Loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort

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Un long combat pour l'abolition : la lutte pour l'abolition

De la Révolution à la Troisième République, des grandes voix contre la peine de mort

Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que condamner un innocent.

Zadig, 1747. Voltaire

Je voudrais assurément que l'abolition de la peine de mort pût être, en Europe, dans ce siècle même, un fait accompli ; mais j'ai foi au moins qu'au siècle prochain elle s'accomplira dans le monde civilisé.

La peine de mort au vingtième siècle. 1877. Valentine de Sillon

...
Vains efforts ! périlleuse audace !
Me disent des amis au geste menaçant,
Le lion même fait-il grâce
Quand sa langue a léché du sang ?
Taisez-vous ! ou chantez comme rugit la foule ?
Attendez pour passer que le torrent s'écoule
De sang et de lie écumant !
On peut braver Néron, cette hyène de Rome !
Les brutes ont un coeur ! le tyran est un homme :
Mais le peuple est un élément ;

Élément qu'aucun frein ne dompte,
Et qui roule semblable à la fatalité ;
Pendant que sa colère monte,
Jeter un cri d'humanité,
C'est au sourd Océan qui blanchit son rivage
Jeter dans la tempête un roseau de la plage,
La feuille sèche à l'ouragan !
C'est aiguiser le fer pour soutirer la foudre,
Ou poser pour l'éteindre un bras réduit en poudre
Sur la bouche en feu du volcan !

Souviens-toi du jeune poète,
Chénier ! dont sous tes pas le sang est encore chaud,
Dont l'histoire en pleurant répète
Le salut triste à l'échafaud.
Il rêvait, comme toi, sur une terre libre
Du pouvoir et des lois le sublime équilibre ;
Dans ses bourreaux il avait foi !
Qu'importe ? il faut mourir, et mourir sans mémoire :
Eh bien ! mourons, dit-il. Vous tuez de la gloire :
J'en avais pour vous et pour moi !
...

Contre la peine de mort. 1830. Alphonse de Lamartine


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La veuve, auprès d'une prison,
Dans un hangar sombre, demeure.
Elle ne sort de sa maison
Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure.
Dans sa voiture de gala
Qu'accompagne la populace
Elle se rend, non loin de là,
Et, triste, descend sur la place.

Avec des airs d'enterrement
Qu'il gèle, qu'il vente ou qu'il pleuve,
Elle s'habille lentement,
La veuve.

Les témoins, le prêtre, la Loi
Voyez, tous est prêt pour la noce ;
Chaque objet trouve son emploi :
Ce fourgon noir c'est le carrosse.
Tous les accessoires y sont :
Les deux chevaux pour le voyage
Et le panier plein de son :
La corbeille de mariage.

Alors tendant ses longs bras roux,
Bichonnés, ayant fait peau neuve,
Elle attend son nouvel époux,
La veuve.

La veuve, 1887. Poésie de Jules Jouy

La vie n'appartient qu'à Dieu, et c'est pourquoi il est écrit :
"vous ne tuerez point".
Quand la loi tue, elle n'inflige pas un châtiment, elle commet un meurtre.

Le Livre du peuple. 1837. Félicité de Lamennais

Genève est à la veille d'une de ces crises normales qui, pour les nations comme pour les individus, marquent les changements d'âge. Vous allez réviser votre constitution. Vous vous gouvernez vous-mêmes ; vous êtes vos propres maîtres ; vous êtes des hommes libres ; vous êtes une république. Vous allez faire une action considérable, remanier votre pacte social, examiner où vous en êtes en fait de progrès et de civilisation, vous entendre de nouveau entre vous sur les questions communes ; la délibération va s'ouvrir, et parmi ces questions, la plus grave de toutes, l'inviolabilité de la vie humaine, est à l'ordre du jour.

C'est de la peine de mort qu'il s'agit. Hélas, le sombre rocher de Sisyphe ! quand donc cessera-t-il de rouler et de retomber sur la société humaine, ce bloc de haine, de tyrannie, d'obscurité, d'ignorance et d'injustice qu'on nomme pénalité ? quand donc au mot Peine substituera-t-on le mot Enseignement ? quand donc comprendra-t-on qu'un coupable est un ignorant ? Talion, oeil pour oeil, dent pour dent, mal pour mal, voilà à peu près tout notre code. Quand donc la vengeance renoncera-t-elle à ce vieil effort qu'elle fait de nous donner le change en s'appelant Vindicte ? Croit-elle nous tromper ? Pas plus que la félonie quand elle s'appelle Raison d'État. Pas plus que le fratricide quand il met des épaulettes et qu'il s'appelle la Guerre. De Maistre a beau farder Dracon ; la rhétorique sanglante perd sa peine, elle ne parvient pas à déguiser la difformité du fait qu'elle couvre ; les sophistes sont des habilleurs inutiles ; l'injuste reste injuste, l'horrible reste horrible. Il y a des mots qui sont des masques ; mais à travers leurs trous on aperçoit la sombre lueur du mal.

Genève et la peine de mort ; lettre du 29 novembre 1862. Victor Hugo


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Ils sont là, au Palais-Bourbon, se chamaillant, feignant d'être fort en colère, au fond soutenant des thèses, et résolus, quoi qu'il arrive, à ne rien changer. Ils maintiennent la peine de mort, mais en beau langage, avec une rhétorique qui vient du concours général, et des arguments que l'État fournit aux jeunes normaliens qui veulent faire leur chemin dans le monde. Ils ne se jugent pas méchants, parce que beaucoup d'entre eux aiment quelque chose ou quelqu'un ; ils se croient très cultivés, parce que quelques-uns savent ce qu'ont dit les autres ; ils se croient très libres d'esprit, parce qu'ils ne sont solidement attachés à rien ; ils se croient même vertueux pour des sous arrachés par quelque misère criante, ou des billets de banque par l'Église. Et confortablement installés dans cette forte estime d'eux-mêmes, ils sont bien à leur aise pour cingler de leur mépris la canaille hurlante de la place publique de Laval. Vraiment ! Barbares est bientôt dit. Ce qu'ils viennent chercher ces barbares, c'est le spectacle du sang versé par vous. Ce couteau, c'est votre instrument d'ordre social. Ce bourreau, c'est votre fonctionnaire. Ce sang, c'est un ordre de vous qui le fait couler. Pourquoi ceux qui n'ont rien ordonné se détourneraient-ils de votre acte ? Pourquoi auraient-ils la pudeur qui vous fait défaut ? Ils sont grossiers, répugnants, c'est vrai ; mais eux, du moins, ne sont pas responsables. Vous, vous proclamez que sans cet acte sacré d'une vie humaine détruite méthodiquement par la machine sociale, la société est en péril. Alors, laisser le peuple se repaître de l'enseignement de l'acte sacré. Il ne sait pas, lui ! Il ne fait pas de lois.

Le Grand Pan. 1896. Georges Clemenceau


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