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Dixième anniversaire de la revue de l'Institut
des Relations internationales et Stratégiques
à l'Hôtel de Lassay le mardi 20 mars 2001

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,

Monsieur le Président du Conseil d'administration de l'IRIS, cher Serge Weinberg,

Monsieur le Directeur de l'IRIS, cher Pascal Boniface,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Selon la sagesse des marins et des philosophes, « il n'est point de vent favorable pour celui qui ne sait où il va ». Mais y a t-il un vent favorable pour qui ne dispose pas de gouvernail ?

Alors que trop d'Etats donnent l'impression d'avoir perdu leurs instruments de pilotage, pris de vertige dans le tourbillon de la mondialisation, la vocation de la revue de l'Institut des relations internationales et stratégiques est précisément de dépasser l'actualité immédiate, de déchiffrer le long terme, en suscitant de vastes débats stratégiques.

Quels nouveaux espaces s'offrent à l'humanité, quels seront les nouveaux « grands » de ce XXIème siècle qui commence, voilà quelques unes des questions auxquelles votre revue essaie de trouver des réponses.

Je suis donc particulièrement heureux de vous recevoir, à l'occasion du dixième anniversaire de la revue de l'IRIS. Observatrice attentive des moindres évolutions de l'univers géopolitique, la revue de l'IRIS s'est hissée, en quelques années, au rang des principales revues d'analyse et de réflexion sur les questions internationales. Ce succès, la revue de l'IRIS le doit à ses lecteurs (au premier rang desquels on trouve évidemment les parlementaires), à ses annonceurs (prestigieux et fidèles), et, bien sûr, à ses auteurs (talentueux et passionnés).

Vous vous efforcez ainsi d'observer, de penser notre monde, d'analyser ses évolutions, d'anticiper ses changements majeurs. C'est assez dire que la matière de vos travaux est considérable et qu'elle requiert lucidité, rigueur, audace et peut-être surtout liberté intellectuelle.

Je sais combien il a fallu d'engagement et de ténacité à Serge Weinberg, à Pascal Boniface, à Jean-Pierre Maulny et à tous les chercheurs qui collaborent régulièrement à la revue pour aboutir à ces résultats, et je les en félicite chaleureusement. Au nom de l'Assemblée nationale, en notre nom à toutes et à tous, si vous me le permettez, je souhaite à votre revue dix nouvelles années, et bien plus encore, de brillants succès.

***

Mesdames et Messieurs, le stratège était, à Athènes, le principal des magistrats. C'est lui qui devait organiser, coordonner les divers composants - les différentes strates - du corps de bataille. Rôle évidemment essentiel pour une Cité qui, comme celle de Rome, était tournée presque en permanence vers la guerre. Cette origine militaire a longtemps donné son seul sens à la stratégie. Lorsque la guerre mondiale était encore plausible, les études stratégiques avaient pour objectif final l'analyse du monde comme constellation de territoires, proies potentielles pour chacun des deux réseaux militaires antagonistes de la guerre froide.

Cette bipolarisation militaire a disparu. La menace nucléaire n'est malheureusement pas pour autant éteinte. La dissémination a mis l'arme nucléaire à la disposition de pays dont nul ne peut dire avec une absolue certitude qu'ils ne l'utiliseront jamais. Si les Etats-Unis envisagent à nouveau de se doter du fameux bouclier anti-missiles, c'est bien en raison de la persistance de ce risque.

Mais les heureux progrès de la paix, et de cette formulation plus impérative des Lumières qu'est la conviction humanitaire, ont conduit les organisations internationales et les Etats à coopérer militairement pour le maintien de cette paix. Depuis quelques années, ils interviennent pour protéger les minorités menacées par quelque despote.

Dans ce double contexte - le maintien d'un certain niveau de menace nucléaire et l'intervention armée pour préserver l'humanité et la paix -, la stratégie garde encore sa composante militaire.

Mais si les études stratégiques ont pris aujourd'hui une telle ampleur, dont témoignent l'importance et la réussite de l'IRIS et de sa revue, c'est parce que la mondialisation en a fortement étendu le champ.

Mesdames et Messieurs, « mondialisation », voilà un mot déjà galvaudé dont j'aimerais préciser devant vous deux composantes, économique, bien sûr, mais surtout et avant tout humaine.

Depuis longtemps déjà les entreprises exportaient. Les pays étrangers étaient pour elles autant de marchés différents sur lesquels elles entraient une par une pour y écouler la part de production que leur marché national n'absorbait pas. Peu à peu, elles ont commencé d'installer dans divers pays des unités de production pour réduire les coûts de transport ou profiter d'avantages juridiques ou fiscaux. On parla alors d'entreprises multinationales puis transnationales. Cette évolution atteint aujourd'hui son point final. Les entreprises sont mondiales.

Les produits qu'elles créent sont immédiatement destinés au monde entier, considéré comme un marché unique, même s'ils doivent encore être déclinés selon les caractéristiques culturelles des acheteurs. On ne distingue plus vraiment l'étranger de l'Etat où l'entreprise a son centre de décision. Aux dirigeants de ces entreprises mondiales, il faut, comme hier aux dirigeants des Etats-nations, de véritables conseils en stratégie capables de leur éclairer, politiquement, culturellement et, bien sûr, économiquement la carte du monde et surtout de la projeter dans l'avenir pour des investissements longs.

Les dirigeants politiques eux-mêmes, hier seulement soucieux de la sécurité de leurs frontières et des conflits potentiels, se fixent aujourd'hui, comme objectif, d'appuyer les entreprises dont les centres de décisions se trouvent être - au moins théoriquement- dans le ressort de leur Etat. Pour mieux calibrer cet appui, et pour servir eux-mêmes de conseil aux entreprises plus petites, qui souhaitent prendre le chemin de l'exportation, les voici demandeurs des mêmes études stratégiques à portée économique, sociale et culturelle.

Mais le besoin d'études stratégiques, Mesdames et Messieurs, se fait aussi sentir dans un autre domaine, celui de l'information du public.

« Le temps du monde fini commence » annonçait très lucidement Paul Valéry dès 1931. Ce qu'il pronostiquait ainsi, c'est ce « village mondial » dont on évoque fréquemment l'image, pour exprimer cette proximité nouvelle des citoyens de tous les pays les uns par rapport aux autres, par le biais des médias et notamment de la télévision.

La place de ce « village », ce « forum » pour employer un mot remis à la mode par Internet, est, bien sûr, virtuel, mais son impact sur la conscience des hommes est bien réel. Dès lors, les médias ne peuvent que refléter ce souci nouveau de « l'autre lointain ». Et ils ne peuvent donner cet autre à lire, voir et entendre de manière pertinente, qu'en s'appuyant eux aussi sur des études stratégiques diversifiées et mises régulièrement à jour.

***

Mesdames et Messieurs, le constat de ce besoin sans cesse croissant d'étude et d'analyse des questions stratégiques m'amène pour terminer à évoquer une idée qui m'habite depuis longtemps : la mondialisation ne saurait se contenter d'être celle de l'informatique, des télécommunications et des marchés. Elle doit reposer sur une plus grande démocratie internationale et sur une conception anticipatrice de la démocratie. Face à l'essor d'une économie mondiale de marché, face à la globalisation économique, il nous faut concevoir une démocratie qui comme le marché, ne soit pas limitée par un territoire, une démocratie sans frontière dans l'espace et dans le temps.

Aux institutions internationales que l'on créera ou qui sont déjà esquissées, pour la nécessaire « régulation mondiale » de l'économie, il faudra insuffler de la démocratie et, pour ce faire, directement ou indirectement, associer les Représentations élues des peuples aux décisions qui seront prises.

Je suis en effet profondément convaincu que la société mondiale d'aujourd'hui a plus que jamais besoin de ce qui relève traditionnellement de la sphère publique : la compréhension et l'évaluation des phénomènes à l'échelle globale, la vision à long terme, la préservation des biens collectifs, la prise en compte des intérêts des générations futures, la définition d'objectifs et de priorités explicites.

La complexité du monde qui nous entoure exige de la part de tous les citoyens et d'abord des parlementaires une approche globale, un engagement moral plus profond et le souci permanent de proposer des mesures collectives non seulement plus novatrices mais aussi plus efficaces. Si nous voulons que demain ne soit pas toujours déjà trop tard, l'anticipation doit prévaloir sur la simple adaptation, l'éthique du futur doit l'emporter sur la tyrannie de l'instant présent.

C'est assez dire, je crois, l'utilité d'organismes comme l'IRIS dont on ne peut ce soir que féliciter les animateurs, d'autant qu'ils l'ont créé sans l'aide de l'Etat et sur une base purement privée, dans un cadre universitaire.

Aussi est-ce avec un plaisir particulier que j'accueille ici aujourd'hui les auteurs de la revue de l'IRIS en leur souhaitant pleine réussite dans la poursuite d'une activité dont l'utilité sociale est devenue si évidente.

Continuez à être les éclaireurs de ce siècle qui commence !

Je vous remercie.