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Présentation officielle de l'ouvrage
« Histoire de l'Union Monétaire de l'Afrique de l'Ouest »
à l'Assemblée nationale le mardi 20 juin 2000

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Monsieur le Gouverneur,

Monsieur le Directeur Général de la F.A.O.,

Mesdames et Messieurs les députés,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs,

« Quels livres valent d'être écrits hormis les mémoires ? » s'interrogeait André Malraux dans Les Conquérants. Sans mémoire, le passé est voué au néant ; au mieux il demeure indéchiffrable. Or, c'est précisément pour célébrer un travail de mémoire que nous sommes réunis aujourd'hui, et je suis particulièrement heureux, au nom de l'ensemble de la Représentation Nationale, de vous accueillir à l'occasion de la publication d'un livre consacré à l'histoire de l'Union Monétaire de l'Afrique de l'Ouest.

Cet ouvrage collectif est le résultat d'un travail de recherche poursuivi pendant plusieurs années. Il constitue pour l'ensemble du continent africain un événement particulièrement important pour trois raisons essentielles.

Il vient d'abord réparer une injustice - je serai tenté de dire une de plus - faite à l'Afrique dans son ensemble par les historiens et plus généralement par les sciences sociales.

Une des manifestations de l'exclusion politique dont elle souffre a longtemps été le désintérêt des sciences sociales et historiques pour ce continent. Le présent ouvrage vient donc très opportunément combler une partie du retard accumulé dans ce domaine et consacrer l'ancienneté et l'originalité de l'union monétaire entre les différents Etats d'Afrique de l'Ouest. Il s'inscrit ainsi dans le sillage tracé par L'histoire générale de l'Afrique publiée en 1999 par l'UNESCO. Il permet de prendre conscience du volontarisme des dirigeants africains dans le domaine monétaire et met en évidence les facteurs qui tendent à l'unité économique mais aussi politique de l'Afrique de l'Ouest.

Il s'agit, en deuxième lieu, d'un livre écrit par des acteurs, des témoins directs du processus d'intégration régionale ainsi que par des historiens, des économistes et des hommes politiques.

La diversité même de ces auteurs offre aux lecteurs le reflet fidèle de la façon dont les Africains eux-mêmes conçoivent cette intégration monétaire. Cette volonté de nous faire connaître cette Union monétaire « de l'intérieur » constitue l'une des grandes originalités de cet ouvrage et contribue, au delà de ses qualités proprement scientifiques, à lui conférer la valeur d'un témoignage historique.

Comme le soulignait le grand historien français Henri-Irénée Marou, l'histoire est une aventure spirituelle où la personnalité de l'historien s'engage tout entière.

L'engagement des huit membres du comité historique dans l'aventure que constitue la rédaction d'un ouvrage de cette ampleur a été total. Qu'ils soient ici remerciés pour ce travail de mémoire au service de l'union des peuples d'Afrique de l'Ouest. Une union qui n'est pas seulement monétaire, mais aussi humaine et intellectuelle.

La troisième et dernière raison pour laquelle cet ouvrage me paraît tout à fait remarquable est qu'il constitue une défense et illustration de la pertinence de l'intégration économique régionale.

Celle-ci est, en Afrique, comme en Europe, un choix fondamental qui a déjà engendré une dynamique prometteuse. J'en veux d'ailleurs pour preuve les bons résultats économiques que connaissent depuis 1994 les pays membres de l'union économique et monétaire ouest africaine. Avec un taux de croissance supérieur en moyenne à 5 %, au cours des cinq dernières années, une inflation ramenée à moins de 3 % et des déficits publics et courants mieux maîtrisés, les Etats membres de l'Union disposent d'une situation économique assainie et solide.

Grâce à la zone Franc, ils bénéficient en outre de l'existence d'une monnaie commune stable jouissant d'un taux de change fixe par rapport à l'euro, monnaie de référence et facteur de stabilité au sein de marchés financiers de plus en plus volatils.

Cette croissance économique retrouvée est d'autant plus appréciable que la sous-région reste traversée de tensions et de crises. Celles-ci illustrent la nécessité pour les Etats membres de l'Union de mener à bien les réformes à la fois sur le terrain de la bonne gouvernance économique et sur celui de l'Etat de droit.

Vous comprendrez que, dans ce lieu, où bat depuis tant d'années le coeur de la démocratie française, j'insiste sur l'ardente obligation de concilier développement économique et respect des libertés fondamentales qui sont en réalité les deux dimensions du progrès humain et social.

Mesdames et Messieurs, mes propos ne sont pas de circonstance. Je crois très profondément que l'intégration régionale économique mais aussi politique est une voie d'avenir, en Afrique comme partout ailleurs dans le monde. Dans l'incertitude et parfois le désarroi qui résultent de l'inadaptation des structures politiques et sociales étatiques traditionnelles aux formes nouvelles d'un monde devenu « village global », l'intégration régionale, sans entrer en contradiction avec l'approche multilatérale, peut être le moyen approprié de prévenir les risques de déstabilisation des Etats et de marginalisation des peuples.

Dans ce monde global, les solidarités régionales, fondées sur le partage des cultures, des intérêts économiques et du développement, constituent une chance pour les peuples. Profondément attachée à la construction européenne dont elle sait pour elle-même les avantages qu'elle comporte, la France se réjouit de la détermination des dirigeants africains à poursuivre dans cette voie.

Mesdames et Messieurs, en vous réunissant aujourd'hui à l'occasion de la publication de cet ouvrage, je voulais vous dire combien la Représentation Nationale française fonde d'espoir sur le processus de régionalisation en cours sur le continent africain, combien il nous engage à rechercher dans notre coopération avec les pays concernés des solutions adaptées aux enjeux économiques, humains et sociaux. Ce processus relève des Etats africains eux-mêmes. Mais il appartient à la France, au nom des liens historiques qui l'unissent à l'Afrique, de le soutenir et de l'encourager.

En effet, les solidarités économiques régionales ne constituent pas une fin en soi. Il faut aller plus loin et viser une certaine forme d'unité politique, dans le respect des spécificités culturelles de chacun. Une telle unité politique, serait, pour l'Afrique de l'Ouest, le meilleur moyen de réduire les tensions.

L'histoire nous fournit maint exemple de l'utilisation de la monnaie comme outil de la construction politique. Le dollar est devenu monnaie commune dès que les treize colonies de la Couronne britannique ont fondé les Etats-Unis. Le Mark a été un instrument de l'unité allemande. Et la réalisation de l'Union monétaire européenne est, nous le voyons bien, une étape qui en appelle beaucoup d'autres.

L'Afrique de l'Ouest s'est engagée sur cette voie avec la gestion centralisée de sa monnaie par une Banque centrale. L'entrée en vigueur, le 1er janvier 2000, d'une union douanière vient renforcer encore le processus engagé depuis presque quarante ans.

Les progrès de l'intégration régionale sont un élément de l'indispensable régulation de la mondialisation. Nous devons y travailler ensemble pour que la mondialisation bénéficie à tous et que le XXIième siècle soit celui du développement de l'Afrique. Cet espoir, présent à chaque page de l'ouvrage que nous célébrons aujourd'hui, est aussi celui de l'Assemblée Nationale.

Je vous remercie et je cède la parole à Monsieur Charles Konan Banny, Gouverneur de la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest qui, le premier, a eu l'idée de ce livre et sans l'aide duquel ce projet n'aurait jamais vu le jour. J'ajoute en outre que sans son action déterminée et celle de ses prédécesseurs à la tête de la Banque centrale, l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest ne serait pas l'exemple qu`elle est pour l'ensemble du continent africain.