Accueil > Histoire et patrimoine > L'abbé Pierre > Discours du 31 décembre 1945

Abbé Pierre

Intervention

devant la Première Assemblée constituante le 31 décembre 1945

M. Pierre-Grouès. Je m'excuse auprès des membres de mon groupe de prendre la parole sans avoir pu les informer au préalable.

J’ai le sentiment que je commettrai une lâcheté si je ne disais pas ce que je pense.

Je ne suis pas un homme politique. Je ne connais pas encore grand-chose à la politique, mais ce que je peux exprimer ici, ce sont certains sentiments de courage et d’honnêteté.

Monsieur Philip, vous savez mon amitié pour vous. Je vous demande de penser à nos camarades et à ce qui nous unit tous ici. Réfléchissez aux conséquences qu'entraînerait pour le pays tout entier, dès demain matin, le maintien de l'amendement qui est en discussion.

M'adressant à vous, monsieur Duclos, je veux vous dire que de vous aussi et de votre parti dépend en définitive quelque chose de très grave.

Il s'agit, comme on l'a dit, d'obtenir d'une part que la souveraineté de l'Assemblée soit affirmée, d'autre part que la responsabilité du Gouvernement soit entière dans cette période de transition où nous n'avons pas encore une constitution méritant pleinement ce nom, avec l'adhésion du pays et lui donnant toute la sécurité dont il a besoin.

C'est peut-être de votre vote aussi que va dépendre la décision finale.

Je ne suis pas de ceux qui professent une sorte de culte pour un homme quel qu'il soit. On l'a dit et on le redira bien des fois encore, la France doit beaucoup au général de Gaulle, mais ce n'est pas à cause de ce qu'on lui doit, pour le passé, qu'en cet instant je dis, comme je le peux, ce que je pense.

Dans ce pays encore blessé et chancelant, le trouble sera immense, demain, lorsque nos camarades, les survivante de nos combats, ceux de la France combattante ou ceux de la France résistante et les familles de ceux qui ont péri dans le combat pour que soit donnée à notre pays la possibilité de chercher à élaborer une constitution définitive, dans le calme et dans la confiance mutuelle, apprendront le résultat du scrutin proposé.

Vous tous, mes amis, pensez, je vous le demande, à tous ceux qui ont tant souffert, à ceux qui souffrent encore tellement pendant cet hiver, où menacent encore la faim et le froid ; songez à ce que demain sera pour eux, lorsqu'ils retrouveront un pays désuni, qui, de ce fait, se trouvera forcement davantage dans le désarroi, pendant quelque temps.

Je vous ai parlé sans habileté, et je m'en excuse, mais du fond de mon âme de Français, m'adressant à tous, sans distinction de parti. Il nous appartient, à nous qui avons souffert pour notre pays, de prendre ensemble conscience de la gravité de l’heure.

Essayons, au moment de manifester notre volonté, en déposant notre bulletin dans l'urne, de nous souvenir de ce que l'émotion, la passion peut-être avaient pu nous faire oublier. (Applaudissements au centre.)

M. le président. La parole est à M. Gazier.

M. Albert Gazier. Je désire apporter une simple rectification : M. Capitant m'a fait dire que j'avais manifesté de la défiance à l'égard du Gouvernement, alors que, d’après la sténographie même, les paroles suivantes ont été prononcées :

« Le jour où nous éprouverons une défiance à l'égard du Gouvernement, ce n'est pas en usant du droit naturel de proposer des réductions de dépenses que nous l'exprimerons, mais c'est en déposant, conformément à la loi, une motion de censure demandant son départ. »

La critique qui était faite ne portait pas sur la politique générale du Gouvernement. Elle était la critique du fait que la question de confiance trop souvent posée n’a pas permis à l'Assemblée, en diverses occasions, d'exprimer complètement sa volonté, ce qui est tout à fait différent.

Si M. le président du Gouvernement renonçait à poser la question de confiance, cherchait à s'entendre avec l'Assemblée sur la question même des crédits militaires et essayait dans un débat commun de déterminer comment s'organiseront, dans les semaines qui vont venir, les rapports entre le Gouvernement et l'Assemblée, alors, quel soulagement ce serait pour l'Assemblée et pour le pays et quel bon travail nous pourrions faire ensemble ! (Applaudissements à gauche.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?

Je vais appeler l'Assemblée à se prononcer.

Mais je voudrais, auparavant, expliquer les conditions dans lesquelles le vote va intervenir.

Le Gouvernement a repoussé l'amendement de M. Capdeville.

Mais j'ai été saisi d'un additif à cet amendement, déposé par M. Rose.

L'Assemblée ne connaît pas le sentiment du Gouvernement sur cet additif.

M. le président du Gouvernement veut-il éclairer l'Assemblée ?

[ …]