Ni putes, ni soumises ,
de Fadela AMARA, avec la collaboration de Sylvia Zappi,
La Découverte (septembre 2003)

« Ni Putes Ni Soumises ». C’est avec ce
slogan volontairement provocateur qu’une poignée de filles de banlieues lance
au printemps 2002 un manifeste dénonçant le machisme et les violences
masculines. Après le meurtre de Sohane, brûlée vive à Vitry-sur-Seine par un
garçon d'une cité voisine, le mouvement s’amplifie et débouche en
février 2003 sur une « Marche des femmes contre les ghettos et
pour l’égalité », formidable élan de libération d'une parole
trop longtemps retenue. Fadela Amara est l’initiatrice et la figure
emblématique de cette marche. Ce livre correspond à son désir de briser l’omerta
et de poursuivre les débats engagés alors. À travers l'évocation de son
parcours - filles d'immigrés algériens, née en France en 1964, elle a grandi
dans une cité de Clermont-Ferrand et s'est très rapidement tournée vers le
militantisme - et les témoignages reçus pendant la marche, elle tente ici de
comprendre les raisons de la dérive des banlieues. Au-delà de son récit
singulier, ce sont les voix de milliers de jeunes femmes qui se font entendre,
exprimant leurs interrogations et leur révolte : pourquoi cette recrudescence
des violences à l'égard des filles et cette régression du statut des femmes
dans les cités ? Face au constat amer de la décomposition du lien social et de
la dégradation des rapports entre hommes et femmes, Fadela Amara délivre ici
un message de colère, de lutte et d’espoir. Celui de voir les filles des
cités gagner leur liberté, dans un rapport pacifié avec l’autre sexe.

La France qui tombe,
de Nicolas BAVEREZ,
Perrin (octobre 2003)

Nicolas Baverez réfléchit sur la spécificité du domaine
français et s’interroge sur la part croissante et inexorable de son malaise.
Dans La France qui tombe, Nicolas Baverez s’essaie à une analyse d’un
quart de siècle de politique et d’économie « à la française ».
Pour lui « l’écart se creuse entre la rhétorique de la puissance et les
moyens de son exercice ». Chiffres à l’appui – ceux du chômage, des
dépenses publiques, de la production et du travail – Nicolas Baverez envisage
« la chronique annoncée du déclin de la France » due au fait que
chaque gouvernement depuis l’après-guerre se trouve comme paralysé par l’idée
d’une réforme. Et pas plus la gauche que la droite n’ont réussi à ce jour
à engager le pays dans la voie d’une vraie modernité ; leur offre
politique se révélant « incapable d’élaborer, d’assumer et de mettre
en œuvre un projet ambitieux et cohérent de modernisation du pays ».
L’essai de Nicolas Baverez pointe les dysfonctionnements du
système français. Ce n’est pas, selon lui, que la France soit irréformable,
c’est surtout « que le gouvernement est incapable de concevoir et
réaliser les réformes ». Sa charge vise tout autant un modèle culturel
fondé sur un ancrage archaïque des mentalités qu’une absence de volonté d’envisager
à chaque niveau un destin collectif. Baverez, à grand renfort de chiffres et d’exemples,
veut parvenir à l’équation alarmiste que l’immobilisme politique, social
et économique de la France a pour corrélation son avachissement intellectuel
et moral.
Présentation de l’auteur
Avocat, historien et économiste, Nicolas Baverez signe dans Le
Point et au Monde des éditoriaux aigus, de grande audience.

Témoins du futur. Philosophie et messianisme,
de Pierre BOURETZ,
Gallimard (août 2003)

Il s'agit d'un ouvrage considérable de plus de mille deux
cent pages relevant de l'histoire des idées et de la philosophie pure.
Guerres d'ampleur inconnu, rêves d'émancipation brisés,
extermination: le XXe siècle a été le cimetière du futur. Il y a des
témoins: de Hermann Cohen à Emmanuel Lévinas, d'Ernst Bloch à Leo Strauss,
de Franz Rosenzweig à Gershom Scholem, de Walter Benjamin et Martin Buber à
Hans Jonas, ils sont allemands d'origine ou de culture, juifs et philosophes.
Leur formation, leurs préoccupations et leur orientation parfois s'opposent,
mais souvent se croisent: entre l'engagement sioniste et des formes
hétérodoxes de marxisme, dans la redécouverte de traditions cachées de
l'histoire juive, au carrefour de l'éthique et de la métaphysique. Ils ont en
commun d'avoir contribué à introduire dans la philosophie une dimension
messianique inédite. La raison en est que, à un moment donné de leur critique
du monde comme il va, l'expérience historique s'est dressée comme un obstacle
qu'il fallait se résigner à accepter ou tenter de surmonter pour dégager un
nouvel horizon, tourné vers le futur, ouvert à l'utopie, en un mot
messianique. Les plus grands de leurs prédécesseurs avaient annoncé le
désenchantement du monde et proposé d'en payer le prix: leurs oeuvres portent
la trace d'une morsure du nihilisme. Eux se sont risqués à la résistance et
au sauvetage des promesses du monde: c'est la lumière messianique qui éclaire
leur oeuvre. Thèses de Walter Benjamin sur l'histoire, principe de
responsabilité envers les générations futures chez Hans Jonas, redéfinition
par Emmanuel Lévinas des formes de l'éthique, voici quelques-unes des
problématiques qui irriguent désormais la philosophie.
Entre les penseurs, Pierre Bouretz a développé des
continuités, des analogies, etc. Même si leur système prenait des sources
différentes, parfois opposées : Kant pour Cohen, Marx pour Bloch ou Benjamin,
la mystique pour Buber, etc.

Tirs croisés - La laïcité à l’épreuve des
intégrismes chrétien, juif et musulman,
de Caroline FOUREST & Fiammetta VENNER,
Calmann-Lévy (octobre 2003)

Depuis le 11 septembre 2001, le monde vit dans la
hantise du terrorisme musulman. Mais ce traumatisme n’a pas permis une
réflexion en profondeur sur l’origine de ce terrorisme : l’intégrisme.
Quand il l’a fait, le monde occidental a voulu se persuader que seul l’islam
pouvait susciter la barbarie. Ce qui a le mérite de rassurer et d’accréditer
la thèse du « choc des civilisations ».
Caroline Fourest et Fiammetta Venner se sont plongées
dans les documents, les témoignages, les interviews et les textes sacrés.
Elles apportent un cinglant démenti à cette illusion en démontrant que,
sur bien des points (comme les droits des femmes, la sexualité, l’intolérance
culturelle ou la violence), le monde dont rêvent les intégristes musulmans
ressemble à s’y méprendre à celui prôné par les intégristes juifs et
chrétiens. Mieux, malgré les apparences d’un choc des religions, leurs
actions convergent vers un monde toujours plus instable et de moins en moins
sécularisé dont tous profitent.
La véritable ligne de fracture, loin d’isoler
l’Islam du « reste du monde », pourrait surtout séparer partout
dans le monde les démocrates des théocrates – autrement dit, les
partisans d’une cité ouverte, tolérante et protectrice des libertés
individuelles –, des intégristes, fondamentalement d’accord pour
prendre la laïcité sous les tirs croisés de leurs fanatismes.
Ce livre analytique par son ton et sa méthode, mais
explosif par les questions qu’il soulève et les réponses qu’il
apporte, est un signal d’alarme pour tous les défenseurs des libertés et
de la laïcité.
Présentation des auteurs
Fiammetta Venner est boursière CNRS, en séjour
post-doctoral au Cadis durant les années 2003 et 2004. Elle a soutenu en
2002 un doctorat en science politique à l'IEP de Paris (spécialisation
sociologie politique et politiques publiques). Elle est directrice de
publication de la revue Prochoix.
Spécialiste de l’extrême droite religieuse,
rédactrice en chef de la revue ProChoix, Caroline Fourest enquête depuis
cinq ans sur les réseaux « pro-vie » français et internationaux.
Elle a déjà publié : Les Sponsors du Front national et ses amis (Éd.
Raymond Castells), Les Anti-PaCS ou la dernière croisade homophobe (ProChoix)
avec Fiammetta Venner.

Bas les voiles !,
de Chahdortt DJAVANN,
Gallimard (septembre 2003)

Un livre court (47 pages) mais d'une grande clarté
fournissant un riche argumentaire sur la question, écrit par une Iranienne
anthropologue vivant en France. « Bas les voiles ! » est le pamphlet de cette
rentrée littéraire 2003. L'auteur est iranienne et elle sait de quoi elle parle.
Le ton est donné dès les premières lignes : « J'ai porté dix ans le voile.
C'était le voile ou la mort. Je sais de quoi je parle. »
Âgée de 13 ans lors du « désastre historique de
1979 », elle a été « réprimée, condamnée à être une musulmane,
une soumise, et emprisonnée sous le noir du voile » jusqu'à l'âge de 23
ans. Depuis, elle a quitté son pays et s'est installée en France où elle
vit depuis dix ans. Pour répondre aux multiples malentendus véhiculés par
l'opinion et les experts improvisés de la question, elle signe un texte clair
et tranché, fruit à la fois d'une expérience personnelle et d'une enquête
approfondie.
Où sont ces intellectuels de salon complices de la barbarie
islamique quand, en France, on force des fillettes à se murer dans une prison
portative ? Que disent-ils quand, de fait, des enfants de 10 ans sont
réduites au statut d'un objet sexuel à préserver pour la jouissance du futur
mari ? Le droit à la différence, l'expression de la foi (quelle
foi ? celle d'entériner l'infériorité de la femme ?), le refus de
l'exclusion à l'école : voilà leurs lâches démissions, oubliant toutes
celles, beaucoup plus nombreuses, qui sont contraintes à la porter. L'auteur ne
dresse aucune liste de noms, elle serait trop longue. Un seul apparaît
cependant : la Ligue de Droits de l'Homme et sa relecture de la laïcité
qui, selon elle, n'interdirait pas d'afficher son esclavagisme religieux à
l'école.
Mais Chahdortt Djavann va plus loin. Le voile, imposé aux
enfants, opère une véritable perturbation psychologique autant intime que
destructurante. Il faut donc l'interdire pour les filles. Non pas en invoquant
la laïcité mais, plus simplement, par respect des droits humains, une valeur
universelle quoiqu'en disent les islamistes.
L'écriture est passionnée et la lecture ne l'est pas moins.
Une charge qui n'a que faire des politesses diplomatiques : Bas les
voiles ! explique sans fard ce que signifie imposer le port du voile aux
femmes, et ce que cela implique de l'autoriser en France.

Au nom de l’autre. Réflexion sur l’antisémitisme qui
vient,
Alain FINKIELKRAUT,
Gallimard (septembre 2003)

« Il faut du courage pour porter une kippa dans ces lieux
féroces qu'on appelle cités sensibles et dans le métro parisien ; le sionisme
est criminalisé par toujours plus d'intellectuels, l'enseignement de la Shoah
se révèle impossible à l'instant même où il devient obligatoire, la
découverte de l'Antiquité livre les Hébreux au chahut des enfants, l'injure
« sale juif » a fait sa réapparition (en verlan) dans presque toutes
les cours d'école. Les Juifs ont le coeur lourd et, pour la première fois
depuis la guerre, ils ont peur ». Alain Finkielkraut livre dans ce petit
essai un texte concis - particulièrement clair et d'une écriture alerte et
remarquable - les réflexions que lui inspire le retour d'actes,
d'intimidations, injures et agressions qui ont frappé et déstabilisé la
communauté juive depuis la toute fin du mois de septembre 2000. Le texte est
court et il ne s'agit pas au sens strict d'une étude scientifique décryptant
et analysant le pourquoi du comment, mais bel et bien des réflexions
personnelles du philosophe.

Chateaubriand. Poésie et terreur,
de Marc FUMAROLI,
Editions de Fallois (octobre 2003)

Bousculant les académismes et les pseudo-modernités, Marc
Fumaroli dresse un monument pluriel à la gloire d'un écrivain majeur. Un homme
des mutations, au carrefour crucial de l'histoire de France, comme de celle de
l'Europe et du monde.
Chacun de ses chapitres peut être lu comme un tout, à part
et à loisir. Chacun contient l'esprit soit d'un grand auteur classique, Milton,
Rousseau, Mme de Staël, Byron, Tocqueville, Baudelaire, Joseph Conrad, Marcel
Proust, soit d'un poète inconnu et qui vaut la peine d'être découvert,
Fontanes, Ballanche, soit le portrait d'un héros ou d'une héroïne célèbre,
Napoléon, Talleyrand, Pauline de Beaumont, Mme Récamier. Tous ces auteurs et
tous ces personnages se rattachent en effet les uns aux autres par le dialogue
que Chateaubriand a poursuivi avec eux, au cours de son voyage d'Ouest en Est,
d'Est en Ouest, du Nord au Sud, de saison en saison, pour comprendre le « siècle des révolutions », le sien, le dernier siècle au cours duquel la
France était en mesure d'orienter le destin du monde et dont il lui revenait de
dire à la fois la grandeur et l'échec. L'intrigue qui fait l'unité de ce livre-gigogne, c'est la lente genèse, répartie sur près d'un demi-siècle,
d'un chef-d'œuvre poétique et politique : les Mémoires d'outre-tombe. Les
enjeux de cette intrigue, mais aussi son décor, c'est l'histoire de France
cassée en deux tronçons par la Terreur de 1792-1794, c'est le tremblement de
terre, ininterrompu jusqu'à nos jours, dont cette tragédie reste l'épicentre,
et ce sont les régimes éphémères qui se sont hissés tour à tour en France,
du vivant de Chateaubriand, sur ce terrain mouvant. C'est aussi l'itinéraire,
dans ce siècle, d'un esprit libre, qui fut un immense écrivain et une âme
religieuse, ravagé et mis au défi par la face de Gorgone de la Terreur.

Ouest contre Ouest,
de André GLUCKSMANN,
Plon (mai 2003)

« Un grand débat stratégique s’est ouvert avec
fracas. Il dominera la décennie qui vient ». Le fracas dont parle André Glucksmann dans son dernier ouvrage Ouest contre Ouest, c’est bien évidemment
le chaos retentissant de la chute des tours du World Trade Center. Pour le
philosophe, cet événement majeur doit nous mettre face à de nouvelles
interrogations : soit nous défendons une histoire et une culture de la
civilisation, héritière de la pensée hellénique et de l’esprit des
Lumières, soit nous concédons à un nihilisme, celui du terrorisme qui nie la
liberté individuelle qui est notre droit le plus fondamental. Après son
Dostoïevski à Manhattan où il démontrait que le terrorisme n’est pas tant
une question d’organisation et de planification politique qu’une question de
volonté et de détermination, le philosophe André Glucksmann continue d’interroger
le phénomène du 11 septembre. L’événement retentissant place tout
homme conscient et responsable comme à la croisée des chemins. L’éthique de
la responsabilité qui en découle n’est pas mince. Pour lui, le
11 septembre est effectivement un événement majeur en ce sens qu’il
pose la question de l’avenir de l’humanité. Ne pas prendre la mesure de ce
changement, de ce basculement d’ordre des choses et d’ordre du monde,
reviendrait à croire que rien ne s’est passé. Au nom d’une casuistique qui
engage à ne pas se tromper d’ennemi, le philosophe apporte son soutien à l’administration
Bush. Quand bien même Glucksmann ne se revendiquerait pas d’une idéologie
politique proaméricaine, il déplore et critique une position politique
française passéiste et manquant de réalisme.
Dans Ouest contre Ouest Glucksmann avance qu’une guerre
idéologique se joue chez nous, en Occident, opposant « les attardés du
10 septembre et les réveillés du 11 ». Vif et polémique, cet essai
cherche à empoigner et à comprendre au présent les conflits de notre monde.
La dangerosité de la situation réclamant pour le philosophe plus de
discernement de notre part que de simples vœux pacifistes et malheureusement
utopistes. Selon Glucksmann, la question des questions n'est pas multipolarité
ou unipolarité, mais nihilisme ou civilisation.
L'auteur vu par l'éditeur
André Glucksmann a publié son premier livre, Le Discours de
la guerre, en 1967. On connaît le retentissement de La Cuisinière et le
mangeur d'hommes, des Maîtres penseurs et de La Bêtise. Son dernier ouvrage,
Dostoïevski à Manhattan, a été publié en 2002 avec un grand succès.

Le goût de l’avenir,
de Jean-Claude GUILLEBAUD,
Seuil (mai 2003)

La grande question qui habite ce livre est la suivante : les
changements prodigieux que nous vivons sont-ils en train de nous déposséder de
l’histoire ? Pouvons-nous agir encore sur notre destin et choisir notre avenir
en toute connaissance de cause ? La question est urgente tant cette « grande bifurcation » qui agite l’époque, (voir La refondation du monde)
s’accomplit sous nos yeux fait de nous des témoins apeurés et incertains.
Jean-Claude Guillebaud fait ici le pari de renoncer au renoncement, de déplacer
les lignes, de mettre au jour les contradictions qui paralysent et la pensée et
l’action, pour choisir notre avenir. Il en est temps, si nous acceptons de
penser sans a priori nos contradictions, celles qui habitent les sociétés et
celles qui traversent les individus.
Des exemples: souci de la règle ou désir de liberté, où
fixer les limites et donc définir la transgression ? Individualisme revendiqué
et besoin d’un lien social renforcé, comment les concilier? L’affirmation
contemporaine du droit et du devoir de transparence (pour l’individu, pour la
justice, pour l’économie etc.) doit-elle prendre le pas sur l’intime ? Et
si la notion, aujourd’hui récusée, de « péché originel » était
une façon de penser innocence et culpabilité d’une façon non manichéenne,
la ligne de partage entre les deux passant à l’intérieur de chacun de nous ?
L’obsession du corps et du tout biologique n’est pas plus recevable que l’illusion
du tout esprit que les sciences nous prépareraient. Croire qu’on sait ou
savoir qu’on croit : où sont les fondements de la tolérance, de la
démocratie ? Cette réflexion mêle des références philosophiques clairement
expliquées, un ancrage dans le réel toujours éclairant. Ce livre fait penser
sans timidité, il n’impose pas mais il revendique le droit de savoir pour
choisir.
L’ouvrage de Jean-Claude Guillebaud est, à cet égard,
salutaire : la clarté et l’élégance avec laquelle il nous fait
circuler dans le maillage serré du treillis intellectuel et moral de notre
temps nous éclaire et, ce faisant, nous fait renouer avec l’ambition de
comprendre, de comprendre notre histoire contemporaine, de nous comprendre
nous-mêmes. L’orientation de ses analyses est d’inspiration à la fois
sociologique – avec une nouvelle mise en cause de l’individualisme ambiant
et de ses effets délétères – et philosophique, en particulier avec le
repérage de l’oubli de la question du mal dans la réflexion des philosophes
de la fin du XXe siècle. Un essai audacieux qui, même s’il ne convainc
pas toujours dans les diagnostics qu’il porte, représente une solide
contribution à l’indispensable débat collectif sur la nature du monde qui
est en train de naître.
Présentation de l’auteur
Jean-Claude Guillebaud est écrivain, journaliste et
éditeur. Derniers livres publiés : La Trahison des Lumières (prix
Jean-Jacques Rousseau, 1995), La Tyrannie du plaisir (prix Renaudot-essai,
1998), La Refondation du monde, Le Principe d'humanité (grand prix européen de
l'essai, 2002).

Rupture dans la civilisation
de Jacques Julliard
Gallimard (novembre 2003)

Longtemps, la fascination qu'ont exercée sur la plupart
d'entre nous les États-Unis venait de leur ambivalence : ils se présentaient
à la fois comme les héritiers de l'Ancien Monde et les inventeurs du Nouveau.
Nous autres vieux Européens les considérions avec le regard mouillé de
tendresse de parents qui voient leurs enfants les surpasser en hardiesse, en
invention, en réussite, tout en leur restant fidèles. Ce temps-là n'est plus.
En renonçant à son ambivalence, l'Amérique a renoncé à son identité.

La fabrique d’une nation. La France entre Rome et les
Germains des origines à nos jours,
de Claude NICOLET,
Perrin (septembre 2003)

Dans cet essai Claude Nicolet étudie scrupuleusement l'enjeu
de l'hérédité double, romaine et « barbare », dans la représentation
spécifique de la France.
On se souvient que le spécialiste de l'ordre équestre
romain, qui signa un mémorable Métier de citoyen dans la Rome républicaine
(1976) très vite tenu pour un « classique », avait dans le même temps
investi le champ du contemporaniste avec, notamment, son Idée républicaine en
France 1789-1924 (1982).
Rien de surprenant, donc, à ce qu'il réexamine la question
des origines du discours « national » depuis les Grandes Chroniques de
Saint-Denis de l'automne médiéval. Si Nicolet circonscrit prudemment son
enquête aux seuls cercles du monde érudit, il en tire le saisissant tableau
d'une représentation que se disputent plusieurs mythologies originelles,
courants « germaniste » et romaniste » opposés à dater du XVIe siècle.
Fondant la nation France sur une égalité romaine qui sait se faire
assimilatrice ou sur un « droit de conquête » qui instaure la
légitimité de nobles privilégiés, les théoriciens se répondent au fil des
âges. Au temps des Lumières, avec Boulainvilliers, dont le traité posthume,
L'état de la France (1727), est justement lavé du soupçon de racisme
biologique comme « national » que des sectateurs partisans lui feront
encourir, et l'abbé Dubos, dont l'Histoire critique (1734) voit dans la
monarchie française la seule héritière légitime et directe de Rome.
Au XIXe, où François Guizot comme Augustin Thierry, très
« politiques », requalifient l'approche historique abandonnée à la
Révolution, l'un promouvant le concept de « civilisation » quand
l'autre joue la « guerre des races » et ancre le débat sur la parenté
du couple franco-allemand. Le moment-clé du « césarisme » avec
Napoléon III et Stoffel en quête du vrai site d'Alésia, et la réaction
de Mommsen, puis l'apport de Fustel de Coulanges, historien du long terme qui
revendique pour la France l'« esprit latin », quand son élève Camille
Jullian entrevoit dans son Histoire de la Gaule une nation presque formée,
communauté de langage, de croyances, voire de formes politiques, à la veille
de la conquête... Ce qu'il nomme un « tempérament ».
Au terme d'une enquête où la rivalité avec le voisin
germanique est toujours dans le champ, c'est sur l'effacement des distinctions,
sur un territoire défini d'abord par le pouvoir politique, et finalement le
consentement explicite des individus que semble être née la nation à la
française. Des variations stimulantes d'ethnogenèse qui éclairent les avatars
du nationalisme.

Le pouvoir du " Monde ". Quand un
journal veut changer la France,
de Bernard POULET,
La Découverte (octobre 2003)

Depuis sa relance en 1995, Le Monde a reconquis
une hégémonie médiatique qu'il avait longtemps laissée échapper. On l'avait
dit moribond, il est redevenu un faiseur d'opinion, un acteur majeur de la vie
politique. C'est précisément ce rôle retrouvé qui explique l'ampleur du
séisme politico-médiatique provoqué début 2003 par le livre de Philippe
Cohen et Pierre Péan, La face cachée du Monde. Un livre qui, par ses partis
pris et ses excès, permet difficilement de comprendre la place qu'il occupe
désormais sur l'échiquier politique français.
Écrit sans haine, nourri d'une enquête au long cours, ce
livre de Bernard Poulet porte sur le célèbre « quotidien du soir » un
regard critique autrement révélateur de la crise du journalisme contemporain.
Revenant sur la crise qui a secoué Le Monde, il explique comment et
pourquoi ses dirigeants se sont si mal défendus. Surtout, loin des attaques ad
hominem, il met à jour les ressorts de l'incroyable ambition qui a animé
Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc depuis huit ans : rien moins que
changer la République…
Bernard Poulet révèle ainsi l'ancienne et étrange
fascination-répulsion entre François Mitterrand et les leaders de la gauche de
la rédaction, un facteur clé pour comprendre l'évolution ultérieure du
quotidien depuis que ces derniers ont pris le pouvoir. Et il raconte comment,
sans jamais s'en expliquer clairement auprès de leurs lecteurs, ils ont conduit
une véritable révolution journalistique, faite d'innovations mais aussi, en
privilégiant les « coups » et la mise en scène de l'information, de
graves dérapages…
Présentation de l’auteur
Bernard Poulet, journaliste, est rédacteur en chef à
L'Expansion.

Castro l’infidèle,
de Serge RAFFY,
Fayard (septembre 2003)

Roman hallucinant mais vrai, entre thriller politique,
chanson de geste et réalisme magique à la Garcia Màrquez : cette biographie
de Fidel Castro, résultat de longues années d'enquête, de centaines
d'entretiens et de témoignages exclusifs sur un personnage historique « monumental », tyran, missionnaire, marxiste, jésuite, regorge de
révélations. Sur ses amours tumultueuses, officielles et interdites, ses
enfants secrets, sa haine viscérale de la famille et des homosexuels.
Révélations aussi sur ses relations très précoces avec les services secrets
soviétiques, sur son terrifiant système répressif, sur les coulisses de la
« crise des missiles », sur la véritable histoire de l'assassinat du
président Kennedy, sur la mort du Che, enfin expliquée, sur le rôle de Cuba
dans le dossier chilien qui a abouti à la chute et la mort de Salvador Allende,
sur l'affaire Ochoa, sur la peur de Gorbatchev d'être victime d'un attentat à
Cuba, sur le jeu tortueux des USA qui, après avoir tenté de l'assassiner à de
multiples reprises dans les années soixante, ont fini par tolérer ce dictateur
« pas comme les autres » afin d'avoir, à leur porte, un « échantillon communiste inoffensif ». Pour la première fois, un livre
plonge au cœur de la légende du Comandante, homme caméléon, stalinien
tropical, génie ou psychopathe, qui a inventé un nouveau genre littéraire
malheureusement appliqué au peuple cubain : l'irréalisme tragique.
Présentation de l’auteur
Serge Raffy, 50 ans, a été rédacteur en chef du magazine
Elle et rédacteur en chef adjoint du Nouvel Observateur. Journaliste,
écrivain, scénariste, il est l'auteur des Enfants de Gaston (Lattès 1989), La
Veuve (Fayard, 1994), Monsieur Gendre (Fayard, 1995), Jospin, secrets de famille
(Fayard, 2001), et a également publié, aux éditions Pauvert (1999), Lignes de
fuite, un recueil de poésie.

Adieu à la France qui s’en va,
de Jean-Marie ROUART,
Grasset (septembre 2003)

Romancier, (Prix Renaudot, Prix Interallié), directeur du
Figaro littéraire, académicien, Jean-Marie Rouart est l’auteur d’une
quinzaine d’ouvrages remarquables et toujours salués par la critique.
Dans ce livre – qui conjugue subtilement une trame
autobiographique à une trame idéologique – Jean-Marie Rouart se penche sur
une énigme : qu’est-ce que la France ? Ou, plutôt : quelle
est sa France à lui ? Cette question, à vrai dire, n’est pas nouvelle
de la part d’un écrivain dont les romans ou les chroniques n’ont cessé –
depuis Avant-guerre jusqu’à sa défense d’Omar Raddad, depuis sa biographie
du cardinal de Bernis jusqu’à son éloge du Duc de Morny - de traquer l’essence
d’un pays qu’il aime à la folie, mais qui ne ressemble pas toujours à l’idée
qu’il s’en fait.
Car la France de Jean-Marie Rouart, au fond, n’est pas
« progressiste », ni « réactionnaire ».
C’est, de l’aveu même de l’auteur, « un jeu de miroirs avec la
mémoire », où l’on trouve Jeanne d’Arc et Romain Gary, l’aventure
coloniale et la Résistance, l’affaire Dreyfus et le martyre des Moines de Tibirine, Vichy et Valmy, Stendhal et de Gaulle, Drieu
la Rochelle et Chateaubriand… « Sa » France, c’est aussi – d’abord - une
aptitude à l’universel toujours contrariée par des régressions identitaires ;
c’est une façon d’aimer, une manière agnostique de rester chrétien… Avec cet
essai, écrit à la première personne, très « Berlien » d’inspiration, ce jeune académicien a donc
choisi de voyager par l’esprit dans l’éternité d’une nation où l’on a
l’habitude de faire de la littérature avec l’histoire, et de la politique
avec la littérature. A sa façon, toute impressionniste, plus charnelle qu’abstraite, Rouart
nous donne là une « anti-idéologie française »
dans la mesure où il tient pour acquis que la France est ce pays qui,
irrésistiblement, a su déjouer le pire – tout en le frôlant, parfois, de
très près…

La Dernière Génération d’octobre,
de Benjamin STORA,
Stock (septembre 2003)

Stora se fait l'historien de sa propre mémoire : dans La
Dernière Génération d'Octobre, pour la première fois, sans toujours pouvoir
s'y tenir, il dit « je ». Il raconte son enfance au 2, rue Grand, à
Constantine (la « Jérusalem du Maghreb »), l'exil familial en juin
1962, enfin les épousailles avec la République, par l'entremise de
l'espérance révolutionnaire. Si elle est très présente dans la Dernière
Génération d’Octobre, l’Algérie n’est pourtant pas le sujet central de
ce dernier essai. Il s’agit ici d’une sorte d’itinéraire d’un enfant du
siècle, le livre-bilan d’un homme qui, la cinquantaine arrivée, éprouve le
besoin de refaire le chemin de sa vie et d’en comprendre le déroulement.
S’efforçant d’en être à la fois le témoin et l’historien : « Un témoin lesté
d’une expérience, et un historien regardant de plus loin par-dessus l’épaule du
témoin. » Même s’il parle de et sur lui, Stora ne s’isole pas de toute une
classe d’âge née à la politique en mai 1968, et qui en sera marquée à vie. D’où
le titre du livre qui « espère contribuer à la connaissance d’une génération
[...] qui, peut-être, fut la dernière en France à croire aux idéaux portés par
la révolution russe d’octobre 1917 ».
Les documents cohabitent ici avec les souvenirs, et le style
de l'historien avec celui du témoin. À côté des analyses politiques, émergent
l'ambivalence des sentiments (fraternité, dévouement, mais aussi pulsions
totalitaires), le clair-obscur des images (batailles de rue et scènes
d'exclusion), ou encore un formidable portrait du père, figure décisive d'un
douloureux « rendez-vous manqué ».

Le nouveau désordre mondial : Réflexions d’un
Européen,
de Tzvetan TODOROV
Robert Laffont (septembre 2003)

Force ou droit ? Hyperpuissance ou monde « multipolaire » ? Derrière les débats nés de la guerre d'Irak et de ses
conséquences se cachent les inquiétudes durables d'un nouveau désordre
mondial. Homme des deux rives de l'Europe, ayant vécu aux États-Unis, Tzvetan
Todorov propose dans ce livre court et dense une analyse lucide, profondément
cohérente, enracinée dans sa connaissance de l'histoire de nos idées et de
notre culture. Il prolonge sa réflexion par une série de propositions, parfois
inattendues, destinées à fonder une « puissance tranquille »
européenne. Europe malmenée, Europe divisée, « vieille Europe »
peut-être... Mais si cette Europe-là, riche de sa diversité, forte de sa
mémoire, émergeait enfin, à l'heure décisive ?
Sémiologue au départ, spécialiste de l'analyse
littéraire, Todorov a su au fil du temps élargir son champ d'étude à
l'histoire des idées (les Lumières, le libéralisme), puis à l'histoire tout
court en étudiant entre autres la mémoire historique et enfin à la politique.
Ses qualités intellectuelles sont rehaussées par une expérience hors pair:
Bulgare d'origine, il a quitté son pays (un des plus staliniens de l'orbite
soviétique) au tout début des années soixante pour s'installer à Paris alors
qu'il entrait dans l'âge de raison. De plus ses recherches l'ont conduit à
séjourner longuement aux États-Unis. Todorov connaît ainsi de l'intérieur la
vieille et la nouvelle Europe, mais aussi les États-Unis. Par les temps qui
courent ce n'est vraiment pas négligeable. Le nouveau désordre mondial.
Réflexions d'un Européen contribue à mettre de l'ordre dans nos idées. En
une petite centaine de pages légères, limpides, mais d'une grande profondeur,
il répond aux questions que chacun se pose sur la guerre d'Irak, le mensonge
américain, la fronde française, la division européenne, la paralysie
onusienne, l'humiliation arabe, le fanatisme islamiste, les incertitudes de
l'avenir. Todorov ne se contente pas de constater. Il propose. Par exemple, en
donnant et expliquant les paramètres qui composent les fameuses valeurs
européennes: la justice, la démocratie, la liberté individuelle, la laïcité
et la tolérance. Partisan de l'Union européenne, il pense que - sans se
mesurer à la puissance américaine ni la contester - elle devrait se donner
rapidement la stature d'une puissance moyenne (à l'égal de la Russie ou de la
Chine) en plaçant la priorité sur la construction d'une armée européenne
capable non seulement de défendre l'UE, mais encore d'être le bras armé de
cette UE dans la politique internationale. La création d'une telle armée (qui
revivifierait l'OTAN dans sa fonction d'alliance politique) imposerait une
mutation démocratique des institutions européennes, avec l'élection d'un
président par le parlement, la désignation d'un gouvernement européen par ce
président sur des critères de compétences et non d'appartenance nationale
(ces compétences comprenant la charge du militaire et de la politique
étrangère), l'abandon du concept égalitaire à l'intérieur de l'Union.
Présentation de l’auteur
Tzvetan Todorov est directeur de recherches au CNRS,
critique, historien et philosophe. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, parmi
lesquels Mémoire du mal, Tentation du bien (Robert Laffont, 2000) et
Devoirs et
délices, une vie de passeur (Le Seuil, 2002), une autobiographie intellectuelle.

|