Logo du site de l'Assemblée nationale

Document E4333
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Projet de décision du Conseil concernant la conclusion, au nom de l'Union européenne, des accords entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique sur l'extradition et l'entraide judiciaire en matière pénale.


E4333 déposé le 11 mars 2009 distribué le 23 mars 2009 (13ème législature)
   (Référence communautaire : 6730/09 du 2 mars 2009)

Le présent projet de décision tend à permettre la conclusion des accords entre l’Union européenne et les États-Unis sur l’extradition et l’entraide judiciaire en matière pénale. Ces accords ont été signés le 25 juin 2003.

Tous les Etats membres doivent au préalable avoir échangé des instruments écrits avec les Etats-Unis afin de rendre compte des modalités d’application des dispositions des accords UE-Etats-Unis au niveau bilatéral. Tous les Etats ont signé ces instruments bilatéraux avec les Etats-Unis mais la Grèce et la Belgique doivent encore achever leurs procédures constitutionnelles concernant ces instruments. La Belgique doit achever sa procédure de ratification et la Grèce n’a pas encore soumis sa loi d’approbation au Parlement.

Les deux accords entre les Etats-Unis et l’Union ainsi que les 54 accords bilatéraux (deux pour chaque Etat membre) ont été ratifiés par le Sénat américain et les instruments de ratification ont été signés en 2008.

Une fois cette étape achevée, le Conseil doit autoriser la présidence à conclure les deux accords. Tel est l’objet du présent projet de décision qui vient donc parachever la procédure.

1. La contestation de la procédure suivie

Il convient de rappeler l’opposition très ferme qu’avaient suscitée les projets de signature des accords entre l’Union et les Etats-Unis en 2003. Sur la procédure suivie, tant l’Assemblée nationale (texte adopté n° 120 du 10 avril 2003 : résolution sur la coopération judiciaire entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique) que le Sénat avaient dénoncé l’interprétation faite de l’article 24 du traité sur l’Union européenne dans un sens excluant les Parlements nationaux.

L’article 24 TUE, combiné à l’article 38 TUE, permet au Conseil de conclure des accords internationaux portant sur des matières relevant du titre VI (espace de liberté, de sécurité et de justice).

Le 5 de l’article 24 TUE dispose qu’aucun accord ne lie un Etat membre dont le représentant au sein du Conseil déclare qu’il doit se conformer à ses propres règles constitutionnelles. Les autres membres du Conseil peuvent convenir que l’accord est néanmoins applicable à titre provisoire. Cela permet une entrée en vigueur des accords sans attendre l’achèvement des procédures de ratification par des Etats ayant invoqué la nécessité de se conformer à leurs propres règles constitutionnelles.

Le service juridique du Conseil de l’Union a estimé que tout accord conclu en application de l’article 24 TUE est conclu par le Conseil au nom de l’Union. L’Union est la seule partie contractante, à l’exclusion des Etats membres. En France, cette interprétation a eu pour conséquence que les accords n’ont pas été soumis à la procédure de ratification de l’article 53 de la Constitution.

Au-delà de la question de la personnalité juridique de l’Union, sur laquelle nous ne reviendrons pas ici, l’interprétation de l’article 24 TUE s’agissant des parties aux traités est incertaine. Le 1 de l’article 24 TUE dispose en effet que : «  lorsqu’il est nécessaire de conclure un accord avec un ou plusieurs États ou organisations internationales en application du présent titre, le Conseil peut autoriser la présidence, assistée, le cas échéant, par la Commission, à engager des négociations à cet effet. De tels accords sont conclus par le Conseil sur recommandation de la présidence . » La déclaration annexée au traité d’Amsterdam précise en outre que «  les dispositions de l’article 24 et de l’article 38 ainsi que tout accord qui en résulte n’impliquent aucun transfert de compétence des Etats membres.  » L’exclusion des Etats membres en tant que parties contractantes a été largement débattue.

Le fait que l’Union soit seule partie contractante a une conséquence sur les compétences du Parlement français au titre de l’article 53 de la Constitution. Le Gouvernement français a en effet estimé qu’il n’était pas possible d’invoquer le 5 de l’article 24 TUE, la France n’étant pas partie aux traités et les accords ne pouvant donc entrer dans le champ de l’article 53 de la Constitution.

Néanmoins, la plupart des Etats membres estiment que le 5 de l’article 24 les autorise à procéder à une ratification et saisissent leur Parlement des accords conclus sur le fondement de cet article. 23 Etats membres sur 27 ont fait usage de la réserve de l’article 24 TUE sur la conclusion des accords d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale avec les Etats-Unis (seules la France, l’Autriche, la Grèce et la Roumanie ont fait exception).

L’Assemblée nationale, dans sa résolution sur les projets d’accords, avait souhaité que le Gouvernement français saisisse le Conseil d’Etat d’une demande d’avis concernant la régularité juridique de la procédure de conclusion envisagée, tant au regard du droit international et européen applicable que de la Constitution française, et en communique le contenu au Parlement.

Elle avait également estimé que la France devrait invoquer la nécessité de se conformer «à ses propres règles constitutionnelles» prévue à l’article 24 TUE, et soumettre ces projets d’accords au Parlement au titre de l’article 53 de la Constitution, si cette procédure est juridiquement envisageable.

Le Conseil d’Etat, dans son avis rendu le 7 mai 2003, a estimé que la réserve par un Etat membre de ses propres règles constitutionnelles prévue à l’article 24 TUE, paragraphe 5, «  a pour objet de permettre à cet Etat d’assurer uniquement le respect des règles de fond d’ordre constitutionnel . »

Le Conseil d’Etat a estimé que le traité reconnaît au Conseil de l’Union la possibilité de recevoir le mandat de négocier et de conclure des accords qui lient les institutions de l’Union et les Etats membres. La réserve par un Etat membre de ses propres règles constitutionnelles ne vise pas, selon le Conseil d’Etat, les règles d’ordre procédural posées par la Constitution en matière de conclusion d’engagements internationaux car l’article 24 TUE institue une procédure commune de conclusion dont l’économie serait altérée par le maintien des procédures nationales. En outre, l’article 24 avait en 2003 déjà été appliqué à deux reprises pour la conclusion d’engagements internationaux dans le cadre de la PESC.

Le Gouvernement s’en est depuis tenu à cette interprétation, refusant de faire jouer l’article 24 TUE, paragraphe 5, pour permettre une ratification au titre de l’article 53 de la Constitution.

Ceci est tout à fait regrettable et remet en cause une prérogative essentielle du Parlement s’agissant de domaines touchant au cœur de ses compétences.

En outre, en France, la constitutionnalité de l’article 24 TUE avait semble-t-il été liée à la possibilité de faire jouer le paragraphe 5 de cet article et, selon le commentaire de la décision n° 97-394 DC sur le traité d’Amsterdam par M. Jean-Eric Schoettl, de recourir à la procédure de ratification prévue à l’article 53 de la Constitution. L’interprétation contraire retenue pourrait donc avoir des conséquences concrètes sur le devenir des mesures prises sur la base des traités d’extradition et d’entraide judiciaire.

La procédure prévue à l’article 88-4 de la Constitution avait permis au Parlement de se faire entendre. Elle a depuis vu son champ renforcé par la révision constitutionnelle du 4 février 2008. Cependant, la portée des examens au titre de l’article 88-4 n’est pas de nature équivalente à la ratification au titre de l’article 53 de la Constitution qui permet au Parlement d’empêcher la ratification d’un accord.

Dans la perspective de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il convient de noter que les accords de l’actuel troisième pilier seront remplacés par des instruments de droit communautaire classiques non soumis à ratification. La possibilité pour un Etat de faire appel à la réserve de l’article 24 TUE afin de se conformer à ses propres règles constitutionnelles disparaît. Il n’existera plus des procédures distinctes selon que la Communauté ou l’Union conclut un accord. La Communauté et l’Union fusionnent en une entité juridique unique ayant la personnalité juridique.

En conséquence, le renforcement du rôle du Parlement est impératif afin de peser sur des domaines aussi sensibles et touchant au cœur de ses compétences. Il lui appartiendra de se saisir des outils mis à sa disposition par le traité de Lisbonne. Ce dernier prévoit, en son article 70 TFUE, que les parlements nationaux participent aux mécanismes d’évaluation de la mise en œuvre des politiques de l’Union dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice qui peuvent être mis en place par le Conseil, notamment afin de favoriser la pleine application du principe de reconnaissance mutuelle.

En matière de coopération judiciaire pénale, le rôle des parlements nationaux a été reconnu avec un droit d’alerte précoce dès lors qu’un quart des voix attribuées aux parlements nationaux (au lieu d’un tiers) ont estimé une initiative contraire au principe de subsidiarité.

2. Des accords satisfaisants sur le fond

Les deux accords encadrent les traités bilatéraux en vigueur ou à négocier entre les Etats membres et les Etats-Unis en matière d’extradition et de coopération judiciaire pénale.

Sur le fond, l’accord d’entraide judiciaire comporte des avancées importantes : en matière de recherche d’informations bancaires, le secret bancaire ne pourra plus être opposé pour refuser une assistance, des équipes communes d’enquête pourront être créées et opérer sur le territoire des Etats-Unis et des Etats membres et le recours aux nouvelles technologies (visioconférence, télécopie, courrier électronique) est prévu pour faciliter les procédures. L’accord d’extradition simplifie la transmission et l’authentification des demandes d’extradition et des demandes d’arrestation provisoire. Lorsque les traités bilatéraux ne le prévoient pas, l’accord met en œuvre des procédures simplifiées en cas de consentement de la personne recherchée.

Les garanties offertes en ce qui concerne l’application de la peine de mort sont satisfaisantes et permettent de ne pas procéder à l’extradition si la personne recherchée risque la peine de mort.

Les principales difficultés de ces accords avaient trait à :

- la question des tribunaux militaires d’exception mis en place après les attentats du 11 septembre 2001. Aucun appel devant des juridictions ordinaires n’est possible ;

- dans le cas de jugements in abstentia , la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, telle qu’interprétée par la jurisprudence, garantit qu’une personne condamnée in abstentia puisse obtenir qu’une juridiction statue ultérieurement après l’avoir entendue. Une demande d’extradition tendant à exécuter un jugement rendu par défaut serait problématique car une telle situation n’est pas réglée par l’accord.

L’Assemblée nationale, dans sa résolution adoptée sur les projets d’accords, avait souhaité que le Gouvernement saisisse le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur la conformité de ces projets d’accords à la Constitution et aux engagements internationaux de la France en matière de protection des droits de l’homme.

Elle avait également demandé une référence expresse aux droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne, afin de pallier les difficultés soulevées par les tribunaux militaires d’exception et les jugements par défaut.

Le préambule se réfère dans l’accord final comme dans la version initiale au droit à un procès équitable, y compris le droit à être jugé par un tribunal impartial établi par la loi. Mais la valeur juridique d’une telle disposition est très limitée. L’article 17 de l’accord d’extradition final prévoit une clause dans le cas où des principes constitutionnels de l’Etat requis ou des décisions judiciaires définitives ayant un caractère contraignant sont de nature à faire obstacle à son obligation d’extrader. Des consultations doivent alors être engagées. L’ajout, au cours des dernières négociations, de la référence aux décisions judiciaires a permis d’introduire la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, notamment sur les procès équitables. Si la demande de la France d’introduire une référence à l’article 6 du traité sur l’Union européenne (suite aux recommandations du Conseil d’Etat) n’a pas été satisfaite, la référence aux décisions judiciaires définitives a amélioré le texte final.

Enfin, le cas des demandes d’extradition concurrentes devait également être réglé. En effet, le texte du projet d’accord en matière d’extradition plaçait sur le même plan une demande d’extradition émise par les Etats Unis et une demande de remise au titre du mandat d’arrêt européen, ce qui empêchait de donner la priorité au mandat d’arrêt européen. Dans sa résolution, l’Assemblée nationale avait demandé que la référence au mandat d’arrêt européen soit supprimée, afin de préserver la possibilité d’établir une priorité en faveur de l’espace judiciaire européen. Les autorités françaises avaient pu obtenir cette modification alors que les Etats-Unis auraient souhaité maintenir une égalité de traitement explicite dans l’accord.

*

* *

En conclusion, tout en rappelant que les projets d’accords auraient dû être soumis au Parlement au titre de l’article 53 de la Constitution, la Commission a approuvé ce projet de décision permettant la conclusion des accords et l’échange des outils de ratification avec les Etats-Unis, au cours de sa réunion du 6 mai 2009.