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Election du Président de l'Assemblée nationale
Hémicycle, mercredi 29 mars 2000

Discours de Monsieur Raymond Forni
Président de l'Assemblée nationale

Mes chers collègues,

Mon émotion est grande. Même s'il n'est pas d'usage, dans une enceinte publique, et en particulier celle-ci, de faire état de sentiments privés, je veux, à cet instant, rendre hommage à ma mère disparue il y a peu et dont j'aurais souhaité qu'elle connaisse l'issue du scrutin qui m'a porté à ce fauteuil. Un scrutin qui, pour moi, ne distingue plus entre les voix de la majorité et celles de l'opposition ; qui les réunit au contraire dans un égal respect de la démocratie. N'oublions pas que l'opposition, un jour vous, un jour nous, avec la considération qui lui est due, est aussi la preuve que la démocratie est davantage qu'une formule obligée.

Cette gratitude à l'égard de ma mère, qui peut paraître, oserai-je dire banale, ne l'est pas tant que ça. A travers elle, c'est une reconnaissance à l'égard de la République, celle d'hier, celle de demain, la République qui accueille, qui éduque, qui rassemble, sans distinction de race, d'origine, de couleur, de religion.

Car, en dépit de la fonction éminente à laquelle vous me faites tous accéder, je ne suis pas né français. Fils d'immigrés italiens que la pauvreté avait fait fuir leur pays, je suis certes né dans ce pays, mais je n'ai pu en acquérir la nationalité qu'à l'âge de dix-sept ans. La France m'a tout donné. Et c'est peut-être pour cela que, mon sang et mon coeur se mêlant, je crois à l'Europe par dessus tout.

Mon début a été d'affection, la suite le sera aussi. D'une rive à l'autre de la Seine, je veux dire à Laurent Fabius, brièvement mais fermement, l'admiration que, comme tant d'autres, je lui porte et la timidité qui est la mienne d'être son successeur au poste qui est désormais le mien.

J'ai conscience à travers lui d'être l'héritier, mais combien hésitant, combien modeste, d'hommes qui ont marqué l'Histoire de notre temps et, remontant le siècle, je saluerai Edgar Faure l'étincelant, Vincent Auriol, lui aussi authentique Fils du peuple, ou encore celui qui restera comme un monument du parlementarisme, Edouard Herriot.

Mais vous ne m'avez pas élu, mes chers collègues, pour m'entendre égrener des souvenirs, qu'ils me soient personnels ou qu'ils nous soient communs. Il faut vivre, il faut avancer. En respectant ce qui nous a précédés, en créant les éléments d'une étape supplémentaire. Et chacun ici connaît la rapidité d'évolution du monde qui est le nôtre. L'Assemblée comprendra, que, bien sûr élu de tous, je souhaite néanmoins maintenant me tourner vers notre Premier ministre. Ce gouvernement, conduit par Lionel Jospin, travaille à la réussite de la France et de tous les Français. Il le fait avec coeur. Il le fait avec générosité. Il le fait bien sûr avec son équipe. Sa réussite passe aussi par le concours actif et la confiance vigilante que notre Assemblée saura instaurer avec lui. De cet engagement collectif, dans lequel le Parlement doit jouer un rôle de premier plan, nos concitoyens seront les premiers bénéficiaires. En accompagnant les réformes du Gouvernement par un travail constructif, nous contribuerons, ensemble, à la rénovation de la vie politique et à la modernisation de notre pays. Chacun y a sa place quelles que soient ses opinions, le rôle ou les fonctions qui sont les siennes.

La Constitution nous a confié la double mission d'élaborer la loi et de contrôler l'action du Gouvernement. C'est ici que bat le coeur de la République. Le Parlement est le coeur de notre démocratie. A ce titre, notre Assemblée doit exercer la plénitude de son rôle. Pour moi, le renouveau du rôle du Parlement passe par le renforcement de notre mission de contrôle et par notre capacité à nourrir un débat fécond entre le Gouvernement et nos députés. L'indépendance du pouvoir législatif n'est pas un vain mot mais la condition indispensable d'une véritable représentation démocratique. Nous n'y parviendrons qu'en expliquant sans relâche ; ce qui distingue précisément une démocratie authentique d'un pays qui n'en a que les grimaces. Missions d'information, commissions d'enquête, questions au Gouvernement, office d'évaluation, sont nos instruments. Nous ne devons jamais cesser d'en faire usage.

Mes chers collègues, je m'aperçois qu'il manque un mot dans cette adresse. Mais je ne voulais le prononcer qu'au tout dernier moment. Ce mot, c'est fierté. Fierté d'être votre Président, celui de toute l'Assemblée. Soyez assurés que j'en serai digne.