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bicentenaire du Code civil

Ex p o s i t i o n

200 ans de Code civil
Des lois qui nous rassemblent

 

Biographies de :
 Cambacérès, Tronchet
, Bigot de Préameneu, Portalis  et Maleville

Biographies extraites du Dictionnaire des Parlementaires français de 1789 à 1889
 
[L'Assemblée nationale remercie la Bibliothèque nationale de France (Gallica)
 pour l'avoir autorisée à reproduire les ouvrages numérisés par ses soins.]

 

CAMBACÉRÈS (Jean-Jacques-Régis de), duc de parme, membre de la Convention, député au Conseil des Cinq-Cents, ministre et pair des Cent Jours, né à Montpellier (Hérault),le 18 octobre 1753, mort à Paris, le 8 mars 1824, d'une vieille famille de noblesse de robe, et fils d'un conseiller en la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier, fut destiné à la magistrature, et se livra avec ardeur à l'étude du droit. Il succéda à son père dans sa charge, en 1771, et fut choisi, en 1780, par l'ordre de la noblesse dont il faisait partie, comme secrétaire rédacteur de ses cahiers. Élu, en second, député de cet ordre, par la sénéchaussée de Montpellier, son élection fut annulée, la prétention de cette sénéchaussée à envoyer deux députés n'ayant pas été admise ; à la suppression des cours, il fut appelé à quelques fonctions administratives, puis à la présidence du tribunal criminel de l’Hérault. Le 6 septembre 1792, ce département l'élut membre de la Convention, par 248 voix sur 469 votants, Cambacérès avait adhéré aux idées nouvelles en légiste bien plus qu'en révolutionnaire, et avait contracté avec la Révolution un mariage de raison et non pas de sentiment ; aussi montra-t-il à la Convention beaucoup plus d’habileté et de prudence que d'enthousiasme et d'ardeur. Membre du comité de législation, il évita de se compromettre en se renfermant d’abord dans les questions de contentieux et de jurisprudence. Chargé, le 12 novembre 1792, d'aller demander à Louis XVI quels défenseurs il avait choisis, il obtint que ces défenseurs communiqueraient librement avec lui. Quand il fut appelé à porter son jugement sur le roi, il commença par déclarer que Louis était coupable, répondit au 2e appel nominal (la sanction du peuple) : " Nous devions aussi renvoyer à la sanction du peuple le décret par lequel nous nous sommes constitués juges de Louis ; nous ne l'avons pas fait : je dis non ", et s'exprima ainsi au 3e appel (la peine) :

" Citoyens, si Louis eût été conduit devant le tribunal que je présidais, j'aurais ouvert le Code pénal, et je l'aurais condamné aux peines établies par la loi contre les conspirateurs ; mais ici j'ai d'autres devoirs à remplir. L'intérêt de la France, l'intérêt des nations ont déterminé la Convention à ne pas renvoyer Louis aux juges ordinaires, et à ne point assujettir son procès aux formes prescrites. Pourquoi cette distinction? C'est qu'il a paru nécessaire de décider de son sort par un grand acte de la justice nationale ; c'est que les considérations politiques ont dû prévaloir dans cette cause sur les règles de l'ordre judiciaire ; c'est qu'on a reconnu qu'il ne fallait pas s'attacher servilement à l'application de la loi, mais chercher la mesure qui paraissait la plus utile au peuple. La mort de Louis ne nous présenterait aucun de ces avantages ; la prolongation de son existence peut au contraire nous servir. Il y aurait de l'imprudence à se dessaisir d'un otage, qui doit contenir les ennemis intérieurs et extérieurs.

" D'après ces considérations, j'estime que la Convention nationale doit décréter que Louis a encouru les peines établies contre les conspirateurs, par le Code pénal : qu'elle doit suspendre l'exécution du décret jusqu'à la cessation des hostilités, époque à laquelle il sera définitivement prononcé par la Convention ou par le Corps législatif sur le sort de Louis, qui demeurera jusqu’alors en état de détention ; et néanmoins, en cas d'invasion du territoire français par les ennemis de la République, le décret sera mis à exécution. "

Malgré ce vote, il fut chargé de surveiller les décrets de la Convention relatifs à la destruction des restes du roi, et rendit compte de sa mission avec une impassibilité dont les royalistes se souvinrent en 1816. Le 10 mars 1793, il défendit Dumouriez dénoncé par la section Poissonnière, et, le même jour, demanda, d'urgence, l'organisation du tribunal révolutionnaire, et le remplacement des ministres : " Tous les pouvoirs vous ont été confiés, dit-il, vous devez les exercer tous ; il ne faut point suivre ici les principes ordinaires ; lorsque vous construirez la Constitution, vous discuterez celui de la séparation des pouvoirs : je demande que séance tenante, on organise le tribunal et le ministère. " Le 26 mars, nommé membre du comité de salut public à sa création, il dénonça immédiatement Dumouriez, en son propre nom : la défection du général rendait trop compromettante la défense présentée seize jours auparavant. Le 6 avril, il fut élu comme suppléant au comité d’exécution créé par l’assemblée, et le 14 mai, il combattit la motion de Buzot réclamant de chaque député l’état et l’origine de sa fortune. " Les considérations personnelles, dit-il, ne doivent jamais influencer les hommes politiques. S’il en est parmi nous qui aient abusé de leur caractère pour augmenter leur fortune, l’opinion publique saura les signaler, et leurs départements respectifs en feront justice. " Il se tint ensuite à l’écart des débats politiques, vota avec la majorité, le 31 mai, contre les Girondins, et, décidé à s’enfermer dans les travaux de législation, présenta, le 1er juin, un rapport sur la situation des enfants naturels, et réclama, le 16 juin, l’établissement du jury en matière civile : " Les tribunaux ne pourront rendre de jugement, dit-il, que les faits n’aient été préalablement décidés par des jurés. " Chargé avec Merlin (de Dunai), de la classification des lois en un code unique, question qu’il avait toujours eue en vue, il présenta un premier rapport le 10 août 1793, exposa le projet lui-même en octobre, le défendit les 6 et 9 décembre, et le reproduisit plus tard aux Cinq-Cents : Cambacérès avait eu l’idée à laquelle Napoléon devait attacher son nom. Après le 9 thermidor, au moment de la rentrée des 73 conventionnels arrêtés du 31 mai au 2 juin, il proposa une amnistie plénière pour les faits non prévus par le Code pénal ; le 5 novembre suivant, étant président de l’Assemblée, il fit voter, au nom des comités de salut public, de sûreté générale et de législation, une adresse au peuple français, dans laquelle on annonçait que " le régime qui a sauvé l’État sera maintenu, mais en le régularisant, en le dégageant des vexations, des mesures cruelles, des inquiétudes dont il a été le prétexte. " En janvier 1795, chargé du rapport des trois comités sur " les individus de la famille Capet " qui étaient encore détenus, il conclut à ce que le Dauphin fût gardé au Temple, " car il ne faut pas se dissimuler, dit-il, que l’inquiétude, le malaise, dont tout le monde se plaint, doit être attribué à ceux qui cherchent à persuader au peuple que le gouvernement républicain ne peut durer. " Nommé président du comité de salut public, il concentra presque entre ses mains le gouvernement, dont aucun acte n’était expédié sans sa signature ; il fit rejeter la motion de Personne sur la mise en accusation des membres des comités et tribunaux révolutionnaires, réclama d’importantes modifications à la Constitution de 1793, fit partie de la commission chargée de les préparer, et obtint la substitution du bannissement à la déportation contre les prêtres perturbateurs de l’ordre public.

Après le 13 vendémiaire, compromis par les papiers trouvés chez l’agent royaliste Lemaître, comme entretenant des relations avec les conspirateurs, il se justifia avec chaleur, et la Convention vota l’impression de son discours.

Après la législature, il dut à son vote modéré, lors du procès du roi, de ne pas faire partie du Directoire ; il n’entra même pas au Conseil des Cinq-Cents comme conventionnel, ainsi que le rapportent la plupart de ses biographes, mais comme l’élu de plus de cinquante départements (21 vendémiaire an IV), entre lesquels il opta pour l'Hérault, qui lui avait donné 210 voix sur 232 votants. Il fut nommé président de cette assemblée, et y fit adopter la création d'une commission de surveillance des actes du Directoire au point de vue législatif (qui n'empêcha pas le 18 fructidor), et l'institution de la contrainte par corps en matière civile (27 février 1797). Il sortit du Conseil le 20 mai suivant et fut réélu à Paris par l’assemblée électorale de l'Oratoire ; mais le coup d'État directorial du 22 floréal an VI annula son élection. La journée du 30 prairial ayant chassé du Directoire Merlin et Treilhard, Cambacérès remplaça Lambrecht au ministère de la Justice, qu'il occupa du 2 thermidor An VIl au 3 nivôse an VIII, c'est-à-dire, même après le coup d'État du 18 brumaire. Quand Bonaparte se fut débarrassé de Sieyès, il choisît Cambacérès comme 2e consul, avec la charge spéciale de l'organisation des pouvoirs judiciaires et de la préparation des lois. Le 28 floréal an XII il le nomma aussi chancelier de l'Empire, président du Sénat, puis grand officier de la Légion d'honneur le 10 pluviôse an XIII, et duc de Parme le 19 mars 1808; à cette occasion, on raconte que Cambacérès disait à un de ses amis : " Que vous m'appeliez Altesse en public, cela est très bien. Mais en particulier ce cérémonial est inutile. Appelez-moi tout simplement Monseigneur. " Le haut dignitaire, Altesse Sérénissime, devint aussi membre du conseil privé, président du Conseil d'État et de la Haute cour impériale, etc., et fut pourvu de toutes les décorations européennes. On croit qu'il blâma l'exécution du duc d'Enghien, les guerres d'Espagne et de Russie, et le mariage de Napoléon avec une archiduchesse; publiquement et officiellement il resta l'apologiste constant de l'Empire. Président du conseil de régence en 1814, il détermina l'impératrice à se retirer avec le roi de Rome au delà de la Loire, l'y accompagna, et envoya de Blois, le 7 avril, son adhésion, comme sénateur, à la déchéance de Napoléon. Réintégré dans toutes ses dignités au retour de l'île d'Elbe, il fut nommé, le 2 juin 1815, pair des Cent-Jours, président de la Chambre haute et, par intérim, ministre de la Justice, dont les fonctions furent exercées par M. Boulay, de la Meurthe, conseiller d'État. Mais à la seconde Restauration, banni à tort, comme régicide, en vertu de la loi du 12 janvier 1816, il se retira à Bruxelles, d'où une ordonnance royale du 13 mai 1818 le rappela, en lui restituant ses droits civils et politiques ; au scrutin électoral de 1820, il déclara, en déposant son bulletin ouvert, " qu'il venait joindre son vote à celui des fidèles amis de la monarchie ". A sa mort, le gouvernement fit mettre ses papiers sous scellés, malgré l'opposition judiciaire de l'héritier. — Cambacérès a, dit-on, laissé des Mémoires, qui n'ont pas été publiés ; il était membre de L'Institut (Académie française) depuis l'organisation de ce corps par la Convention (1795). D'après une lettre du marquis d'Aigrefeuille, en date du 17 germinal an IX, lettre appartenant à la collection d'autographes Fossé-Darcosse, la bibliothèque de Cambacérès, alors consul, aurait été formée avec des livres pris dans les bibliothèques publiques.

TRONCHET (François-Denis), député en 1789 et au Conseil des Anciens, membre du Sénat conservateur, né à Paris le 23 mars 1723, mort à Paris le 10 mars 1806, fils d’un procureur au parlement, fut reçu avocat en 1713 et donna des consultations. Il avait déjà acquis un certain renom comme jurisconsulte lorsque Maupéou exila le parlement en 1774. Il suivi alors l’exemple de Target et des autres avocats et refusa de paraître au barreau, sans cesser, dans sa campagne de Palaiseau où il s’était retiré, de rédiger pour ses clients de nombreux mémoires juridiques. Au retour des anciens parlements, il revint à Paris, devint à la place de Gerber bâtonnier de l’ordre en janvier 1789, et, quelques mois plus tard, le 13 mai 1789, fut élu député du Tiers aux États-Généraux par la ville de Paris. Après avoir prêté le serment du Jeu de paume, il protesta contre l’appellation d’" Assemblée nationale " que les députés des communes voulaient donner aux États-Généraux, applaudit aux premières réformes, bien qu’il fût l’un des membres les plus modérés du tiers, approuva la nuit du 4 août, et entra successivement au comité de constitution, au comité féodal et au comité judiciaire. Comme membre du comité féodal, il fut rapporteur du mode de rachat des droits seigneuriaux déclarés rachetables (3 mai 1790), des routes seigneuriales (18 décembre), des droits seigneuriaux grevant les biens d’emphytéose (13 septembre 1791), et des conséquences de la suppression de la dîme (7 juin 1791) ; il fit aussi déterminer l’emploi des fonds provenant du rachat des droits féodaux. Comme membre du comité judiciaire, il fit décréter l’institution des avoués, se montra partisan du jury en matière criminelle, mais point en matière civile, appuya la création d’un tribunal de cassation ou cour suprême (3 mai 1790), le maintien des juges d’instruction (10 décembre), et l’égale répartition des héritages (12 mars 1791) en vertu de cette théorie que " l’homme ne tient la faculté de faire des dispositions testamentaires que de la loi civile et non de la loi naturelle ". Comme membre du comité de constitution, il soutint le principe du veto absolu, le droit de grâce et la dualité des Chambres, et parla sur les conventions nationales et sur la réforme de la Constitution. Le 30 janvier 1791, il réclama contre l’inscription de son nom sur la liste du club monarchique. Président de l’Assemblée (29 mars 1791), il combattit, après la fuite du roi à Varennes, la proposition de Robespierre et Barêre qui voulaient saisir l’autorité judiciaire de l’instruction de cette affaire, et fit adopter la nomination de commissaires pour entendre les explications du roi ; il fut lui-même chargé de recevoir la déclaration du prince. Après la session, il fut élu 1er haut juré de la Seine, le 17 octobre 1791. Il était à sa campagne lorsqu’il reçut de Garat la nouvelle que Louis XVI l’avait désigné pour lui servir de défenseur devant la Convention. Tronchet ne suivit pas l’exemple de Target ; il accepta, et écrivit au ministre à cette occasion une lettre très prudente, où il expliquait que ne faisant qu’accomplir son strict devoir d’avocat, il entendait n’encourir aucune responsabilité. De concert avec Malesherbes et de Sèze, il assista donc Louis XVI de ses conseils. Le 18 janvier 1793, lorsqu’il connut le veto de la Convention, il fit remarquer que les deux tiers des voix n’avaient pu être obtenus, que l’ordre du jour qui avait adopté le système de la simple majorité n’avait pu être voté à l’appel nominal, que, par conséquent, on devait en revenir à la décision protectrice qui subordonnait la condamnation à l’obtention des deux tiers des voix. Merlin répondit à Tronchet que la Convention n’était pas un jury, mais un tribunal simplement chargé de l’application de la peine ; il fut passé outre à l’observation de Tronchet, dont le nom figura sur le testament du roi. Suspect après le 31 mai, il se retira de nouveau à Palaiseau et n’en revint qu’après la chute de Robespierre. Il se lia alors avec les Girondins rappelés après thermidor et se montra disposé à sévir contre les terroristes. Élu, le 20 vendémiaire an IV, député de Seine-et-Oise au Conseil des Anciens, par 216 voix, il fut nommé secrétaire le 11 brumaire suivant, prit une part active aux débats, fit plusieurs rapports sur la répression des tentatives de crime, sur la conservation des droits des défenseurs de la patrie, sur les domaines congéables, sur l’intention en matière de répression, en faveur de l’assimilation des enfants naturels aux enfants légitimes. Élu président du Conseil le 9 frimaire de la même année, il parla encore sur les successions, combattit la résolution en faveur des créanciers des ci-devant secrétaires du roi, appuya le rétablissement de la contrainte par corps en matière civile, et donna lecture d’un rapport sur les élections au corps législatif, et sur les difficultés qui s’étaient élevées entre les deux Conseils ; il prit encore la parole sur l’organisation du régime hypothécaire, les expropriations forcées et l’arbitrage. Sorti du Conseil des Anciens en prairial an VII, il ne prit aucune part effective au 18 brumaire, qu’il se contenta d’approuver. En nivôse suivant, il entra à la commission chargée de préparer un projet de code civil ; du 24 thermidor an VIII au 1er pluviôse an IX, il présida la commission de rédaction. Il y fit prédominer l’esprit du droit coutumier, et se prononça pour le régime de la communauté, comme étant de droit commun en France. Il avait été nommé juge au tribunal de cassation le 11 germinal an VIII, et président le 1er floréal de la même année ; mais ses occupations à la commission du code l’empêchèrent de se consacrer exclusivement à ces hautes fonctions. Nommé membre du Sénat conservateur le 8 ventôse an IX, il fut appelé, par décret du premier Conseil, du 18 mars 1803, à la présidence de ce corps, et obtint quelques temps après la sénatorerie d’Amiens. Membre de la Légion d’honneur du 9 vendémiaire an VII, commandeur de l’ordre du 25 prairial, il mourut peu de temps après, et fut inhumé au Panthéon. Il a laissé en manuscrits une tragédie : Calon, des traductions en vers de l’Arioste et de Miltou, divers ouvrages historiques, et près de trois mille consultations déposées depuis à la bibliothèque de la cour de Cassation. Son nom a été donné à l’une des rues de Paris.

PORTALIS (Jean-Etienne-Marie), député au Conseil des Anciens et ministre, né au Beausset (Var) le 1er avril 1745, mort à Paris le 25 août 1807, issu d’une vieille famille bourgeoise, étudia chez les oratoriens à Toulon puis à Marseille, et suivit les cours de l’Ecole de droit d’Aix. En même temps il débutait dans les lettres par un essai intitulé : Observations sur l’ouvrage intitulé Emile ou de l’éducation (1763), et par une brochure qui fit quelque bruit dans sa province : Des préjugés. Reçu avocat (1795), il débuta avec succès au barreau d’Aix, et se fit surtout remarquer, dans les discussions, par l’affectation de simplicité qu’il apportait à ses plaidoiries : c’était rompre avec les traditions, et les vieux avocats blâmèrent le ton du débutant, qui riposta, dit-on, avec vivacité : " C’est le barreau qui a besoin de changer d’allure et non pas moi ! ". La science juridique de Portalis se révéla pour la première fois dans un écrit intitulé : Sur la distinction des deux puissances, écrit composé à l’occasion d’une lutte engagée par le clergé contre le parlement d’Aix : l’auteur fut l’objet de violentes attaques, mais se défendit à son honneur. Une consultation qu’il publia en 1770, à la demande de M. de Choiseul, sur la validité des mariages des protestants en France, lui valut des éloges de Voltaire, et le désigna bientôt pour les fonctions d’assesseur d’Aix ; il était le second des quatre administrateurs électifs de la province de Provence, connus sous le nom de procureurs du pays. Député aux États de Provence, il y tint un rang distingué, retrouva, sa mission expirée, de brillants succès au barreau, et se vit confier plusieurs affaires qui eurent un grand retentissement, par exemple la cause de la comtesse de Mirabeau, plaidant en séparation de corps contre son mari, le célèbre comte de Mirabeau, qui se défendit lui-même. Il eut aussi Beaumarchais pour adversaire dans le procès de l’écrivain contre le légataire de Paris Duverney. En 1788, Portalis rédigea, au nom de l’ordre des avocats du parlement d’Aix, une Lettre au garde des sceaux contre les tentatives de l’archevêque de Sens, Loménie de Brienne, pour amener un changement dans la constitution du royaume ; cette lettre fut bientôt suivie d’un autre écrit sur le même sujet intitulé : Examen impartial des édits du 8 mai 1788. Le jeune avocat était en possession d’une belle situation dans sa province quand éclata la Révolution. L’inimitié de Mirabeau à son égard, et aussi le peu d’enthousiasme que Portalis sembla avoir manifesté pour les idées nouvelles, l’éloignèrent de l’Assemblée constituante. Dans les premiers mois de 1790, il refusa d’être commissaire du roi pour l’organisation d’un des trois départements formés de l’ancienne Provence. La même année, il se retira avec les siens dans une maison de campagne des environs de la ville et y demeura à l’écart des affaires jusqu’en février 1792. Bien qu’éloigné de la politique, il craignit cependant d’être inquiété, se rendit à Lyon, d’où on l’expulsa, à la fin de 1793, parce qu’il n’y était pas né, se réfugia à Villefranche où l’on tua son secrétaire, et aida à chercher un asile plus sûr à Paris. Mais il ne tarda pas à être dénoncé et arrêté : il est vrai qu’il subit sa détention dans une maison de santé, grâce à la recommandation d’un de ses compatriotes, en attendant que le 9 thermidor le rendit à la liberté. Il se fixa alors à Paris, y reprit l’exercice de sa profession d’avocat et se fit élire, le 28 vendémiaire an IV, député de la Seine au Conseil des Anciens, par 316 voix (685 votants). En même temps, il obtenait la majorité dans les Bouches-du-Rhône. Il opta pour Paris et prit place, aux Anciens, dans les rangs du parti contre-révolutionnaire qui faisait au Directoire une vive opposition. Il unit ses efforts à ceux de Siméon, son compatriote et son beau-frère, de Barbé-Marbois, de Lebrun et autres, s’opposa à la création d’un ministère de la Police, fut secrétaire, puis président de l’assemblée, prit la défense des prêtres et des émigrés, combattit la résolution relative aux délits de presse, se prononça en maintes circonstances contre les sociétés populaires, fut mêlé à l’affaire de la conspiration de La-villebeurnoy, comme devant remplacer Cochon au ministère de la Police, fit un rapport sur le divorce, et fut atteint, comme royaliste, par le coup d’État du 18 fructidor. Il se cacha chez le banquier de Lessert à Passy, put gagner la Suisse, puis le Holstein, et ne rentra en France qu’au 18 brumaire. Bonaparte, qui estimait ses talents, le nomma d’abord commissaire du gouvernement près le conseil des prises ; puis commissaire avec Tronchet, Bigot de Préameneu et Maleville, pour la rédaction du code civil. Conseiller d’État en septembre 1800, il se vit chargé principalement de toutes les affaires concernant les cultes qu’il eut à réorganiser : Portalis prit personnellement la plus grande part au Concordat conclu avec le Pape Pie VII, et aux articles organiques destinés à le compléter. Les discours qu’il prononça à cette époque furent empreints des idées et des sentiments qu’avait toujours professés l’église gallicane. C’est à Portalis que sont dus le discours préliminaire qui précède le projet de code civil, et les exposés des motifs des titres du Mariage, de la Propriété, des Contrats aléatoires, etc. : la science, la clarté, l’élégance et la pureté de style dont il fit preuve, on été souvent admirées, et sa collaboration au code civil a constamment passé pour son principal titre de gloire. " Portalis, disait Napoléon, serait l’orateur le plus fleuri et le plus élégant, s’il savait s’arrêter. " Quand Louis XVIII fit des ouvertures de restauration à Bonaparte, Portalis, consulté, conseilla " de détruire jusque dans leurs germes les espérances chimériques d’une ancienne famille, moins préoccupée de recouvrer ses titres que de faire revivre les abus qui les lui ont fait perdre. " Membre de la Légion d’honneur le 9 vendémiaire an XII, grand officier de l'ordre le 25 prairial suivant, et grand aigle le 13 pluviôse, an XIII, Portalis fut nommé, le 10 juillet 1804, ministre des Cultes. L’année d’avant il était entré à l’Institut, à la réorganisation de ce corps, et avait composé en cette qualité l’Éloge de l’avocat général Ségnier. Atteint alors d’une cécité presque complète, il se fit opérer de la cataracte ; mais le succès ne répondit pas à ce qu’on espérait et Portalis mourut sans avoir recouvré la vue, le 25 août 1807. Son corps fut déposé dans les caveaux du Panthéon. Le fils et le petit-fils de Jean-Etienne-Marie Portalis ont publié un ouvrage posthume de lui : De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le dix-huitième siècle (1820), et des Discours, rapports et travaux inédits.

BIGOT DE PRÉAMENEU (Félix-Julien-Jean, comte), député à l’Assemblée législative de 1791, ministre des Cultes et pair des Cent-Jours, né à Rennes (Ille-et-Vilaine), le 26 mars 1747, mort à Paris, le 31 juillet 1825, était avocat au Parlement de Paris avant la Révolution, dont il embrassa la cause avec une certaine réserve. Lors de l’établissement des premiers tribunaux qui succédèrent aux anciennes Cours, en 1790, il fut élu juge du quatrième arrondissement de la capitale ; distingué par le " ministère constitutionnel ", il fut envoyé commissaire à Uzès, pour y apaiser des troubles d’ailleurs sans gravité. L’année d’après (6 septembre 1791), Bigot de Préameneu fut nommé député de Paris à l’Assemblée législative, par 387 voix sur 609 votants ; il y opina d’abord avec les défenseurs de la royauté, et prononça, le 7 janvier 1792, en faveur de la sanction royale, un discours qui provoqua les huées des tribunes. Peu après il fit décréter pour Paris la prompte organisation du jury, demanda que l’incompatibilité des fonctions de législateur et de juré fut prononcée, approuva un arrêté du Parlement de Paris contre les prêtres assermentés, et obtint, dans la séance du 22 mai, que, par la loi qui ordonnait le séquestre des biens des émigrés, il fût accordé un mois de délai à ceux qui voudraient rentrer. Quelques jours après, il fut élu président, et, en cette qualité, fit, le 20 avril, à Louis XVI, qui venait déposer sa déclaration de guerre à l’Autriche, cette réponse sommaire : " L’Assemblée examinera votre proposition, et elle vous instruira du résultat de ses délibérations. " Le 23 du même mois, il s’opposa au projet de loi que Thuriot présentait contre les ecclésiastiques qui refusaient de prêter serment à la Constitution ; peut-être cette circonstance ne fut-elle pas étrangère, plus tard, à sa nomination comme ministre des Cultes de Napoléon Ier. Il est vrai qu’on en donna une raison plus futile : lui-même répétait que c’était à cause de son nom (Bigot, en quelque sorte prédestiné, que l’empereur avait songé à lui.

Bigot de Préameneu, qui avait encore obtenu de l’Assemlée un décret interdisant aux pétitionnaires de se présenter en armes à sa barre, dut se tenir caché sous le régime révolutionnaire ; après s’être prudemment dérobé, il reparut le 18 brumaire, applaudit au coup d’État de Bonaparte et fut nommé par le premier consul commissaire du gouvernement près le Tribunal de cassation, et conseiller d’État. C’est à ce poste qu’il concourut, avec Portalis, Tronchet et autres, à la rédaction des Codes. Parmi les nombreux discours qu’il prononça à la tribune du Corps législatif pour soutenir les projets de loi du Code civil, on a remarqué surtout celui qui a pour objet les Contrats ou les Obligations conventionnelles en général. Napoléon Ier le fit comte de l’Empire et officier de la Légion d’honneur, puis, à la mort de Portalis (1808), l’appela au ministère des Cultes. Il ne fit preuve, d’ailleurs, dans ces fonctions, d’aucune initiative personnelle, se bornant à exécuter exactement les ordres du maître jusqu’à la chute du gouvernement impérial. Son plus important travail était d’analyser les mandements des évêques sur les victoires de l’Empire, et d’en extraire les passages les plus saillants à la louange de l’empereur pour les insérer au Moniteur. Bigot de Préameneu, qui s’était réfugié en Bretagne à la première Restauration, en revint aux Cent-Jours, et fut appelé à la Chambre des pairs de l’Empire, mais il n’eut cette fois que le titre, plus modeste, de directeur général des cultes. Il perdit encore toutes ses dignités au second retour des Bourbons et, depuis ce temps, il ne reparut plus sur la scène politique. Vivant dans la retraite, il ne s’occupa que de visiter les prions et les hospices, dont il était administrateur. Admis en 1800, à l’Académie française, il répondit au discours de réception de l’évêque d’Hermopolis (M. de Frayssinous) : c’est même son seul titre littéraire. A sa mort il laissa une fortune considérable, qui était surtout le fruit de son extrême parcimonie.

MALEVILLE (Jacques, marquis de), député au Conseil des Anciens, membre du Sénat conservateur et pair de France, né à Domme (Dordogne), le 19 juin 1741, mort à Domme le 22 novembre 1824 ; fils de monsieur Pierre de Maleville et de dame Louise-Anne de Molènes, était avocat à Bordeaux avant la Révolution. En 1789, il prit parti pour les idées nouvelles, devint membre puis président du directoire du département de la Dordogne (1790), et entra ensuite au tribunal de cassation (1791). Elu, le 26 vendémiaire an IV, député de la Dordogne au Conseil des Anciens, par 280 voix (405 votants), ami de Portalis et de Barbé-Marbois, il s’opposa constamment aux mesures de violence, attaqua la loi du 9 floréal an III, qui semblait vouloir punir les citoyens d’élever leurs enfants dans les idées royalistes, appuya la proposition d’abroger la loi du 8 brumaire an IV, et s’éleva contre l’ingérence du Directoire dans les affaires, et contre les innovations que l’on voulait introduire dans le code d’instruction criminelle. Quoique de parti clichyen, il échappa aux proscriptions du 18 fructidor, demanda (21 nivôse an VI) que la nomination des membres des tribunaux criminels restât attribuée aux assemblées électorales, et parla en faveur du rétablissement de la contrainte par corps et contre les nouvelles dispositions de la loi qui accordait des avantages excessifs aux enfants illégitimes. Réélu au Conseil des Anciens, son élection fut annulée en floréal an VII. Il adhéra au 18 brumaire et fut rappelé, le 11 germinal an VIII, au tribunal de cassation, dont il présida peu après la section civile, en remplacement de Troncher, du préparer le projet du code civil. Membre de la Légion d’honneur (4 frimaire an XII), président de la cour de Cassation (29 floréal suivant), il fut créé comte de l’empire le 26 avril 1808. Il vota, en avril 1814, la déchéance de l’empereur et le retour des Bourbons, qui le nommèrent pair de France, le 4 juin 1814. Là, il se prononça contre la censure, et, lors du procès du maréchal Ney, vota pour la déportation. Grand-officier de la Légion d’honneur en 1817, il cessa presque entièrement, à partir de 1820, de s’occuper des affaires publiques, en raison de son état de santé. M. de Maleville a publié : Du divorce et de la séparation de corps (1801 et 2e édition 1816) ; Analyse raisonnée de la discussion du code civil au conseil d’État (4 volumes, 1804-1805 et 3e édition 1822) ; Défense de la Constitution par un ancien magistrat (1814).