Présentation du projet de loi de programme
relatif à la restauration des monuments historiques
et à la protection des sites

6 décembre 1967

Monsieur le président, mesdames, messieurs, en écoutant MM. les rapporteurs, j'étais frappé de penser que tout ce qu'ils disaient eût été impensable il y a seulement cent cinquante ans.

On venait de vendre alors comme carrière la plus vaste abbaye de la chrétienté : Cluny. On avait recouvert de badigeon les mosaïques qui s'étaient appelées « peintures poux l'éternité » ; Jules II avait fait peindre à Raphaël l'Apparition de l'ange sur la fresque d'un peintre de génie, Piero della Francesca. Gothique avait voulu dire grossier. Rome était une ville de décombres, et l'Asie un continent de ruines.

C'est seulement à partir du XIXe siècle que l'Europe occidentale, après avoir exalté les monuments antiques, puis les monuments médiévaux, en vînt à revendiquer tout le passé du monde.

L'effort des archéologues français au Cambodge, des Hollandais à Java, des Anglais aux Indes a été sans précédent. Les constructeurs de Brasilia restaurent leurs villes baroques ; l'Union soviétique restaure les monuments byzantins mieux que ne faisaient les tsars. Il ne serait pas concevable que la France négligeât ses monuments quand le Mexique restaure ses pyramides aztèques, quand Pékin met en place le plus vaste appareil archéologique que la Chine ait connu, et quand l'Égypte par la voix d'un Français, fait appel au monde pour sauver les temples menacés par le barrage du Nil.

Les causes de cette résurrection qui couvre la terre sont multiples, et je n'envisagerai pas les plus profondes qui suscitent aussi la résurrection des arts de presque toutes les civilisations disparues. Mais il en est une qui doit nous retenir. Ces monuments que nous appelons insignes, ce ne sont pas les peuples qui les ont conçus, mais ce sont bien les peuples qui les ont construits. Lorsque les prestations capitales passent lentement de l'Église aux rois, le patrimoine français passe des cathédrales à Versailles. Comme si la grandeur des monuments était encore chargée de la peine des hommes, le Soviétique qui passe reconnaît dans le palais des tsars ce qui lui appartient ; et à Pékin, la massive architecture sibérienne du « bond en avant » s'arrête devant la splendeur légendaire de la Cité interdite.

C'est que ces monuments, comme Tous ceux que vous avez sauvés, que vous allez, je l'espère, sauver, ont subi une immense métamorphose. Vincennes n'est plus pour nous une forteresse féodale, ni Versailles un lieu de plaisir des rois. Châteaux, cathédrales, musées, sont devenus les jalons successifs et fraternels de l'immense rêve éveillé que poursuit la France depuis près de mille ans.

Chefs-d'oeuvre, sans doute ; lieux que nous devons transmettre comme ils nous ont été transmis ; mais quelque chose de plus que la beauté, qui est précisément l'âme de ce grand rêve.

Nous savons bien que nous n'avons pas reçu la charge de Vincennes comme celle d'un quelconque donjon, mais que la présence de Saint-Louis n'a pas disparu ; la charge de Versailles, comme celle d'un château magnifique parmi d'autres. Notre histoire recouvre le long cortège de sang et d'avidité que suscite l'inépuisable passion des hommes. Mais si elle est une histoire, et non ce cortège sanglant, ce n'est pas seulement par l'énergie des rois rassembleurs de terre ; c'est aussi par ce qui fit !a France aux yeux du monde. Versailles est la monarchie, c'est aussi la Révolution.

Ces monuments sont les témoins de notre histoire, devenue exemplaire. Ce n'est pas seulement aux archives, c'est aussi à la longue suite des monuments, fussent-ils ceux des rois, que Michelet dut la formule qui allait orienter la sensibilité occidentale : « La France est une personne ».

La diversité des civilisations et des styles qui se sont succédé sur notre territoire nous vaut une richesse de monuments unique au monde : 10 000 monuments classés et 15 000 inscrits à l'inventaire supplémentaire.

Au temps même où nous devons intervenir - celui-ci - les facteurs de destruction se conjuguent et, la maladie de la pierre aidant, les monuments mal construits de Louis XIV rejoignent, dans la dégradation, les monuments bien construits du Moyen Age.

A la charge qui résulte de l'entretien proprement dit de ce patrimoine, s'ajoute celle des réparations des dommages de guerre. Le risque est manifeste de voir les crédits budgétaires se diluer en une multitude d'opérations de faible importance, comme au temps où une aide étrangère - on le rappelait tout à l'heure - fut nécessaire pour protéger Versailles.

C'est pourquoi nous sommes conduits à distinguer, d'une part, les travaux de sauvegarde proprement dits ou, comme les dénomme le Plan, les travaux de vétusté et d'autre part, les opérations plus ambitieuses de restauration et de mise en valeur qui portent sur des monuments sélectionnés.

Cette politique a reçu un commencement d'exécution par la loi de programme du 31 juillet 1962 qui portant jusqu'à l'année 1966 incluse, a permis de réaliser - vous le savez - d'importants travaux. Pour plusieurs de ces travaux, ceux de Trianon entre tous, il était grand temps !

Le Ve Plan a repris cette distinction entre crédits de vétusté et crédits destinés à des monuments individualisés. Il a prévu, en effet, qu'aux crédits de vétusté s'ajouteraient les dotations d'une seconde loi de programme qui succèderait à celle de 1962. Le projet qui vous est présenté se situe donc dans le cadre des prévisions du Ve Plan, qu'il se borne à mettre en oeuvre, en prévoyant que l'État consacrera 110 millions de francs à un programme de travaux portant sur les trois années 1963, 1969 et 1970. La procédure de la loi de programme relative à certains monuments historiques particuliers se justifie donc par l'exemplarité des opérations qu'elle permet. C'est à cette exemplarité que nous nous sommes attachés. C'est elle qui mobilise actuellement les collectivités locales. Elle contribue puissamment à la prise de conscience par la collectivité tout entière de l'importance de son patrimoine monumental, et de la nécessité d'entreprendre, pour le sauvegarder, un effort de restauration et de mise en valeur qui devra s'étendre sur plusieurs générations.

Cette procédure assure également une meilleure utilisation des crédits budgétaires. Les architectes qui ont la charge de ces monuments pourront, en effet, disposer dune sécurité de financement étendue sur trois ans. Ainsi pourront-ils définir un programme d'une certaine ampleur, ce que ne permet pas la servitude de l'annualité budgétaire. Celle-ci contraint l'administration à n'entreprendre que des aménagements limités, discontinus, sans enchaînement logique entre eux. A cet égard, l'expérience de la première loi de programme est concluante.

J'en viens à la seconde question. Comment ont été ou comment seront choisis les monuments ? Conformément aux indications du Ve Plan, deux grandes catégories de monuments sont envisagées. En effet, sur les 110 millions de crédits d'État ouverts par la loi, 25 millions seront consacrés à des monuments nationaux et 85 millions à quelques dizaines de monuments appartenant à des collectivités locales.

C'est pourquoi la majeure partie de l'enveloppe globale de 110 millions sera consacrée à de tels monuments, tandis que 25 millions seulement seront consacrés à des monuments nationaux.

Cette somme, on vous l'a dit, s'appliquera à cinq des monuments visés par la première loi de programme et à trois autres : Notre-Dame de Paris, la cathédrale de Strasbourg et l'abbaye de Fontevraud.

Quant aux monuments des collectivités locales, vous avez pu lire dans l'exposé des motifs du projet de loi qu'aux 85 millions de crédits d'État doivent s'ajouter les sommes provenant des collectivités propriétaires, de telle sorte que 150 millions au minimum puissent être consacrés à cette catégorie de monuments qui comprendra une trentaine d'édifices.

Beaucoup d'entre vous sont légitimement attachés au principe de la libre administration des collectivités locales. C'est pour quoi je voudrais insister sur les conditions dans lesquelles l'État et les collectivités seront amenés à collaborer à l'exécution de cette loi.

Tout d'abord, elle n'impose aucune obligation d'aucune sorte aux collectivités locales. La somme attendue de celles-ci a le caractère d'une estimation globale et non celui d'une contribution obligatoire.

De même, si le double financement de l'État et des collectivités est établi selon l'hypothèse d'une participation de ces dernières égale à 43 p. 100 des travaux, ce pourcentage ne représente qu'une moyenne entre des taux de participation qui peuvent varier d'une commune à l'autre et qui, comme l'indique l'exposé des motifs du projet, seront discutés cas par cas avec chacune d'entre elles. Pour que cela soit absolument clair pour vous tous, je dirai simplement : pensons à la différence qu'il y a entre ce que peut faire une ville comme Strasbourg et ce que peut faire un hameau de quatre cents habitants qui possède l'une des plus belles églises romanes du monde.

De ces principes, découlent un certain nombre de conséquences.

Tout d'abord, la loi ne saurait inscrire aucun pourcentage de participation des collectivités locales, puisqu'une telle inscription aurait pour effet de rendre obligatoire cette participation, ce que précisément nous avons voulu écarter. De même, la loi ne saurait fixer la liste des monuments, puisque, par hypothèse cette liste résultera d'une discussion avec les collectivités intéressées et, en définitive, d'une adhésion de ces collectivités.

Nous partons d'une liste préparatoire, qui est une liste de travail : cette liste comprend une centaine de monuments, environ trois fois plus que la liste définitive.

Cette liste de travail est établie d'après quatre critères.

Le premier est la qualité du monument. Il est évident, en effet, que la procédure de la loi de programme ne peut s'appliquer qu'à des monuments exceptionnels. Ceux qui sont cités à titre d'exemple dans l'exposé des motifs du projet montrent clairement la catégorie de monuments susceptibles de faire l'objet d'une loi de programme.

Le second critère est l'urgence des travaux de restauration qui se reflète déjà dans la liste de travail.

Le troisième est notre désir de répartir les monuments aussi harmonieusement que possible sur l'ensemble du territoire national.

Enfin, le quatrième est l'importance des monuments sur le plan du tourisme.

Le passage de la liste de travail à la liste définitive s'opèrera comme je l'ai dit, par une série de discussions avec les collectivités propriétaires, qui sont presque toujours les communes, et aussi, le cas échéant, avec les départements intéressés. Il en résultera - et nous en sommes conscients - une compétition entre les collectivités propriétaires, compétition dans laquelle l'effort financier interviendra dans le choix définitif. Ce critère financier sera bien celui de l'effort financier, et non pas simplement de l'importance, en valeur absolue, de la participation, en ce sens que cet effort sera apprécié en fonction des ressources dont dispose la collectivité concernée. Autrement dit, nous ne demandons pas au hameau de rivaliser avec Strasbourg.

Il en résulte que le choix définitif des monuments sera fondé, d'une part sur les quatre critères mentionnés à propos de la liste préparatoire, d'autre part sur l'effort financier de la collectivité propriétaire, apprécié en fonction des ressources de celle-ci.

Il convient de noter que les monuments qui n'auront pu être retenus dans la liste définitive continueront de faire l'objet, le cas échéant, de travaux de vétusté. En outre, d'autres lois de programme de ce type viendront compléter celle que nous vous présentons aujourd'hui.

La compétition ainsi ouverte entre des collectivités locales doit être la plus claire et la plus objective. A cet égard, la meilleure garantie contre l'arbitraire résulte de l'examen, cas par cas, entre l'administration et la municipalité, qui doit précéder l'établissement de la liste définitive.

J'en viens maintenant au titre II du projet de loi qui concerne la protection des sites.

Est-il besoin de préciser que, comme le Conseil économique, je suis conscient que le problème du paysage français doit être posé en fonction des mutations qui transforment la vie économique et sociale de notre pays ? On connaît les principales manifestations de celte transformation : l'urbanisme, la nécessité de disposer de vastes zones industrielles, le développement de la construction immobilière, la multiplication des résidences secondaires, le développement du tourisme...

Ces transformations ont souvent pour effet de bouleverser des paysages de grande étendue. Il ne s'agit donc plus seulement de protéger les sites par le maintien de l'état des lieux, mais de discipliner, d'inspirer ou de contrôler cette poussée de construction et d'aménagement. Je ne fais ici que reprendre l'idée exprimée par les rapporteurs qui m'ont précédé.

De nouveaux instruments juridiques doivent être mis au point pour que puisse être mieux assurée la protection des paysages naturels les plus remarquables ou, plutôt, pour que soit permise une harmonieuse insertion de l'établissement humain dans ces paysages.

Nous travaillons à ce nouvel instrument juridique, en liaison avec les autres départements ministériels concernés. Mais il devient urgent d'améliorer la législation fondée sur la loi du 2 mai 1930, en supprimant ou en assouplissant celles de ses dispositions qui, à l'expérience, font obstacle à l'application des mesures de protection des sites de faible étendue, objets de cette loi.

Elle impose aux propriétaires certaines servitudes indispensables. Nous n'aggravons pas ces servitudes, mais nous voulons permettre leur mise en oeuvre effective, en nous inspirant de ce qui a été fait par la loi du 30 décembre 1966 relative aux monuments historiques.

Dans ce domaine qui met en jeu les prérogatives du droit de propriété et les exigences de l'intérêt public, dans ce domaine essentiellement juridique, nous faisons nôtres les observations formulées par le Conseil d'État. Le texte que nous vous soumettons est sorti des délibérations de cette assemblée.

Les deux mécanismes de protection mis en oeuvre par la loi de 1930 sont : l'inscription qui oblige le propriétaire à avertir l'administration de toutes les transformations qu'il compte entreprendre sur son fonds et le classement qui permet à l'administration de s'opposer à la modification de l'état des lieux, ou d'imposer les travaux qui améliorent ou restituent la présentation du site.

En cas de désaccord d'un propriétaire, le classement nécessite l'intervention d'un décret en Conseil d'État.

Nous nous proposons également d'apporter deux modifications limitées qui concernent la mise en oeuvre de ces deux procédures d'inscription et de classement.

La première concerne les mécanismes selon lesquels les propriétaires seront avisés de ces procédures.

Actuellement - on vous l'a dit - nous ne pouvons les mettre en oeuvre qu'après notification individuelle aux propriétaires. Or, même sur les zones de faible étendue visées par la loi de 1930, il existe souvent des parcelles dont beaucoup ont plusieurs copropriétaires dispersés dans toute la France, voire dans plusieurs parties du monde. L'obligation de notifier aboutit trop fréquemment à paralyser la procédure ou, du moins, à la retarder de plusieurs années, ce qui prive la loi de toute efficacité.

Pour remédier à cet état de choses, il est proposé de permettre à l'administration de substituer la publicité à la notification, non d'une manière systématique, mais dans tous les cas où, eu égard au trop grand nombre de propriétaires ou à l'impossibilité de les identifier, l'obligation de notification individuelle aboutit à paralyser l'application de la loi.

C'est un décret en Conseil d'État qui précisera ces hypothèses, car cette délimitation ressortit au domaine réglementaire défini à l'article 37 de la Constitution.

La seconde modification a pour objet de préciser les hypothèses dans lesquelles l'État est conduit à indemniser le propriétaire.

L'indemnisation sera réservée aux préjudices causés par une modification à l'état antérieur des lieux lorsqu'elle détermine un dommage direct, matériel et certain. Cette précision est normale dès lors que de nombreux textes en vigueur vont bien au-delà en ne prévoyant aucune indemnisation aux propriétaires de biens assujettis à des servitudes administratives.

En troisième lieu, le texte contient en effet des dispositions pénales ; mais il n'y a pas aggravation des peines répressives déjà prévues dans la loi de 1930. Nous prévoyons seulement de différencier ces peines d'amendes suivant la gravité des infractions. Le maximum de l'amende, actuellement de 80.000 francs, est ramené à 40.000 francs pour les infractions les plus légères et porté à 100.000 francs pour les infractions les plus graves.

Enfin, par analogie avec les dispositions des articles 102 et suivants du code de l'urbanisme, le tribunal pourrait imposer l'interruption des travaux irréguliers et la remise en état des lieux transformés au mépris de la loi. L'expérience a, en effet, montré l'insuffisance de l'action en dommages et intérêts ouverts actuellement à l'administration par l'article 21 de la loi de 1930. Il faut que des travaux irrégulièrement entrepris cessent de compromettre définitivement le site à protéger.

J'en viens maintenant aux questions précises posées par MM. les rapporteurs et auxquelles je n'ai pas encore répondu.

Ils m'ont demandé des précisions sur l'emploi envisagé de la dotation de 25 millions de francs réservée aux monuments nationaux.

On ne peut répondre qu'en donnant des chiffres strictement indicatifs. Sous cette réserve, l'utilisation des 25 millions est envisagée ainsi qu'il suit : 3 millions pour les Invalides ; 3 millions pour Reims ; 3 millions pour Versailles ; 3 200 000 francs pour Fontainebleau ; 3 300 000 francs pour le Louvre ; soit au total 15 500 000 francs pour les cinq monuments de la première loi de programme.

II restera donc 10 millions pour les trois autres monuments. La répartition envisagée est la suivante : 1 500 000 francs pour Fontevraud, début des travaux ; 1 500 000 francs pour Notre-Dame, essentiellement pour le ravalement, le reliquat, environ 7 millions, étant réservé à Strasbourg.

La commission souhaite que le critère de l'urgence qui n'est pas mentionné dans l'exposé des motifs soit également déterminant dans le choix des monuments des collectivités locales.

On peut donner tout apaisement à ce sujet et l'exposé des motifs a d'ailleurs été rectifié pour permettre d'insérer ce critère.

L'observation est extrêmement fondée. L'urgence absolue est prioritaire de tout.

La commission souhaite que l'amendement plafonnant à 50 p. 100 la contribution des collectivités locales soit l'occasion pour le ministre de préciser l'esprit des négociations avec les collectivités locales.

Je répondrai lors de la discussion de l'amendement.

Étant donné la brièveté excessive du délai de trois ans et l'impossibilité, de ce fait, d'engager la totalité de la dépense prévue, la commission demande que les opérations choisies comportent un programme de restauration complète.

Il convient de dissiper l'illusion que, sur de tels monuments, on puisse envisager un programme de restauration complète.

Personne ici, vivant, ne verra Versailles totalement restauré. En réalité, nous nous proposons de mener sur ces monuments des travaux applicables essentiellement aux parties qui exigent les réparations les plus urgentes, de telle sorte que ces travaux aboutissent à une présentation homogène du monument.

Dans ces conditions, la brièveté du délai de trois ans n'est pas à craindre, car les dossiers de tous ces édifices sont bien connus des architectes.

La commission déplore que le service des sites soit réduit actuellement à un bureau et à un seul fonctionnaire.

Cette affirmation est maintenant dépassée. Il n'en est pas moins vrai que le service des sites de l'administration centrale demeure très insuffisant.

La commission des affaires culturelles estime qu'il faudrait réformer les commissions des sites pour les mettre en mesure d'élaborer une nouvelle doctrine de protection des sites. Ces commissions devraient avoir une plus grande technicité et être situées au niveau régional. Cela est naturellement fort important.

Nous sommes d'accord dans l'ensemble sur la direction indiquée par le rapport.

Nous pensons, en effet, que les commissions doivent être réformées en vue d'être en mesure d'aider le ministre et son administration centrale à élaborer une doctrine nouvelle de protection des sites, mieux accordée aux transformations de notre société.

La réforme envisagée par le ministre est inspirée de trois principes : régionalisation des commissions, sans aller toutefois jusqu'à faire disparaître tout organisme départemental ; modification de leur composition, en vue d'y donner accès à des architectes ; rapprochement plus étroit entre ces commissions et les autorités administratives : préfets de région et conservateurs régionaux des bâtiments de France.

Ces principes sont notamment proposés par le ministère des affaires culturelles en ce qui concerne la région de Paris. En effet, la création des nouveaux départements et d'une région de Paris a paru apporter l'occasion de mettre en oeuvre les directions qui viennent d'être indiquées. Un projet de texte a été diffusé auprès des ministères intéressés.

La commission demande s'il ne faut pas réformer les règles d'attribution du permis de construire. Cela est également très important.

Les atteintes aux sites, contrairement à ce qu'on croit, résultent le plus souvent d'actions qui n'ont rien à voir avec la construction : déboisement, carrières, etc.

Il importe donc que la législation de protection des sites reste autonome par rapport à celle du permis de construire.

Enfin, une question m'a été posée concernant Notre-Dame de Paris : « Que voulez-vous faire ? »

Nous voulons aboutir à une restauration assez proche de celle, aujourd'hui en cours, de la cathédrale de Reims. Mais vous n'ignorez pas, mesdames, messieurs, qu'il est particulièrement difficile de restaurer Notre-Dame de Paris parce que cette cathédrale a déjà été restaurée par Viollet-le-Duc il y a un siècle, avec - contrairement à ce qu'on croit - un grand talent pour l'architecture, mais avec une indifférence totale pour la sculpture, à tel point que l'on sait très bien quel est le lieu de la Seine où ont été jetées les statues des porches de Notre-Dame. J'espère qu'un jour les conseillers municipaux déguisés en plongeurs, iront les chercher.

Pour l'instant, nous avons la certitude que les statues de Notre-Dame de Paris sont dans la Seine. Peut-être étaient-elles décapitées, du moins étaient-elles encore des statues, mais on en a fait de plus belles. De même la sculpture gothique anglaise est-elle morte de la fortune de l'Angleterre qui remplaça ses statues gothiques par des statues neuves.

Or, la pierre que travaillait Viollet-le-Duc n'était pas la pierre de Notre-Dame, si bien que nous ne pouvons pas la blanchir comme nous pouvons le faire à Reims où il y a unité de pierre. A Notre-Dame, nous trouvons une pierre semblable à la pierre de l'Oise, c'est-à-dire une pierre « Rachel » et à côté des pierres blanches.

Il est donc à peine utile de dire que nous sommes condamnés, à Notre-Dame de Paris, à travailler avec une extrême prudence. Quand nous pouvons aller plus loin, nous allons plus loin ; quand nous allons à la catastrophe, nous nous tenons tranquilles.

Je termine. Vous voyez clairement, mesdames, messieurs, comment se conjuguent les textes qui vous sont soumis. Ceux qui concernent les sites sont garants et protecteurs de ceux qui concernent les monuments.

Nos monuments sont le plus grand songe de la France. C'est pour cela que nous voulons les sauver ; pour l'admiration des touristes, mais d'abord pour l'émotion des enfants que l'on y conduit par la main. Michelet a montré jadis ces petits visages éblouis devant les images de leur pays où la gloire n'avait d'autre forme que celle du travail et du génie. C'est elles qui nourrissent notre communion la plus profonde. C'est par elles que les combats, les haines et les ferveurs qui composent notre histoire s'unissent, transfigurés, au fond fraternel de la mort.

Comme il y a six ans, je dis aujourd'hui : Puissions-nous faire que tous les enfants de France comprennent un jour que ces pierres toujours vivantes leur appartiennent à la condition de les aimer ! Puissions-nous ensevelir un jour, à côté de la statue de Mansart ou de celle de Louis XIV, l'un des maçons inconnus qui construisirent Versailles et graver sur sa tombe : « Versailles, bâti pour le roi, conquis par le peuple, sauvé par la nation ».

Et puissions-nous transmettre à nos successeurs cette garde solennelle de nos monuments, comme veillent aux Invalides, sur le tombeau de l'Empereur, les grands capitaines de la monarchie et les soldats de la République.

J.O. Débats Assemblée nationale,
n° 109, 7 décembre 1967, p. 5615-5618