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La décentralisation

Jacques Guillaume Thouret (1746-1794)

Jacques Guillaume Thouret (1746-1794)
© Assemblée nationale

Premier discours sur la nouvelle division du royaume

3 novembre 1789

L'Assemblée constituante a bousculé les structures traditionnelles de l'administration et créé une nouvelle organisation territoriale. Après la nuit du 4 août l'obstacle à l'unification territoriale que constituaient les privilèges des provinces était levé.

Des projets de réorganisation administrative étaient déposés, ceux de Duport et de Lally-Tollendal. Thouret fut chargé de rapporter à l'Assemblée constituante un premier projet consécutif aux travaux du comité de Constitution -succédant à un premier comité démissionnaire- notamment inspiré par Sieyès. Il s'agissait de propose un cadre commun à l'élection de la représentation nationale et à celle des administrations locales. Le rapport de Thouret, présenté le 29 septembre 1789, préconisait une division du royaume en 80 départements, en plus de Paris. Chaque département aurait la forme d'un carré de 18 lieues de côté, divisé chacun en 9 communes ou district de 6 lieues de côté, lui-même divisé en 9 cantons de 4 lieues de côté. Les cantons devaient comprendre 680 citoyens actifs formant l'assemblée primaire du canton. Au chef-lieu du département siégerait une assemblée de 81 délégués désignés par les assemblées de district et formée de contribuables acquittant une somme au moins égale à dix journées de travail. Il appartiendrait aux assemblées départementales de désigner les députés à l'Assemblée nationale.

La discussion fut interrompue par les événements des 5 et 6 octobre marqués par le départ du roi de Versailles aux Tuileries. Les députés purent tout au moins consulter une carte de France tracée selon le projet de Thouret. La discussion reprend le 3 novembre. Thouret défend à nouveau dans un premier discours une réorganisation du royaume et estime que l'esprit d'unité nationale et l'identité des droits des citoyens doivent l'emporter sur « l'état de corporation partielle » des provinces.

[Biographie de Thouret] [Second discours sur la nouvelle division du royaume - 9 novembre 1789]

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Messieurs, votre Comité en se livrant au travail dont vous l'avez chargé, en a reconnu toute l'importance ; et il est impossible que vous n'en soyez pas pénétrés vous-mêmes, au moment où vous allez consommer ce grand ouvrage par vos décrets.

Les objets traités dans les deux parties du rapport du Comité, sont essentiellement la Constitution. C'est beaucoup, sans doute, d'avoir établi la permanence du Corps législatif, et d'avoir décidé comment les lois seront faites à l'avenir : mais cela ne fait pas à beaucoup près la Constitution. Les membres du Corps législatif seront des représentants de la nation ; pour avoir des représentants, il faut les élire. Les administrations provinciales et municipales seront de même composées de députés élus. Il faut donc parvenir à distribuer la représentation avec l'égalité, d'abord entre les différentes parties du royaume, ensuite entre les différentes parties de chaque province, fixer l'ordre des élections: il faut d'ailleurs déterminer avec précision le rang que les diverses classes d'administrations tiendront dans l'ordre des pouvoirs publics, la nature et l'étendue de leur autorité ; ou rien ne sera véritablement fait pour la Constitution.

Ceci posé, il est facile de reconnaître quelles dispositions d'esprit il faut apporter au traitement de ces importantes matières.

Établir la constitution d'un grand empire, est une des plus hautes entreprises dont l'intelligence humaine puisse s'occuper. Il n'y faut donc pas employer des idées trop vulgaires, aussi nuisibles au succès de cette oeuvre sublime, qu'incompatibles avec sa dignité.

Établir la Constitution, c'est, pour nous, reconstruire et régénérer l'État. Il ne faut donc pas qu'une pusillanimité routinière nous tienne asservis à l'ancien ordre des choses, quand il es possible d'établir de meilleures bases, et nécessaire de disposer les ressorts du gouvernement pour les nouveaux effets qu'il s'agit d'en obtenir. Comme il n'y aurait pas de régénération si rien n'était changé, il n'y en aurait qu'une superficielle et passagère, si les changements se bornaient à de simples palliatifs, en laissant subsister les causes des anciens vices. N'entreprenons pas de faire la Constitution, si nous ne voulons pas régénérer à fond.

Établir la Constitution, est une oeuvre infiniment épineuse en ce moment d'anarchie, parce que la méditation grave et lente qu'elle exige, paraît inconciliable avec les besoins pressants qui sollicitent de toutes parts des remèdes prompts. Mais les difficultés ne doivent pas vaincre notre courage; les besoins locaux et du moment ne doivent pas détruire le bonheur général et permanent qui est attaché à faire une bonne Constitution. Les besoins particuliers sont une raison décisive pour accélérer sans distraction le travail des décrets constitutionnels, mais n'en peuvent être une d'en brusquer la composition. Ne vaudrait-il pas mieux ne pas faire cette Constitution tant désirée, que de la faire défectueuse, insuffisante et incomplète ?

Établir la Constitution, c'est travailler pour les siècles, et élever un édifice auquel il est très désirable qu'on ne voit pas nécessité de retoucher souvent. Il serait donc également malfaisant et inconsidéré, soit de précipiter ce qui doit être combiné avec maturité, soit de manquer à semer au moment opportun tous les germes de la prospérité publique, même ceux qui doivent être lents à se développer et à fructifier.

Établir la Constitution, c'est porter au nom de la nation, en vertu du plus puissant de ses pouvoirs qui n'existe qu'en elle, et non dans aucune de ses parties, la loi suprême qui lie et subordonne les différentes parties de l'État au tout. L'intérêt de ce tout, c'est-à-dire de la nation en corps, peut seul déterminer les lois constitutionnelles; et rien de ce qui tiendrait aux systèmes, aux préjugés, aux habitudes, aux prétentions locales, ne peut entrer dans la balance. Si nous nous regardions moins comme les représentants de la nation, que comme les Stipulants de la ville, du bailliage ou de la province d'où nous sommes envoyés; si, égarés par cette fausse opinion de notre caractère, parlant beaucoup de notre pays et fort peu du royaume, nous mettions des affections provinciales en parallèle avec l'intérêt national ; j'ose le demander, serions-nous dignes d'avoir été choisis pour les régénérateurs de l'État ? Et si de tels sentiments pouvaient exister parmi nous, s'y montrer, et parvenir à être accueillis, comment oserions-nous penser à faire une Constitution ? Rappelons-nous ce que nous pensions unanimement avant la confusion et la destruction des trois ordres. La Constitution nous paraissait, avec raison, impossible; mais que devrions-nous attendre, si les provinces venant à remplacer les ordres, décuplaient les oppositions et les traverses ? Rappelons-nous encore ce que nous pensions des mandats impératifs, lorsqu'on s'en faisait des titres contre notre réunion. « Un bailliage, une province, disions-nous, simples membres, et parties sujettes de la nation, ne peuvent lui dicter des lois, faire prévaloir leurs opinions particulières, ni empêcher le bien général, par ce qu'elles croient être de leur intérêt particulier. Il n'y a point de représentants de bailliage et de province, il n'y a que des représentants de la nation. » Si ces vérités sont indubitables, c'est surtout en matière de Constitution, dont les premières maximes sont celles de l'union politique de tous les membres de l'État en un seul corps, et de la subordination de toutes les parties, au grand tout national.

C'est, Messieurs, d'après les considérations que je viens d'exposer, et en recueillant toutes les impressions qu'elles doivent naturellement faire sur vos esprits, que vous apprécierez sainement les raisons qui se présentent pour et contre le plan de votre Comité.

Je les applique spécialement à la partie fondamentale de ce plan, qui concerne la nouvelle division territoriale du royaume.

C'est moins en niant les avantages politiques de cette division, qu'en y supposant des inconvénients, qu'on l'a combattue jusqu'ici. De tous les genres d'attaque, celui-ci est le plus aisé, parce qu'il n'y a aucun plan dans une matière aussi difficultueuse contre lequel on ne puisse faire quelques objections ; mais il est aussi le moins concluant, parce que le vrai point de décision n'est pas que le plan soit exempt de toute espèce d'inconvénients, mais qu'ils soient moindres que ses avantages, ou moindres que les défectuosités actuelles.

Depuis longtemps les publicistes et les bons administrateurs désirent une meilleure division territoriale du royaume ; parce que toutes celles qui existent sont excessivement inégales, et qu'il n'y en a aucune qui soit régulière, raisonnable, et commode, soit à l'administrateur, soit à toutes les parties du territoire administré. Il y a d'ailleurs une confusion de divisions très embarrassante, puisqu'il n'y a pas un seul genre de pouvoir ou d'autorité qui n'en ait une particulière; en sorte que le même lieu pourrait appartenir à autant de districts divers qu'il y a de différentes espèces de pouvoirs publics. Tout le monde sent combien dans un vaste empire, il importe pour l'uniformité de l'administration, pour la bonne surveillance des administrateurs, pour la facilité des gouvernés, d'avoir des divisions de territoire à peu près égales, et d'une étendue calculée sur celle qui convient au meilleur exercice des différents pouvoirs.

L'époque la plus convenable pour poser ce fondement d'une foule d'améliorations futures, est celle, où la puissance nationale déployant toute son énergie, reconstitue l'État, et où la désorganisation de l'ancien gouvernement fait sentir le pressant besoin, en même temps qu'elle a produit l'attente d'un nouvel ordre de choses, et a disposé les esprits à le recevoir. Si le moment actuel n'est pas mis à profit, si la nouvelle division territoriale n'est pas liée à la nécessité d'admettre la Constitution dont elle fera partie, et dont on ne peut plus se passer, il faut y renoncer pour jamais. Sur quel prétexte en reproduirait-on la proposition, après que la nation elle-même aurait ratifié de nouveau les anciennes divisions en les établissant pour bases constitutionnelles des nouveaux districts de représentation et d'administration ?

Je sais bien qu'on paraît craindre qu'en ce moment où les hommes sont, comme malgré eux, entraînés vers leurs anciennes liaisons, parce que le gouvernement, dit-on, n'a pas la force de les rallier à lui, on ne risquât à augmenter la confusion, en voulant rompre les unités provinciales.

Mais, 1° il est assez naturel que, dans ce moment du passage à la liberté, et du relâchement des anciens pouvoirs, les citoyens aient vu dans leurs anciennes relations le moyen de mieux supporter la commotion passagère qui les agite. Cette affection produite par les circonstances doit cesser avec elles, et cédera, n'en doutons pas, au sentiment universel de douceur et de sécurité que l'établissement de la Constitution répandra dans toute la France. 2° On s'est replié sur les anciennes liaisons, parce que le gouvernement n'a pas la force de rallier à lui ; mais c'est la nation qui va tout rallier à elle par la Constitution. Qui ne sentira pas que l'attachement à la grande union nationale vaut mille fois mieux que l'état de corporation partielle qui sera désavoué par la Constitution ? 3° Enfin ces affections d'unité provinciale qu'on croit si dangereux de blesser ne sont pas même offensées par le plan du Comité; puisque aucune province n'est détruite, ni véritablement démembrée, et qu'elle ne cesse pas d'être province, et la province de même nom qu'auparavant, pour avoir des districts nouveaux de représentation ou d'administration.

Le Comité présente quatre-vingts divisions nouvelles, parce que sous ces deux rapports, l'étendue de trois cent vingt-quatre lieues carrées, dont chaque division est composée, paraît la plus avantageuse. Elle donne lieu d'ailleurs à de bonnes subdivisions intérieures, puisque chacune fournit neuf districts de commune, qui se fractionnent encore chacun en neuf cantons : distribution heureuse, sur laquelle on pourra, avec le temps, établir le mécanisme facile de toutes les parties du régime intérieur de chaque administration.

Une surface de trois cent vingt-quatre lieues, offre une étendue moyenne, qui convient à des districts d'élection directe, qui convient encore plus à des districts d'administration, et qui pourra convenir par la suite pour réunir dans les mêmes divisions l'exercice des autres pouvoirs publics. Ne désespérons pas que le jour viendra, où l'esprit national étant mieux formé, tous les Français réunis en une seule famille, n'ayant qu'une seule loi, et un seul mode de gouvernement, abjureront tous les préjugés de l'esprit de corporation particulière et locale. La Constitution doit prévoir, provoquer et faciliter ce bon mouvement, qui rendra la nation française la première et la plus heureuse nation du monde.

Mais c'est des départements administratifs surtout, qu'il importe essentiellement de borner l'étendue. Cette précaution est nécessaire politiquement, et d'ailleurs l'intérêt de chaque territoire administré l'exige. La position n'est plus la même qu'elle était avant la révolution actuelle. Lorsque la toute-puissance était par le fait dans les mains des ministres, et lorsque les provinces isolées avaient des droits et des intérêts particuliers à défendre contre le despotisme, chacune désirait avec raison d'avoir son corps particulier d'administration, et de l'établir au plus haut degré de puissance et de force qu'il était possible ; mais toutes les provinces sont maintenant associées en droits et en intérêts, et la liberté publique est assurée par la permanence du Corps législatif. Il ne s'agit plus aujourd'hui que de conserver - l'esprit, et d'assurer les effets de la Constitution actuelle.

Craignons donc d'établir des corps administratifs, assez forts pour entreprendre de résister au chef du pouvoir exécutif, et qui puissent se croire assez puissants pour; manquer impunément de soumission à la législature. Les membres de ces corps seront déjà très forts par leur caractère de députés élus par le peuple : n'ajoutons pas à cette force d'opinion la force réelle de leurs masses.

Considérons ensuite que l'intérêt des gouvernés se joint ici à la nécessité politique. Cet intérêt consiste à ce que le district de chaque administration soit mesuré, de manière qu'elle puisse suffire à tous les objets de surveillance publique, et à la prompte expédition des affaires particulières. En administration, c'est aux effets réels et à l'efficacité de l'exécution qu'il faut principalement s'attacher; parce qu'une administration n'est bonne qu'au tant qu'elle administre réellement. Or elle ne remplit; bien cet objet que lorsqu'elle est présente, pour ainsi dire, à tous les points de son territoire, et qu'elle peut expédier avec autant de célérité que d'attention toutes les affaires des particuliers. Cette exactitude sans laquelle le bien ne se fait pas, ou ne se fait qu'à demi, serait impossible à des administrations qui auraient un trop grand territoire. C'est donc aux citoyens mêmes qu'il importe de multiplier les administrations pour resserrer les districts.

Il semble au premier coup d'oeil qu'il n'y a pas d'objections qui puissent balancer tant d'avantages; et l'examen des principales difficultés qui ont été faites, confirme cette vérité.

première objection. Vous changez, nous dit-on les anciennes divisions des provinces; vous les anéantissez en confondant leurs territoires. - Quand cela serait, quel inconvénient en résulterait-il que celui qu'un préjugé fécond en maux politiques suppose et exagère ? Puisque le gouvernement est devenu national et représentatif, puisque tous les citoyens y concourent, puisque les lois, les impôts et; les règles d'administration vont être les mêmes dans toutes les parties du royaume ; qu'importe à quelle division de son territoire on soit attaché, les avantages politiques et civils étant parfaitement égaux dans toutes ? Il serait bien désirable, sans doute, que l'Assemblée put faire ce mal imaginaire qu'on reproche au plan du Comité, pour acquérir le bien réel et inappréciable détruire l'esprit de province, qui n'eSt dans l'État qu'un esprit individuel, ennemi du véritable esprit national. Si son influence nous domine ici, je répète que nous ne ferons pas, ou, ce qui est pire peut-être, que nous ferons mal la Constitution; mais il faut calmer d'un seul mot ces alarmes conçues trop légèrement à l'idée des provinces confondues ou morcelées. La nouvelle division, dont le Comité n'a jamais entendu que l'exécution serait rigoureusement géométrique, peut se faire presque partout, en observant les convenances locales, et surtout en respectant les limites des provinces. Si quelques-unes de leurs frontières présentent des irrégularités, dont le redressement serait désirable pour la perfection du plan, je ne crains pas de dire que ce redressement serait avantageux aux lieux mêmes sur lesquels il s'opérerait. Chaque province, perdant quelque chose d'un côté, gagnerait de l'autre à peu près également. Enfin, aux frontières respectives des provinces, les moeurs, les habitudes, les relations d'affaires, et de commerce, n'apportent aucun obstacle à la transposition des districts administratifs; parce que les paroisses qui se touchent aux extrémités de deux provinces ont beaucoup plus d'affinité entre elles, sous tous les rapports physiques et moraux, qu'avec les paroisses du centre ou de la frontière opposée de leur propre province.

seconde objection. Le plan du Comité divise au moins les provinces dans leur intérieur, et il les affaiblit en les désunissant. - La division d'une province en plusieurs districts de représentation et d'administration, ne la désunit pas plus que les autres divisions en diocèses, en généralités, m bailliages, en élections, entre lesquels son territoire est partagé. Je peux citer la Normandie pour exemple : elle a eu depuis très longtemps trois administrations; elle est divisé en trois généralités, formant trois ressorts d'intendance; elle a trois districts d'assemblées provinciales: île n'en subsiste pas moins sous son nom, et en un seul corps de province; elle aurait, dans le plan proposé, quatre administrations, et ne cesserait pas pour cela d'être la Normandie. Ainsi, l'inconvénient supposé n'a point de réalité. - J'ajoute que c'est l'avantage des grandes provinces d'obtenir plusieurs corps administratifs parce qu'un seul ne suffirait pas aux nombreux détails de leur gouvernement, et parce que c'est le moyen de partager entre plusieurs villes l'avantage d'être chefs-lieux d'administration, qui, sans cela resterait, avec toute l'influence qui y est attachée, aux seules capitales.- Je rappelle enfin ce que j'ai dit plus haut, du danger politique d'établir dans notre Constitution actuelle des administrations assez puissantes pour inquiéter, soit le pouvoir exécutif, soit la législature elle-même.

troisième objection. La division proposée est impraticable par les obstacles physiques qu'elle rencontrera, et par la résistance de l'opinion; il faudrait d'ailleurs, pour l'exécuter, un temps très long qui nous manque.

Réponse.1° Si quelqu'un a pu croire que la division s'exécuterait par carrés géométriques parfaits, qui feraient de la surface du royaume un échiquier, il a dû regarder que les montagnes, les fleuves, les villes existantes, ne permettraient pas en effet de tirer de l'est à l'ouest de la France, et du nord au midi, des lignes parfaitement droites. Mais puisque l'exécution n'est pas cela, et que les sinuosités nécessaires que le local ou la convenance économique occasionne sont observées, et n'empêchent pas la division, cette première partie de l'objection s'évanouit. Il me semble qu'on ne peut pas résister à l'évidence répandue sur ce point par l'ouvrage intitulé Observations sur le plan du comité, ouvrage essentiel à méditer sur cette matière, et auquel je n'ai pas vu qu'on ait encore entrepris de répondre.

2° Quant à la résistance d'opinion, c'est d'après l'idée qu'on s'est faite de provinces morcelées, confondues, anéanties, c'est sans connaissance de la nécessité politique et des avantages locaux de la restriction des districts, c'est sans la conviction bien acquise que la division administrative existait déjà en quelques provinces ; et pouvait exister partout sans détruire ni le nom, ni; l'unité de province, qu'on a supposé ici que les commettants frappés défavorablement, comme quelques députés l'ont été à la première proposition du plan, se refuseraient à l'admettre. Mais quand ce plan sera présenté aux pro vinces sous son vrai point de vue, quand elles le recevront émané de vous, et faisant partie de la Constitution; générale et uniforme du royaume, quand enfin elles; seront à portée d'en apprécier sainement les motifs et les effets, ne désespérons pas de l'empire si puissant de la raison, du patriotisme et de l'intérêt réel de chaque territoire.

Le Comité a déjà vu des députés de plusieurs provinces prévenus contre le projet par les objections vulgaires qui ont été faites au premier instant, déposer leurs préventions lorsqu'ils ont examiné sur la carte le tracé provisoire des divisions de leurs provinces, et conçu d'après leurs connaissances locales la facilité de les perfectionner définitivement. Il en sera de même partout. Au surplus, il ne faut jamais s'effrayer d'entendre fronder d'abord ce qui s'écarte des habitudes anciennes, et des idées communes. Enfin, si les préjugés d'une, de deux ou de trois provinces, devaient l'emporter sur le bien général démontré de tout le royaume, si les parties ne devaient pas céder raisonnablement au tout, ou si la nation en corps n'avait aucune autorité sur ses membres; si ceux, enfin, qui concourent par leurs députés à faire les décrets constitutionnels, pouvaient ensuite refuser de s'y soumettre, il n'y a point ici d'association politique, point de Corps législatif, point de régénération à espérer, point de Constitution à faire; disons le mot, nous ne serions point une Assemblée nationale, parce que nous n'aurions pas voulu l'être, et parce qu'après en avoir conquis le titre, contents du mot, nous n'aurions pas voulu prendre l'esprit de la chose, ni en remplir les obligations.

3° À l'égard de l'objection relative à la longueur du temps qu'exigerait l'exécution de la division proposée, le Comité a été convaincu qu'il en faudrait un plus long peut-être que la durée de la session actuelle, pour arrêter définitivement l'état de chaque division; mais il a vu aussi que pour rendre le plan provisoirement applicable à la première formation des assemblées administratives, qui seules pourront servir à le perfectionner, il ne faudra pas, à beaucoup près, un temps aussi long. Supposons qu'en conservant les divisions actuelles, vous vous borniez à établir une seule administration en chaque province, certainement vous n'auriez d'acquis que le chef-lieu : car tous les citoyens actifs ne pourraient pas se rassembler pour nommer directement les administrateurs ; et les électeurs députés par les paroisses et communautés, ne pourraient pas davantage se réunir. Il faudrait donc former des arrondissements, tant pour les districts d'élection, que pour ceux des administrations subordonnées. Ces arrondissements n'existent point et les divisions judiciaires ne peuvent pas en servir. Les ressorts des bailliages sont si inégaux, et leurs forces politiques respectives si peu connues, qu'en appliquant ces divisions aux élections et à l'administration, la représentation provinciale se trouverait très défectueuse et très injustement répartie. Maintenant que, d'après le plan du Comité et le travail fait sur, la carte, les chefs-lieux de chacun des 80 département! soient indiqués, ainsi que la démarcation approximative des trente-six lieues de leur territoire; que, dans chaque département, les chefs-lieux des neuf communes soient annoncés de même, avec le secours des députés de chaque, province; que les officiers municipaux du chef-lieu de chaque commune soient chargés de tracer provisoirement leurs arrondissements ; cela va suffire pour la formation des premières assemblées, et ce mouvement, qui n'est pas moins nécessaire en rejetant le plan du Comité, qu'en l'admettant, ne prendra pas plus de temps que la distribution intérieure des provinces dans les anciennes divisions.

Je finis, Messieurs, par résoudre une difficulté élevée relativement aux provinces d'États, et fondée sur l'embarras de terminer après leur division administrative, les affaires communes résultant de leur administration actuelle. Vous examinerez d'abord, s'il ne serait pas juste que la nation se chargeât de la partie de leurs dettes contractées au profit du gouvernement; et quant à la liquidation de ce qui resterait de leurs affaires communes, il y serait pourvu de la manière qui suit. Chacune des nouvelles administrations d'une même province nommerait trois ou quatre députés de son sein, qui se réuniraient, pour former un comité général, au lieu de la séance des États actuels. Ce comité, composé de représentants de toutes les parties de la province, serait chargé de la liquidation des affaires communes, et ne s'anéantirait que lorsqu'elles seraient terminées, ou lorsque la division aurait pu s'en faire entre les nouveaux départements. Jusque-la les provinces d'États conservant pour cette partie l'unité de leur administration, ne se trouveraient pas trop brusquement réduites à l'état de désunion absolue ; et pendant la durée de cette position mitoyenne, l'esprit public se fortifierait, l'expérience des avantages des administrations divisées s'acquerrait, l'opinion éclairée et rectifiée finirait bientôt par accélérer la suppression du comité général.

J'opine, pour ces raisons, à l'admission de la nouvelle division du royaume en quatre-vingts départements de présentation et d'administration, proposée par le Comité.

L'Assemblée ordonne que le discours de M. Thouret sera imprimé, et qu'il sera distribué à trois exemplaires à chaque député, pour qu'il puisse être médité et communiqué aux provinces