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Document E4229
(Mise à jour : 19 janvier 2011)


Proposition de décision - cadre du Conseil relative à la prévention et au règlement des conflits de compétence dans le cadre des procédures pénales.


E4229 déposé le 23 janvier 2009 (13ème législature)
   (Référence communautaire : 5208/09 du 20 janvier 2009)

La présente proposition de décision-cadre, présentée par M. Guy GEOFFROY , rapporteur, au cours de la réunion de la Commission du 1er avril 2009, tend à créer un système de prévention et de règlement des conflits de compétence en matière pénale.

Il arrive que des procédures pénales soient initiées parallèlement dans deux Etats membres pour les mêmes faits impliquant la même personne. En application du principe «  non bis in idem  », la primauté est accordée de fait à la procédure aboutissant le plus rapidement et au jugement devenu définitif le premier, ce qui est peu compatible avec l’idée de la coopération judiciaire pénale.

Le projet initial a été largement revu, conformément aux remarques de très nombreux Etats au sein des groupes de travail. Il prévoyait à l’origine une procédure excessivement lourde et contraignante d’échanges d’informations entre Etats (par une obligation de notification des affaires présentant un lien notable avec un autre Etat), une liste de critères difficiles à mettre en œuvre pour désigner l’Etat le mieux placé pour exercer les poursuites et un mécanisme de dessaisissement automatique et irrévocable. Un texte de cette nature ne serait pas adapté et serait source de nombreuses difficultés d’application.

Les modifications apportées au texte au cours des négociations ont permis de lever la plupart des inquiétudes exprimées, mais la valeur ajoutée du texte apparait modeste.

La règle du « non bis in idem »

Selon la règle du «  non bis in idem  », nul ne peut être poursuivi, jugé ou puni deux fois en raison des mêmes faits. Cette règle est consacrée en France par l’article 368 du code de procédure pénale ainsi qu’à l’article 692 du même code pour son application horizontale entre Etats. Elle constitue un principe fondamental de sécurité juridique et d’équité.

Son respect au sein des Etats membres est bien assuré mais son application entre Etats membres soulève des difficultés. Au plan international, ce principe a été posé notamment par le protocole n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, en date du 22 novembre 1984. Néanmoins, ce protocole n’interdit les doubles condamnations pour un même fait que dans le cas de personnes jugées dans un même Etat.

C’est la raison pour laquelle la Convention de Bruxelles du 25 mai 1987 conclue entre les Etats membres des Communautés européennes consacre le principe du «  non bis in idem  » et a été reprise par la Convention d’application de la Convention de Schengen du 14 juin 1985, en date du 19 juin 1990, dont l’article 54 dispose qu’ : «  une personne qui a été définitivement jugée par une partie contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la partie contractante de condamnation . »

Plusieurs conditions sont posées (la sanction, en cas de condamnation, doit avoir été subie, être en cours d’exécution ou ne plus pouvoir être exécutée). En outre, des exceptions sont posées à ce principe (article 55). Chaque Etat peut décider, par une déclaration spécifique, d’appliquer trois exceptions : l’Etat peut refuser d’appliquer ce principe lorsque les faits visés par le jugement étranger ont eu lieu soit en tout, soit en partie sur son territoire, constituent une infraction contre la sûreté de l'État ou ont été commis par un fonctionnaire en violation des obligations de sa charge.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union dispose en son article 50 que «  nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement définitif conformément à la loi . »

Les contours du principe ne sont pas totalement arrêtés (définition des « mêmes faits », de la chose « définitivement jugée »). C’est la raison pour laquelle un projet de décision cadre relative à l’application du principe «  non bis in idem  » avait été déposé en 2003, sur lequel les discussions ont été suspendues en 2005. La commission européenne avait été invitée à présenter une réflexion plus large sur les conflits de compétence (Livre vert sur les conflits de compétence et le principe ne bis in idem dans le cadre des procédures pénales).

La présente proposition de décision cadre relance les travaux européens en cette matière. Elle était très problématique dans sa version initiale mais ne constitue, dans sa version actuelle, qu’une avancée relative. Elle permet de mettre en œuvre des consultations directes entre autorités compétentes afin d’éviter les conséquences négatives découlant de l’existence de procédures pénales parallèles.

En pratique, les instruments d’entraide judiciaire posent déjà le principe d’une prise de contact direct entre les autorités judiciaires (Convention d’application de l’accord de Schengen ou Convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, qui prévoit la possibilité de contacts directs pour une dénonciation adressée par un État membre en vue de poursuites devant les tribunaux d'un autre État membre et permet des échanges spontanés d’informations entre autorités compétentes).

La proposition de décision cadre introduit un nouveau mécanisme parallèle aux conventions d’entraide judiciaire et à la décision du Conseil instituant Eurojust.

La proposition de décision cadre représente une avancée modeste

La proposition vise à ce que les autorités nationales puissent être informées à un stade précoce des faits pouvant donner lieu à un conflit de compétence et qu’un accord soit trouvé afin de concentrer la procédure pénale dans un Etat.

Elle cherche à éviter les situations dans lesquelles une même personne fait l’objet, pour les mêmes faits, de procédures pénales dans différents Etats membres. Elle vise donc à promouvoir le principe «  non bis in idem  ».

Des consultations directes devraient permettre de dégager un consensus, en temps utile, pour accroître l’efficacité des poursuites et garantir une bonne administration de la justice.

La proposition ne vise pas à régler les cas de conflits négatifs de compétence.

La notion de procédure pénale à laquelle se réfère la proposition comprend à la fois l’instruction et le procès proprement dit.

Lorsqu’une autorité compétente d’un Etat membre estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une procédure pénale parallèle est en cours dans un autre Etat membre pour les mêmes faits impliquant la même personne, et que cela pourrait donner lieu à des jugements définitifs dans plusieurs Etats membres, elle devrait prendre contact avec l’autorité de l’autre Etat (article 5). Le principe de base de la proposition est la prise de contacts directs mais un Etat peut désigner une autorité centrale chargée de la réception et de la transmission administrative des demandes d’informations.

Cette obligation de prise de contact ne s’appliquerait pas lorsque les autorités ont déjà échangé des informations par tout autre moyen.

Une obligation de répondre dans un délai raisonnable serait instituée.

La procédure de prise de contact serait fondée sur un échange minimal d’informations venant appuyer la demande et la réponse afin notamment d’assurer une identification correcte des personnes et la nature de la procédure parallèle en cours.

Lorsqu’il est établi que des procédures pénales parallèles sont en cours pour les mêmes faits impliquant la même personne, les autorités devraient obligatoirement engager des consultations directes afin de dégager un consensus sur toute solution permettant d’éviter les conséquences négatives liées à l’existence des procédures parallèles (article 12).

Les critères listés pour établir le consensus sont inscrits dans le corps de l’article 15 mais auraient davantage leur place dans un considérant, n’étant qu’indicatifs et étant susceptibles de poser de réels problèmes d’application (il s’agirait notamment du lieu du crime, du lieu où sont subis les dommages, du lieu où se trouvent les suspects et de leur nationalité, etc.).

Si aucun consensus n’est dégagé, les Etats conservent le droit d’engager ou de poursuivre les procédures et Eurojust peut être saisi. La France et un petit nombre d’Etats souhaitent que la saisine d’Eurojust soit obligatoire en cas d’échec constaté suite aux échanges. La majorité des Etats ne le souhaite pas, ce qui est d’autant plus regrettable que la décision du Conseil adoptée le 16 décembre 2008 renforçant Eurojust dispose que les informations relatives aux conflits de compétence potentiels ou avérés sont transmises aux membres nationaux. Le collège d’Eurojust peut être saisi par les Etats en vue de rendre un avis non contraignant sur l’Etat le mieux placé pour mener les poursuites. Par ailleurs, si la compétence générale d’Eurojust est en principe limitée à certaines formes de criminalité, tout Etat conserve la possibilité de saisir l’unité pour d’autres infractions.

La Parlement européen doit rendre son avis dans le courant du mois de mai sur la base de la proposition de rapport déposée par Mme Renate Weber, qui tend notamment à clarifier la proposition dans sa rédaction initiale et à renforcer la place d’Eurojust (en prévoyant par exemple une information systématique dès le stade de la prise de contact, ce qui présente l’inconvénient d’être trop en amont des échanges). Le projet de rapport renforcerait également la protection des personnes poursuivies (permettant à l’intéressé de faire valoir son opinion sur l’Etat le mieux placé pour les poursuites ou d’exercer un recours contre la décision). Cet instrument n’a cependant pas vocation à harmoniser les procédures au sein des Etats et n’est pas un outil de reconnaissance mutuelle. Il ne devrait donc pas contenir ces éléments nouveaux. Pour autant, le considérant prévoyant que la décision cadre ne confère aucun droit susceptible d’être invoqué par une personne poursuivie devant les autorités nationales devrait être supprimé.

Il est prévu que dans les situations où des instruments ou accords plus souples sont en vigueur, ceux-ci doivent prévaloir sur la proposition de décision cadre.

En conclusion, les positions développées par les autorités françaises doivent être appuyées pour permettre une saisine obligatoire d’Eurojust et que l’unité devienne un outil central dans la coopération judiciaire. Il faut prendre acte des avancées de ce texte et rappeler les progrès que permettra la mise en œuvre du traité de Lisbonne. Il convient aussi de souligner que les conflits de compétences en matière pénale peuvent aller très loin dans l’imbroglio juridique, avec de graves conséquences pour les personnes concernées.

Le Président Pierre LEQUILLER a ajouté que c’était également le cas dans les affaires civiles, concernant les divorces transfrontaliers notamment.

Sur proposition du rapporteur, la Commission a ensuite adopté les conclusions suivantes :

«  La Commission

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision cadre du Conseil relative à la prévention et au règlement des conflits de compétence dans le cadre de procédures pénales (E 4229),

Souligne la nécessité de progresser dans la prévention et la résolution des conflits de compétence en matière pénale et prend acte de ce que la proposition de décision cadre ne constitue qu’une avancée modérée,

Rappelle les avancées du traité de Lisbonne pour Eurojust et que la décision du Conseil 2008/…/JAI du … sur le renforcement d’Eurojust prévoit précisément de développer le rôle de l’unité pour résoudre les conflits de compétence,

Soutient donc la position des autorités françaises tendant à instituer à l’article 16 de la proposition de décision cadre une saisine automatique d’Eurojust dès lors que les autorités compétentes ne sont pas parvenues à dégager un consensus.  »