Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

    Entretien accordé au Journal de l'Union interparlementaire,
    mensuel publié sur Internet (
    http://www.ipu.org/)
    le lundi 28 août 2000
    à l'occasion de la Première conférence des Présidents
    des Parlements nationaux au siège de l'ONU

    Réponses de M. Raymond FORNI,

    Président de l'Assemblée nationale,

    aux questions posées par Mme Luisa BALLIN

    Q. : Comment l'Union interparlementaire, organisation mondiale des parlements, peut-elle renforcer l'ONU et l'OMC ?

    R.F. : Permettez moi tout d'abord de rappeler l'attachement de la Représentation Nationale française à l'Union interparlementaire, qui est la plus ancienne des institutions politiques internationales puisque sa création date de 1889. Promouvoir la paix et la coopération entre les peuples par la voie parlementaire est plus que jamais, en ce début de XXIème siècle, indispensable.

    Dans un monde encore trop souvent déchiré par des conflits meurtriers et soumis à une concurrence économique exacerbée, il est essentiel que la coopération entre les peuples soit renforcée. Or qui, mieux que les parlementaires, peut être à même de favoriser une telle coopération ? Qui, mieux que les Parlements, est en mesure d'apporter l'appui politique nécessaire à la construction d'un monde plus pacifique et prospère ?

    En favorisant la concertation entre les Parlements, en proclamant avec force la valeur universelle du droit fondamental de la personne humaine à être représentée par les élus de son choix, en appelant l'attention des responsables gouvernementaux sur la nécessité de mieux associer les institutions représentatives à la coopération internationale, l'Union interparlementaire contribue efficacement - j'en suis convaincu - à la prise en compte du rôle des Parlements dans le rapprochement entre les peuples.

    Mon voeu le plus cher est que la conférence des Présidents des Parlements nationaux à New-York du 30 août au 1er septembre prochain soit l'occasion de réaffirmer, avec force, la nécessité de voir enfin consacrer une voix parlementaire dans le concert des Nations.

    En effet, dans ce monde global, si les hommes veulent avoir la maîtrise de leur société et de leur avenir, ils doivent inventer un pouvoir politique à la dimension du pouvoir économique des entreprises mondiales.

    Certes, ce pouvoir politique mondial existe déjà. L'Organisation des Nations Unies et ses principaux organes formés de délégués des gouvernements du monde en fut la première institution. A ce titre seul, elle mérite une immense considération. Le reproche d'impuissance qui lui a été si souvent fait est profondément injuste, si l'on considère ce qu'elle a pu réaliser sans avoir réellement les moyens d'accomplir sa mission principale de maintien de la paix entre les Nations.

    Mais ce pouvoir politique mondial n'est qu'une émanation des exécutifs des divers pays. Si un pouvoir politique mondial plus équilibré et démocratique doit voir le jour, il faut que, face à cet exécutif, soit érigé un pouvoir délibératif, analogue à ce que sont nos Assemblées élues. C'est d'autant plus nécessaire qu'à défaut de cette création, la société civile mondiale s'organisera d'elle-même comme elle a déjà commencé à le faire, et c'est heureux, à travers une multitude d'organisations non gouvernementales.

    Ces ONG expriment des valeurs universelles, s'attachent à défendre les droits de l'homme, à promouvoir plus d'équité économique et sociale, à préserver l'environnement. Leurs combats sont le plus souvent, à mes yeux en tout cas, légitimes.

    Elles regroupent des militants, particulièrement sensibilisés ou actifs. Mais l'adhésion à ces ONG repose sur des choix personnels. Elles ne sauraient se prévaloir de la même représentativité que les Parlements démocratiquement élus, qui ont vocation à s'exprimer au nom du peuple tout entier, et sur tous les sujets.

    Je crois très profondément qu'il faut une expression politique à la société civile et que celle-ci ne peut être formée que d'élus des diverses Nations. C'est pourquoi je souhaite vivement que l'Union interparlementaire soit davantage associée au système des Nations Unies ainsi qu'aux autres grandes organisations intergouvernementales et notamment l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

    A l'aube d'un nouveau millénaire, je suis convaincu de l'utilité d'une Assemblée parlementaire des Nations Unies. La coopération internationale est de moins en moins séparable de la politique nationale et touche de plus en plus directement la vie de nos peuples. Elle doit donc être l'affaire de tous et d'abord des parlementaires.

    La finalité de la création de cette nouvelle enceinte multilatérale serait de mettre l'accent sur la dimension parlementaire des relations internationales, de tenir compte du besoin de plus de démocratie, d'association et de représentation qui s'exprime à travers le monde.

    Le moment me paraît venu de compléter le pouvoir politique mondial encore très imparfait - et dont personne ne conteste la nécessité dans l'irrésistible mouvement de mondialisation économique - en créant sa seconde composante, indispensable à son équilibre, celle qui est au plus près de la voix des peuples.

    Q. : Concrètement, comment les Parlements pourraient apporter une dimension parlementaire à l'ONU et à l'OMC ?

    R.F. : L'insertion d'une entité parlementaire dans le système politique mondial nécessitera la mise en place de procédures très simples et officielles. L'accord de coopération conclu entre l'UIP et l'ONU en 1996 est un premier pas, très positif, pour mieux associer les Parlements aux Nations Unies. Mais il faut sans doute aller plus loin afin que la Conférence de l'Union interparlementaire devienne une véritable Assemblée parlementaire des Nations Unies.

    On pourrait imaginer, par exemple, que sur toutes les questions relatives au développement économique et social, au respect de la diversité culturelle et à la protection des droits de l'homme, la Conférence de l'Union interparlementaire se voit reconnaître un droit de définition des objectifs, de proposition des solutions mais aussi de contrôle de l'action menée qui pourrait prendre la forme notamment d'une communication annuelle sur tous ces sujets lors de l'Assemblée générale des Nations Unies.

    Si l'on se réfère au contenu de la Charte des Nations Unies, il apparaît que la justification de l'ONU, et son ambition réelle, résident dans la volonté de faire émerger un ordre juridique international, et de le faire respecter. Or force est de constater que cet ordre juridique international manque aujourd'hui de cohérence.

    Les institutions financières internationales issues des accords de Bretton-Woods s'écartent parfois des principes fixés dans la Charte des Nations Unies. Or, la globalisation de l'économie donne à leurs interventions une importance que ne pouvaient soupçonner les auteurs de la Charte. Par ailleurs, les institutions spécialisées des Nations Unies sont aujourd'hui de plus en plus concurrencées par d'autres mécanismes de régulation et de décision : le G-8, le G-20, le P-5, etc. D'autres organisations intergouvernementales à vocation mondiale comme l'OMC sont indépendantes de l'ONU. Le système de règlement des différends de l'OMC constitue une nouvelle référence de l'ordre juridique mondial dont il faudra bien s'assurer de la cohérence avec les principes de la Charte et le droit international en vigueur.

    Dans ce contexte, la Conférence de l'Union interparlementaire pourrait être l'organe d'expression et d'exigence d'une meilleure cohérence de l'ordre international. Elle pourrait notamment se saisir systématiquement des questions inscrites à l'ordre du jour du G-8, en débattre, soit en Assemblée plénière, soit au sein des commissions spécialisées et faire parvenir aux participants du G 8 les résultats de ces délibérations assorties de propositions éventuelles. La voix de nos Parlements, sans volonté aucune de concurrencer celle des gouvernements, peut contribuer à prévenir les risques de déstabilisation des Etats et de marginalisation des peuples.

    Dans l'incertitude et parfois le désarroi qui résultent de l'inadaptation des structures politiques et sociales étatiques traditionnelles aux formes nouvelles de notre monde devenu « village planétaire », les Parlements incarnent un idéal collectif porteur d'aspirations démocratiques, de paix et d'humanisme.

    Ne pas se résigner au monde tel qu'il est mais s'efforcer de l'améliorer en essayant d'encourager les évolutions favorables, telle doit être l'ambition internationale de nos Parlements.

    Je souhaite que la conférence de New-York soit le symbole d'une coopération internationale plus équilibrée où nos Parlements trouvent enfin toute la place qui leur revient.