Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Déjeuner offert en l'honneur de M. Alpha Oumar KONARE,
Président de la République du Mali,
le mercredi 27 septembre 2000 à l'Hôtel de Lassay

Allocution de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Dayemaatien, votre concitoyen du XIIIe siècle, disait : "La parole a horreur de trois choses : être avancée avant le moment propice, n'être pas dite à temps, ou être dite après coup. Il y a donc un moment, un lieu et une manière de parler".

Monsieur le Président, vous comprendrez que je me recommande de ce célèbre orateur pour célébrer, à ma manière, votre présence, en cet Hôtel de Lassay, si honoré de vous y accueillir.

Bien entendu, le Mali et la France ne se rencontrent pas aujourd'hui par hasard puisque nos deux pays ont une histoire commune qui a engendré des échanges sur tous les plans, économiques, sociaux, politiques et culturels. Cette histoire commune a été parfois tragique, au temps de la colonisation du Soudan français, de l'école des otages, où les autorités françaises envoyaient de gré ou de force les fils de chefs pour s'assurer la soumission de leurs pères. Mais, certains élèves prirent aussi une revanche extraordinaire en s'appropriant le français, langue du colonisateur, pour tourner en ridicule les administrateurs.

Ils n'ont pas fait que cela. Le grand écrivain Hammadou Hampatè BÂ a raconté dans Amkoulell, l'enfant Peul, Oui mon commandant, la légende de Wangrin et dans son monumental ouvrage sur le Macina, l'histoire de votre pays qui témoigne que les peuples et les civilisations peuvent cohabiter en bonne intelligence et avec une grande tolérance.

Hampatè BÂ a donné un visage, une parole, une identité, à la littérature orale traditionnelle restée vivace pendant des siècles grâce à la voix des griots. Il a restitué au peuple peul son passé et ses traditions en les sauvant de l'oubli.

Mais le Mali, ce n'est pas seulement les Peuls, c'est aussi un véritable carrefour de civilisations qui rassemble des dizaines d'ethnies différentes, les bambaras, les malinkés, les mossis, les bobos, les sénoufos, les dogons, les songhais et bien sûr les touaregs du Nord. Tous ces peuples parlent des langues différentes et, bien souvent, c'est grâce au français qui est votre langue officielle, qu'ils se comprennent. Mais toutes ces langues sont aussi votre richesse et je sais que votre Constitution les protège.

Je voudrais donc saluer, à travers votre personne, Monsieur le Président, l'esprit de tolérance qui anime votre peuple alors que certains autres pays d'Afrique en manquent si cruellement.

Je voudrais rappeler aussi à tous ceux qui sont là, combien votre pays et sa culture habitent nos rêves et notre propre culture.

Le Mali habite nos rêves parce qu'il est magnifique et que le seul nom de ses villes évoque un pays fabuleux : Segou et Mopti au bord de l'immense fleuve Niger, Djenné. Tombouctou, surtout, capitale successive, durant près de deux siècles, des Empires Mandingue et Songhai.

Mais Monsieur le Président, le Mali ne fait pas seulement partie de nos rêves. Il habite aussi notre réalité.

D'abord parce que je n'ignore pas l'histoire politique récente. L'histoire de la IIIème République du Mali, née sur les décombres ensanglantés par les journées de mars 1991. Je sais que les morts des barricades de mars sont encore très présents dans votre histoire. Leur sang a scellé votre nouvelle Constitution démocratique qui s'engage à défendre la forme républicaine de l'Etat, la laïcité, qui souscrit à la Déclaration universelle ainsi qu'à la Charte africaine des droits de l'homme.

Là encore, je voudrais saluer à travers vous, Monsieur le Président, l'esprit de tolérance et de respect du droit dont le Mali actuel est l'exemple. Il est en effet assez rare, en Afrique aujourd'hui, de voir un Président de la République qui va achever son second et dernier quinquennat en 2002, céder la place à un autre leader élu démocratiquement. Rassurez-vous, mes allusions au Quinquennat s'arrêteront là...

Vous avez su également régler, par la discussion, la terrible rébellion Touareg qui a ensanglanté le Nord du pays. Le processus de paix s'est conclu en mars 1996 par la cérémonie des flammes de la paix au cours de laquelle 3 000 armes ont été brûlées. En prouvant dans les faits que les problèmes pouvaient connaître une solution par la négociation et non par la violence, vous avez permis le début du rapatriement de dizaines de milliers de réfugiés qui avaient fui le pays.

Mais au-delà du respect de l'Etat de droit auquel nous sommes tous attachés, vous savez mieux que moi, Monsieur le Président, les défis qui sont ceux de votre pays : la pauvreté, le sous-développement, l'analphabétisme, le SIDA, la lutte contre la corruption et la délinquance financière, fléau qui coûte chaque année à votre Etat des millions de dollars.

Mais le Mali a pris les choses en main ! Et vous avez des atouts impressionnants. Votre agriculture est le vrai fondement de votre économie même si c'est le coton qui en est le moteur. Votre cheptel bovin est un des plus importants de l'Afrique de l'Ouest. Le secteur minier est en pleine expansion.

Vous avez entamé depuis plusieurs années, sous l'égide du Fonds monétaire international, de vastes réformes économiques visant à privatiser certains secteurs de l'économie pour améliorer la productivité de certaines entreprises, à asseoir la solidité de la structure bancaire, à limiter les dépenses publiques, à développer la sécurité de l'environnement juridique des entreprises et à favoriser les nouveaux modes de communication tels Internet auquel vous vous êtes beaucoup intéressé.

Même si la charge de la dette est très lourde et si votre pays souffre de la hausse des prix du pétrole, votre croissance aura tout de même été de 5,5 % en 1999, avec une inflation contenue.

Voilà qui manifeste la vitalité de votre pays. Cette vitalité nous voulons la soutenir et l'appuyer.

Voilà Monsieur le Président, vous êtes ici chez vous dans cette maison de l'Assemblée nationale, consacrée à la palabre, pour utiliser un terme qui renvoie à une tradition très vivante chez vous.... et chez nous.

Les plafonds sont plus hauts que ceux de la togu na, la "maison de la parole" où vos anciens s'assemblaient pour régler les difficultés. Il paraît qu'on dit qu'elle était basse de plafond pour que les "parlementaires" qui s'emportaient se lèvent, se cognent aux poutres et soient ainsi ramenés, par un choc salutaire, à la raison.

Je me demande parfois si nous ne devrions pas ici, parfois, abaisser les plafonds.

Voilà !

J'espère n'avoir pas transgressé la belle image d'Hampatè BÂ qui rappelait que la parole est un fruit dont l'écorce s'appelle "bavardage", la chair "éloquence" et le noyau, "bon sens".

Monsieur le Président, mes chers amis, en vous renouvelant l'expression de la plus chaleureuse bienvenue, je vous invite à lever nos verres en l'honneur de l'amitié franco-malienne et du Mali.