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Université d'été des maires 2001
Paris, - mercredi 4 juillet 2001

Discours de M. Raymond Forni,

Président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs les maires,

Monsieur le directeur,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Au cours des vingt dernières années, les élus locaux ont eu à exercer de nouvelles responsabilités. Ils ont ainsi contribué à renouveler de façon incontestable la pratique des politiques publiques.

Sur bien des points, la décentralisation est une réussite exceptionnelle. Dans le cadre de leurs nouvelles compétences, les collectivités locales sont ainsi devenues des acteurs économiques de premier plan. Elles apportent notamment une contribution essentielle au développement de notre pays en matière d'équipement. Responsables de services de proximité, elles disposent aujourd'hui de prérogatives importantes et mènent une action publique décisive au niveau local, sans dérive fédéraliste de la part de l'Etat central. Le transfert de nouvelles compétences aux élus locaux a permis de faire progresser notre démocratie, en étant notamment plus proches et plus attentifs aux aspirations de nos concitoyens, et en apportant des réponses souvent plus pertinentes à leurs difficultés.

Néanmoins, il faut reconnaître qu'un certain nombre de problèmes sérieux continuent, aujourd'hui, de peser sur notre action : d'importantes disparités entre les collectivités posent la question fondamentale du principe républicain d'égalité des citoyens ; l'enchevêtrement des compétences entre l'Etat et les divers niveaux de l'administration locale met en cause l'efficacité du service public ; la répartition de ces compétences aboutit souvent à des dispositifs complexes qu'il nous appartient de simplifier ; la modernisation des finances locales n'a toujours pas eu lieu ; le fort taux d'abstention aux élections locales (beaucoup plus élevé qu'aux scrutins nationaux !), mais surtout de trop timides concertations avec nos concitoyens, démontrent que nous n'avons pas encore su satisfaire les exigences d'une vraie démocratie locale.

La décentralisation recherche aujourd'hui un second souffle. Or, je suis convaincu que nous trouverons l'élan qui nous est nécessaire si nous réussissons à opérer trois synthèses propres à garantir un meilleur équilibre de nos institutions :

_ tout d'abord, l'Etat doit être plus démocratique dans ses procédures, plus solide dans son organisation, et conserver l'autorité nécessaire pour faire respecter le principe d'égalité territoriale ;

_ ensuite, il faut accepter de territorialiser les politiques publiques, au niveau de l'Etat comme au niveau des collectivités locales, pour gagner en proximité avec les citoyens, même si l'Etat doit continuer à s'affirmer comme le garant de l'intérêt général ;

_ enfin, la libre administration accordée aux collectivités territoriales doit continuer à faire vivre et à faire respecter les valeurs incontournables du pacte républicain : la citoyenneté, l'égalité, la laïcité bien sûr, mais aussi des principes comme la recherche d'efficacité, la responsabilité, la déontologie, et le devoir de solidarité, notamment à l'échelle internationale.

Notre République, demain, ne se renouvellera que si elle réussit, dans un même élan :

_ à accomplir une véritable modernisation de notre Etat, en renforçant sa présence territoriale et en lui donnant les moyens d'ambitions fortes pour des politiques publiques d'envergure nationale ;

_ et à accompagner les collectivités territoriales, pour qu'elles continuent à faire vivre le pacte républicain et qu'elles inventent, localement, de nouvelles façons d'inviter nos concitoyens à participer au débat public.

Une rapide comparaison des organisations territoriales au niveau européen permet de constater un net renforcement du pouvoir local dans tous les pays de l'Union, depuis près d'un demi-siècle. Les systèmes constitutionnels sont différents, et il ne faut donc pas tirer de conclusions hâtives, mais il apparaît assez clairement que la solution idéale n'existe pas : chacun des Quinze pays européens cherche une organisation territoriale qui permettent de concilier de façon équilibrée les ancrages national, local et communautaire.

La France ne doit donc pas copier un modèle qui n'existe pas. Elle doit prendre conscience de ses faiblesses, les accepter, et continuer à s'engager au nom des grandes valeurs républicaines qui, elles, demeurent universelles.

Les Quinze partagent cet héritage, issu du Siècle des Lumières. Mais la France est à l'origine de deux belles idées, fortes et importantes, qu'il convient d'adapter au monde d'aujourd'hui, pour leur permettre de conserver toute leur modernité :

- l'idée de nation, venant s'incarner dans un Etat dont la légitimité repose dans l'expression du peuple souverain ; il ne s'agit là ni d'une conception ethnique ou culturelle, mais l'affirmation d'une volonté de vivre ensemble et d'une adhésion consentie, explicite, à des valeurs partagées ;

- l'idée de citoyenneté, dans le respect de l'esprit des droits de l'Homme, qui consacre le droit des individus à participer à la gestion des affaires communes.

Il faut rappeler que la France, c'est avant tout une certaine idée de la citoyenneté, de la laïcité, de l'égalité et de la fraternité. La centralisation fut d'abord une réponse historique aux menaces monarchistes et militaires du XIXème et du XXème siècles. Le mouvement décentralisateur engagé depuis vingt ans a déjà en partie corrigé cet effet de l'histoire ; il doit aujourd'hui se poursuivre et se renforcer, sans pour autant faire perdre à notre pays cette personnalité riche et profonde, héritée de son passé.

C'est d'ailleurs le sens des conclusions de la Commission présidée par Pierre Mauroy. Si elle marque « son attachement au modèle français d'organisation institutionnelle », la Commission se prononce néanmoins en faveur « d'une France plus décentralisée, dans un cadre unitairel'État est le garant des principes de solidarité, d'égalité et de respect des libertés publiques ». Elle refuse en particulier l'idée d'une Europe des régions, car à ses yeux, « la construction européenne repose sur des nations fortes pour progresser et s'affirmer sur la scène internationale ». Elle rappelle que « les États fédéraux eux-mêmes adhérent à ce principe. »

Dans ce même esprit, il faut aujourd'hui prendre sans attendre les mesures qui s'imposent, pour nous permettre de progresser dans des domaines aussi majeurs et décisifs que :

_ la déconcentration, qui doit rendre à l'action de l'Etat son efficacité ;

_ la coopération intercommunale, pour simplifier l'organisation territoriale ;

_ l'intercommunalité de projet, pour réussir à penser enfin le développement des « pays » et des « agglomérations », tels qu'ils ont été définis par la loi de juin 1999 ;

_ la création de nouvelles organisations de proximité pour les grandes collectivités territoriales, qui permettraient de rapprocher les citoyens de leurs administrations locales.

Je suis convaincu que le renforcement de la décentralisation doit préserver le caractère unitaire de l'Etat. Mais je suis aussi conscient de la nécessité de mieux prendre en compte les singularités de nos régions et la diversité des cultures de notre pays. Pour cela, il importe de soutenir et de favoriser les innovations menées par les acteurs locaux, même si elles doivent avoir lieu dans un cadre expérimental qu'il nous faudra alors définir. Je suis favorable à ce que l'on confie aux collectivités toutes les compétences nécessaires, et notamment un pouvoir réglementaire. Certaines avancées vont d'ores et déjà en ce sens. C'est par exemple le cas de la directive territoriale d'aménagement, telle que la prévoit le code de l'urbanisme. Elle constitue un modèle d'adaptation réussi de la réglementation nationale aux contraintes des réalités locales. Ne conviendrait-il pas de l'étendre à d'autres domaines que celui de l'aménagement de territoires spécifiques ?

Je veux à présent conclure en évoquant ce qui demeure pour moi le point essentiel de ce nouvel élan de la décentralisation : la nécessité d'améliorer et de renforcer la participation des citoyens à la vie démocratique locale. Elle s'inscrit dans l'esprit de nos institutions, elle se fait de plus en plus pressante face à l'élévation du niveau de culture et d'information de notre société, et dès 1982, elle était d'ores et déjà préparée par le législateur. La loi rappelle en effet que « les communes, les départements et les régions constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la vie locale et garantissent l'expression de sa diversité. »

Il nous faut aujourd'hui mieux répondre aux attentes de nos concitoyens à l'égard des pouvoirs exécutifs locaux, qui concernent moins des demandes en nouveaux équipements, que la recherche d'une meilleure écoute et d'une plus grande proximité.

Au cours des dernières années, l'amorce d'un statut législatif du citoyen dans ses relations avec les administrations a consacré le principe de sa participation active à la vie publique. C'est un élément nouveau et important, au coeur du débat sur l'avenir de la décentralisation.

Le débat parlementaire sur la démocratie de proximité vient de débuter à l'Assemblée nationale ; il prend en compte un certain nombre de ces exigences. Mais d'autres réformes devront venir enrichir cette première avancée, au lendemain des élections présidentielles. Elles devront suivre les objectifs affichés par le rapport de la Commission Mauroy :

- rechercher une organisation plus pertinente des territoires ;

- opérer de nouveaux transferts de compétences ;

- améliorer la qualité et la transparence de la décision locale ;

- réformer la fiscalité locale.

Certaines propositions doivent nous permettre de mener une révolution tranquille en matière de décentralisation. C'est le cas de la généralisation de l'intercommunalité à fiscalité propre, de l'élection de ses représentants au suffrage universel ou de l'amplification des péréquations. Mais toutes ces réformes institutionnelles n'auront de portée vraiment décisive qu'en préparant la profonde refondation qu'attend notre République et qui devrait permettre de moderniser le rôle de l'Etat, renforcer la participation des citoyens et encourager les initiatives de développement local. Ce sont, à mes yeux, les enjeux pour lesquels, Mesdames et Messieurs les maires de France, nous devons dès aujourd'hui nous mobiliser.

Je vous remercie.