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10ème Journée du Livre politique
à l'Assemblée nationale le samedi 24 mars 2001

Discours de M. Raymond FORNI,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Madame la Présidente,

Monsieur le Président du jury,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Soyez les bienvenus à l'Assemblée nationale, où j'ai grand plaisir à vous recevoir, à l'occasion de la dixième Journée du Livre Politique. C'est une joie et un honneur de vous accueillir au Parlement, lieu de la parole et de l'écrit, où vous êtes, auteurs et lecteurs, pleinement chez vous.

Chaque édition de ce prix apparaît comme une occasion nouvelle de définir ce qu'est un livre politique. Sa singularité ne se laisse pas si facilement saisir : il ne se réduit pas à un genre d'écriture puisque, par le passé, le jury a distingué des philosophes, des hommes politiques, des historiens ou des journalistes. Cette diversité est la preuve tangible de la richesse et de la vitalité de notre vie politique, essentielle à la démocratie.

Je crois, pour ma part, que le livre politique révèle son énigme et sa force dans la rencontre des actes et des mots. Il incarne l'ambition de traduire les idées en projets et de changer les projets en réalités. En attisant la passion du débat et le goût de la polémique, il contribue à nourrir notre intérêt pour la "chose publique" et notre désir de République. C'est là, certainement, que réside le succès de la Journée du Livre Politique, dont je veux saluer la fondatrice et Présidente, Madame Luce Perrot qui, chaque année, par son enthousiasme et sa détermination, oeuvre au dialogue entre les acteurs et les témoins de la vie publique.

Le Prix du Livre Politique fête aujourd'hui son dixième anniversaire et c'est avec joie et fierté que je m'inscris, pour la première fois, dans cette belle tradition. A cette occasion, permettez-moi de rendre un hommage particulier à mon prédécesseur, Laurent Fabius qui, par son engagement et son soutien, a grandement contribué à faire de cet événement un grand rendez-vous littéraire, politique et citoyen.

Je veux également saluer les membres du jury de l'édition 2001 et les remercier pour l'esprit d'ouverture et de sérieux qu'ils ont manifesté. Je tiens plus particulièrement à féliciter leur président, Monsieur Jean-Claude Casanova, qui a su mener les débats avec la fermeté et la rigueur qu'exigeait sa responsabilité, et à saluer sa volonté d'établir des règles de vote claires et justes.

Je sais combien la tâche de ce jury a cependant été difficile car, cette année encore, la sélection, dans sa diversité, était de grande qualité. Je pense notamment aux derniers livres en compétition, La Démocratie inachevée de Pierre Rosanvallon et à La Comédie des Orphelins de Christophe Barbier. Deux ouvrages remarquables d'érudition et d'intelligence, qui contribuent, avec succès, à l'expression de la liberté intellectuelle et à la promotion de la réflexion politique.

Cette année, le jury a choisi de distinguer l'ouvrage de Robert Badinter, l'Abolition. Pour beaucoup, ce choix n'est pas une surprise ; vous comprendrez certainement que, pour moi, c'est un grand bonheur que de voir honorée l'illustration exemplaire de ce que fut le triomphe de la justice et du droit sur la cruauté et la barbarie. Cet ouvrage est le témoignage puissant de la lutte acharnée contre la peine de mort que Robert Badinter, militant, avocat puis Garde des Sceaux, a menée, avec audace et obstination, jusqu'à son terme. Un combat que j'ai eu l'immense honneur de suivre, d'accompagner et de soutenir à ses côtés, en étant le rapporteur de la loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine capitale.

Chronique des batailles judiciaires et politiques des années 1970, l'Abolition est le récit des certitudes et des doutes, des convictions et des peurs. Le livre s'ouvre sur le souvenir d'un douloureux échec -l'exécution de Claude Buffet et Roger Bontems, en novembre 1972 - et se clôt par l'évocation d'une magnifique victoire - l'adoption du projet de loi par les parlementaires, en septembre 1981. Entre ces deux dates, une si longue marche pour une si grande cause.

Dans ce récit, l'expression, limpide, est au service d'une pensée puissante ; les paroles, ciselées, révèlent une magistrale démonstration : la société ne saurait tuer pour se venger, mais doit punir pour réhabiliter. Rien de froid ou de distant dans ce cheminement : plutôt une sérénité et une sobriété qui préfèrent l'humanité à la sensiblerie, un mélange singulier de passion et de raison, de retenue et d'émotion.

A la lecture du livre de Robert Badinter, une image se dessine : celle de la France des Lumières, fraternelle et solidaire, portée par l'élan des idées et des causes qui ont triomphé aux grands moments de son histoire. Un souvenir, aussi, me revient : celui d'un homme, héritier des valeurs de la gauche française abolitionniste, éprise de justice, de progrès et de liberté.

Je souhaite aujourd'hui saluer la mémoire et rendre hommage au courage de celui, qui, avant son élection à la Présidence de la République, avait fait connaître à tous, non seulement son aversion pour la peine de mort, mais surtout sa détermination à la faire abolir si le pays lui accordait sa confiance. En saisissant le Parlement d'une demande d'abolition, François Mitterrand avait immédiatement respecté l'engagement pris devant les Français. C'était là son exigence et sa fidélité à la parole donnée.

Monsieur le Ministre, c'est une heureuse coïncidence et un magnifique symbole que de vous remettre aujourd'hui le Prix du Livre Politique à l'Assemblée nationale. On ne pouvait certainement trouver meilleur endroit que cette maison de la loi où, il y a près de vingt ans, vous présentiez le texte portant abolition de la peine de mort. Personne n'a oublié cet automne de l'année 1981 où, avec le soutien des députés de tous les bancs, vous avez fait entrer la peine de mort dans cette enceinte pour la bannir à jamais des prétoires. L'hémicycle résonne encore de vos paroles, sincères et vibrantes, et des grandes voix de ceux que vous aviez convoqués, pour avoir admirablement servi la cause de l'abolition : Robespierre, Hugo, Jaurès, Camus, dont l'Histoire a conservé vivant le souvenir de l'éloquence du coeur et de la raison.

Le 9 octobre 1981, grâce à votre courage et à votre détermination, notre pays écrivait l'une des grandes pages de son histoire, de la République et de la démocratie. Ce jour-là, comme vous le rappelez pour conclure votre ouvrage : "C'était fini, la peine de mort". Permettez-moi d'ajouter : "en France". Car n'oublions pas que la lutte contre l'effroyable droit de tuer demeure une impérieuse nécessité dans tous les pays où il est encore en vigueur, à commencer par la plus puissante des démocraties occidentales : les Etats-Unis.

Il est des livres qui construisent la vie de leurs auteurs ; il en est d'autres qui changent celle de leurs lecteurs. Puisse l'ouvrage de Robert Badinter toucher le coeur et convaincre les esprits du plus grand nombre, ici et ailleurs, pour que disparaisse enfin de ce monde, ce que Victor Hugo dénonçait déjà comme "une horrible, une sanglante, une implacable idée". Pour tous les partisans de l'abolition universelle, son récit et son témoignage sont autant de batailles à mener que de raisons d'espérer.

Mesdames et Messieurs, Monsieur le Ministre, cher Robert, c'est avec émotion et fierté que je te remets aujourd'hui ce prix et t'adresse mes chaleureuses félicitations. Le jury a considéré que l'Abolition était le livre politique de l'année ; elle est, pour nous, le combat d'une vie. Que cette distinction soit le témoignage de mon amitié et de mon fidèle engagement à tes côtés.