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Ouverture du colloque « Fiscalité, accords volontaires, permis négociables :
quels outils pour le développement durable ? »
à l'Assemblée nationale le mardi 3 octobre 2000

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Je suis particulièrement heureux que Madame Nicole Bricq m'ait proposé d'introduire les travaux du colloque qui nous réunit aujourd'hui. Je lui adresse mes plus vifs remerciements et la félicite d'avoir choisi pour thème de réflexion une interrogation essentielle : « Quels outils pour le développement durable ? ».

Ce choix ne me surprend pas. Ceux qui connaissent Nicole Bricq, qui est une amie, savent que sa franchise et sa détermination obligent toujours à se poser les bonnes questions et à y apporter les bonnes réponses. Madame la députée, vous aviez rédigé en 1998 un rapport intitulé : « Pour un développement durable : une fiscalité au service de l'environnement ». Je vois, dans les termes mêmes du sujet de votre colloque, une nouvelle étape dans cette réflexion. Forts de vos propositions, nous devons à présent agir et mettre en oeuvre des projets concrets pour un développement durable.

Lors de la Conférence sur le climat, à Lyon, il y a quelques semaines, Lionel Jospin et Dominique Voynet ont annoncé la mise en place d'un plan d'économie d'énergie pour la fin de l'année. Le Gouvernement fera connaître prochainement ses propositions pour la 3ème étape de mise en oeuvre de la Taxe Généralisée sur les Activités Polluantes, portant sur la taxation des consommations intermédiaires d'énergie des entreprises.

Je partage l'avis de Nicole Bricq lorsqu'elle écrit dans son rapport qu'on ne met pas en place une fiscalité écologique pour le plaisir, mais par nécessité. Nous savons tous que l'homme, par ses activités, pollue notre terre, notre eau, notre air. Et l'augmentation de la pollution a suivi une courbe proportionnelle à celle de l'accroissement de la production.

Nous avons aujourd'hui atteint un stade qui nous impose de faire cesser cette course en avant. J'en veux pour preuve qu'il est désormais pratiquement avéré que le réchauffement constaté de la planète - de 0,7 degré depuis un siècle - est lié pour tout ou partie à l'activité humaine. D'après une étude récente, qui fait autorité, ce phénomène pourrait s'accélérer si rien n'est fait dans les décennies à venir. Nous ne pouvons plus nous voiler la face et sommes confrontés à l'exigence absolue d'agir pour que l'avenir de la planète ne soit pas menacé.

Nous disposons de moyens que je qualifierais de « positifs », qui correspondent à des choix d'organisation, par exemple en matière de transports ou de politique énergétique, mais aussi de leviers coercitifs, réglementaires ou fiscaux, qui permettent d'appuyer ces choix et de contrecarrer des évolutions « naturelles », liées à la concurrence et à la recherche du profit immédiat. Cela signifie que la réglementation et la fiscalité sont des instruments qu'il faut manipuler avec discernement et doigté.

Ce matin, je voudrais rappeler le cadre de l'exercice dans lequel nous devons inscrire notre réflexion, si nous voulons progressivement élaborer des outils efficaces en faveur du développement durable. La légitimité du travail du législateur passe par un va-et-vient incessant entre sa volonté de déterminer une politique et la nécessité de prendre en compte les réalités et les comportements du moment.

Cet exercice doit répondre à un seul objectif : atteindre un modèle de développement plus économe en ressources naturelles et plus riche en emplois.

Pour cela, nous devons respecter trois règles :

    - le principe « pollueur- payeur », simple dans son énoncé mais si complexe dans son application. Car il faut tenir compte, à la fois, des volumes de polluants émis, de leur durée de vie et de la dispersion de leurs effets ;

    - la volonté de considérer leurs effets indirects. Cela implique aussi de ne pas se limiter à la nocivité immédiate propre à chaque polluant mais de s'intéresser à la pollution qu'il génère tout au long de son cycle de vie ;

    - la recherche du double dividende, c'est-à-dire promouvoir les comportements vertueux pour l'environnement et alléger les prélèvements sur le travail, pour favoriser l'emploi.

L'exercice n'est pas simple. Il faut tout d'abord rechercher une cohérence entre les engagements pris en 1997 à travers le protocole de Kyoto sur la préservation de l'environnement et les mesures en discussion pour la directive européenne sur la fiscalité énergétique, que les Quinze sont en train d'élaborer.

Nous devrons, pour cela, nous efforcer de concilier les engagements assez lourds de réduction d'émissions polluantes et la volonté des Européens de ne pas créer de trop fortes distorsions de concurrence, par des niveaux de fiscalité sur les énergies trop disparates. Comment tenir compte des différences relatives au développement économique et aux choix énergétiques entre les pays de l'Union ? Comment faire pour éviter qu'au nom de l'harmonisation européenne, on relève la taxation sur des énergies peu polluantes ? Le fait que ce projet de directive n'ait que peu avancé depuis 1997 montre bien l'extrême difficulté des enjeux.

Il nous faudra également établir un équilibre entre les divers instruments que sont la fiscalité, la réglementation, les mécanismes de marché comme les Permis d'Emission Négociables.

Si nous avons la légitime préoccupation de lutter contre la pollution, nous devons aussi tenir compte de la compétitivité des entreprises françaises par rapport à leurs concurrentes étrangères et du fait que l'énergie est un bien de première nécessité. La fiscalité, aussi diverse soit-elle, ne peut donc pas être le seul outil.

La réglementation en est un autre. Mais il faudra en contrôler la mise en oeuvre et en déceler les coûts cachés. Nul n'ignore aujourd'hui les difficultés que nous rencontrons pour faire appliquer la réglementation sur les pollutions liées à l'élevage, dont la nocivité est bien connue.

Quant aux mécanismes de marché, ils soulèvent des questions qui restent actuellement sans réponse. Qui émettra les Permis d'Emission Négociables ? Qui les contrôlera ? Qui, enfin, détiendra l'autorité pour faire appliquer les sanctions, afin qu'ils soient réellement efficaces ?

Quelles que soient les mesures adoptées, elles devront être comprises par nos concitoyens et par les entrepreneurs, afin qu'ils ne les assimilent pas à de simples taxations supplémentaires.

      On voit à l'évidence que nous sommes à l'aube d'un débat difficile. La réflexion que vous menez aujourd'hui est d'autant plus importante que si les règles, mises en oeuvre en France, frappaient par leur pertinence et leur efficacité, elles pourraient servir de référence à l'Union européenne puis aux négociations internationales. Car la pollution ne s'arrête pas aux frontières politiques ! C'est pourquoi il me paraît indispensable de poser rapidement ce que pourraient être les principes d'une organisation mondiale de l'environnement. Je suis convaincu que, dans ce domaine, notre exemplarité est le meilleur moyen de faire progresser l'idée que notre terre doit être préservée pour les générations à venir. La France et l'Europe peuvent et doivent montrer la voie.