Convention sur l'avenir de l’Europe

Travaux de M. Jacques Floch,
membre suppléant de la Convention sur l'avenir de l'Europe

M. Jacques Floch, membre de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée
nationale a été désigné le 9 juillet 2002, par le Président de l'Assemblée nationale,
 représentant suppléant de l'Assemblée pour la Convention sur l'avenir de l'Europe."

Jacques Floch
membre suppléant de la Convention,

Sommaire :

Intervention de M. Jacques Floch lors du débat sur l’avenir de l’Europe le mardi 3 décembre 2002
Observations sur les pistes de réflexion pour le groupe de travail « LIBERTÉ, SÉCURITÉ ET JUSTICE »
Contribution au groupe de travail "Justice et Affaires intérieures : une justice pour l'Europe"

Pour une Union au service des peuples d’Europe


 Intervention de M. Jacques Floch
Lors du débat sur l’avenir de l’Europe

Mardi 3 décembre 2002

Monsieur le Président, Monsieur le Président de la Convention, Monsieur le Premier ministre, Messieurs les ministres, Madame la ministre, mes chers Collègues,

Les femmes et les hommes de ma génération, enfants d’avant la guerre ou issus de la guerre, ont vécu la construction européenne d’abord comme un instrument de paix. 50 ans de paix sur la majeure partie de notre continent, nos grands ancêtres du siècle dernier ont en rêvé, cela a été fait.
Lorsque l’on dit cela il ne faut évidemment pas oublier qu’une partie de l’Europe subissait le joug féroce des dictatures, à l’est, celle des staliniens, en Grèce des Colonels, en Espagne celle de Franco, sans oublier le Portugal avec Salazar. La Paix dans ces pays se payait au prix fort.
Mais la liberté, la démocratie, le développement économique de l’Europe occidentale, associés aux velléités d’Union, assuraient une image d’une telle force que les murs réels ou virtuels finirent par tomber.
Oui la Paix fût et reste le principal argument pour vanter les mérites de l’Union européenne.
Mais ces 50 années de l’histoire de cette Communauté de droit, fondée sur l’acceptation de règles communes organisant un grand marché ne nous ont pas encore conduits à l’Europe politique dont rêvaient Victor Hugo, Aristide Briand et les Pères fondateurs de notre Europe en 1950.
L’Union aujourd’hui est en manque de projet, en manque de démocratie, en manque de solidarité, tout ce qui permet de construire une conscience collective.
Alors on parle de crise car derrière ces manques, apparaît une évidence : on ne peut en rester là ; il faut faire de nouveaux choix pour organiser la société européenne, il nous faut des institutions dont la représentativité démocratique ne fait pas de doute, il nous faut retrouver le chemin de la solidarité, du partage équitable sans effacer le génie culturel, philosophique, éthique des peuples de l’Europe regroupés dans leurs nations. Ce vaste, cet impétueux débat, nous avons l’immense chance, l’immense honneur aussi d’y participer, de le conduire. Peu de responsables politiques à travers l’histoire ont eu à croiser sur leurs chemins un tel ouvrage.
Parmi les grands chantiers, un m’intéresse particulièrement : c’est celui de l’élargissement de l’Union européenne, ou plutôt de la réunification de l’Europe.
D’abord parce que la réunification de l’Europe ne pourra se faire que s’il y a approfondissement de l’Europe politique, l’un ne peut aller sans l’autre.
Mais la crainte de la dilution dans un trop vaste ensemble s’associe naturellement à la crainte de ne plus avoir droit à la parole : l’absence de débat réel, de discussions, d’éclaircissements dus aux insuffisances du travail éducatif et politique, conduit à ce paradoxe.
Un autre paradoxe concerne les nouveaux États, ceux de l’Est. Si certains ont eu une existence réelle, d’autres, au cours du dernier millénaire, n’ont eu qu’une réalité éphémère.
Et pourtant, si tôt souverains, ils sont candidats pour entrer dans l’Union européenne : leurs motivations sont diverses mais tous aspirent à la liberté, à la démocratie, à la paix. Leurs peuples regardent aussi, il ne faut pas se leurrer, vers le haut niveau de consommation de l’Union européenne, ainsi que vers les progrès auxquels ils aspirent en matière de protection sociale. C’est là un sujet qui ne peut rester annexe à nos débats.
Les États-Unis étaient trop loin pour leur offrir les mêmes conditions ;  Quant à la Russie, elle rappelait certains douloureux souvenirs. Créer une autre institution ? ils ne s’en sentaient pas capables. C’est bien à l’Union européenne, naturellement, de rassembler ces nations.
Tous ces pays appartiennent à la civilisation européenne, celle qui reçut en héritage depuis trois millénaires les meilleures et aussi les pires idées que l’humanité a été capable d’inventer.
On frappe à notre porte, faut-il non seulement ouvrir mais accueillir et bâtir ensemble ?
L’Union européenne a préparé cette réunification, des critères ont été élaborés, dont celui d’être européen sans dire la limite de l’Europe : on a dit non au Maroc en 1987 à cause de cela, mais on a dit oui à la Turquie en 1963, sans en préciser le contour.
La liste des autres critères est simple :
- la démocratie,
- les institutions stables,
- l’État de droit,
- le respect des droits de l’homme,
- la protection des minorités,
- une économie de marché stable et concurrentielle,
- l’adhésion à la charte des droits fondamentaux,
- la liberté de circulation.
13 pays sont candidats, 10 pour demain, 2 pour après-demain, un peut-être dans un futur proche ou lointain.
Les 10 pays qui doivent entrer dans l’Union demain représentent 75 millions d’habitants dont le PIB est équivalent à celui de l’Espagne d’aujourd’hui – leur entrée c’est une Espagne de plus, mais avec 35 millions d’habitants supplémentaires – c’est aussi des européens dont le PIB par habitants atteint à peine 45 % de la moyenne actuelle de l’Union européenne. Mais rappelons-nous, dans les années 80, l’Espagne, le Portugal, l’Irlande ne brillaient guère mieux.
On pourrait, et certains l’ont fait, continuer cette analyse économique qui donnerait autant d’arguments pour ou contre l’élargissement. Je préfère que l’on dise ce qu’est l’Europe aujourd’hui.
Ni un État, ni une nation, ni un pays : seulement des peuples qui veulent partager ensemble la démocratie, la liberté et le progrès social.
Des peuples qui veulent échanger leurs cultures, leurs patrimoines, leurs langues, leurs modes de vie, qui veulent la paix, qui veulent vivre en paix et en sécurité.
Des peuples qui veulent coopérer avec ceux du monde entier pour peser d’un juste poids sur les destinées de l’humanité.
Pour ce vaste, cet immense programme, il fallait passer par un grand marché, une seule monnaie, un espace de libre circulation. Les peuples demandent plus. Ils auront plus et, pour cela, point n’est besoin d’abolir nos patries, elles ont leurs histoires et pour nous Français, de renier la France : la construction de l’Europe ne peut et ne doit l’exiger, la construction de l’Europe en a besoin.
Oui je partage l’idée qu’il faut être à la fois dogmatique et pragmatique.
Le dogmatisme, cela pourrait être que les mots de peuples, de nations, de patrie, n’existent plus au nom d’un pseudo-internationalisme qui est contraire à l’universalisme, je préfère la belle phrase « Prolétaires du monde, unissez-vous » à celle qui a déclaré : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ».
Aujourd’hui, les peuples d’Europe sont liés par leurs capacités à travailler ensemble, sans rien renier de leurs histoires, parfois de leurs terribles histoires, ils savent que de tous les grands moments dramatiques sont nés les grands mouvements. Le XXème siècle a été capable de nous donner ces leçons.
Les massacres inutiles de la guerre de 1914-1918 ont conduit certains à croire qu’ils pouvaient en finir avec les guerres tribales européennes. Stresemann, Aristide Briand ont tenté de poser les premières pierres. La terrible absurdité les a combattus.
Oui, mais Hitler, dans les années 40, Staline, à la fin du siècle, ont vu l’effondrement de leurs empires. Le colonialisme vaincu par l’espérance de la liberté et de la démocratie.
Alors certains voudraient nous faire croire que la construction européenne pacifique, courageuse, tenant compte des cultures, des langues, des savoir-faire qui ont tous et toutes leurs vertus seraient contraires à l’intérêt de la France, cette grande assemblée de peuples que l’on appelle la Nation française – Nation qui s’est choisi une patrie qu’on appelle la France.
Ceux-là ont tort et il faut les dénoncer car ce qu’ils souhaitent c’est garder leurs petits prés carrés ou petits chefs, ils ont de petits chez eux.
Tous les arguments sont bons : notre économie qui sombrera ; nos cultures qui s’éteindront ; nos langues qui seront muettes ; nos enfants qui se mélangeront – avec qui, je vous le demande – nos idées philosophiques et religieuses bafouées, piétinées par tous les infidèles du monde.
Nous sommes à la fin de ce que l’on appelle les temps modernes. Nous entrons dans le IIIe millénaire avec des problèmes gigantesques de survie : partout des ruptures ; partout des replis ; partout des humains oublient l’humanité, et l’on voudrait rater, écarter, éloigner, refuser ce grand défi : réunir 500 millions d’hommes, de femmes, d’enfants, pacifiquement, sans contrainte. Voici une démarche jamais usitée dans l’histoire de l’humanité où toujours la réunion de peuples s’est faite dans la violence.
La cause est trop importante pour en rester là. Je préfère accompagner Edgar Morin lorsqu’il disait en 1993, en parlant du devenir du monde ; « C’est l’espérance courageuse de la lutte initiale : elle nécessite de restaurer une conception, une vision du monde, un savoir articulé, une éthique. Elle doit animer, non seulement un projet, mais une résistance contre les forces gigantesques de barbarie qui se déchaînent. Ceux qui relèveront le défi viendront de divers horizons, peu importe sous quelle étiquette, ils se rassembleront. Tous, ils seront les porteurs des grandes aspirations historiques. Ce seront les redresseurs d’espérances… ». La réunification de l’Europe est aujourd’hui particulièrement digne de ce beau combat.
Demain je l’espère, d’autres débats continueront à faire avancer l’Europe vers plus d’unité, de fraternité, de solidarité.
Ne manquons pas l’étape d’aujourd’hui, soyons les redresseurs d’espérance. 


OBSERVATIONS DE M. JACQUES FLOCH
 SUR LES PISTES DE RÉFLEXION 
POUR LE GROUPE DE TRAVAIL « LIBERTÉ, SÉCURITÉ ET JUSTICE »

document de travail 05 du 6 novembre 2002

            La construction d’un espace de liberté, de sécurité de justice est devenue une priorité majeure, depuis le traité d’Amsterdam, de la construction européenne. Les questions d’asile et d’immigration, la gestion des frontières extérieures et la coopération judiciaire en matière civile et pénale sont, de plus en plus fréquemment, placées au sommet de l’agenda politique européen, comme en témoignent les conclusions des nombreux conseils européens consacrés à ces sujets, de Tampere à Séville, en passant par celui de Laeken. Les attentes des citoyens européens sur ce point sont particulièrement fortes, et ne devront pas être déçues. Les propositions formulées par la Convention européenne devront se montrer à la hauteur de ces enjeux, et être ambitieuses.

Les progrès enregistrés en la matière ont en effet, jusqu’à présent, été particulièrement lents, et les avancées réalisées souvent décevantes, en dépit d’une activité législative soutenue. De l’« affaire Rezala » à l’« affaire Ramda », en passant par la querelle franco-britannique sur le centre de Sangatte, les insuffisances de la coopération européenne ont frappé l’opinion publique.

Les frontières se sont ouvertes pour les criminels, mais elles restent fermées pour les policiers et les magistrats. La plupart des États membres ont renoncé à leur monnaie, mais l’attachement à leur souveraineté nationale contribue à faire de l’Europe un paradis pénal. Plus de 5,5 millions d’Européens vivent dans un autre État membre et les mariages mixtes se multiplient, mais il reste impossible de faire reconnaître simplement une décision de divorce ou de garde d’enfant. Il est temps de mettre un terme à ce déséquilibre de la construction européenne, en proposant des réformes ambitieuses, pour un cadre institutionnel efficace et démocratique, mettant en œuvre des politiques d’asile et d’immigration humanistes et constituant un véritable espace judiciaire européen.     

I. - Un cadre institutionnel efficace

a. Un cadre institutionnel unique

Un cadre institutionnel unique surmontant l’actuelle séparation entre piliers, comme le préconise le groupe de travail « Personnalité juridique de l’Union », apparaît effectivement indispensable. Cette structure unique renforcerait la lisibilité et la cohérence du système, en mettant fin notamment aux problèmes considérables de base juridique rencontrés pour certains instruments (comme en matière de protection des intérêts financiers ou de protection de l’environnement).

Mais il faudra tenir compte de la spécificité de ce secteur, en prévoyant que le Conseil européen pourra adopter des instruments de programmation pluri-annuels, définissant une vision d’ensemble de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, et en renforçant le rôle des parlements nationaux, aussi bien au stade de l’élaboration des actes législatifs que de leur mise en œuvre.

b. Des instruments juridiques efficaces

Les décisions et les décisions-cadre du troisième pilier actuel devront impérativement être remplacées par les futures lois et lois-cadre communautaires, de manière à disposer d’instruments juridiques efficaces et lisibles.

Le recours aux conventions devrait être supprimé (la majorité d’entre elles n’est en effet pas encore entrée en vigueur, faute de ratification par les États membres), sauf pour établir des coopérations renforcées entre certains États membres. Les conventions actuelles seraient remplacées par des instruments de droit communautaire.

c. Une procédure décisionnelle cohérente

Le recours à la majorité qualifiée et à la co-décision doit devenir la règle dans ce domaine. L’unanimité continuerait cependant à jouer un rôle, par exemple pour compléter la liste des infractions (cf. infra) ou pour créer de nouveaux organes dotés de compétences opérationnelles.

Le droit d’initiative devrait continuer d’être partagé entre la Commission et les États membres. Mais l’initiative des États membres doit être davantage encadrée, afin d’éviter que chacun ne soit tenté de transposer les priorités de son agenda politique national au niveau européen, et être réservée à un groupe de trois ou quatre États membres. Cette limitation pourrait être compensée par le droit pour chaque État membre ou pour le Parlement européen de demander à la Commission de déposer une proposition, un refus éventuel de celle-ci devant obligatoirement être motivé.

d. Une « voix et un visage » pour l’Espace de liberté, sécurité et justice

Il existe un besoin de personnalisation de l’Union, dans ce domaine comme dans d’autres, et de davantage de cohérence. La création d’une nouvelle institution n’est cependant pas souhaitable, compte tenu de la concurrence qu’elle créerait avec l’existence d’un commissaire européen pour la justice et les affaires intérieures. Il est sans doute préférable de renforcer ce dernier, en en faisant le vice-président de la Commission et en renforçant sa légitimité démocratique (par une procédure spécifique de désignation par le Conseil européen, avec une confirmation par le Parlement européen, par exemple).

e. Un recours indispensable aux coopérations renforcées
           
Le recours aux coopérations renforcées dans ce secteur devra également être prévu par le traité, dans la perspective de l’élargissement. Il est en effet indispensable de permettre à un noyau dur d’États membres de progresser plus loin et plus vite, dans une Europe élargie.

II. – Un cadre institutionnel democratique

            a. Des pouvoirs renforcés pour le Parlement européen

           
Ces pouvoirs seraient renforcés, en premier lieu, par le recours à la co-décision pour l’ensemble de l’espace de sécurité, liberté, et justice. Des procédures particulières devraient également être mises en place en ce qui concerne le contrôle démocratique d’Europol et du futur ministère public européen.

            S’agissant d’Europol (dont le rôle opérationnel doit s’affirmer), le traité devrait poser le principe d’un contrôle parlementaire efficace d’Europol, afin que l’instrument de droit communautaire reprenant la Convention Europol prévoit qu’un seul et même rapport d’activité annuel soit adressé au Conseil et au Parlement européen, ainsi que le droit pour le Parlement européen de demander un échange de vues avec la présidence sur ce rapport annuel, et le droit d’inviter le directeur d’Europol à se présenter devant la commission compétente[1].

            En ce qui concerne le ministère public européen, le Parlement européen devrait également être consulté sur sa nomination, et pouvoir engager une procédure de destitution devant la Cour de justice, en cas de faute grave ou s’il ne remplit plus les conditions nécessaires à l’exercice de ses fonctions. Un rapport annuel devrait également être présenté au Parlement européen.

b. Un contrôle accru des parlements nationaux


Le contrôle des parlements nationaux doit être renforcé dans ce secteur, qui se situe au cœur des préoccupations et des droits fondamentaux des citoyens européens.

Des modalités particulières de mise en œuvre du mécanisme d’alerte précoce prévu par le groupe de travail I « Subsidiarité » pourraient être prévues ; un seuil moins élevé d’avis motivés (un quart au lieu d’un tiers des parlements nationaux) pouvant, par exemple, contraindre la Commission à réexaminer sa proposition.

Un mécanisme d’alerte précoce du même type pourrait également être prévu en cas d’atteinte aux droits fondamentaux, le dépôt d’un avis motivé entraînant, comme pour le respect du principe de subsidiarité, la possibilité de saisir la Cour de justice pour un parlement national. Le développement de l’activité législative en matière de justice et d’affaires intérieures soulève en effet, de plus en plus fréquemment, des interrogations en matière de respect des droits fondamentaux.

Le contrôle parlementaire d’Europol devrait également associer davantage les parlements nationaux, avec la création d’une commission mixte, composée de membres des commissions et du Parlement européen compétentes en matière policière, comme l’a proposée la Commission dans sa communication sur le contrôle démocratique d’Europol du 26 février 2002.

Les parlements nationaux pourraient également déposer une requête collective, selon des modalités qui restent à définir, engageant une procédure de destitution du ministère public européen, dans les mêmes conditions que le Parlement européen.

c. Un contrôle élargi de la Cour de justice

Le régime général de compétence de la Cour de justice doit impérativement s’appliquer dans l’ensemble de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Le maintien des limitations actuelles est en effet difficilement acceptable, tant sur le plan de l’efficacité qu’en termes de garanties des droits individuels, dans une Communauté de droit.

III. – Des politiques d’asile, d’immigration et d’intégration humanistes

a. Une politique d’asile ambitieuse

En matière d’asile, les dispositions actuelles de l’article 63 du traité CE apparaissent clairement insuffisantes pour mettre en œuvre les objectifs ambitieux affirmés lors du Conseil européen de Tampere d’octobre 1999. La mise en place d’un système commun d’asile, avec des procédures, des définitions et des conditions d’accueils communs, requiert en effet d’aller au-delà de la définition de « normes minimales ». Les articles du traité devront être complétés en ce sens, afin de garantir une base juridique adéquate.

La règle de l’unanimité a, en outre, clairement montré ses limites lors des négociations sur le « paquet asile » présenté par la Commission. Elle a en effet conduit à vider les textes de leur substance, en ne retenant que le plus petit dénominateur commun des législations des États membres. Le passage à la majorité qualifiée est donc nécessaire, sans attendre que les conditions posées par le Traité de Nice soient remplies. L’application de la procédure de co-décision est également indispensable, afin d’assurer le contrôle démocratique et la légitimité des décisions prises dans ce domaine.

D’une manière générale, l’affirmation d’un principe de solidarité, y compris financière, entre États membres dans les domaines de l’immigration, de l’asile et du contrôle des frontières extérieures doit également être approuvée, parce qu’il est conforme à la logique communautaire et qu’il garantira une répartition équitable des efforts consentis par l’ensemble des États membres.

Enfin, il devrait être clairement affirmé que les textes communautaires en la matière s’appliqueront également aux autres formes de protection internationale subsidiaire (comme l’asile territorial, en France), parce qu’un traitement différencié en fonction de l’auteur des persécutions - étatique ou non étatique - dont les personnes sont victimes n’est pas acceptable.

b. Une politique d’immigration et d’intégration commune

L’accent a trop souvent été mis, dans ce domaine, sur la lutte contre l’immigration clandestine, et pas assez sur la politique d’intégration. Cette dimension doit être renforcée, en introduisant un lien explicite entre la politique d’immigration et les politiques qui visent déjà dans le traité la lutte contre toute forme de discrimination.

L’articulation de la politique d’immigration, de la politique étrangère et de la politique d’aide au développement devrait également être améliorée dans les traités, parce que la coopération avec les pays tiers constitue l’un des axes centraux d’une véritable politique d’immigration.

IV. Un véritable espace judiciaire européen

            a. L’affirmation du principe de reconnaissance mutuelle

Le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice rendues par les autres États membres constitue la « pierre angulaire » de l’espace judiciaire européen. Ce principe de libre circulation des décisions de justice doit être clairement affirmé, en matière civile comme en matière pénale. Il devrait figurer en tête du titre spécifique du traité consacré à l’espace judiciaire européen.

Cette affirmation, fondée sur la confiance mutuelle dans les systèmes judiciaires des autres États membres, doit s’accompagner de la mise en place de mécanismes d’évaluation de la qualité de la justice, et d’une amélioration de la connaissance qu’ont les professionnels de la justice des autres systèmes judiciaires, à travers des formations communes et des échanges visant les magistrats et les avocats.

Elle doit également s’appuyer sur la définition de garanties procédurales, fondées sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais pouvant aller au-delà si nécessaire.

Une base juridique devrait également être incluse dans les traités, en vue d’élaborer des normes communes en matière d’admissibilité des preuves, en matière civile et pénale.

b. Des compétences communautaires clairement définies

En matière pénale, l’harmonisation de certaines infractions, relatives à la criminalité transfrontalière, doit également constituer l’une des priorités de l’action de l’Union européenne. La définition des infractions visées devraient combiner le recours à une liste pouvant être complétée à l’unanimité, sous réserve de respecter des critères cumulatifs reposant sur la dimension transfrontalière des infractions et l’atteinte à des intérêts ou des valeurs communs.

En matière civile, la base juridique figurant dans le traité devrait être clarifiée, notamment en ce qui concerne la conclusion d’accords avec des États tiers en matière de coopération judiciaire civile, en affirmant le principe d’une compétence partagée.

c. Un ministère public européen[2]

La création d’un ministère public européen apparaît indispensable pour assurer la protection des droits individuels, compte tenu du développement de l’activité policière européenne (de l’OLAF comme, à terme, d’Europol). C’est une condition nécessaire de l’État de droit, parce que dans aucun État de droit l’activité policière ne s’est développée sans un contrôle juridictionnel. Cette création constitue également la seule manière de surmonter le morcellement de l’espace pénal européen, et de renforcer la lutte contre la criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires (protection des intérêts financiers, contrefaçon de l’euro, abus commis par les agents de la fonction publique communautaire, protection des marques et brevets communautaires), pour qu’à la communautarisation du crime réponde enfin une communautarisation de la répression.

Cette création est légitime, parce que ce ministère public européen sera doté de fortes garanties d’indépendance et soumis à un contrôle juridictionnel - avec la création d’un Chambre préliminaire européenne - et politique efficace. Elle est parfaitement compatible avec les traditions juridiques des États membres, se sont considérablement rapprochées (l’Angleterre et le Pays de Galles ont, par exemple créé un Crown Prosecution Service en 1985, et le Serious Fraud Office en 1987, dont les pouvoirs sont supérieurs à ceux que détiendraient le ministère public européen).

Enfin, elle n’aggravera pas la « sédimentation » des institutions existantes, dans la mesure où un lien étroit serait établi entre le Procureur européen et Eurojust, le représentant du ministère public européen pouvant être membre de droit du collège Eurojust, qui conserverait ses attributions en matière de coopération judiciaire.

Sa création pourrait, en outre, s’accompagner, dans un esprit de rationalisation et afin d’accroître l’indépendance organique de l’OLAF à l’égard de la Commission, d’une fusion d’Europol et de l’OLAF.

Si la création d’un parquet collégial, éventuellement à partir d’Eurojust, devait lui être préférée, il conviendrait de préciser comment cette collégialité pourrait être conciliée avec l’exigence de réactivité que requiert une conduite efficace des poursuites judiciaires et de l’action publique devant les tribunaux nationaux.

            d. Le développement opérationnel d’Europol

            Des compétences opérationnelles devraient être conférées à Europol, qui doit jouer un rôle directeur dans le cadre des équipes communes d’enquête et doit pouvoir auditionner des témoins, dans le cadre de ses compétences correspondant à la protection des intérêts communautaires. En contrepartie, son contrôle démocratique par le Parlement européen et les parlements nationaux doit être renforcé (cf. supra), de même que son contrôle juridictionnel, qui serait confié au ministère public européen pour ce qui relève de la criminalité contre l’Europe.


[1] Cf. les propositions figurant dans la communication de la Commission du 26 février 2002, « Exercice d’un contrôle démocratique sur Europol »,  COM (2002) 95 final du 26 février 2002 et dans la recommandation du Parlement européen sur le développement futur d’Europol du 30 mai 2002.

[2] Cf., sur ce point, la contribution déposée au groupe de travail du 28 octobre 2002, « Une justice pour l’Europe », WD 06, qui développe plus substantiellement cette argumentation.


CONTRIBUTION DE M. JACQUES FLOCH 
AU GROUPE DE TRAVAIL « LIBERTE, SECURITE ET JUSTICE »
 
DE LA CONVENTION EUROPEENNE
: UNE JUSTICE POUR L’EUROPE

L’Europe est une « Communauté de droit ». Or, il n’est pas d’État de droit sans que l’activité policière ne soit soumise à un contrôle judiciaire, seul à même d’assurer la garantie des droits individuels.
La préservation des souverainetés nationales ne doit pas faire de l’Europe un « paradis pénal ». Le maintien des frontières juridiques en matière pénale devient en effet inacceptable, à mesure que l’ouverture de l’espace européen progresse. Il faut mettre fin, dans un domaine circonscrit aux intérêts relevant clairement de la compétence communautaire, au morcellement de l’espace pénal européen. Il en va de la crédibilité de l’Union européenne aux yeux de ses citoyens.
Il est aujourd’hui indispensable de créer un ministère public européen, placé sous le contrôle d’une Chambre préliminaire et compétent en matière de criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires.

I. - Une création indispensable
Cette création est nécessaire, pour renforcer la garantie des droits fondamentaux des citoyens de l’Union et accroître l’efficacité de la lutte contre la criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires.
Une garantie plus effective des droits fondamentaux
La coopération policière s’est considérablement développée au sein de l’Union européenne.
Dans le premier pilier, l’Organe européen de lutte anti-fraude (OLAF) constitue une véritable « police financière », dont une partie significative de l’activité opérationnelle est transmise aux autorités judiciaires, tout en restant doté du statut d’un service administratif d’enquête. Le Comité de surveillance et l’unité de magistrats récemment créée au sein de l’OLAF, en dépit de leur intérêt, ne sont pas à même d’exercer un contrôle satisfaisant en matière de protection des droits individuels (présomption d’innocence, respect de la vie privée et des droits de la défense, notamment). Seule la création d’une autorité judiciaire chargée de contrôler, notamment, l’activité de l’OLAF, constituerait une réponse appropriée.
Au sein du troisième pilier, Europol a vu ses pouvoirs s’accroître progressivement, et devrait se voir conférer, à terme, des compétences opérationnelles (comme la possibilité de procéder à des auditions de témoins), au moins dans les domaines relevant clairement de la criminalité contre l’Europe. Ces prérogatives devront elles aussi être soumises à un contrôle judiciaire pour assurer le respect des droits des justiciables.
C’est pour cette première raison qu’il est urgent de créer un ministère public européen indépendant et responsable, instruisant à charge et à décharge, et placé sous le contrôle d’une Chambre préliminaire européenne.
Une lutte plus efficace contre la criminalité portant atteinte aux intérêts communautaires.

. La fraude au budget communautaire représente, chaque année, des sommes très importantes. Les derniers chiffres publiés par la Commission, dans son rapport annuel sur la protection des intérêts financiers des Communautés et la lutte contre la fraude, font ainsi apparaître des fraudes ou irrégularités d’un montant global de 687 millions d’euros en 2001. Selon d’autres estimations, ce montant annuel serait d’environ un milliard d’euros. L’implication de la criminalité organisée est avérée dans une proportion élevée de ces affaires, qui présentent  un caractère transnational marqué.
Les instruments juridiques actuels ne permettent pas de lutter efficacement contre cette fraude. Les cas de fraude décelés par l’OLAF n’aboutissent en effet que très marginalement à des poursuites sur le plan pénal. Le cloisonnement entre autorités judiciaires des États membres, les insuffisances de la coopération judiciaire en matière pénale - en dépit de la création d’Eurojust - et l’absence de reconnaissance des preuves mettent trop souvent en échec des mois d’enquête. Le caractère transnational de la fraude aux intérêts  financiers communautaires oblige en effet à une coopération avec, actuellement, dix-sept ordres judiciaires appliquant des règles de fond et de procédure différentes. Ces difficultés vont, en outre, s’accroître après l’élargissement, avec l’augmentation du nombre d’États et d’opérateurs impliqués dans la gestion des fonds communautaires.
La création d’un ministère public européen est la seule réponse pertinente face à ce  morcellement de l’espace pénal européen. Il existe une réelle convergence de vues sur ce point, émanant d’institutions et d’organismes divers. La Commission a avancé ce projet lors de la Conférence intergouvernementale qui a conduit à la signature du traité de Nice, et lui a consacré plus récemment un Livre vert, présenté le 11 décembre 2001. M. Klaus Hänsch en a proposé la création dès 1996, alors qu’il était président du Parlement européen. Cette idée a également été préconisée par le groupe d’experts ayant rédigé, sous la direction du professeur M. Delmas-Marty, le Corpus Juris publié en 1997 et amendé en 2000. Le comité des sages, que présidait M. Jean-Luc Dehaene, aujourd’hui vice-président de la Convention, a repris cette proposition en 1999. L’Institut universitaire européen de Florence y est favorable, de même que l’Association européenne des magistrats.

Ce ministère public européen permettrait d’assurer un contrôle judiciaire homogène de l’activité opérationnelle et des enquêtes de niveau communautaire, garantissant le respect des droits individuels, de centraliser les poursuites judiciaires et de déclencher l’action publique devant les tribunaux nationaux. C’est indispensable, pour qu’à la communautarisation du crime réponde enfin une communautarisation de la répression.
. Il apparaît légitime d’étendre la compétence du ministère public européen à l’ensemble de la criminalité contre l’Europe, c’est-à-dire aux infractions portant atteinte à des intérêts communs et pour lesquels existe un droit du fond communautaire. La contrefaçon de l’euro, les abus commis par les agents de la fonction publique communautaire et la protection des marques et des brevets communautaires devraient ainsi être visés.

II. - Un projet conforme aux exigences de l’État de droit et de la démocratie
La création du ministère public européen est légitime, parce qu’il sera doté de fortes garanties d’indépendance et placé sous un contrôle juridictionnel et démocratique efficace.
De fortes garanties d’indépendance
            Le statut du ministère public européen doit s’inspirer de celui des juges de la Cour de justice. Choisi parmi des personnalités réunissant les conditions requises pour l’exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions juridictionnelles, il ne peut solliciter ni accepter aucune instruction. Les procureurs européens délégués nationaux devraient également être dotés d’un statut européen assurant leur indépendance.
            Ses conditions de nomination devraient être identiques à celles des juges de la Cour de justice, en prévoyant toutefois le recours à la majorité qualifiée et la consultation du Parlement européen. Le caractère non renouvelable du mandat de six ans, proposé par la Commission, devrait également être retenu.
Un contrôle juridictionnel et politique efficace
            Le ministère public européen doit être indépendant, mais pas pour autant irresponsable. Une procédure disciplinaire doit être mise en place, et s’il a commis une faute grave ou s’il ne remplit plus les conditions nécessaires à l’exercice de ses fonctions, une procédure de destitution pourrait être engagée devant la Cour de justice, à la requête du Parlement européen, du Conseil, ou de la Commission. Une requête collective des parlements nationaux pourrait également être envisagée, selon des modalités qui restent à définir.
            Le ministère public européen devrait également présenter un rapport annuel devant le Parlement européen. Ce rapport serait transmis aux parlements nationaux.
            La protection des droits des justiciables exige également la création d’une Chambre préliminaire européenne, rattachée à la Cour de justice. Le système prévu par la Commission n’est en effet pas satisfaisant. Le contrôle par un juge national de l’acte de renvoi en jugement ne protège pas les justiciables contre la pratique du « forum shopping », qui consisterait à laisser le choix au procureur européen de renvoyer l’affaire devant les tribunaux de l’État où celle-ci aurait le plus de chance d’aboutir à une condamnation, et le contrôle par un « juge des libertés » national des actes de recherche paraît difficile à exercer en pratique s’agissant d’affaires transnationales. Il convient par conséquent de confier à une Chambre préliminaire les fonctions de juge des libertés à l’échelle de l’espace judiciaire européen, en lui conférant le contrôle de la phase préparatoire et la décision de renvoi en jugement.

III. - Une institution compatible avec la diversité des traditions juridiques nationales et les organes existants
La faisabilité du ministère public européen ne fait pas de doute, parce que les traditions juridiques des États membres se sont considérablement rapprochées, mais elle requiert la définition de règles communes d’admissibilité des preuves et une clarification des relations avec les institutions existantes.
Les traditions juridiques des États membres se sont considérablement rapprochées
            La diversité des traditions juridiques des États membres est souvent opposée à la création d’un ministère public européen, au motif que la tradition accusatoire, qui n’implique pas l’institution d’un service de poursuites publiques, lui serait totalement étrangère. Mais cette opposition entre la tradition accusatoire et inquisitoire est excessive, dans la mesure où ces deux modèles ont évolué et que leurs caractères d’origine se sont estompés. L’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de procès équitable, en particulier, a contribué à rapprocher ces deux systèmes. On peut ainsi mentionner, à titre d’exemple, la création en Angleterre et au Pays de Galles du Crown Prosecution Service, en 1985, et du Serious Fraud Office, en 1987, et la disparition progressive sur le continent européen du juge d’instruction[1].
Des règles communes d’admissibilité des preuves
            Le principe de reconnaissance mutuelle et de libre circulation des preuves proposé par la Commission ne paraît pas de nature à surmonter toutes les difficultés rencontrées sur ce point essentiel. Il convient par conséquent de prévoir une harmonisation de certaines règles en matière de preuves, en adoptant une liste ouverte des modes de preuves que les États membres reconnaîtraient comme communément admissibles devant leurs juridictions, sur le modèle de l’article 32 du Corpus juris.
            c. Une institution compatible avec les organes existants
            Le ministère public européen ne doit pas aggraver la « sédimentation » des institutions observable en matière de coopération judiciaire. Eurojust et le ministère public européen sont deux institutions complémentaires - mais Eurojust ne saurait constituer un substitut au ministère public européen, car il relève d’une logique différente, de coopération judiciaire - entre lesquelles un lien doit être établi, afin d’éviter tout cloisonnement. Le représentant du ministère public européen
 pourrait ainsi être membre de droit du collège Eurojust, tout en conservant son statut particulier et son indépendance fonctionnelle. Une solution plus ambitieuse consisterait également à opérer une fusion organique entre ces deux instances, avec une relation hiérarchique qui ferait du représentant du ministère public européen un « primus inter pares » au sein de la seconde.
            La fusion d’Europol et de l’OLAF, tous deux placés sous le contrôle du Procureur européen, devrait également être envisagée, dans un esprit de rationalisation et afin d’accroître l’indépendance organique de l’OLAF à l’égard de la Commission, dans le contexte d’un cadre institutionnel européen unique.

La création d’un ministère public européen constitue une réforme indispensable avant l’élargissement, pour restaurer la confiance des citoyens dans la poursuite de la construction européenne.
C’est une étape nécessaire afin de créer un véritable espace judiciaire européen, corollaire de l’espace de libre circulation. Il serait paradoxal que les États membres refusent de la franchir, alors qu’il existe déjà, au niveau international, des réalisations plus ambitieuses, comme la Cour pénale internationale, qu’ils ont pourtant unanimement acceptée.

[1] Cf. Mireille Delmas-Marty et John Spencer, « Ministère public européen : articles 18-19 Corpus juris », in Mireille Delmas-Marty et J.A.E. Vervaele, La mise en œuvre du Corpus juris dans les États membres, vol. 1, Intersentia, 2000, p.321-322.


Pour une Union au service des peuples d’Europe (31 juillet 2002)

Chacun s’accorde à souligner que la Convention pour l’avenir de l’Europe peut constituer une étape essentielle, une chance pour l’Union qu’il ne faut surtout pas gâcher. C’est notre responsabilité de conventionnels qui est engagée devant les peuples d’Europe : saurons-nous, à la lumière de l’intérêt commun, nous attacher à l’essentiel, aller au bout des questions – y compris sur des sujets qui fâchent ? – dépasser nos pré-carrés de tous ordres, nos réflexes de pensée, pour construire un projet politique d’intérêt commun, marqué de l’ambition nécessaire ? Le contexte actuel l’exige, le service des citoyens européens aussi. La méthode de la Convention – en particulier la forte participation parlementaire, plus celle des représentants des pays candidats – constitue un gage d’ouverture qui tranche heureusement par rapport à la traditionnelle méthode diplomatique qui a fait la preuve de ses limites.

Le contexte de l’élargissement, celui de la mondialisation et de la domination américaine, comme l’attente chez les citoyens européens d’une Europe plus lisible, rassemblée, efficace et démocratique, nous imposent de réussir. La conscience de la gravité des enjeux me semble heureusement très présente dans les esprits des conventionnels. Les objectifs fondamentaux qui doivent guider nos réflexions et nos propositions me paraissent être principalement les suivants : la défense d’un type de société qui allie compétitivité économique et protection sociale, la possibilité pour l’Union de constituer une force sur le plan international pour servir nos intérêts, promouvoir nos valeurs et assumer ses responsabilité pour l’établissement de la paix à travers le monde. Reste aussi le nécessaire approfondissement démocratique des institutions, qui doit s’accompagner d’une simplification des textes et des procédures. Un traité constitutionnel en sera la conclusion ; il devra être soumis aux peuples par référendum.

La phase d’écoute des travaux de la Convention - temps nécessaire de réflexion et d’échange - s’achève. Elle aura déjà permis de tracer quelques orientations importantes, notamment en ce qui concerne les compétences, la politique étrangère et la défense, ainsi que le domaine des affaires de justice et de police. Les groupes de travail ont pour leur part permis d’approfondir utilement certains sujets spécifiques. D’autres prendront la suite.

Dès septembre, et au fur et à mesure de l’avancement des travaux, les débats de la Convention vont devenir progressivement plus denses et disputés. Les principaux chantiers qui, me semble-t-il, vont constituer le cœur de nos discussions tournent principalement – sans exhaustivité – autour des sujets suivants :
– comment renforcer concrètement l’action de l’Union dans le domaine des relations extérieures, de la défense, de l’action judiciaire et policière ? Il convient dans ces domaines d’être pragmatique et de trouver les équilibres ad hoc , entre les méthodes intergouvernementale et communautaire, qui garantissent l’efficacité de l’action ;
– comment assurer un contrôle renforcé de la subsidiarité ? Les parlements nationaux ont très certainement un rôle clé à jouer de ce point de vue ;
– par quelles voies renforcer le leadership européen, dans un double souci d’efficacité et de lisibilité, tout en faisant émerger un véritable espace politique en Europe ? A ce stade, il ne s’agit pas à mon sens de remettre en cause le triangle institutionnel, Conseil, Commission, Parlement européen – qui reste pleinement justifié dans son caractère d’origine tant que la construction européenne reste encore fortement en mouvement – mais plutôt, sans idées préconçues, de renforcer chacun des pôles de ce triangle ;
– quels sont les moyens les plus adaptés pour renforcer la parlementarisation des institutions ? Le renforcement du rôle du Parlement européen – notamment en matière budgétaire, parallèlement à la mise en place d’un véritable système de ressources propres, plus clair et plus démocratique – est complémentaire d’un rôle accru des parlements nationaux
– sur le plan du contrôle de l’action gouvernementale, mais aussi en matière de subsidiarité et dans les domaines qui continueront, au moins pour un temps, à relever de la méthode intergouvernementale ;
– comment permettre aux pays qui souhaitent aller plus loin sur la voie de l’intégration de le faire sans être bloqués par les autres ? Cette question doit notamment amener à réfléchir à l’exigence actuellement en vigueur de l’unanimité pour la ratification des modifications du Traité.

L’importance des sujets à l’ordre du jour de la Convention impose d’engager un effort renouvelé de dialogue avec la société civile au niveau européen et sur le terrain dans chacun de nos pays. Il faut aller au-devant des citoyens européens pour les informer, mais aussi pour écouter leurs propositions et leurs inquiétudes. C’est une condition essentielle de la refondation nécessaire de l’Union à laquelle la Convention doit s’attacher.


© Assemblée nationale