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Ouverture des Etats Généraux des « Elus locaux contre le Sida »
à l'Assemblée nationale le samedi 9 décembre 2000

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Madame la Ministre,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Mesdames et Messieurs les maires,

Madame la Présidente d'honneur, Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

C'est un plaisir et un honneur de vous accueillir aujourd'hui à l'Assemblée nationale et d'ouvrir les Vèmes Etats Généraux des « Elus Locaux Contre le Sida ». Elus locaux et nationaux, responsables publics, représentants d'associations, médecins, chercheurs : le combat qui nous rassemble est un combat pour la vie. Un combat dans lequel nous avons remporté d'immenses victoires mais qui est pourtant loin d'être gagné. Votre présence ici atteste que beaucoup reste encore à faire pour voir disparaître cette maladie, avec ses discriminations intolérables et ses violences symboliques ; pour vaincre cette épidémie, avec son cortège de maux et de morts ; pour triompher de la douleur et du désespoir.

Je tiens à saluer et à remercier M. Jean-Luc Romero, Président de l'association « Elus locaux contre le Sida », ainsi que Sheila, Présidente d'honneur, pour leur engagement et leur dévouement de chaque instant.

La réalité est là, terrible et révoltante : le fléau du Sida continue de s'étendre. La froideur des chiffres l'atteste : aujourd'hui, en France, plus de 120 000 personnes sont infectées par le VIH et 20 000 sont malades du Sida ; chaque année, 1 600 à 1 800 personnes sont contaminées par le virus, 600 à 800 malades en meurent.

Pourtant, grâce à la mobilisation des chercheurs, des médecins, des élus et des citoyens, de remarquables progrès ont été accomplis. Depuis 1996, l'infection par le VIH n'est plus cette maladie inéluctablement mortelle : les nouveaux traitements donnent la possibilité de combattre le virus et de tenir le mal à distance.

De maladie aiguë, le Sida est devenu maladie chronique : des médicaments actifs en ont modifié l'histoire. Le sujet séropositif a pu faire « le deuil du deuil » ; beaucoup de malades peuvent à nouveau avoir un projet de vie. Pourtant, ces avancées, et l'espoir qu'elles ont fait naître, ne doivent pas avoir raison de notre vigilance et de notre détermination. L'infection par le VIH demeure un problème de santé publique, un problème social et politique, dans notre pays et plus encore à l'échelle de la planète.

Face à ce constat, vous avez choisi aujourd'hui de «Mettre le Sida au c_ur de la campagne des élections municipales ». Je crois que le premier devoir des élus, ou des candidats aux prochaines élections, sera de promouvoir la prévention et le dépistage.

En France, près de la moitié des personnes infectées ignorent leur séropositivité jusqu'à l'apparition des complications les plus graves liées au Sida. Quel échec ! A l'heure où l'on observe un relâchement dans la protection - notamment chez les plus jeunes -, il me paraît indispensable de marteler, sans relâche, les messages de prévention en direction de l'ensemble de la population et de favoriser la réduction des risques pour les personnes les plus exposées. Car s'il faut croire à l'éthique de la responsabilité individuelle, il faut également reconnaître les vertus de l'information. Combien de Français, par exemple, savent que des traitements d'urgence, prévenant la contamination, sont disponibles dans tous les hôpitaux, dans les 48 heures qui suivent un rapport sexuel à risque ou un accident d'exposition au sang ?

A cet égard, la représentation nationale doit être exemplaire et je souhaite que chaque parlementaire puisse prendre part à cet effort d'information sur le Sida. Pour cela, je proposerai qu'une campagne de sensibilisation et de prévention soit organisée à l'Assemblée nationale, en direction des députés, des personnels de cette institution et - pourquoi pas ? - du grand public. J'espère également que le groupe d'études sur le Sida, présidé par M. Michel Hunault, sera bientôt en mesure de formuler des recommandations et des propositions, afin d'éclairer notre réflexion et nos actions dans le domaine de la lutte contre le Sida.

Dans leurs communes et leurs circonscriptions, avec les associations de malades et les professionnels de santé, dans les mairies, dans les écoles, les élus locaux ont, eux aussi, le devoir de relancer des campagnes locales pour mettre en oeuvre des projets de prévention et d'assistance. Cela signifie, évidemment, travailler en étroite collaboration avec le tissu associatif : on ne lutte pas contre cette épidémie sans l'opinion et le soutien des associations, qui, les premières, ont porté ce grand combat, et, plus largement, sans l'engagement de tous ceux qui sont concernés par le Sida.

Depuis quatre ans, depuis la découverte des inhibiteurs de protéases, des traitements largement efficaces existent. Près d'une vingtaine de molécules sont disponibles, mais les contraintes dans la prise des médicaments sont grandes, et, parfois, psychologiquement ou socialement insurmontables. A quoi bon disposer de traitements efficaces si le malade ne peut pas les prendre correctement ?

Il n'est pas facile, sur le lieu de travail, comme en famille, de prendre des médicaments quand l'entourage ignore la séropositivité. Je plaide donc pour un aménagement des conditions de travail, un développement du soutien psychologique, un meilleur accès aux allocations et aux subventions. Ces mesures d'accompagnement social m'apparaissent comme de nouvelles priorités, sans lesquelles la prise en charge médicale de la maladie est illusoire.

Aux contraintes et à l'usure qu'engendrent des traitements longs et lourds, s'ajoutent aussi les exclusions. Aujourd'hui, certes, les actes de discriminations envers des personnes séropositives ou malades sont heureusement moins fréquents. Mais ces personnes demeurent menacées par des situations d'exclusion dans leur vie quotidienne : rupture des liens amicaux ou sociaux, interruption volontaire ou subie des parcours professionnels, impossibilité de souscrire à une assurance, refus de prêts dans les banques... La liste pourrait, malheureusement, être plus longue. Ces discriminations insidieuses, qui frappent les plus faibles, sont intolérables dans un pays dont les valeurs sont la tolérance, l'égalité, la fraternité.

Mais il y a plus grave encore : l'accès au dépistage et au traitement est difficile voire impossible pour tous ceux qui se trouvent dans des situations de précarité extrême. Comment prendre des médicaments en respectant des horaires stricts quand le repas n'est pas pris à heure fixe - ou pire, s'il est inexistant -, quand on est sans ressources, quand on vit dans la rue ? Les plus pauvres, les plus démunis, les plus défavorisés devraient-ils renoncer aux soins faute d'information et de moyens ? Cela n'est pas acceptable.

Vaincre le Sida, c'est aussi lutter contre les inégalités, la précarité, les exclusions. Nous, responsables politiques, devons être au premier rang du combat social contre cette maladie.

Mais quels que soient nos efforts, ils seront vains si nous ne considérons pas l'épidémie à sa véritable échelle : c'est une pandémie mondiale. Là encore, les chiffres sont accablants : 500 000 malades en Europe de l'Ouest et 36 millions de personnes infectées dans le monde. Aujourd'hui, le Sida frappe durement l'Asie du sud-est et progresse dangereusement en Amérique Latine. Et le virus a contaminé 25 millions de personnes en Afrique subsaharienne, qui doit déjà faire face à tant d'autres maladies graves.

La santé publique n'est plus une affaire nationale : elle exige une action planétaire. Les traitements s'arrêtent aux frontières du développement ; le virus, lui, les ignore : neuf dixièmes des médicaments antiviraux au Nord, neuf dixièmes des malades au Sud ! Quel égoïsme irresponsable que de croire pouvoir maîtriser une pandémie sans se préoccuper des pays les plus touchés !

Devant cette dramatique réalité, il nous faut agir : il n'est pas concevable, il n'est pas tolérable de voir l'épidémie progresser alors que nous disposons de moyens pour la réduire. Je plaide pour un devoir d'ingérence sanitaire : c'est une urgence et une nécessité. Ce sera aussi le grand défi de la communauté internationale pour le nouveau siècle. Pour le relever, chaque Etat doit prendre ses responsabilités. Je me réjouis donc de la récente création d'un Fonds de Solidarité Thérapeutique International, voulu et mis en oeuvre par la France, qui a grandement contribué à la mobilisation collective. Mais cela n'est pas suffisant. Il nous faut aller plus loin.

J'ai la conviction que nous devons également inscrire la lutte contre le Sida dans le cadre des accords de coopération décentralisée avec les pays du Sud, pour accompagner notre politique de soutien au développement. Et, bien sûr, chaque élu doit s'attacher à promouvoir les opérations de jumelage entre nos collectivités locales et les communes africaines. Elu du Territoire-de-Belfort, et maire de Delle, je suis particulièrement fier du dynamisme de notre département, jumelé avec deux régions du Burkina-Faso, où 14 % de la population est infectée par le VIH. J'espère que chaque commune belfortaine, soutenant cette initiative au niveau départemental, pourra bientôt être officiellement jumelée avec un village burkinabé, afin de renforcer notre coopération.

Avant de conclure, je voudrais vous rappeler que le Conseil national du Sida rendait, le 13 novembre dernier, un avis sans équivoque sur l'impérieuse nécessité d'offrir aux pays en voie de développement l'accès aux traitements antiviraux. Tous ici, nous savons les difficultés et les obstacles qui empêchent ou diffèrent ce progrès. Mais nous ne devons pas désespérer de l'avenir. Les travaux de la conférence de Durban, qui s'est tenue en juillet dernier, invitent à l'optimisme. Nous savons aujourd'hui que certains pays des zones les plus défavorisées, le Brésil, l'Afrique du Sud ou l'Inde, possèdent les moyens technologiques de développer des versions génériques des antiviraux, donc à moindre coût. J'y vois une formidable occasion de permettre un accès généralisé aux traitements pour les pays les plus pauvres et les plus touchés par l'épidémie. Ne la laissons pas passer.

N'oublions pas que l'urgence sanitaire doit prévaloir sur les arguments juridiques et les calculs économiques ; que le Sida est un sujet de santé publique et non un enjeu commercial. Ensemble, nous devons nous engager clairement dans cet effort de solidarité internationale.

* * *

Voilà, Mesdames et Messieurs, quelques réflexions qui me tiennent à coeur, comme à tous ceux, je crois, qui refusent de se résigner au silence et d'accepter la fatalité. Notre responsabilité est grande et notre mobilisation doit l'être davantage encore. Soyons unis et solidaires : nous ne serons que plus forts face à la maladie et à la pandémie. C'est le voeu que je forme aujourd'hui ; ce doit être notre projet pour demain. Puissent vos débats et vos travaux ouvrir la voie.

Je vous remercie.