Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Dîner du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France - C.R.I.F.
Lyon - jeudi 30 novembre 2000

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Députés, Maires, Chers collègues,

Madame la Présidente du Conseil régional,

Monsieur le Président du Conseil général,

Mesdames et Messieurs les représentants de l'Etat, des corps constitués, et des cultes,

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Permettez-moi tout d'abord de vous dire mon émotion et ma joie d'être parmi vous, en cette belle ville de Lyon, ses quais de Saône, sa lumière, à l'occasion du dîner annuel du CRIF. On m'avait beaucoup parlé de ces rendez-vous, moments de réflexion et de dialogue, et je me réjouissais de cette rencontre, placée sous le signe de l'amitié et de la fraternité. C'est donc un plaisir et un honneur d'être des vôtres ce soir, pour vous faire partager quelques réflexions qui me tiennent à coeur.

Je remercie M. Alain Jakubowicz pour son accueil si chaleureux et je salue la vigueur et la sincérité de ses propos. Je veux également rendre un hommage particulier à celles et ceux qui sont en première ligne de la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, l'intolérance et l'exclusion. Soyez salués et remerciés pour votre juste et permanent combat.

Ce n'est pas aux invités présents, dans la diversité de leurs opinions, de leurs fonctions, de leurs confessions - croyants ou non -, que j'apprendrai la valeur des traditions. Si nous savons les préserver et les faire vivre mais ne pas en être prisonniers, celles-ci sont de précieux repères pour notre société. En cette fin de XXème siècle, où les progrès de la communication multiplient les significations possibles du monde, je pense que les moments comme celui qui nous réunit ici ce soir, contribuent à lui donner un sens.

Henri Bergson considérait que toute oeuvre et même toute vie se construisent autour d'une « intuition centrale », et que c'est par rapport à cette intuition que s'ordonnent les choix ou les refus, les décisions ou les renoncements dont l'existence est parsemée.

Monsieur le Président, cher confrère, vous avez eu l'amabilité de rappeler « notre héritage commun ». Je crois ne pas trahir votre sentiment en affirmant que cet héritage trouve ses racines dans cette « intuition centrale » qui a guidé ma vie et donné sens à mon parcours politique : l'attachement profond à la devise de la République, « Liberté, Egalité, Fraternité », mais aussi le fervent engagement en faveur du partage, de la justice et de la tolérance. Ce sont ces idéaux démocratiques et républicains que je m'attache à faire vivre chaque jour à l'Assemblée nationale ; ce sont ces principes et ces valeurs qui nous rassemblent aujourd'hui.

Mesdames et Messieurs, le siècle qui s'achève a vu l'Europe se déchirer et se réconcilier, laisser champ ouvert aux pires atrocités, avant de devenir, dans sa partie occidentale, puis centrale et orientale, une terre de liberté et de solidarité. Les lumières de la raison ont contribué à sceller le triomphe de la démocratie sur le totalitarisme et la victoire de la dignité sur la barbarie. Mais aujourd'hui, alors que nous entrons dans un nouveau siècle, plein de promesses et d'espoirs, des peurs et des dangers demeurent.

Monsieur le Président, vous évoquiez, il y a un instant, le feu de la violence qui, une nouvelle fois, a embrasé Israël et les Territoires palestiniens. Cela fait deux mois maintenant que les affrontements ont repris et le bilan est terrible : plus de 280 morts, près de 5 000 blessés. Personne ne peut accepter, quelles qu'en soient les circonstances, de voir chaque jour continuer à tomber morts et blessés, israéliens ou palestiniens.

Ces affrontements sont d'autant plus affligeants que la paix entre ces deux peuples nous paraissait, en cette symbolique année 2000, plus proche que jamais. Sous l'impulsion des Etats-Unis, grâce aux efforts menés par le président Clinton, soutenus par la France et l'Union européenne, chacune des deux parties a fait, lors du sommet de Camp David, des gestes courageux en direction de l'autre. Ces discussions permettaient d'espérer un événement attendu depuis plus de cinquante ans : la paix, entre Israël et l'Etat de Palestine.

Vous disiez, Monsieur le Président, que le processus de paix était mort. Je suis convaincu, pour ma part, que cette occasion historique n'est pas perdue. Comme me le disait la semaine dernière M. Shimon Pérès que je recevais à l'Assemblée nationale : « ce n'est pas la fin de la paix car il n'y a pas d'alternative à la paix ». A cet égard, j'exprime le voeu que les prochaines élections générales en Israël, malgré un contexte extrêmement tendu, soient l'occasion pour le peuple israélien d'affirmer clairement son choix, son désir, sa volonté de faire la paix.

Il est absolument indispensable de rétablir les conditions de la discussion pour la paix. Cela devient plus difficile que jamais, et malgré tout, c'est plus nécessaire que jamais. C'est pourquoi j'ai souhaité qu'une délégation de l'Assemblée nationale se rende en Israël et dans les Territoires palestiniens la semaine dernière. Cette délégation, composée à parité d'élus de la majorité et de l'opposition, était symboliquement conduite par les Présidents des groupes d'amitié France-Israël et France-Palestine de notre Assemblée.

J'ai la conviction que les parlementaires peuvent jouer un rôle privilégié au service du rapprochement entre les peuples, qu'ils peuvent encourager les évolutions favorables, qu'ils peuvent être des médiateurs. Nous ne pouvons pas nous substituer aux principaux acteurs du conflit, mais nous pouvons les aider à trouver ensemble le chemin de la paix. Nous ne devons pas nous décourager : il faut être obstiné, tenace, persévérant. Dans le contexte actuel, tout doit être fait pour favoriser la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens, dans le respect et l'écoute mutuels.

A cet égard, je tiens à rendre hommage à l'engagement du CRIF en faveur du dialogue israélo-palestinien et des accord d'Oslo. Nous n'avons pas oublié le voyage, au mois de mars 1999, d'une délégation du CRIF conduite par son Président M. Henri Hajdenberg au Caire, à Amman et à Gaza. La poignée de main entre M. Hajdenberg et Yasser Arafat en fut un moment particulièrement émouvant.

Vous évoquiez tout à l'heure, Monsieur le Président, la belle figure de David Ben Gourion, l'un des pères de l'Etat d'Israël. Permettez-moi de citer ce qu'il écrivait, en 1965, dans son ouvrage Les regards sur le passé :

« Aussi étrange que cela puisse paraître, nous arriverons avec le temps à une alliance judéo-arabe. Ce n'est pas que je crois seulement à la nécessité vitale d'une coopération politique, économique et culturelle. Les conditions géographiques et historiques la rendent inévitable, indépendamment du temps nécessaire à sa réalisation. Le destin nous a placés proches dans cette partie de la terre. Nous ne quitterons pas notre pays, pas plus que les Arabes. Et à cette situation géographique commune s'ajoutent bien des ressemblances dans notre culture, notre langage et notre histoire. La coopération entre juifs et arabes peut transformer le Moyen-Orient en l'un des plus grands foyers culturels du monde comme il le fut jadis. Eux seuls peuvent accomplir cela. »

Monsieur le Président, vous avez souligné l'extrême inquiétude de la communauté juive de France devant la poursuite de la dégradation de la situation en Israël et dans les Territoires Palestiniens. Même si les juifs de la Diaspora ne vivent pas les mêmes réalités que les Israéliens, ils se sentent ici directement touchés par ce qui se passe là-bas ; ils demeurent unis par une histoire et une foi communes, une identité de destin. Permettez-moi de vous dire que les parlementaires, comme l'ensemble de nos concitoyens, partagent, eux aussi, leur angoisse face au déchaînement de la violence.

Je suis convaincu, mes chers compatriotes, qu'en dépit de l'émotion légitime suscitée par les tragiques événements du Proche-Orient, il faut éviter, à tout prix, que ce drame ne crée une césure entre nous.

Ces dernières semaines, la communauté juive française a dû faire face à d'intolérables violences et d'odieuses menaces : hommes, femmes ou enfants juifs insultés, synagogues incendiées, écoles menacées, centres culturels ou commerces dégradés. Ces actes nous rappellent les heures sombres de notre Histoire et blessent notre mémoire. Soyez assurés qu'en ces douloureux moments, la représentation nationale a partagé votre indignation et fermement condamné cette folie destructrice.

Ces actes attestent que toujours, sans relâche et sans réserve, nous devons nous dresser contre tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine ; que nous devons toujours combattre les porteurs de haine qui, au nom de la race, de la religion ou de l'intégrisme, accomplissent leurs forfaits sous nos yeux ; que nous devons toujours lutter avec les armes que nous donne la République : la vertu du civisme, la force de la loi, le principe de la laïcité. Ces valeurs sont le rempart le plus fort et le plus sûr contre l'intolérance et le fanatisme.

Je crois, d'ailleurs, que les relations avec les Juifs de France ont, à plusieurs reprises dans notre Histoire, permis de consacrer puis d'affermir la République. En 1791, c'est en leur reconnaissant la citoyenneté que la première République a affirmé sa nature laïque contre le cléricalisme absolu et l'intolérance religieuse de la monarchie de droit divin. Cent ans plus tard, la terrible affaire Dreyfus fut aussi l'occasion pour Emile Zola dans son J'accuse, de rappeler le principe fondateur de notre République et de toutes les démocraties : « Il n'y a pas de raison d'Etat qui puisse exercer un attentat contre la personne quand les droits de la personne sont au-dessus de l'Etat ». C'est en intégrant dans notre droit, et surtout dans nos têtes, la citoyenneté pleine et entière de nos compatriotes juifs, que nous avons conforté et renforcé notre République.

Une République qui, depuis 1905, parce qu'elle ne reconnaît aucun culte, doit garantir le respect de tous les cultes. A cet égard, je me réjouis que soient réunis ce soir juifs, catholiques, musulmans, protestants. Votre présence est le symbole de l'idéal laïc qui rassemble sans lier, qui assure l'expression du pluralisme en préservant l'unité nationale, qui nous permet de vivre ensemble avec nos différences. La rencontre des religions et des cultures doit être source d'enrichissement et non d'affrontement. Lorsqu'elles se combattent au lieu de dialoguer, leur guerre s'achève toujours par une défaite commune.

Mesdames et Messieurs, je n'oublie pas que je parle aujourd'hui dans une ville dont le nom reste lié à celui d'un homme qui fut l'apôtre du dialogue, de la paix, de la réconciliation entre les peuples et les religions : le Cardinal Albert Decourtray. En mai dernier, un Mémorial fut inauguré en son honneur à Jérusalem. Ce soir, devant vous, avec vous, je veux rendre hommage à la profondeur et la sincérité de l'engagement de cet homme d'Eglise, qui a voué son sacerdoce et sa vie au respect de l'homme, de sa dignité et de sa liberté.

Nous n'oublierons pas celui que les Lyonnais appelaient le « Cardinal des Juifs », cet homme simple, fidèle, généreux, qui a beaucoup oeuvré pour le dialogue et la reconnaissance mutuelle entre juifs et chrétiens.

Nous n'oublierons pas celui qui, non sans peine, mais avec courage et audace, fut l'un des premiers et des plus ardents défenseurs de l'acte de repentance de l'Eglise catholique envers ses frères juifs.

Nous n'oublierons pas celui qui a toujours défendu le choix de la vérité pour dénoncer l'horreur du nazisme. A maintes reprises, il voulut s'en faire le témoin, allant se recueillir sur les lieux de la souffrance et de la résistance juives pour, inlassablement, décrire, expliquer, témoigner. Mais aussi pour que nos tribunaux puissent punir ceux que l'Histoire avait déjà jugés : les collaborateurs, les traîtres et les criminels, les Barbie, les Touvier, les Papon, tous ceux qui, ici ou ailleurs, ont soutenu et servi la volonté exterminatrice de l'idéologie nazie.

Nous n'oublierons pas le Cardinal Decourtray, comme tous ceux qui ont ouvert le chemin de la vérité ; comme tous ceux qui prennent part au devoir de mémoire et de vigilance ; comme tous ceux qui incarnent la volonté de transmettre le souvenir du passé aux générations présentes et futures.

Rien n'est plus difficile pourtant que de se rappeler les années noires de notre Histoire ; mais à l'heure où la barbarie devient pour certains un « détail », rien n'est plus actuel, rien n'est plus essentiel. Encore et toujours, il faut entretenir la flamme du souvenir. Pour honorer la mémoire des six millions de victimes de la Shoah ; et pour témoigner de ce tragique passé que nous ne voulons plus jamais revivre.

Cette année, notre Parlement a participé, une nouvelle fois, à cette oeuvre de mémoire. Le 29 février dernier, les parlementaires ont adopté le projet de loi visant à instaurer une Journée nationale d'hommage aux Justes de France, ces femmes et ces hommes qui, au péril de leur vie, ont soustrait des familles juives à la traque impitoyable de l'occupant et de la milice, à l'ultime voyage vers l'enfer et la nuit.

Monsieur le Président, vous disiez il y a un instant que le devoir de mémoire doit se transformer en droit de savoir. Vous avez raison. Il faut apprendre l'Histoire, la regarder avec courage et lucidité, et non pas la réécrire à sa manière, comme certains universitaires, dans cette ville même, ont récemment essayé de le faire.

Le devoir de mémoire n'est rien sans le devoir d'histoire, ce long et difficile travail qui mène à la vérité et à la réparation. Une réparation, qui, malheureusement, n'effacera jamais l'horreur et la tragédie vécues par tous ceux qui, dans leur âme et leur chair, ont porté l'innommable souffrance. Mais une réparation juste, légitime, nécessaire.

Mesdames et Messieurs, vous le savez, un travail considérable sur la question des spoliations des biens des Juifs de France a été effectué par la Commission présidée par M. Jean Mattéoli. Cette Commission a formulé des recommandations au Gouvernement qui, soutenu par la représentation nationale, a pris des mesures exemplaires : l'instauration d'une commission chargée de répondre aux demandes des victimes de spoliations ; la mise en place d'un fonds d'indemnisation des orphelins des déportés juifs ; la création d'une fondation pour la mémoire de la Shoah, qui devrait être présidée par Mme Simone Veil.

Mesdames et Messieurs, avant de conclure, je voudrais vous rappeler que notre pays va bientôt connaître plusieurs échéances électorales : municipales, d'abord, législatives et présidentielle ensuite, si toutefois le calendrier électoral n'est pas modifié, ce qui serait pourtant souhaitable afin de respecter l'esprit et la cohérence de nos institutions. Notre priorité à tous, élus et citoyens, sera de tenir notre cap : celui d'une France plus forte, plus juste, plus solidaire.

Les prochaines échéances électorales seront une épreuve de vérité, tout particulièrement dans cette ville et dans cette région, où la machine à recycler les anciens élus du Front National est en marche. Devant ce danger, j'invite toutes les formations politiques à avoir un discours clair et franc sur leurs rapports avec l'extrême-droite. Aujourd'hui, certes, elle apparaît affaiblie, mais elle n'a pas renoncé pour autant à diffuser ses funestes idées. Elle me semble même plus dangereuse que jamais car elle s'avance masquée, sous des prête-noms, à travers des structures de circonstances.

Je n'oublie pas que c'est grâce aux voix des élus du Front National, ou de certains de ses émules, que certains partis se réclamant de la tradition républicaine gèrent encore trois de nos régions. Cela n'est pas acceptable. Tous ceux qui se déclarent républicains ne doivent pas être complaisants devant les urnes : l'exemplarité de nos responsables politiques est la condition fondamentale de l'exercice de notre citoyenneté. 

A la veille de ces élections, permettez-moi de formuler un voeu : que les marchands de haine, les fossoyeurs de la démocratie ne soient pas les arbitres de notre vie politique locale et nationale. Je sais que beaucoup de nos compatriotes se disent lassés de la politique, réticents à l'égard des formations partisanes. Moi, je suis fier de faire au quotidien de la politique. L'extrême-droite fait évidemment de ce rejet son fonds de commerce. Quelles que soient nos convictions politiques, nous devons redonner à nos concitoyens le goût du débat d'idées et de l'engagement. C'est le plus sûr moyen de redonner force et actualité au contrat social et au pacte républicain.

* * *

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers amis,

Votre dîner m'a donné l'occasion d'évoquer les valeurs que nous partageons et de rappeler ce magnifique principe hérité des Lumières : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Puisse ce message, vieux de deux cents ans, mais toujours aussi actuel, être entendu et compris au-delà de ces murs, porté sur tous les continents, et tout particulièrement au Proche-Orient.

Je vous remercie de votre attention.