Accueil > Histoire et patrimoine > Abolition de la peine de mort > La peine de mort en procès devant l'opinion publique : mettre la mort hors la loi

Loi du 9 octobre 1981
portant abolition de la peine de mort

La peine de mort en procès devant l'opinion publique : mettre la mort hors la loi


En France, plusieurs grands avocats (Maurice Garçon, Albert Naud, René Floriot) mirent, dans les années soixante, leur notoriété et leur talent au service de la cause abolitionniste, mais c'est à partir de 1976 que se déploie l'offensive la plus vigoureuse. Elle s'appuie sur trois affaires judiciaires qui secouèrent l'opinion et conclurent, pour deux d'entre elles (Christian Ranucci et Jérôme Carrein) par des exécutions, pour la troisième (Patrick Henry) par une condamnation à perpétuité.

Robert Badinter, défenseur de Patrick Henry, reprend dans plusieurs essais et articles le réquisitoire contre la peine capitale dressé devant les jurés de l'Aube et participe, avec d'autres praticiens du droit, au combat mené par divers mouvements de défense des Droits de l'homme. L'Association française contre la peine de mort propose d'assortir la perpétuité d'une peine de sûreté conciliant la protection de la société et les possibilités de réinsertion laissées au condamné.

La dernière exécution a lieu le 10 septembre 1977, mais une majorité de Français demeure favorable à la peine capitale, selon un sondage publié en juin 1978. Aussi les positions abolitionnistes adoptées lors de la campagne présidentielle de 1981 par François Mitterrand, Georges Marchais et Jacques Chirac ne flattent-elles pas une opinion dominante principalement habitée par un souci sécuritaire.

Un principe ne se divise pas...

Ni dans le coeur des individus, ni dans les moeurs de la société, il n'y aura de paix durable tant que la mort ne sera pas mise hors la loi.

Albert Camus. Réflexions sur la peine capitale, 1957

L'État n'a pas le droit de juger en dernier ressort du destin ultime de la personne humaine. (...) Au fond de chaque homme civilisé se tapit un petit homme de l'âge de pierre, prêt au vol et au viol, et qui réclame à grands cris un oeil pour un oeil. Mais il vaudrait mieux que ce ne fût pas ce petit personnage habillé de peau de bêtes qui inspirât la loi de notre pays.

Arthur Koestler. Réflexions sur la peine capitale, 1957.

Est-elle exemplaire, cette mort qu'on inflige à deux ou trois heures du matin, dans une courette sale de prison, entre officiels, clandestinement, et dont la presse elle-même n'ose plus parler ? Peut-on croire encore que ces trois lignes en quatrième page d'un journal quotidien, destinées à proclamer urbi et orbi que X ou Y est mort à deux heures cinquante-huit, sont capables de frapper une opinion sollicitée par bien d'autres préoccupations ? Une peine de mort dont on a honte ne peut plus être qu'une barbarie.

Albert Naud. Contre la peine de mort, 1967.

Un principe ne se divise pas. On ne peut pas être hostile à la peine de mort, sauf en certaines circonstances, sauf pour certains crimes particulièrement affreux, sauf pour certains coupables jugés irrécupérables. Ou bien on croit aveuglément à la justice des hommes et on s'en tient à l'une de leurs plus vieilles lois, la loi du talion. Ou bien on pense que ce n'est pas si simple et que nul n'a le pouvoir ni le droit de trancher délibérément le fil d'une vie.

Pierre Viansson-Ponté. Ce n'est pas si simple... Le Monde, 29 novembre 1972 (in La peine de mort, Chronique d'un débat passionné, Le Monde, Librio)