Présentation du budget des affaires culturelles

27 octobre 1966

Monsieur le président, mesdames, messieurs, vous avez constaté que vingt-deux orateurs sont inscrits. Il va de soi que je ne pourrai pas répondre maintenant à chacune des questions traitées par les rapporteurs, pas plus que je ne pourrai répondre tout à l'heure aux vingt-deux questions, au moins, qui me seront posées par les orateurs.

Si vous le voulez bien, je vais donc, comme nous le faisons, dans un esprit de coopération très amical depuis quatre ans, répondre d'autant plus sur le fond que la commission me l'avait demandé, tout en essayant de répondre aux questions les plus précises, ou d'intérêt le plus général, qui m'ont été posées jusqu'à maintenant.²

D'abord, en ce qui concerne l'ensemble des monuments historiques classés, au nombre de 10 000, nous disposons de 18 millions de francs pour leur entretien et de 63 millions de francs pour leur restauration. Le coût des travaux à exécuter sur les monuments classés s'élevait en 1965 à 784 millions de francs pour les seules premières urgences, et non comprise la réparation des dommages de guerre.

Au sujet des maisons de la culture, dont je parlerai beaucoup plus sérieusement tout à l'heure, je rappelle que si l'on réalise ce qui a été promis par tout le monde et nommément par le chef de l'État à Bourges il ne s'agira pas de savoir si l'on nous donne un million de plus ou de moins. Il est inadmissible, à mon sens, de créer des villes dans la région parisienne sans construire les maisons de la culture en même temps que les préfectures. On sait très bien pourquoi Sarcelles est invivable. Nous avons besoin de 45 millions de francs par an. C'est ainsi. Quant à prétendre qu'on s'arrangera avec 4 millions de francs, on peut toujours repriser un pantalon qui n'existe pas ; mais cela ne sert pas à grand-chose !

Je sais gré à M. Becker de la compréhension qu'il a apportée à certains problèmes, difficiles à résoudre et même à poser. Il a évoqué, ainsi que nombre d'entre vous dans les notes qu'ils m'ont fait parvenir, le problème de l'éducation musicale à la base.

Je pourrais dire que l'éducation musicale à la base ne concerne pas à proprement parler mon ministère, mais celui de l'éducation nationale. Ce serait une réponse misérable.

Voici donc mon avis. Il est ridicule de demander à des enfants d'aimer la musique en leur donnant des coups de règle sur les doigts quand ils ne savent pas solfier. L'enseignement de la musique consiste, fût-ce à l'école primaire, à faire entendre la IXe Symphonie, quand on a une heure de libre ; après quoi on met un disque sur lequel Victor Hugo ou Romain Rolland explique ce qu'il pense de la IXe Symphonie. Si vraiment les enfants n'ont pas alors le sentiment d'un autre monde, nous n'aurons aucune chance de leur faire aimer la musique ! Nous aurons, en tout cas, donné sa chance à tout enfant qui pouvait l'avoir.

Mais jamais, dans aucun pays, on n'a dispensé une éducation musicale à partir du solfège. Jamais on n'a créé une éducation quelconque autrement que sur l'amour. Ce qu'il faut, c'est que les enfants aiment la musique. Pour cela, il faut qu'ils la connaissent, après quoi ils feront du solfège.

M. Becker a dit que les maisons de la culture n'étaient pas seulement françaises. Je me permets une légère correction. Elles sont nées en France. Prenons garde aux mots. L'expression « maison de la culture » est originellement russe. Mais les maisons de la culture russes, comme les maisons de la culture égyptiennes, n'ont rien de commun avec les nôtres. Elles ont leur existence, tout à fait digne de respect d'ailleurs, mais elles sont autre chose.

Quand vous allez à Amiens et que vous voyez la maison de la culture, vous vous demandez s'il y a, en Égypte ou en Russie, une ville de 120 000 habitants dont 10 000 sont abonnés pour venir voir jouer le Bourgeois gentilhomme ? La réponse est non, parce que dans ces pays, ce qu'on fait généralement, c'est un monument assez beau avec une salle de cinéma gratuite, qui est toujours pleine, et une exposition sur les produits et les efforts de la région.

Il s'agit donc d'une sorte de jeux de mots. Ce que nous appelons, nous, des maisons de la culture, ce sont des créations que seule, jusqu'à présent, la France possède. Les ministres de telle ou telle grande puissance voisine viennent les visiter à titre privé, mais ce n'est pas moi qui vais visiter les leurs !

En commission, M. Weber s'était plaint du recrutement du personnel des conservatoires municipaux. Je partage son avis, mais il ne faut pas perdre de vue que les villes disposent d'une très grande autorité en ce domaine. Nous ne pouvons, quant à nous, prendre que les secondes mesures. Ce sont les villes qui prennent les premières.

Je répondrai à M. Icard que la réorganisa!ion du conseil général des bâtiments de France est à l'étude. Dans quelques semaines nous serons en mesure de nous prononcer sur les propositions du directeur de l'architecture.

Incidemment, je rappelle que je répondrai en commission à toutes les questions auxquelles je ne réponds pas maintenant. Aucune question ne sera ignorée. Je réponds simplement ici aux questions présentant un intérêt plus général.

Le renforcement de la direction de l'architecture est prévu par la nomination d'un directeur adjoint et par la création d'une conservation des bâtiments de Paris, qui allégera les tâches d'exécution.

A propos de l'application de la loi de 1913 sur les monuments historiques et de 1930 sur la protection des sites, vous avez raison : il n'y a pas de commune mesure entre la tâche qui nous incombe aujourd'hui et la situation telle qu'elle existait à l'époque où ces lois ont été faites.

Le projet de réforme a été soumis au Conseil d'État et il viendra prochainement devant le conseil des ministres.

M. Icart estime que la deuxième loi de programme est dangereuse, car elle pourrait être un prétexte pour limiter les ambitions financières du ministère des affaires culturelles en-deça des prévisions du Ve Plan. Qu'il compte sur moi pour ne pas limiter les ambitions financières de mon ministère !

Les crédits affectés à la rénovation des secteurs sauvegardés figurent actuellement au budget du ministère de l'équipement. Mon propre budget ne comprend que les crédits d'études préparatoires. Jusqu'à présent aucune difficulté ne s'est élevée entre les deux ministères et mon département n'est pas suffisamment pourvu en personnel pour gérer lui-même ces crédits. Cependant, le problème posé par M. Icart sera examiné.

Je suis parfaitement d'accord sur le principe de la formation scientifique des architectes : j'ai prévu que, dès la classe préparatoire, il y aura un enseignement scientifique.

L'enseignement de l'architecture pose un important problème et des efforts s'imposent dans ce domaine car depuis longtemps la pauvre architecture a été bien abandonnée.

Dès cette année, près de trois millions de francs - soit 300 millions d'anciens francs - sont consacrés à l'enseignement de l'architecture.

L'encadrement des écoles d'architecture va être considérablement renforcé par la création de soixante-dix emplois nouveaux dont soixante-cinq enseignants. L'éventail des enseignements sera plus ouvert. Le nombre des bourses sera considérablement augmenté, puisqu'il y aura 235 bourses supplémentaires.

Pour les monuments historiques, le lien avec l'intérêt touristique est tout à fait évident. Ajoutons-y l'intérêt gastronomique.

En ce qui concerne le monopole des architectes des bâtiments civils, vous savez qu'il y a là une très vieille tradition. Elle est sans doute bonne lorsqu'il s'agit de l'entretien et de l'aménagement de monuments ; mais elle est certainement mauvaise lorsqu'il s'agit de constructions nouvelles. L'architecte dans ce cas ne doit pas être automatiquement désigné. Je suis tout à fait d'accord avec le rapporteur. Le choix doit être fait en fonction de la nature de la nouvelle construction. C'est ce que nous avons fait deux fois pour nos deux travaux capitaux.

Pour la colonnade du Louvre, la responsabilité a été donnée à M Trouvelot. Pour le centre d'expérimentation architectural, il se trouve que ce centre dépend justement de M. Failleton.

MM. Marcenet et Lamps se sont intéressés au contrôle des crédits des maisons de la culture. Une mission générale d'enquête a été accomplie par l'inspection générale des finances. Elle va permettre de mieux contrôler les budgets des maisons de la culture.

Pour les facilités fiscales, nous avons déjà saisi le ministère des finances à deux reprises. Nous le saisirons encore.

En ce qui concerne la conservation des monuments historiques, prenez garde. Les reports au 1er janvier 1966 avaient diminué de 5 millions, c'est-à-dire du quart par rapport à l'année précédente. Les mesures de contrôle prises au cours de cette année font que nous avons pu donner au ministère des finances l'assurance qu'en janvier 1967 le montant des reports serait tombé à 25 p. 100, c'est-à-dire au pourcentage qu'admet le ministère des finances lui-même. C'est pourquoi ce ministère a accepté d'augmenter de 5 millions de francs les crédits d'entretien des monuments historiques et d'ouvrir 7 millions d'autorisations d'engagements par anticipation.

Je n'insiste pas sur les musées de Corse. M. Pierre Bas avait raison. Le musée Fesch a quelques oeuvres admirables, ne serait-ce que le premier Botticelli du monde - quant à la date.

Mais enfin, le bicentenaire de Napoléon arrangera tout !

Dans l'ordre des chiffres, que s'est-il passé de nouveau ? Il y a une importante progression. Le budget total - fonctionnement plus crédits de paiements inscrits au budget d'équipement - passe de 361 millions à 459 millions de francs, le budget de fonctionnement de 236 millions à 269 millions. Le budget de fonctionnement passe en autorisations de programme de 208 millions à 231 millions de francs, les crédits de paiement de 125 millions à 190 millions.

Comment utiliser ces nouveaux moyens ?

L'augmentation des rémunérations représente 6.400.000 francs, dont trois millions pour la seule réunion des théâtres lyriques nationaux. Le rattrapage dans ce sens est double : ce sont des insuffisances qui datent de vingt ans !

L'entretien des monuments historiques retrouve les 5 millions de francs perdus au cours des dernières années.

Le crédit des expositions remonte à 1 million.

Le crédit de décentralisation lyrique, figé à deux millions et demi depuis plusieurs années, est augmenté de 500 000 francs.

Les autorisations de programme concernant les maisons de la culture sont très sensiblement augmentés pour permettre d'apurer le passé : 16 millions d'autorisations de programme sont employés à ce seul effet.

La structure du ministère est renforcée, notamment par l'augmentation des effectifs : 216 emplois en plus. La situation de certains cadres sera améliorée.

Nous procédons, en outre, au regroupement de la musique, à la mise en place d'un appareil de conseillers artistiques pour l'utilisation des crédits du 1 p. 100, au renforcement, que j'ai déjà indiqué, de la direction de l'architecture et au développement de certaines actions intéressant notamment les maisons de la culture, la décentralisation dramatique, l'inventaire général des richesses de la France, les achats et commandes d'oeuvres d'art.

Mais hélas ! si nous sommes très fiers d'avoir à ce dernier poste 1 200 000 francs, vous savez comme moi qu'un Fragonard coûte 5 millions !

L'aide au cinéma sera maintenue dans les domaines que vous connaissez.

La réforme de l'enseignement de la musique sera poursuivie, notamment par la création de deux nouveaux conservatoires régionaux, ainsi que par l'application d'une nouvelle politique d'aide aux écoles nationales de musique. Nous avons les crédits nécessaires pour le fonctionnement en année pleine d'un cycle de perfectionnement du conservatoire. Citons encore le développement de l'archéologie, l'aide aux musées de province.

En ce qui concerne les actions nouvelles, la plus importante est celle qui est entreprise en faveur de la musique ; la seconde est la réforme de l'enseignement de l'architecture. Il y a ensuite l'action en faveur de la construction architecturale, de la création dramatique et de l'archéologie sous-marine, puisque, en plus des textes que nous avons pris, nous construisons un bateau qui sera le premier à permettre de faire systématiquement du travail d'archéologie sous-marine. Ce bateau nous est déjà demandé par le Guatemala.

Sur les questions qui m'ont été posées en commission des finances, il y aurait tant à dire que je préfère ne rien dire

En gros, puisqu'on a parlé des musées de province, pensez qu'il y a eu deux cents opérations en vingt ans et que trois cent dix-sept sont prévues pendant les cinq ans d'exécution du Ve Plan.

Nous avons achevé le musée du fer, à Nancy, le musée lorrain, que quelques-uns d'entre vous connaissent et qui n'est pas simplement un musée de province, le musée d'art moderne de Strasbourg, le musée d'Avignon, le musée des beaux-arts de Besançon : en 1966, le musée dauphinois, à Grenoble, le musée des beaux-arts de Caen.

En 1967, vous aurez le mémorial Chagall, qui vaut quelques milliards, et le musée d'art moderne de Sète. J'en passe d'ailleurs.

En outre, 250 tableaux ont été restaurés.

Donc, nous avons transformé ce ministère. Nous avons commencé la construction de maisons de la culture ; nous achevons la loi de programme. Soyez tranquilles, il y en aura d'autres ! Nous avons achevé le ravalement. L'inventaire est commencé. Le réveil de l'archéologie est un fait, puisque Pincevent est le plus grand site préhistorique de ce côté du rideau de fer. Les expositions sont ce que vous savez. Les salles nouvellement ouvertes représentent plus du tiers des salles qui existaient.

On a parlé de l'aide à la production cinématographique. Le contact a été retrouvé entre la nation et un certain nombre de grands créateurs. Pour les secteurs sauvegardés, il y aurait mille choses à dire et je n'ai pas le loisir de les dire dans ce débat.

Pour la musique, le budget général est quadruplé ; le budget de l'enseignement est doublé. Les conservatoires régionaux de Toulouse et de Reims ont respectivement 400 et 100 élèves. Nous allons créer un grand orchestre de prestige. La commande à un compositeur est une garantie de l'exécution de son oeuvre. Le montant de ces commandes est triplé. Voilà ce que nous avons fait.

Et maintenant, mesdames, messieurs, je vais parler sur le fond.

Que sont les affaires culturelles ?

On en a parlé pendant des années et pendant des années, l'expression a fait fortune. Elle a même fait fortune dans la révolution chinoise, mais personne n'a jamais su de quoi on parlait.

On a appelé « beaux-arts » ou « direction générale des lettres et des arts », dans un certain nombre de pays, ce qui, en gros, correspondait aux achats de la cassette royale ou impériale. Mes prédécesseurs, au temps de Napoléon III, étaient des gens qui achetaient des tableaux et ne faisaient rien d'autre. Au besoin, lorsqu'on a construit l'Opéra, c'était de nouveau sur la cassette impériale. Et le Second Empire est mort avant que cette construction soit terminée.

Nous nous sommes donc trouvés, en Europe, héritiers d'un système scolaire à changer de fond en comble et d'un système dit des beaux-arts qui, lui, n'a jamais été changé.

L'oeuvre pédagogique de la IIIe République est une des plus grandes qui ait été accomplie dans le monde jusqu'à l'alphabétisation de la Russie.

Mais au moment où Jules Ferry faisait tout ce que nous savons, il ne faisait rien du tout pour les beaux-arts, qui ne dépendaient pas vraiment de lui. On oublie toujours que, techniquement, il s'agissait d'un domaine annexe. Lorsqu'on disait que les enfants français devaient savoir lire, il n'était nullement question de faire des travaux sur le musée du Louvre. On disait seulement que les enfants auraient le droit d'aller au musée. C'était déjà très bien, mais c'était seulement cela.

Ce qui s'est passé en France s'est passé ailleurs. Les Républiques, en Europe, se sont puissamment attachées à créer des systèmes pédagogiques, mais aucune n'a créé un système artistique. Pourquoi ? Parce que l'art, en ce temps-là, c'était la bourgeoisie.

Ce qu'a fait Jules Ferry, c'est un mouvement réellement populaire, sans aucune démagogie. Disons clairement qu'il s'était demandé si les enfants de France sauraient lire, mais qu'on ne songeait à rien d'équivalent, en ce qui concerne l'art. On ne disait pas que n'importe quel enfant devait comprendre Rembrandt, car cela n'aurait eu aucun sens. On n'a donc rien changé. Tout au plus a-t-on fait l'école du Louvre, c'est-à-dire une école pour spécialistes.

La pédagogie, dans l'Europe entière, a été prise en main par la volonté révolutionnaire républicaine ; jamais l'art ne l'a été.

Lorsque la IVe République a disparu, nous nous sommes trouvés en face du même problème que nous aurions connu en 1875 et que rencontrent aujourd'hui l'Angleterre et même une partie de l'Allemagne fédérale, dans quelques Laender.

Il s'agit donc de bien se rendre compte de la situation. Pendant un certain temps, tout cela n'a pas eu d'importance. Des gens riches donnaient de l'argent pour les musées. L'État, lui aussi, accordait des crédits. C'était l'équivalent de l'ancienne cassette impériale ou royale.

Et maintenant, les gens vont se promener dans les musées. Tout à coup, après cette guerre, dans le monde entier, on s'est aperçu avec stupéfaction - il y a exactement dix ans -- que le nombre des entrées dans les musées avait dépassé celui des entrées dans les stades, c'est-à-dire que dans une civilisation qui pose comme principe que le peuple entier est avant tout intéressé par le sport, il est parfaitement faux qu'il y ait plus de sportifs que de visiteurs des musées.

Cette première remarque avait son importance, mais on n'en avait pas tiré les conséquences. Or, elle était corroborée la semaine dernière par les résultats incroyables des sondages de l'I. F. 0. P. auprès des jeunes. Vous savez d'ailleurs comme moi que ceux que I'on appelle les jeunes sont ceux qui sont âgés de 13 à 18 ans.

Question : « Quelle activité voulez-vous trouver dans la maison où vous vous rencontrez ? »

Réponses : activités culturelles : 35,5 p. 100 ; sportives : 33 p. 100 ; politiques : 9 p. 100 ; je passe sur le scoutisme : 3 p. 100.

Il faut bien comprendre qu'un fait extrêmement mystérieux se produit aujourd'hui dans le monde entier : les peuples sont en train de demander la culture, alors qu'ils ne savent pas ce que c'est.

Il se trouve que nous avons, les premiers, osé tenter cette chance. Je dis tenter cette chance, parce que, mesdames, messieurs, quand nous sommes allés à Bourges, pas un d'entre nous ne pensait que dans cette ville où Marie Dorval n'avait pas pu jouer Victor Hugo parce qu'il n'y avait pas assez de public, il y aurait deux fois plus d'abonnés qu'à la Comédie-Française. Quand nous sommes allés à Amiens, nous pensions avoir 1 200 abonnés: il y en a 10 000 ! Et à Belleville. dans un coin qui est misérable, mais où l'équipe qui y travaille y travaille admirablement - j'espère bien d'ailleurs que dans les cinq ans à venir nous aurons un autre palais de Chaillot à Belleville ou à Ménilmontant - nous avons cru qu'il y aurait 1 000 ou 1 500 abonnés. Nous en sommes à 20 000 en six semaines.

La maison de la culture est en train de devenir - la religion en moins - la cathédrale, c'est-à-dire le lieu où les gens se rencontrent pour rencontrer ce qu'il y a de meilleur en eux. Comprenons bien que chaque fois que nous faisons, dans une ville moyenne, une maison de la culture, nous changeons quelque chose d'absolument capital en France.

Alors, je sais que tout ce que nous faisons ne dépend pas que de vous, mais comme nous serons amenés à le faire ensemble, il est bon que vous le sachiez.

Vous aurez, nous dit-on, quatre, cinq ou six maisons de la culture avec le Ve Plan. Mais il ne s'agit pas du tout d'avoir quatre, cinq ou six maisons de la culture. Il ne s'agit pas d'avoir une jolie maison à Amiens où nous mettons des Fragonard. Il s'agit de faire ce que la IIIe République avait réalisé, dans sa volonté républicaine. pour l'enseignement ; il s'agit de faire en sorte que chaque enfant de France puisse avoir droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma, etc., tout comme il a droit à l'alphabet.

Tout cela doit, être conçu fortement ! Il y a deux façons de concevoir la culture : l'une, en gros, que j'appellerai « soviétique », l'autre « démocratique », mais je ne tiens pas du tout à ces mots. Ce qui est clair, c'est qu'il y a la culture pour tous et qu'il y a la culture pour chacun.

Dans l'un des cas, il s'agit, en aidant tout le monde, de faire que tout le monde aille dans le même sens ; dans l'autre cas, il s'agit que tous ceux qui veulent une chose à laquelle ils ont droit puissent l'obtenir.

Je le dis clairement : nous tentons la culture pour chacun.

Cette tentative signifie que nous devrions, dans les dix ans, avoir en France une maison de la culture par département. Avec une maison par département nous ouvrons la France. Alors qu'il coûte extraordinairement cher de faire un ensemble de représentations réparties sur cinq maisons de la culture, il est extrêmement bon marché, quand on a réalisé un prototype, de le multiplier par quatre-vingts.

Par conséquent ne jouons pas à créer une maison de la culture par an bien gentiment ; agissons sérieusement, en sachant, mesdames, messieurs, que ce que je vous demande, c'est exactement vingt-cinq kilomètres d'autoroutes !

Pour le prix de vingt-cinq kilomètres d'autoroutes, nous maintenons que la France qui a été le premier pays culturel du monde en son temps, qui est en train de refaire des expériences sur lesquelles le monde entier a l'oeil fixé, la France pour cette somme misérable, peut, dans les dix ans qui viendront, redevenir le premier pays culturel du monde.

Voilà exactement ce que j'avais à vous dire ! Voilà exactement ce que j'avais à vous demander.

J.O. Débats Assemblée nationale,
n° 88, 28 octobre 1966, p. 3974-3992