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Clôture de la session solennelle des Présidents de Parlements contre la peine de mort
à Strasbourg - Parlement européen - le vendredi 22 juin 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Madame la Présidente du Parlement européen,

Monsieur le Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe,

Messieurs les Présidents,

Chers collègues,

Mesdames, Messieurs,

Lorsque je songe à ce qu'est l'idéal en politique, j'ai le sentiment que l'utopie à laquelle je rêve ressemble fort à cet instant privilégié que nous vivons ensemble.

Merci donc à tous de nous avoir permis de vivre et de lancer cet appel d'humanisme, de générosité, de solidarité ; cet appel au respect de la vie.

Nous allons en effet adopter ensemble l'appel de Strasbourg qui demande solennellement aux Etats de suspendre l'exécution de condamnés à mort.

Cet appel n'est pas une leçon que l'Europe et les pays abolitionnistes et, en particulier, la France donneraient au reste du monde. D'autant que mon pays, la France, ne peut s'autoriser nulle arrogance. Il a beaucoup tardé à inscrire dans son droit l'abolition de cette barbarie.

Il l'a fait en 1981 grâce à la détermination et au courage de François Mitterrand, grâce à la force de conviction et à la ténacité de Robert Badinter, grâce aussi à la noblesse dans l'action des députés, des parlementaires de toutes convictions qui ont su, malgré l'opinion contraire, voter un projet de loi dont j'ai eu l'honneur, il y a 20 ans, d'être rapporteur.

Cet appel ne vise pas à donner une leçon péremptoire à d'autres, à l'extérieur de notre vaste ensemble européen, car notre continent lui-même n'est pas complètement libéré de ses fantasmes, de ses peurs, parfois de ses délires.

Souvent, nous confondons moratoire et abolition ; et il y a parfois un long chemin de l'un à l'autre et l'un n'interdit pas le retour à l'autre.

Et parce que ce combat nous est commun, qu'il est mondial, je tiens à saluer nos collègues du Chili, de la Côte d'Ivoire et du Cambodge qui ont su, avec courage et alors que les dictatures, les drames et les génocides rôdaient encore à leurs portes, abolir la peine capitale.

Nous attendons beaucoup de cet Appel. D'ores et déjà, vingt-quatre présidents de Parlements des cinq continents l'ont signé. Nous serons, dans quelques minutes, parmi les quarante présidents qui auront les premiers apposé, solennellement, leur signature au bas de ce document.

Dans leur diversité, par leur nombre, ces soutiens, ces signatures sont indispensables à notre démarche. Ils lui confèrent l'universalité qui doit être la sienne et je souhaite ardemment qu'il soit entendu aux Etats-Unis, en Chine, en Arabie Saoudite, en Iran, au Japon, ce pays qui, curieusement, paraît à l'abri des critiques qui atteignent les autres alors qu'il n'est pas moins condamnable parce qu'il prétend s'appuyer sur les principes démocratiques.

Cet Appel est un appel au réveil de la conscience universelle.

Parce que nos Parlements portent la voix des peuples et que les nôtres ont largement compris l'inanité de la peine capitale. Quelles que soient leurs opinions politiques ou leurs convictions philosophiques, nous sommes à l'unisson de cet Appel.

Notre Appel s'adresse donc à la conscience universelle, parce qu'il est un encouragement à tous ceux qui luttent à travers le monde pour que disparaisse la peine capitale.

Surtout, cet Appel s'adresse à la conscience de chacun de ceux - politiques, magistrats, juristes, citoyens - qui, dans chaque Etat, peuvent empêcher que se commettent, au nom de l'Etat, de nouveaux crimes.

Pour que ces consciences se réveillent ! Qu'elles se révoltent. Pour que chacun d'eux entende, comprenne cette évidence : un Etat de droit ne peut s'arroger le droit de tuer ses citoyens.

Pour qu'à la faveur de ce moratoire, dans cette pause imposée à la mort légalement administrée, s'engage une réflexion sincère, ouverte, éclairée par l'exemple de l'autre, de nous, sur la justification d'un tel châtiment.

Mesdames, Messieurs,

« On ne fait pas ces choses-là impunément en face d'un monde civilisé. »

Ainsi protestait Victor Hugo en 1859 contre l'exécution imminente de l'Américain John Brown, resté dans l'Histoire pour son combat contre l'esclavage.

En signant maintenant cet appel à la révolte des consciences,

En ralliant le soutien de nos collègues du monde entier,

En adressant ensuite cet Appel aux chefs d'Etat et aux Parlements des pays qui appliquent encore la peine de mort,

C'est un monde véritablement « civilisé » que nous nous efforcerons de bâtir ensemble : un monde où « ces choses là » n'auront plus cours.

Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Un nouveau pas sera alors franchi vers l'abolition universelle de la peine capitale.