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XXème anniversaire de l'Association internationale de droit constitutionnel à l'Hôtel de Lassay le jeudi 31 mai 2001

Allocution de Monsieur Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Monsieur le Président de l'Association internationale de droit constitutionnel,

Monsieur le Président de l'Association française des constitutionnalistes,

Mesdames, Messieurs,

C'est avec grand plaisir que je vous accueille aujourd'hui à la fin de la première journée de vos travaux qui se déroulent en ce moment au Sénat. Vous avez tenu, Messieurs les Présidents, à ce que ces deux journées célèbrent, avec un éclat particulier, le XXème anniversaire de l'association internationale de droit constitutionnel.

A cette occasion, je veux tout particulièrement saluer nos amis étrangers, qui ne le sont jamais tout à fait, puisque lorsque vous parlez de droit constitutionnel, vous avez au moins une langue commune, à défaut d'avoir toujours des concepts communs.

Je veux saluer nos amis d'Asie et d'Afrique, ceux d'Australie et des Amériques qui vous ont fait, qui nous ont fait, l'amitié de se joindre à nous.

Je veux saluer nos amis qui font partie du continent européen et qui ne font pas encore partie de l'Europe, mais dont la vocation est de nous rejoindre.

Je veux saluer enfin nos amis européens, tous ceux qui viennent des Quinze, avec lesquels nous sommes lancés dans une aventure commune qui vient d'être relancée par les prises de positions du Premier ministre, M. Lionel Jospin.

A tous les constitutionnalistes européens, je leur dis qu'ils vont avoir du travail ! Ils vont devoir rivaliser d'imagination parce que nous avons une nouvelle Constitution à bâtir. Il faut dessiner une Constitution européenne qui déterminera l'organisation et le fonctionnement des institutions communes, surtout si nous devons être bientôt 30 pays à faire partie de l'Union.

La construction de l'Europe nous impose de penser non seulement la construction de l'Union mais aussi la construction de nos différences.

Nos peuples ne supporteraient pas l'idée que leurs particularités soient fondues dans un espace mou qui se confondrait avec l'uniformité. A cet égard la construction de l'Europe est loin d'être seulement un projet juridique, c'est un projet philosophique qui pose la question de notre identité européenne.

Ce qui nous réunit, comme l'a dit le Premier ministre, c'est une communauté de valeurs, au premier rang desquelles il y a la démocratie et les droits de l'homme.

Je ne peux évidemment pas oublier que la construction de l'Europe s'est véritablement décidée au lendemain de la guerre, et comme le dit le Préambule de notre Constitution de 1946, "au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine".

Il y a donc un lien ontologique entre les démocraties victorieuses d'après 1945 et la réaffirmation solennelle des droits et des libertés de l'homme et du citoyen. Ce lien, c'est tout simplement une communauté de civilisation et de culture qui prend sa source dans une longue aventure spirituelle. Elle culmine aujourd'hui, pour nous autres européens, et pour tous ceux qui vont nous rejoindre, dans l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux adoptée lors du sommet de Nice.

Le respect pour les droits fondamentaux n'est pas une quelconque lubie juridique dont les démocraties seraient devenues tout à coup friandes ! Il s'enracine dans une expérience originelle traumatisante qui a fait découvrir au monde que certains Etats, se recommandant de la loi, pouvaient être des dictatures. Fascisme, nazisme et stalinisme ont conduit à la destruction de toutes les valeurs et, surtout, de millions de personnes humaines. Nous avons découvert des textes - par exemple ceux relatifs au statut des juifs - qui n'avaient de lois que le nom et l'indignité pour vrai fondement.

La fin de la guerre a consacré l'idée constitutionnelle que la loi n'était la loi que si elle respectait les droits fondamentaux. C'est à ce moment précis que les démocraties sont devenues des Etats de droit.

Depuis, cette idée n'a cessé de progresser. Au cours des 20 dernières années que nous venons de traverser qui sont aussi les 20 années de l'association internationale de droit constitutionnel, nous avons vu les pays d'Europe centrale et orientale renouer avec la démocratie. D'ailleurs, ils ont élaboré immédiatement une nouvelle Constitution, comprenant une charte des droits fondamentaux et une Cour constitutionnelle. Je pense à la République tchèque, à la Pologne, à la Hongrie, à la Bulgarie et bien d'autres...

Il en va de même des pays de l'Afrique de l'Ouest qui, à partir du discours de La Baule (1990) du président François Mitterrand, ont progressivement renoué avec la démocratie. Je pense à des pays comme le Mali ou comme le Bénin.

Je sais aussi que le constitutionnalisme ne pourrait pas vivre sans vous, c'est-à-dire sans la doctrine, celle des professeurs et des magistrats qui écrivent et commentent les décisions de justice constitutionnelle.

Ces commentaires sont nécessaires parce qu'ils nous font toucher du doigt le fait que les droits fondamentaux n'appartiennent pas à une catégorie intemporelle. Il sont faits par des hommes et des femmes pour des femmes et des hommes. Ancrés dans notre histoire, il est nécessaire que leur sens se modifie pour tenir compte des exigences contemporaines.

Monsieur le Président Michel Rosenfeld, laissez moi vous dire combien j'ai admiré les développements que vous consacrez, dans les Cahiers du Conseil constitutionnel, à l'évolution de la jurisprudence de la Cour suprême américaine sur le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, jusqu'à la fameuse décision de 1996 qui autorise les femmes à entrer dans une école militaire très fermée.

Les débats sur le principe d'égalité, Monsieur le Président, nous les partageons également en France.

Je pense évidemment au projet de loi sur la Corse dont nous venons de débattre. Je suis convaincu que si nous voulons ancrer durablement l'Ile dans la République, nous devons tenir compte de ses spécificités géographiques, culturelles, sociales, fiscales et économiques. Je ne crois pas que le principe d'égalité puisse s'opposer à cela.

Cela me ramène au thème de l'Europe par lequel j'avais commencé.

J'ai dit de l'Europe qu'il y avait ce qui nous unissait : c'est une communauté de valeurs. Mais il y aussi ce qui nous caractérise en tant que nations, et qui en est la richesse : nos langues, nos cultures, notre droit, nos façons de faire et de dire. S'agissant de la République, je dirais la même chose. Il y a ce qui nous unit durablement dans une République, Une et indivisible, mais il y a aussi ce qui différencie chaque région et chaque collectivité. L'unité n'est pas l'uniformité. Unité et diversité, n'est-ce pas, aussi, le mariage pragmatique de la rigueur de la règle de droit et des exigences de l'action politique ?

Telle est la leçon que je souhaiterais retenir du constitutionalisme. Je vous remercie.