Présentation du budget des affaires culturelles

9 novembre 1963

Monsieur le président, mesdames, messieurs, si je prends la parole maintenant, c'est, vous le savez, pour des raisons techniques. II va de soi que les orateurs inscrits qui ne sont pas encore intervenus auront la parole après moi et que je leur répondrai.

Quand on pense à ce qu'est au Canada, d'où je viens, et d'un bout à l'autre du monde la signification du terme « culture française », alors vraiment, mesdames, messieurs, merci d'être là !

On nous a dit tout à l'heure que chaque orateur regrettait de ne disposer que de cinq minutes dans ce débat, tandis que le temps de parole imparti au Gouvernement était de quarante-cinq minutes. J'ai à répondre à trois rapporteurs et à quinze orateurs soit au total à dix-huit interventions. Je dispose donc, moi, de deux minutes et demie par réponse. Nous sommes disons, à égalité. (Rires)

Plusieurs questions très précises m'ont été posées ; je répondrai à peu près à toutes de cette tribune. Quant à celles qui sont un peu trop techniques, les parlementaires qui les ont posées, et moi, les reprendrons.

Mais, avant de répondre sur ce que j'appellerai des points de détail - sauf en ce qui concerne quelques interventions émanant du groupe communiste et portant sur un point fondamental - j'évoquerai le domaine dont j'ai et dont nous avons ensemble la charge dans ce qu'il a d'essentiel.

Vous savez que j'ai obtenu quelque succès au conseil des ministres lorsque j'ai dit que j'étais le seul à ne pas savoir ce qu'était la culture. En définitive, c'est vrai. (Sourires.)

Il faudrait tout de même savoir un peu de quoi nous parlons.

On a dit bien souvent que l'on n'avait jamais tant parlé d'affaires culturelles. C'est bien vrai. On en parle dans le monde entier : c'est bien vrai. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie d'abord qu'un certain fait est apparu : celui de la survie des oeuvres d'art.

Alors que les civilisations antérieures avaient rejeté tout le passé au néant, la Renaissance a conservé les vierges noires parce qu'elles étaient vénérables, non parce qu'elles étaient admirables. L'idée d'immortalité est née au XVIe siècle.

Nous avons découvert, dans une civilisation qui n'est pas une civilisation religieuse, qu'alors qu'il ne nous reste rien d'Alexandre ou de César, si ce n'est un nom, il nous reste dans une statue d'Alexandre ou de César quelque chose qui nous parle, et qu'alors que nous ne savons rien de ce qu'ont été les hommes des cavernes, quelques bisons peints par ces hommes nous parlent comme au premier jour.

J'avais dit ici, il y a quelques années : « La matière de la culture, c'est ce qui, dans la mort, appartient tout de même à la vie ». Et, pour comprendre de quoi il s'agit, nous avons un exemple très banal auquel on ne pense jamais, bien que le vocabulaire soit le même : c'est le phénomène religieux.

Il est clair que, pour un chrétien, le Christ n'est pas un homme d'une certaine époque, il est vivant ; pour un bouddhiste, Bouddha n'est pas un sage d'une certaine époque, il est présent. Pour toutes les grandes religions, le prophète est présent.

Or l'oeuvre d'art, elle aussi, est présente à sa manière, et son caractère fondamental, c'est cette mystérieuse survie.

Il se trouve en même temps, que dans notre civilisation à nous, se produit un phénomène géant dont nous prenons à peine conscience. A une époque qui n'est pas si lointaine et qu'un certain nombre de ceux qui sont dans cette Assemblée ont vécue comme moi, lorsque naquit le Front Populaire, Léon Blum voulut créer quelque chose qui était assez proche de ce que nous tentons et il créa, avec mon ami Léo Lagrange, un ministère des loisirs.

Pendant des années, on a cru, dans le monde entier, que le problème de la culture était un problème d'administration des loisirs. Il est grand temps de comprendre que ces deux éléments sont profondément distincts, et que l'un est seulement le moyen de l'autre. Il est entendu qu'une automobile est toujours une automobile. Mais, quand elle vous mène où vous voulez aller, ce n'est pas la même chose que quand elle vous mène dans un précipice.

Il n'y aurait pas de culture s'il n'y avait pas de loisirs. Mais ce ne sont pas les loisirs qui font la culture : ce sont les loisirs qui sont les moyens de la culture.

Là commence notre vrai problème qui est : que défendons-nous ensemble ?

Pendant ces années, qui vont de la naissance d'un ministère des loisirs à aujourd'hui, il est né dans le monde les grandes techniques de rêve - je parle naturellement du cinéma, de la télévision, etc., non pas dans la mesure où ils sont des moyens politiques ou des moyens d'information, mais très exactement dans la mesure où ils sont des moyens de fiction. On parle toujours du machinisme. On oublie qu'à Paris, il y a un siècle, chaque soir 3.000 Parisiens allaient au théâtre. Aujourd'hui, le nombre de Parisiens qui entrent chaque soir dans la fiction doit se situer autour de trois millions et demi.

Les machines sont infiniment moins puissantes sur le sol et sur l'acte que les machines à rêve ne sont puissantes sur notre esprit. Or, les machines à rêve, qui n'ont pas été inventées pour le plaisir des hommes mais seulement pour apporter de l'argent à ceux qui les fabriquent n'ont de puissance magistrale que dans la mesure où chez nous - je parle clairement - elles rapportent le maximum d'argent, que si elles font appel, chez nous, à ce qui est le moins humain, le plus animal, le plus organique et, disons-le clairement, le sexe et la mort.

Si nous acceptons une fois pour toutes, sans contrepartie, que cette immense puissance qui ne fait que commencer à se manifester s'exerce sur le monde avec ses propres moyens, il en va tout simplement de ce que nous appelons la civilisation.

Il n'est pas évident que ces machines soient mauvaises d'avance ; elles sont des multiplicateurs, elles sont le multiplicateur de leurs multiplicandes. Il n'est pas du tout fâcheux qu'un homme comme Chaplin ait fait rire le monde entier, mais songez que le problème du comique est particulier. Il n'y a pas d'élément dramatique dans le succès du comique. Le comique peut couvrir le monde.

C'est à partir de ce que j'ai appelé le domaine du sexe et du sang que le problème commence. Il n'est pas mauvais en soi que, lorsqu'on joue Anna Karénine, une actrice suédoise, dirigée par un metteur en scène américain, fasse pleurer les spectateurs depuis l'Oural jusqu'au Pacifique. Mais il faut bien comprendre que, dans ce cas, le film se réfère à l'un des plus grands écrivains du monde.

Ainsi, des moyens d'action sans précédent quant à la puissance se lèvent dans le monde ; il y a en face, pour la sauvegarde spirituelle de l'humanité, une seule réalité aussi profonde que ces sentiments fondamentaux dont j'ai parlé, et c'est le domaine à sauvegarder, c'est ce qui, par définition, a résisté à la mort.

Il est bien entendu que la tragédie grecque, ce serait des yeux arrachés ; mais ce ne sont pas des yeux arrachés parce qu'il y a le moment où Antigone dit :

« Je ne suis pas venue pour partager la haine, mais pour partager l'amour ». Il y a des paroles immortelles et ce sont seulement des paroles immortelles qui sont aussi puissantes que les puissances de la nuit.

Voilà, essentiellement, mesdames, messieurs, quel est l'axe de notre travail. Il faut que, depuis l'Université jusqu'aux endroits aujourd'hui les plus démunis, d'ici à une trentaine d'années - car cela ne va pas vite - n'importe quel humain ait les moyens de se défendre, et nous devons les lui apporter parce que, sans nous, personne ne les lui apportera. Il reste que nous intervenons dans un domaine qui est français. Il est parfaitement vrai qu'il n'existe pas de nationalisme intellectuel, mais il est parfaitement vrai aussi que c'est un très grand honneur pour un pays que de porter la charge du destin des hommes et surtout la charge de ce qui peut les sauver. Dans la mesure où nous le pouvons, notre devoir est de le faire au nom de la France.

Pour prendre un exemple simple, j'ai tellement lu qu'il ne fallait pas prêter la Joconde parce qu'elle ne pouvait pas voyager - elle est revenue intacte - que je n'ai pas été mécontent de voir qu'aux États-Unis ce tableau, envoyé par la France, était reçu par le Président, le Sénat, la Cour suprême comme aucun être vivant n'avait été reçu, et qu'à Washington - ville aujourd'hui en majorité noire - les pauvres femmes arrivaient avec leurs enfants les yeux baissés jusqu'au tableau, relevaient les yeux pour le voir, retournaient dans la foule et revenaient encore, comme pour voir des icônes. En définitive, ces centaines de milliers d'êtres qui venaient admirer la Joconde venaient dire merci à la France.

Je vais maintenant, si vous le permettez, dresser le bilan de l'année avant de répondre à chaque question, mais ce bilan répondra sans doute à quelques-unes.

Pour les théâtres nationaux, l'Opéra a atteint un taux d'occupation de 78 p. 100 contre 66 p. 100 auparavant. Je vous signale que 73 p. 100 d'un théâtre rond cela veut dire un théâtre plein, parce que certaines places d'où la visibilité est nulle restent toujours vides.

Le pourcentage est pour l'Opéra-Comique de 44 p. 100 contre 38 p. 100 - là nous n'avons pas lieu d'être très fiers - pour la Comédie-Française de 74 p. 100, pour le Théâtre de France de 81 p. 100 et au-dessus pour le Théâtre national populaire, mais le T. N. P. n'est pas un théâtre rond et de toutes les places la scène est visible.

Ici, je tiens à dire qu'il n'est pas équitable d'opposer, comme on l'a fait, Paris et la province en matière de théâtres subventionnés. Les théâtres nationaux sont des institutions nationales, ce ne sont pas des institutions parisiennes.

Il est certain - nous allons traiter ce point - qu'il faut faire tout ce qu'il est possible de faire pour la province, mais il est vrai que si nous envoyons d'un bout à l'autre du monde la Comédie-Française, le Théâtre de France ou le T. N. P. - je cite les théâtres dramatiques parce que pour les théâtres lyriques cela coûterait beaucoup trop cher, sauf dans quelques cas - nous ne pourrions pas y envoyer toujours même les meilleures troupes de nos centres régionaux.

Il est donc légitime que des frais particuliers soient engagés pour ces théâtres qui, outre ce qu'ils signifient et que certains des orateurs ont souligné autant que moi, sont notre moyen d'action sur l'étranger.

Les centres dramatiques et les troupes de province ont donné 2.000 représentations auxquelles ont assisté 1.200.000 spectateurs. Le million est donc dépassé cette année.

Après la maison de la culture du Havre, qui continue son oeuvre avec 300.000 entrées depuis l'ouverture - ce doit être les 200 familles - et qui a donné 244 représentations dont plus de 120 gratuites, la maison de Bourges, où 85 p. 100 des places sont occupées et celle de l'Est parisien, où 350 adhésions par jour sont enregistrées, ont été ouvertes. Celle d'Amiens le sera en 1964.

Dans le domaine de la musique, nous avons revu pour la première fois depuis longtemps une commande de l'État retenir l'attention de tous les musiciens. Il s'agit naturellement de l'oeuvre d'Olivier Messiaen et nous pensons qu'Olivier Messiaen va écrire pour la commémoration de nos morts des deux guerres et de la Résistance, dont l'anniversaire sera célébré en 1964.

Pour les musées, le statut des conservateurs est entré en application.

Les premières salles transformées du musée de Saint-Germain sont ouvertes au public. Les travaux du musée des arts et traditions populaires, qui sera l'un des plus modernes du monde, se poursuivent ainsi que ceux du pavillon de Flore.

Quant aux musées de province, le travail est si considérable que je préfère vous l'exposer en commission puisqu'il est lié aux travaux prévus au Ve Plan. J'ai sous les yeux une page entière de noms qu'il faudrait citer et je dois laisser la parole aux députés inscrits dans la discussion.

J'en viens au dégagement du vieux Louvre sur lequel je dois m'expliquer puisqu'il n'a pas encore été fait. Le problème est assez passionnant. Quelques-uns d'entre vous savent que le Louvre que vous connaissez tous - je parle du Louvre de Louis XIII, de Louis XIV, de la Renaissance, qu'on appelle le vieux Louvre - est un palais enfoui. Louis XIV avait voulu que ce palais fût sur un socle et ce socle existe. Il a été recouvert et les jardins arrivent en bas de la colonnade, mais normalement nous devrions, comme à Versailles, avoir un énorme soubassement sur lequel se dresserait la colonnade et en bas, à la place des fossés, de vastes jardins qui iraient à peu près jusqu'à Saint-Germain-l'Auxerrois pour la colonnade, pour le côté de la rue de Rivoli jusqu'au pavillon du ministère des finances actuel et, naturellement, de l'autre côté, jusqu'au jardin de l'Infante. C'est-à-dire que lorsqu'on regarderait le Louvre de face à partir de Saint-Germain-l'Auxerrois, il devrait tout entier se trouver sur un gigantesque piédestal. Or, je le répète, ce piédestal existe ; il faut le dégager et les frais seront assez faibles puisque, sous la direction des architectes des monuments historiques, le travail sera accompli par le génie.

L'héritière du sculpteur Maillol a bien voulu faire don de la totalité des droits de l'oeuvre de Maillol à la France. Il est inutile de rappeler que Maillol, en son temps, était le plus grand sculpteur de plein air. Nous retirerons du jardin du Louvre un certain nombre de statues, sur lesquelles je préfère ne pas insister, pour les remplacer exclusivement par les statues d'un très grand sculpteur, en l'occurrence Maillol, et nous poursuivrons notre action sur tout le jardin des Tuileries avec Rodin et les antiques qui sont de très belles statues encore en place, en retirant simplement quelques autres statues qui, sans en dire du mal, seraient mieux ailleurs.

D'autre part, nous avons organisé à Paris et à Versailles, outre les grandes commémorations d'Eugène Delacroix, du VIIIe centenaire de Notre-Dame de Paris et de la diplomatie française, les expositions Rodin, Atlan, Dufy, Kandinsky, Charles Le Brun, Gromaire, l'art dans l'Occident romain, les chefs-d'oeuvre de la peinture espagnole en France,

La première exposition d'ensemble des oeuvres de l'école de Fontainebleau aura lieu au printemps à Fontainebleau même. La restauration de la galerie François Ier est achevée ; toutes les fresques exécutées par le Rosso, envoyé par Michel-Ange à François Ier, sont dégagées et les travaux portent maintenant sur les fresques attribuées au Primatice dans la salle de bal, et sur l'escalier de la duchesse d'Étampes. Ce que nous avions laissé espérer à l'Assemblée est donc accompli : la France possède le plus vaste ensemble de peintures maniéristes du monde.

A ces expositions d'oeuvres françaises doivent être ajoutées les expositions de Watteau et des peintres français achetés par Frédéric II, des trésors d'art suédois et des arts anciens du Japon. Dans ce domaine aussi, le nombre des entrées a dépassé le million.

En 1964, auront lieu à Paris, entre autres expositions, pour succéder aux expositions d'importance mondiale de l'art iranien et de l'art mexicain, j'entends par là les expositions qui rassemblent la totalité des chefs-d'oeuvre d'une civilisation, les présentations des vierges romanes, de l'art hittite, de l'art finlandais, copte, de l'art de la maison d'Autriche. La rétrospective Toulouse-Lautrec succédera à la rétrospective Delacroix et l'exposition Rouault montrera un ensemble d'oeuvres plus étendu que celui des plus éclatantes donations de maîtres que la France ait reçues.

Ce don, et celui de la seconde partie de la collection Walter, qui me semble appeler quelque reconnaissance, ceux de M. et Mme Georges Besson, de Mme Cuttoli, de Sonia Delaunay, de Mme Raoul Dufy, de Mme Kupka, de Dunoyer de Segonzac, de M. Laugier et de plusieurs autres, que nous ne remercions pas moins que les premiers, ont apporté à la France, en 1963, maintes oeuvres irremplaçables et, pour l'année, plus de 10 milliards d'anciens francs.

La reconstruction, l'agrandissement et la rénovation des bâtiments des archives départementales se poursuivent. En 1963, ont été assurées la construction du nouveau dépôt du Calvados, l'un des plus modernes d'Europe, et celle des bâtiments d'archives de quatre départements. Sont poursuivis les travaux de dix départements, entrepris ceux de onze départements.

Il convient d'ajouter à ces opérations l'adoption définitive du projet de construction du nouveau dépôt des archives du département de la Seine et de la ville de Paris.

Dans le domaine de l'architecture, la loi de programme relative aux sept monuments a été adoptée. Les travaux ont commencé - certains d'entre vous sont allés les voir - soit à Fontainebleau, soit à Trianon. La loi sur les secteurs à sauvegarder a été également adoptée. Nous aurons donc la possibilité de sauver le quartier Saint-Jean à Lyon, Avignon, etc. Nous avons déjà traité cette question ; je n'y reviens pas.

Les sommes allouées pour la réparation des dommages de guerre, comme nous en avions pris l'engagement, sont passées de 15 millions à 32 millions de francs. Elles ont donc plus que doublé. L'achèvement de ces réparations en 1970 peut donc être espéré.

La zone culturelle qui doit s'étendre au rond-point de la Défense a été définie et la conception de ses édifices confiée à Le Corbusier.

Le nettoyage des façades du vieux Louvre, de l'Opéra, de Saint-Louis-des-Invalides est presque terminé. Celui de la place du Panthéon sera accompli en 1964.

En marge de ce domaine, une véritable organisation des fouilles en France a été mise en place. L'inventaire monumental de la France, demandé depuis tant d'années, est méthodiquement entrepris. Un tel inventaire est, en fait, à l'architecture ce que le plan est à l'économie.

Je pourrais développer ce sujet, mais vraiment ce n'est pas la peine.

Les expositions françaises à l'étranger connaissent un tel succès que nous dépasserons probablement le nombre de 3 millions d'entrées cette année.

Je puis donc maintenant répondre à MM. les rapporteurs.

Je commencerai naturellement par répondre au rapporteur spécial de la commission des finances, M. Beauguitte.

Pour les archives, il est exact que, jusqu'à présent, les conservateurs ont une situation indiciaire inférieure à ceux des autres chefs de services départementaux. Toutefois, le problème a été résolu dans un sens favorable lors du dernier conseil supérieur de la fonction publique. Désormais, les conservateurs d'archives termineront leur carrière a l'indice net 575 au lieu de 550. Vous avez relativement satisfaction, monsieur le rapporteur.

Je reconnais qu'il y a là, comme aux musées, quelque chose de très triste qui devra être réglé un jour ou l'autre.

Pour l'entretien des collections des musées, le rapporteur déplore que la dotation n'ait pas été augmentée. Il y a là un malentendu. Les travaux à entreprendre revêtant un caractère relativement important, les crédits ont été inscrits non pas au chapitre de fonctionnement 34-23, mais au chapitre d'équipement 56-22, doté de 500 000 francs, qui viennent s'ajouter aux 480 000 francs existants. Le crédit apparent a donc été doublé entre le moment où M. Beauguitte a reçu ses informations et ce moment même.

Pour l'aménagement du musée de Saint-Germain, bien qu'aucun crédit ne figure au budget de 1964, les travaux entrepris en vue d'une meilleure présentation des collections sont poursuivis, grâce aux importantes dotations qui avaient été inscrites dans les précédents budgets et qui sont en cours de consommation.

Pour le service éducatif des musées, il est exact qu'un nouveau service sera constitué à cette fin à la direction des musées. Il comprendra une dizaine d'agents parmi lesquels un professeur agrégé. Ces agents seront répartis entre les trois sections prévues.

Pour la décentralisation lyrique, compte tenu de l'amendement déposé, le crédit de l'année 1964 sera le même que celui de l'année 1963. Il n'y a donc pas l'abattement de 330 000 francs. Sur ce point, la commission a également satisfaction.

Je reparlerai de la situation des théâtres privés dans un instant.

Un assez grand nombre d'orateurs ont posé le problème de la construction d'ateliers d'artistes. En liaison avec les autorités municipales, 25 logements et ateliers d'artistes pourront être construits à l'aide des 500.000 francs de crédits inscrits au titre des nouveaux ensembles immobiliers.

En 1964, la dotation permettra la construction de 50 logements, qui ne seront pas obligatoirement situés dans les ensembles H. L. M., mais qui pourront l'être dans les ensembles d'habitation de diverses natures construits par des organismes habilités.

Je grouperai les réponses aux autres questions de M. le rapporteur de la commission des finances avec celles que je ferai dans un instant à M. Ribadeau-Dumas, puisqu'elles concernent le cinéma.

En ce qui concerne le refus des titres III et IV, je serais tenté de dire : « Tout ce qui est exagéré est inefficace ». Après avoir entendu M. le président de la commission des finances, j'ai le sentiment qu'il en est plus que moi encore persuadé.

Notre budget est en augmentation de 15 p. 100, alors que le budget général ne l'est que de 9 p. 100.

Je sais que, depuis qu'il y a des ministères des beaux-arts - et, après tout, les affaires culturelles, ce sont les beaux-arts plus les masses - depuis qu'il y a des ministères des beaux-arts, dis-je, jamais un ministre des beaux-arts n'aura été aidé comme je le suis par le Premier ministre actuel. Alors, je n'insiste pas.

Dans son rapport M. Marcenet pose la question du transfert d'activités du ministère des affaires culturelles au secrétariat d'État à la jeunesse et aux sports. Nous avons procédé à une meilleure répartition des associations subventionnées entre M. Herzog et nous, plaçant sous le contrôle de son ministère les associations de culture populaire qui n'ont pas de rapport direct avec nos activités. Le transfert de crédits traduit cette réorganisation.

Pour les archives, M. Marcenet signale que le lieu et la forme de la cité interministérielle des archives ne sont pas précisés. Je réponds que l'implantation sera faite dans la région parisienne, mais le lieu précis n'a pu encore être déterminé. Cette opération exige une collaboration complexe entre les ministères intéressés et particulièrement avec le ministère des finances.

En ce qui concerne le projet de décret relatif à la création d'un comité interministériel de coordination muséologique, nous sommes entièrement d'accord avec le rapporteur. Ce comité interministériel verra prochainement le jour.

Pour l'enseignement artistique privé qui est extrêmement utile, nous sommes également d'accord avec le rapporteur. Il est certain qu'il faut aboutir à une réglementation de l'enseignement artistique privé qui, tout en conservant à celui-ci sa liberté, empêcherait les abus et fixerait certaines conditions d'exercice. La toute récente constitution du service des enseignements artistiques explique que ce travail n'ait pas encore abouti.

Pour les aménagements fiscaux favorables aux théâtres privés, les trois suggestions formulées par le rapporteur, qui ont pour but d'aménager, en faveur des théâtres privés, l'impôt sur les spectacles et le droit de timbre, font actuellement l'objet d'études avec le ministère de l'intérieur et celui des finances. Un très large accord de principe est déjà intervenu sur l'essentiel de ces mesures. Notre ministère fait tous ses efforts pour que, dans les délais les plus brefs, et si possible au cours de la session actuelle, des mesures de caractère fiscal interviennent dans le sens souhaité par le rapporteur.

Je vais profiter de l'occasion pour en finir avec mes explications sur les théâtres privés. Ceux-ci ont trouvé ici maints défenseurs qui se placent sur des terrains assez différents. Je leur signale que je suis beaucoup plus d'accord avec eux qu'il ne semble : ils veulent défendre les théâtres privés dans la mesure où ils sont bons et je ne serais pas tellement ennemi de les aider dans la mesure où ils sont mauvais.

Je m'explique.

Si l'État accorde des subventions aux théâtres nationaux, c'est évidemment pour qu'ils jouent, dans l'ensemble, une certaine catégorie de pièces. Il était faux de dire que le Gouvernement interdisait Labiche, mais il était tout à fait vrai de dire que le Gouvernement ne voulait pas que 500 millions fussent dépensés pour que soit joué uniquement Labiche, et cela est fini ! On a vu qu'on pouvait très bien jouer le patrimoine français avec un immense succès. C'est ce qui est fait, et l'on continue d'ailleurs à jouer Labiche quand on en a envie.

Si nous généralisions le point de vue qui est le nôtre sur les théâtres nationaux, nous arriverions à créer une sorte de destruction de la liberté du citoyen par des voies parfaitement innocentes, c'est-à-dire que celui qui a envie de voir jouer - je ne donnerai pas de titre - disons une pièce détestable qui lui plaît, n'aurait aucun moyen de le faire.

Il est donc souhaitable de défendre le droit des théâtres privés à jouer ce qu'ils voudront, plus exactement ce que veulent voir jouer les spectateurs.

Ce n'est donc pas un problème de principe qui me sépare de ceux qui veulent défendre les théâtres privés. Je suis d'accord avec eux. C'est uniquement un problème de possibilité : car, lorsque vous demandez que les théâtres privés soient subventionnés, ou aidés sous une forme quelconque, mon souhait répond au vôtre ; je veux les aider, mais à condition que le ministère des finances ne me réponde pas que l'argent qui sera utilisé pour tel ou tel théâtre privé sera retiré à la Comédie-Française.

Voilà comment se pose pour moi le problème. Il est bon de dire - comme l'ont fait les rapporteurs - que les théâtres privés ne sont pas une industrie comme les autres et chaque fois qu'on parlera de ce qui nous rassemble aujourd'hui, il faudra toujours dire qu'il ne s'agit pas d'une industrie comme les autres ; cela ne l'est jamais.

Donc, acceptons qu'un point de vue particulier doive envisager des phénomènes particuliers. Mais, en même temps, sachons que nous avons une priorité à respecter et puisque, à l'heure actuelle, nous en avons à peu près fini avec les grands problèmes des théâtres dramatiques - les théâtres lyriques privés sont moins nombreux - disons qu'il est temps d'essayer de concentrer nos efforts sur l'aide aux théâtres privés.

Quelle forme peut prendre cette aide ? C'est tout à fait clair ; c'est la forme fiscale. Il faut arriver à un système de détaxe et je suis tout à fait sûr également que nous y parviendrons.

Je ne dis pas que nous obtiendrons tout ce que nous souhaitons. Mais je dis sans hésitation que nous obtiendrons une partie de ce que nous souhaitons. D'autre part, vous savez comme moi que la solution du problème des théâtres privés demande aussi un peu de nuances. II y a encore 45 théâtres privés à Paris, c'est-à-dire plus qu'à New York. Alors, défendons ce que nous devons défendre.

Disons-nous aussi que si les théâtres privés faisaient pour leur propre défense un effort comparable à ce qu'a fait la profession cinématographique, la vie leur serait plus facile.

Il faut donc que la profession fasse sa propre réforme, mais en même temps que cette réforme sera faite, il faut sans aucun doute que le Gouvernement lui apporte une aide sous forme d'une détaxation.

En ce qui concerne la création artistique, le rapporteur, M. Marcenet, s'étonne de la diminution des crédits intervenue au titre de l'achat d'oeuvres d'art.

Le crédit a été effectivement diminué cette année dans le cadre des économies, mais il y a tout lieu de penser qu'en dépit de cette diminution, le service de la création artistique disposera d'un potentiel largement conservé au titre de 1964.

Je suis bien entendu, par ailleurs, d'accord avec M. le rapporteur sur ses conclusions générales, notamment en ce qui concerne l'action prochaine de notre ministère.

Je parlerai rapidement des festivals ; mais la question est inépuisable. Nous avons dû faire des économies sur ce chapitre. Quand on décide de faire des économies, il faut bien les faire quelque part. En ce qui concerne les festivals, une réorganisation était nécessaire - tout le monde en était d'accord - et on a mêlé réorganisation et économies. Aurait-on pu faire autrement ? Je le dis sans hésitation ; je ne le crois pas. Mais en discuter ici est impossible ; il s'agit d'un rapport de six pages et, si vous me le permettez, nous reparlerons du problème en commission.

Enfin, pour les questions générales, les rapports de la commission des finances et de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales et, très spécialement, les travaux effectués par les rapporteurs ont mis clairement en évidence certaines insuffisances de mon budget qui ne sont pas niables, mais qui peuvent être expliquées par une conjoncture économique et financière qui conditionne la politique du Gouvernement.

Ces travaux me permettront de faire accepter par mon collègue des finances les corrections et les rétablissements qui s'imposent dans le budget de 1965.

N'oubliez pas cependant que l'on ne peut tout faire à la fois et que, dès 1964, pourront démarrer trois oeuvres capitales : l'accélération des réparations des dommages de guerre, les fouilles - dont l'organisation n'existait pas en France - et l'inventaire général qui n'existe pas non plus. Le budget de 1965 sera certainement aussi symbolique en innovant dans les domaines aujourd'hui oubliés ou modestes.

J'arrive aux questions relatives au cinéma.

La crise constatée dans l'activité cinématographique en France se manifeste également, ne l'oublions pas, dans la plupart des pays du monde. En Allemagne fédérale le nombre de spectateurs est passé de 671 millions en 1959 à 453 millions en 1962, en Grande-Bretagne de 755 millions à 415 millions - soit presque une diminution de moitié - au Japon, de 1 127 millions à 662 millions.

En revanche, aux États-Unis, on constate un petit renversement de la situation, puisque le nombre des spectateurs, qui était en 1959 de 2.185 millions, est passé à 2 210 millions en 1962. C'est peu, mais c'est l'arrêt de la baisse.

Il est donc démontré qu'à partir d'un certain point de saturation en postes de télévision et autres distractions, le cinéma peut reprendre une certaine partie de son marché.

Un arrêté concernant les prêts à l'exploitation cinématographique est actuellement à la signature du ministre des finances et des affaires économiques. Ce texte précise le caractère préférentiel des prêts qui sont consentis à toute l'exploitation.

Une disposition particulière permettra d'encourager l'installation et la construction de nouvelles salles dans les ensembles immobiliers en construction ou construits depuis moins de cinq années.

On assiste, depuis quelques mois, à un effort des distributeurs en vue de se grouper pour réduire leurs frais généraux. Les distributeurs espèrent ainsi surmonter plus facilement la crise très grave qui les menace tous sans exception.

Ces groupements sont souhaitables et devraient, dans la mesure où cela n'est pas encore réalisé, arriver à organiser un service commun de la distribution matérielle des copies.

Mais, vouloir concentrer toute !a distribution physique en un seul organisme aboutirait à créer un véritable monstre qui ne répondrait certainement pas aux impératifs de souplesse qui sont exigés pour une bonne distribution des films.

M. Ribadeau-Dumas s'inquiète de nouveau de la Cofram, société de distribution de films français en Amérique du Sud.

Déjà il avait attiré mon attention sur sa situation, l'an dernier. A ses préoccupations, j'avais répondu le 18 janvier que, devant l'importance du déficit annuel de cette société, et compte tenu des perspectives de redressement d'une situation qui tient, pour l'essentiel, à la dégradation économique et financière des pays de l'Amérique latine, le Gouvernement n'avait pas cru devoir intervenir.

Toutefois, au cours des mois qui se sont écoulés depuis, l'examen de la situation de cette société et des sociétés filiales a été continué. Une enquête a été faite en Amérique du Sud au cours de l'été. Des conclusions ont été tirées et nous espérons bien que, dans l'avenir, il sera possible d'assurer la projection de films français en Amérique du Sud dans des conditions qui vous satisferont.

Il convient de rappeler que les autorités de Bruxelles, à la demande des pays intéressés, particulièrement le nôtre, ont reconnu que le film n'était pas une marchandise de même nature qu'un certain nombre de produits industriels. C'est pourquoi une commission d'experts est convoquée à intervalles réguliers devant les autorités supranationales. Cette instance donne son avis tant sur les problèmes d'établissements, de libre circulation que sur le problème des aides.

En ce qui concerne les établissements et la libre circulation, une première directive a été adoptée, qui doit être publiée prochainement au Journal officiel de la Communauté économique européenne. Elle définit les conditions auxquelles doit correspondre la réalisation d'un film pour être considérée comme ayant la nationalité d'un des États qui composent la Communauté européenne. En particulier, elle reconnaît la nécessité d'avoir une équipe nationale des principaux auteurs et collaborateurs de création.

La France avait fortement insisté pour que cet aspect national de la production soit sauvegardé.

En ce qui concerne les aides - et c'est ce qui vous intéresse avant tout - les autorités supranationales ont reconnu la nécessité des aides relatives aux productions nationales des différents États membres. Elles devaient indiquer la forme et la limite de ces aides. Si leur recommandation n'intervient pas au cours des semaines qui viennent, j'ai l'intention de demander au Gouvernement de prendre immédiatement la décision de proroger le système institué par le décret du 18 mars 1963.

J'arrive aux rapports entre le cinéma et la télévision.

Peut-être certaines questions auraient-elles gagné à être posées au ministre responsable de la télévision, mais je vais vous donner néanmoins quelques précisions.

On a souvent insisté sur la concurrence déloyale envers les théâtres cinématographiques faite par les postes de télévision. Il s'agit là d'un problème délicat qui concerne le Gouvernement tout entier, puisqu'il s'agit d'établir une fiscalité équitable entre ces deux moyens d'expression.

Je n'ai pas manqué, je ne manquerai pas, à chaque occasion, de rappeler la nécessité de faire régner la justice dans ce domaine.

On voudrait qu'il n'y ait pas, à la télévision, de projection de films commerciaux le samedi ni le dimanche. M. le rapporteur Ribadeau-Dumas a d'ailleurs beaucoup nuancé ses remarques à ce sujet. Il a déjà en partie satisfaction puisque les projections en question n'ont lieu que le dimanche et seulement à partir de dix-sept heures. L'interdiction souhaitée, si elle était prononcée, ne serait pas une garantie pour les cinémas, car les sondages ont démontré que certaines émissions obtenaient auprès des téléspectateurs un succès populaire très supérieur à celui des films commerciaux.

On envisage que le journal télévisé soit projeté dans les théâtres cinématographiques. Quelques expériences ont été tentées dans ce domaine. Avant de généraliser ce système, il faudrait régler les problèmes de droit d'auteur et de droit de diffusion, car une grande partie du journal télévisé provient de documents cédés par l'étranger pour une exploitation strictement limitée à la télévision.

On nous a dit que l'heure des spectacles télévisés revenait à 200 000 francs, alors que le prix de location d'un film commercial ne dépasse guère 10 000 francs. Il s'agit là de chiffres extrêmes - M. le rapporteur le sait comme moi - car l'heure de spectacle revient souvent à moins de 200 000 francs et le prix de location d'un film commercial est souvent supérieur à 10 000 francs.

D'autre part, La R. T. F. est propriétaire des émissions qu'elle réalise et elle ne peut projeter qu'une seule fois le film qu'elle a loué.

Déjà, maintenant, avec une seule chaîne, la R. T. F. éprouve de sérieuses difficultés à trouver les films commerciaux qui lui sont nécessaires.

N'oublions pas, en effet, que la R. T. F. ne peut exploiter, sauf exception, que des films vieux de cinq ans et que, notamment le dimanche après-midi, ces films doivent être visibles pour tous les téléspectateurs.

Il va de soi que ces difficultés ne feront que croître lorsqu'il faudra alimenter la seconde chaîne.

Je crois que les dirigeants de la R. T. F. font tous leurs efforts pour donner au film français la place que celui-ci pourra occuper sur le petit écran. Il m'est agréable de souligner que la collaboration entre le cinéma et la télévision, dans le domaine de la coproduction, se développe à un rythme satisfaisant. C'est ainsi qu'en 1962, 2.300.000 francs ont été consacrés à la réalisation de films en coproduction avec les producteurs cinématographiques et, en 1963, 7 millions de francs ; cette somme sera, en 1964, de 13 millions de francs. Les téléfilms ainsi produits représenteront environ cent trente heures de télévision pour l'année.

Si l'on compare ce chiffre de 13 millions de francs avec le montant des investissements français dans la production de films cinématographiques, on constate qu'il est loin d'être négligeable.

Je n'ai cessé de favoriser la signature de conventions entre la télévision et les industries techniques, mais les infrastructures - notamment les studios - sont dès maintenant insuffisantes pour les besoins du cinéma et de la télévision. Il serait impossible d'interdire à la télévision de construire les installations dont elle a besoin.

Cela étant, je reste persuadé que beaucoup reste à faire, aussi bien pour la construction de nouveaux ensembles qu'en ce qui concerne l'utilisation des laboratoires. Je sais que la R. T. F. est disposée à discuter avec les responsables de la profession pour parvenir à un accord qui permettrait d'utiliser au mieux des installations extrêmement coûteuses.

Je rappelle que le transfert des studios de la Victorine a été décidé et que, pour la première fois, se trouve réalisée une association entre le cinéma et la télévision, afin de gérer ensemble des studios.

On a souvent reproché à la télévision de ne pas faire appel au talent des techniciens du cinéma.

Vous savez que, dans ce domaine, on se heurte au statut du personnel de la télévision, aux différences sensibles entre l'importance et le mode des rémunérations des uns et des autres. Mais je reste persuadé que, sur ce point également, on doit aboutir.

Je rappelle enfin que le Gouvernement a décidé l'unification des enseignements du cinéma et de la télévision. Les mesures d'application de cette décision font l'objet d'études portant notamment, sur la structure de la nouvelle école et sur son emplacement.

Mais - les rapporteurs ont raison sur ce point - une politique plus cohérente du Gouvernement est certainement souhaitable.

J'en arrive aux films que nous « protégeons abusivement ».

Je fais d'abord remarquer aux rapporteurs qui nous reprochent de protéger tel ou tel film que nous ne protégeons rien du tout.

Il existe des commissions.

Je peux parfaitement intervenir contre l'avis dune commission, c'est vrai, mais enfin vous n'aimez pas tellement cela.

Il m'est souvent arrivé d'intervenir contre les commissions mais c'était pour que l'on fasse quelque chose en plus, non pour que l'on fasse quelque chose en moins.

Autrement dit, si la commission, ayant décidé que l'on enverra trois films à un festival, souhaite que l'on n'en envoie pas un quatrième, et si je crois que le quatrième a des chances pour la France, je ferai envoyer le quatrième, mais ne ferai pas supprimer ce que la commission a choisi.

Vous dites que nous avons trop de films, disons « avancés » ; j'entends : non pas politiquement, mais artistiquement.

Si nous faisions autre chose que ce que nous faisons, ce serait exactement dédaigner la commission. Or je ne le désire pas.

En second lieu, je ne crois pas que le point de vue du rapporteur soit exact.

D'abord, l'Italie n'est nullement le pays de la clarté latine ni, en définitive, du plaisir. Les films italiens qui sont allés cette année aux festivals dans le monde, à Moscou, à Venise, à Cannes - Huit et demi, Main basse sur la ville. Le Guépard - sont aussi « difficiles » que les films difficiles français.

D'autre part, si nous avons envoyé des films difficiles - ce qui est vrai - nous avons aussi envoyé des films qui ne l'étaient pas du tout. Les Amants de Teruel, Thérèse Desqueyroux, Le Rat d'Amérique, même Le Feu follet et Dragées au poivre ne sont pas des films difficiles.

Donc, ne disons pas que la France envoie systématiquement des films difficiles contre une Italie qui envoie des films faciles. Disons que les Italiens et nous envoyons à la fois des films difficiles et des films faciles.

En ce qui concerne les films difficiles, il faut bien comprendre ce que veulent les commissions du cinéma.

Dans l'ordre culturel, nous avons, d'une part, à nous défendre avec la conscience de ce qui a survécu dans le passé mais, d'autre part - nous ne sommes pas là pour vivre du passé - à nous défendre avec la création. Or, prenez bien garde que la création, c'est toujours ce qu'on écarte.

Il en a toujours été ainsi depuis deux cents ans.

On a dit - je ne dois pas citer de films à la tribune, mais enfin vous voyez très bien les uns et les autres quels sont ceux auxquels je pense - on a dit qu'il fallait ne pas envoyer au festival tel ou tel film de Resnais, mais les deux films qui ont été envoyés ont remporté les plus grands prix.

Ils n'ont pas rapporté assez d'argent. C'est bien possible.

Mais qu'est-ce que cela peut nous faire ?

Nous sommes ici pour faire gagner de l'argent à l'industrie cinématographique dans sa totalité. Des mesures qui ruineraient le cinéma pour faire des chefs-d'oeuvre seraient peut-être souhaitables du point de vue de l'art, mais seraient ridicules du point de vue du Gouvernement. Mais, s'il faut que le cinéma gagne de l'argent, il n'est pas indispensable que n'importe quel film en gagne. Il était peut-être nécessaire que les peintres français ne soient pas misérables, mais que Cézanne n'ait pas été riche n'a pas, évidemment, une très grande importance dans la peinture française.

Acceptons donc de présenter des films dont nous savons qu'ils sont un ferment.

Ou bien ces film» germeront d'eux-mêmes, car enfin ayons des films, mais des films qui durent, et ils deviendront les

films de l'avenir. C'est ce qui s'est passé pour deux ou trois. Bravo !

Ou bien ils ne le deviendront pas mais, en maintenant le niveau du cinéma français, ils auront fait que le prochain film de plaisir qui sera fait sera tout de même un film d'une certaine qualité et, par là, nous aurons tout de même accompli notre tâche.

C'est pourquoi je vous demande de croire qu'il faut accepter une certaine part de danger dans les choix cinématographiques, comme dans tous les choix qui concernent l'art.

J'ai à peu près répondu sur la question du théâtre privé. Il va de soi que je suis prêt à reprendre ce dossier avec MM. Christian Bonnet. Dupuy et Boutard d'une façon beaucoup plus complète que je ne l'ai fait pour ne pas éterniser le débat ici.

En ce qui concerne la question de M. Bourdellès, il va de soi que je suis de tout coeur avec lui.

Nous devons comprendre que les faits qu'il a relatés sont certains et graves, mais qu'il est extrêmement difficile d'y remédier.

M. Bourdellès a dit : Essayons de faire en sorte que les gendarmes deviennent efficaces.

Oui. Les préfets et les conservateurs d'objets d'art ont été saisis, ils ont été invités à prendre toutes mesures pour assurer la garde et la conservation des objets. Mais vous savez combien ils sont pauvres. Et quand j'écris à un pauvre conservateur de province d'assumer la charge de telle ou telle pièce classée qui, au surplus, est d'or, le malheureux ne peut que s'asseoir sur une chaise devant sa Vierge ou son saint Michel.

Nous allons demander aux préfets d'inviter les conseils généraux à intervenir eux-mêmes pour les intéresser au problème.

Nous avons cependant engagé une entreprise qui peut être vraiment utile : l'inventaire monumental de la France est enfin en cours après cent ans d'attente.

L'un des deux premiers, c'est l'inventaire de Bretagne. Ici intervient une mesure vraiment efficace : l'inventaire, établi avec les photographies, comme l'ont souhaité quelques orateurs, fait connaître la totalité des oeuvres qui existent en France. Il s'appelle l'inventaire monumental : il concerne le monument. Mais il concerne aussi le saint Michel et la Vierge dont je parlais tout à l'heure. Lorsque chaque village de France possédera le fascicule de l'inventaire le concernant avec son saint Michel ou sa Vierge photographiés, nous aurons suscité dans le village un sentiment de possession collective qui fera que le village lui-même deviendra gardien. Naturellement, les autorités religieuses ont, par ailleurs, été alertées parce que, bien souvent, les oeuvres se trouvent dans les églises et ces autorités ont pris les mesures qu'elles croient les meilleures.

Le projet de loi sur l'exportation ?

Nous allons le déposer.

Vous avez raison de le souhaiter. Nous ferons en sorte qu'il soit le meilleur possible.

Espérons qu'il servira à quelque chose.

Si vous possédiez un yacht et si vous montiez sur ce yacht qui vous appartient avec un tableau de Giotto roulé sous le bras, qu'est-ce qui se passerait ?

Rien.

M. Grenier a parlé de la télévision. Sur le même sujet, j'ai déjà répondu à M. le rapporteur en ce qui concerne les propositions concrètes qu'il a faites à la fin de son rapport. Je les trouve importantes et je pense qu'elles doivent être étudiées d'un commun accord, mais pas en quelques minutes.

Monsieur Hauret, il est évident que, pour Fontevrault, notre sympathie de principe vous est acquise.

On doit dégager Fontevrault de toutes les constructions adventices et parasitaires. L'affaire est déjà engagée grâce au concours de l'administration pénitentiaire et de M. le garde des sceaux.

Nous devons ensuite essayer d'aider le plus possible la création de l'association dont vous avez parlé. Nous allons, en liaison avec M. le garde des sceaux, envisager toutes les possibilités.

En tout cas, il n'y a pas de discussion, il n'y a que de l'opportunité. Bien entendu, Fontevrault est admirable. Bien entendu, il ne faut pas qu'y subsistent des bâtiments pénitentiaires et, bien entendu, il faut qu'on l'utilise à quelque chose qui soit dans l'ordre de l'esprit.

M. Derancy m'a parlé de l'aide à la musique. Je ne saurais trop lui dire à quel point je suis d'accord. Les subventions sont insuffisantes. Nous avons créé un comité de la musique qui doit déposer ses conclusions le ler janvier.

Bien sûr, on peut dire : Ce n'est qu'un comité de plus. Je ne le crois pas. D'abord, en raison de la nature de ceux qui composent ce comité et aussi à cause du travail qui a été fait jusqu'ici. On peut en attendre beaucoup.

C'est, évidemment, grâce à lui que nous pouvons commander à Olivier Messiaen l'Oratorio pour les morts de la guerre.

Je pense que, lorsque nous nous retrouverons, je pourrai, dans ce domaine, vous donner des informations un peu consolantes. En tout cas, j'aurai plaisir à les communiquer à l'honorable orateur.

Nous ne sommes pas, le Gouvernement n'est pas au bout de son effort et je pense qu'il faudra plusieurs années pour que nous puissions aboutir. Mais je vous demande de vous souvenir d'où nous venons en matière de musique.

J'en ai terminé avec les questions qui m'ont été posées.

Je vais maintenant seulement répondre sur le fond.

Vous m'avez dit, monsieur Dupuy, qu'en définitive, nous voulons faire des maisons de la culture contre le peuple.

Allons !

A vous aussi je vais dire que tout ce qui exagère est insignifiant.

Pourquoi ne parlez-vous pas en marxiste ? Pourquoi ne dites-vous pas : « Vous faites ce que vous faites, qui est peut-être très bien mais, bien ou mal, quand nous aurons pris le pouvoir, nous le reprendrons entre nos mains ».

Ce serait là un langage de marxiste.

Mais ce que vous venez de dire, à savoir que nous faisons le théâtre de l'Est parisien pour les 200 familles, ce n'est vraiment pas sérieux !

Vous avez, monsieur Dupuy, parlé pendant un quart d'heure en sachant qu'il n'y avait pas un mot de vérité dans ce que vous disiez et vous avez voulu faire croire, en nous attaquant, que ce que nous faisons n'est que bassesse. Encore une fois, je vous réponds en vous disant : « Parlez en marxiste » et en vous attaquant sur ce que vous avez de plus haut.

C'est là une des différences qu'il y a entre nous. Qu'elle puisse continuer !

J.O. Débats Assemblée nationale,
n° 123, 10 novembre 1963, p. 7087-7094.