Accueil > Archives de la XIe législature > Discours de M. Raymond Forni, Président de l'Assemblée nationale

Vœux à la presse
à l'Hôtel de Lassay le mardi 16 janvier 2001

Allocution de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale,

en réponse à M. Henri PAILLARD,

Président de l'association des journalistes parlementaires

Monsieur le président,

Mesdames et messieurs,

C'est la première fois en tant que président de cette institution que le plaisir m'est donné de vous adresser mes voeux. Ils partent du coeur, et à chacune et à chacun d'entre vous, je voudrais tout simplement souhaiter que vous trouviez en 2001 tout le bonheur possible, celui que vous méritez, celui qui vous est dû, celui que vous espérez, souhaiter évidemment à l'ensemble de la presse ici représentée, quelle qu'elle soit, une bonne année 2001. Je n'ai pas de doute qu'elle le sera, et nous ferons tout au cours de cette année pour vous « alimenter », ne serait ce qu'au travers des débats qui rythment la démocratie. Les périodes électorales sont évidemment des moments favorables.

Vous avez dit, Monsieur le président, qu'étant le 242ième président de cette institution, je risquais, comme beaucoup d'autres, de m'enliser dans les bonnes intentions, celles de réformer, d'améliorer le travail parlementaire. J'ai bien évidemment en tête, comme vous tous, les exemples de ceux qui m'ont précédé et qui, nombreux, ont voulu servir au mieux l'institution parlementaire. Il se fait que j'aime passionnément cette maison, et que lorsque l'on aime de passion, on cherche le meilleur pour l'autre, pour celle ou pour celui que l'on aime. En l'espèce, j'aime l'institution parlementaire. Non seulement je l'aime passionnément, mais je suis fier d'être à la place où je suis, parce que je considère que cette fierté est synonyme de noblesse dans l'exercice de la fonction politique. D'une manière générale, il y a de la noblesse à exercer des responsabilités politiques, et on ne le dit sans doute pas assez, et sans doute s'attarde-t-on trop sur le détail, sur le dossier, sur l'affaire, au risque de cacher ce qui est à mes yeux essentiel, ce que je vis au quotidien à l'Assemblée nationale, le travail législatif, le travail de contrôle de l'action du Gouvernement et, même s'il reste beaucoup à faire dans ce domaine, le travail d'élaboration du budget de la Nation.

Oui, je suis fier d'exercer cette fonction, je suis heureux d'être là, et j'ai de l'ambition pour cette maison. Bien entendu, on peut se gausser de certaines initiatives prises, amusantes, parfois, qui peuvent relever du détail, tel le clignotant qui alerte celui qui intervient que les deux minutes trente fatidiques sont sur le point d'être atteintes et qu'il faut sans doute s'acheminer vers la conclusion. On peut se gausser, sauf lorsque l'on connaît la réaction des hommes et des femmes qui interviennent dans un hémicycle aussi pesant d'histoire que celui qui est le nôtre. Vous me permettrez de dire que si j'ai souhaité installer ce dispositif technique qui peut paraître secondaire, c'est parce que je sais que, psychologiquement, la présence d'un clignotant qui alerte est un moyen à peu près assuré d'acheminer celui qui intervient vers une conclusion. Les interventions répétitives, trop longues, vous le savez, cassent le rythme d'une séance qui pourrait être passionnante, notamment lorsqu'elles sont, comme les séances de questions au Gouvernement, suivies par bon nombre de nos concitoyens.

Mêler comme nous le ferons à partir de cet après-midi les différents groupes dans leurs interrogations à l'égard du Gouvernement, passant d'un socialiste à un RPR, d'un RPR à un communiste, c'est une manière très pratique - pardonnez-moi de le dire - d'éviter qu'une fois qu'un groupe a terminé son intervention, une bonne partie de ses membres se lèvent et quittent l'hémicycle, désertant ainsi ce qui est visible par l'ensemble des Français sur les écrans de télévision, le lieu précisément où se déroule un débat démocratique, débat démocratique qui ne saurait supporter une seule présence, celle de l'opposition ou celle de la majorité, en fonction du rang à partir duquel on intervient lors des séances de questions au Gouvernement.

Vous le voyez - les praticiens m'approuveront sans doute - que ça n'est pas seulement du détail, mais que cela va beaucoup plus loin : donner vie à l'institution démocratique, donner corps à cette maison qui, je le souligne, n'a pas besoin de moi pour découvrir ce qu'est la vie et le corps de l'institution démocratique. Essayer d'améliorer le travail parlementaire, voilà l'ambition qui m'anime.

Monsieur le président, vous avez évoqué l'ordonnance de 1959. C'est un langage abscons pour l'immense majorité de nos concitoyens qui ne se souviennent pas toujours qu'un an auparavant, sortant du parlementarisme excessif de la Quatrième République, on avait voulu limiter l'emprise du Parlement sur le travail gouvernemental. Deux méthodes essentielles avaient été trouvées. D'abord, réduire les sessions à deux par année, de trois mois chacune. Cela donnait six mois de répit au Gouvernement pour travailler en toute sérénité et en toute tranquillité, sans être perturbé par les interventions jugées intempestives de mes collègues parlementaires. Ensuite, élaborer des ordonnances - cela supposait, je vous le rappelle, d'exclure le Parlement du débat de préparation et d'élaboration des textes - pour « cadrer » le travail budgétaire de telle sorte que les possibilités d'intervention du Parlement soient réduites au strict minimum. Le pouvoir s'est ainsi progressivement déplacé de la sphère politique vers la sphère administrative, technocratique, et aujourd'hui, chacun sait que le pouvoir budgétaire réside essentiellement entre les mains d'une administration - Bercy - au détriment de la nation toute entière, et bien entendu, des autres administrations.

Vouloir réformer les choses, ça n'est pas m'attaquer à une citadelle qui m'importe peu. Elle existe ; elle est composée de techniciens remarquables. Vouloir m'attaquer à la réforme des ordonnances de 1959, c'est tout simplement, dans le droit fil de ce qu'ont fait mes prédécesseurs - Laurent Fabius, mais aussi Philippe Séguin - rétablir dans les institutions de la République la place du Parlement. Il se trouve que la chance qui est la mienne est sans doute d'être sous une conjonction astrale, en ce qui concerne les ordonnances de 1959, aussi favorable que possible, non pas parce que je lis mon horoscope tous les matins, mais parce qu'ici, à cette place, présidait un autre président, Laurent Fabius, aujourd'hui ministre des finances, parce qu'aujourd'hui, le Premier ministre a la volonté d'améliorer le fonctionnement des administrations, parce que l'on ne mesure pas suffisamment que la réforme de 1959, ce n'est pas simplement le débat budgétaire qui sera modifié, mais c'est aussi le travail des administrations, c'est aussi la manière dont fonctionnent les administrations qui sera complètement modifiée et remodelée.

Si le Premier ministre, si Laurent Fabius et si le Sénat ont souhaité la réforme des ordonnances de 1959, j'aurais le sentiment de ne pas servir l'institution si je laissais passer la chance qui est la nôtre d'aboutir dans les semaines qui viennent à un texte consensuel car je suis, moi, très favorable au consensus, surtout quand il s'agit d'une institution comme la nôtre, parce qu'aujourd'hui, cette institution, je la préside ; demain, un autre en assurera la responsabilité. Et tout texte qui régit son fonctionnement doit être pris en accord avec l'ensemble des groupes. Monsieur le président, mesdames et messieurs, je peux vous assurer qu'aucune décision prise en conférence des présidents n'a été imposée par aucune majorité. Elle est le résultat d'une discussion qui a lieu entre les groupes parlementaires qui composent cette maison. C'est là aussi, d'une certaine manière, ma fierté.

On a considéré qu'au cours de l'année 2000, j'étais de temps en temps écarté de la neutralité que l'on attend, paraît-il, d'un président de l'Assemblée nationale. Mais ce n'est pas parce que je suis à la place où je suis que j'ai perdu toute liberté de dire et, bien entendu, toute liberté de pensée - au contraire ! Il est même souhaitable que les présidents pensent, cela n'est pas inutile ! Il est même utile que de temps en temps, il s'exprime, et que sur un certain nombre de sujets qui touchent aux institutions de la République, je pense, par exemple, à la remise dans l'ordre normal du calendrier électoral, puisque cela nous concerne, je puisse dire exactement ce qu'il en est.

De même, il est légitime qu'en tant que Président de l'Assemblée nationale je puisse dire que la situation qui est celle des relations entre la justice et le pouvoir législatif m'inquiète. Chacun, me semble-t-il, doit rester à sa place, et je n'autorise personne, si ce n'est le suffrage universel, à porter un jugement sur le travail que nous accomplissons ici. Et vous êtes, vous, ceux qui relayez ce travail, qui informez l'opinion publique du travail que nous accomplissons, et permettez-moi de le dire, c'est évidemment en référence à la loi de juin 2000 sur la présomption d'innocence que je tiens ces propos. Lorsque j'entends ici ou là, lors de rentrées solennelles, parler de législation calamiteuse, je me dis qu'on est en train d'aborder des limites excessivement dangereuses pour un des piliers de la démocratie, la séparation des pouvoirs. De même, je ne m'autorise pas à porter des jugements sur tels ou tels comportements de magistrats, même si j'ai mes idées en ce qui concerne le fonctionnement général de la justice. Nous essayons d'ailleurs, dans le cadre de la législation que nous votons, de faire en sorte qu'elle soit applicable. A chacun d'accomplir la tâche qui est la sienne, notamment de donner des moyens suffisants à la justice, même si je ne considère pas qu'aucun effort n'ait été fait s'agissant notamment du budget de la justice.

Défendre l'institution parlementaire, c'est ma mission et ma responsabilité. J'entends souvent des propos désolants, je n'ose dire déplorables, mais ils sont aussi anciens que l'institution elle-même. Le parlementarisme, vous le savez bien, a toujours été critiqué, et les hommes politiques ont toujours fait l'objet d'attaques. On a tendance à oublier que cela est réservé à la période actuelle, aux trois, cinq ou dix dernières années, mais si l'on a un peu de mémoire, on sait de quelle manière a été rythmée la démocratie : par autant de noms qui évoquent des scandales. C'est dommage, mais je ne voudrais pas que l'on déduise de cette situation déplorable que la « classe politique », pour reprendre une expression que je n'aime pas beaucoup, que tous les politiques, hommes et femmes, seraient à mettre dans un même sac. En tant que Président de l'Assemblée, ma responsabilité consiste à défendre la fonction parlementaire, avec la noblesse et le dévouement qui l'accompagnent, et le travail qu'accomplissent les hommes et les femmes. Vous les voyez travailler, vous qui êtes présents autant que nous dans cette maison, parfois même plus souvent que nous. Vous les voyez travailler en commission, dans les groupes politiques, dans les missions d'information et, certes de manière partielle, dans l'hémicycle, celui-ci n'étant que la mise en scène finale, l'acte ultime d'un théâtre qui se déroule un peu secrètement. De ce point de vue, nous nous sommes dotés d'un outil, la chaîne parlementaire-Assemblée nationale, avec Ivan Levaï à sa tête, indispensable pour que vive et soit connue la démocratie. Elle fêtera, vous le savez, en mars prochain son premier anniversaire. Grâce à cet outil, allié aux administrations dont nous disposons - et je remercie à cette occasion tout le personnel de l'Assemblée qui est à notre disposition 24 heures sur 24, tout au long de l'année, dans des conditions difficiles -, vous pouvez mesurer mieux que d'autres la réalité du travail parlementaire.

Comme je suis fier et passionné, il m'arrive de souffrir quand il me semble que les attaques sont injustes, parce que je ne me reconnais pas dans ce que l'on dit, parce que je sais bien que cela ne correspond pas à ce que je côtoie au quotidien ici, à l'Assemblée nationale, dans des conditions qui, certes, sont privilégiées, mais mon ancienneté dans cette maison - vingt sept ans - me permet de dire qu'il y a une réalité démocratique, une réalité citoyenne dans l'exercice du mandat législatif qui vaut bien d'autres exercices ailleurs que dans cette maison. Afin de faire connaître ce travail, mon intention est d'aller en province, après les élections municipales. Accompagné de parlementaires de l'opposition et de la majorité, je souhaite rencontrer les jeunes, dans les universités, mais aussi les forces vives, pour leur dire ce que nous faisons, pour leur expliquer ce que nous sommes. Nous devons faire aussi ce travail. Pour accomplir le vôtre, vous savez que vous pouvez compter sur les collaborateurs dont je suis entouré. Vous avez évoqué Catherine Babelon qui fournit un travail tout à fait remarquable. Marie-France Lavarini et François Toros sont plus spécialement chargés des relations avec la presse à mon cabinet, et je puis vous assurer qu'ils sont évidemment à votre disposition.

J'ai déjà beaucoup trop parlé, et je vous prie de bien vouloir m'en excuser. J'aurais pu tomber dans l'exercice de la liturgie, de la litanie, qui risquait de vous conduire à la léthargie. J'aurais pu évoquer le bilan qui est le nôtre, dont je suis fier, car nous avons beaucoup travaillé au cours de l'année 2000 sur des sujets essentiels, comme la réduction du temps de travail, mais aussi la modernisation de la vie publique, la parité et d'autres encore. Je m'arrête là sur une énumération qui risquerait de m'entraîner trop loin et d'ailleurs, dans quelques jours, vous aurez la chance de recevoir un document fort bien fait par le service de la communication de l'Assemblée - Une année à l'Assemblée nationale. Rapport d'activité 2000. Vous y trouverez tout ce que j'ai dit avec quelques heures d'avance, ce qui rend l'exercice particulièrement vain.

Vous avez dit, Monsieur le président, que 2001 risquait d'être amputé par les campagnes électorales. Personnellement, je ne le crois pas. Je n'utiliserai pas l'expression « d'année utile », d'autres l'ont déjà fait avant moi et cela risquerait d'être mal interprété ou de créer une espèce de connivence entre son auteur principal et celui qui le reprendrait. Je me contenterai de vous dire que l'intention qui est la mienne et qui, je crois, est celle du Gouvernement - j'en suis même persuadé -, est de continuer à travailler dans le droit fil de ce qui a été accompli depuis 1997. Il n'est pas partisan de dire que notre Gouvernement a ma préférence. C'est une évidence. Je dis simplement que mon intention est d'accompagner au mieux dans le travail législatif ce que nous proposera le Gouvernement. Les projets sont nombreux. Ils sont importants pour nos concitoyens, et j'ai même l'impression que malgré le raccourcissement de la session, en raison de l'interruption pour campagne électorale, nous aurons souvent à mettre les bouchées doubles pour arriver aux résultats que l'on attend de nous tous. Je pense notamment à l'allocation dépendance solidarité, mais aussi à tous les sujets dont le Gouvernement a déclaré qu'il allait les soumettre à l'Assemblée. Je pense aussi à la Corse, à ce sujet essentiel pour l'équilibre de la République, pour l'expression de notre conception de la République et de la citoyenneté sur le territoire national. Je pense enfin aux textes qui permettront en 2001 d'accompagner la démarche volontaire de Lionel Jospin. Accompagnés des missions d'information et des commissions d'enquête que nous souhaitons mener en 2001, le pain ne manquera pas sur la planche. Nous aurons beaucoup à faire, et je souhaite que la presse, qu'elle soit écrite, parlée, télévisuelle, soit non pas le relais de ce que nous pensons, mais continue à faire son travail avec l'objectivité qui caractérise chacune et chacun d'entre vous. Lorsque je parle d'objectivité, ce n'est pas pour vous louer, mais parce que j'ai bien conscience qu'il s'agit d'une notion à géométrie variable, en fonction des ses propres convictions, et que l'on traduit d'une manière ou d'une autre, même si l'on y prend garde, dans ce que l'on écrit. C'est votre liberté ! Préservons la ! Elle est tout aussi indispensable que la liberté de parole dont j'ai peut-être trop abondamment usé à l'occasion de la présentation de ces voeux.

Je vous le dis, sans doute parce que le temps d'une législature qu'il reste à couvrir est relativement bref, je ne m'arrêterai pas à ce genre de considération. Je n'ai rien à préparer, et si vous me permettez ce raccourci, je crois qu'il existe trois manières d'aborder la présidence de l'Assemblée nationale. Soit l'on considère que c'est un placard, et il est magnifique. Ce placard, agrémenté de peintures du peintre Heim, originaire comme vous, cher ami, de Franche-Comté, et même de Belfort, est un placard dans lequel on peut se complaire tout on long de l'année. C'est agréable, confortable, et l'on peut très bien ne rien demander de plus.

On peut aussi envisager cette fonction comme un tremplin, un départ vers quelque chose d'autre. Je suis le 242ième Président de l'Assemblée nationale, le 8ième depuis la Vème République, le seul - et c'est finalement ma fierté, même si je l'ai regretté pendant longtemps - qui n'ait jamais été ministre. Je n'ai donc pas d'ambition de ce point de vue, je n'ai que l'ambition de servir cette maison.

C'est la troisième manière que je privilégie, celle de servir l'institution qui m'a fait l'honneur de m'élire président. Dans cette démarche, j'espère pouvoir compter sur votre aide dans la mesure où vous traduirez à votre manière ce qui passera au cours de l'année 2001 à l'Assemblée, au Palais Bourbon et à l'Hôtel de Lassay.

Bonne et excellente année à vous tous.