Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Journée organisée par l'Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques sur l'ESB
à l'Assemblée nationale le mardi 21 novembre 2000

Clôture par M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Il n'est jamais facile de conclure une journée de travail, a fortiori quand on n'a pas pu y participer - je vous rassure quand même, je me suis tenu informé de l'avancée de vos débats - peut-être encore plus s'agissant de l'encéphalite spongiforme bovine, sujet sur lequel une seule chose est sûre : c'est qu'on ne peut pas, qu'on ne doit surtout pas, tenter de le résumer en quelques phrases. C'est pourtant ce qu'il me faut faire, au risque de procéder, moi aussi, à des raccourcis trop réducteurs.

Avant toute chose, je souhaiterais cependant remercier l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, son Président, le Sénateur Henri Revol, son vice-Président, Jean-Yves Le Déault, d'avoir su organiser en moins de 15 jours les rencontres d'aujourd'hui qui vous ont permis de faire le point sur l'ESB, sa propagation, les mesures prises, les moyens dont on dispose, en recueillant les avis des spécialistes de ces questions. Par ailleurs, je suis très heureux de savoir que de nombreux parlementaires ont suivi les travaux de cette journée.

En effet, nous, politiques, ne sommes pas en mesure d'aborder des problèmes aussi complexes sans prendre l'avis de ceux qui travaillent à les résoudre au quotidien. C'est d'ailleurs le rôle que nous avons donné à l'Office en le créant en 1983, que de nous permettre, face à des interrogations scientifiques ou techniques, de répondre précisément à des questions qu'ils nous auront aidés souvent à énoncer précisément, dans une enceinte qui émane à la fois de l'Assemblée et du Sénat, si possible en dehors de toute considération politique et polémique.

Le résultat de cette journée est passionnant, et en fin de compte rassurant, car il me semble que l'on peut en conclure en substance que les Gouvernements français -j'insiste, les Gouvernements- ont pris les décisions utiles en temps et en heure.

Je crois que l'explication du professeur Mc Connel, tout particulièrement, aura permis tout à la fois de nous inviter à relativiser le problème que nous vivons -soit, jusqu'à présent, 1 000 fois moins de cas d'ESB et 20 fois moins de sa variante humaine en France qu'en Angleterre- et de nous indiquer que, selon lui, les décisions prises chez nous sont extrêmement rigoureuses.

Nous aurons aussi compris qu'il est autrement plus important de bien maîtriser les facteurs essentiels -les MRS, Matériaux à risques- que de multiplier les points d'intervention. Cela signifie qu'il n'y a pas lieu de discuter de l'ampleur des moyens à mettre en oeuvre, lorsque l'on traite de ces facteurs essentiels, c'est valable pour la santé animale comme pour la santé humaine ; cela a été rappelé cet après-midi. Par contre, si d'autres mesures complémentaires - ce que Martin Hirsch appelle filets de sécurité - peuvent être prises (utilisation des farines animales, généralisation des tests), elles sont moins essentielles et il faut s'interroger alors sur la question de leur coût et de leur faisabilité technique.

La table ronde sur le dépistage et le développement des tests rapides a clairement fait apparaître que les problèmes de simple intendance sont eux-mêmes sujets à polémique, et ne doivent pas être sous-évalués. Elle a d'ailleurs montré qu'il faudra avancer en mettant cartes sur table, notamment sur les qualités comparées des différentes techniques mobilisables. Je crois que le risque n'est pas grand de ce côté là, car le moins que l'on puisse dire est que nous sommes très - parfois trop - largement informés par les médias sur les nouveautés et les découvertes.

Je crois enfin, et c'est peut-être le plus important, que vos débats ont parfois hésité autour des mots utilisés, les scientifiques ayant peut-être parfois quelques « pré-établis » liés à la maîtrise qu'ils ont de leur sujet, que nous, parlementaires non spécialistes, avons quelques difficultés à percevoir dans l'avalanche d'informations que nous recevons.

C'est pour cela qu'il faudrait pouvoir faire comprendre, synthétiser cette journée complète de travail en quelques phrases non techniques susceptibles de convaincre nos concitoyens, et c'est là que le bât blesse. J'ai entendu Jean-François Mattéi indiquer, il y a quelques jours, que nous sommes confrontés avant tout à un problème de communication de Gouvernement. Je suis pleinement d'accord avec lui, mais je préciserai que la communication des Gouvernements serait plus compréhensible si elle n'était pas, en quelque sorte, en concurrence avec les annonces et les commentaires d'autres communicants, prononcés en toute honnêteté ou avec quelques arrières pensées. Je pense en particulier -vous l'aurez compris ! - à cette demande de la FNSEA de sortir des circuits la viande des animaux nés avant 1986, laissant croire par-là que nous consommons aujourd'hui une viande dangereuse pour notre santé. Quoi de mieux pour entretenir cette atmosphère d'insécurité alimentaire ? Comment éviter, après cela, que les gens pensent que « l'affaire » est plus grave qu'on le dit ?

Autant une information fracassante peut infléchir l'opinion publique en quelques instants, autant le travail d'explication nécessite une véritable investigation pour être crédible. J'en veux pour preuve un excellent article paru dans Le Monde du 17 novembre dernier sur cette affaire d'animal atteint de l'ESB et introduit -peut-être sciemment- dans l'abattoir de Villers-Bocage. Cet article d'une page entière décrit pas à pas, en détaillant les faits, ce qui a amené à l'espèce de panique à laquelle nous sommes confrontés, pour arriver aux deux dernières phases qui en sont la synthèse : « Au lieu de retenir que la vache malade a été interceptée avant d'être introduite dans le circuit d'abattage-transformation, on a focalisé sur le fait que la viande des autres animaux (du même élevage), non malades mais potentiellement suspects, a pu être diffusée et consommée. Le doute est instillé, la psychose peut commencer ».

Les spécialistes auront apprécié la précision des termes utilisés, mais le problème réside dans le fait qu'il aura fallu une page entière du quotidien et plusieurs semaines d'enquête pour que cette conclusion soit crédible. Et puis, qui lira cet article ? Qui d'ailleurs, même parmi nous, a lu cet article ? Et pourtant, il ne s'agit que d'un aspect parmi cent de l'ensemble du dossier.

Faut-il croire que nous sommes condamnés, tel Sisyphe, à pousser notre rocher vers le sommet et voir, à chaque fois que nous approchons de celui-ci, un gravillon, une information ou une petite phrase faire rouler ce rocher au bas de la pente ?

Et pourtant, quelle énergie dépensée, notamment au Parlement, pour mieux comprendre. L'Assemblée nationale a effectué un travail considérable qui a permis d'aboutir au rapport d'information de Jean-François Mattéi il y a 3 ans et au rapport d'enquête de D. Chevallier il y a 8 mois. Elle va encore travailler sur le sujet la semaine prochaine, le 28, en consacrant 4 heures de débat aux problèmes de sécurité alimentaire. Par ailleurs, sans préjuger des décisions que nous prendrons dans les prochaines semaines, nous pouvons penser qu'une nouvelle commission d'enquête sur l'ESB pourrait reprendre le travail ; pourquoi pas ? Cela ne me choque pas, car il est essentiel que nous ne baissions pas les bras, que nous revenions sur le problème. A force de nous informer, de rechercher les informations nouvelles dès qu'elles arrivent, nous sommes parfaitement dans notre rôle de contrôle de l'action du gouvernement. Le Parlement, qui est la représentation nationale, majorité et opposition confondues, est peut-être mieux à même que quiconque d'effectuer le nécessaire travail d'analyse et de proposition, mieux à même, bien souvent, que les médias à la recherche de l'événement qui fait l'actualité.

Le professeur Will disait tout à l'heure qu'on ne sait tout simplement pas comment va évaluer la maladie humaine au Royaume-Uni ; cela est aussi vrai pour la France.

Nous avons du travail ; pour des années.