supplémentaires, à hauteur de 3,6 milliards d’euros. Il s’agit surtout de nouvelles hausses d’impôts – elles représentent 2,3 milliards d’euros – et de quelques économies – 1,3 milliard d’euros nets, dont 1,6 milliard d’économies de constatations sur les intérêts de la dette : c’est dire qu’en fait, hors intérêts de la dette, les dépenses ont augmenté de 300 millions… À ce jour, nous ne savons toujours pas si nos partenaires européens s’en satisferont, la Commission européenne n’ayant pas encore adopté son avis définitif.
Oui, la France est devenue, hélas, le mauvais élève de l’Union européenne. Le Groupe UDI déplore cette situation.
Mais au-delà du respect des règles communautaires, que nous jugeons essentiel, c’est d’abord et avant tout pour nous-mêmes que nous devons mettre en place les réformes structurelles qui ont trop longtemps été repoussées : réforme de l’État et des collectivités territoriales, réforme de la protection sociale et de la santé, rénovation de la démocratie sociale, transition écologique et valorisation de la ressource humaine de la nation.
Ce sont tout à la fois notre souveraineté budgétaire et la survie de notre modèle social qui sont en jeu. En effet, tous les indicateurs sont au rouge. La croissance, malgré l’optimisme gouvernemental, reste extrêmement faible. En 2013, comme en 2012, elle n’a pas dépassé 0,3 %. Alors qu’en 2014, le Gouvernement l’a réévaluée à 0,4 %, il prévoit pour 2015 une croissance de 1 %, ce que le Haut conseil des finances publiques lui-même juge optimiste.
Les résultats sont tout aussi inquiétants pour ce qui concerne les déficits publics. Le candidat Hollande promettait de les ramener sous la barre des 3 % du produit intérieur brut en 2013. (« Quel menteur ! » sur les bancs de l’UDI.)
Cet objectif a été abandonné : le déficit a dérapé à 4,1 % en 2013. En 2014, il repart à la hausse puisqu’il atteindra, d’après les prévisions du Gouvernement, 4,4 % du produit intérieur brut.
Bruxelles avait accordé à la France un délai supplémentaire, jusqu’en 2015, pour ramener le déficit à 3 %. Sans consultation préalable de nos partenaires européens, le Gouvernement a décidé de repousser, une nouvelle fois, ce délai, jusqu’en 2017. Nous déplorons cette attitude, que la France n’accepterait pas d’un autre pays membre.
Quant aux économies, dont vous prétendez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, qu’elles vont atteindre 21 milliards d’euros en 2015, nous n’en avons trouvé que 7,4 milliards, c’est-à-dire le tiers ! En réalité, vous considérez comme des économies des moindres dépenses. Mais réaliser des économies, c’est prendre des mesures qui réduisent effectivement la dépense, non freiner la hausse de la dépense.
Le budget de l’État réalisera à peine 1 milliard d’euros d’économie, sur les 5,4 milliards d’euros annoncés. Quant aux dépenses des opérateurs de l’État, elles passent de 21,3 milliards d’euros en 2014 à 21,3 milliards d’euros en 2015. Où sont donc les économies ?
Sur le bloc des collectivités territoriales, les économies espérées s’élèvent à 2 milliards d’euros au maximum, loin des 3,7 milliards annoncés. Et pour compenser la baisse des dotations de l’État, qui asphyxiera les collectivités, le Gouvernement offre à ces dernières la possibilité d’augmenter les impôts locaux. C’est donc, in fine, sur nos concitoyens que se répercutera cet effort.
Concernant les 10 milliards d’euros d’économies de la Sécurité sociale, seuls 2,8 à 2,9 milliards sont réels. Au total, il manque donc 14 milliards d’euros sur les économies annoncées.
Mes chers collègues, le groupe UDI l’a dit et répété : sans réformes structurelles, le redressement de la France est impossible ! (Applaudissements sur les bancs de l’UDI.)
En refusant d’engager ces réformes, vous condamnez le pays au marasme économique et au déclin pendant encore deux ans et demi. Avec ce projet de loi de finances pour 2015, vous faites le choix du renoncement : vous renoncez aux objectifs fixés dans un cadre européen en termes de déficit, vous renoncez à tout faire pour favoriser le retour de la croissance, vous renoncez à inverser la courbe du chômage, vous renoncez à baisser la dépense publique dans la justice, vous renoncez, enfin, à rétablir la confiance.
Mes chers collègues, une autre voie est possible. Nous vous demandons solennellement de faire ce choix du courage, en revenant sur les erreurs commises depuis le début de ce quinquennat et en engageant sans tarder les réformes structurelles que tous, sur ces bancs, savent nécessaires.
C’est pour toutes ces raisons que les députés du groupe UDI voteront contre le projet de loi de finances pour 2015. (Applaudissements sur les bancs de l’UDI.)
M. le président. La parole est à Mme Eva Sas, pour le groupe écologiste.
Mme Eva Sas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, chers collègues, comme nous l’avons dit lors du vote sur la première partie de ce projet de loi de finances, ce budget ne porte pas le changement de cap que nous attendions.
D’abord, parce qu’il ne donne pas la priorité à l’allégement de la fiscalité des ménages : vous annoncez 19 milliards d’euros d’allégements pour les entreprises, contre 3 milliards d’euros pour les ménages, alors que chacun dit que la charge fiscale doit être levée, tant sur les classes moyennes que sur les ménages aux revenus modestes.
Enfin, parce qu’il ne donne pas la priorité à l’écologie, dont le budget baisse de 6 %, soit 481 millions d’euros. Nous ne comprenons ni ne pouvons comprendre cette baisse de crédits quand nous votons une loi aussi fondatrice que la loi relative à la transition énergétique. Comment traduire les ambitieux objectifs de cette loi, notamment en matière d’économies d’énergie, d’isolation des logements, de développement des transports collectifs ou de développement des énergies renouvelables, sans disposer des moyens nécessaires ?
Que dire du versement de transport interstitiel, une mesure de bon sens, destinée à financer les transports en région, qui avait été instituée par la loi portant réforme ferroviaire et que le Gouvernement abroge ici, avec difficulté d’ailleurs, car il aura fallu une seconde délibération ?
Que dire de l’amendement adopté avec l’appui du Gouvernement, qui crée une niche fiscale pour les entreprises les plus consommatrices d’énergie, en leur permettant de déduire une partie plus importante de leurs intérêts d’emprunt ? Cette niche fiscale anti-écologique est créée alors que nous venons de voter la loi relative à la transition énergétique...
Que dire, enfin, de l’allégement des taxes sur le transport aérien, notamment d’une partie de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, adoptée par amendement dans ce texte ?
Par ailleurs, ce budget ne porte pas le changement de cap que nous attendions, parce qu’il porte une forme de sacralisation des aides aux entreprises, même lorsque les effets d’aubaine sont reconnus par chacun. Je veux citer ici le travail réalisé par les parlementaires sur tous les bancs de la majorité pour mieux cibler le crédit d’impôt recherche sur les petites et moyennes entreprises, et éviter de le transformer en dispositif d’optimisation fiscale pour les grands groupes. Un amendement issu du travail approfondi de la rapporteure générale, visant à plafonner ce crédit d’impôt pour les groupes, avait ainsi été adopté par la commission des finances. Las, le Gouvernement n’aura pas souhaité le voir adopté.
Pas de changement de cap, disais-je, mais aussi peu de prise en compte du travail parlementaire. Un important travail d’amélioration du texte a pourtant été mené en commission des finances. Celle-ci a fait des propositions approfondies sur la lutte contre l’optimisation fiscale agressive ou sur les contreparties à apporter au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Malheureusement, ce travail n’a pas été soutenu par le Gouvernement, qui a ainsi manqué l’occasion d’entrer dans une phase de travail collaboratif avec le Parlement, phase qui nous aurait permis de dépasser le carcan d’une Cinquième République à bout de souffle et de revaloriser le rôle du Parlement, comme le Président de la République s’y était engagé.
Bien sûr, nous aurons aussi noté les avancées que porte ce projet de loi de finances : l’augmentation des financements pour le service civique ; la prolongation des aides aux communes, afin de les soutenir dans la mise en place de la réforme des rythmes scolaires ; l’augmentation du budget alloué au crédit d’impôt pour la transition énergétique, l’ancien crédit d’impôt pour le développement durable ; les 140 millions d’euros de financement alloués à l’investissement dans les transports franciliens, pour sécuriser et entretenir le réseau, même si nous regrettons que ce financement repose en partie sur les ménages.
Nous savons aussi que le contexte économique et institutionnel européen contraint la politique économique et budgétaire de la France.
Nous savons encore qu’avec l’opposition et ses 130 milliards d’euros d’économies proposés, la situation serait pire encore. Mais vous avez aussi fait des choix en faveur d’un allégement indifférencié et inconditionnel de la fiscalité des entreprises, qui conduisent nécessairement à une pression exagérée sur les ménages et les investissements.
Nous ne pouvons soutenir ces choix. Aussi, vous comprendrez que pour cela, et pour le peu de cas fait de l’écologie dans ce budget, le groupe écologiste s’abstiendra dans sa quasi-intégralité. En effet, ce projet de loi ne répond pas à l’aspiration légitime du pays à une autre politique, plus efficace et plus juste, en faveur des ménages, en faveur de l’investissement et en faveur de l’écologie. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis les derniers traités européens, notre politique budgétaire se décide un peu à Paris, pas mal à Francfort et beaucoup à Bruxelles, sous le contrôle impérieux de la Commission européenne.
M. Marc Dolez. Ça, c’est vrai !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. En changeant de composition, la Commission changera-t-elle de stratégie économique ou restera-t-elle fidèle, aveuglément, à sa politique de forte rigueur ? Cette politique, qui était en vogue il y a deux ou trois ans, est à présent largement démodée et déconseillée par les principales organisations économiques internationales.
Dès le mois d’août, Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international, s’est inquiétée de la faiblesse de la demande européenne et a recommandé une rigueur moins prononcée. Ce même mois, le président de la Banque centrale européenne, M. Draghi, a encouragé les pays européens à prendre des mesures de relance en déclarant que « la demande a besoin d’un coup de fouet ».
Ce week-end à Brisbane, les participants au sommet du G20 se sont également alarmés de l’absence de reprise dans la zone euro, tout comme l’OCDE quelques semaines auparavant. La Commission européenne se distinguera-t-elle des autres institutions en continuant à professer un néolibéralisme dogmatique et intégriste qui n’est plus de saison ? Quoi qu’il en soit, une telle stratégie a notablement contribué à freiner voire à stopper la croissance, seule génératrice d’emplois. La zone euro se caractérise en effet à présent par une croissance faible voire absente, y compris en Allemagne qui est au bord de la récession. L’Allemagne, aux finances publiques si vertueuses, découvre à présent les infortunes de la vertu !
M. Serge Grouard. Quelle référence !
M. Roger-Gérard Schwartzenberg. Notre pays connaîtra en 2014 une croissance de 0,4 % du PIB. Nous ne sortirons pas de la stagnation en nous polarisant principalement sur la politique de l’offre. En réalité, il faut soutenir à la fois l’offre et la demande. Or celle-ci a été affectée par la forte hausse des prélèvements obligatoires de trente-et-un milliards d’euros supplémentaires au cours des deux dernières années du gouvernement Fillon et de 32,7 milliards d’euros au cours des deux premières du nouveau quinquennat ! Match nul à tous égards ! Le budget 2015 a le mérite de soigner l’overdose fiscale en exonérant de nombreux ménages de l’impôt sur le revenu et en continuant d’alléger les charges des entreprises, mais dans les proportions fortement inégales de trois milliards d’euros pour les ménages et vingt pour les entreprises. Certes, il est normal d’aider les entreprises en période de crise, comme le fait le Gouvernement au moyen du CICE et du pacte de responsabilité qui représentent quarante-et-un milliards d’euros en trois ans. Mais le dispositif comporte deux imperfections majeures.
Il présente d’abord une absence de sélectivité et soutient indistinctement toutes les entreprises quelles qu’elles soient. Ainsi, les secteurs de la banque et de la grande distribution profitent amplement du crédit d’impôt à hauteur de 450 millions d’euros chacun en 2014. La seconde lacune est l’inapplication fréquente des contreparties. Or le dispositif a un objectif déterminé : aider les entreprises afin qu’elles développent l’emploi et l’investissement. Lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier, le chef de l’État a évoqué un observatoire des contreparties. En raison d’un amendement déposé par notre groupe, la loi du 8 août 2014 prévoit sa création, et un amendement adopté jeudi dernier à l’initiative du groupe RRDP précise que le Parlement y sera associé. Celui-ci représente en effet les citoyens qui sont aussi les contribuables. Gardien de l’argent public et de sa bonne utilisation, il doit donc être pleinement représenté au sein de l’observatoire des contreparties.
Malgré ces réserves et bien d’autres encore, notre groupe votera dans sa très grande majorité ce budget, qui cherche à redresser les finances publiques tout en allégeant les charges de certains ménages, ce qui est bien, et celles de toutes les entreprises de manière indifférenciée, ce qui est moins légitime. Votre budget, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, veille par ailleurs à consacrer les crédits nécessaires aux grandes priorités que sont l’éducation, la justice et la sécurité, ce qui mérite d’être pris en compte par notre vote. Celui-ci est l’expression d’un double sentiment mêlant un soutien politique avéré et un enthousiasme budgétaire limité. Sans doute celui-là vous semblera-t-il constituer l’essentiel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)
M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen du budget pour 2015 avec le sentiment qu’en prolongeant le tournant libéral, sans majorité absolue à l’Assemblée, le Gouvernement tourne désormais en rond.
M. Lionel Tardy. Bravo !
M. André Chassaigne. On nous explique qu’il est hors de question de changer la politique économique et budgétaire en dépit de son échec patent et qu’il s’agit au contraire d’amplifier ce qui a échoué. Le Gouvernement et le chef de l’État assument depuis deux ans une politique d’austérité socialement destructrice et économiquement déraisonnable qui a mené à la situation dans laquelle nous sommes : un chômage qui ne cesse de croître, une demande au point mort et des entreprises qui ne peuvent ni ne veulent investir. Pompier pyromane, le Gouvernement s’inquiète désormais publiquement de l’incendie qu’il a contribué à allumer en signalant le risque de déflation !
M. Jean-Paul Bacquet. Ah, le bon vieux temps de la planification !
M. André Chassaigne. Mais si la déflation menace, c’est que le chômage et la politique de baisse du coût du travail pénalisent lourdement le pouvoir d’achat, incitant nos concitoyens à repousser leurs achats en guettant la baisse des prix ! Si la déflation menace, c’est que les entreprises cessent d’investir faute de demande et de débouchés ! Si la déflation menace, c’est enfin que l’obsession de la baisse des dépenses publiques pénalise lourdement l’activité économique, dont celle du secteur privé ! En effet, comme l’a récemment rappelé le collectif des « Économistes atterrés », plus de la moitié de la dépense publique est constituée de prestations sociales telles que la retraite, les soins, les médicaments et les allocations familiales ou de chômage, ce qui non seulement conditionne le bien-être de chacun mais soutient massivement la consommation auprès du privé. Le deuxième grand volet de la dépense publique sert à payer les fonctionnaires et à réaliser les investissements indispensables pour faire vivre les services publics, qui sont le bien collectif le plus précieux et constituent l’unique patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Pour conjurer le risque de stagnation, des solutions existent, en particulier un choix de gauche alternatif à ceux aujourd’hui opérés. L’exigence d’une autre politique grandit dans le pays comme au sein même de cet hémicycle !
M. Jean-Jacques Candelier. Bravo !
M. André Chassaigne. Il faut renoncer au Crédit d’impôt compétitivité emploi qui représente un formidable gaspillage d’argent public et une incroyable aubaine pour certaines grandes entreprises qui distribuent sans scrupule des dividendes toujours plus juteux à leurs actionnaires !
M. Jean-Paul Bacquet. Pensez à celles qui sont implantées dans votre circonscription et auxquelles vous ne tenez sans doute pas le même discours !
M. André Chassaigne. Certes, certaines entreprises, plus particulièrement les PME, doivent pouvoir compter sur le soutien de l’État, mais il est indispensable de s’assurer que l’argent public va bien à l’innovation, à la recherche et aux projets créateurs d’emplois, socialement ambitieux et respectueux des critères environnementaux : ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Il faut également rompre avec la politique d’austérité salariale qui brise le principal levier de la croissance. Les bas salaires ainsi que les contrats précaires et à durée déterminée constituent avec la hausse de la TVA une pénitence imposée chaque jour à des millions de salariés sans que soient reconnues leurs compétences, leur qualification ni même leur expérience ! Enfin, il faut absolument soutenir l’investissement public. Vous proposez tout au contraire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, de nouvelles coupes franches dans le budget de l’État, assorties d’une baisse inégalée de 3,7 milliards d’euros des dotations aux collectivités territoriales qui réalisent pourtant plus de 70 % des investissements publics ! Nous avons pourtant besoin plus que jamais de l’action des collectivités publiques, locales comme nationales, afin de soutenir l’activité, préserver les services publics, répondre à la dramatique pénurie de logements et relever les défis de la transition énergétique et du redressement industriel !
M. Jean-Luc Laurent. Très juste !
M. André Chassaigne. Le budget que vous nous proposez n’incarne nullement une telle ambition mais s’apparente une fois encore à un pur exercice comptable écrit sous la dictée de la Commission européenne !
M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Ce n’est pas vrai !
M. André Chassaigne. Celle-ci détient d’autant moins la légitimité pour administrer aux peuples ses potions amères qu’elle est maintenant dirigée par l’instigateur du détournement de dizaines de milliards d’euros de ressources fiscales des États européens, ceux-là mêmes que l’on somme aujourd’hui de se mettre à la diète ! Comment voulez-vous que de tels scandales n’attisent pas la montée des populismes partout en Europe ?
M. Nicolas Sansu. C’est vrai !
M. André Chassaigne. Bien évidemment, les députés du front de gauche voteront contre le budget ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances pour 2015.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants | 569 |
Nombre de suffrages exprimés | 513 |
Majorité absolue | 257 |
Pour l’adoption | 266 |
contre | 247 |
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinq, sous la présidence de M. Denis Baupin.)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par le Sénat, relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (nos 2331, 2358).
La Conférence des présidents a décidé d’appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé, sur la base d’un temps attribué aux groupes de quinze heures. Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : le groupe SRC, quatre heures quinze minutes ; le groupe UMP, six heures vingt minutes ; le groupe UDI, une heure cinquante minutes ; le groupe écologiste, cinquante-cinq minutes ; le groupe RRDP, cinquante-cinq minutes ; le groupe GDR, cinquante minutes. Les députés non inscrits disposent d’un temps de vingt minutes.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le rapporteur, nous abordons de nouveau un texte qui a fait l’objet de longs débats au sein de la représentation nationale depuis maintenant de nombreuses semaines.
M. Patrick Hetzel. Et ce n’est pas fini !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il porte, dans son texte comme dans son esprit, l’ambition du Gouvernement de réformer profondément nos collectivités territoriales, afin que nous puissions engager le pays dans une modernisation de ses services publics, de la démocratie locale et de ses collectivités publiques locales.
Cette ambition, comme le Premier ministre l’a rappelé à l’occasion de son discours au Sénat, s’articule autour de plusieurs textes, dont certains ont déjà été adoptés par la représentation nationale. Je pense, pour les métropoles, à la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, la loi MAPTAM, qui a donné à notre pays les moyens de créer de grandes métropoles, à l’instar de celles qui peuvent exister au sein de l’Union européenne. Je pense bien entendu au présent texte, qui vise à doter notre pays de grandes régions, à l’instar de celles qui peuvent exister au sein de l’Union européenne, qui ont une véritable capacité d’investissement et de modernisation des territoires dans le domaine des transports de demain, de la transition énergétique, du développement de l’économie numérique ou de l’accompagnement des grandes filières industrielles d’excellence.
Il s’agira également, après que ce texte aura été discuté et, je l’espère, adopté par la représentation nationale, de s’attacher, à travers la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, à clarifier les compétences entre les départements et les régions, et à permettre à l’intercommunalité de monter en puissance, afin que nous disposions d’un tissu de communes mieux dotées d’institutions modernes.
Nous aurons aussi – j’insiste sur ce point, car il est essentiel et le ministère de l’intérieur y prendra toute sa part – à créer les conditions de la modernisation de l’administration territoriale de l’État. Nous avons engagé dans cet esprit, vous le savez, une revue des missions qui permettra de mieux définir les missions qui incomberont aux administrations centrales de l’État au regard des compétences laissées aux administrations déconcentrées présentes sur les territoires. Nous essayerons de définir les conditions d’un fonctionnement plus interministériel des administrations déconcentrées de l’État, sous l’autorité du préfet, doté de pouvoirs nouveaux, qui ne seront pas pris aux collectivités territoriales – rien dans le texte qui vous est présenté ne relève d’une logique de recentralisation – mais aux administrations centrales de l’État.
Nous aurons également une charte de la déconcentration, qui permettra, au début de l’année 2015, de définir les conditions dans lesquelles nous réorganisons l’administration de l’État, à travers les pouvoirs conférés en matière de gestion des ressources humaines et de compétence budgétaire, mais aussi à travers la définition de la carte des implantations de l’État au plan infradépartemental – je pense notamment à la carte des sous-préfectures et à la carte des maisons de l’État.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Voilà.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Voilà la démarche globale dans laquelle nous sommes engagés : de grandes métropoles, trouvant leur pleine et entière place dans de grandes régions que nous nous proposons de constituer, dans un contexte où les compétences des conseils départementaux et des conseils régionaux seront clarifiées, où les intercommunalités monteront en puissance, et où, sur les territoires, une administration déconcentrée de l’État modernisée et interministérialisée jouera le rôle d’affirmation des services publics dont nous avons besoin pour assurer la solidarité là où la relégation, dans les esprits, et parfois dans la réalité, gagne du terrain. Voilà le cadre général.
Pour ce qui concerne plus particulièrement le texte dont nous allons débattre à nouveau dans les heures qui viennent, le Gouvernement – je le répète, le Premier ministre ayant eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises – nourrit le souhait, et même la volonté, que la discussion permette autant que faire se pourra, et j’aurai la patience d’attendre que l’objectif soit atteint, de parvenir à un compromis, et si possible à un consensus, afin de faire en sorte que sur tous les sujets dont nous aurons à connaître, sur toutes les questions que nous aurons à traiter, nous puissions systématiquement parvenir à trouver, dans le dialogue et le respect de la position de l’autre, les bons équilibres, c’est-à-dire ceux qui permettront de créer ensemble les conditions d’une réforme qui parle au pays et lui permette de se moderniser.
De ce point de vue, ce qui s’est passé au Sénat à l’occasion de la deuxième lecture du texte augure bien de la possibilité que nous avons d’atteindre ensemble cet objectif.
Chacun se souvient qu’en première lecture, les sénateurs n’avaient pas souhaité aller au-delà de l’examen de l’article 1er, qu’ils n’avaient pas voté, rendant ainsi sans objet la discussion sur le reste du texte. Mais à l’occasion de la deuxième lecture, ils ont souhaité s’emparer du sujet. Ils ont donc examiné la carte ; ils en ont débattu longuement, et ils ont fini par déterminer ensemble une carte différente de celle adoptée par l’Assemblée en première lecture.
Vous avez souhaité apporter des modifications au texte adopté par le Sénat, en raison de vos préférences, de vos options et de vos orientations, et au terme d’un travail extrêmement approfondi réalisé sous l’égide de la commission des lois. Je remercie son président, Jean-Jacques Urvoas, mais également son rapporteur, Carlos Da Silva, qui a conduit un travail remarquable, avec vous tous, pour faire en sorte que le texte soit approfondi, amendé, et « monte en gamme ». Il n’était pas seul : il a eu à ses côtés des parlementaires de la majorité et de l’opposition. Dans la majorité, je tiens notamment à saluer le travail d’Hugues Fourage ; je remercie aussi les députés de l’opposition, puisque j’ai pu constater dans les comptes rendus des débats de la commission que comme dans la majorité, chacun avait pris sa part à l’amélioration de ce texte.
Les modifications que vous avez apportées au texte adopté par le Sénat sont les suivantes. Vous avez d’abord décidé de réunir de nouveau Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. C’est une sage décision que vous avez prise. Permettez-moi de donner quelques éléments statistiques, même si une réforme des territoires ne peut se réduire à des données démographiques et statistiques. Les régions françaises comptent en moyenne 2,5 millions d’habitants. En Allemagne, la population moyenne des Länder s’élève à 5,3 millions d’habitants, et en Italie, celle des régions – hors régions à statut particulier – à un peu plus de 4 millions d’habitants.
Ce que nous allons obtenir, grâce à cette réforme, ce sont des régions dont la taille correspondra aux standards existant dans les autres pays de l’Union européenne, où la population moyenne des régions est légèrement supérieure à 4,4 millions de personnes.
La région résultant du rassemblement de Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées, comptera, pour ce qui la concerne, des métropoles solides, mais l’enjeu est plus vaste. En effet, ces deux régions ont appris depuis longtemps à travailler ensemble et ont décidé d’unir leurs forces dans un certain nombre de domaines. Des pôles de compétitivité ont pris une dimension interrégionale. Certains enjeux liés aux transports concernent l’une et l’autre région. La région nouvelle, qui comptera un peu plus de cinq millions d’habitants et abritera en son sein des villes puissantes, sera dotée de six pôles de compétitivité parmi les plus forts de France, dont certains auront une dimension mondiale, et comportera quarante-trois laboratoires de recherche.
Si nous créons les conditions de cette réforme régionale, c’est parce que nous voulons que, dans les domaines de la recherche, du transfert de technologies et des investissements stratégiques dont le pays a besoin – dans les secteurs que j’ai précédemment évoqués : le numérique, les transports de demain, la transition énergétique et l’accompagnement des filières d’excellence – les régions aient la taille critique qui leur permette de procéder à ces investissements, de faire ces choix de développement et de croissance. Il leur faut pour cela disposer de suffisamment de laboratoires, de plateformes de transferts de technologies et de relations nouées entre le monde de la recherche fondamentale et le monde de l’entreprise. Nous pourrons ainsi faire monter en gamme nos produits industriels et réussir notre pari de la compétitivité.
C’est cela qui a présidé aux choix de votre commission, comme l’attestent les débats qui l’ont inspirée, en ce qui concerne la révision de la carte présentée par le Sénat dans la partie méridionale de notre pays : je veux parler du rassemblement de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon.
Vous avez également voulu reconstituer la grande région Est. Je sais que cette question se posait, après que le Sénat a fait d’autres choix, notamment s’agissant de l’Alsace.
Mme Sophie Rohfritsch. Excellents choix !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est un sujet qui ne doit pas être occulté de nos débats. Comme le disait l’historien Jean-Marie Mayeur, l’Alsace est une « région mémoire »…
M. André Schneider et M. Claude Sturni. Eh oui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …qui a une profonde conscience de ce que sont ses racines, de ce qu’est son histoire, du rôle qu’elle a pu jouer dans les moments qui ont compté parmi les plus difficiles de l’histoire de France, avec ses héros, ses leaders et ses élus valeureux. En même temps, l’Alsace n’est pas que cela : elle est aussi un territoire de projets et d’investissements, sur lequel une grande ville – Strasbourg – a affirmé sa vocation de capitale européenne en accueillant en son sein le Parlement européen et des institutions européennes. Nous devons considérer cette dernière comme une ville à l’égale de ses homologues françaises mais aussi comme une ville à part, compte tenu de son statut particulier de capitale européenne, auquel nous devons prêter attention.
Je suis convaincu, pour ma part – nous aurons l’occasion d’en débattre tout au long de l’examen de ce texte – que l’Alsace ne perdra pas de son âme et de sa force dans un ensemble plus vaste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…
Mme Sophie Rohfritsch. Mais si !
M. Éric Straumann. Lisez Le Monde d’aujourd’hui !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …qui lui permettra de se tourner vers les grandes régions de l’est de l’Europe, et notamment les Länder allemands, avec lesquels l’Alsace a pris l’habitude de travailler. Je ne crois pas que Strasbourg sera moins forte demain, comme capitale d’une grande région, comme capitale européenne, qu’elle ne le serait comme capitale d’une région de moindre dimension.
M. Patrick Hetzel. Ce n’est pas le sujet !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous devons pouvoir traiter ces sujets ensemble, sereinement, dans le respect des positions de chacun, dans le respect de l’histoire de l’Alsace et de sa vocation européenne, et c’est animé par cette volonté que le Gouvernement abordera cette discussion.
M. Éric Straumann. Il n’y a pas de discussion !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. J’en viens à d’autres sujets que vous avez décidé de traiter au sein de la commission des lois, qui ont fait l’objet de discussions entre vous et dont le rapporteur s’est emparé.
Le premier d’entre eux est de savoir comment nous garantirons la représentation des petits départements dans les grandes régions. C’est un sujet qui a beaucoup occupé le Sénat et le groupe RRDP de l’Assemblée nationale, auquel je veux d’ailleurs rendre hommage pour la contribution qu’il a apportée à nos débats.
Il avait été voté à l’Assemblée nationale, en première lecture, un amendement qui garantissait que les petits départements des grandes régions nouvellement constituées auraient au moins deux représentants, ce qui leur garantissait un niveau de représentation différent de celui qu’aurait assuré l’application mécanique des modèles résultant de la fusion. Le Sénat a décidé d’aller au-delà de cet effort effectué par l’Assemblée nationale, en portant à cinq, au moins, le nombre de représentants, au conseil régional, des petits départements des grandes régions. Tout en comprenant parfaitement la logique de cet amendement, nous étions convaincus qu’il posait des problèmes de nature constitutionnelle. Aussi la décision de votre commission de revenir sur cet amendement nous paraît-elle justifiée.
Le texte, à l’instar de la réforme elle-même, veille à ce que la fusion des régions, la réforme de la carte des régions en France, ne soit pas animée par la volonté de démanteler les régions existantes. Il n’en reste pas moins que des interrogations se sont exprimées sur plusieurs bancs. Il a notamment été proposé qu’au terme de cette réforme, qui n’a pas vocation à remettre en cause l’architecture des régions telles qu’elles existent aujourd’hui, la possibilité puisse être offerte aux collectivités locales concernées de tenir un débat, au terme duquel, une fois qu’une majorité se sera exprimée, des évolutions pourront éventuellement être mises en œuvre. Il s’agit de déterminer le niveau de cette majorité ; pour votre part, vous avez décidé de maintenir une majorité qualifiée des trois cinquièmes. À l’occasion du débat qui se tiendra d’ici quelques heures sur ce sujet, le Gouvernement exprimera très clairement sa position, comme il le fera sur les autres questions.
Le troisième sujet est la date des élections, notamment départementales. Il avait été envisagé de faire coïncider les élections départementales et régionales à la fin 2015, considérant que les conseils départementaux avaient, dans la mouture initiale, vocation à disparaître, et que dès lors, aux termes de la loi NOTRe, il était logique d’organiser ensemble les deux élections. Mais dès lors que le Premier ministre, soucieux d’entendre la représentation nationale et les territoires, a indiqué au Sénat qu’une partie non négligeable des conseils départementaux aurait vocation à demeurer, pour éviter le sentiment de relégation des territoires ruraux ; considérant en outre que les élections départementales ont déjà été reportées une fois ; il apparaissait donc difficile de procéder au report tel qu’initialement envisagé. C’est pourquoi il est proposé d’organiser des élections départementales en mars prochain, comme on l’avait d’abord prévu.
Enfin, le nombre des conseillers régionaux et les conditions de leur rémunération est un sujet qui a également été traité par la commission, sur lequel le Gouvernement exprimera bien volontiers sa position.
Nous sommes soucieux de faire en sorte que les débats que nous avons eus sur le calendrier électoral ne pénalisent pas les candidats, qui ont vocation à assurer, dans les conditions de transparence qui prévalent toujours, le financement de leur campagne électorale dans des conditions respectueuses de la législation en la matière, notamment celle relative à l’ouverture des comptes de campagne. De ce point de vue, nous aurons aussi, sur ce sujet, à débattre et à arrêter la position la plus stable et la plus pertinente possible.
Je ne veux pas être plus long car nous avons déjà débattu et nous débattrons encore, en particulier des amendements, ce qui constituera le point d’orgue de nos échanges.
Ainsi se présentent les choses pour nous. Je forme le vœu que la discussion qui va se nouer, au cours des prochaines heures, sur ce texte important, soit la plus respectueuse possible des positions de chacun et qu’elle permette, par l’effet de l’écoute et de la compréhension, de cheminer ensemble pour que ce texte soit, in fine, voté le plus largement possible et engage notre pays sur la voie de la réforme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Philippe Le Ray. Pas un mot sur la Bretagne ! Je crois que vous souhaitez ignorer beaucoup de choses !
M. le président. La parole est à M. Carlos Da Silva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Carlos Da Silva, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les députés, cette nouvelle étape législative devant notre assemblée est décisive : avec la réforme territoriale, nous bâtissons non seulement de grandes régions renforcées, mais aussi une France moins morcelée, et plus équilibrée, nous mettons en place une architecture mieux adaptée aux enjeux économiques et démocratiques des prochaines décennies, dans l’intérêt de nos concitoyens, de nos entreprises et de toutes les forces qui animent au quotidien notre tissu économique et associatif.
C’est la volonté du Président de la République, du Gouvernement et, comme nous l’avons vu en première lecture, d’une large majorité, que d’enclencher ce grand mouvement, indispensable à l’adaptation et au redressement de notre pays, dans le respect de tous, en nous inspirant des initiatives vertueuses qui existent sur notre territoire. Les Français l’ont d’ailleurs bien compris : la réforme que nous mettons en œuvre est considérée comme une avancée majeure, attendue depuis si longtemps et indispensable au renforcement de notre cohésion territoriale.
Le principe qui nous lie est celui de l’unité de la République, qui fait sa force et qui doit continuer de prévaloir. Plus équilibrée, plus dynamique, mieux décentralisée, notre République sera mieux armée pour lutter contre les disparités territoriales et les inégalités. Aucun territoire n’est laissé de côté. Car c’est bien là notre priorité : mieux organiser la répartition de la puissance publique dans chacun des territoires. C’est par la puissance nouvelle de régions plus fortes que cette unité sera renforcée.
Entendons-nous bien, mes chers collègues : l’enjeu n’est pas seulement économique ou administratif. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Patrick Hetzel. Il est aussi bureaucratique !
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Face aux tentations de repli ou au risque d’isolement qu’ont pu exprimer sur ces bancs certains de nos collègues, l’enjeu de cette réforme est également, sinon d’abord, civique et démocratique.
M. Éric Straumann. Parlons-en : les citoyens ont-ils été consultés ?
M. le président. La parole est au rapporteur et à lui seul !
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Nos concitoyens veulent comprendre qui décide, qui est responsable, qui finance, car le doute et la défiance naissent d’abord de l’incompréhension. Si nous partageons tous ce constat, je sais – et j’entends – que nous sommes aussi très nombreux à partager ces objectifs et que le débat se poursuivra durant cette seconde lecture.
M. Éric Straumann. Un pseudo-débat !
M. Carlos Da Silva, rapporteur. L’idée qu’il faut donner à nos territoires les moyens d’agir plus efficacement, en ordre moins dispersé et de façon plus concertée a fait longuement son chemin. Le débat n’a jamais cessé et aura encore lieu dans les heures qui viennent.
M. Éric Straumann. Mais non, tout est déjà décidé !
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Aussi, fait nouveau, je salue la démarche de nos collègues sénateurs, qui se sont cette fois pleinement saisis de leur rôle de législateurs, après des débuts pour le moins difficiles. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont tenu leurs engagements : il y a eu deux lectures, malgré la procédure accélérée, et ces échanges entre le Sénat et l’Assemblée nationale ont permis, je crois, d’améliorer le texte. Je ne doute pas que les arguments qui ont été retenus par le Sénat et qui ont justifié l’adoption de certaines dispositions du texte qui nous est parvenu seront défendus par un certain nombre d’entre nous et permettront encore d’améliorer ce dernier.
Toutefois, je note que le Sénat n’a que peu modifié la carte adoptée par notre assemblée au mois de juillet ; il s’est prononcé en faveur du droit d’option, de même qu’il a entériné la date des prochaines élections départementales et régionales. Dans un esprit constructif, je veux retenir ces avancées.
Avec nos concitoyens, nos entreprises et nos associations, les futures régions seront les véritables moteurs du développement de notre pays. Elles conduisent toutes des projets essentiels pour l’aménagement durable du territoire, pour la modernisation des transports – et nous savons à quel point, dans notre monde, la mobilité est un défi capital – et pour le redressement de notre appareil productif, si cruellement affaibli au cours des dernières années.
Aujourd’hui, plus que jamais, les régions doivent être le levier du renforcement de notre économie, dans un contexte international de compétition féroce. Elles sont le levier indispensable pour stimuler et accompagner la création d’entreprises et d’emplois ; elles sont le levier indispensable pour accélérer la mise en œuvre de la transition énergétique et numérique à tous les échelons.
En renforçant leur capacité d’agir sur des territoires pertinents,…
M. Éric Straumann. Avec quels moyens ?
M. Carlos Da Silva, rapporteur. … en les dotant des moyens suffisants, en confiant des responsabilités fortes et mieux identifiées à leurs élus, nous pourrons enfin débrider les énergies et la créativité de nos concitoyens.
M. Patrick Hetzel. Ce n’est pas dans le texte et vous le savez !
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui n’est en rien déconnecté des réalités et des attentes des Français.
M. Éric Straumann Mme Sophie Rohfritsch et M. Patrick Hetzel. Mais si !
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Il est, je le crois, le socle de la grande réforme territoriale que nous attendions tous et qu’enfin ce Gouvernement et cette majorité ont eu le courage de mettre en œuvre, dans l’intérêt de chacune et chacun. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Éric Straumann. Avec les Corses, vous n’avez pas osé !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette deuxième lecture est attendue car plusieurs aspects du texte vont encore évoluer. C’est la raison pour laquelle je voudrais consacrer ces quelques minutes à vous convaincre de manifester de la souplesse sur le fameux droit d’option. (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et UDI et sur plusieurs bancs des groupes UMP et SRC.)
Vous aurez noté comme moi que plus personne n’en conteste l’utilité. Et cela se comprend aisément. Les conditions d’élaboration de cette réforme ont suscité d’inévitables tensions territoriales et ce mécanisme apparaît à beaucoup comme une sorte de soupape de sécurité susceptible de les amortir.
Cependant, à mes yeux, ce droit d’option est bien plus que cela. Il doit être perçu comme la consécration de l’intelligence des territoires, comme la prise en compte de l’expertise indispensable des élus locaux, voire comme l’attention accordée aux aspirations exprimées par les citoyens. Voilà pourquoi cette seconde lecture doit faire évoluer ce mécanisme et le transformer en une véritable avancée démocratique.
M. Antoine Herth. Très bien !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous n’y sommes pas encore ; c’est ce qui justifie mon propos.
M. Patrick Hetzel. Excellent !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Pour le moment, soyons honnêtes, ce droit d’option n’est qu’une virtualité, y compris dans la rédaction issue des travaux de la commission. Il est improbable qu’un département puisse quitter sa région d’origine dans un consensus général.
M. Paul Molac. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Celle-ci le vivra toujours au mieux comme une manifestation d’ingratitude, au pire comme une forme de violence. Il est donc vain de croire qu’elle ne tentera pas par tous les moyens de s’y opposer. Lui donner en conséquence une faculté de veto revient en réalité à verrouiller à l’excès ce droit d’option. Peut-être d’ailleurs serait-ce même contraire au principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre qui figure dans la Constitution. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) C’est d’ailleurs pour cela qu’en décembre 2003, lorsque les électeurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ont été appelés à s’exprimer sur leur autonomie institutionnelle par rapport à la Guadeloupe, nul n’a songé à octroyer à cette belle région un quelconque pouvoir de blocage. Il faut donc imaginer des modifications pour que la région d’origine ne puisse pas bloquer toute évolution.
M. François Sauvadet. Et voilà !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Toutefois, le mécanisme ne doit pas se dispenser de toute règle, car il ne faudrait pas que chaque alternance politique dans les collectivités se traduise par un grand chamboule-tout territorial. Le changement de région de rattachement ne peut pas être une foucade, même punitive. Il nous faut donc tout faire pour que ce droit devienne une vraie possibilité.
L’option minimaliste consisterait évidemment à supprimer la majorité qualifiée des trois cinquièmes exigée pour les délibérations du département et de la région d’arrivée, tout en la maintenant pour la région de départ. Mais je suis plus optimiste sur la volonté du rapporteur d’évoluer. Je crois que la solution la plus satisfaisante serait de prendre la décision à la majorité simple du département et de la région d’arrivée, la région de départ n’étant consultée que pour avis. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC et sur les bancs des groupes RRDP, UMP et UDI.)
La question peut se poser également de la participation de la population à un processus dont on l’a peut-être exclue un peu trop vite.
M. Éric Straumann. Tout à fait !
M. François Sauvadet. Très bien !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nul doute que nous payons le prix de l’échec enregistré en 2013 en Alsace.
M. Éric Straumann. Une majorité s’est prononcée pour, monsieur le président !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Nous avons souvent évoqué cette question grâce à la pugnacité de nos collègues alsaciens que, bien sûr, je salue.
À mon sens, l’inquiétude sur cette question référendaire n’est pas fondée. Rappelons que la consultation du 7 avril 2013 au sujet de ce très beau projet de collectivité unique alsacienne, que j’aimerais voir imiter dans d’autres régions,…
Mme Arlette Grosskost. C’était en effet un très beau projet !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. … s’est traduite par une écrasante victoire du « oui » – 57 % des suffrages exprimés – (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et que ce sont d’inutiles et drastiques conditions de validation du vote qui ont abouti à l’abandon du processus.
M. Patrick Hetzel. Écoutez-le, monsieur le ministre !
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois. Il faut écouter tout ce que je dis, pas simplement ce qui vous fait plaisir, chers collègues de l’opposition !
Je suis donc ouvert, pour ma part, à tout amendement qui intégrerait la dimension référendaire.
Il reste enfin une sorte d’option mixte, qui consisterait à conditionner le rattachement soit à un avis favorable de la majorité des membres du département intéressé et de la région d’accueil, soit à une demande formulée par l’une ou l’autre de ces collectivités et qui serait ensuite soumise à une consultation dans les deux territoires.
Dans cet hémicycle, en octobre 2008, avec Jean-Luc Warsmann et Didier Quentin, j’en avais appelé à un véritable big bang territorial. La formule, radicale, avait sans doute un peu effrayé. Je veux bien l’oublier, mais au nom de la cohérence des positions que nous avions alors défendues dans le rapport de la commission des lois.
Hier comme aujourd’hui, je persiste à penser que le choix qu’il nous incombe d’opérer est purement politique.
De la même manière que je crois à la nécessité de redessiner une nouvelle carte des régions, tâche que s’est assignée le Gouvernement, je crois que cette profonde réforme doit demain peut-être évoluer en dehors des murs du Parlement, dans les territoires, au plus près des aspirations des citoyens.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je vous invite à faire preuve de compréhension sur les propositions d’amendements au sujet du droit d’option. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC et sur les bancs des groupes RRDP, UMP et UDI.)
M. Paul Molac. Très bien !
M. François Sauvadet. M. Urvoas a été brillant !
M. Michel Piron. Mais il a été assez approximatif sur le droit d’option !
M. Thierry Benoit. Il a été visionnaire sur le droit d’option !
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Krabal.
M. Jacques Krabal. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous connaissez les propositions que je souhaite défendre dans cet hémicycle ; je les ai déjà fait valoir devant vous en première lecture. Elles sont celles d’une très large majorité d’élus et d’une grande partie des habitants du département de l’Aisne. Porter leur voix ici même est mon engagement. Y défendre leur intérêt est la seule motivation qui m’anime. Aussi, concernant le sujet dont nous débattons cet après-midi, je m’attacherai bien plus aux principes et à la logique qu’à la carte en elle-même.
En effet, on nous parle d’économies d’échelle sans jamais les avoir démontrées,…
M. François Sauvadet. C’est tout à fait vrai !
M. Jacques Krabal. … et les questions sans réponse sont multiples, notamment sur les compétences, les modalités de financement, le calendrier. Il faut le reconnaître : tout n’est que confusion !
Le débat sur la carte de la réforme territoriale aurait gagné à voir ces sujets traités ensemble, globalement, et non indépendamment les uns des autres. Certains de nos collègues ont parlé de « saucissonnage » ou de « charcutage » des territoires. Ce projet va finir par être indigeste pour beaucoup d’entre nous tant il est éloigné des préoccupations de nos concitoyens.
Les nouveaux périmètres seraient indispensables, dit-on, pour affronter les grands défis de l’avenir, mais je reste convaincu que le seul argument qui vaille est non pas celui de la taille des régions, mais bien celui des synergies effectives ou potentielles – économiques, démographiques, de flux, des infrastructures – qui existent entre les territoires eux-mêmes, en lien avec les métropoles voisines.
Mme Sophie Rohfritsch. Très bien !
M. Jacques Krabal. C’est le cas du département de l’Aisne avec la métropole rémoise et la région Champagne-Ardenne.
Monsieur le ministre, si la carte idéale n’existe pas, comme vous le dites, et vous avez raison, nous devons néanmoins la faire progresser, encore et encore. Mais pour cela, il faut le vouloir et il faut non seulement écouter mais aussi et surtout entendre les élus et les populations qui émettent d’autres avis. « […] le débat n’a de véritable intérêt – au plan parlementaire comme au plan politique – que s’il conduit chacun, fort de ses convictions, à aller au bout de son raisonnement, tout en essayant, dans ce mouvement, de bâtir un compromis avec l’autre qui éventuellement ne pense pas comme lui. » C’est vous qui avez prononcé ces mots au Sénat, monsieur le ministre ; je ne peux que les reprendre et vous donner raison. Vous avez d’ailleurs insisté sur les notions de compromis et de consensus lors de votre intervention voilà quelques instants.
Pourtant, force est de constater que les compromis proposés par nos collègues sénateurs n’ont pas fait long feu dans la moulinette de la commission des lois… Les nombreux échanges que nous avons eus au nom du collectif du département de l’Aisne avec le Président de la République, vous-même, monsieur le ministre, M. le secrétaire d’État André Vallini, le directeur de cabinet du Premier ministre ou encore M. Carlos Da Silva, rapporteur de ce projet de loi, ont connu le même destin. À la fin de nos aimables entretiens, il nous a toujours été dit que nos propositions étaient pleinement justifiées et que, bien entendu, l’Aisne n’avait rien à faire dans la nouvelle région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, ce qui est très agréable à entendre, j’en conviens. Cela n’a cependant jamais été pris en compte. En d’autres termes : « Cause toujours, nous ferons ce que nous voudrons. »
Vous comprendrez ainsi mon manque d’enthousiasme au moment où nous nous engageons dans cette deuxième lecture. Pourtant, en faisant fusionner la Picardie, donc en particulier l’Aisne, avec le Nord-Pas-de-Calais, on ne suscite rien d’autre que de l’incompréhension, à la fois dans ce département et auprès de certains élus du Nord-Pas-de-Calais, de Mme Martine Aubry et bien d’autres encore.
Ainsi que le sénateur Michel Delebarre l’exprimait clairement devant vous, monsieur le ministre, le Nord-Pas-de-Calais n’a rien à voir avec la Picardie dans le domaine des coopérations et des perspectives de développement. L’avenir économique de ces territoires est orienté non pas vers le sud ou l’est, mais vers la Belgique et le nord de l’Europe.
Monsieur le ministre, si nous pouvons nous entendre sur la cohérence d’un rapprochement entre la Somme et le Nord-Pas-de-Calais, il n’en est pas de même concernant la Picardie dans son ensemble, car la Picardie ce n’est pas que la Somme ! L’Aisne n’a jamais été picarde, et nous ne serons jamais davantage nordistes !
Monsieur le ministre, aucun élément consistant ne permet de légitimer ce mariage contre-nature, et vous avez eu bien des difficultés à trouver des arguments pour le légitimer au Sénat. Ainsi, vous avez évoqué comme seule coopération le partenariat entre l’université de technologie de Compiègne et l’université de Lille. C’est un peu maigre, alors qu’il en existe de nombreux entre les établissements d’enseignement supérieur de Picardie et l’université de Reims.
Nous disposons d’ailleurs d’une véritable étude d’impact justifiant la pertinence du rapprochement avec la Champagne-Ardenne. Elle est ici, monsieur le ministre, je viens de vous la montrer. Nous attendons en vain celle qui a présidé à la décision de fusionner les régions de Picardie et du Nord-Pas-de-Calais, car nous savons bien sûr qu’il n’y en a pas, et que ce choix repose sur des arbitrages partisans visant à favoriser M. Untel plutôt que Mme Unetelle.
M. André Schneider et M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !
M. Jacques Krabal. Pour ma part, je préfère me référer aux évidences. Reims, douzième ville de France, est située au croisement de la Picardie et de la Champagne-Ardenne, ainsi qu’au croisement des autoroutes A 4 et A 26, qui assurent le lien entre ces deux régions. Comme vous l’ont rappelé les trois sénateurs de l’Aisne Yves Daudigny, Antoine Lefèvre et Pascale Gruny, tous trois hostiles à votre carte, les deux tiers des territoires du département de l’Aisne sont engagés depuis de nombreuses années dans une politique de métropolisation autour de la ville de Reims au travers d’un pôle nommé G 10.
Sur le plan économique, nous pourrions évoquer l’un des rares pôles de compétitivité à vocation mondiale « Industries et agro-ressources ». Nous pourrions tout aussi bien arguer du fait qu’après la Marne, nous sommes le premier producteur de Champagne, produit qui pèse pour 4 milliards d’euros dans notre PIB. En ce sens, il apparaît indispensable que nos départements puissent recourir d’emblée à leur droit d’option pour faire valoir leurs choix.
Vous dites que le droit d’option pourrait être un droit à l’instabilité territoriale, monsieur le ministre. Ce n’est pas respectueux pour les élus départementaux. L’instabilité n’est pas le fait des élus mais plutôt le résultat de la méthode utilisée dans le cadre de cette réforme.
M. Patrick Hetzel. Très bien ! Très juste !
M. Jacques Krabal. Le droit d’option, c’est non pas ouvrir la boîte de Pandore, mais ouvrir le débat. C’est donner la parole aux élus de proximité, aux élus de terrain.
M. Jean-Luc Reitzer. Très bien ! Il faut écouter les élus !
M. Jacques Krabal. Au Sénat, vous avez affirmé vouloir maintenir le conseil départemental ; c’est une bonne chose pour la ruralité. Mais tout de suite après, vous limitez sa liberté d’action en cadenassant le droit d’option. C’est incompréhensible. Faites confiance aux élus, au peuple, et faites vivre la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et UMP.)
Vous prônez la confiance, mais vous la refusez aux élus. Oui, il faut un droit d’option qui donne la liberté de choix aux élus départementaux et qui soit applicable rapidement.
Tel est le sens des amendements que nous avons déposés. Si vous les rejetez, ayez alors l’honnêteté politique d’abroger purement et simplement le droit d’option, car il ne serait alors qu’un miroir aux alouettes !
Inscrire dans la loi une disposition inapplicable n’aurait aucun sens. Je me félicite bien évidemment des annonces faites par le président de la commission des lois. Le droit d’option doit nécessairement être mis en œuvre dans des conditions différentes de celles pressenties : il est anormal que la région d’origine ait un droit de veto sur ce que la population d’un département déciderait pour elle-même.
Je reste un partisan de la réforme territoriale, pour plus de clarté et d’efficacité, mais à condition que l’on se base sur les réalités du terrain, que l’on respecte la volonté des populations de nos territoires et la parole de leurs élus !
M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !
M. Jacques Krabal. À condition, également, que cette réforme ouvre des perspectives de progrès et de développement. La carte que vous proposez pour le département de l’Aisne, avec le droit d’option tel qu’il est proposé, ne nous offre malheureusement aucune de ces perspectives.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, comment pouvez-vous ne pas entendre ce qu’écrivait Jean de La Fontaine : « Je suis un homme de Champagne » ? Oui, une majorité d’Axonais sont des femmes et des hommes de Champagne. Je vous remercie de les entendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.
M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme en première lecture, l’essentiel de la discussion de ce projet de loi reste focalisé sur la question des périmètres régionaux. Comme en première lecture, notre groupe restera délibérément à l’écart des tractations et marchandages de la carte régionale, car les véritables enjeux sont ailleurs.
Je veux cependant redire avec force que la démocratie exigerait qu’il n’y ait pas de regroupement ou de fusion sans débat public, pas de regroupement ou de fusion sans consultation des habitants !
M. Jean-Luc Reitzer. Absolument !
M. Marc Dolez. Un mot, monsieur le ministre, sur le calendrier électoral, puisque, depuis la première lecture, vous avez renoncé au report des élections départementales, craignant une probable censure du Conseil constitutionnel – risque que, par ailleurs, le Gouvernement aurait dû entrevoir avant. Même si les élections départementales se tiennent comme prévu en mars, cela n’évitera pas une certaine confusion : on ne sait pas dans quels départements et sous quelle forme les conseils départementaux seront maintenus, et le texte sur la répartition des compétences n’est pas encore examiné.
Pour nous, les enjeux sont ailleurs ! Car la réforme territoriale en cours bouleversera l’organisation territoriale de notre pays pour plusieurs décennies, balayant les grandes avancées républicaines qui ont jalonné notre histoire.
Derrière ce redécoupage des régions se profile un séisme institutionnel. De grandes régions disposant de compétences élargies, grâce à d’importants transferts de l’État, lequel irait jusqu’à leur confier un pouvoir réglementaire…
Mme Arlette Grosskost. Il vaudrait mieux !
M. Marc Dolez. …tout cela porte le germe d’une organisation fédéraliste, en lieu et place de notre République une et indivisible.
Plusieurs députés du groupe UMP. Il a raison !
M. Marc Dolez. Face à un tel risque, il aurait été légitime d’engager un grand débat national, car rien de sérieux et de durable ne peut se construire sans y associer étroitement les citoyens et leurs élus, les partenaires économiques et sociaux ainsi que les personnels territoriaux.
Mais le Gouvernement s’y est refusé, préférant précipiter l’examen d’un texte élaboré sans concertation, sans étude d’impact sérieuse, et surtout sans vision stratégique. La logique aurait également voulu que nous examinions en priorité les fonctions et les compétences des régions, pour déterminer l’espace qu’elles devraient occuper. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Reitzer. Vous avez pris le problème à l’envers !
M. Marc Dolez. Avant de réfléchir aux périmètres des régions, il fallait aussi s’interroger sur les moyens financiers et humains dont elles pourront disposer pour exercer leurs nouvelles compétences.
Dès lors, il n’est pas étonnant que le manque de visibilité et l’absence d’écriture précise de la future organisation territoriale suscite l’inquiétude légitime de la plupart des élus locaux, comme le confirmera, à l’évidence, le congrès des maires de France, la semaine prochaine.
Sans surprise, la commission des lois a rétabli le découpage en treize régions adopté par notre assemblée en première lecture. Un découpage souvent sans lien avec la réalité des bassins de vie et qui pourrait se résumer en trois mots : arbitraire, gigantisme et austérité.
À l’instar des super-métropoles, il s’agit ici de créer des super-régions qui, nous dit-on, pourront rivaliser avec d’autres régions européennes, allemandes notamment, et dans le même temps, réaliser des économies.
M. Jean-Luc Reitzer. Un problème de taille !
M. Marc Dolez. Or, comme l’a souligné Philippe Subra, professeur à l’Université de Paris VIII, lors d’une table ronde au Sénat le 24 juin : « La constante référence au modèle allemand n’est pas justifiée. Les Länder sont de taille très variable, issus d’un découpage opéré au lendemain de la guerre pour organiser l’occupation du territoire allemand. La France ne peut s’identifier à un modèle fédéral qui ne correspond ni à son histoire ni au projet proposé. »
Le choix d’une « länderisation » de nos institutions ne correspond effectivement pas à notre histoire. Au fédéralisme, nous opposons la décentralisation et le rôle de l’État, garant de l’égalité républicaine.
De plus, comme le rappelle le géographe Gérard François Dumont, aucun pays démocratique n’envisage de réduire d’un tiers le nombre de ses régions, et la taille moyenne des régions françaises est supérieure à celle des Länder. La comparaison devrait nous amener à souligner la force de frappe financière des Länder, le budget d’un Land représentant huit fois celui d’une région française. C’est pourquoi nous réfutons l’idée que la grandeur du territoire soit un critère d’attractivité ou d’efficacité économique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Par ailleurs, contrairement à ce qui est martelé, il est loin d’être acquis que cette structuration en grandes entités soit source d’économies. Au contraire, elle engendrera inévitablement des surcoûts, dus à la réorganisation des services, aux transferts de compétences envisagés ou à la refonte de toute la communication institutionnelle.
L’expérience montre que les coûts croissent avec la taille. Même les agences de notation prévoient que cette réforme entraînera des dépenses supplémentaires pendant cinq à dix ans !
En réalité, personne n’est dupe. Les économies promises sont irréalistes, elles engendreront avant tout des restrictions budgétaires sur les services à la population. La baisse de la dépense ne se fera qu’au prix de coupes brutales dans les services publics, objectif inavoué et non assumé de la réforme.
Oui, l’objectif de la réforme territoriale est bien de faire diminuer la dépense publique. Pour cela, le Gouvernement impose aux collectivités une double contrainte : la baisse des recettes par la diminution constante des dotations de l’État et la réduction de leur champ d’action avec la disparition de la clause de compétence générale.
Un véritable plan d’austérité s’applique aujourd’hui aux collectivités locales : une ponction de 11 milliards d’euros, d’ici 2017, soit une baisse cumulée, chiffrée par l’association des maires de France, de 28 milliards pour la période 2014-2017, une amputation de 30 %. Du jamais vu ! Ce plan d’austérité se traduira inéluctablement par la réduction et la dégradation des services publics essentiels rendus aux populations. Il portera aussi un coup très dur à la capacité d’investissement des collectivités locales, et donc à l’emploi, à la croissance et au développement économique.
Cette baisse des investissements pourrait atteindre 10 % dès cette année et, par exemple, menacer directement près de 10 000 emplois en Île-de-France à très court terme et des milliers d’emplois dans une région comme le Nord Pas-de-Calais. Est-il besoin de rappeler que les collectivités locales réalisent près des trois quarts de l’investissement public ? Asphyxier les collectivités locales revient à paralyser l’investissement.
Comment, dès lors, s’étonner que 13 000 conseils municipaux, de tous horizons politiques, aient voté une motion de soutien à l’action de l’Association des maires de France, demandant de faire cesser l’hémorragie. Pour notre part, nous considérons que la décentralisation ne peut pas, ne doit pas s’envisager à l’aune de la rigueur financière.
Or c’est bien l’austérité qui est inscrite au cœur de cette réforme territoriale, menée au pas de charge : super-régions loin des besoins des citoyens, métropoles aspirant les collectivités, communes et départements vidés de leur substance, intercommunalités géantes d’au moins 20 000 habitants, et en prime, le chamboulement de dix à quinze années de travail de coopération volontaire entre communes, au profit de territoires sans projets.
Est-il besoin de préciser que cette « reconcentration » des pouvoirs au profit de ces super-structures est contraire à l’esprit même de la décentralisation engagée par les lois de 1982 et 1983 ? Trente ans plus tard, c’est la démocratie locale qui est menacée, au prix d’un inévitable renforcement de la technocratie et de la bureaucratie. Personne ne peut croire que l’on pourra renforcer la démocratie dans notre pays et répondre à la grave crise de la représentation en réduisant le nombre d’assemblées élues et le nombre d’élus locaux de proximité, et en éloignant toujours plus les citoyens des lieux de décision et de pouvoir. Pour prendre cet exemple parmi d’autres, qui peut croire que la gestion des routes départementales ou des collèges de la Lozère sera mieux assurée depuis Toulouse ?
Comme le souligne Nelly Ferreira, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, « le fait que toute cette reconstruction se fasse de manière concomitante sans qu’il n’y ait d’anticipation quant aux effets, ne peut laisser d’inquiéter : comment gérer dans le même temps le regroupement de grandes régions, l’instauration d’intercommunalités éloignées, auxquels pourrait s’ajouter la suppression des départements ? […] la réforme qui consiste, après plusieurs années d’immobilisme, à tout vouloir faire en même temps, apparaît contre-productive. »
Enfin, et ce n’est pas la moindre des conséquences, cette nouvelle carte territoriale qui se dessine aggravera encore la fracture entre nos territoires, alors même que plusieurs études, dont celle publiée le 3 juin par l’INSEE, montrent que les inégalités territoriales ont atteint un niveau record. L’essentiel des richesses sera concentré au cœur des métropoles, et soutenu par la puissance publique régionale, tandis que le reste des territoires sera voué aux reculs économiques et sociaux et, de fait, condamné à une mort lente.
Comment ne pas être interpellé par l’implacable diagnostic délivré par Christophe Guilluy, dans La France périphérique, essai publié récemment : « La théorie de la « main invisible », d’après l’expression d’Adam Smith, défend l’idée que l’intérêt privé des individus conduit mécaniquement à des effets bénéfiques pour la société tout entière. Appliquée au marché, elle revient à considérer que le libre-échange, le commerce bénéficient en dernier ressort à l’ensemble de la société, y compris aux plus faibles. Le concept de métropolisation repose sur la même logique : on considère que, in fine, tous les territoires bénéficieront du dynamisme métropolitain, y compris les plus fragiles socialement et économiquement. Nous en sommes loin. Une récente note de l’Insee montre que la crise a accentué les inégalités entre les métropoles et les territoires de la France périphérique. Les villes petites et moyennes ont ainsi enregistré une forte augmentation de leur taux de chômage.
En réalité, le vrai débat n’est pas de savoir si le modèle métropolitain est pertinent économiquement. Il est de savoir s’il fait ou non société. S’il permet de tirer vers le haut les autres territoires et d’intégrer économiquement les catégories modestes qui vivent à l’écart des métropoles ou si le rôle des métropoles se limite à redistribuer un minimum de ressources vers des territoires condamnés et des populations inutiles. »
Face à une compétition toujours plus féroce entre les territoires, la question essentielle est bien celle de l’aménagement du territoire. Je reprendrai une formule qu’affectionne particulièrement le président de notre groupe André Chassaigne : alors qu’il conviendrait de faciliter l’irrigation de tout le territoire pour permettre son développement, votre réforme reviendra à drainer l’eau vers un point central.
Le bouleversement de l’édifice républicain que vous nous proposez est-il de nature à répondre au défi de l’aménagement du territoire ? À l’évidence non, puisque ce big bang territorial s’inscrit dans une vision économique libérale et une mise en concurrence conforme aux dogmes de l’Union européenne, rappelés avec précision dans les recommandations que la Commission a adressées à la France les 29 juin 2013 et 3 juin 2014. Parce que nous refusons la dégradation à tous les niveaux de l’action publique, parce que nous refusons la mise en concurrence des territoires et l’éloignement des lieux de décision, nous combattons avec détermination et conviction la réforme territoriale en cours.
Nous ne sommes pas pour autant opposés à toute évolution sur la base d’un vrai bilan de l’application des lois de décentralisation. Encore faudrait-il associer l’ensemble des forces sociales intéressées, organiser un véritable débat national et le faire trancher par le peuple, par référendum. Pour notre part, nous restons attachés aux trois niveaux de collectivité, commune, département et région, l’État restant bien sûr le garant de la cohésion et de la solidarité nationales.
Une fois rappelées les principales vocations de chacun de ces échelons, nous préconisons de nouvelles avancées pour en démocratiser le fonctionnement, améliorer les services publics locaux, développer tous les partenariats possibles et monter des projets communs entre les collectivités territoriales dans le respect de toutes les parties prenantes, afin de renforcer l’efficacité de l’action publique et toujours mieux répondre aux besoins et aux attentes de la population.
À cette fin, les collectivités devraient disposer d’assemblées élues à la proportionnelle, de la clause de compétence générale et de ressources fiscales propres. Rappelons l’urgente nécessité d’une réforme fiscale d’envergure qui rétablirait notamment un impôt économique territorial assis sur le capital des entreprises et taxant les actifs financiers. Notre attachement aux trois niveaux de collectivités ne s’oppose pas, bien entendu, à une intercommunalité de projets sur une base coopérative et volontaire, organisée autour de compétences partagées et dotée de ressources propres nécessaires. À tous les niveaux, nous voulons promouvoir la coopération plutôt que la concurrence. C’est dans cet esprit que les députés du Front de gauche préconisent une véritable réforme des institutions dans le cadre de la nécessaire VIe République qu’ils appellent de leurs vœux. C’est aussi pour toutes ces raisons que, comme en première lecture, ils s’opposeront résolument à ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Hugues Fourage.
M. Hugues Fourage. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, notre assemblée est aujourd’hui saisie en deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales, en modifiant le calendrier électoral.
En première lecture, le Sénat avait supprimé les articles les plus essentiels de ce projet de loi.
M. Jean-Luc Reitzer. Très bien !
M. Hugues Fourage. En deuxième lecture, au contraire, il a adopté un texte substantiel, comportant en particulier un nouveau découpage en quinze régions au lieu de treize dans le texte adopté par notre Assemblée en première lecture.
M. Jean-Luc Reitzer. Les sénateurs sont sages.
M. Hugues Fourage. Nous pouvons nous réjouir du choix du Gouvernement qui, en dépit de l’engagement de la procédure accélérée, a permis à chacune des deux assemblées de se prononcer à deux reprises sur ce texte avant que soit convoquée une commission mixte paritaire.
Avant d’aborder les éléments essentiels de ce texte que sont la carte et le droit d’option, permettez-moi quelques petites remarques liminaires. Tout d’abord, n’oublions pas que l’objectif de ce projet de loi, comme l’a rappelé le ministre Bernard Cazeneuve, est de mettre en place de grandes régions à taille européenne et de réaliser des économies d’échelle, surtout dans le contexte budgétaire que nous connaissons.
Certes, le problème de la clarification des compétences ne manquera pas de se poser mais c’est la question de la poule et de l’œuf. On nous dit d’un côté qu’il faut commencer par délimiter, de l’autre qu’il faut s’occuper d’abord des compétences. L’essentiel demeure que nous parvenions à mener cette réforme territoriale et à dessiner une nouvelle carte des régions.
S’agissant par ailleurs de l’administration d’État au niveau décentralisé, nous oublions trop souvent que la contrepartie de cette grande réforme des régions est le réarmement de l’État, notamment au niveau des départements, pour instaurer de véritables services publics dont le besoin se fait particulièrement ressentir dans les zones rurales.
J’en viens à la carte, au sujet de laquelle nous avons tout entendu. Je ne retiendrai qu’une seule chose : le Sénat a réussi à en voter une. La carte idéale n’existe pas – ce ne sont pas mes collègues alsaciens qui diront le contraire. À ce propos, permettez-moi de revenir sur des propos que j’ai pu tenir en commission des lois et qui ont été très mal perçus : j’aime le Gewurztraminer !
M. Patrick Hetzel. La formule n’était pas la même !
M. Hugues Fourage. Revenons à cette carte. Nous le savons, elle ne peut pas être idéale et les périphéries posent souvent problème mais au moins n’est-elle pas très éloignée de celle dessinée par le Sénat, à deux exceptions près. Nous avons rétabli le regroupement des régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées et celui des régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine.
M. Jean-Luc Reitzer. Quelle folie !
M. Hugues Fourage. Ce rétablissement n’est pas une lubie. Nous pensons simplement que cette carte correspond au plus grand dénominateur commun (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.). Certes, des questions se posent mais ce sera toujours le cas. Rappelons que la région des pays de la Loire soulevait des interrogations également, il y a quarante ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Au-delà de la délimitation des régions, l’important est que les élus puissent déterminer un projet de territoire, travailler ensemble et élaborer une stratégie commune pour développer leur territoire. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
J’en viens au droit d’option. La possibilité de se rassembler a toujours été ouverte mais nous constatons aujourd’hui que les débats se cristallisent sur cette question qui est devenue l’un des enjeux de ce texte. Majorité qualifiée ? Trois cinquièmes ? Majorité simple ? Référendum ? Un débat est nécessaire et je ne doute pas qu’il intéresse tous les bancs de notre assemblée.
Le droit d’option doit régler plusieurs questions, à commencer par celle de la liberté de choix. Il ne doit pas être un enjeu permanent en matière électorale – gardons-nous de cet écueil. Il doit également prendre en compte la région de départ, parce qu’un certain travail a été réalisé pendant quarante ans et que les enjeux sont d’ordre budgétaire, financier et économique.
Au-delà des objectifs de la réforme, je voudrais répondre gentiment à Marc Dolez que la France est un bloc rendu indivisible par le ciment de l’Histoire. Je suis vendéen, héritier à double titre de Clémenceau, de son territoire et de sa pensée. Je sais ce que signifie l’identité.
M. Éric Straumann. Clémenceau a défendu l’Alsace !
M. Hugues Fourage. Je suis fier de mes origines mais la France doit rester une et indivisible. L’histoire de nos régions, de nos départements, de leur culture, de leur langue, qui en font la richesse, ne disparaîtra pas. La République est le ciment de la France. Elle transcende ces idées, elle dépasse les particularités et elle fonde notre identité.
M. Éric Straumann. Faites donc une région unique !
M. Hugues Fourage. La volonté d’adapter le cadre territorial et le refus de la paralysie doivent être les moteurs et les marqueurs de notre action. Avec cette réforme, mes chers collègues, vous refuserez le repli sur soi, vous aurez une vision positive de l’avenir, vous appellerez au rassemblement d’une France forte, au sein de régions fortes. Vous direz oui à des territoires innovants, oui à une réforme territoriale qui permette d’adapter le cadre, d’aller de l’avant pour que les régions soient, demain, à taille européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Gaymard.
M. Hervé Gaymard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, dans quelques semaines, à l’issue de la commission mixte paritaire, et peut-être encore deux pénibles lectures dans notre assemblée, ce projet de loi sera sans doute adopté, après un parcours chaotique, mais le Gouvernement pas plus que la majorité n’auront de quoi pavoiser.
Le calendrier électoral des élections territoriales sera enfin précisé in extremis. Ce sera la première fois dans l’histoire de la République que de tels atermoiements, une telle improvisation, auront été de mise pour l’organisation de scrutins (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Les électeurs et les candidats n’auront ainsi été fixés sur le calendrier que trois mois avant les élections départementales ! Ce n’est pas le signe d’une démocratie mature, ni du respect, qui devrait être naturel, des échéances démocratiques et républicaines.
Le bilan n’est pas plus flatteur s’agissant du découpage des régions.
Tout d’abord, vous n’arriverez pas à convaincre l’immense majorité des élus et de la population alsacienne, qui ne veulent pas être dissous dans un ensemble plus vaste, malgré le droit local, et qui n’a pas de consistance historique et économique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.). Vous n’avez pas davantage entendu ce que vous disent les Bretons, ni ce que vous assène la frondeuse Martine Aubry, du haut de son beffroi de Lille.
Vous qui n’avez que le mot « démocratie » à la bouche, vous aurez conduit ce redécoupage hâtif et contingent, improvisé – souvenons-nous de cette image du Président de la République, ne se lassant pas de jouer nuitamment, sur un coin de bureau, au Meccano du redécoupage, modifiant sans cesse les équilibres, pour s’en remettre finalement au hasard –, vous aurez conduit ce redécoupage saugrenu, sans même consulter les assemblées intéressées. Aurions-nous procédé de la sorte, je n’ose imaginer vos cris d’orfraie, convoquant les icônes de la République, et évoquant même, j’en fais le pari, les heures sombres de notre histoire… Mais nimbés de votre bonne conscience, tout vous est évidemment permis ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Cependant, le plus grave est sans doute que cette « réforme » – je ne sais s’il faut ou non y mettre des guillemets – aura fait perdre du temps à la France du fait de votre dogmatisme, puis de votre improvisation permanente. (« C’est sûr ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Si vous n’aviez pas été dogmatiques, notre organisation territoriale aurait été profondément réformée depuis bientôt neuf mois. Elle serait derrière nous, et notre pays pourrait enfin consacrer son énergie à d’autres dossiers tellement prioritaires pour écrire notre avenir commun.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Absolument !
M. Hervé Gaymard. En mars 2014, en effet, les conseillères et conseillers territoriaux prévus par la loi de 2010 auraient été élus, et le nombre d’édiles aurait ainsi été divisé par deux.
M. Maurice Leroy. Bien sûr !
M. Hervé Gaymard. Lors de la séance d’installation des nouvelles assemblées, ils auraient décidé en toute liberté à quel échelon, régional ou départemental, les compétences étaient exercées avec le plus d’efficacité, avec le souci de réaliser des économies budgétaires (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.). Ce qui aurait été décidé en Bretagne ne l’aurait pas forcément été en Aquitaine ou en Rhône-Alpes, et c’eût été très bien ainsi, car il faut sortir d’une vision jacobine de l’organisation de notre République.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Très juste !
M. Hervé Gaymard. Au lieu de quoi, depuis maintenant deux ans et demi, vous vous êtes vous-mêmes empêtrés dans une réforme dont on ne voit toujours pas le bout,…
M. Maurice Leroy. « Empêtrés », c’est peu dire !
M. Hervé Gaymard. …et dont les électrices et les électeurs n’auront toujours pas vu le bout au moment de voter aux élections départementales en mars prochain, ne sachant s’ils vont désigner des élus pour une institution qui va ou non disparaître, ni de quelles compétences elle est dotée !
M. Jean-Luc Reitzer. Tout à fait !
M. Hervé Gaymard. S’agissant du découpage régional, enfin, son inspiration même repose sur des présupposés qui ne résistent pas à l’examen. Les régions françaises seraient en moyenne trop petites, comme M. le ministre vient de le répéter : faux ! Elles sont plus grandes que la moyenne des régions européennes, et même que beaucoup d’États européens.
M. Hugues Fourage. Très bien !
M. Hervé Gaymard. L’augmentation des budgets des régions par transfert des compétences des départements leur donnerait subitement plus de vigueur : faux ! Notre collègue Alain Rousset, président de l’Association des régions de France, vient d’ailleurs de le reconnaître en indiquant la semaine dernière qu’il ne voulait ni des routes ni des collèges, alors que ce transfert est au cœur de la loi sur les compétences que nous examinerons prochainement ! (« Absolument ! » sur les bancs du groupe UMP.) Il faudrait tout de même vous entendre !
Ensuite, l’agrandissement des régions serait la clé de la réussite économique, comme l’illustrerait l’exemple allemand : faux ! Billevesées, comme l’aurait dit le regretté Raymond Barre ! Ce ne sont pas les Länder qui font la réussite des entreprises allemandes ; ce sont les entreprises allemandes qui font la réussite des Länder ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) Cessez d’inverser l’ordre des causalités !
Le plus grave, toutefois, est peut-être que ce gouvernement tourne le dos à la décentralisation dont il se flatte pourtant. Les auteurs des futurs ouvrages d’histoire institutionnelle pourront bientôt écrire un chapitre intitulé : « Les années décentralisatrices : 1982-2014 » – soit trente-deux ans à peine – dont les paragraphes décriront d’ailleurs l’action de majorités différentes. Hélas, la récente constitutionnalisation de la décentralisation, à notre initiative, n’aura en fait été qu’une épitaphe.
Depuis quelques années, en effet, tout concourt à la recentralisation. Les normes, tout d’abord, enserrent les élus dans leurs actions et alourdissent inutilement les dépenses publiques.
M. Serge Grouard. Et comment !
M. Hervé Gaymard. La recentralisation financière, ensuite : en 2014, vous avez obligé les départements à augmenter les droits de mutation, faute de quoi ils seraient prélevés du montant du produit de l’impôt qu’ils avaient décidé de ne pas percevoir – ce qui est d’une sophistication et d’une perversité extrêmes !
M. Maurice Leroy. C’est vrai !
M. Hervé Gaymard. Dans le projet de loi de finances pour 2015, vous recentralisez le fonds départemental de péréquation de l’ancienne taxe professionnelle, destiné aux communes les plus défavorisées. Avec le présent projet de loi, nous innovons dans la recentralisation régionale, loin de l’action de proximité attendue de tous, en éloignant les centres de décision et en redonnant le pouvoir aux fonctionnaires. Expliquez-nous en effet comment feront les citoyens du Cantal en cas de problème routier ou de problème social, quand ils n’auront plus que deux élus territoriaux élus à la proportionnelle, c’est-à-dire désignés par les appareils des partis politiques !
M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !
M. Hervé Gaymard. Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, vous comprendrez que nous ne pourrons voter cette loi, même en deuxième lecture. C’est avec un immense regret, car que de temps perdu pour la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. Michel Piron.
M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, pour les députés du groupe UDI, profondément décentralisateurs, la réforme territoriale, mère des réformes structurelles, demeure nécessaire, primordiale et même urgente. Est-elle au rendez-vous ?
L’enchevêtrement des instances et des compétences est hélas l’une des caractéristiques – je dirais même l’un des constituants – de notre organisation territoriale, multipliant les instances de décision, plombant les coûts, allongeant les délais. Cette complexité est d’autant plus préoccupante qu’elle rend l’action publique illisible pour bon nombre de nos concitoyens.
Dans ce contexte, chacun ici conviendra que notre pays a vraiment besoin d’une nouvelle gouvernance qui soit à la fois plus efficace, plus économe et plus lisible. C’est un enjeu de démocratie ! Il nous faut une réforme pour répondre aux nouveaux défis de la mondialisation en nous appuyant sur les territoires, et particulièrement sur les régions, qui en sont les moteurs à l’échelle européenne.
Nous partageons donc le constat formulé dans le rapport Balladur qui, cinq ans après sa publication, demeure ô combien actuel : « Il est temps de décider ». Oui, il est temps de sortir de l’état de décentralisation inachevée dans lequel se trouve France, pour nous orienter enfin vers une décentralisation clairement assumée et affirmée.
M. Jean-Luc Reitzer. Mais pas imposée !
M. Michel Piron. Il est temps d’entreprendre une mutation profonde de notre organisation territoriale. Il serait temps de choisir un avenir clarifié pour la France et pour ses territoires.
Cette réforme, cependant, ne doit pas se faire à n’importe quel prix. Au cours des débats précédents, monsieur le secrétaire d’État, nous vous avons fait part de nos attentes et des impératifs qui, selon le groupe UDI, doivent guider la réforme.
La première de ces exigences est la cohérence. Or, au fil des débats, au gré des annonces, dans les méandres d’une réforme indécise, nous éprouvons de plus en plus de difficultés à discerner cette « cohérence ».
M. Maurice Leroy. Le Gouvernement aussi !
M. Michel Piron. S’agissant du calendrier des élections, on ne compte plus les allers-retours et les hésitations. Faut-il rappeler la loi du 17 mai 2013, qui reportait à mars 2015 les élections départementales et régionales ? Le Président de la République a ensuite souhaité que les élections départementales coïncident avec les élections régionales : le projet de loi initial fixait donc au mois de décembre 2015 les élections départementales et régionales. Enfin, dans un ultime changement de bord, le Premier ministre a annoncé le maintien des élections départementales en mars 2015 !
M. Maurice Leroy. Formidable !
M. Michel Piron. Sur le fond, et l’existence même des départements, comment ne pas constater la grande diversité des approches ?
M. Maurice Leroy. Hélas !
M. Michel Piron. La suppression des départements avait d’abord été envisagée à l’horizon 2012, puis avant 2015, mais le Gouvernement prévoit désormais de réserver trois sorts différents aux conseils généraux. N’est-il pas regrettable que la réflexion sur la relation entre régions et départements ait donné lieu à tant d’hésitations qui finissent par s’apparenter à des non-choix ? Comment ne pas craindre que l’agrandissement des régions ne justifie a posteriori le maintien en l’état – je dis bien en l’état – de l’échelon départemental ? Peut-être est-ce là votre choix ultime : un non-choix inavoué.
Rappelons en outre l’ordre dans lequel nous ont été présentés les différents projets de loi censés former les composantes d’une seule et même réforme, et qui ont révélé les limites d’une méthode pour le moins désordonnée. Nous avons abordé la question des grandes villes et des métropoles avant même de discuter du sort des régions, qui structurent pourtant l’architecture d’ensemble. Et puisque la réforme doit s’appuyer avant tout sur les régions, pourquoi ne pas envisager de leur confier un réel pouvoir organisationnel et réglementaire, seul capable de répondre à la diversité des territoires ?
Cependant, donner aux régions un rôle à la fois stratégique et de proximité dans des matières aussi diverses que le développement économique, la formation professionnelle, l’aménagement du territoire, le logement les transports, les grands équipements, l’enseignement – jusqu’à quel point ? –, la recherche, le tourisme, la culture ou encore les solidarités, implique de réorganiser les départements en les articulant mieux avec les métropoles, d’une part, avec les intercommunalités et les communes, d’autre part.
La question des dimensions régionales ne devrait se poser que dans ce cadre global en tenant compte de ces différentes questions. Je ne crois pas à l’alternative entre l’œuf et la poule : je crois aux deux !
M. Jean-Frédéric Poisson. M. Piron a résolu à lui tout seul le problème de l’œuf et de la poule ! (Rires.)
M. Michel Piron. Voilà pourquoi il aurait fallu non pas aborder la question des compétences avant celle du périmètre, mais les lier !
Mme Valérie Pécresse. Il a raison !
M. Michel Piron. De même, il aurait fallu aborder en même temps la question des compétences et celle des ressources. De ce point de vue, nous regrettons une nouvelle fois que ce ne soit pas le cas.
Au-delà de ces considérations générales et néanmoins essentielles, les débats des prochains jours vont se concentrer sur la future carte des régions et sur la question du droit d’option. Vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État : nous savons tous qu’il n’existe pas de carte idéale propre à satisfaire l’ensemble des élus et des populations concernées.
Cependant, je voudrais redire ici une chose qui n’a pas été suffisamment explicitée. Une question n’a pas été posée, et elle fait peur : quelle est la région la plus riche, la plus peuplée, la plus dense, la plus attractive et la plus petite dans ce pays ? C’est l’Île-de-France !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Et voilà !
M. Frédéric Reiss. C’est sans doute pour cette raison que le rapporteur du projet de loi est francilien !
M. Michel Piron. L’Île-de-France n’a pas le périmètre de son attractivité. Or, si l’on avait posé cette question, sans doute le problème picard aurait-il trouvé une solution qu’il n’a pas aujourd’hui !
Au moins devons-nous tenir compte de plusieurs exigences : veiller à ce que les régions conservent la capacité d’arbitrer les équilibres entre métropoles, villes moyennes et territoires ruraux et accorder une attention particulière au respect des spécificités territoriales, car une bonne réforme ne pourra se faire au mieux qu’en apportant des réponses diversifiées et adaptées aux besoins et aux caractéristiques de chacun des territoires.
Concernant le droit d’option, nous devrons veiller à ce qu’il ne devienne pas un facteur de déstabilisation et un enjeu électoral lors de chaque élection régionale. À ce stade de notre débat, je voudrais néanmoins poser la question suivante : selon quelle majorité s’exercera-t-il ? Je rappelle qu’il existe une majorité concernant les périmètres intercommunaux : c’est une majorité dite « qualifiée ». Or, je ne comprends guère, monsieur le président de la commission, que l’on confonde majorité qualifiée et droit de veto. À mon sens, il y a là un amalgame juridique douteux et approximatif !
En juillet dernier, chers collègues, nous n’en étions qu’aux prémices de la réforme. Nous pouvions encore espérer des éclaircissements sur le projet et sur la vision globale du Gouvernement pour l’avenir de nos collectivités. En l’absence de visibilité suffisante sur les compétences, sur la réforme de l’État – que je ne veux pas oublier – et sur les ressources financières, je formais alors le vœu que, pour réussir la réforme territoriale, l’évolution des débats fasse émerger une réforme réellement ambitieuse qui fasse des territoires les moteurs de la croissance de demain. Hélas, je dois avouer qu’au fil des débats, au gré des annonces et des contradictions, voire des renoncements, il me semble que le brouillard, loin de s’éclaircir, s’est épaissi.
M. Hugues Fourage. Et comment !
M. Michel Piron. Nous n’avons pas davantage été rassurés sur ce qui devrait nécessairement accompagner la réforme territoriale : la réforme de l’État. Du fait du transfert de compétences consécutif à la réforme des collectivités territoriales, nous ne pouvons qu’être amenés à nous interroger sur ce que nous attendrons ou n’attendrons plus de l’État.
M. Serge Grouard. C’est vrai !
M. Michel Piron. Pour toutes ces raisons et en l’état de nos travaux, sur la forme comme sur le fond, ce projet nous laisse bien plus de questions qu’il n’apporte de réponses, loin d’un texte qui, encore aujourd’hui, fasse le pari de l’intelligence collective partagée entre l’État et les collectivités, entre les territoires et la capitale, entre les élus, l’administration et nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à M. Paul Molac.
M. Philippe Le Ray. Vive la Bretagne !
M. Paul Molac. Bis repetita non placent ! Div wezh ha pligadur ebet !
M. Sébastien Denaja. Le Journal officiel est écrit en français !
M. Paul Molac. Une fois n’est pas coutume, je vous parle en latin et en breton, deux langues qui existaient avant le français.
M. Philippe Le Ray. Il a raison !
M. Paul Molac. Ce n’est guère avec plaisir que je me dois de répéter que, du point de vue profondément décentralisateur et régionaliste qui est le mien, ce projet de loi va à l’encontre des principes que je défends. En effet, le texte qui nous est soumis en deuxième lecture est quasiment identique à celui que nous avons voté en première lecture, puisque nous sommes revenus en commission au texte voté en juillet.
Entre la première lecture et aujourd’hui, des événements difficilement imaginables dans ce pays se sont pourtant déroulés ailleurs en Europe, notamment en Catalogne et en Écosse : une expression populaire et démocratique des habitants sur l’avenir de leur région. Pour ce qui est de l’Écosse, le processus a été exemplaire d’un point de vue démocratique. Nous avons encore beaucoup à apprendre de la démocratie parlementaire britannique, où il serait par ailleurs impensable de fusionner le Pays de Galles avec les West-Midlands !
Plusieurs députés du groupe UMP. C’est sûr !
M. Paul Molac. Alors que les Écossais votaient pour leur avenir après un débat de fond remarquable, malgré une opposition résolue de l’ensemble des élites, notamment financières, en France, les Alsaciens en sont réduits à espérer que leur région ne disparaisse pas de force dans un grand Est technocratique et les Bretons demandent que soit enfin considérée l’expression majoritaire du peuple pour une réintégration de la Loire-Atlantique à la Bretagne. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et UDI et sur quelques bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe UMP. C’est juste !
M. Paul Molac. En effet, tout comme il y a un peuple écossais ou catalan, il existe un peuple breton, corse ou alsacien !
Plusieurs députés du groupe UMP. Attention à cette notion !
M. Paul Molac. Qu’est-ce qu’un peuple, sinon l’expression d’un consentement mutuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu, comme le disait Ernest Renan ?
M. Thierry Benoit. Un trésor !
M. Paul Molac. Dès lors, comment nier la qualité de peuple à ces ensembles de personnes, alors que même l’ancien ministre de l’intérieur Pierre Joxe reconnaissait le peuple corse comme partie intégrante du peuple français ?
M. Laurent Furst. Ce sont les socialistes qui ont voté cette disposition !
M. Paul Molac. Cette formulation avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1991 sur la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Quelle sagesse !
M. Paul Molac. En bon gardien du temple de la francité, qu’il confond d’ailleurs avec l’unité nationale, le Conseil constitutionnel ne pouvait que censurer cette disposition.
Comme je l’avais dit lors de la première lecture, l’on peut être à la fois Breton, Français, Européen et bien plus encore. Les nationalistes de tous bords voudraient que je choisisse, mais, ne leur en déplaise, je ne le ferai pas, car ces identités multiples me plaisent et je les revendique. Je demande même que la République prenne en compte ma bretonnité. Par exemple, il n’existe dans notre pays aucun droit concernant la langue bretonne. Si vous voulez faire du breton, n’importe quel administratif peut vous le refuser. Il en va de même des limites des régions : ce sont, non pas des limites administratives banales, décidées dans un ministère quelconque, mais des limites faites par les hommes, correspondant à une histoire et à une culture. En tenir compte, c’est tout simplement respecter les hommes.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Exactement !
M. Paul Molac. J’entends souvent parler du risque de repli identitaire, …
M. Patrick Hetzel. C’est une farce !
M. Paul Molac. …mais celui-ci n’est pas régional ; il ne se retrouve d’ailleurs certainement pas dans les urnes. C’est bien le repli identitaire français, avec des idées rétrogrades, qui a obtenu 25 % des suffrages aux dernières élections européennes, ce qui est effectivement très préoccupant.
M. Éric Straumann. Et ce n’est pas terminé !
M. Paul Molac. Unis certes, mais dans la diversité : c’est la maxime de l’Europe, cela devrait être la nôtre. Ce que je veux dénoncer par mon propos, c’est que cette réforme, en s’inscrivant pleinement dans le principe d’unicité du peuple français et en niant la prise en compte des territoires et des populations, est profondément jacobine.
L’imposition par le haut d’un redécoupage technocratique semble d’ailleurs aller à l’encontre des engagements internationaux pris par notre pays. En effet, la France a ratifié la charte européenne de l’autonomie locale le 17 janvier 2007. Cette charte dispose dans son article 5 que : « pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet ».
Ainsi, fidèles à nos principes de fédéralisme différencié, nous ne pouvons accepter que cette réforme territoriale soit sous-tendue par une logique purement comptable ou par la volonté de créer des grandes régions. Nous le savons bien, ce qui fait la grandeur d’une région, ce sont ses pouvoirs législatifs, réglementaires et évidemment financiers.
La loi doit permettre des ajustements à la marge, en prévoyant un droit d’option plus souple que celui prévu par le texte, en supprimant notamment le veto – j’emploie le mot à dessein – que représente le vote à la majorité des trois cinquièmes de la région de départ, disposition dont la suppression est au cœur de la proposition de loi que j’ai déposée en avril dernier.
Ce dispositif faisait d’ailleurs dire dans les termes suivants au célèbre constitutionnaliste Guy Carcassonne que la procédure était en l’état inapplicable : « En gros, cela veut dire que quand madame a un amant et souhaite partir avec lui, il faut que monsieur soit d’accord. C’est quand même assez étrange ». (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme Valérie Pécresse. Pourquoi ne parler que des femmes ? C’est misogyne !
M. Paul Molac. La constitutionnalité de cette disposition mériterait d’ailleurs d’être vérifiée, puisqu’elle semble être en contradiction avec le principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre.
Je regrette néanmoins que ceux qui s’élèveront, parfois avec panache, souvent par posture, tout à l’heure lors de nos débats contre ce projet de loi, soient issus de la même formation politique qui, au Sénat, s’est emparée de l’esprit de cette réforme en ne modifiant qu’à la marge un texte voué aux gémonies sur les bancs de l’opposition de notre assemblée. La logique jacobine est finalement assez équitablement répartie, hélas.
Sur le fond, cette réforme, en créant de grandes régions, éloignera davantage le citoyen des centres de décisions. La conséquence, on la connaît désormais tous, c’est qu’il sera impossible dans les immenses régions d’envisager la suppression des conseils départementaux, que nous appelions de nos vœux pour alléger le mille-feuille administratif.
Nous comprenons que dans une région gigantesque comme Auvergne-Rhône Alpes ou Aquitaine-Limousin-Poitou Charentes, le sentiment d’abandon veuille que l’on ne supprime pas ce qui constitue la proximité dans les territoires ruraux. De même, nous ne saurions nous opposer à la disparition d’un département Savoie issu des deux départements existant actuellement, ou à celle d’un département Alsace, si par malheur cette région venait à être fusionnée dans un Grand Est.
Une autre solution était toutefois possible avant d’en arriver là : ne pas faire des régions immenses, car les exemples européens qui nous entourent montrent bien que la taille ne fait pas la performance. En revanche, nous demandons avec force la possibilité, dans les régions qui le demandent, notamment en Bretagne, de faire vivre l’expérimentation en permettant la fusion des départements bretons avec le conseil régional, en vue d’une assemblée unique dans laquelle le département de la Loire-Atlantique trouverait naturellement sa place.
M. Thierry Benoit. Bien sûr !
M. Paul Molac. Projet éminemment tourné vers l’avenir, ce plan vise à constituer une Bretagne où les citoyens seraient au cœur du projet politique. Les demandes d’expérimentations étaient contenues dans le pacte d’avenir pour la Bretagne, signé par le conseil régional et le Premier ministre de l’époque, le même qui, six mois plus tard, était pour la disparition d’une collectivité territoriale propre à la Bretagne. Gageons que le Premier ministre actuel, lors de sa prochaine visite en Bretagne, un an après la signature de ce pacte d’avenir, puisse confirmer cette évolution.
C’est par ailleurs forts d’une identité ouverte et profondément républicaine que les Bretons estiment à juste titre que la réunification de la Bretagne est une question de démocratie. Je n’irai pas jusqu’à souscrire aux propos de François Mitterrand, qui parlait de « réparation historique », mais…
M. Jean-Frédéric Poisson. La tentation est grande !
M. Paul Molac. Alors que l’ensemble de la carte administrative française sera bouleversé, comment expliquer aux habitants de la Loire-Atlantique que leur département ne réintégrera pas sa région d’origine, malgré leur soutien constant à cette évolution – environ 60 % à 70 % des sondés sont favorables à cette réunification ?
M. Thierry Benoit. Il a raison !
M. Paul Molac. Ils le montrent d’ailleurs en défilant dans la rue : c’est la seule région capable de faire descendre 30 000 personnes dans la rue – ce fut le cas à Nantes le 27 septembre dernier.
M. Thierry Benoit. Et on se retient !
M. Paul Molac. Alors que le Gouvernement a appelé les Français à se saisir de cette réforme, on opposerait une fin de non-recevoir aux seuls citoyens de toute la France qui se sont saisis de cette question avec enthousiasme, les Alsaciens et les Bretons ? En effet, nul doute qu’une région Bretagne à cinq départements serait une région cohérente, puissante et disposant d’un nom reconnu.
Comme nous le montrent d’ailleurs les travaux du politologue Tudi Kernalegenn, tous les exemples européens montrent que la force des régions provient, non pas de leur taille, mais de leurs compétences, de leur budget, de leur cohésion, de leur cohérence et de la volonté des populations d’avancer ensemble. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Patrick Hetzel. Exactement !
M. Paul Molac. Leur force provient des citoyens, dans la mesure où ils se reconnaissent dans les institutions régionales. Le postulat de départ de cette réforme territoriale, créer de grandes régions pour disposer de régions puissantes, est totalement biaisé, car ce qui fait sens, ce n’est pas tant la taille que le poids démographique, le sentiment d’appartenance et les pouvoirs d’un territoire – mais ce sera l’objet du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTR.
Le Président de la République s’est engagé résolument avec le Premier ministre en faveur d’une réforme territoriale donnant aux régions des moyens d’action se rapprochant des standards européens. Nous attendons donc des évolutions sur le plan des compétences et des leviers financiers alloués aux régions, et espérons pouvoir contribuer à aller le plus loin possible avec le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
En effet, les marges de manœuvre des régions sont contraintes, même très limitées, par une autonomie fiscale qui n’a cessé de reculer depuis quinze ans et qui ne représente plus que 10 % en moyenne des recettes. Nous serons donc attentifs aux précisions quant à l’engagement pris par le Premier ministre de doter les régions d’une nouvelle ressource avec des bases dynamiques et quant à l’obtention d’une compensation intégrale pour les futures compétences octroyées aux régions.
En définitive, mes chers collègues, à l’aune des débats qui nous animent aujourd’hui et qui continueront à le faire dans les prochains mois, la question que l’on doit véritablement se poser est la suivante : les régions, pour quoi faire ?
M. Jean-Frédéric Poisson. Bonne question ! On aurait dû commencer par là !
M. Paul Molac. En effet, alors qu’il y a une méfiance de plus en plus grande envers l’action publique, le pouvoir semblant de plus en plus lointain et déconnecté de la réalité, le projet de diviser par deux le nombre des régions risque d’être néfaste pour la démocratie et d’être vécu comme un véritable retour en arrière, créant des régions encore plus artificielles et encore plus déconnectées des aspirations et de la vie des citoyens. Car entre le choix d’une régression technocratique ou d’une évolution démocratique, l’alternative n’est pas légère. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à Mme Jeanine Dubié.
Mme Jeanine Dubié. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc arrivés dans la dernière ligne droite de l’examen de ce si controversé projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Je souhaite redire ici que les députés radicaux de gauche ne sont pas des opposants systématiques de la réforme, dès lors qu’elle s’inscrit dans une démarche de progrès, qu’elle respecte le caractère décentralisé de la France et qu’elle est préparée de façon concertée dans la transparence et en toute objectivité.
À notre grand regret, force est de constater que le texte proposé aujourd’hui ne prend toujours pas en considération les inquiétudes formulées et relayées à maintes reprises par le Parlement. Nous vous l’avons dit et répété, cette réforme a été conduite dans la hâte, sans étude d’impact ni concertation préalable des principaux intéressés que sont les acteurs politiques et économiques des territoires.
Vous aviez également évoqué de prétendues économies ; nous n’en entendons plus parler aujourd’hui. Je le répète, monsieur le secrétaire d’État, tout cela a été fait trop vite. La redéfinition du périmètre des régions aurait pu être une réforme pertinente, mais vous avez imposé deux règles : d’une part, la fusion par bloc de régions déjà existantes et, d’autre part, l’impossibilité pour les départements de choisir a priori leur appartenance à telle ou telle nouvelle région. Cela vous a certes permis d’œuvrer rapidement, mais au détriment des réalités territoriales, des coopérations interdépartementales déjà engagées et, surtout, de la démocratie locale.
Votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, a souhaité doter les régions françaises d’une taille critique, qui leur permet d’exercer les compétences stratégiques à la bonne échelle et de rivaliser avec les régions européennes. Pourquoi pas ? Nous pouvons même partager cet objectif. Mais il aurait d’abord fallu s’inquiéter des compétences, avant d’imaginer de redéfinir le périmètre – cela a été dit.
Plusieurs députés du groupe UMP. Elle a raison !
Mme Jeanine Dubié. Je rappelle que, lors de l’examen en première lecture du projet de loi, j’avais suggéré au Gouvernement d’aller plus loin dans son raisonnement en proposant un amendement visant à fusionner, au sein d’une grande région Sud-Pyrénées, les trois régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
Cette région Sud-Pyrénées aurait alors regroupé, au sein d’une même unité géographique, l’ensemble du massif pyrénéen, de l’Atlantique à la Méditerranée. Ce nouvel ensemble aurait, dans le cadre de nos relations frontalières, constitué l’interlocuteur unique de notre voisin espagnol.
Ce regroupement aurait également recouvert un sens culturel, celui du cœur de l’Occitanie. L’axe formé par les trois agglomérations régionales que sont Bordeaux, Toulouse et Montpellier, aurait de plus favorisé un aménagement équilibré du territoire, en donnant à ces villes la possibilité, sans se concurrencer, d’exprimer leur ambition.
J’avais également cosigné un autre amendement porté par notre collègue Martine Lignières-Cassou, ainsi que par des députés des départements des Pyrénées-Atlantiques et des Landes, tendant à fusionner la région Midi-Pyrénées avec l’Aquitaine plutôt qu’avec la région Languedoc-Roussillon.
Ce découpage nous paraissait plus pertinent, car ces deux régions partagent une identité, des infrastructures et des projets industriels d’avenir qu’il serait dommage d’entraver.
Ces deux régions bénéficient également de filières industrielles reconnues, comme celles de l’espace et de l’aéronautique avec le pôle de compétitivité Aerospace Valley, qui s’appuie sur des pôles universitaires et de recherche réputés.
Une fusion entre ces deux régions aurait, ainsi, contribué à un développement plus équilibré et traduit concrètement les coopérations et les liens naturels existants.
À notre grand regret, ces deux propositions n’ont pas su convaincre et ont été rejetées. Nous en prenons donc acte. Alors, faute de pouvoir obtenir satisfaction sur ces points, je me rangerai à l’avis de nos collègues sénateurs qui ont rejeté à l’unanimité, en commission spéciale, la fusion des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
Ainsi, j’ai déposé un nouvel amendement visant à laisser dans leur état actuel les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Cette solution serait sans doute la moins mauvaise, si je puis m’exprimer ainsi. Elle présenterait au moins l’avantage de ne pas déséquilibrer l’ensemble de la région Sud-Ouest et de ne pas remettre en cause les équilibres économiques et culturels atteints notamment par les quatre départements de Midi-Pyrénées qui sont tournés vers l’Aquitaine.
Par ailleurs, la région Midi-Pyrénées reste la plus grande région de France métropolitaine grâce à ses 45 000 km2. Sa superficie est comparable à celle du Danemark et supérieure à celle de la Belgique. Elle compte presque 3 millions d’habitants. En définitive, elle me paraît disposer d’une taille suffisamment importante pour faire face à la concurrence européenne.
Pour conclure, je veux, monsieur le secrétaire d’État, vous redire que cette réforme n’a pas été suffisamment réfléchie. Elle n’a pas non plus fait l’objet d’une concertation satisfaisante.
M. Jean-Pierre Vigier. Absolument !
Mme Jeanine Dubié. Sur un sujet aussi important que l’organisation territoriale de notre République, il était indispensable de rechercher un réel consensus.
Mme Sophie Rohfritsch. Et une réelle efficacité !
Mme Jeanine Dubié. Or je ne crois pas me tromper en disant que ce consensus n’a pas été trouvé. En dépit des remarques faites par les acteurs de nos territoires, vous continuez à imposer d’en haut une carte que ces derniers ne se sont pas appropriée. Cette nouvelle organisation territoriale créera à terme de formidables résistances préjudiciables au fonctionnement de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Denaja.
M. Sébastien Denaja. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux d’abord saluer le volontarisme réformateur du Président de la République, François Hollande, auquel nous devons d’être réunis ce soir pour l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).
Je veux, également, saluer la méthode choisie : …
M. Sébastien Denaja. …celle de la démocratie parlementaire.
M. Laurent Furst. C’est la brosse à reluire !
M. Sébastien Denaja. Pour la première fois depuis la Révolution française en effet, c’est au Parlement et non au seul Gouvernement, et donc à la loi et non au décret, qu’a été confié le soin de dessiner les contours de circonscriptions administratives et de collectivités infra-étatiques, en l’occurrence régionales.
C’est une bonne méthode, car ce n’est pas sur un coin de table qu’aura été, in fine, dessinée la carte des régions de France mais bien dans la transparence, sous le regard vigilant et attentif de nos concitoyens. (Protestations sur les bancs du groupe UMP).
M. Frédéric Reiss. Qui vous a écrit cela ?
M. Sébastien Denaja. Il est de bonne méthode également que d’avoir débattu du contour des régions avant de se saisir de la question des compétences attribuées à chaque échelon décentralisé. Car transférer des compétences à vingt-deux régions n’est assurément pas la même chose que d’envisager le même transfert à treize régions.
J’avais, en commission, employé une métaphore quelque peu hasardeuse : celle du déménagement, que je reprends ici. Lorsque vous déménagez, avant de distribuer les cartons, vous devez vous interroger : à qui confieriez-vous chacun d’entre eux, à un grand costaud ou à un petit gringalet ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) J’en conviens, ce n’est pas du Modiano, mais je n’ai pas le temps de le lire !
La méthode suivie par notre excellent rapporteur Carlos Da Silva me paraît également bonne : il a en effet entendu l’ensemble des élus régionaux.
M. Éric Straumann. Qui a été consulté ?
M. Sébastien Denaja. Bref, cette réforme procède d’une volonté forte, celle du Président de la République, et d’une méthode, celle de la démocratie, du débat, de la transparence et de la concertation. Il n’existe certes pas, sur le fond, de carte idéale, mais certaines sont plus équilibrées et plus cohérentes que d’autres.
Et honnêtement, de toutes les cartes envisagées, j’ai – rejoignant en cela notre rapporteur – la faiblesse de penser que celle proposée par le groupe SRC est la carte la plus équilibrée, la plus cohérente et la plus convaincante aux yeux de nos concitoyens. (Protestations sur quelques bancs du groupe UMP.)
On ne peut que se réjouir du fait que le Sénat, après avoir rendu une copie blanche en première lecture, ait finalement accepté le principe même de la réforme, donc de la fusion et de la réduction drastique du nombre de régions.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Quel argumentaire !
M. Sébastien Denaja. Mais la carte proposée par le Sénat, qui comporte quinze régions, paraît déséquilibrée, à l’Est comme au Sud. C’est la raison pour laquelle le groupe SRC a rétabli, en commission des lois, la carte adoptée par notre assemblée au mois de juillet dernier.
Notre groupe a en effet estimé que notre pays avait besoin d’une grande et puissante région au Nord-Est, à laquelle l’Alsace apportera toute sa force.
Et l’Alsace saura d’autant plus être le fer de lance de cette grande région qu’elle saura aussi utiliser toutes les potentialités législatives pour forger encore davantage son unité.
La carte rétablie en commission par le groupe SRC l’a également été au motif de la nécessité de trouver, au Sud, un équilibre régional. En effet, au Sud-Est existe déjà le grand ensemble formé par la puissante région Provence-Alpes-Côte d’Azur et au Sud-Ouest se constitue un autre grand ensemble régional formé des actuelles régions Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes.
Il paraît donc cohérent de permettre la constitution d’un grand ensemble comparable, de près de 6 millions d’habitants, formé par les régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, autrement dit réunissant le haut et le bas Languedoc.
Avec cette carte à treize régions ainsi rétablie, la France sera dotée de régions plus fortes, car aucune d’entre elles ne comptera en son sein moins de quatre départements. C’est d’ailleurs à cette aune-là qu’il conviendra d’examiner la question du droit d’option départemental, ce que le groupe SRC fera avec beaucoup de prudence et de sagesse. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous aurons, certes, le souci de ne pas figer cette carte pour l’éternité mais, dans le même temps, la volonté de lui donner une stabilité suffisante. Car, au moment où nous souhaitons voir se former de grands ensembles régionaux, nous devons éviter que la loi ne contienne, ab initio, les germes d’une déstabilisation à moyen terme de ces nouveaux édifices institutionnels locaux que nous souhaitons, au contraire, voir reposer sur des fondations solides.
Nous devons ce soir, mes chers collègues, prendre nos responsabilités. Nous ne dessinerons pas la carte idéale.
M. Éric Straumann. On peut vous y aider.
M. Sébastien Denaja. Mais nous pouvons affronter le réel. Et, ensemble, nous pouvons offrir à la France une réforme qui sera décisive pour son avenir.
De ce côté-là aussi de l’hémicycle, il vous faudra affronter le réel. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Il faudra, pour la première fois, poser une pierre importante du nouvel édifice territorial dont notre pays a besoin au XXIème siècle. Oui, chers collègues, tournez-vous vers ce siècle et fuyez vos positions conservatrices ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Pécresse.
Mme Valérie Pécresse. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons bientôt au terme de la première étape de cette réforme territoriale. À l’heure du bilan, j’ai envie de poser une question : que reste-t-il de cette réforme ?
Mme Valérie Pécresse. Le Premier ministre avait volontairement fait de celle-ci le marqueur de son aptitude à réformer autant que le juge de paix qui devait, par contraste, le distinguer de son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault.
Jugeons-en. Votre réforme s’est totalement enlisée dans les sables. Il n’en reste plus qu’une carte, qui ignore l’histoire, les bassins économiques, la volonté des populations et qui – c’est le cœur de notre sujet – n’apportera aucune vraie économie.
M. Jean-Frédéric Poisson. Absolument !
Mme Valérie Pécresse. Car le sujet central de la réforme territoriale est le suivant : comment offrir aux Français un meilleur service public tout en baissant la dépense publique pour baisser les impôts ? Sous cet angle, le seul qui intéresse nos concitoyens, votre réforme est désespérément vide.
M. Serge Grouard. Eh oui !
Mme Valérie Pécresse. Dans son premier discours, j’ai cru comprendre que Manuel Valls proposait de supprimer le département. Après la défection des frondeurs socialistes, et placé devant la nécessité de s’allier les radicaux pour se maintenir à Matignon, le Premier ministre a fait machine arrière toute. Il ne voulait plus de département, il en a créé trois différents : le département rural, le département métropolitain et le département fédération d’établissements publics de coopération intercommunale.
M. Thierry Benoit. Tout à fait
Mme Valérie Pécresse. En Île-de-France, nous aurons donc cinq niveaux d’administration : la commune, l’intercommunalité ou le territoire, la métropole, les départements et la région.
M. Thierry Benoit. La simplicité !
Mme Valérie Pécresse. Vous dénonciez le mille-feuille ; nous avons désormais une véritable pièce montée ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Dans son discours de politique générale, Manuel Valls proposait de supprimer la clause de compétence générale. Nous connaissons tous les résultats de cette politique : des administrations instruisant les mêmes dossiers, des doublons dans les dépenses et, au final, des impôts en plus pour des services en moins.
Sept mois plus tard, où en est-on ? Là encore, nulle part. La suppression de la clause de compétence générale ne figure pas dans le projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Et la rédaction que vous proposez dans le second volet de la réforme territoriale laisse pantois : toutes les collectivités pourront continuer à financer la culture, le sport, le tourisme, le numérique, le logement, l’habitat, la politique de la ville et la rénovation urbaine. N’en jetez plus !
Notre collègue Alain Rousset l’a fort bien résumé dans une formule pleine de bon sens : « Exit la suppression de la clause de compétence générale ». Exit aussi la nécessaire clarification des compétences, elle aussi pourtant proclamée haut et fort par le Premier ministre lors de son discours fondateur.
Conséquence des reculs de Manuel Valls sur les départements, la gestion des routes et des collèges, qui devait aller aux régions, ne serait plus d’actualité. Là encore, Alain Rousset, véritable Saint-Jean bouche d’or de la réforme territoriale, le résume crûment : « Nous sommes dans le flou total, la réforme n’est pas pensée ». Ce n’est pas moi qui le dis ; c’est un progressiste socialiste.
M. Patrick Hetzel. Un éminent socialiste !
Mme Valérie Pécresse. Monsieur le secrétaire d’État, je vais donc vous poser deux questions simples. Allez-vous réellement proposer la fin de la clause de compétence générale ?
M. André Vallini, secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale. Oui !
Mme Valérie Pécresse. Allez-vous réellement simplifier notre organisation administrative selon un principe qui devrait constituer notre règle d’or à tous : une collectivité, une compétence, un impôt ? Car pour comprendre les enjeux de la réforme, il faut sortir de cet hémicycle et regarder ce qui se passe sur le terrain, …
M. Jean-Luc Laurent. C’est simpliste ! Que proposez-vous ?
Mme Valérie Pécresse. …comme en Île-de-France, dont la gestion vient d’être passée au scanner de la chambre régionale des comptes. La chambre nous dit que la région présidée par votre ami Jean-Paul Huchon dépense, chaque année, un milliard d’euros pour financer des actions qui ne relèvent pas de sa compétence.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est sûr.
Mme Valérie Pécresse. Un milliard d’euros ! La chambre nous dit aussi que, malgré ce niveau vertigineux de dépenses, la région est en échec sur son cœur de compétences : les lycées, la formation, l’apprentissage, l’action économique, l’emploi, mais aussi et surtout les transports. Et je le dis à Michel Piron : il y a des impasses financières très fortes en Île-de-France sur cette question des transports !
Trois semaines après le discours du Premier ministre qui annonçait l’accélération du Grand Paris Express, on apprend que la modernisation des transports est au point mort : le prolongement de la ligne 14 aura deux ans et demi de retard et celui de la ligne E du RER est purement et simplement menacé, faute de financements.
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Prenez vos responsabilités !
Mme Valérie Pécresse. Face à ce constat désolant, va-t-on enfin faire des économies et réorienter les dépenses ? Pas le moins du monde. Vos amis socialistes réclament des recettes supplémentaires, c’est-à-dire des impôts en plus. Faut-il les en blâmer ? Il ne font en réalité qu’appliquer au niveau local la politique que votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, applique au niveau national.
Dois-je avoir la cruauté de le rappeler ? Le 6 novembre dernier, François Hollande affirmait : « À partir de l’année prochaine, il n’y aura pas d’impôt supplémentaire sur qui que ce soit ».
Une semaine plus tard, le Gouvernement faisait adopter une flopée de nouvelles taxes. Plus inquiétant encore : nous apprenons aujourd’hui que, faute d’avoir su faire des économies, vous allez piocher dans les investissements d’avenir pour éponger le déficit.
C’est cette réalité qu’il faut avoir en tête au moment où nous examinons cette réforme. La réforme territoriale n’est pas une réforme en l’air. Avec celle de la formation professionnelle, c’est l’un des leviers les plus puissants pour réduire la dépense publique. Or vous êtes passés à côté du sujet.
On aura beau 100 fois jouer les chefs d’état-major et déplacer les frontières, on ne générera pas de grandes économies. Notre réforme du conseiller territorial allait dans le bon sens. Par pure idéologie, vous avez choisi de l’abroger. Vous en payez aujourd’hui le prix en vous enfonçant dans l’immobilisme.
Vérité, efficacité et courage, affirmait Manuel Valls en avril dernier. Sept mois plus tard, au vu des résultats,…
M. Patrick Hetzel. Il n’en reste plus rien !
Mme Valérie Pécresse. …c’est plutôt fables, reculades et, malheureusement pour la France, absence criante de bilan. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin.
M. Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un bel objectif que d’envisager une réforme territoriale, mais pourquoi faire une telle réforme, aurait-on dû se demander en préalable. Est-ce pour configurer la France, nos territoires, pour être forts dans la mondialisation ? C’est l’un des éléments qui a été envisagé. Est-ce pour faire des économies ? Est-ce, comme quelqu’un l’a expliqué tout à l’heure, pour apporter plus de démocratie ? Très honnêtement, nous sommes plusieurs à avoir du mal à comprendre quel est le véritable objectif de cette réforme.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !
M. Jean-Christophe Fromantin. Plus de démocratie, cela voudrait dire plus d’équité territoriale, moins de dissymétrie en fin de compte entre les nouvelles régions. Or l’on voit qu’il y a encore beaucoup de déséquilibre dans le poids économique, la structuration, le potentiel des territoires que vous nous proposez. Donc plus de démocratie, certainement pas.
Plus d’économies ? On est passé d’une perspective de 17 ou 20 milliards à 2 milliards. Est-ce vraiment pertinent d’élaborer une grande réforme comme celle-ci pour 2 milliards d’économies au plus ? Et je suis convaincu qu’au final, on ne les aura même pas.
Reste, ce qui est peut-être l’élément essentiel, la volonté de configurer nos territoires dans la mondialisation, de faire vraiment de nos régions des régions fortes. Mais encore faut-il, si tel est l’objectif, avoir de vrais critères.
Prenons la taille, critère souvent évoqué pour faire des comparaisons avec des régions étrangères. Nous nous sommes livrés avec un certain nombre d’experts à un petit travail pour savoir quelle est la taille critique d’une région. En fin de compte, la force d’une région, c’est de pouvoir financer ses entreprises, améliorer leurs fonds propres, financer des infrastructures. Elle est donc dans sa capacité à lever des fonds, à mobiliser l’épargne de ceux qui y vivent. Compte tenu du taux d’épargne en France, 16 %, il faut 5, 6 ou 8 millions d’habitants pour créer une ingénierie économique, financière, territoriale.
Ce simple critère, pourtant fondamental, la masse d’épargne nécessaire pour justifier dans un territoire des fonds d’investissement, une bourse régionale, des centres de décision qui vont donner à la région une véritable perspective de développement, en faire une véritable entité configurée pour la mondialisation, n’a jamais été intégré dans les débats, dans les études, n’a jamais été pris en compte pour faire vraiment de nos régions des régions fortes dans la mondialisation, et c’est regrettable.
On peut discuter, se comparer aux Länder, aux régions espagnoles, italiennes ou aux états américains, mais que valent ces comparaisons si nous-mêmes, en France, nous n’avons pas défini quelques repères forts, stables, stratégiques pour configurer nos régions dans la mondialisation ?
On dit que les métropoles sont des paramètres essentiels aussi pour aborder cette nouvelle économie mondiale. Certes, mais est-on parti des métropoles pour faire nos régions ? On aurait dû alors décider que la France était dotée de cinq, huit, dix ou douze métropoles d’avenir et construire les territoires autour de ces métropoles. Un tel travail est totalement absent du débat.
Pour garantir l’équité territoriale, il aurait fallu veiller à rapprocher chaque Français d’une métropole connectée au monde. Dans un travail que j’avais réalisé sur ce sujet, j’avais expliqué la véritable équité serait que chaque Français soit à moins d’une heure trente d’une métropole connectée au monde. Là, il y avait un véritable principe d’équité territoriale. Nous en sommes extrêmement loin, d’une part parce que l’on n’a pas défini ce qu’est une métropole d’avenir dans la mondialisation dans un pays comme le nôtre et, d’autre part, parce que la proximité d’une métropole n’a pas été prise en compte dans votre projet de réforme.
Enfin, dernier point que je trouve extrêmement étonnant, il n’y a jamais eu de corrélation avec des perspectives d’aménagement du territoire, de structuration des flux, de schéma de transports, d’infrastructures de transport. Nous souhaitons que les Français soient plus mobiles, que nos entreprises disposent de main-d’œuvre, que nos industries aient accès à de grands ports maritimes pour se connecter au monde. Comment se fait-il que nous soyons tous conscients que les mobilités sont fondamentales et qu’il n’y ait jamais eu de corrélation entre une réforme des régions et une carte des infrastructures de transport, ferroviaire, maritime, autoroutière ? C’est là tout le défaut de ce texte.
En dépit d’une ambition formidable – faire une réforme territoriale, Michel Piron le disait tout à l’heure, c’est probablement la réforme de base de toutes les réformes dont a besoin la France, y compris celle de l’État –, nous discutons d’une carte, administrative, qui, de mon point de vue, passe à côté des véritables enjeux. Je le regrette mais espérons que l’avenir nous permettra de rebâtir un véritable projet de réforme territoriale. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
Mme Jeanine Dubié. Très bien.
M. le président. La parole est à M. François Sauvadet.
M. François Sauvadet. Très franchement, monsieur le secrétaire d’État, je n’aimerais pas être à votre place (Sourires),…
M. Carlos Da Silva, rapporteur. On ne vous le propose pas !
M. François Sauvadet. …en ce moment, dans ces circonstances et avec cette majorité, vous m’avez compris.
Vous êtes en train de défendre un projet auquel plus personne ne comprend rien. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) D’ordinaire, quand on arrive en deuxième lecture, les choses commencent à se caler. Le président Urvoas fait ce qu’il peut et je l’en remercie, je l’en félicite, mais, franchement, c’est incompréhensible.
Il y a un an, nous étions là pour redécouper les cantons, et on nous expliquait, la main sur le cœur, qu’il s’agissait de renforcer la démocratie locale. Les départements sortiraient renforcés parce qu’on leur aurait redonné de la légitimité en tenant compte des zones rurales, avec ce fameux binôme, auquel, d’ailleurs, personne ne comprend rien. C’était Valls 1, M. Da Silva, était là déjà.
Un an plus tard, nous sommes à quatre mois des élections. Valls 2, le même M. Da Silva nous annonce que, pour les départements, c’est fini, on n’en veut plus, ils doivent être abandonnés, fermer leurs portes.
Et puis, on se rend compte que tout n’est pas si simple et, là, il y a le Valls 2 bis. On nous explique alors, et c’est là où je ne voudrais pas être à votre place puisque vous étiez président de conseil général, que nous n’avons pas bien compris, que vous allez simplifier les choses et qu’il y aura trois types de départements.
Le premier sera réduit à la métropole, un département métropole. Le deuxième sera un département rural. Combien y en aura-t-il ? Je sais qu’il y a une négociation interne avec les radicaux de gauche, que je remercie, parce qu’ils ont contribué à éclairer le débat. On en serait à une cinquantaine de départements ruraux. Lesquels ? Je ne sais toujours pas. Nous n’avons pas la liste, nous n’avons pas les critères. Et voilà un troisième type, des communautés de communes,…
M. Marc Dolez. Une fédération !
M. François Sauvadet. …une fédération. Pour l’instant on en est là.
Vous vous rendez compte, mes chers collègues, et je m’adresse à tous les élus locaux de France, qu’à quatre mois des élections, dont on ne connaissait même pas la date, que l’on vient de découvrir,…
Mme Valérie Pécresse. Pour les régionales, on ne sait toujours pas !
M. François Sauvadet. …on ne sait pas quelles seront les compétences des conseils généraux, que les élus qui vont solliciter des suffrages devront assumer pour une période de quatre ou cinq ans, cinq ans en principe, voire six, nous dit-on. On ne sait même pas s’ils vont continuer d’exister. C’est du jamais vu dans l’histoire de la Ve République. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. Marc Dolez. Ça, c’est vrai !
M. François Sauvadet. Jamais un gouvernement n’a été aussi aventureux pour une réforme qui aurait nécessité un dialogue construit avec l’ensemble des acteurs qui font la République décentralisée à laquelle nous sommes tous attachés.
M. Marc Dolez. Bien sûr !
M. François Sauvadet. Et voilà qu’aujourd’hui, on nous parle de treize régions. Franchement, en arrivant dans le débat, je me suis pincé, je me suis demandé si c’était sérieux.
Un soir, après une discussion entre le Premier ministre, le Président de la République et quelques élus bien informés, une carte a été redessinée. Nous avons appris, médusés, à vingt et une heures huit par une dépêche AFP ce sur quoi nous allions travailler.
Comme vous êtes apparemment des démocrates, je me suis dit que la discussion allait peut-être s’engager sur ce découpage, qu’on allait écouter les territoires, que l’on donnerait du sens au fait que l’on veut de grandes régions d’Europe.
D’abord, qu’est-ce qu’une grande région d’Europe ? La Bourgogne est plus grande que la Belgique. On veut nous marier avec la Franche-Comté. Bienvenue. Moi, j’aime bien Maîche, Morteau, la saucisse. Très bien, mais quel sens cela aura-t-il ? On aura moins de 3 millions d’habitants. Croyez-vous qu’en unissant ces deux grands territoires ruraux, on leur donnera une taille européenne ?
La vraie question qu’il faut aborder, c’est la réforme de l’État. Qu’est-ce aujourd’hui qu’un État moderne, qui doit se recentrer sur ses compétences, commencer par rechercher des économies à faire dans son fonctionnement pour fixer un cap pour le pays ?
M. Philippe Vigier. Il n’y a pas d’économies !
M. François Sauvadet. Il faut ensuite définir des blocs de compétences et rechercher les bons niveaux pour les exercer.
M. Maurice Leroy. Eh oui !
M. François Sauvadet. On renvoie tout ça à une autre loi, à demain, voire après-demain.
Franchement, je suis atterré par la façon dont cela se passe, et encore plus par celle dont s’est déroulé tout à l’heure le débat.
M. Jean-Frédéric Poisson. Tout à fait !
M. François Sauvadet. M. Denaja a expliqué que c’était la carte des socialistes.
M. André Schneider. Au moins, il a dit la vérité !
M. François Sauvadet. Rendez-vous compte que vous engagez le débat en annonçant que c’est la carte des socialistes, que le débat est terminé, que nous aurons treize régions. Circulez, les Alsaciens. Circulez, les habitants du Nord. Circulez tous ceux qui ne sont pas d’accord.
M. Patrick Hetzel. Bravo !
M. François Sauvadet. On ne peut pas bâtir une réforme territoriale en mobilisant un pays en n’écoutant pas le peuple.
J’ai l’impression que vous ne voulez plus écouter la France,…
M. Jean-Luc Reitzer. Bravo !
M. François Sauvadet. …et cela me désespère parce que, comme vous l’avez souligné les uns et les autres, mes chers collègues, une grande réforme territoriale est nécessaire dans notre pays. Nous l’attendons. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui voudraient la réforme et, de l’autre, les ringards. Nous avons tous la volonté d’avancer, pour le bien du pays, et c’est ce qui doit nous préoccuper, mais un camp ne peut pas décider pour tous les autres, contre l’avis de tous les autres.
M. Maurice Leroy. Un camp lézardé !
M. François Sauvadet. Vous avez entendu les écologistes, les communistes, l’UMP, l’UDI. Personne n’est d’accord avec cette réforme, et vous continuez d’avancer en disant « circulez, il n’y a rien à voir ».
M. André Schneider. Parce qu’ils ont la vérité, la science infuse !
M. François Sauvadet. Vous savez, ce qui compte dans la démocratie, ce n’est pas simplement le nombre de députés d’un groupe au Parlement. Quand on veut la faire vivre, on écoute ceux qui la font vivre au quotidien, on écoute les acteurs locaux, ceux qui sont engagés et qui attendent de nous que nous assumions nos responsabilités, mais avec eux, pas sans eux. Et voilà, c’est un rendez-vous manqué.
Moi, je suis très triste, l’UDI aussi, je pense.
M. Maurice Leroy. Exactement ! Et les députés de la majorité sont tellement tristes qu’ils pleurent dans les couloirs !
M. François Sauvadet. Les métropoles s’en sortiront, comme les territoires les plus peuplés, car, en raison de la démographie, l’activité continuera de se concentrer, mais j’ai une profonde inquiétude quand je vois la France que nous sommes en train de dessiner. Des pans entiers du territoire vont se retrouver en déshérence totale,…
M. Marc Dolez. Bien sûr !
M. François Sauvadet. …faute de sentir qu’ils ont à côté d’eux des interlocuteurs.
Vous avez été président de conseil général, monsieur le secrétaire d’État. Regardez même ce qui se passe pour les compétences que l’on doit transférer aux communautés de communes. La ville de Dijon a souhaité instruire le RSA, j’ai accepté naturellement puisque M. Rebsamen est un élu avec lequel je travaille. Un an plus tard, alors que le RSA doit être confié aux communautés de communes, la ville de Dijon vient de me dire d’en reprendre l’instruction parce que nous avons les compétences pour le faire. Et on nous annonce la disparition des départements ! Mais c’est une politique de Gribouille incompréhensible.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Tout et n’importe quoi !
M. François Sauvadet. La meilleure solution serait de remballer tout cela et de revenir avec un vrai projet cohérent (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP) : réforme de l’État, compétences, bloc de responsabilités, moyens financiers. Ce serait une vraie réforme mais, là, franchement…
J’étais déçu a priori mais il se confirme que la déception est profonde et c’est un élu de terrain qui voulait vous le dire, monsieur Vallini, vous qui l’avez été. Dans les responsabilités que vous assumez aujourd’hui, n’oubliez pas ce que vous fûtes, et revenez à des propositions qui soient compatibles avec ce à quoi aspirent les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
Mme Jeanine Dubié. Très bien.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Reiss.
M. Frédéric Reiss. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, décidément, le Gouvernement et la majorité peinent à trouver un consensus, le compromis souhaité par le ministre Bernard Cazeneuve, pour cette réforme portant sur la délimitation des régions et la modification du calendrier des élections régionales et départementales. L’équilibre qu’a invoqué le rapporteur en commission des lois est pour le moment bien précaire…
M. Patrick Hetzel. Il faut lutter contre la précarité !
M. Frédéric Reiss. …et plus qu’instable. Le bateau de la réforme territoriale continue à tanguer sérieusement. Depuis la loi MAPTAM, on a eu tellement d’annonces discordantes entre la Présidence de la République et le Gouvernement, notamment concernant l’avenir des départements et leur articulation avec les métropoles, que l’on a l’impression que la majorité cherche avant tout à éviter un nouvel échec électoral après la déroute des municipales. Le Gouvernement ne sait pas trop sur quel pied danser, en matière d’élection départementale.
Inévitablement, cette réforme territoriale aura des conséquences sur l’organisation au quotidien des collectivités locales, départementales et régionales. Nos concitoyens attendent plus de simplicité, plus d’efficacité, plus de lisibilité, mais aussi plus de proximité dans les grands enjeux que sont la réduction des déficits publics, le redressement économique et la baisse du chômage, ainsi que la transition énergétique. Pour relever ces défis et progresser sur ces grands dossiers, le conseiller territorial était une réponse pertinente, balayée d’un revers de main, par pure idéologie, par la majorité actuelle, ce qui est bien dommage.
D’ailleurs, il est surprenant de noter le repli sur soi de la majorité qui s’arc-boute sur ses idées, ne tenant que faiblement compte du texte issu du Sénat. Le Parti socialiste veut imposer sa carte à treize régions. Drôle de conception du débat démocratique, alors que l’action du Gouvernement et du Président de la République est décrédibilisée auprès des Français ! Le Sénat, représentant par excellence les collectivités territoriales et locales, a adopté largement – à 65 % – un découpage territorial qui s’appuie sur les réalités sociales et économiques de notre pays. Il maintient l’Alsace dans ses contours actuels comme une région à part entière. À défaut d’études d’impact précises, c’est donc bien la volonté des élus locaux qu’exprime le vote du Sénat.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Tout à fait !
M. Frédéric Reiss. L’enjeu n’est pas la taille des régions, car il s’agit de ne pas confondre la taille avec l’attractivité ou la puissance économique, mais bien leur capacité à agir de manière pertinente. Des compétences clarifiées et consolidées devraient être au cœur de la réforme.
M. Patrick Hetzel. Excellent !
M. Frédéric Reiss. La majorité invoque souvent la comparaison avec les Länder allemands pour justifier sa réforme.
Mme Marie-Jo Zimmermann et M. André Schneider. Cela n’a rien à voir !
M. Frédéric Reiss. Que dire alors de la Sarre, qui compte un million d’habitants et fait 2 500 kilomètres carrés ? La moyenne, qu’elle soit géographique ou démographique, n’a pas grande signification. La démonstration d’Hervé Gaymard sur ce sujet a été implacable. En Alsace, la quasi-unanimité des élus, notamment ruraux, revendiquent le droit à l’expérimentation et à l’innovation par la création d’une collectivité unique mettant en commun les moyens du conseil régional et des deux conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Dans une délibération commune adoptée largement par 101 conseillers régionaux et généraux de tous bords politiques, on peut lire : « Convaincue de la nécessité d’une gestion des affaires publiques au plus près des territoires et que la modernisation indispensable de notre État passe par le renforcement de la décentralisation, [l’Alsace] forte de son expérience transfrontalière s’inscrit dans la République et dans la construction européenne. »
L’Alsace est tout le contraire d’une région isolée ou repliée sur elle-même. Elle est forte de son identité et de son histoire singulière et tourmentée ; elle est riche de sa diversité, de sa culture et de son droit local ; elle est ouverte sur les régions alentour, françaises évidemment, mais aussi suisses et allemandes, sans oublier ses coopérations avec la Pologne notamment, Madagascar ou la Chine ; elle est fière des institutions européennes de Strasbourg. Après le projet Alsace 2005 axé sur le développement durable, il y a aujourd’hui une nouvelle concertation prospective qui permet de mobiliser l’ensemble des partenaires sociaux et économiques, notamment les chambres consulaires, pour définir la stratégie de développement Alsace 2030.
Il n’y est pas envisagé la grande région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne que la plupart des Alsaciens refusent. Malgré des propos que le ministre de l’intérieur voulait apaisants, les Alsaciens sont inquiets de l’affaiblissement de Strasbourg comme capitale européenne…
Plusieurs députés du groupe UMP. Absolument !
M. Frédéric Reiss. …à l’image de Robert Hertzog, professeur émérite de l’Université de Strasbourg qui écrit que Strasbourg, au lieu d’être en compétition avec Bruxelles, Francfort ou Shanghai, le sera avec Nancy et Bar-le-Duc. « Admirable ouverture ! », ajoute-t-il. Les Alsaciens, dans leur très grande majorité, sont très respectueux des institutions démocratiques de notre pays. Les manifestations violentes ne sont pas dans leurs gènes,…
M. Jean-Luc Reitzer. Absolument ! Ce sont des gens sérieux !
M. Frédéric Reiss. …mais leur imposer cette grande région contre leur gré n’est pas sans risque politique majeur et cela laisse craindre une réaction d’ampleur dans les urnes par des votes extrêmes, lors des scrutins futurs.
Aujourd’hui, on ne peut que regretter l’échec du référendum du 7 avril 2013…
M. André Schneider et M. Jean-Luc Reitzer. Tout à fait !
M. Frédéric Reiss. …qui aurait pu, qui aurait dû devenir un jour historique, non seulement pour l’Alsace, mais également pour tous les territoires où la fusion des collectivités territoriales aurait du sens. C’est d’ailleurs l’objet des discussions dans ce texte. Bien que les Alsaciens aient voté à 58 % en faveur du « oui », les conditions du succès n’étaient pas remplies. La déception a d’ailleurs été palpable dans de nombreuses régions françaises au moins autant qu’en Alsace.
M. André Schneider. Absolument !
M. Frédéric Reiss. Le Premier ministre a souhaité un débat démocratique au Parlement. Eh bien, monsieur le ministre, chers collègues, donnons à l’Alsace cette chance de jouer sa partition dans le concert des régions européennes ! Avec l’assouplissement du droit d’option souhaité par le président de la commission des lois, nous aurons peut-être une réforme territoriale qui tiendra mieux compte des aspirations de nos concitoyens. Acceptons-en l’augure, ce serait une belle avancée pour une décentralisation mieux comprise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Patrick Hetzel. Et pour la démocratie !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.
Mme Isabelle Le Callennec. Monsieur le ministre, monsieur le président breton de la commission des lois (Sourires),…
M. Hugues Fourage. Il est d’abord Français !
Mme Isabelle Le Callennec. …chers collègues, le texte sur la délimitation des régions revient en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale. Avant de concentrer mon propos sur la région chère à mon cœur, la Bretagne, je souhaite me faire le porte-parole de tous ceux – et ils sont légion – qui fustigent l’incohérence de votre méthode, si tant est qu’il y en ait une. Il y a deux ans et demi, vous nous aviez annoncé un acte III de la décentralisation. Cela s’est traduit par une modification de tous les modes de scrutins, par des annonces contradictoires sur le devenir des départements et enfin par le redécoupage des territoires, cantons et régions, sans précédent, mais surtout sans cohérence.
M. Jean-Luc Reitzer. C’est la pagaille !
Mme Isabelle Le Callennec. C’est à se demander ce que vous poursuivez ! Tenez-vous à une meilleure efficacité de l’action publique ou au maintien de vos amis politiques à la tête des agglomérations, des régions et des départements ? Chacun le reconnaît, y compris dans votre propre majorité : la priorité, l’urgence même, est de débattre au Parlement de la répartition des compétences entre l’État et les collectivités et entre les collectivités elles-mêmes. Or, la loi dite de nouvelle organisation des territoires de la République ne sera pas examinée avant la fin de cette année ; elle sera discutée après le vote de la loi MAPAM de janvier dernier, après le redécoupage absurde des cantons voté en mai 2013…
M. Hervé Gaymard. Très bien !
Mme Isabelle Le Callennec. …et après cette improbable redélimitation des régions, qui a mis le feu aux territoires. En procédant de la sorte, vous ne répondez pas aux trois questions qui vaillent dans un pays qui compte 3,5 millions de chômeurs, qui affiche une croissance quasi nulle et qui souffre d’une dette atteignant 2 000 milliards d’euros. Comment rendre notre action publique nationale et locale plus efficace, moins coûteuse et plus lisible pour nos concitoyens ? Comment continuer à investir dans nos territoires à l’heure où les dotations d’État aux collectivités diminuent de façon drastique ? Comment, par une nouvelle organisation de nos institutions, répondre aux défis qui sont devant nous et aux attentes des Français ? Assurément pas en s’amusant – je dis bien « en s’amusant » ! –, comme l’ont fait le Président de la République et le Premier ministre, à redélimiter les régions de façon totalement arbitraire, et plus particulièrement les régions à forte identité – je pense à l’Alsace, chers collègues (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) –, ou à ne pas les redélimiter, et j’en arrive à la Bretagne.
Deux hypothèses semblaient tenir la corde : soit une Bretagne à cinq départements, soit une grande région Bretagne-Pays de Loire.
M. Paul Molac. Non !
Mme Isabelle Le Callennec. Eh bien, ce ne sera étonnamment ni l’une ni l’autre. C’est bien la peine de compter au gouvernement tous ces ministres qui revendiquent leur « bretonnitude » ! (Sourires.) À moins que ce ne soient eux qui vous aient convaincus de vous en tenir au statu quo, ce statu quo qui in fine fâche tout le monde, notamment le président socialiste de la région Bretagne qui en est réduit à interpeller les parlementaires, y compris nous autres UMP,…
M. Thierry Benoit. Et même les députés UDI !
Mme Isabelle Le Callennec. …pour s’assurer que la Bretagne sorte renforcée de ces débats – je tiens sa lettre à votre disposition, monsieur le ministre. En somme, il vous est tout simplement demandé de respecter vos engagements. C’est le message que nous vous adressons avec mes collègues UMP, Marc Le Fur, Gilles Lurton et Philippe Le Ray. Le Gouvernement n’a-t-il pas signé à grand renfort de communication un pacte d’avenir pour la Bretagne, dans lequel il s’engageait à reconnaître les spécificités de cette région, en ouvrant la voie à des expérimentations d’organisations nouvelles et innovantes ?
M. Thierry Benoit. C’est vrai !
Mme Isabelle Le Callennec. Un an après, le bilan de ce pacte est bien maigre. En figeant les limites territoriales actuelles de la Bretagne, vous prenez le risque de la condamner à terme. Il ne faudra pas vous étonner du mécontentement que vous provoquerez et qui se traduira dans les urnes ou dans les manifestations, alors même que les Bretons aspirent à une organisation qui favorise la compétitivité économique, la cohésion sociale et le respect de l’environnement.
L’occasion vous est donnée, monsieur le ministre, de vous racheter et de vous montrer à l’écoute des parlementaires, toutes tendances politiques confondues, qui, par leurs amendements, souhaitent créer les conditions de la possibilité d’une évolution. Dans une première série d’amendements, ils demandent le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne. Dans la deuxième série d’amendements, ils rendent véritablement opérationnel le droit d’option pour un département qui souhaite demander un rattachement à une région limitrophe.
Mme Arlette Grosskost. Très bien !
Mme Isabelle Le Callennec. C’est ce que d’aucuns appellent le droit de choix. Le droit d’option que vous avez imaginé est en effet pure hypocrisie, car les conditions que vous y mettez ferment toute possibilité réelle. Les militants du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne ne sont pas naïfs et ils l’ont bien compris.
Enfin, si vous refusez toute évolution en ce sens, nous vous proposerons une ultime série d’amendements lesquels, je le souhaite personnellement, seront soutenus par le président de la commission des lois, qui appelle à, je le cite, « l’ivresse d’une audace » dans son manifeste pour une mutation institutionnelle. Ces amendements visent à créer une assemblée unique de Bretagne qui fusionne les quatre départements avec la région, évite les doublons, optimise l’action publique et réduit même le nombre des élus, tout en offrant le droit d’option aux autres départements. Cette proposition reprend l’esprit de la loi de 2010, que vous devez bien regretter d’avoir abrogée dès votre arrivée aux affaires, empêtrés que vous êtes désormais à rechercher un fil conducteur à votre réforme.
M. Thierry Benoit. Tout à fait !
Mme Isabelle Le Callennec. Les Bretons ont la réputation d’être têtus.
M. Thierry Benoit. Non ! Ils sont solides !
M. Paul Molac. Ils ont de la suite dans les idées !
Mme Isabelle Le Callennec. Je dirais qu’ils sont déterminés et qu’ils ont une vraie capacité à faire des propositions. Si le Premier ministre prétend leur adresser tout prochainement un « J’aime les Bretons. », il va falloir en apporter la preuve ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. André Schneider.
M. André Schneider. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela ne vous étonnera pas si je parle aussi de l’Alsace (Sourires), tout en ayant, bien sûr, beaucoup de sympathie pour la Bretagne, qui a beaucoup de points communs avec nous.
Mme Isabelle Le Callennec et M. Paul Molac. Merci !
Mme Arlette Grosskost. Oui, ils sont tout aussi têtus !
M. André Schneider. Oui, monsieur le ministre, la réforme territoriale est nécessaire ! La France doit permettre à ses territoires de s’épanouir, de se renforcer, car c’est en eux qu’elle trouve toute sa vitalité. Mais la France a aussi un devoir envers les régions, tout particulièrement un devoir de mémoire vis-à-vis de l’Alsace. Rayer l’Alsace de la carte des régions françaises, quel que soit le vocabulaire employé, c’est effacer une partie de la mémoire de notre pays.
C’est faire disparaître à terme, la culture et les traditions alsaciennes. C’est donc effacer une partie des traditions de la nation française.
M. Philippe Bies. Mais non, c’est faux !
M. Jean-Luc Reitzer. Si, c’est la vérité !
M. André Schneider. La France est unique, car elle est un camaïeu de territoires si différents les uns des autres. Ces territoires ont une âme, une histoire, une mémoire : c’est ce qui fait de la France une nation si riche.
C’est là qu’elle puise toute sa force. Qui oserait me dire aujourd’hui, dans cet hémicycle, que la Bretagne, la Corse, l’Alsace, pour ne citer qu’elles, ne possèdent pas une extraordinaire culture régionale ? La réforme territoriale n’aura de sens qu’à la condition de respecter cette mémoire, l’histoire des territoires, et surtout de respecter les choix des citoyens de ces régions.
M. Laurent Furst. C’est la démocratie !
M. André Schneider. Monsieur le secrétaire d’État, aujourd’hui, c’est la voix de l’Alsace qui résonne amplement dans cet hémicycle.
Je suis très heureux que tous les députés alsaciens, ou quasiment, soient là. Nous sommes des Gaulois,… mais des Gaulois alsaciens (Sourires), et nous nous sommes toujours battus pour le rester. Il y a 143 ans, le gouvernement d’Adolphe Thiers nous a cédés à l’Allemagne pour économiser un milliard de francs-or ; Edgar Quinet et Victor Hugo s’étaient alors élevés, avec l’ensemble des députés alsaciens, lors de la séance du 1er mars 1871, pour sauver l’Alsace et une partie de la Lorraine. En vain : l’Alsace tomba dans l’escarcelle de la Prusse. Mais le cœur des Alsaciens, monsieur le secrétaire d’État, à travers toutes les vicissitudes de leur histoire, est toujours resté français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Reitzer. Très juste !
M. André Schneider. Que penseraient nos arrière-grands-parents, nos grands-parents ou nos parents, eux qui, pour beaucoup d’entre eux – c’était le cas de mes parents –, ont changé quatre fois de nationalité, eux qui sont toujours restés français dans leur cœur, si nous n’étions pas présents aujourd’hui dans cet hémicycle pour défendre notre belle Alsace, notre Alsace si généreuse, ouverte sur le monde contrairement à ce qu’on a pu entendre ici ou là ?
M. Jean-Luc Reitzer. Elle est au cœur de l’Europe !
M. André Schneider. Monsieur le secrétaire d’État, l’unité française n’a aucune raison de devenir l’uniformité française.
M. Jean-Pierre Vigier et M. Guy Geoffroy. Exactement !
M. André Schneider. L’Alsace n’est pas une parenthèse que l’on rayerait d’un simple trait de plume, une variable d’ajustement pour satisfaire quelques responsables politiques d’autres régions.
L’Alsace ne souhaite pas se replier sur elle-même. Elle ne l’a jamais fait ; elle a traversé toute l’histoire la tête haute.
L’Alsace est au cœur de l’Europe, une Europe qu’elle défend, une Europe qu’elle porte en son sein en abritant, entre autres, le siège du Parlement européen, le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme. Elle incarne l’exact inverse du repli sur soi… et c’est ce qui fait sa force.
Le projet de fusion que vous proposez aux Alsaciens ne correspond à aucune réalité locale ni économique. Nous le savons bien, d’autres orateurs l’ont déjà souligné : rendre plus grandes les régions n’est en aucun cas suffisant pour qu’elles soient compétitives sur la scène européenne à laquelle vous faites si souvent référence. Le dynamisme d’un territoire est loin d’être forcément lié à sa taille.
Monsieur le secrétaire d’État, notre région dispose d’atouts considérables : une culture forte ; Strasbourg, une véritable métropole, siège d’organisations internationales ; un réseau urbain de grande qualité ; et, surtout, la foi des Alsaciens en leur région et en leur pays, la France.
« S’Elsass esch unser Landel » : L’Alsace est notre terre. Mais la France est notre patrie.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, souhaitez-vous vraiment effacer d’un trait de plume une partie de la mémoire et de l’histoire de la France, une partie du cœur de la France ? Du moins, j’espère que l’Alsace fait partie de votre cœur.
M. Michel Sordi. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean-Luc Reitzer. Écoutez le cri des Alsaciens !
M. André Schneider. Notre région a consenti de nombreux sacrifices pour la patrie française. Mes chers collègues, un sursaut : préservez l’Alsace. Elle a déjà trop souffert. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
Pouvez-vous être insensible à un tel sujet, monsieur le secrétaire d’État ?
M. André Vallini, secrétaire d’État. Je n’y suis pas insensible.
M. André Schneider. Mais si, la preuve : ce texte est un diktat !
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.
M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur président de la commission des lois, mes chers collègues, nous abordons ce soir la deuxième lecture du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales, ainsi qu’au calendrier électoral.
À ce stade, je veux d’abord exprimer mon incompréhension et un regret. Incompréhension pour l’ordre dans lequel ce débat s’est engagé : nous discutons de la délimitation des régions, ce que je regrette, alors que la question fondamentale, c’est la conception que l’on a des régions et de leur rôle futur.
M. Marc Dolez. Bien sûr !
M. Jean-Luc Warsmann. Une région concentrée sur quelques grandes compétences, ce n’est pas la même chose qu’une région dispersée dans une multitude de compétences. Que vont-elles faire ? Certains évoquent les collèges, d’autres les routes départementales… Et puis quelle place pour les conseils départementaux ? Bref, monsieur le secrétaire d’État, il m’aurait semblé plus logique de définir d’abord leurs compétences avant d’entamer le débat sur leur délimitation.
Mais vous nous conviez à un tel débat, et j’y participe animé de deux convictions très fortes. La première, c’est que les futures régions doivent exercer la plénitude des compétences économiques, c’est-à-dire, tout d’abord, pouvoir définir la stratégie de développement économique des territoires. Autant je suis persuadé qu’il n’y a en France aucun territoire perdu, autant je pense que tout territoire doit travailler sur la stratégie de développement économique pour que celui-ci se réalise. Exercer la compétence économique, c’est aussi pouvoir soutenir les filières présentes sur le territoire et, à mes yeux, cette compétence doit être exercée par un tandem composé des intercommunalités et du conseil régional. Hélas ! Je constate que très souvent, les intercommunalités n’exercent pas toutes leurs compétences économiques alors que l’intérêt général du pays et la volonté du législateur, c’est qu’elles le fassent. Trop d’entre elles se sont dispersées dans des actions multiples, fiscalement coûteuses, et n’assurent pas ce travail. Pour les régions, exercer la plénitude des compétences économiques, c’est évidemment se concentrer aussi sur le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dans tous les pays voisins, les régions qui fonctionnent bien montrent que le développement économique et l’innovation se créent à partir de liaisons entre laboratoires de recherche et entreprises. Et puis il ne faut bien sûr pas oublier la formation professionnelle : je tiens à redire en cet instant combien je suis attaché au développement de l’alternance et de l’apprentissage, et nous avons en France beaucoup de retard en la matière. Voilà ma première conviction : il nous faudra des régions puissantes exerçant une compétence économique forte.
Seconde conviction : il faut une clarification des compétences. Certes, on peut tous se réjouir des multiples initiatives des collectivités locales depuis plus de trente ans. Mais l’honnêteté nous oblige à reconnaître que cette augmentation de leurs activités a entraîné une augmentation de la fiscalité. En langage consumériste, on dirait que le rapport qualité-prix des actions de la décentralisation n’est pas bon : il y a trop de doublons, trop de collectivités qui se marchent sur les pieds. Et puis monsieur le secrétaire d’État, il ne peut y avoir une action locale forte que s’il y a un contrôle démocratique. Lorsque dans une commune, une école maternelle ou primaire n’est pas en état, les parents d’élèves, par ailleurs électeurs, savent qui en est responsable et, le cas échéant, modifient leur vote. Mais lorsqu’une zone économique ne se remplit pas, qui en est responsable ? Est-ce le conseil général, l’intercommunalité, le chambre de commerce ou le conseil régional ? Nous ne pouvons pas, à la fois pour la modération fiscale qu’appellent de leurs vœux les contribuables, pour l’efficacité économique et pour le contrôle démocratique, conserver un tel flou.
Ces questions ne sont pas réglées à ce jour, et vous nous proposez un débat sur la délimitation des régions. Je vous ai écouté ainsi que le Premier ministre dire que le Gouvernement faisait sienne une carte de treize régions qui, dans l’est de la France, prévoit une région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne ; j’ai voté, la semaine dernière, pour cette proposition en commission des lois et je le referai, monsieur le secrétaire d’État, au cours de cette lecture.
M. Philippe Bies. Très bien !
M. Jean-Luc Warsmann. Dans quel état d’esprit voterai-je ainsi ? Tout d’abord, je crois à l’argument de la masse critique nécessaire, et vous proposez dans l’Est une région à 5,7 millions habitants, ce qui est équitable par rapport au regroupement des autres régions. Mais ce n’est pas tant d’une région qui a une masse critique dont nous avons besoin que de construire, dans la décennie à venir, des régions puissantes économiquement, et dans l’Est encore plus qu’ailleurs. C’est pourquoi je vous ai dit combien il est important pour moi que les futures régions aient toute la compétence économique. De plus, pour tous les territoires de la région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne,…
M. Laurent Furst. Ce ne sera pas tout l’Est puisqu’il n’y aura pas la Franche-Comté !
M. Jean-Luc Warsmann. …il me semble que leur intérêt général, dans les vingt ans ou quarante ans à venir, c’est de développer plus encore leurs relations avec leurs voisins européens – la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse. Il y aura 100 millions d’habitants des régions étrangères dans un rayon de 300 kilomètres, soit un potentiel de développement qui doit constituer la priorité absolue.
Je suis élu par un département qui appartient à l’actuelle région Champagne-Ardenne, qui a parmi ses trésors, monsieur le secrétaire d’État, une boisson que nous vendons dans le monde entier : le champagne. Bien que nous la vendions dans le monde entier, sachez que le premier client des entreprises de la région, c’est l’Allemagne, et le deuxième, la Belgique. Nous avons donc évidemment besoin d’une région la plus tournée possible vers l’Allemagne et vers ses autres voisins européens. C’est un projet qui doit tous nous unir.
Et puis il faut des régions qui respectent leurs territoires,…
M. Éric Straumann. Et leurs populations !
M. Jean-Luc Reitzer. Il faut respecter l’Alsace !
M. Jean-Luc Warsmann. …et l’Est de la France a la même problématique qu’ailleurs : nous avons besoin de métropoles fortes alors que nos villes moyennes peinent à trouver leur avenir et à se construire dans une logique de développement. Nous avons aussi des territoires ruraux qui, au fil des restructurations, peuvent se sentir, parfois à très juste titre, abandonnés. Dès lors, les régions que vous proposez ne pourront être un succès qu’à partir du moment où elles sauront développer une gestion territoriale. Celle-ci pourra être facilitée par les nouveaux moyens de communication. Ainsi, grâce au TGV, il y a moins d’une heure entre les deux extrémités de la région Est vous nous proposez, Reims et Strasbourg.
M. Éric Straumann. 150 personnes par jour entre Reims et Strasbourg ! C’est rien du tout !
M. Jean-Luc Reitzer. N’oublions pas le sud de l’Alsace !
M. Jean-Luc Warsmann. Une gestion territoriale spécifique devra être mise en place dans toutes les régions de France parce qu’il faut une réactivité par rapport aux citoyens et aux projets économiques et que chaque région devra définir pour chacun de ses territoires des stratégies de développement, notamment en matière de formation professionnelle. Il n’y a pas de politique identique en la matière sur cinq ou dix départements, ce n’est pas possible. Ces politiques devront se construire par bassin d’emploi.
En première lecture, j’avais voté favorablement à ce projet de loi, monsieur le secrétaire d’État. À cet instant, je redis que je maintiendrai ce vote en deuxième lecture.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois et et M. Hugues Fourage. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Jo Zimmermann.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quel rendez-vous manqué avec l’Histoire ! Ce projet de loi aurait pu conduire à une très belle réforme… Encore aurait-il fallu que le Gouvernement ait une vision d’ensemble, reposant sur un souci de dialogue et de concertation avec toutes les parties prenantes, et en fixant deux priorités : la proximité et la limitation des dépenses.
Cela n’a malheureusement pas été le cas. L’exemple le plus flagrant en est l’amendement du rapporteur, lequel nous a imposé en bloc le choix du découpage pour l’ensemble des régions. N’aurait-il pas été souhaitable de pouvoir débattre et voter région par région, et ainsi répondre aux attentes de l’ensemble des représentants des collectivités mais également des représentants du peuple que nous sommes ? De même, aujourd’hui, tout le monde fait semblant d’ignorer la problématique du choix des chefs-lieux de région. Là encore, la bonne solution ne consiste pas à passer en force avec de pseudo-consultations a posteriori.
M. Jean-Pierre Vigier. C’est vrai !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Je pense vraiment que le Gouvernement aurait dû avoir un souci d’équilibre, notamment en prévoyant que la préfecture de région et le siège de la collectivité territoriale puissent ne pas se situer dans la même ville.
Ces deux exemples montrent que la façon de travailler du Gouvernement et de sa majorité parlementaire n’est pas satisfaisante. En effet, ce projet de réforme territoriale relève d’une regrettable improvisation, sans aucune cohérence globale.
M. Patrick Hetzel. Très juste !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Il n’est donc pas surprenant que les protestations se multiplient, aussi bien à l’égard de l’ensemble des futures institutions locales qu’à l’égard de la nouvelle carte des régions.
Le Sénat avait essayé, avec l’article 1erA, de revenir de façon claire sur les compétences des différentes collectivités. La commission a choisi de le supprimer (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…
M. Guy Geoffroy. Quel dommage !
Mme Marie-Jo Zimmermann. … alors qu’il aurait fallu un grand projet d’ensemble car le découpage doit être adapté aux compétences et réciproquement. L’un ne va pas sans l’autre.
M. Maurice Leroy. Très bien !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Je voudrais revenir brièvement sur le parcours législatif de ce texte.
Alors que l’on partait d’une carte dessinée sur un coin de table par le Président de la République, cédant à des pressions politiciennes de tous bords, l’Assemblée nationale a réussi tant bien que mal à établir une carte de treize nouvelles régions métropolitaines.
En seconde lecture, le Sénat a profondément modifié ce projet, aboutissant à une carte différente ; puis notre commission des lois est revenue en deuxième lecture à l’essentiel de la version adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture.
S’il y avait eu un travail de préparation en amont, nous ne serions pas obligés aujourd’hui de faire une nouvelle carte et de réduire à néant le travail des sénateurs ; nous aurions pu au contraire intégrer celui-ci, de manière à produire un texte de qualité, qui aurait donné des bases solides à une administration territoriale digne du XXIe siècle.
Le projet de loi a pour finalité la création de nouvelles institutions s’organisant sur deux niveaux : de vastes régions entraînant la dilution des départements et de grandes intercommunalités ayant vocation à vider les communes de leurs compétences. C’est un non-sens : dans l’exercice de leurs compétences, ces deux niveaux n’auront plus de proximité avec le terrain.
Si l’on crée de grandes régions, il est indispensable de conserver un échelon de proximité, c’est-à-dire les départements ; si, au contraire, l’on supprime les départements, il faut des régions pas trop étendues, donc le maintien du statu quo.
En fait, l’ensemble du projet de loi repose sur la certitude, totalement déconnectée de la réalité, qu’il est nécessaire de créer des régions de taille « européenne ». Si des régions aussi démesurées doivent demain gérer les routes et les collèges qui sont de compétence départementale, la notion de taille européenne n’a aucun sens.
D’ailleurs, que signifie-t-elle vraiment ? Le fait de créer des régions de taille « européenne » fera-t-il disparaître soudainement le chômage ou mieux fonctionner l’économie ? La réponse est clairement non ; cela prouve que le concept est irréaliste.
Si, en Allemagne, certaines régions sont florissantes, cela n’a rien à voir avec leur taille : c’est en raison de leur structure économique, différente de la nôtre, et parce que nos voisins allemands se débrouillent mieux que nous ! Entre autres choses, ils ne traînent pas le boulet des 35 heures, ni celui d’un code du travail archaïque. On trompe nos concitoyens en leur faisant croire que tout irait mieux si l’on avait de grandes régions. C’est totalement utopique !
Un petit pays comme le Luxembourg ne répond manifestement pas aux critères de la taille « européenne » ; pourtant, il fonctionne mieux que la France : avouez qu’il y a de quoi se poser des questions ! Moi qui suis élue d’une circonscription proche du Luxembourg, je peux vous dire que c’est autre chose que la France… Le Luxembourg est la meilleure preuve que la prétendue « taille européenne » est un concept sans fondement.
En revanche, ce qui est pertinent, c’est la volonté de réduire les dépenses de gestion du millefeuille territorial. Toutefois, pour cela, il existe des solutions plus efficaces que la création de grandes régions et la suppression des départements. Il suffirait par exemple de conserver les régions actuelles, qui sont de taille humaine, et de les fusionner avec les départements.
C’est ce que proposent nos collègues alsaciens pour leur région. Dans l’hypothèse où cette option serait retenue, je souhaite qu’il en aille de même pour la Lorraine et la Champagne-Ardenne.
Outre le problème du découpage des régions stricto sensu, le présent projet de loi engage aussi les orientations du prochain volet de la réforme territoriale, qui risque de provoquer un profond bouleversement dans nos institutions. Pour ma part – je le dis très clairement –, il est tout à fait impensable de poursuivre la politique qui conduit à la disparition quasi-totale des communes au profit des intercommunalités. En milieu rural, la commune est l’échelon indispensable pour concrétiser les solidarités locales.
M. Marc Dolez. Très bien !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Les départements assument des compétences de proximité – routes départementales, aide sociale – qui ne pourront pas être gérées correctement par de grandes régions tentaculaires.
M. Jean-Luc Laurent. Exact !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Cela ne justifie pas pour autant un statu quo des départements. Ceux-ci ont en effet été découpés en 1790, à une époque où les moyens de déplacement et de communication étaient rudimentaires ; comme le préconisait Michel Debré en 1947 dans La mort de l’État républicain, une cinquantaine de grands départements pourraient amplement remplacer la centaine actuelle.
M. Jean-Luc Laurent. Bonne idée !
Mme Marie-Jo Zimmermann. En conclusion, monsieur le secrétaire d’État, il me semble que pour réduire le millefeuille territorial, on devrait aussi tenir compte des spécificités locales. Lorsqu’une région de taille modeste a une identité forte, ce qui est le cas de l’Alsace, il devrait être possible de la conserver, sous réserve de fusionner la région et les départements concernés. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. Paul Molac. Très bien !
M. Éric Straumann. Enfin du bon sens !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Compte tenu des avancées réalisées par l’Assemblée nationale en première lecture et, plus encore, par le Sénat – dont le vote peut interpeller, monsieur le secrétaire d’État, car il n’a pas été acquis grâce aux seuls Alsaciens –, j’aurais pu voter en faveur du projet de loi ; mais le recul effectué en seconde lecture par notre commission des lois me pose problème.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut que vous entendiez les représentants du peuple que nous sommes : nous devons construire des régions qui soient au service des Français et aient un sens pour le XXIe siècle. (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bompard.
M. Jacques Bompard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, la représentation nationale ne devrait jamais oublier qu’elle est la servante de la France et de ses terroirs. C’est pourtant ce que fait ce texte, qui prétend modifier depuis Paris les identités à la fois charnelles et naturelles qui présidèrent à l’édification de notre pays.
La France est une nation formée de peuples régionaux, ancrés dans leurs territoires et leurs coutumes. Elle ne tire son énergie et sa force que des énergies locales qui façonnent le caractère de notre peuple.
Or l’entreprise des gouvernements successifs a été de déconstruire les assises fondamentales et traditionnelles de notre pays. Cette entreprise est tout à la fois antinaturelle et antifrançaise, puisqu’elle veut écrire une nouvelle histoire, très éloignée du bon sens terrien.
On peut déceler trois insultes faites au bon sens dans votre texte : son impréparation, son centralisme et son caractère dispendieux.
Son impréparation, d’abord – comme la commission des lois l’a d’ailleurs remarqué au cours de sa dernière séance : impréparation s’agissant des annonces électorales, qui bafoue l’organisation sereine de la démocratie ; impréparation s’agissant des délimitations régionales, qui tournèrent au vaudeville socialiste lorsque des élus locaux voulurent sauver leurs sièges et leurs avantages contre la volonté du Gouvernement ; impréparation s’agissant des échanges avec vos interlocuteurs, enfin. Une myriade de rapports, notes, dossiers et documents sont venus nous alerter, en fonction des intérêts des uns et des autres. L’unité nationale fût ainsi la première victime de ce texte blafard écrit par quelques écrivaillons aux fantasmes plus administratifs que politiques.
Son centralisme, ensuite, qui nous révèle que vous avez complètement oublié les volontés passées des décentralisateurs. Un exemple se suffit à lui-même : vous demandez au Conseil d’État de déterminer le chef-lieu de région en dernier ressort ; comment prétendre respecter les us et les coutumes des habitants des régions françaises si l’on laisse un gouvernement de juges décider pour eux de leur capitale ? Comment prétendre œuvrer pour restaurer la démocratie quand ce projet de loi est le fruit des batailles médiatiques et partisanes des deux institutions les plus rejetées par les Français ?
Je veux d’autre part dire ma solidarité avec les Alsaciens.
M. Carlos Da Silva, rapporteur. Eh bien, vous n’applaudissez pas ?
Mme Sophie Rohfritsch et M. Éric Straumann. Voilà le résultat ! C’est de votre faute !
M. Jacques Bompard. J’ai lu avec attention la présentation qu’ils font de la singularité de leur région – mais nos textes de lois sont trop oublieux de l’histoire et des identités pour s’y attarder. Provençal, et donc localiste, je me souviens que c’est l’activisme du Félibrige qui a permis qu’éclose ultérieurement le mouvement de décentralisation.
Enfin, le Gouvernement ne tiendra pas sa promesse de réaliser avec ce projet de loi des économies censées participer à la réduction de la dépense publique. J’ai souligné dans un amendement présenté en commission la reculade du Gouvernement sur ses questions ; celui-ci propose en effet de rendre possible la distinction du chef-lieu de région et du siège de l’hôtel de région : preuve s’il en est que le texte ne vise pas à la cohérence, mais qu’il cherche à appliquer les directives bruxelloises, tout en ménageant des arrangements pour les barons régionaux.
Des pistes de réforme, on en connaît : faire reculer les dépenses de fonctionnement, qui atteignent près de 17 milliards d’euros et représentent 6,4 milliards d’euros de plus que les dépenses d’investissement ; rétablir un taux d’épargne supérieur, ce dernier ayant baissé de dix points en six ans ; rétablir un contrôle sur les subventions associatives, qui font souvent primer la dépense pour la dépense au détriment de l’analyse fine des situations. Il faut également lutter contre les doubles compétences dans la fonction publique territoriale, les secteurs administratifs et les centres décisionnels.
Comme cette assemblée manque désespérément de poésie, je veux partager avec vous quelques vers de Frédéric Mistral, qui fût sans doute le père du renouveau des enracinements et des fiertés régionales quand le jacobinisme de la IIIe République heurtait les consciences des gens de ma Provence. Voici ce qu’il disait :
« Tout ce qui nous rend libres
Félibres, félibres,
Tout ce qui nous rend libres
Les aïeux l’ont voulu.
« Ils ont vécu,
Ils ont tenu
Vivante notre langue ;
Ils ont vécu,
Ils ont tenu
Autant qu’ils l’ont pu. »
Voilà ceux qui seront blessés par votre texte : les aïeux épris de la naturalité de leurs attaches et les hommes libres qui veulent que des régions mieux gérées puissent redonner leur souveraineté aux individus, aux communes et aux régions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vigier.
M. Jean-Pierre Vigier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon propos comprendra cinq points.
Premièrement, ce projet de loi, élaboré dans l’urgence et sans concertation, devait organiser la fusion des régions ; en réalité, c’est la désorganisation qui règne !
M. Patrick Hetzel. Très juste !
M. Jean-Pierre Vigier. En effet, le texte présenté en procédure accélérée est revenu du Sénat avec une nouvelle organisation des régions, plus proche des réalités du terrain, mais la majorité a, en commission des lois, rétabli la carte des treize régions adoptée par l’Assemblée en première lecture.
Je le dis clairement : cette carte est emblématique d’une technocratie qui agit sans concertation sur le terrain.
M. Patrick Hetzel. Bravo !
Mme Isabelle Le Callennec. C’est exactement ça !
M. Jean-Pierre Vigier. Les élus locaux sont mis devant le fait accompli : regardez l’Alsace et nos amis alsaciens ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Jean-Luc Reitzer. Tous unis !
M. Jean-Pierre Vigier. De plus, les différentes lectures dans les deux chambres n’ont pas permis de montrer en quoi la fusion des régions serait facteur, premièrement, d’une meilleure organisation territoriale, deuxièmement, d’économies. Rien ne l’indique dans le texte, et l’étude d’impact ne vient pas l’étayer.
D’autre part, avant de les redécouper de manière quasi aléatoire et sans concertation avec les élus, le Gouvernement aurait dû commencer par aborder la question des compétences des régions. Il faut définir le contenu avant le contenant !
Deuxièmement, il convient de tenir compte de la spécificité des territoires et d’en finir avec cette réforme urbaine et uniforme.
De très nombreux rapports mettent en évidence les différentes typologies de territoires. La France est un pays diversifié, avec des territoires aux problématiques multiples : métropoles, zones périurbaines, zones rurales, zones hyper rurales, zones de montagne – et j’en passe ; on dénombre quatorze types d’attractivité et sept catégories de campagnes sur l’ensemble du territoire national.
Assez de rapports ! Les ruptures et les déséquilibres sont largement identifiés ; il est maintenant temps d’agir, en tenant compte des spécificités des territoires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Patrick Hetzel et M. Éric Straumann. Très bien !
M. Jean-Pierre Vigier. Troisièmement, mes craintes concernent le devenir des territoires ruraux. Où sont les territoires ruraux dans cette réforme ? Je le demande clairement.
Plusieurs députés du groupe UMP. Nulle part !
M. Jean-Pierre Vigier. Cette réforme a pour ambition d’être un pilier du redressement du pays. Or une telle ambition ne peut être réalisée, à supposer qu’elle puisse l’être, en oubliant 80 % du territoire, qui comptent 20 % de la population ! Aujourd’hui, les territoires ruraux, leurs spécificités et leur développement économique sont totalement oubliés dans cette réforme. Après la nécessaire métropolisation, il est temps de donner une réelle chance à la ruralité, qui a aussi ses atouts.
M. Patrick Hetzel. Bravo !
M. Jean-Pierre Vigier. Il y a même urgence car les inégalités territoriales s’accroissent à nouveau du fait de la montée en puissance des métropoles.
Quatrièmement, la proximité doit être préservée. Tout d’abord, en milieu rural, le département doit être maintenu : il est le garant du lien social et du lien territorial. Or la fusion des régions va couper ces liens. La ruralité va en souffrir. On a donc besoin du département en zone rurale.
M. Patrick Hetzel. Excellent !
M. Jean-Pierre Vigier. Ensuite, pour ces départements ruraux, il me semble fondamental de préserver un nombre suffisant de représentants au sein du conseil régional ; le minimum de deux représentants pour certains départements ne me semble pas suffisant. Par ailleurs, les politiques régionales ont un impact territorial. Les régions doivent ainsi travailler avec les intercommunalités, même de taille modeste. Les schémas régionaux doivent ainsi être le fruit d’une co-élaboration avec les intercommunalités et non simplement l’objet d’une concertation de forme. Enfin, en milieu rural, avec de grandes régions, la proximité doit être préservée avec son acteur fondamental, qui est la commune.
Cinquièmement, en ce qui concerne l’aspect financier, j’appelle votre attention sur deux points fondamentaux. Afin d’être de réels acteurs qui participent à l’essor économique du pays, les régions doivent avoir les ressources nécessaires à leurs ambitions. En l’état actuel et à l’ère de la baisse des dotations, elles n’ont pas les moyens de participer au redressement du pays. Un autre impératif est de mettre en place une péréquation plus forte pour préserver la solidarité nationale et la solidarité entre les régions pauvres et riches. En effet, dans un contexte de croissance faible ou nulle, qui tend à aggraver encore plus les difficultés des territoires pauvres, la péréquation financière constitue un enjeu majeur pour réduire le fossé entre les territoires. Je lance donc un appel à la solidarité pour nos territoires ruraux, qui ont eux aussi droit à un avenir. Ce n’est pas par hasard que le principe de péréquation a une valeur constitutionnelle !
Ma conclusion sera courte, brève et précise. Toute réforme doit se faire en concertation avec les acteurs de terrain.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Oui !
M. Jean-Pierre Vigier. Toute réforme doit se faire en tenant compte de la spécificité de territoires.
Mme Marie-Jo Zimmermann. Absolument !
M. Jean-Pierre Vigier. Toute réforme doit inclure les territoires ruraux et leurs besoins.
M. Patrick Hetzel. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Vigier. Je le dis clairement : ce sont des acteurs de l’équilibre territorial et de l’équilibre national ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly