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Réception organisée à l'occasion de la publication du « Dictionnaire du vote »
à l'Hôtel de Lassay le mercredi 7 février 2001

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames, Messieurs,

C'est avec grand plaisir que j'accueille ce soir Messieurs Pascal Perrineau et Dominique Reynié qui ont dirigé la publication aux Presses universitaires de France d'un « Dictionnaire du vote », préfacé par Monsieur le professeur René Rémond. Un plaisir aussi d'accueillir un grand nombre des collaborateurs de cet ouvrage qui comptent parmi les analystes les plus attentifs et les plus pertinents de la vie politique française et internationale.

La parution d'un tel ouvrage, unique en son genre, ne pouvait laisser indifférente l'Assemblée nationale qui héberge - pour un temps plus ou moins long - les représentants de la Nation.

Le « dictionnaire du vote » n'est pas non plus tout à fait étranger à l'actualité politique puisque nous allons suspendre nos travaux pour permettre à un certain nombre de députés, candidats aux élections municipales et cantonales, de solliciter un nouveau mandat de maire ou de conseiller général. Le dictionnaire vient à point pour ceux qui voudraient réviser leurs classiques et nous retournerons dans nos provinces avec ce bréviaire sous le bras, n'en doutez pas !

Mais je crois que le mérite d'un tel ouvrage, - on le voit bien en le feuilletant -, est de nous rappeler essentiellement deux choses : la première, c'est que le principe du vote en politique est une idée absolument révolutionnaire; la seconde, c'est qu'il ne faut pas oublier que ce principe doit être entouré de conditions concrètes pour qu'on puisse s'en prévaloir.

I. Le vote : une idée révolutionnaire

Il nous semble aujourd'hui naturel que les citoyens élisent leurs représentants à intervalles réguliers. Mais pour en arriver là, il fallait que l'on se persuade que le peuple de citoyens était souverain et que personne ne pouvait décider à sa place, ni Dieu, ni maître, ni aristocratie, ni morale, ni juges. Il fallait, par conséquent, que les citoyens n'obéissent qu'à eux-mêmes pour qu'ils demeurent libres.

La solution de cette véritable énigme politique, comme l'aurait dit Rousseau, réside dans le principe constitutionnel du suffrage. Il peut être, comme le dit la Constitution de 1958, direct ou indirect, mais il est toujours universel, égal et secret.

Voter, c'est déléguer à certaines personnes le pouvoir de décider en votre nom pendant une période déterminée. Voter, c'est promettre d'obéir à la volonté de nos représentants comme si c'était la nôtre. Je confesse qu'il faut beaucoup d'abnégation et la foi du charbonnier démocratique chevillée au corps pour qu'une telle fiction juridique fasse vivre les sociétés modernes. Mais cela veut dire une chose très profonde à mes yeux : que chaque citoyen est naturellement digne de se prononcer sur la personne qui va le gouverner; que chaque voix ne compte que pour une, mais que toutes les voix comptent.

On ne vote ni pour choisir son père ni pour choisir sa mère. On ne vote pas pour élire son patron ou son supérieur hiérarchique. On ne vote pas pour son professeur ni pour son médecin. Les uns parce que c'est la nature qui en décide. Les autres parce que ce sont les rapports de force ou le savoir qui le veulent ainsi.

En revanche, en politique il n'y a pas de nature qui tienne ; ni le sexe, ni la couleur de la peau, ni les conditions sociales ne doivent être pris en considération au moment d'approcher des urnes. C'est à toutes les femmes et à tous les hommes de se déterminer avec tout le bon sens et la prudence dont ils sont capables. C'est aussi la raison pour laquelle, en politique, ce n'est jamais aux experts de décider mais aux représentants du peuple. Les technocrates sont souvent prompts à penser que leur science leur sert de légitimité. Mais la décision politique n'est pas affaire de science, seulement de bon sens et c'est le nombre et la qualité des opinions qui est la meilleure garantie d'un choix juste. Je ne me fierai pas au vote du plus grand nombre pour établir un diagnostic médical mais je pense que c'est au vote du plus grand nombre de déterminer l'intérêt général : cela s'appelle la démocratie avec sa grandeur et ses servitudes, c'est à dire quelque fois ses bavardages, ses à peu près, ses erreurs...

Il reste que si on n'a pas trouvé de système plus juste que l'élection par tous les citoyens des représentants du peuple et qu'on n'a pas trouvé de procédure plus démocratique pour déterminer l'intérêt général que le vote d'une loi à la majorité, il faut que celui-ci soit entouré des garanties de fond et de forme pour être régulier et incontestable.

II. Des garanties au service de la régularité du vote

Des conditions de fond parce que le droit de suffrage ne peut pas être complètement significatif, s'il n'émane pas de citoyens libres et éclairés. Je crois profondément au lien intime entre la démocratie, la pédagogie et le droit de vote. Car il n'y pas de suffrage libre sans liberté d'opinion, sans liberté d'expression et sans liberté d'association.

La liberté d'opinion parce qu'aucune vérité n'est écrite à l'avance.

La liberté d'expression parce que les opinions doivent pouvoir être communiquées librement.

La liberté d'association parce que les partis, les associations et les groupes politiques concourent à la formation et l'expression des opinions.

Mais, peut être plus important encore que ces conditions de fond, il y a des conditions de forme.

Oserais-je rappeler qu'il n'y pas de pire attentat à la démocratie que la fraude électorale et la manoeuvre puisqu'ainsi c'est la volonté du peuple qui est détournée ? Les juridictions chargées du contentieux électoral sont nécessaires pour s'assurer de la régularité et de la sincérité du vote.

Et les candidats à qui ces juridictions reprochent d'avoir inscrit sur les listes électorales des électeurs qui n'y avaient pas droit, d'avoir domicilié dans le bâtiment de sa mairie un nombre de personnes trop important pour qu'elles aient pu matériellement y être logées, d'avoir donné officiellement comme domicile à des électeurs le numéro d'un immeuble qui n'existe pas, sont stigmatisés ouvertement dans des décisions longuement argumentées et commentées.

Pour parer à ces détournements - pas toujours ou insuffisamment sanctionnés -, les démocraties ont inventé des procédures très sophistiquées. Il faudra vous reporter par exemple aux entrées du dictionnaire telles que bulletin et bureau de vote, carte d'électeur, émargement, liste électorale, procuration, ou urne par exemple...

Il faut en outre qu'un système électoral corresponde à ce qu'on attend de lui. A cet égard, il me semble parfaitement clair que le système électoral de désignation du Président des Etats-Unis est marqué par un certain archaïsme. Si à l'époque, les Pères fondateurs ne faisaient pas confiance au peuple pour élire directement son Président, on attend aujourd'hui d'un système électoral qu'il détermine et reflète clairement la volonté du peuple. La désignation des délégués par les Etats, selon des modes de scrutin qui leur appartiennent, avec des mécanismes de certification sanctionnés par des dates limites, fait prévaloir un formalisme vide au détriment de l'expression claire de la volonté des électeurs. Cela a valu aux Etats-Unis une très grande période d'incertitude sur le nom de l'élu que seule l'intervention contestée de la Cour suprême a pu clore.

Enfin, et toujours par comparaison avec les Etats-Unis, je crois qu'il n'y a pas de vote sincère si d'une façon ou d'une autre nos démocraties ne trouvent pas le moyen de juguler le rôle de l'argent dans les campagnes électorales. Ce n'est pas à un public aussi averti que celui de ce soir que j'apprendrai que la Cour suprême des Etats-Unis considère que le fait de limiter les dépenses en matière électorale porte atteinte à la liberté d'expression. Pour ma part, je crois au contraire que cette limitation est nécessaire. Notre Assemblée s'est d'ailleurs résolument engagée avec raison dans cette voie depuis le vote des lois de 1988, 1990, 1993 et 1995.

En conclusion, je voudrais faire deux remarques :

L'attachement de notre Assemblée au suffrage universel résulte de sa certitude qu'il constitue le seul principe véritable de légitimité dans une démocratie. C'est par le vote universel, égal et secret que le peuple choisit ses dirigeants. C'est par le vote à la majorité que les représentants du peuple font la loi après qu'elle a été longuement délibérée. Enfin, c'est par le vote que notre démocratie réduit les antagonismes sociaux, les gère et élabore des compromis.

Le droit de suffrage est à cet égard une arme symbolique au service de la réforme et non de la révolution.

L'attachement de notre Assemblée au suffrage universel se traduit aussi dans ses relations internationales. La dernière décennie a en effet vu se développer de nouvelles formes d'action internationale dans lesquelles l'intervention des parlementaires est non seulement souhaitable, mais indispensable. Les démocraties parlementaires sont aujourd'hui beaucoup plus nombreuses qu'il y a dix ans. Nous savons que le passage de la dictature à la démocratie, la « transition », n'est pas toujours facile. S'assurer du caractère démocratique et du bon déroulement des premières élections correspond à une obligation morale et à l'intérêt de ces nouvelles démocraties. Par la suite, la mise en place des institutions parlementaires peut aussi donner lieu à des difficultés de tous ordres - qu'elles soient juridiques, matérielles ou techniques -. Qui, mieux qu'un parlementaire, peut être à même d'observer le déroulement d'un processus électoral ? Qui, mieux qu'une assemblée aussi anciennement et solidement enracinée que la nôtre, est en mesure d'apporter l'appui nécessaire au bon fonctionnement des jeunes démocraties ? Nous le faisons à l'égard de l'Afrique comme de l'Europe centrale et orientale.

L'Assemblée nationale est en pointe sur ces deux aspects : observation des élections et coopération interparlementaire. C'est ainsi que vit ce que je qualifie de diplomatie parlementaire.

Je vous remercie de votre attention.