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« Premiers rendez-vous parlementaires contre l'exclusion »
à l'Assemblée nationale le jeudi 19 octobre 2000

Discours de Monsieur Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale accueille aujourd'hui les « Premiers rendez-vous parlementaires contre les exclusions » organisés par Mme Hélène Mignon. Je tiens à la remercier d'avoir pris une telle initiative et d'avoir réuni ici spécialistes et acteurs d'une question qui ne doit jamais cesser d'être au centre de nos préoccupations.

On parle souvent de l'exclusion comme d'un phénomène. Je crois que c'est d'abord un sentiment : celui de ne pas « en être », alors que les autres « en sont ». L'exclusion correspond à ces moments de la vie où tout s'enchaîne si mal : un emploi que l'on perd, puis le logement, la santé et tout devient compliqué et injuste.

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Cette situation est inacceptable en France où les frontons de nos mairies proclament « Liberté, Egalité, Fraternité ». Nous savons bien en effet qu'exclu, un citoyen est isolé : il n'est plus en situation d'exercer la plénitude de ses droits fondamentaux. L'exclusion s'attaque à la réalité la plus intime du pacte républicain : elle détruit le lien social concret et quotidien entre les individus. Que ces premiers rendez-vous parlementaires se tiennent à l'Assemblée nationale revêt en ce sens une grande signification.

Inacceptable, l'exclusion l'est aussi dans l'Europe d'aujourd'hui qui, en dépit des diversités, parfois importantes, de cultures et d'histoire, est globalement inspirée par un modèle de société commun : la croissance économique, moteur du progrès ne peut se concevoir, ne doit se concevoir en laissant sur le bord du chemin des pans entiers de la population. La performance ne saurait être durablement distinguée de la solidarité.

Inacceptable, l'exclusion l'est enfin encore plus aujourd'hui qu'hier, dans une France et une Europe où la croissance est de retour, où les richesses n'ont jamais été aussi grandes.

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Car l'exclusion reste malheureusement une réalité pour trop de nos concitoyens. En France, aujourd'hui, 15 % d'entre eux continuent de vivre dans la pauvreté, 200 000 personnes sont sans abri, 2 millions sont mal logés et 6 millions n'ont pour vivre que les minima sociaux. Et à l'échelle européenne, 18 % de la population vivent avec moins de 60 % du revenu médian. Ces taux remettent en cause l'image d'une Europe championne de la justice sociale.

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Parce qu'elle met en cause notre idéal commun de solidarité et cette idée que nous nous faisons de la dignité de la personne humaine, l'exclusion est l'un des défis les plus importants lancés à nos économies et à nos sociétés. Répondre à ce défi ne consiste pas seulement à offrir un soutien financier plus important aux personnes exclues. Il s'agit au contraire de concevoir des politiques suffisamment ambitieuses pour s'attaquer à toutes les sources et toutes les manifestations de l'exclusion.

Depuis plus de dix ans, la France s'est résolument engagée dans cette direction. Sous l'impulsion des Gouvernements de gauche, de grandes lois ont été votées par le Parlement. Chacune d'elles a marqué une date importante de notre histoire sociale.

Il y a eu d'abord la loi instituant en 1988 le revenu minimum d'insertion. De nombreuses critiques lui ont été adressées - en particulier sur les limites que rencontre la mise en oeuvre des dispositifs concrets d'insertion. Mais cette allocation a constitué un véritable progrès social en assurant au million d'allocataires aujourd'hui recensés un minimum de ressources pour vivre au quotidien.

Il y a eu, dix ans après, en juillet 1998, le vote de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Loi importante puisqu'elle vise à garantir l'égalité d'accès aux droits fondamentaux que dénie l'exclusion. Loi importante aussi puisque, pour la première fois, elle apporte une réponse globale à l'exclusion. Elle comporte bien sûr des mesures en faveur de l'emploi. Je n'en citerai qu'une, entre toutes essentielle, celle qui autorise le cumul entre les minima sociaux et les revenus du travail et qui permet d'éviter que, par un triste paradoxe, les dispositifs d'aide sociale ne créent eux-mêmes des trappes à pauvreté.

Pour compléter cette loi cadre contre les exclusions, il y a eu un troisième texte fondamental : celui qui, en juillet 1999, a mis en place la couverture maladie universelle. Cette loi marque elle aussi une grande étape dans la lutte contre les exclusions puisqu'elle s'attaque aux inégalités en matière de santé, les plus criantes.

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Mais ces lois, dont la France s'est dotée, n'épuisent pas l'action qui doit être menée contre les exclusions, ni à l'échelle de la France, ni à celle de l'Europe. Dans notre pays d'abord, où de sinistres faits divers devenus banals, nous rappellent trop régulièrement la rupture qui se maintient entre certaines banlieues et le reste de nos villes. Tangible dans le domaine économique ou architectural, cette rupture l'est tout autant dans celui de la culture où elle a tendance à se creuser. Car si les habitants de ces cités se forgent une identité et des références qui leur sont propres, c'est en opposition à nos références et à notre identité collectives. Or, cette sécession là est radicale, et ses effets dévastateurs se traduisent à très long terme

Nécessaire à l'échelle des quartiers, l'action l'est aussi à celle de l'Europe. Car si la compétence pour mener des politiques contre l'exclusion relève des Etats membres, le traité créant la Communauté Européenne lui confère une responsabilité spécifique en la matière.

Déjà des initiatives ont été prises, sur la base des orientations fixées par le Conseil Européen de Lisbonne. Les objectifs sont doubles. Il s'agit de développer des outils statistiques et conceptuels communs pour mieux cerner la réalité de l'exclusion. Mais il s'agit aussi de promouvoir la transmission des expériences de chacun des Etats membres.

C'est dire l'importance et l'actualité des journées parlementaires qui nous réunissent aujourd'hui.

Sur ce sujet qui nous lance, à tous, responsables politiques et citoyens, en France et en Europe, un formidable défi, je suis convaincu que vos travaux vont permettre d'approfondir la discussion. Mon message se veut donc d'encouragement et d'espoir pour ceux et celles qui veulent retrouver la dignité et l'exercice de droits dont ils sont aujourd'hui privés.